Médecins de la Grande Guerre

Julia Jacmain, la courageuse cuisinière du Dr Depage. (Paul Falkenback)

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Julia Jacmain, la courageuse cuisinière du Dr Depage. (Paul Falkenback)

point  [article]
Arrestation de Gavrilo Princip à Sarajevo.

L'Empereur d'Autriche-Hongrie François-Joseph. (Collection Jacqueline Vandenhende)

Le Tsar Nicolas II de Russie

Le Kaiser Guillaume II

Le président français Raymond Poincaré.

Helmut Johann Ludwig, comte von Moltke

Le général Joseph Joffre.

La bataille de Haelen.

Carte des forts de la défense d'Anvers.

Un des forts de la ceinture d'Anvers: le fort 4 à Vieux-Dieu.

Zeppelin

Taube

Vue du port de Folkestone

La cohue pour obtenir une place pour l'Angleterre

Vers l'Yser

Inondation sur l'Yser

Inondation sur l'Yser

François-Ferdinand, quittant la villa "Marie-José" lors de son séjour à La Panne en 1914

Vue dans les dunes à la Panne.

L'hôtel de l'Océan à droite de la photographie (à gauche les 5 villas)

L'hôtel de l'Océan avant la guerre 1914/1918

L'hôpital de l'Océan durant la guerre 1914/1918

Groupe électrogène d'hôpital

Les villas royales à La Panne durant la guerre 1914-1918: de gauche à droite: - la villa "Maskens" résidence royale. - la villa "Terschueren", utilisée lors de visites et d'audiences officielles, également résidence des enfants royaux lors de leurs séjours en revenant d'Angleterre. - la villa "Calmeyn" qui abrite l'administration et la garde. (Collection Jacqueline Vandenhende)

La villa "Sans-Soucis" est la 1 ère à partir de la gauche. (Collection Jacqueline Vandenhende)

On distingue les cinq villas à droite de l'hôtel

Visite d'Alexis Carrel (au centre [marqué d'une x], à côté du docteur appuyé contre le perron) à la villa, entouré des médecins de l'ambulance

C'est le personnel qui utilise la balançoire du jardin ! De gauche à droite: Julia, Irma et Philomène. (Collection Paul Falkenback)

Albert et moi dans la cour de la villa "Sans-Soucis". (Collection Paul Falkenback)

Albert et moi dans la cour de la villa "Sans-Soucis". (Collection Paul Falkenback)

Ambulance automobile de Sint-Jansmolen

Barque de transport sanitaire de Sint-Jansmolen

Sint-Jansmolen

Le Paquebot "Lusitania"

Un sous-marin U-boot allemand.

Attaque avec des gaz

Troupes britanniques sur le front, munies de leurs masques à gaz.

Jan Olieslagers

Une hélice d'avion en acajou

La géométrie très complexe de l'hélice.

Ateliers de construction d'hélices d'avion

Construction d'une hélice d'avion.

Albert le 12 novembre 1916 à l'atelier de la rue Delaroche, à Calais, le marteau à la main. (Collection Paul Falkenback)

Un Nieuport 10 utilisé sur le front

Le roi Albert sur la glace en février 1917. Au second plan, la villa royale. (Collection Jacqueline Vandenhende)

Troupes américaines débarquant en France

Bataille de (Mesen) le 7 juin 1917.

Lénine

Trotsky

La pharmacie de l'hôpital Océan.

Mitrailleuse sur un avion

Ma fléchette "Bon".

Carte du Feu de Pierre Jacmain. (Collection Paul Falkenback)

Marcel âgé de 11 jours, carte postale envoyée: "À notre grand chéri, Marcel et Julia. La Panne, le 9 mai". (Collection Paul Falkenback)

Au centre [xx] l'aumônier Quagebeur. (Collection Paul Falkenback)

Marcel à deux mois (à droite de la photo) sur mes genoux, Irma Castille derrière moi. (Collection Paul Falkenback)

Céline Dierendonck, Marcel (4 mois) et moi à Paris en Août 1918. (Collection Paul Falkenback)

Un des premiers tanks Renault

Tank anglais (NB: capturé et réutilisé par l'armée allemande)

Derniers bombardements de la Panne le 16 octobre 1918

Le Maréchal Foch. Photo dédicacée au Lieutenant-Général Baron Emmanuel Joostens (1864-1943), Attaché Militaire à la Légation de Belgique à Paris (1919-1926) ("collection privée, www.ars-moriendi.be")

Rethondes, 11 novembre 1918. De gauche à droite au premier rang: Capitaine Marriott, Weygand, Amiral Sir R. Wemyss, Maréchal Foch et Contre Amiral G. Hope.

Laissez-passer de la Croix-Rouge pour deux membres du personnel de l’ambulance « l’Océan ». (Collection Paul Falkenback)

Julia Jacmain, la courageuse cuisinière du Dr Depage.

(Par Paul Falkenback, l'un de ses 6 petits enfants.)

Ce document est un extrait du livre du même auteur intitulé : « Un amour plus fort que la grande guerre »


Albert Janssens et Julia Jacmain

Ma jeunesse:

Je suis née le 4 avril 1890 dans les dépendances du château de Vorselaar, où mes parents travaillent depuis quelques années pour le comte René van de Werve.

On me baptise le dimanche suivant, jour de Pâques, du prénom de Julia Maria Thérésia.

Pierre Joseph Jacmain, mon père, est cocher; ma mère, Victorine Dorothée Michel, femme de chambre.

J'ai déjà deux frères: Pierre Joseph François Xavier Ghislain, né à Anvers le 22 octobre 1887 et Vital Joseph, né à Vorselaar le 15 décembre 1888.

De nombreux autres enfants suivront: Madeleine Julia Joséphine le 11 décembre 1891, Joséphine Caroline le 19 mars 1893, Charles Marie le 6 janvier 1895.

La famille quitte Vorselaar le 6 mars 1896 pour Anvers, où mes parents ouvrent un estaminet: l'"Oud Antwerpen".

Plusieurs malheurs vont alors s'abattre sur notre famille:

Le 8 juin 1896, notre frère cadet, Charles, âgé de 17 mois seulement, meurt subitement.

Un dernier enfant, Albert, vient au monde le 11 juillet 1899, mais il ne connaîtra pas sa mère bien longtemps: le 22 novembre, une hémorragie consécutive à une nouvelle fausse-couche provoque son décès.

Usée par sept accouchements trop rapprochés; elle allait fêter ses 42 ans…

À cause du décès de notre mère, notre famille sera dispersée à jamais.

Pierre, l’aîné (16 ans) travaille désormais comme valet de ferme près d'Anvers,

Vital (âgé de15 ans) dans un grand hôtel à Bruxelles, la jeune Joséphine (11 ans, de santé fragile) est envoyée le 24 juin 1904 à l’orphelinat chez les sœurs des "Saints cœurs de Jésus et de Marie" à Kontich, pour y apprendre la couture.

Albert, âgé à peine de 5 ans, est mis en pension à Boechout, près de Lierre.

Une fois notre année scolaire achevée, à la fin du mois de juin de l'année 1904, Madeleine (12 ans) et moi (qui en ai 14)  sommes confiées à Pulchérie Michel, sœur aînée de notre mère et à notre oncle Hypolite Constant Stapel, agriculteurs à Hoegaarden.

Notre tante est peu sympathique, elle est aigrie de ne pas avoir pu donner d'enfant à son époux et ne me supporte pas, je serai son souffre-douleur.

Elle me considère comme une domestique: à la fois aide-cuisinière, femme de ménage, femme de chambre, ouvrière agricole, … alors que ma sœur Madeleine est autorisée à aller en classe pour apprendre le métier de couturière.

Peu après notre père épouse à 47 ans en seconde noces, le 22 novembre 1904, Caroline Roskamp à Berchem, dans la banlieue anversoise.

Le couple s'installe ensuite à Bruxelles où ils reprennent notre jeune frère Albert auprès d'eux.

Après trois années dures passées chez ma tante, je dois à présent gagner de l'argent pour mes parents, comme mes deux frères ainés le font déjà depuis des années et je part à Bruxelles.

À partir du 7 mars 1907, à 17 ans, je suis placée comme domestique chez plusieurs riches bourgeois de la capitale, où je deviens rapidement aide-cuisinière puis cuisinière; un métier qui me plait beaucoup.

Pierre, qui se fait payer pour remplacer un milicien ayant des parents fortunés, débute son service militaire le 1er octobre 1907, comme cavalier de 1ère classe, pour une période de quatre années.

Il se porte volontaire, pour une durée de trois ans, au détachement de garde de la Légation belge à Pékin où, en en tant que simple soldat, il reçoit la belle solde annuelle de 1.000 francs belges.

Vital poursuit sa carrière dans l'hôtellerie à Bruxelles puis à Anvers.

Madeleine est restée à Hoegaarden et file le parfait amour avec Julien Geets, un jeune peintre en bâtiment qui habite Jodoigne et qu'elle épousera en 1914.

Quant à Joséphine, lorsque son père vient la voir à la fin de l'été 1910, il constate que sa pauvre fille cadette, âgée de 17 ans, est estropiée: sa scoliose s'est tellement aggravée qu'elle est devenue bossue !

Il la retire sur le champ de cette institution et l'installe dans une petite mansarde, sous le toit d'une maison en face de chez lui, à Woluwe Saint Pierre.

Comme elle a appris la couture chez les sœurs, elle travaille pour des clients sous la supervision intransigeante de sa belle-mère !

Albert, comme il ne supporte pas non plus la femme de son père, fugue régulièrement ce qui le conduit généralement en maison de correction pour quelque temps…

Moi, Julia Jacmain, je suis aujourd'hui une charmante jeune femme blonde aux yeux bleus d'une vingtaine d'années, que les hommes trouvent jolie et regardent avec beaucoup d'intérêt, mais je reste sage et me réserve pour celui qui sera un jour (prochain, je l'espère) l'homme de ma vie…

Mon Albert:

C'est en 1913 que je rencontre mon futur mari à Bruxelles, justement dans un bal du samedi soir qui avait lieu à Etterbeek et que fréquentaient les jeunes miliciens casernés à proximité. Nous avons tous les deux 23 ans étant nés lui, le jeudi saint 3 avril 1890, moi le lendemain vendredi saint 4 avril, et nous avons été tous deux baptisés le dimanche de Pâques, quelle coïncidence !

Il s'appelle François Albert Janssens, mais (comme chez mon oncle Hypolite Constant à Hoegaarden, que l'on n'a jamais appelé autrement que ("Constant"), tout le monde l'appelle "Albert".

Sa famille est originaire de longue date de Duffel d'où ses parents sont venus habiter Schaerbeek dès le 3 septembre 1894.

Albert (tout comme son frère cadet Victor), qui a suivi les traces de son père et d'un de ses oncles maternels (Frans Deherdt) est devenu tout naturellement ébéniste.

Il n'a pas fait beaucoup d'études, ayant été rapidement mis au travail, mais il a appris le dessin au cours du soir, ce qui lui est bien utile dans son travail.

Quelle merveille, pour nous les Jacmain qui sommes tous en quelque sorte des domestiques, de faire un aussi beau métier avec ses mains, de créer de beaux meubles qui resteront même après que nous aurons tous disparus depuis longtemps !

À partir de 1910 il effectuait ses trois ans de service militaire dans l'artillerie, aux casernes d'Etterbeek.

C'est un temps où les chevaux sont le moyen de locomotion principal tant pour les déplacements en ville (mon père est cocher aujourd'hui à Bruxelles) que pour ce régiment: on a donc attribué au soldat milicien François-Albert Janssens un cheval: César.

Albert est un bel homme, grand pour l'époque, aux yeux foncés, noir de cheveux et portant une petite moustache qui ne va jamais raser, solide, doué d'une force prodigieuse (quand il vous enfonce une vis, essayez de la sortir du bois !), charmant et très doux, qui me séduit dès notre première rencontre: j'ai directement compris qu'avec lui je vais passer ma vie - et il en sera ainsi.

Lui est d'origine flamande, sa famille, les Janssens, réside depuis longtemps à Duffel (entre Anvers et Malines).

Quant à moi, je le rappelle: du côté de mon père, les Jacmain sont originaires de Falaën dans la région de Dinant; du côté de ma mère, les Michel sont natifs de Zetrud-Lumay, aujourd'hui Jodoigne.

Quoique bilingues tous les deux, nous décidons de communiquer entre nous qu'en français.

(Sauf pour calculer et dire mes prières, ce que je ferai en flamand toute ma vie !)

Albert habite toujours chez ses parents au 525, chaussée de Haecht à Schaerbeek non loin de la gare, c'est-à-dire de la ligne de train qui peut le conduire aisément dans leur famille à Duffel.

C'est une grande maison au crépi imitant la pierre naturelle, deux balcons en fer forgé ornent les fenêtres des premiers et seconds étages, deux fenêtres dans le toit éclairent une mansarde inoccupée, dès l'entrée, une porte, à droite, conduit à une cuisine-cave, un escalier de marbre blanc conduit au bel-étage.

Elle est située le long d'une belle chaussée, bordée de maisons de maîtres, à proximité immédiate du parc Josaphat aménagé en 1904  par la commune de Schaerbeek dans un vallon verdoyant d'une surface de 6 ha, anciennement occupé par le château de Madame Martha.

Ce site admirable est fréquenté par de nombreux écrivains et artistes, dont Hyppolite Boulanger et surtout Emile Verhaeren, qui l'emprunte régulièrement lorsqu'il se rend chez son ami Constant Montald à Evere.

De chez mes futurs beaux-parents, on atteint le quartier commerçant d'Helmet en passant par le pont en-dessous du boulevard Lambermont.

Mais je trouve la nouvelle église de la paroisse trop moderne à mon goût.

Le père, Jean Augustin, (né le 16 août 1865) est un extraordinaire ébéniste, il est passé maître en marqueterie ou il excelle réellement: il est capable de découper de minuscules morceaux de plaquage, ou de fines bandes qu'il colle avec une grande précision et obtient un résultat qu'aucun de ses fils n'a jamais pu égaler !

Il possède chez lui, entre autre, un superbe ensemble marqueté Louis XVI constitué de quatre chaises en noyer, d'une table de jeu et d'une commode à deux portes et deux tiroirs surmontée d'une plaque de marbre veiné gris et blanc.

Sa mère, Elisabeth Mélanie De Herdt, (née le 14 janvier 1866) originaire de Berchem près d'Anvers, est couturière.

Leur fils cadet, Jean Victor, dit "Victor" est né à Duffel, le 26 mai 1892.

Mariage de deux jeunes au début du siècle :

Notre mariage a lieu le samedi 23 mai 1914 à Etterbeek à 11h précises, par un temps variable nuageux, sous une fine pluie depuis la fin de la matinée jusqu'en fin d'après-midi.

Le mercredi précédent, nous avons eu la sagesse de signer notre contrat de mariage auprès de maître De Cock à Woluwe saint Lambert, qui nous a conseillé une "communauté réduite aux acquêts".

Malgré notre absence de biens aujourd'hui ce contrat doit protéger à l'avenir le survivant lors du décès de l'un de nous, vis-à-vis d'un parent du défunt qui pourrait être trop intéressé…

 D'abord dans l'ancienne maison communale sous l'autorité du bourgmestre, Edmond Mesens, puis à mon église paroissiale Sainte Gertrude en présence de nos deux familles : les parents d'Albert et son jeune frère Victor (son témoin), mon père Pierre Jacmain et ma belle-mère Marie Caroline Roskams ; c'est mon amie ixelloise Marie Sorée qui est mon témoin.

Parmi mes frères et sœurs, seuls Joséphine et Albert (qui vivent auprès de Papa à Bruxelles) sont des nôtres.

Pierre, mon frère aîné, qui est militaire au détachement de garde de la légation belge à Pékin depuis le 1er octobre 1907; Vital qui travaille dans l'hôtellerie et n'a pu prendre congé, et Madeleine (qui a quitté Hoegaarden pour épouser le 25 avril dernier Julien Geets, un peintre en bâtiment, et s'est installée chez lui à Jodoigne, place St Lambert 15 bis) ne se sont pas déplacés.

(Et donc, comme toujours depuis le décès de notre mère, l'un ou l'autre sera absent de toute fête de famille: "Plus jamais tous ensemble" devrait être la devise des Jacmain !)

Je n'oublierai jamais le beau landau que mon père nous a réservé ce jour là: lui qui est cocher, il a en effet prévu la plus belle voiture, conduite par l'un de ses confrères, pour le mariage de sa fille (c'est là mon cadeau de mariage …), quand au curé de la paroisse, l'Abbé Boone, je retiendrai ses belles paroles qui nous a tous émus.

Nous nous nous retrouvons tout les dix après la cérémonie au café situé en dessous de l'appartement de papa, au coin de la rue du Duc, ou, pour la circonstance, une table de fête a été dressée.

Aujourd'hui, j'ai donc deux belles-mères, mais la mère d'Albert sera toujours celle que je préfère !

Notre couple s'installe le soir même chez les parents d'Albert, chaussée d'Haecht,  dans la chambrette qui nous a été aménagée dans la mansarde, mais pas pour longtemps !

La suite de notre histoire va l'expliquer.

Albert et moi, quoiqu'ignorants de la plupart des choses de la vie, nous nous découvrons dans notre premier petit nid d'amour et notre épanouissement affectif ne demandera pas très longtemps à se réaliser.

Cet amour, totalement exclusif et partagé, durera plus de 50 ans, jusqu'à la disparition de mon mari en 1964.

Pour nous, toute séparation, même courte, comme pour ce bref séjour à l'hôpital qu'Albert fera à la fin de sa vie, devenait chaque fois un drame, même après 50 ans de vie commune.

Quelquefois, il faisait une bêtise, comme le jour ou il avait troué sa belle chemise en nettoyant une tache avec un solvant trop puissant, je montrais alors mon mécontentement, mais lorsqu'il venait vers moi en m'appelant "Mamourque" ou "Chouque", impossible de résister à son air penaud : ma mauvaise humeur disparaissait d'un coup et nous tombions dans les bras l'un de l'autre.

Après le week-end de printemps qui a vu notre mariage, pas question de voyage de noces, nous n'en avons pas les moyens, et nos patrons ne nous ont pas donné de jours de congé, ce n'était pas encore l'habitude en ce temps là.

Moi qui n'avait jamais vu la mer et qui en rêvais, il me faudra encore patienter quelques mois et j'allais en avoir de la mer … au-delà de mes attentes, d'ailleurs.

Dés le lundi matin, le travail reprend, moi chez ma patronne rue Gérard, Albert chez son patron ébéniste: un "fabricant d'antiquités" à Schaerbeek.

On y fabrique de beaux meubles de style, comme Albert sait si bien les faire, ensuite on les jette depuis l'étage dans une cour où on les laisse sous les intempéries durant des mois pour les "vieillir" (sic) puis on les restaure.

Jamais il ne sera question de poursuivre cette activité peu honnête, mais cela nous fait cependant vivre aujourd'hui.

Le rêve d'Albert est de créer sa propre entreprise d'ébénisterie et moi j'ouvrirais alors un magasin pour vendre les meubles que ses mains si habiles auraient fabriqués.

Notre rêve se concrétisera, mais bien plus tard !

Aujourd'hui, lorsque je fais à manger à la maison, ce n'est pas pour gagner ma vie, c'est uniquement pour mon cher mari, lequel apprécie à sa juste valeur ma cuisine.

Il a toujours aimé les bonnes choses, principalement les pâtisseries, et si je vais acheter des petits gâteaux, pour lui ce qu'il préfère ce sont des "planchèkes", comme il dit avec son humour bon enfant. (C'est-à-dire des millefeuilles)

Le début de la guerre 1914/1918:

Les 1ers coups de feu :

Le 28 juin 1914, l’Archiduc héritier d’Autriche-Hongrie, François-Ferdinand, qui avait séjourné peu auparavant à La Panne, sur la côte belge, est assassiné à Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine par un étudiant serbe, Gavrilo Princip, membre une organisation secrète panslave terroriste, La Main Noire.


Arrestation de Gavrilo Princip à Sarajevo.

Ces provinces, de langue serbe, récemment conquises par l’Empire austro-hongrois, sont revendiquées par le Royaume voisin de Serbie.

Un mois plus tard, le 28 juillet, l’Autriche déclare la guerre à la Serbie dont elle voit la complicité dans cet attentat nationaliste, ce qui n'est pas exact.


L'Empereur d'Autriche-Hongrie François-Joseph. (Collection Jacqueline Vandenhende)

Le 29, La Russie décide unilatéralement de mobiliser une partie de son armée vis-à-vis de L'Autriche-Hongrie, le 30, elle décrète la mobilisation générale.


Le Tsar Nicolas II de Russie


Le Kaiser Guillaume II

L’Allemagne a désormais un prétexte pour mobiliser et déclarer la guerre à la Russie, alliée de la Serbie.

Nous sommes alors le 1er août et la France mobilise ses troupes.


Le président français Raymond Poincaré.

Elle sera attaquée le 3 août par l’Allemagne qui viole pour cela la neutralité de la Belgique et du Luxembourg afin de contourner ainsi les fortifications de la ligne Belfort-Verdun jugées imprenables.

Le 4 août la Grande-Bretagne déclare à son tour la guerre à l’Allemagne.

La « grande guerre » commence.

Situation de la Belgique :

Depuis son traité d’indépendance, la Belgique est constitutionnellement neutre.

Elle a ainsi évité d’être mêlée à la guerre franco-prussienne de 1879, tout en ayant massé des troupes à ses frontières avec les deux  belligérants.

Le service militaire était limité par tirage au sort avec la possibilité de se faire remplacer par un volontaire à condition de le payer !

Cette situation dura jusqu’en fin 1909, quand le principe d’un fils par famille a été instauré.

Ce n’est que le 28 mai 1913 que le service militaire a été généralisé (sous l’influence des bruits de bottes en Europe), mais un peu tard pour disposer d’un outil performant !

Lors de la mobilisation, le 31 juillet 1914, la Belgique ne disposait que de 220.000 hommes environ plus 18.000 volontaires qui, pleins de patriotisme, ont rejoint l’armée spontanément.

Malheureusement, notre armée était on ne peut plus mal préparée :

1)     L’armement n’était ni moderne, ni suffisant (et comme par hasard, les commandes d'obus auprès des usines Krupp n'étaient plus honorées …)

2)     L’encadrement, c’est à dire les officiers supérieurs, peu compétents (la situation était identique en France) ; seuls les jeunes officiers subalternes étaient bien formés et efficaces.

3)     Les mobilisés étaient mal formés et les officiers de réserve rares (le système qui permettait le remplacement du conscrit conduisait à ce que la plupart des intellectuels plus riches et donc susceptibles de se payer un remplaçant -  ne faisaient donc jamais leur service militaire)

Résumé des opérations :

Le plan de guerre Allemand (dit plan « Schlieffen ») vise à détruire au plus tôt l’armée française avant de se redéployer ensuite vers la Russie, comptant sur la lenteur de la mobilisation russe.

Le chef d'état-major de l'armée allemande, Helmut Johann Ludwig, comte von Moltke, jette 7 armées  (78 divisions) dans la bataille et les 4 armées françaises opposées (moins bien équipées) doivent entamer rapidement leur retraite vers Paris… la bataille des frontières est perdue.


Helmut Johann Ludwig, comte von Moltke

Quant à la Grande Bretagne, qui garantit la neutralité de la Belgique, il ne lui est possible d’envoyer qu’un trop petit corps expéditionnaire sur le flan nord du front.

Le 26 août, le général Joseph Joffre, chef d'état-major général de l'armée française, remanie l’armée qui arrive à bloquer la progression de l’armée allemande à Guise, puis la victoire de la Marne (6 –11 septembre) ébranle les Allemands et redonne confiance aux Français qui refoulent alors les Allemands jusqu’à l’Aisne.


Le général Joseph Joffre.

Le 2 août, les troupes allemandes envahissent notre pays ainsi que son voisin luxembourgeois.

Dès le 4 août débute le siège de Liège, principale place forte sur la ligne Sambre et Meuse censée défendre le pays contre toute agression aussi bien de la part de la France que de l’Allemagne.

L’armée belge se retire après la capitulation des derniers forts de Liège le 16  août vers un premier « réduit national » prévu dans les plans d’état-major, c’est-à-dire Anvers, notre seul port naturel, avec l'aide des alliés britanniques, malheureusement trop peu nombreux sur place.

Mon Albert, mobilisé dès le 1er août comme soldat au 7ème régiment d’Artillerie de la 18ème brigade mixte, rejoint l’armée de campagne afin d'assurer la défense d'Anvers.

Mon frère Vital est également mobilisé comme soldat de 2ème classe au 1er régiment de carabiniers de la 6ème division d'armée dès le 3 août 1914.

Au départ mobilisé à Malines, son régiment, du 6 au 18 août, est chargé de la défense de la région située entre Wavre et Louvain.

Le 12 août les carabiniers emportent la bataille de Haelen, sur la Gette.


La bataille de Haelen.

Les "diables noirs" (comme on les surnomme) se replient après cette victoire vers le sud d'Anvers en longeant le canal de Willebroek.

Abrités par les forts de Mortsel, Vieux-dieu et Borsbeek, ils sortent et attaquent l'ennemi du côté du canal Louvain-Malines et participent à la défense du sud d'Anvers depuis Wilrijk.

Voir ainsi partir mon cher mari à la guerre, moins de trois mois après notre mariage, je ne peux le supporter: dès son départ, je prends la décision (folle, je dois l'admettre aujourd'hui, mais jamais je n'aurai à la regretter) de le suivre partout où il ira … même à la guerre.

Le siège d'Anvers:

Anvers, notre grand port est protégé par une double ceinture de forts.


Carte des forts de la défense d'Anvers.


Un des forts de la ceinture d'Anvers: le fort 4 à Vieux-Dieu.

J'arrive donc à Anvers par le train en ce mois d'août 1914, quelques jours après lui, munie de mes quelques économies, laissant tout en plan à Bruxelles: travail, appartement et le reste. Mais je garde avec moi, tel un porte-bonheur, notre beau livret de mariage, tout neuf, bleu clair, toilé, estampillé "Etterbeek" où figure sur des armoiries dorées sainte Gertrude, un livre ouvert dans une main, l'autre tenant une crosse, avec une chapelle en arrière-plan masquant partiellement un soleil…

Mon père a habité Anvers durant quelques années, lorsque, quittant le château de Vorselaar, la famille est allée vivre à Anvers en mars 1896.

J'y ai donc vécu pendant huit ans avant de partir à Hoegaarden en juillet 1904.

Il m'est donc aisé de m'y retrouver dans cette grande métropole que je connais bien, et d'anciens amis m'hébergent durant cette période troublée.

Têtue comme je sais l'être, je retrouve Albert après mille démarches auprès des autorités militaires, au moins pour le situer et lui faire part de ma présence.

Au moment du siège de la position fortifiée d'Anvers sa 18e brigade mixte se trouve dans le 4e secteur situé entre l'Escaut et le fort de Liezele, au sud-est d'Anvers.

Il n'en revient pas de me revoir dans de telles circonstances: il ne me connait pas encore depuis assez longtemps pour savoir ce dont je suis capable ! Mais quelle joie de pouvoir le serrer tout contre moi lors de cette permission exceptionnelle !

Nous nous jurons de tout faire pour rester près l'un de l'autre en toutes circonstances.

Le port est régulièrement survolée par l'ennemi avec des Zeppelins et des avions de reconnaissance de type "Taube".


Zeppelin


Taube

Certains d'entre eux seront abattus par notre artillerie.

Ici, le temps n'est pas extraordinaire, pluie et tempête même déferlent certaines nuits de cette mi-septembre.

Je plains nos soldats, mais le pire reste à venir pour eux.

Quant à Pierre et les autres militaires du détachement de garde et d'escorte de la Légation de Belgique à Pékin, soit le capitaine commandant Lambert et 26 sous-officiers et soldats, ils se sont portés immédiatement volontaires.

Ils reviennent de Chine, quittent Pékin peu après leur mobilisation début août, et transitent par Hankow (aujourd'hui: Wuhan), au centre du pays, sur le fleuve Yang-Tseu-Kiang.

Vu la neutralité de la Chine vis-à-vis de ce conflit, ils voyagent en civil et désarmés.

En descendant le fleuve, ils rejoignent un bateau dans le port de Shanghai.

Leur mission consiste à prendre place dans le premier bâtiment allié en route vers l'Europe.

Et ils repartent, parcourant presque la même route que pour arriver en Chine, il y a environ 5 ans.

Ils n’arrivent à Anvers, assiégé, par bateau, que deux mois plus tard: le 3 octobre 1914.

Les Pays-Bas, au nom de leur neutralité,  n'autorisent pas les navires de guerre à emprunter l'Escaut, Pierre et les autres soldats belges voyagent toujours en civil.

Pierre y rejoins alors le 2ème régiment des Guides sur le point de commencer sa retraite.

Exode en Angleterre:

Le 31 août, la Reine et les princes accompagnés de leur précepteur, le capitaine-commandant Max de Nève de Roden et de Kate Hammersley, gouvernante de la princesse Marie-José, quittent la ville assiégée pour l'Angleterre à bord du "Jean Breydel" escorté par des navires de guerre anglais.

Arrivés à Folkestone, ils se rendent en train à Londres puis la reine installe ses trois enfants à Basingstoke, ville britannique située dans le Hampshire (Angleterre), entre Londres et Winchester, au château "Hackwood" résidence de Sir George Nathaniel Curzon of Kedleston.

Les trois enfants poursuivent alors leurs études en Angleterre et le 7 septembre, la reine, ayant mis ses enfants à l'abri, rentre à Anvers.

Le port est assiégé du 26 septembre au 8 octobre, la place forte tient jusqu’au début octobre et l'armée est évacuée discrètement du 4 au 8 octobre vers la ligne du canal Gand-Terneuzen.

Vital et les carabiniers passent l'Escaut sur les ponts de bateaux du nord de Boechout (pont de Burght) vers Zelzate et Gand.

Albert et sa 18e brigade mixte toujours stationnée entre l'Escaut et le fort de Liezele, passent l'Escaut et rejoignent sans difficultés l'armée entre Tamise et Saint Nicolas.

Seules les troupes de forteresse (33.000 hommes) restent retranchées dans la ville.

(Elles seront amenées à se réfugier aux Pays-Bas où elles seront internées pour toute la durée de la guerre)

Dans la nuit du 6 au 7 octobre 1914, les premiers obus sont lancés sur la ville et une grande panique s'empare des habitants.

Ils se ruent vers le pont que le génie a jeté sur l'Escaut, envahissent les gares, où la mêlée est effrayante. Pêle-mêle, hommes, femmes et enfants se tassent, se serrent dans des trains de marchandises.

Et, lorsque les trains se mettent en route, il faut en arracher ceux qui s'y cramponnent désespérément et maintenir ceux qui tentent, au risque de leur vie, d'y sauter et de s'y accrocher; d'autres habitants, décidés à rester, se réfugient dans les caves.

Une seule division reste alors encore à Anvers, ainsi que les 10 000 hommes des forces anglaises.

Les obus sifflent toujours et des incendies s'allument dans la ville.

Tard dans la nuit, les dernières troupes anglaises quittent la ville sans encombre.

Ils marchent au milieu de la chaussée, battant les pavés en mesure, calmes et superbes…

Le roi Albert quitte Anvers le 8 octobre pour prendre la tête de son armée.

Brusquement, le 8 octobre, vers 11 heures, le feu cesse. Un long silence s'installe sur la ville.

Lorsque une heure plus tard, l'ennemi rentre dans la place forte, les armées alliées en sont parties, les immenses approvisionnements détruits, les forts aussi et les navires allemands (prises de guerre) sabordés; les habitants ignorent alors superbement l'occupant qui défile dans la ville.

Le 9 octobre, traversant St Nicolas, Zelzate, Eeklo, Bruges, notre armée rejoint Ostende où s’opère la jonction avec les Alliés anglo-français.

La retraite de l'armée belge s'effectue avec succès. Tous ses trains blindés et ses gros canons sont sauvés. A partir de Gand, des renforts anglais sont présents pour couvrir cette retraite.

Je suis moi aussi obligée de quitter la ville assiégée dont je m’enfuis (couverte d'une capote militaire fournie par Albert !) suivant, le plus souvent à pied, le chemin de notre armée en retraite vers la mer avec d’autres civils refugiés transportant dans des conditions effroyables tout ce qu'ils pouvaient les uns jusqu'à Ostende, d'autres vers les Pays-Bas ou la France via La Panne et Dunkerque.

Bon nombre s'enfuirent à pied, en chemin de fer, n'importe comment.

Depuis la limousine confortable et bien close jusqu'à la torpédo de course, des petites, des grandes, couvertes de bâches de fortune, il défile des centaines d'automobiles vers la Manche.

Plus de 9.000 blessés provenant d’Anvers sont évacués sur Ostende où convergèrent aussi les 3 à 4.000 blessés et malades en traitement à Gand, Eeklo et Ypres.

Les hôpitaux du littoral ne sont aménagés que pour environ 2.000 patients ; il faut donc gérer les milliers d'autres patients.

Ceux-ci sont soignés à proximité d’Ostende, mais en 16 heures, du 13 au 14 octobre, tous les malades et blessés en état de voyager sont, soit transportés vers les Iles Britanniques (par bateau) soit recueillis dans les hôpitaux de la côte française, par train et ce dans les conditions les plus pénibles.

Les blessés les plus gravement atteints sont soignés à Dunkerque, ceux qui peuvent supporter le voyage sont dirigés soit sur Calais ou ils sont soignés par le personnel médical de nos hôpitaux, déjà arrivé quelques heures plus tôt par bateau, soit en Angleterre. 

En 1914, la flottille de notre ligne maritime comprend dix navires à marche rapide, dont cinq à aubes, ayant une vitesse de 21 à 22 nœuds, et cinq à turbines, qui, filant plus de 24 nœuds, soit environ 45 km/h, sont les paquebots les plus rapides de la Manche.

L’évacuation d’Ostende commence le 10 octobre et se poursuit pendant cinq jours ; les paquebots effectuent à cette occasion un service extrêmement intense, emportant des milliers de réfugiés, de blessés, de malades, de militaires vers l’Angleterre où le nord de la France. 

Du 19 août au 14 octobre (les Allemands arriveront dans la ville le 15 octobre), nos malle-poste ont ainsi embarqué à Ostende pour Folkestone 48.683 passagers.


Vue du port de Folkestone

Quand j'arrive à Ostende, une foule incroyable de réfugiés se presse devant la gare maritime pour monter dans le premier bateau venu. Ce jour-là, la panique est à son comble.

Le matin, quatre bateaux sont déjà partis pour l'Angleterre; un cinquième doit lever l'ancre à 11 heures. Les halles et les quais sont bondés de voyageurs attendant un bateau; et, sans cesse, d'autres réfugiés affluent.

J'arrive cependant à prendre une de ces dernières malles en direction de l’Angleterre.

Le steamer à peine amarré au quai, la foule s'y précipite. Tout contrôle y est impossible.

Au dernier moment, je finis par monter à bord du bateau, déjà comble, regorgeant de réfugiés.

La capacité de cette malle est nettement dépassée et le confort à bord est extrêmement réduit.

À cet instant ou nos routes se séparent, là ou il est, Albert ne peut jamais deviner quel va être mon itinéraire.

J'ai peur pour lui, c'est un homme fragile et je dois le protéger, donc le retrouver.


La cohue pour obtenir une place pour l'Angleterre

Moi qui n'étais jamais allée à la côte et n'avais jamais même aperçu la mer, me voilà sur un bateau en route vers l'Angleterre, moi qui n'avais jamais quitté mon pays: quelle aventure!

Tard dans la journée, par une mer heureusement calme, nous arrivons en vue des côtes anglaises.

Quelques heures plus tard, nous arrivons dans le port de Folkestone (Douvres est réquisitionné par l'armée anglaise) où nous sommes pris en charge par le "Belgian refugees committee", constitué dès le 29 août vu l'afflux de dizaines de milliers de réfugiés (on estime que 150.000 réfugiés ont ainsi été recueillis en quelques semaines).

Le comité nous assure toute l'assistance dont nous avons besoin, nous répartissant au travers des Iles Britanniques, certains d'entre nous seront conduits jusqu'en Irlande.

Je dois dire que les familles britanniques se montrent très hospitalières vis-à-vis des réfugiés belges.

Cette station balnéaire anglaise est aujourd'hui désertée de ses vacanciers, les réfugiés et les soldats britanniques en partance pour le continent en ont pris la place.

Je resterai en Angleterre, dans un village non loin de la mer jusqu'à la fin de la bataille de l’Yser, de la mi-octobre à la mi-novembre, absolument sans nouvelles de personne: ni de mes frères, ni de mes parents, restés à Bruxelles, ni surtout de mon cher époux.

Je fais alors la connaissance d'une famille belge, les Marchal, accompagnés de leur fille Madeleine, et nous restons ensemble: comme ils parlent un peu l'anglais, cela me facilite mon séjour.

(Contrairement à mon frère Vital qui travaille dans l'hôtellerie, je ne parle pas cette langue)

Toujours à l'affût de la moindre nouvelle en provenance de Belgique, j'attends un signal positif et j'irai retrouver mon Albert, où qu'il soit.

D'ailleurs, des nouvelles on en a: très rapidement: une série de journaux sont imprimés à notre attention à Londres: "l'Indépendance belge" (publiée dès le 21 octobre 1914), "La Métropole",  "La Belgique nouvelle", que nous lisons avec le plus grand intérêt.

(Un journal flamand, "De Stem uit België" parait aussi régulièrement)

Retour en Belgique non occupée :

L'armée échappée d'Anvers, sauvée de l'encerclement de l'ennemi, renonce à défendre Ostende, bat en retraite pour se reformer du côté de la France.


Vers l'Yser

L’Yser est atteint par notre armée de campagne, le 14 octobre.

Ce petit fleuve de 80 km de long environ, prend sa source en France (à Buysscheure), traverse la Flandre Occidentale, passe par Dixmude et Nieuport où il se jette dans la mer du Nord.

L'armée belge s'y fixe avec détermination et la bataille de l’Yser se termine le 10 novembre 1914.

Cette zone (le dernier « Réduit national ») est défendue efficacement en partie grâce aux caractéristiques du terrain (inondable) et à la jonction opérée avec nos alliés français et anglais.

Fin octobre, en ouvrant les digues à marée montante (sur les conseils de l'éclusier Henri Geeraerts), les troupes du génie créent un lac artificiel de près de 25 km² entre les digues de l'Yser et la voie de chemin de fer Nieuport - Dixmude.

L'inondation de la région protège efficacement les lignes alliées et bloque l'avancée des troupes de Guillaume II dont le but principal était d'atteindre les ports français de la Manche: Dunkerque puis Calais.


Inondation sur l'Yser


Inondation sur l'Yser

En les occupants, l'armée allemande aurait pu interdire le débarquement des troupes et du matériel anglais sur le sol français, et prendre les Alliés à revers, ce qui aurait changé le cours de la guerre.

L'inondation ainsi provoquée protège l'armée belge soutenue désormais principalement par les Britanniques.

Après la bataille de l’Yser (octobre 1914) et d’Ypres (du 30 octobre au 15 novembre 1914), le front occidental s’immobilise de l’Yser à la Suisse.

Cette guerre devient une guerre de position, de tranchées, et la sera jusqu’en 1917.

On doit considérer que l’on a affaire à une guerre de siège, mis à part quelques tentatives de percées sans résultat; la ligne de l'Yser restera infranchissable pour l'envahisseur jusqu'à la fin des hostilités.

La situation s'étant stabilisée sur le front, dès la mi-novembre, je prends la décision de quitter l'Angleterre et de rentrer en Belgique non occupée pour y retrouver mon mari.

Certains réfugiés avaient déjà quitté l'Angleterre dès la mi-octobre pour chercher refuge dans le Westhoek  non occupé.

(Au total, plusieurs milliers le feront; les autres resteront sur place jusqu'à la fin de la guerre).

Dès que l'occasion se présente, je reprends la mer pour rejoindre Calais, en France, puis par le train la côte belge.

Dans ce bateau, il n'y a aucune autre femme à bord que Céline Marchal, sa fille Madeleine et moi, les passagers étant surtout des militaires anglais et de nombreux soldats indiens remarquables par leurs beaux turbans.

De nombreuses vigies sur le pont surveillent la présence de mines ou de périscopes de sous-marins; en effet dès le 5 septembre, un sous-marin (U-boot U-21) de la marine allemande a coulé le croiseur anglais, HMS Pathfinder de la Royal Navy, provoquant la perte de 259 hommes; seuls 11 survivants ont pu être repêchés.

La traversée de la Manche n'est plus aujourd'hui une croisière sans risque !

Ma vision de La Panne :

La première station balnéaire belge que l'on rencontre en venant de la France, c'est La Panne.

La station balnéaire de La Panne proche de la frontière française, s'est développée peu après la mise en service de la ligne de chemin de fer Adinkerke Lichtervelde - Dunkerque en février 1870, et a été mise à la mode durant les premières années du 20ème siècle.

On compte en 1914 près de 3000 habitants à La Panne.

Parmi les villégiateurs, figure la famille royale qui, de 1904 à 1910, y passe ses vacances d'été et même, à la fin du printemps 1914, l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie, l'Archiduc François-Ferdinand qui séjourne à la villa "Marie-José".


François-Ferdinand, quittant la villa "Marie-José" lors de son séjour à La Panne en 1914

(Un mois après, le 28 juin 1914, il est assassiné à Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine par un étudiant serbe, Gavrilo Princip, ce qui servira de prétexte au premier conflit mondial)

Comment décrire ce pays, je n'en n'avais jamais vu de pareil au cours de ma jeunesse: ce n'est pas un village avec ses fermes autour de son église et de son château, encore moins une ville. Non, il y a d'abord la mer, grise le plus souvent, avec des vagues d'écume blanche; devant elle une plage énorme de sable beige soumise aux marées deux fois par jour; au-delà une large bande de dunes pâles, en fait des vallonnements de sable couverts d'herbes dures et de plantes inconnues pour moi et puis il y a le vent, pas n'importe lequel, le vent des tempêtes qui chasse le sable partout, même dans les maisons jusqu'à nous empêcher de sortir.


Vue dans les dunes à la Panne.

Parmi ces dunes, des villas de vacances sont disséminées: certains sont des chalets de style anglo-normand, d'autres des maisons néobaroques et néo-flamandes, renaissance, parfois des villas Art Nouveau; les unes perchées sur la dune, d'autres dans un trou de sable selon la fantaisie de la nature, du propriétaire où de l'architecte.

Le long de la plage, la station est protégée des assauts de la mer par une digue; un rideau régulier de demeures s'aligne; vers l'intérieur des terres, une rue commerçante perpendiculaire à la digue divise cette cité des sables en deux parties.

Donnant sur la digue, à l'est de l'agglomération, une grande pension de famille, semble attendre les villégiateurs : l'Hôtel de l'Océan.


L'hôtel de l'Océan à droite de la photographie (à gauche les 5 villas)

Les débuts de l’hôpital de l’océan :

L’armée belge une fois abritée derrière l’Yser, doit s’occuper de ses blessés.

Le "Belgian Field hospital" initialement installé à Anvers vient d'être transféré à Furnes le 11 octobre et Derache ouvre un hôpital de 30 lits à Dunkerque le 25 octobre.

Dans le Westhoek, la seule zone urbanisée de manière moderne: c’est le littoral.

La municipalité dispose heureusement de bâtiments susceptibles d’être transformés en hôpital.

Le général Mélis, âgé de 60 ans, après avoir été attaché à la maison militaire du comte de Flandre (le père d'Albert I), puis du Roi dont il est également le médecin, a été nommé en 1913 Inspecteur général du service de santé de l'armée.

Grand et distingué, il est titulaire de nombreuses décorations belges et étrangères, excellent médecin, il n'a cependant pas évolué et il est plus attaché au règlement militaire et à ses paperasseries bureaucratiques qu'à la réalité de terrain.

Ayant constaté, dès le siège d'Anvers la désorganisation des services de santé de l'armée et après plusieurs entretiens infructueux en octobre avec le général, la Reine Elisabeth fait part au Docteur Depage dès le 20 novembre 1914, par l'intermédiaire de la Vicomtesse de Spoelbergh, de son souhait de fonder un grand hôpital chirurgical à La Panne.

Reprenant à son compte l'avis de l'armée, qui considère que l'hôpital serait trop près du front (12 km), Mélis se heurte à la forte tête du Docteur Depage, qui argumente quant à lui, que la proximité est un facteur qui diminue le délai de prise en charge des blessés, donc leur taux de mortalité.

Depage est un personnage de grand format, dominateur, armé d'une volonté de fer, pas du tout diplomate qui refuse de contourner l'obstacle.

Elisabeth, informée de ce différent entre les deux médecins, exige d'un ton sans réplique que l'hôpital soit installé sine-die.

C’est ainsi que dès décembre 1914, l’hôtel « l’Océan » est transformé en moins de 10 jours en hôpital répondant aux besoins de l’époque et devient l’ambulance de la Croix-Rouge pour le front de l’Yser.


L'hôtel de l'Océan avant la guerre 1914/1918


L'hôpital de l'Océan durant la guerre 1914/1918

L’hôtel, de quatre étages, spacieux mais assez modeste, a été construit pour n'être utilisé qu'à la belle saison: il ne possède ni chauffage, ni ascenseur mais le docteur Depage et son épouse estiment que c’est indispensable, et comme une commande d'un chauffage central pour un château écossais de même grandeur n’avait pu être honorée, ils l'achètent chez Harrods à Londres et il est livré dans les plus brefs délais à l’hôpital.

Un ascenseur pour relier les 4 étages est installé, ainsi qu'un escalier extérieur de secours.

Le chirurgien belge, se rend immédiatement à Londres, il y achète tout le matériel nécessaire pour équiper ses salles d'opération, des installations de stérilisation (autoclave) et de radiographie, un groupe électrogène suffisant (la fourniture locale d'électricité est aléatoire) comprenant deux moteurs à essence (de 15 et de 22 kW) et d'une machine à vapeur (de 26 kW) ainsi que de quoi construire un premier grand pavillon démontable.


Groupe électrogène d'hôpital

L’installation de l'hôpital qui débute le 8 décembre par le déballage des caisses s’achève le 14 sous la supervision du docteur Depage.

Ses nombreux achats londoniens parviennent dès le 11 décembre à La Panne.

Le personnel infirmier, d’abord constitué de volontaires anglaises, envoyées par des associations philanthropiques, se met en place dès le 16 décembre; l'hôpital compte alors 180 lits et les premiers blessés sont accueillis dès le 21 décembre.

Les services techniques de l’hôpital sont gérés par mesdames Lippens, Leclerq et Brockdorff (dont les maris, officiers, sont au front) ainsi que par la femme du docteur Janssens.

Sous la direction du Docteur Depage, dont l'expérience de médecin militaire lors des guerres balkaniques de 1912-1913 a fait la réputation, et avec l'assistance active de la Reine Elisabeth (elle-même travaille régulièrement sur place, non pas comme infirmière, ce qu'elle n'est pas, mais elle participe aux soins des blessés et à leur réconfort moral), les services médicaux et chirurgicaux sont les plus modernes que l’on puisse imaginer pour l’Europe de cette époque ! Il se développe un hôpital modèle et moderne dans l’ancien hôtel qui s’avère rapidement trop petit et qui va s’agrandir de nombreux bâtiments annexes.

Depage a le don de s'entourer des meilleurs spécialistes, que se soit les médecins issus des grandes universités belges, les infirmières, les techniciens de toutes sortes.

Un cabinet de dentisterie permet de soigner les fractures de la mâchoire, un atelier de fabrication et de réparation d'instruments de chirurgie et de prothèses est installé.

Au début de la guerre, l'hôtel est entouré de quatre hectares de terrains non bâtis ce qui permettra, autour du bâtiment originel, de construire une série de pavillons qui vont s’étendre dans tout ce quartier du bord de mer et des rues avoisinantes, que certains ont baptisé "Depageville" !

C'est en effet une réelle "ville" auto-suffisante, disposant de ses magasins de ravitaillement: stockage de denrées non périssables en grande quantité, boucherie, boulangeries, …

Les marchandises périssables sont achetées en partie aux Halles de Paris et transportées rapidement à La Panne.

Les deux fermes de la Croix-Rouge situées à 5 km de La Panne, dans les Moëres, exploitent 50 ha de terres cultivées et 40 de pâturages.

Elles nous assurent la fourniture régulière en produits laitiers - lait et beurre (elle compte 80 à 100 vaches laitières), pommes de terre, viande de porc (environ 50 porcs), œufs et volaille (la basse-cour compte 600 poules et canards).

1200 lits sont prévus au départ, mais à la fin de la guerre, on en dénombre plus de 3000!

19375 blessés au total seront soignés pendant la guerre à l'ambulance.

Le recrutement du personnel médical se poursuit et comme le docteur ne veut que les meilleurs, il provoque régulièrement la grogne des médecins militaires de carrière laissés pour compte.

Son équipe dirigeante est constituée des docteurs Georges Debaisieux, Carl Janssen, Joseph Van de Velde (ce dernier qui avait accompagné le docteur Depage lors de sa mission dans les Balkans), Auguste Van Geertruyen (à la fois médecin et ingénieur) ainsi que du major britannique Charles Gordon, officier de liaison du Roi Georges V.

Quant aux infirmières, le nombre des Belges s'avère vite insuffisant et Depage fait très vite appel à des étrangères, anglaises, canadiennes ou danoises.

Plus tard, des infirmières belges formées en Grande-Bretagne viendront compléter les effectifs.

 

L’ambulance de l’Océan se transforme aussi en centre scientifique où de nombreux médecins et scientifiques gèrent des laboratoires et poursuivent des recherches pour soulager les nombreux blessés et malades du front.

Cette ambulance restera à la pointe de la médecine tout au long de la guerre en innovant constamment dans les domaines aussi divers que la bactériologie ou la radiologie, et développera la technique de la transfusion sanguine.

Déjà durant son installation, le 24 novembre 1914, et ensuite, le 31 janvier 1915, un mois et demie après sa mise en service, nos souverains viennent visiter l'hôpital.

Le Docteur Depage :

Mais qui est donc ce fameux docteur ?

Il naît à Boitsfort le 28 novembre 1862 dans la maison familiale située en bordure de la forêt de Soignes, rue de Middelbourg.

Ses parents sont d’honnêtes fermiers qui vivent aussi du commerce de leur production horticole. Le père, Frédéric sera bourgmestre de la commune.

Ses études seront laborieuses: indiscipliné, il sera renvoyé de l’Athénée de Tournai ou il était interne.

Après avoir finalement achevé ses études secondaires, il pense d’abord reprendre du travail dans l’entreprise familiale mais, conseillé par ses voisins, également amis de ses parents, les Solvay, il entreprend, un peu par hasard (il hésite entre le droit et la médecine), des études de médecine à l’Université libre de Bruxelles.

Ses premières années de médecine ne seront pas d’ailleurs spécialement brillantes, il faudra attendre sa rencontre avec le professeur Thiriar, auquel il sera attaché comme externe au service de chirurgie, pour déclencher son enthousiasme pour ce métier.

Diplômé de l’ULB en 1887 avec la plus grande distinction, il rédige un premier mémoire consacré à la lithiase biliaire, qui lui vaudra le prix de la Société royale des sciences médicales et naturelles, ce qui pousse le professeur Paul Héger à le prendre comme élève afin de lui apporter la formation scientifique qui lui manquait grandement.

En 1888 il sera assistant au service des autopsies à l’hôpital saint Pierre à Bruxelles, il passe alors divers stages à l’étranger (à Leipzig, Vienne puis à Prague).

Dans cette dernière ville, il élabore sa thèse soutenue en 1890 à la Faculté de médecine de Bruxelles et consacrée à la tuberculose osseuse.

Il est alors titulaire du titre d’agrégé et nommé assistant au service de chirurgie du professeur Thiriar et devient son suppléant pour le cours d’anatomie.

C’est auprès des Héger, en 1890, qu’il rencontre une de leurs jeunes nièces, Marie Picard, née en 1873 et âgée de 17 ans, qui deviendra en 1893 son épouse.

Celle-ci s'affairait au chevet de son grand-père, Constantin Héger, âgé de plus de 80 ans, soigné par Antoine, jeune médecin de belle réputation et réputé pour son franc-parler.

Les Héger, tout comme les Picard (Emile Picard, le père de Marie, est Ingénieur; son oncle: Edmond, juriste et professeur d'université), sont des notables libéraux qui comptent parmi les fondateurs de l'Université de Bruxelles.

Antoine et Marie Depage auront quatre fils :

L'ainé Pierre - futur médecin, le second, victime d'une méningite, qui restera handicapé et décédera jeune ; Lucien, qui travaillera plus tard au Congo et Henri, le cadet (victime de poliomyélite), juriste, il écrira la biographie de son père.

En 1895, il devient chef de service à l'Hospice de l’infirmerie de la ville de Bruxelles puis sera, quatre ans plus tard, transféré à l’hôpital Saint-Jean.

Rapidement, il devient un membre important de la loge maçonnique de Bruxelles.

Initié dès 1891 auprès de la loge les "Vrais amis de l'Union et du Progrès réunis", il passe aux "Amis Philanthropes" avant de compter, en 1911, parmi les fondateurs des "Amis Philanthropes n°3".

Dès 1907, conscient de l’insuffisance et du nombre d’infirmières dans notre pays, il œuvre en faveur de la création de la première école d’infirmières : l’« Ecole Belge d’Infirmières diplômées laïques » établie rue de la Culture à Ixelles, dont il confie la direction à une anglaise : Miss Edith Cavell, dont il avait pu apprécier les qualités techniques et professionnelles; l’administration des finances est confiée à Madame Depage.

Mais n’oublions pas que nous sommes en Belgique !

Jusqu’à ce moment, le rôle d’infirmière était joué par des religieuses (de bonne volonté mais non diplômées), comme l’Université libre de Bruxelles avait ainsi créé une école d’infirmières laïques, la réaction a été rapide : quatre mois plus tard, l’école Sainte-Camille dont le programme des cours est identique ouvre ses portes.

Il fonde ensuite l’Institut Chirurgical, place Brugmann, à Ixelles, mais cet établissement connaîtra vite des difficultés financières et sera repris plus tard, après la guerre 14-18, par la Croix-Rouge de Belgique présidée à ce moment par le docteur.

Il consacre son énergie à la gestion des hôpitaux et hospices bruxellois et dès 1908, il sera élu conseiller communal libéral de Bruxelles.

En 1910, avec quelques amis, il crée le premier mouvement des "Boy-scouts de Belgique" inspiré de l'œuvre de Baden-Powell, il en préside le Comité exécutif et son épouse traduit les ouvrages du fondateur tout en assurant les relations publiques.

Dans un premier temps, le clergé catholique va susciter une vive opposition à cette association (laïque), avant de créer la sienne propre à caractère confessionnel !

En 1912, il succède à Thiriar comme professeur de clinique chirurgicale et est également en charge du cours de pathologie externe à Saint-Pierre (où ses étudiants l'ont surnommé familièrement : "Toone" - diminutif bruxellois d'"Antoine").

Il part à ce moment dans les Balkans à la tête de l’équipe chirurgicale de la Croix-Rouge de Belgique pour porter secours aux belligérants pendant la guerre Turco-Bulgare (entre novembre 1912 et janvier 1913), ce que l’on pourrait appeler son baptême du feu…

La première guerre balkanique oppose du 8 octobre 1912 au mois de mai 1913 les États de la Ligue balkanique (Bulgarie, Grèce, Monténégro et Serbie) à l'Empire ottoman, et se conclut par la défaite de ce dernier qui perd l'essentiel de ses dernières possessions européennes (Macédoine et Thrace) au Traité de Londres.

Son équipe médicale sur place comprend les docteurs F. Neuman, Le Boulengé, De Nève et Joseph Van de Velde (à ce moment élève de 3ème doctorat).

Son épouse est à ses côtés à l'ambulance de l'armée turque à Constantinople, comme infirmière et son fils Pierre comme ambulancier.

Quatre ambulances belges avaient été envoyées dans la région par la Croix-Rouge de Belgique, à l’initiative du docteur : une en Turquie, une autre en Bulgarie et deux en Serbie.

Son rôle administratif, entre 1890 et 1913 est considérable : il fonde la Société belge de Chirurgie, puis la Société Internationale de Chirurgie, dont il assume le secrétariat général et dont il sera l’organisateur des trois premiers congrès (1905,1908 et 1911) puis un quatrième à New York en avril 1914 dont il assuma la présidence.

Son exposé d'introduction, basé sur leur expérience récente, a pour sujet (prémonitoire): "Les enseignements de la chirurgie de guerre".

Deux points y sont soulignés: la rapidité d'intervention médicale et l'hygiène.

Comme Marie pratique l'anglais depuis son plus jeune âge, elle collabore activement avec Antoine (qui ne le parle pas) à la réussite de cette organisation.

Les Depage se créent ainsi un réseau de relations scientifiques international qui se révèlera bien utile plus tard.

Il fonde la revue de littérature chirurgicale internationale ; « l’Année chirurgicale »

L’Académie Royale de médecine, de son côté, le nomme membre correspondant en 1907.

Mais il reste actif au sein de son hôpital et continue à s’intéresser aux problèmes scientifiques et de la chirurgie dont il perfectionne certaines techniques et invente constamment de nouveaux instruments.

Antoine Depage avait été admis dès 1907 dans le cercle des amis du couple princier, dont les idées politiques et sociales étaient proches.

Il est devenu le chirurgien de la famille royale, tentant le 14 décembre 1909, sous la supervision du professeur Thiriar, de sauver le roi Léopold II en l'opérant d'une grave affection intestinale qui lui sera fatale trois jours plus tard.

Plus récemment, en février 1914, il réduit une fracture de l'avant-bras d'Albert I er due à une chute de cheval.

Depage est non seulement un grand chirurgien et un savant éclairé, mais surtout un homme de terrain, un organisateur et un gestionnaire, c'est aujourd'hui l'homme de la situation.

Dès le début de la guerre, il est nommé responsable d'un des premiers hôpitaux : l'aile principale du Palais Royal, aménagé à partir du 4 août qui accueille ses premiers blessés le 16.

Après avoir confié cet hôpital au docteur Le Bœuf, Depage, répondant à une demande du roi, quitte clandestinement Bruxelles le 28 octobre 1914, traverse les Pays-Bas, passe en Angleterre et débarque une semaine plus tard à Calais pour se rendre auprès de lui.

Il est alors militarisé et promu médecin principal de 2ème classe (l'équivalent d'un lieutenant-colonel).

Son épouse et son second fils Lucien le rejoignent quelques jours plus tard, l'ainé, Pierre, est déjà à Furnes, le cadet, Henri (âgé de 14 ans) est confié à leurs voisins et amis : Mr. et Mme. Edmond Solvay et restera provisoirement à Bruxelles.

Il y fonde le 15 novembre un premier hôpital à l'Institut "Jeanne d'Arc" à Calais - rue Champailler, puis le 4 décembre, un hôpital de 50 lits dans une autre école, rue Archimède dans la même ville.

Ce second établissement est affecté spécialement aux victimes de la fièvre typhoïde jusqu'à la fin de l'épidémie en avril 1915.

Il y retrouve Joseph Van de Velde, qu'il avait connu en 1913 dans les ambulances des Balkans et l'associe à son équipe médicale.

En ces temps de guerre, on craignait le typhus, la dysenterie, la pneumonie, la tuberculose, la gangrène, les maladies vénériennes et la « fièvre des tranchées ».

Cette dernière se propageait par les poux qui, sautant d'un corps à l'autre pour se nourrir de sang, infectaient les soldats.

Le 15 novembre, il recrée la Croix-Rouge de Belgique en zone occupée dont le siège social est établi provisoirement à Calais, 156, rue Masséna.

Un arrêté royal daté du 30 novembre 1914, institue le "Comité de la Croix-Rouge de Belgique derrière l'Armée", composé des docteurs Mélis et Depage et de la comtesse Jeanne de Mérode en tant que trésorière.

Mon installation à La Panne :

Arrivé après un voyage mouvementé de plusieurs jours dans cette station balnéaire devenue, par la présence de la famille royale, l'un des centres politique et décisionnel de notre pays.

Là, je ne suis plus qu'à quelques kilomètres de mon Albert que je veux retrouver à tout prix, je décide de m'y fixer tant qu'il sera sur l'Yser.


Les villas royales à La Panne durant la guerre 1914-1918: de gauche à droite: - la villa "Maskens" résidence royale. - la villa "Terschueren", utilisée lors de visites et d'audiences officielles, également résidence des enfants royaux lors de leurs séjours en revenant d'Angleterre. - la villa "Calmeyn" qui abrite l'administration et la garde. (Collection Jacqueline Vandenhende)

Comme mes économies sont quasiment épuisées depuis mon départ de Bruxelles cet été, il me faut trouver rapidement le gîte et le couvert, c'est-à-dire un travail.

Je me rends alors directement à ce fameux hôpital de l’Océan, nouvellement installé par le docteur Depage et la reine Elisabeth, dont j'ai lu dans les journaux la mise en œuvre.

Après y avoir rencontré plusieurs personnes, je suis introduite auprès du docteur Depage, la cinquantaine, grand, barbu, parlant plutôt bruxellois que français, sévère, bourru, qui, débordé de travail, me renvoie directement, agacé, sans ménagement à son adjoint, un homme heureusement aimable et souriant, le docteur Van de Velde.

Celui-ci m'écoute attentivement puis me conduit auprès de l'épouse du docteur Depage.

Marie Picard est une belle dame d'une quarantaine d'années, distinguée, douce et patiente.

Infirmière en chef à l'ambulance, elle avait joué un rôle primordial dans la création à Bruxelles de la première école d'infirmières en Belgique.

Comme elle souhaite disposer de suffisamment de personnel domestique dans la villa "Sans-Soucis" qui leur a été attribuée au bord de la mer à l'extrémité est de la station, celle-ci me reçoit avec bienveillance.

En effet, comme elle compte bien consacrer tout son temps soit aux blessés de l'hôpital, soit à la collecte de fonds pour son bon fonctionnement, elle doit se décharger impérativement des tâches ménagères.

Je me présente et lui décris ma situation, elle me demande gentiment:

"Madame Janssens, peut être puis-je vous appeler Julia ?" J'acquiesce.

"Julia, quelles sont vos compétences dans la tenue d'une maison ? "

Moi qui travaille dès l'âge de 14 ans dans diverses familles nobles et bourgeoises, qui connais même les travaux domestiques des femmes de la ferme, je lui réponds avec ma franchise habituelle:

"Malgré mon jeune âge, Madame, j'ai déjà l'expérience de tous les travaux ménagers que vous pouvez souhaiter".

Et je lui décris mes différentes activités déjà exercées et les grandes lignes de mon expédition jusqu'ici.

Séduite par mon aplomb, elle me confie sans plus attendre la direction de sa cuisine personnelle.

Elle me précise enfin que : "Chez nous, il n'y a pas lieu de préparer une cuisine distincte pour le personnel; ça a toujours été ainsi dans nos deux familles".

Quoique prenant nos repas à l'office, nous mangeons donc la même nourriture que nos patrons.

Voilà un comportement humain très rare vis-à-vis des domestiques, même chez les plus chrétiens d'entre eux.

Immédiatement, elle me conduit à la villa (elle se trouve à deux pas) qu'ils occupent et m'installe dans mes nouvelles fonctions.

Je suis très fière du rôle qui m'a été attribué dans cette demeure: le poste de cuisinière est l'un des plus importants parmi ceux des gens de maison et je me montrerai toujours à la hauteur de la confiance qui m'a été faite.

Le soir même, je leur ai préparé leur premier souper et je fais vraiment la connaissance avec le docteur que je n'ai jusqu'à présent qu'entrevu…

Il est très intéressé par mon expédition et mes motivations et m'interroge longuement sur une multitude de sujets.

On dirait qu'il me soumet à une sorte d'examen et j'ai vite compris qu'il fallait lui répondre de manière concise et claire.

Ce n'est cependant pas un mince travail que je me vois confié ce jour là: bien sûr la famille Depage ne compte qu'elle et le docteur (Leurs enfants n'y logent pas: Pierre, le futur médecin et Lucien sont déjà au front avec l'armée belge, le cadet, Henri, est resté à Bruxelles et ne retrouvera son père qu'en 1915; il sera lui aussi engagé dès l'âge de 15 ans, malgré son infirmité des jambes) mais la vie sociale et culturelle de cette villa est, malgré les circonstances et la proximité du front, riche et intense, digne de celle des bourgeois les plus aisés de Bruxelles ou d'Anvers: les réceptions et les dîners sont donc fréquents.

Le travail est donc énorme certains jours dans la cuisine de la villa "Sans-soucis" et Irma Castille (qui n'était pas encore mariée en 1914) m'est adjointe comme "fille de cuisine".

Son rôle consiste à prendre en charge tous les petits travaux comme l'épluchage des légumes, la vaisselle, l'approvisionnement en combustible de la cuisinière à charbon, etc.

En ce qui concerne l'entretien, une femme de ménage, Philomène, originaire du village, vient chaque jour en semaine nettoyer la maison; la lessive est prise en charge par la buanderie de l'hôpital.

La villa "Sans-Soucis":


La villa "Sans-Soucis" est la 1 ère à partir de la gauche. (Collection Jacqueline Vandenhende)


On distingue les cinq villas à droite de l'hôtel

La villa "Sans-soucis" est la dernière maison sur la digue avant les dunes qui séparent La Panne de Saint Idesbald.

Elle est accolée à une série d'autres maisons de plaisance occupées par des membres éminents du personnel de l'hôpital.

(Une vingtaine de villas entourant l'hôpital sont réquisitionnées pour y loger le personnel: elles ont comme noms: Eole, Louisette, Les Libellules, Schamrok, La Cloche, …)

Plus petite que ses voisines, d'un style éclectique mais d'agencement moderne, précédée d'une cour, on y accède, comme la plupart des maisons de la station, par un bel escalier d'une demi-douzaine de marches en pierre bleue naturelle.

L'entrée principale qui mène directement au "bel étage" est protégée par une verrière et constitue une sorte de balcon.

Souvent, le docteur s'y laisse photographier avec ses hôtes lors de leur visite.


Visite d'Alexis Carrel (au centre [marqué d'une x], à côté du docteur appuyé contre le perron) à la villa, entouré des médecins de l'ambulance

Le rez-de-chaussée, surélevé vis-à-vis de la digue, comprend le salon qui donne sur la mer et la salle à manger vers l'arrière.

Quoiqu'on y accède par une porte en façade, située sous le balcon, ma cuisine est en sous-sol mais au niveau du jardin; un passe-plat entre la cuisine et la salle à manger nous facilite le travail au moment des repas.

Au premier étage se trouvent les chambres des Depage et plus haut, sous les combles, ma chambrette et celle d'Irma.

Quand on y entend, lorsque la tempête se lève, le vent qui hurle sous le toit ou la pluie qui s'abat sur les tuiles, il faut du temps avant de pouvoir s'endormir certaines nuits.

Il y a un feu ouvert dans le salon et un foyer dans ma cuisine, mais les chambres ne sont pas chauffées: cette villa n'a jamais été utilisée à la mauvaise saison.

À l'arrière de la villa, se trouve un petit jardin sans plantations (presque une cour), clôturé de murs avec une balançoire, ce qui me laisse penser que les propriétaires devaient avoir de jeunes enfants.


C'est le personnel qui utilise la balançoire du jardin ! De gauche à droite: Julia, Irma et Philomène. (Collection Paul Falkenback)

On a une vue superbe depuis la façade: la mer devant nous, les dunes à l'est et à l'ouest; on distingue aisément la ville de Dunkerque à quelques kilomètres d'ici, en France.

(Les habitants d'ici disent que "si l'on voit bien Dunkerque, c'est signe de mauvais temps pour le lendemain", mais faut-il les croire ?)

Dans ce superbe lieu de villégiature, on aurait tendance à oublier la proximité du front s'il n'y avait pas ce bruit de fond des canonnades qui nous parvient régulièrement, même de nuit !

La villa est heureusement bien équipée en matériel de cuisine et en vaisselle de toute sorte, il n'est pas nécessaire d'acheter grand-chose pour commencer à y travailler correctement.  

Le docteur, malgré un premier abord difficile: expéditif et abrupt, il est en réalité un homme droit et bon, travailleur infatigable, il est extrêmement exigeant vis-à-vis des autres autant que vis-à-vis de lui-même.

Capable de terribles colères, il est avant tout un grand organisateur et un grand patron et s'il émet une critique, elle est certainement justifiée.

Considéré comme officier, il a même le grade de lieutenant-colonel, il ne supporte ni le port de l'uniforme (il s'est inventé une tenue "pseudo-militaire"), ni l'autorité arbitraire, ce qui donne lieu à pas mal de coups de gueule avec son supérieur, l'Inspecteur Général du Service de Santé, le général Léopold Mélis.

Personnellement, je n'ai jamais eu à me plaindre de travailler pour lui. 

L'entretien de l'hôpital est assuré par la Croix-Rouge et les généreux donataires, qu'ils soient anglais (100.000 £ sont mis à la disposition de la Croix-Rouge de Belgique dès la fin décembre 1914 par les "Anglo-Belgian Committee" et "Belgian Field Ambulance Service Committee") ou américains (Mme Depage doit s'y rendre fin janvier 1915 pour y collecter des fonds).

Il est géré dans les meilleures conditions possibles, tant du point de vue de l'équipement hospitalier que des approvisionnements en nourriture de toutes sortes.

N'oublions pas que leur cuisine est amenée à préparer chaque jour des repas pour 1500 personnes.

Comme il dispose de son propre réseau d'approvisionnement, nous allons nous fournir à son économat chaque jour en pain (ce qui nous dispense d'en cuire nous-mêmes chaque jour), viande, produits laitiers, fruits et légumes de saison.

Le charbon destiné au fonctionnement de ma cuisinière et au chauffage du bâtiment est fourni régulièrement directement dans la cave de la villa.

C'est l'économe de l'océan qui nous règle nos gages à intervalles réguliers.

Je dispose d'un budget que je gère au mieux pour tous les achats domestiques hors économat, les Depage me faisant entière confiance à cet égard.

À La Panne, nous disposons en effet, contrairement à la situation désastreuse de la Belgique occupée, de toute la nourriture souhaitable et ce n'est jamais un problème de compléter l'approvisionnement de ma cuisine.

Nos alliés français et britanniques nous fournissent diverses marchandises et comme l'arrière pays est essentiellement agricole, cela nous permet de disposer de tout ce dont on pourrait désirer.

Quant aux paysans de la région, ils n'hésitent pas à profiter de la situation pour s'enrichir à nos dépens et à ceux de nos soldats désireux de compléter leur ordinaire.

 

Quelques braconniers viennent nous vendre des lapins capturés dans les dunes, des pêcheurs improvisés attrapent du poisson et certains soldats permissionnaires ou convalescents y récoltent même des agarics, champignons blancs dits "de Paris" ce qui nous permet la confection de magnifiques omelettes savoureuses.

Le braconnage est évidement interdit, et nous ne précisons pas l'origine de ces achats, encore que le docteur soit bien connu pour ne pas être un fanatique du règlement.

On ne trouve pas ici de "Blanche" comme à Hoegaarden dans ma jeunesse, mais les brasseurs de Flandre nous proposent des alternatives très convenables pour ma recette de lapin à la bière très appréciée par mes patrons.

Quant aux caves de l'hôtel, elles contiennent encore de belles bouteilles que nous utilisons sagement. 

 Parmi les nombreux visiteurs, les Depage reçoivent régulièrement la reine Elisabeth, seule ou le plus souvent accompagnée de célébrités politiques, scientifiques ou artistiques.

La reine Elisabeth, âgée de 38 ans, est d'une santé très fragile et demande qu'on lui prépare des repas diététiques spéciaux, toujours sans sucre, ce dont elle me remercie personnellement à plusieurs reprises.

(J'ai toujours pensé qu'elle souffrait du diabète, mais je n'en ai jamais eu la certitude.)

Le roi, quant à lui, qui se consacre aux visites officielles, à son gouvernement exilé à Sainte Adresse à côté du Havre et avant tout à son armée, ne viens que rarement à la villa.

Il me faut citer une anecdote à son sujet:

Un jour qu'il dîne à la villa, il laisse tomber un couvert.

Deux de ses gardes, qui se précipitent pour le ramasser, se heurtent violement tous les deux à la tête ! Et se font traiter d'idiots par le roi…

Qu'est-ce que l'on a pu en rire en cuisine.

Retrouvailles :

Sur place, avec l'aide de mes nouvelles relations, je recherche et retrouve rapidement mon Albert, qui a commencé la guerre dans les tranchées avec le 7ème régiment d’Artillerie.

Encore une fois, je l'étonne, car nul ne savait où j'avais bien pu passer en cet automne 1914 !

Ah, ce jour de nos retrouvailles, tout ce que l'on a pu se raconter: lui, son calvaire vers l'Yser, la vie dans la boue des tranchées, la vermine (rats, cafards, poux), la nourriture médiocre, les sous-officiers bornés, le danger permanent, les blessés, les malades, la peur et la mort qui rodent autour de chacun, et enfin les compagnons, seule source d'humanité dans cette sale guerre … Il en pleurait, car cet homme si doux, ce merveilleux artisan, n'a jamais été fait pour être soldat ni en temps de paix, ni surtout en temps de guerre.


Albert et moi dans la cour de la villa "Sans-Soucis". (Collection Paul Falkenback)


Albert et moi dans la cour de la villa "Sans-Soucis". (Collection Paul Falkenback)

Moi, je lui raconte ma vie dans le havre de paix que constitue cette dernière enclave libre de Belgique, et lui de se régaler des restants de notre cuisine que je lui réserve.

Je l'ai retrouvé tellement amaigri, que rien n'est trop bon pour lui, même s'il trouve que c'est une "cuisine de luxe" que je lui sers. 

Le docteur et son épouse font alors sa connaissance et sont heureux de notre bonheur retrouvé.

Lors de chacune de ses trop rares permissions à nos yeux, il me retrouve à la villa dans la chambre qui m'a été attribuée sous les combles et seuls, rien que nous deux, on oublie tous les malheurs de cette sale guerre se réchauffant par les froides nuits d'arrière-saison, enlacés l'un contre l'autre jusqu'au matin.

Evidemment, c'est chaque fois pour nous un nouveau déchirement quand on se quitte, lui pour retourner au front (avec tous les risques que cela signifie), moi qui poursuit mon travail.

Il repart toujours avec un colis contenant les choses qui lui manquent et quelques friandises que je lui ai préparées (c'est un grand amateur de sucreries).

Quant à mes frères Pierre et Vital, que j'ai pu contacter par la poste militaire, ils sont au front mais toujours en bonne santé.

Comme La Panne constitue une zone de récréation pour les soldats permissionnaires (ils ont droit à 24 h de permission et sont logés dans des villas inoccupées), certains jours ils me préviennent de leur arrivée et on se retrouve ensemble quelques heures.

Mes deux frères ont toujours été bien différents l'un de l'autre: Pierre est un excellent soldat, déjà nommé brigadier à Pékin, il est hautement apprécié de sa hiérarchie (il finirait bien militaire de carrière celui-là !)

En ce qui concerne Vital, qui n'a jamais pu supporter aucune autorité, il a bien du mal à accepter sa vie de militaire…

Et aujourd'hui, ils connaissent et apprécient leur beau frère qu'ils ont enfin pu rencontrer.

Par je ne sais quel heureux hasard, un beau matin, je tombe nez-à-nez sur la digue avec Paul Van Ongeval, en permission avec quelques autres soldats.

Cela faisait des années que je ne l'avais plus vu et je le déçois quelque peu en lui annonçant que j'étais désormais mariée; il ne me l'avait jamais avoué mais il aurait bien voulu de moi comme épouse !

Il me fait part de sa position sur le front: il a le bonheur de continuer à faire son ancien métier de chauffeur de maître, il est devenu brigadier-chauffeur, il conduit désormais des officiers du

QG de la 2ème division d'armée le long du front. Mais c'est là un poste très dangereux, mais que faire, c'est la guerre !

Ma vie à la villa :

Heureusement mon travail en cuisine me permet de penser à autre chose: je développe mes recettes qui seront toujours apprécies dans les diners de famille: lapin aux pruneaux, anguilles au vert, rosbif au four - pommes purées gratinées, poule au blanc, …

Le docteur et son épouse montrent toujours leur satisfaction vis-à-vis de ma cuisine et de notre service lors de leurs nombreuses réceptions.

(Mes tartes aux fruits et mon quatre-quarts ont toujours le même succès).

Un jour, le docteur reçoit un homard vivant, ce que je n'avais pas encore cuisiné.

Je suis obligée de le cuire dans une grande casserole d'eau bouillante et de tenir le couvercle bien fermé car l'animal ne voulait pas se laisser cuire !

A la fin de l'année, nous avons pu acheter une superbe dinde que nous avons plumée.

Là, c'est plus facile pour moi, la volaille je sais comment la préparer.

Ma recette est simple, on la cuit au four, farcie de viande hachée et on la présente avec de la compote d'abricot (on dispose en toute saison d'abricots secs), de la salade, de la purée de marrons et des pommes de terre en purée.

Le docteur (diplômé de l'Université libre de Bruxelles) et son épouse sont des libres penseurs, amis de longue date des Solvay, et ne sont naturellement pas des chrétiens comme la plupart des gens que je connais, mais ce sont néanmoins de grands humanistes.

Je suis catholique mais pas bigote, et je respecte leurs idées.

Certaines de ses soirées sont particulières: ces réunions entre hommes sont tellement secrètes que son épouse n'y participe pas, nous même sommes obligées de disparaitre avant l'arrivée des visiteurs après avoir installé le buffet froid et les boissons.

Je ne comprendrai que plus tard que le docteur, faisant partie de la franc-maçonnerie, reçoit ces jours là certains de ses frères présents dans la région.

Le personnel de l'ambulance est d'une compagnie agréable, tellement d'ailleurs que ma collaboratrice y rencontre en la personne du photographe Antoine Castille, son futur mari.

(Je n'en finirai jamais de torturer son nom de famille: "Castiel" reste mon préféré !)

Mr. Castille est le photographe attaché à l'hôpital pour le service des clichés médicaux, il s'agit là d'un métier bien particulier, faut avoir le cœur bien accroché pour faire ce travail.

Mais c'est là un homme de bonne compagnie et je suis heureuse de voir le bonheur de mon aidante.

De plus, c'est à lui que nous devons les quelques clichés pris à la côte durant ces années.

Les habitants de la région sont d'habiles commerçants, heureusement qu'ils parlent le français avec moi, parce que leur flamand nous est bien peu compréhensible !

Dans la Zeelaan, rue commerçante perpendiculaire à la mer, on trouve tout ce que l'on souhaite.

Nous nous approvisionnons soit "Au grand magasin", soit "Au grand Bazard de La Panne", soit chez "Delhaize Frères - le Lion" ou j'achète de la laine pour tricoter des pull-overs, des écharpes et des chaussettes pour mes trois soldats.

Depuis peu, une étrange couleur leur est imposée, le kaki, un vert un peu gris, qui a le mérite de mieux les camoufler que leurs premiers uniformes (bien plus jolis cependant !).

Je n'aime pas de savoir mon homme si près du danger, bien sûr il est artilleur, ce corps d'armée n'est pas en première ligne, mais il est une cible toute désignée pour l'ennemi en face et la présence de nombreuses munitions n'est pas sans risque.

Mon but premier est désormais de tout faire pour l'éloigner du front et si possible de le rapprocher de moi.

J'ai souvent pensé à ces ateliers de fabrication de membres artificiels, annexes de l'hôpital ou il pourrait utiliser ses compétences d'ébéniste et j'en ai parlé à mon patron, mais il n'y a pas de place vacante aujourd'hui et il faudra encore patienter, mais je finirai par trouver.

Ce climat côtier est plus rude qu'à l'intérieur des terres: nous avons une forte tempête le 15 décembre, un temps peu nuageux mais doux le 20, quelques gelées vers la Noël.

Lors de la violente tempête des 28 et 29 décembre, personne n'a pu fermer l'œil de la nuit: la girouette d'une des villas voisines n'a pas arrêté de grincer !

Comme le docteur ne l'a pas supporté: le lendemain matin, il y a déjà deux ouvriers sur ce toit qui la démontent !

C'est vraiment un homme qui réagit en toutes circonstances avec la plus grande efficacité.

Le sable avait volé sur la digue de telle manière qu'il était devenu impossible d'ouvrir la porte située sous le balcon, les ouvriers en ont retirés des kilos !

Jamais je n'avais vécu un tel ouragan de ma vie: les nuages noirs se déplaçaient à grande vitesse dans le ciel, et comme le vent venait droit de la mer, celle-ci était très forte et l'air était salé par les embruns.

Ceux-ci ont recouvert les vitres de la villa d'une saumure opaque que Philomène a eue bien du mal à rincer ce matin.

La station ici est vraiment cosmopolite: comme sous sommes dans un secteur sous commandement français, on y côtoie non seulement des soldats belges et français mais aussi ceux de leurs colonies: arabes et noirs principalement: spahis, goumiers dont les démonstrations à cheval sur la plage sont féeriques, Sénégalais aux yeux noirs,…

 Leur cruauté est cependant telle qu'on raconte à l'hôpital qu'il faut les isoler des rares soldats allemands prisonniers blessés au risque de les retrouver égorgés.

C'est principalement à Koksijde, dans la station balnéaire voisine, dont les habitants ont été évacués dans le nord de la France, que ces africains sont cantonnés. 

Les algériens y campent dans les dunes, ce qui doit leur rappeler leur Sahara !

Fonctionnement des ambulances :

Selon Depage, un blessé doit recevoir le plus vite possible les meilleurs soins.

La chirurgie précoce est pour lui un impératif absolu.

Sur le front, les blessés sont d'abord ramassés par des brancardiers qui sont chargés de les panser sommairement et de les conduire vers le poste de secours à l'aide de brancards (soit à bras, soit à roues - ceux-ci pouvant être éventuellement à traction canine).

Au poste de secours, le blessé est examiné par un médecin, qui juge de son état et l'envoie (si nécessaire) à l'aide d'une voiture régimentaire hippomobile à l'ambulance de 1ère ligne.

De là il est évacué par ambulance automobile vers un des hôpitaux de Hoogstade, Vinckem, Beveren, La Panne (Hôtel l'Océan) ou Adinkerke (Hôtel Cabour).

Le "poste chirurgical avancé" de Sint-Jansmolen (entre Oostkerke et Lampernisse) qui dépend de l'Océan se trouve à un carrefour de route et de voie d'eau, ce qui permet le transport rapide soit par route soit par voie d'eau (plus lent, mais plus confortable pour de grands blessés).


Albert et moi dans la cour de la villa "Sans-Soucis". (Collection Paul Falkenback)


Albert et moi dans la cour de la villa "Sans-Soucis". (Collection Paul Falkenback)

Ce poste se compose de quatre camions-ambulances, disposés en carré, à l'intérieur une tente.

Une cinquième voiture fait office de salle d'opération.

14 lits sont disponibles pour accueillir des blessés atteints de blessures au ventre,  d'hémorragies externes ou en état de choc, qui sont acheminés aussi rapidement que possible à La Panne.

On considère, qu'en moyenne, il ne faut que 3 à 4 heures, entre le moment où un soldat est blessé et celui où il est admis à l'Océan.


Sint-Jansmolen

Ce poste chirurgical mobile (dénommé aussi: "Autochirs"), don de Vanden Plas à la Reine et dépendant de l'Océan, fut d'abord installé temporairement devant la villa "Botier" le 4 juin 1915.

Un "Poste chirurgical avancé" (PCA) est parfaitement en vue de l'ennemi, uniquement protégé par le symbole de la Croix-Rouge, visible aussi du ciel.

D'ailleurs, leurs positions ont été signalées aux allemands, qui en ont été informés par l'intermédiaire de la Croix-Rouge de Genève.

Celui-ci a fonctionné sans incidents pendant 12 mois, de juillet 1916 jusqu'en juillet 1917.

Deux autres PCA ont été mis en place l'un à Abeelen-hof, l'autre à Grognies fin juillet 1916.

1915 :

Hiver à la côte

Ce début d'année est variable, d'un temps infect - lundi 18 janvier: pluie, grêle, neige, vent - on passe à de splendides journées ensoleillées le samedi suivant, avec quelques gelées cependant.

Cet hivers n'est pas le plus froid (peu de températures négatives sont enregistrées), ni le plus enneigé de ces dernières années mais le temps reste humide.

Sur la mer de nombreux vaisseaux de guerre, des Zeppelins et des aéroplanes survolent la région.

Des mines se retrouvent sur la plage et sont détruites à grand fracas par des spécialistes.

Et toujours le canon au loin, mais des bombes tombent aussi sur La Panne… on s'habitue !

Voyage fatal

Le 27 janvier 1915, Marie Depage, s'embarque pour les Etats-Unis: elle va y entreprendre une tournée de conférences et récolter des fonds pour l'hôpital.

Les Depage ont noués de nombreuses relations aux Etats-Unis lors des congrès de la Société Internationale de Chirurgie, avant guerre et Marie, parfaite anglophone, est la mieux placée pour réussir cette mission.

Pendant trois mois, elle se rend dans plusieurs villes américaines - Washington, Pittsburg, San Francisco, New York - pour expliquer au peuple américain la détresse de la Belgique envahie par l'ennemi, la situation de l'hôpital.

Elle contribue à la mise en place de "comités belgo-américain de la Croix-Rouge" qui continueront à collecter les dons.

Ce voyage est un succès triomphal, elle écrit régulièrement et nous donne le niveau atteint par les dons: en trois mois elle a récolté près de 100.000 $ !

Elle s'apprête alors à revenir en Europe; fin avril elle est inscrite sur le "Lapland", qui doit quitter New York fin avril, mais comme elle diffère son départ pour une dernière conférence, elle embarque le 1er mai sur le "Lusitania", un autre paquebot transatlantique britannique armé par la Cunard, à destination de Liverpool, pour la somme de 142.50 $.

On lui attribue la cabine E-61 et elle se retrouve à table avec trois américains: Theodate Pope, un architecte américain, Edwin Friend, membre éminent de l'American Society for Psychical Research et le Dr. James Houghton, lequel lui signe d'ailleurs une promesse d'aide financière pour l'ambulance de la Croix-Rouge.

Ce dernier paquebot, plus rapide que le Lapland, doit en outre lui permettre d'arriver à destination le jour prévu !

Le docteur Depage et ses enfants sont partis en Angleterre pour aller la chercher au débarcadère. (Lucien est revenu à La Panne en avril, pendant les vacances de Pâques)


Le Paquebot "Lusitania"

Mais au large des côtes anglaises, près des côtes Irlandaises, le 7 mai vers 13h40, la veille de son arrivée au port, le navire est torpillé par l'U-20, un sous-marin allemand.

Son commandant, le lieutenant de vaisseau Schwieger avait pour mission de torpiller tout navire rencontré dans la zone de guerre.


Un sous-marin U-boot allemand.

Les sous-marins allemands, les "U-Boots", tentent en effet d'imposer un blocus maritime complet au Royaume-Uni et à la France.

Toujours courageuse et aidée par le Dr. Houghton, Marie s'emploie à panser les blessés, à réconforter les naufragés démoralisés mais refuse de prendre place dans une des chaloupes.

Bien qu'elle ne sache pas nager, elle et Houghton se jettent à l'eau quelques minutes avant que le bateau ne coule.

Les compagnons d'infortune sont rapidement séparés et alors que le docteur tente de la rejoindre et juste avant d'arriver à sa portée, elle coule et se noie.

On retrouvera son corps sur la côte irlandaise, quelques jours plus tard près de Queenstown.

L'enquête révélera qu'elle fut empêtrée dans des cordages avant de mourir noyée.

Plus de mille personnes (1.198 exactement, dont 128 américains, sur 1.959 passagers inscrits) trouvent la mort dans ce naufrage.

Les Allemands se justifient en prétendant que le navire transportait des armes, ce que les Britanniques nient farouchement.

(Note de l'Auteur: en 1972, des archives montrent que les Allemands disaient vrai : le Lusitania convoyait effectivement des munitions en contrebande et était armé de 12 canons.)

Ce torpillage d'un bateau civil marque l'opinion publique américaine auparavant hostile à la guerre, qui évolue désormais peu à peu favorablement vers un engagement dans la guerre au côté des Alliés.

A la suite aux menaces des Etats-Unis, la marine allemande est obligée de suspendre sa guerre sous-marine.

Antoine Depage est à Londres chez des amis, les Bladgen, quand il apprend la terrible nouvelle.

Il se rend à Queenstown sur la côte sud de l'Irlande (depuis 1922, la ville a repris son nom celtique de Cobh) afin de reconnaitre le corps de son épouse et la raccompagne à La Panne.

La dépouille de Marie est ramenée à l’hôpital de l’Océan et enterrée le 14 mai provisoirement au sommet d’une dune, face à la mer, que l'on aperçoit depuis la villa …

(Personnellement, je préfère voir les morts au cimetière plutôt que devant ma fenêtre …)

Il a fallu au préalable que l'aumônier de l'hôpital, l'abbé Quagebeur, ait à subir la colère du docteur à cause de la présence de symboles religieux sur les tentures de la chambre mortuaire ! Un sacré mangeur de curés, ce docteur !

La cérémonie civile se déroule sobrement, sous un ciel menaçant, mais en l'absence de la reine Elisabeth retenue en Angleterre jusqu'au 19 mai.

Le corbillard, orné du drapeau belge et suivit par 74 infirmières, disparaît sous les gerbes et les couronnes, dont celle, majestueuse, d'Albert et Elisabeth.

Pendant ce temps nous nous affairons dans la villa pour recevoir dignement les invités de la famille et leur servir une collation après la cérémonie.

Marie Depage restera pour moi une patronne distinguée et pleine de bonté qui n'a pas hésité à me faire confiance en cet automne 1914, quand je me suis présentée chez elle et ce dont je lui resterai toujours reconnaissante.

C'est elle qui m'aura permit de vivre ces années de guerre ici, à La Panne, non loin de mon grand chéri.

Après la mort de sa femme, le docteur sombra dans la dépression.

Ce torpillage du paquebot Lusitania signifie en effet pour le docteur la perte de sa chère épouse, ce deuil cruel ne parviendra malgré tout pas à  l'empêcher de poursuivre son travail à l'hôpital.

La Reine, avec discrétion, décide de venir chaque matin travailler trois heures sous sa direction, comme Marie le faisait habituellement.

Elle vient, d'autre part, chaque semaine déposer un petit bouquet devant la tombe avant de s'y recueillir, debout entre les oyats dans le vent du large.

Elle redonne ainsi le goût au travail au chirurgien, qui poursuit son œuvre avec acharnement.

La reine Elisabeth est désormais chez elle à « L'Océan ». Dans cette ambulance elle se dévoue aux blessés. Elle arrive le matin, vers neuf heures, conduite en Minerva 1913 par son chauffeur et, jusqu'à midi, elle procède à des pansements, avec une grande délicatesse et un extrême souci d'hygiène.

Vêtue d'un simple tablier, elle ne se considère pas comme infirmière et n'en porte pas la coiffe.

S'intéressant à tout, soignant toutes les plaies, essayant de soulager toutes les souffrances, trouvant le mot qui calme et le geste qui console, elle apparaît à « L'Océan » comme une figure d'une grande noblesse.

Désormais deux des trois fils du docteur sont aux tranchées; le troisième, Henri, est resté à Bruxelles, sous l'occupant.

La reine contacte la Croix-Rouge américaine et obtient qu'Henri puisse rejoindre son père.

Il arrive chez nous en automobile le 20 juin, étant passé par Londres, puis par Calais.

Henri, qui n'a pas terminé sa scolarité, décide, plutôt que de rejoindre un collège en Suisse comme le propose son père, de rester à la côte comme apprenti à l'atelier de fabrication d'instruments de chirurgie.

Désormais, ce jeune homme âgé de 15 ans vit avec son père à la villa et y apporte un peu de jeunesse.

Les gaz :

Le front occidental étant figé, l'état-major ennemi tente d'utiliser de nouvelles armes comme les lance-flammes et les armes chimiques pour déloger nos soldats.

En Allemagne, la firme Bayer a mis au point un dérivé bromé, le bromure de xylyl (connu sous le nom de "T-Stoff" ou de "Tear gas"), un puissant irritant oculaire, dont l'odeur caractéristique rappelle celle d'un mélange d’essence d’amandes amères et de formol.

Des obus " T " de 150 mm chargés avec ce produit sont employés pour la première fois le 31 janvier 1915 par les Allemands, malheureusement dans la zone où Albert se bat : il y sera gazé dès février 1915.


Attaque avec des gaz

La puissance lacrymogène du bromure de xylyl est énorme pour un seuil de concentration assez bas; peu volatil, le produit s'évapore lentement, ses vapeurs sont denses et s'accumulent au fond des tranchées, mais la toxicité de ce produit est très faible, surtout en cas de basses températures.

Or en ce 1er février, il fait nuageux et la température se situe entre 0 et 5°C, les conditions sont donc mal choisies par les adversaires et les victimes ne sont que peu intoxiquées.

 D'autres gaz de combat, bien plus toxiques utilisés par les allemands ultérieurement sur le champ de bataille de l'Yser (Chlore, Ypérite, …) ont provoqué des lésions irréversibles, voire létales sur les militaires exposés.

Mais comme l'armée allemande n’utilise pas au mieux l’avantage que cette technologie infernale leur offre pour modifier sa position sur le terrain, l'emploi de ces gaz de combat n'influence pas le cours de la guerre.

En outre, les alliés équipent rapidement leurs soldats de masques à gaz.


Troupes britanniques sur le front, munies de leurs masques à gaz.

Du 2 au 19 février 1915 mon époux est soigné à l’infirmerie de sa division, et reçoit à cette occasion la célèbre « Croix de feu ».

Son état de santé n'est pas alarmant et il rejoint son poste dès sa sortie de l'infirmerie deux semaines plus tard. Nous avons quand même eu très peur, ces nouvelles armes sont vraiment effrayantes et Albert restera toujours sensible des voies respiratoires.

L'ambulance accueille au printemps de nombreux soldats intoxiqués par ces gaz.

Le front occidental en 1915

Pendant l'année 1915, toutes les tentatives de part et d'autre pour rompre le front échouent au prix de pertes sanglantes, en particulier les offensives françaises en Artois et en Champagne.

La guerre de siège est largement installée sur un front qui n'a presque pas changé depuis l'automne 1914.  

Développements de l'ambulance :

Au printemps 1915, la capacité de l'hôpital est portée à 1200 lits, une cinquantaine de pavillons ont été construits sur les terrains de dunes voisins de l'Hôtel.

Ceux-ci sont baptisés en hommage aux principaux souscripteurs: British, Everyman (une association d'Edimbourg), Albert et Elisabeth (avec ses salles: Léopold, Charles-Théodore et Marie-José).

Quarante voitures-ambulances sont à la disposition de l'Océan et sa cuisine est susceptible de fournir des repas pour 1.500 personnes.

La chapelle catholique (pouvant abriter jusqu'à 500 fidèles) est bénie le 29 août 1915, sa décoration intérieure est magnifique: de nombreuses œuvres d'art sauvées des églises du nord du front y ont été rassemblées.

La chapelle protestante, de style anglo-normand, a été édifiée grâce aux dons d'une lady anglaise qui a souhaité rester anonyme.

Deux Prix Nobel :

 À l'hôpital,  la chirurgie a fait de grands progrès durant la guerre: le célèbre docteur Alexis Carrel, prix Nobel de médecine y développe sa méthode d'irrigation des plaies.

Avec le chimiste anglais Henry Drysdale Dakin, il développe la méthode de Carrel-Dakin de traitement des brûlures qui, avant le développement des antibiotiques, sauve la vie de nombreux blessés de guerre.

C'est une solution neutre d'hypochlorite de sodium (à 0,45 % ou 0,5 %) et d'acide borique (à 4 %) qui outre son potentiel antiseptique, permet une séparation efficace des cellules mortes.

(Carrel a obtenu le prix Nobel de physiologie et de médecine en 1912 grâce à ses travaux sur la chirurgie thoracique et sur la culture de tissus)

Un autre prix Nobel prestigieux, Marie Sklodowska-Curie, interrompt ses recherches scientifiques pour le temps de la guerre et vient spécialement dans les hôpitaux du front pour y installer des équipements de radiographie moderne.

(Marie a reçu en 1903 le prix Nobel de physique - avec son mari Pierre Curie et Henri Becquerel - et en 1911 le prix Nobel de chimie pour ses travaux sur le polonium et le radium.)

Les rayons de Röntgen ou rayons X peuvent, en dehors du diagnostic des fractures et leur réduction, localiser les projectiles: éclats d'obus et balles, et faciliter les opérations chirurgicales.

C'est une technique qui trouve tout à fait sa place dans les interventions d'urgence.

Une autre application importante dans la zone des combats est le dépistage de la tuberculose.

Il faut donc, pense Marie Curie, mettre cette technique à la disposition des chirurgiens militaires.

Elle n'avait jusqu'alors jamais travaillé sur les rayons X, mais sa connaissance théorique lui permet de se former rapidement à la technique de la radiographie médicale.

Marie Curie qui est mobilisée, aux côtés d'Antoine Béclère (père de la radiologie française et directeur du service radiologique des armées), participe à la conception d’unités chirurgicales mobiles constituées de "voitures radiologiques" dont le but est d'éviter le transport des blessés.

Celles-ci, au nombre de dix-huit, sont surnommées les « petites Curie », et sont envoyées sur les champs de bataille, où Marie se rend régulièrement afin de réaliser elle-même des radiographies. (Souvent, elle prend elle-même le volant !)

L'installation de l'équipement dure généralement moins d'une heure et, soit on prend des clichés, soit on opère directement sous les rayons.

Radioscopie et radiographie sont complémentaires surtout lorsqu'il s'agit de localiser des balles ou des éclats d'obus.

La première d'entre-elles circule dès la fin du mois d'août 1914 et Marie procède à des examens radiographiques à Furnes en décembre 1914, puis à Hoogstade en août et septembre 1915 où elle est secondée par sa fille Irène (âgée de 17 ans).

(Cette dernière, partagera avec son mari, Frédéric Joliot-Curie, en 1935 le prix Nobel de chimie pour leurs travaux sur la  radioactivité artificielle)

Les Curie séjournent à La Panne, du 18 au 22 août 1915, à l'hôpital de l'Océan, ou elles visitent le service de radiographie du docteur Henrard et à Hoogstade pour y convoyer une voiture.

Elles y sont reçues par le docteur Depage et par la famille royale.

Irène reste à Hoogstade durant l'automne 1915 pour y former le personnel.

Les autres Hôpitaux :

Les deux hôpitaux de la Croix-Rouge à Calais doivent déménager pour permettre la réaffectation des bâtiments en écoles.

Celui de la rue Archimède déménage le 15 septembre 1915 et s'installe rue de la Prairies avec ses 50 lits, le second, le "Jeanne d'Arc", fondé par Antoine Depage en 1914 est remplacé par celui de Virval (150 lits) en octobre.

L'hôpital de Bourbourg :

A la fin d'avril 1915, les Allemands bombardent Dunquerke avec des canons à longue portée. On ferme les ambulances de la ville et on les remplace par l'hôpital de Bourbourg ouvert le 18 mai 1915. L'hôpital accessible par la route de Gravelines est situé le long de la gare de Bourbourg. Il comporte 500 lits et fonctionne jusqu'en mai 1919.

L'hôpital de Cabour :

Les premiers mois de guerre avaient prouvé les insuffisances du Service de Santé et l'Inspecteur Général Mélis veut créer un hôpital chirurgical entièrement militaire.

Fin avril 1915, autour d'un pavillon de chasse situé à Adinkerke dans un bois de trembles appartenant à Monsieur Cabour de Dunkerque, on édifie en trois semaines, 22 pavillons en bois démontables d'une capacité de 24 lits chacune pour établir l'hôpital chirurgical de l'armée confiée au médecin de régiment Paul Derache, recommandé par le Professeur Depage.

(Derache avait fait de brillantes études à l'Université Libre de Bruxelles avant de choisir la carrière militaire, ce qui explique leur bonne entente)

Ce médecin dirigeait depuis le 25 octobre 1914 l'hôpital Fort Saint-Louis à Dunkerque.

La cellule opératoire est installée dans le pavillon de chasse en dur.

La capacité totale est de cinq cents lits et on y opère 3.324 blessés en deux ans.

Derache s'entoure de 12 médecins, 3 pharmaciens, environ soixante soignantes et une poignée de soldats inaptes au service en campagne.

La désignation de Derache à ce poste s'avère excellente malgré le fait qu'elle fut décidée à l'encontre de toutes les règles et traditions de la hiérarchie militaire ! 

Paul Derache se montre en effet pendant toute la guerre non seulement un chirurgien extrêmement compétent mais aussi un chef efficace aimé de ses subalternes et des blessés.

Le service de radiologie particulièrement bien équipé, comprend une installation fixe, un laboratoire (chambre noire), une pièce où se trouvent les appareils générateurs de haute tension, une salle d'opération réservée pour la recherche et l'extraction des projectiles sous contrôle RX et l'hôpital dispose aussi de sa voiture radiologique mobile.

Sans autre prétention que d'y pratiquer de la bonne chirurgie, les médecins y firent cependant d'excellentes observations.

L'hôpital chirurgical de Cabourg fonctionne jusqu'au 12 mars 1917, date à laquelle il devient un hôpital général dirigé par le docteur Nolf et destiné essentiellement aux malades et non plus aux blessés.

La mise en place d'un hôpital militaire, comme celui de Cabour, qui est aussi proche du front que l'ambulance de l'Océan est une victoire pour les idées défendues par Depage depuis avant la guerre !

Vie à la villa :

La vie reprend son cours normal à la villa "Sans soucis" après le deuil qui nous a tous frappés.

Pour ma part, je considère que le plus grand défaut du docteur est son absence d'horaire !

Impossible de savoir à quelle heure il va rentrer pour les repas, et depuis qu'il est veuf, c'est encore pire: son travail l'occupe tout le temps et il perd la notion du temps.

Le printemps est superbe à la côte, les fleurs éclosent un peu partout, de magnifiques iris par exemple dont nous faisons de beaux bouquets pour décorer la salle à manger; les oiseaux chantent dans les dunes: ce pays est magnifique à la belle saison.

Les 4 et 5 avril, Albert et moi fêtons nos 25 ans et, en mai, notre premier anniversaire de mariage !

En mai et en juin, les températures deviennent carrément estivales, on atteint et dépasse même les 20° C, le climat est vraiment agréable.

Les réceptions se succèdent et la reine vient prendre le thé chez nous avec des officiers sanitaires américains et canadiens le 29 mai et deux jours plus tard, le 31, la célèbre soprano française Claire Croiza, en tournée auprès des troupes, vient chanter à la villa accompagnée par les frères Eugène et Théo Ysaye, en présence de la reine et du docteur Alexis Carrel.

Nous restons hors du salon pendant le concert, mais nous ne perdons rien de la musique.

Son interprétation magistrale de "J'ai perdu mon Eurydice" de Gluck restera à jamais gravée dans ma mémoire et si plus tard, je fréquenterai assidument la Monnaie à Bruxelles, c'est peut-être grâce à elle.

Claire est une amie des Depage, Parisienne, née d'un père américain (son nom est "Conelly" ou "O'Connolly", je ne sais plus, mais je suis bien connue pour massacrer le nom de famille des gens !) et d'une mère italienne, elle commence sa carrière à l'opéra de Nancy en 1905 avant de chanter de 1906 à 1910 à l'opéra de la Monnaie.

Cette contralto (ou mezzo-soprano) est l'une des meilleures interprètes des musiciens français contemporains.

Le 6 juin, vers 9h du soir, nous sommes alertés par l'hôpital: un incendie s'est déclaré dans le pavillon "Albert & Elisabeth" !

En deux heures, il est complètement détruit, mais tout le matériel a été mis à l'abri immédiatement par le personnel de l'ambulance et nous ne déplorons aucune victime.

Heureusement, notre mécène, le grand magasin Harrods de Londres, qui avait financé ce pavillon, le fera reconstruire à ses frais (estimé cependant à 5.500 £) sans délai.

Les nouveaux pavillons seront opérationnels le 20 septembre.

Cet été nous préparons de délicieuses confitures ou gelées qui seront appréciées tout au long de l'année au petit déjeuner: groseilles, cassis, rhubarbe, prunes, pommes … fruits que nous achetons aux commerçants du village.

Comme il n'y a pas de marmite assez grande dans notre cuisine pour cette préparation, je me rends à la cuisine de l'ambulance qui m'en prête une (petite pour eux) pour la journée.

On met en bocaux aussi différents fruits pour l'hiver.

En cet été 1915, il fait très beau à la côte, je me sens comme en vacances, peut-être devrais je dire que je passe ici mes premières vacances ?

Le roi Albert, grand sportif, vient régulièrement nager en mer, quoique de drôle de bêtes appelées méduses provoquent de l'urticaire et doivent être évitées par les baigneurs.

(Peut-être est-ce là encore une nouvelle invention des Allemands ?)

Pour des raisons d'hygiène, on a fait creuser des piscines à l'arrière du front, entre autre à la place de la salle de cinéma de La Panne dans le but de désinfecter les soldats "dévorés" per la vermine et la gale !

Dés février 1915, l'armée a organisé les premiers bains de mer pour les soldats au repos.

Nous les observons de loin, c'est assez drôle: 300 hommes à la fois sont conduits au bain de mer;, après 10 minutes, le clairon sonne: ils doivent sortir de l'eau, se sécher, se rhabiller puis rentrer dans leurs casernements.

Les soldats se succèdent ainsi tout au long de la journée de 7h à 13h, puis de 15h à 18h.

Comme nombre d'infirmières ont considéré qu'elles aussi devraient avoir l'occasion de se baigner, certains jours il est prévu que les dames puissent également prendre des bains de mer (vêtues d'un maillot strict et décent).

Je profite de l'occasion et sous la protection de quelques soldats, nous prenons notre premier bain de mer le 2 juillet. 

Du 2 au 8 août, le poète Emile Verhaeren est en visite à La Panne.

Nous fêtons en juillet les fêtes nationales belges puis françaises, ensuite le 15 août; à ces occasions, le service social de l'hôpital organise des concerts auxquels nous sommes conviés.

De violents orages viennent malheureusement perturber la fin de la soirée du 15 août. 

Beaucoup d'effroi, en ce 17 août: six bombes larguées d'un avion qui semblaient viser l'hôpital sont tombées, dont l'une à quelques mètres de la villa, mais on s'habitue à tout, même la peur ne se manifeste plus !

De toute façon, l'après-midi, nous sommes au théâtre, on joue, avec un grand succès, "Le Mariage de Mademoiselle Beulemans", un classique bruxellois, dans les locaux de l'Hôpital.

Cet été, j'ai reçu un chaton que j'ai appelé "Scandale" et qui s'entend avec le chien de la maison.

Il est plutôt facétieux et un jour "Le Patron" (comme on l'appelle à l'hôpital) est arrivé en vociférant:

"Nom de Bleu, Julia, venez vite chercher votre "Scandale" qui fait du raffut dans mon laboratoire" !

Dans un cas pareil, on laisse tout tomber pour éviter la colère du patron et j'ai rapidement récupéré l'animal.

Le 17 septembre, nous assistons à une incroyable bataille navale juste en face de nous.

Sur la plage: des baigneurs, plus loin des pêcheurs, au fond la flotte, quel tableau singulier !

Quand des "Taube" viennent en reconnaissance, la plage se vide, ne restent que les photographes de presse américains, particulièrement intrépides.

Cette station balnéaire juste à côté de l'enfer de l'Yser est en effet perpétuellement visitée par une faune cosmopolite de journalistes, d'observateurs et, sans aucun doute (difficile de les identifier) d'espions de tous bords.

Ce n'est qu'à partir du 25 septembre que les températures baissent sensiblement et que la belle saison s'achève.

J'ai de bonnes nouvelles de Vital: mon second frère est depuis la fin août en "subsistance", comme interprète, auprès de l'armée canadienne.

Je suis contente pour lui, il est ainsi sans doute moins exposé et il utilise au mieux ses compétences: dans l'hôtellerie, il a été obligé de se perfectionner en langues et il parle déjà couramment l'anglais.

En octobre, cependant, il réintègre les 1ers carabiniers.

Edith Cavell :

Le 5 août dernier, Miss Cavell est brutalement mise en état d'arrestation à Bruxelles.

Elle dirige une des premières ambulances de Bruxelles, installée par la Croix-Rouge au début de la guerre à l'Institut Berkendael, et y prodigue des soins aux blessés de guerre, qu'ils soient belges, anglais, français ou allemands.

On lui reproche d'avoir facilité à des centaines de soldats anglais, français et belges, le passage de la frontière hollandaise, pour retourner ensuite au combat, ce qu'elle ne nie pas: elle a juste rempli son devoir de fille de la vieille Angleterre.

Elle est incarcérée par les allemands à la prison militaire de Saint-Gilles à Bruxelles et mise au secret. On conduit toute son instruction sans lui permettre de se faire assister d'un avocat, ni de recevoir la visite d'un représentant de la légation américaine (laquelle est mandatée pour défendre les intérêts britanniques pendant cette guerre) qui en avait fait la demande.

La cour martiale siège deux jours, les 7 et 8 octobre, pour juger miss Cavell et 34 autres prisonniers, elle n'est défendue que par un avocat commis d'office.

Malgré les démarches répétées des diplomates neutres en poste en Belgique, le 11 octobre, jugeant à huis clos, elle condamne Edith à mort, et à l'aube du lendemain elle est fusillée au lieu-dit "Tir National". Elle avait 50 ans.

(Note de l'auteur: de nombreux hôpitaux- comme à Uccle et à Peterborough - et des écoles d'infirmières - à Bedfort, à Vancouver- portent aujourd'hui son nom. En 1916, un pic des Montagnes rocheuses canadiennes a été baptisé: "Mount Edith Cavell" en sa mémoire).

Le docteur est atterré par cette lamentable nouvelle, eux qui ont travaillés ensembles à l'école d'infirmière dès 1907.

1916 :

La guerre :

L'année 1916 est celle des grandes offensives de Verdun et de la Somme, en France où des masses de «poilus» sont engagées après d'intenses préparations d'artillerie.

Ces grandes offensives se soldent par des centaines de milliers de morts sans donner de résultats stratégiques.

En Flandre, cependant, le front ne subit pas de modification notable.

Temps d'hiver :

Cet hiver 1915-1916 n'est pas non plus très rigoureux: ciel gris, nuages, pluies, un peu de neige, mais presque pas de températures négatives, le 29 février, une tornade fait des dégâts dans la région.

Toujours les bombardements sur la station, des Taubes et des Zeppelins qui nous survolent, des tirs de shrapnells, des mines, des blessés et des morts.

Au printemps, plusieurs avions sont abattus sur la plage et en mer.

Pour le dimanche des rameaux, le 16 avril, on découvre un obus sur la plage juste en face de chez nous…

Docteur Depage :

Lorsque le docteur reçoit la croix de guerre le 9 mai 1916, la citation suivante est rédigée:

"Chirurgien et organisateur de tout premier ordre, a, depuis le début de la campagne, rendu des services éminents à l'armée et au pays.

Depuis 16 mois dirige avec autorité et une science reconnue, une ambulance de grande chirurgie militaire.

Fut grièvement blessé au cours d'une opération pratiquée sur un blessé de guerre."

La philosophie du docteur quant au fonctionnement d'un hôpital de campagne se résume à cinq grands principes : la spécialisation, la responsabilité, la médecine de groupe, les services accessoires et l'autarcie.

C'est à ce prix qu'il parvient à enregistrer le taux de mortalité le plus bas qui soit parmi les grands hôpitaux du front (5 %).

Il l'explicite comme suit :

1°) l'ambulance doit être vaste

2°) les services doivent être affectés à un type de traumatisme et dirigés par des responsables

3°) le moins de paperasserie possible

4°) les responsabilités doivent être bien établies

5°) la propreté doit être absolue

6°) la rapidité des soins est primordiale

7°) les soins doivent être impeccables

8°) le personnel doit respirer la bonne humeur

9°) les blessés doivent être confiés à des médecins compétents

10°) leur confort doit être suffisant

11°) l'ambulance est un centre d'études des méthodes de traitement

12°) elle doit se suffire à elle-même, son autarcie est complète.

 

L'hôpital prend de l'ampleur, 1500 lits ! Il est doté des tout derniers perfectionnements et son personnel parfaitement à la hauteur, il fonctionne selon le mode des hôpitaux anglais, c'est-à-dire avec une extrême rigueur.

Il y a 15 services spécialisés qui conservent leur même personnel, et tous les jours Depage organise une réunion commune avec les responsables de ces différents services.

D'hôpital de campagne, il prend progressivement des allures d'hôpital de l'arrière, par le développement d'ateliers (prothèse, matériel chirurgical), de services divers (rééducation, bain), et de laboratoire.

On compte 200 infirmières de nombreuses nationalités et 25 médecins.

Des conférences hebdomadaires sont organisées, des missions médicales étrangères sont accueillies et des savants de toute nationalité (françaises, italiennes, …) viennent régulièrement étudier les techniques utilisées.

Les conflits avec l'armée ne s'apaiseront jamais: celle-ci doit par exemple fournir à la Croix-Rouge l'essence nécessaire au fonctionnement des ambulances.

Comme elle exige de la part de Depage de remplir un tas de formulaires invraisemblables, lui, qui déteste toute paperasserie, refuse, il a autre chose à faire !

Le conflit s'envenime et dégénère au point que l'armée menace de supprimer toute fourniture d'essence à l'Océan.

Depage rugit et menace de fermer l'hôpital.

Albert I doit une fois de plus intervenir et faire taire les stupides rond-de-cuir de l'armée.

Le problème c'est que l'hôpital est théoriquement géré par la Croix-Rouge de Belgique, mais en réalité celui-ci est autonome et est géré par le docteur Depage avec l'aide de la solidarité internationale (principalement américaine).

Il ne dépend pas de l'armée, mais doit cependant collaborer avec elle.

Vouée au traitement des blessés, l'ambulance se consacre aussi à l'étude et à l'enseignement des progrès enregistrés en matière de chirurgie de guerre, médecine et hygiène.

Bien plus qu'un centre hospitalier, l'Océan devient, sous la direction d'Antoine Depage, un véritable pôle de recherche médicale.

Et le 18 décembre, Depage est nommé Médecin principal de 1ère classe de réserve pour la durée de la guerre.

À l'aviation :

Je maintiens mon acharnement à sortir mon homme de ce guêpier et je continue à chercher une issue honorable pour le maintenir en vie.

Je dois cependant attendre jusqu'à cette année 1916 pour enfin arriver à mes fins.

Au début de l'année, je fais la connaissance d'un de nos héros de l'aviation: Jan Olieslagers, invité par le docteur à la villa avec les frères Medaets.


Jan Olieslagers

Jan Olieslagers et son frère Max, également aviateur, se sont mis au service de l'armée belge dès août 1914.

Deux aérodromes sont installés dans la région: le premier à Koksijde, le second à Houtem, au sud de Furnes, à la frontière française.

Surprenant leur conversation, j'arrive à le prendre à part et il m'informe des besoins de l'atelier aéronautique situé dans le nord de la France.

François-Jérôme Bollekens (1842-1905) exploitait un atelier de menuiserie (spécialisé principalement dans la fabrication des volets mécaniques) à Anvers depuis 1858.

En 1877, il s'installe rue du Pélican, 96 dans de nouveaux ateliers qui atteindront, à leur apogée, une superficie de 3.000 m², une entreprise utilisant 150 menuisiers-charpentiers.

Peu avant son décès, ses trois fils (Eugène, Isidore et François), reprennent ses affaires.

En automne 1909, le baron Pierre de Caters, un pionnier belge de l'aviation, titulaire du premier brevet belge de pilote, organise à Wilrijk, un meeting d'aviation.

Il est déjà un des premiers constructeurs belges d'avions, sa firme de construction AVIATOR est établie à Lissewege, au nord de Bruges.

Son aéroplane de type "Voisin" s'étant écrasé, il demande aux frères Bollekens de procéder à la réparation d'urgence de son appareil endommagé, ce qui est réalisé dans les délais les plus courts.

C'est le début de l'histoire: comme de Caters leur commande 8 avions, Isidore décide de diversifier les activités de la société et se lance dans le domaine de la construction aéronautique.

Les frères Bollekens fondent ensemble, en 1911, la société JERO (d'après le nom de leur père).

Lorsque de Caters et Aviator doivent faire face à de graves difficultés financières, les Bollekens reprennent les avions qu’ils avaient livrés au client et les 12 hangars sur le terrain de l'aérodrome de Sint Job in 't Goor aux environs de Brasschaat, qu'ils louent alors aux de Caters jusqu'en 1914.

Ils reprennent aussi l'école d'aviation du baron.

Après avoir construits quelques temps leurs propres avions, ils signent le 1er mars 1912 un contrat de licence exclusive pour la Belgique avec la société française Farman, en vue de la construction d'avions commandés par l'armée belge.

Une vingtaine d'avions Farman (d'une version améliorée) y sont construits avant la guerre.

L'armée n'en comptait que 2 en 1911.

En 1912, l'armée belge leur commande quatre biplans Farman F16 qui seront livrés le 6 et 7 juillet de la même année.

Jusqu'en août 1918, 22 Farman de type F20 seront vendus à l'armée, qui en dispose au début de la guerre de 24, compte tenu des appareils accidentés.

Comme les frères Bollekens disposent non seulement d'un aérodrome d'essai, mais aussi d'une école de pilotage sur leur terrain de Sint Job in 't Goor, ils sont appelés à assurer, à partir du 15 octobre 1912, la formation d'officiers belges au brevet d'aviation civil.

(L’Ecole militaire d'aviation se trouve à Brasschaat et délivre le brevet militaire depuis 1911).

Outre ce contrat d'écolage, ils acquièrent également un contrat d'entretien des appareils.

Dès le 1er août 1918, les établissements sont réquisitionnés

Durant les deux premiers mois de la guerre, ils accélèrent leur production d'aéroplanes militaires et fournissent les "Henri Farman" nécessaires aux escadrilles, principalement utilisées dans le rôle d'observation et de reconnaissance.

Les ateliers sont déménagés en urgence, par un train militaire spécial (que l'armée a appelé: "Parc sur rail", constitué dès le 2 octobre) qui part le lendemain de la rive gauche de l'Escaut (gare du "Pays de Waes"), peu de temps avant la chute d'Anvers.

Quarante techniciens (sur les 120 que compte la société pour la fabrication d’avions), accompagnés de leur famille, partent ainsi le 7 octobre pour Ostende, dans un premier temps, avec tout le matériel de leur atelier.

L'hippodrome "Wellington" sert d'aérodrome militaire à ce moment.

Les trois frères et leurs familles s'y rendent, eux, en automobile.

 Au début de la guerre, l'armée belge dispose, de 16 avions de reconnaissance, y compris un appareil presqu'achevé qu'un officier pilote, à la demande pressante d'Isidore, convoie jusqu'à Ostende.

Le 12 octobre, toujours en train, les ateliers se retrouvent (après quelques détours) à Calais en France afin d'y poursuivre intensément le montage de ces machines volantes construites en bois.

Leurs 40 ouvriers belges et les cadres participent aujourd'hui à la construction des aéroplanes MF-11, HF-40 et 41 pour l'armée belge dans l'atelier loué à Monsieur et Madame Legros, rue Delaroche 12, au sud de la ville.

Il a aussi été fait appel à du personnel français pour compléter les effectifs, ce qui porte le nombre de ceux-ci à 60 (la moitié cependant de l'effectif de l'atelier d'Anvers).

Les bons techniciens ne sont pas légion dans ce domaine et Jan me communique qu'il y a aujourd'hui une demande pressante pour des menuisiers dans l'atelier de construction et de réparation des avions belges.

Cette information ne peut qu'éveiller mon intérêt…

Avant d'en parler à mon mari, afin de ne pas lui donner de faux espoirs, je commence mon action auprès des autorités militaires pour obtenir ce poste pour Albert.

Il est d'ailleurs plus facile d'obtenir un tel travail à l'arrière pour un soldat qui a déjà été blessé.

J'en parle même à la reine, qui m'assure de son appui bienveillant, notant dans un petit calepin nos références.

Peu après, grâce à mes relations, Albert est rapidement détaché de la zone des combats: appelé par ses supérieurs, il doit leur rendre son matériel militaire qui ne lui est plus nécessaire, il est mis en congé sans solde et reçoit un ordre de marche pour aller, dès le 12 mai 1916, travailler à cet atelier, rue Delaroche 12, à deux km du Parc d'Aviation de Calais (un ancien aérodrome civil d'une superficie de 15 ha) situé, lui, à Beau-Marais.

Calais est en effet aujourd'hui une base arrière importante de l'Armée belge sous la haute direction du général Clooten.

Il se rend donc immédiatement par le train à Calais pour rejoindre son nouveau poste.

La ligne à voie unique de la "Société Anonyme du chemin de fer de Gand à Dunkerque", inaugurée dès 1870, a été réquisitionnée par les alliés et permet, au départ de la gare d'Adinkerque, une liaison rapide avec Calais.

L'atelier de la rue Delaroche est situé au sud-est de la ville, non loin du Canal de Calais à Saint-Omer: on y construit de nouveaux avions qui sont ensuite livrés et testés à Beau-Marais.

En tout cas, son confort dans cet atelier s'est bien amélioré, il travaille selon un horaire décent, principalement pendant la journée, encadré par des ingénieurs compétents, loin des sous-officiers bornés et il réalise à nouveau de beaux objets avec ses mains.

Un tel artisan ébéniste devient rapidement un expert en finition et en réparation d'hélices.

Les héliciers les construisent en bois, principalement en acajou (matériau stable, facile à travailler, homogène et solide), en noyer (celui-ci est de qualité similaire quoique plus solide) ou même en chêne ou en hêtre, et il faut savoir que ces trois premières essences de bois sont parmi celles couramment utilisées en ébénisterie, le hêtre étant plutôt employé pour les parquets.


Une hélice d'avion en acajou

Celles-ci sont composées de deux pales d'environ 2 m de diamètre et doivent pouvoir résister à des vitesses de l'ordre de 1200 tours/minute.

Elles doivent être extrêmement bien profilées, bien équilibrées et leur surface doit être parfaitement lisse pour remplir leur rôle sans frottements inutiles.


La géométrie très complexe de l'hélice.

Les hélices sont le plus souvent en bois laminé (plusieurs essences de bois sont quelquefois associées), elles sont généralement renforcées de textile, de peau (cuir) ou de métal (cuivre, étain ou monel - un alliage de cuivre/nickel).

La pièce terminée est ensuite recouverte de plusieurs couches de vernis.


Ateliers de construction d'hélices d'avion


Construction d'une hélice d'avion.

Albert est également amené à construire des portes pour les avions (quand ils en ont), lui qui jamais dans sa vie ne montera à bord d'un de ses engins !

Et quelle joie de retrouver l'odeur du bois, le contact des outils avec ce noble matériau et de voir à nouveau les copeaux de bois voler autour de lui.

Je ne me lasserai jamais de voir son coup de rabot quand il manie cet outil !

(Il dispose dans son atelier à Bruxelles d'un nombre élevé de rabots de toutes les tailles et de toutes les épaisseurs qu'il sélectionne avec soin selon le travail à effectuer).

Il mange correctement (les Legros s'occupent bien d'eux), est logé chez l'habitant non loin de l'atelier avec de vrais lits et nous nous retrouvons tous les deux bien plus souvent à la villa Sans-Soucis.

Il me dit que je suis vraiment une femme extraordinaire sur qui il peut compter en toute circonstance et qui lui prouve son amour en le protégeant des dangers de la guerre en lui ayant trouvé un travail dans une activité ou il excelle. 

Il est absolument enchanté de pouvoir à nouveau travailler ce noble matériau qu'est le bois tout en contribuant ainsi (en sécurité) à la défense du territoire.

Il peut désormais me parler avec son enthousiasme d'antan de son travail retrouvé, plutôt que des misères journalières des tranchées de l'Yser.


Albert le 12 novembre 1916 à l'atelier de la rue Delaroche, à Calais, le marteau à la main. (Collection Paul Falkenback)

J'ai même le bonheur de le revoir rire, ce qu'il faisait plus guère depuis août 1914.

Et aujourd'hui, quand il retourne à Calais, je me sens plus légère qu'auparavant, je sais qu'il ne risque plus de se faire tuer aussi facilement et qu'il a repris goût à son travail.


Un Nieuport 10 utilisé sur le front

Autres nouvelles :

Vital à des problèmes !

J'ai toujours su qu'un garçon aussi libre et indépendant que lui ne saurait rester tranquille bien longtemps …

Il s'est retrouvé au cachot deux fois, en mars et en juin: il était une nuit de veille à un poste de mitrailleuse et s'y est endormi; puis il a mal répondu par deux fois à un sergent qui ne le supportait pas.

Vital est depuis le 29 juillet passé au détachement cycliste de la 6ème division d'armée.

Mais il a continué à se révolter et a encore été puni à de nombreuses reprises pour des idioties.

Il se comporte vraiment comme un gamin, il fume dans les baraquements, il rentre après l'appel, il est interpellé débraillé dans le village de Mailly (près de Vitry le François), etc

Il faut qu'il se ressaisisse !

La vie à La Panne

Tout est toujours pareil ici, la guerre qui continue.

À la villa, la vie s'est installée confortablement, tout le monde s'apprécie et on se croirait à un poste pour une vie entière…

Aujourd'hui, je connais tout les goûts du docteur et je sais ce qu'il aime tout autant que ce qu'il ne faut pas lui préparer.

Je le connais suffisamment désormais pour me rendre compte au premier coup d'œil quand il rentre de l'hôpital, s'il faut lui adresser la parole ou s'il faut le laisser à ses pensées…

Ce que Céline est incapable de discerner, la pauvre, ce qu'elle a pu se faire égueuler !

Depuis la fin avril et au cours du mois de mai, nous jouissons de températures vraiment élevées, jusqu'à 26°C le 26 mai, mais juin n'est spécialement chaud, il faudra attendre juillet pour se sentir en été; celui-ci se prolonge jusqu'à la fin septembre.

Il fait si beau que peu après le concert donné par Eugène Ysaye, le 16 juin, celui-ci va jouer du violon dans les dunes !

Ces dunes qui bordent la station à l'est comme à l'ouest sont couvertes d'oyats du côté de la mer du Nord; de buissons épineux dans l'arrière pays: des arbousiers qui se couvrent de petites baies oranges appréciées des oiseaux.

Nous aimons nous promener en amoureux au travers de ces dunes fleuries à la belle saison, Albert et moi, jusqu'à la frontière française quelquefois, écoutant les oiseaux chanter et observant les lapins qui détalent non loin de nous.

Lorsque la zone des dunes s'arrête, un plat pays de champs et de pâtures s'étend à l'infini, entrecoupé de petits canaux d'exhaure bordés de saules têtards.

Par-ci par-là, de petits villages entourent leur église paroissiale; malheureusement bon nombre de ces villages ne sont plus aujourd'hui que des ruines …    

Nous sommes désormais bien informés du déroulement de la guerre grâce aux nombreux journaux disponibles à La Panne et publiés le plus souvent à l'étranger par des Belges.

L'Écho d'Anvers à Bergen-op-Zoom, Les Nouvelles et Le Courrier de la Meuse à Maastricht, L'Écho belge, Vrij België et Belgisch Dagblad à la Haye, La Belgique à Rotterdam, De Vlaamsche Stem à Amsterdam, De Stem uit België et La Belgique nouvelle à Londres, Le Franco-belge à Folkestone, Le Courrier belge à Derby, La Patrie Belge et La Nouvelle Belgique à Paris, Le Courrier de l'Armée (De Legerbode) et Het Vaderland au Havre, Ons Vaderland et De Belgische Standaard à La Panne (les seuls en Belgique libre).

L'automne est doux et humide, les premières gelées sont observées début décembre.

Le 27 novembre, on apprend le décès accidentel du poète Emile Verhaeren à Rouen, ou il s'apprêtait à collecter des fonds pour les grands mutilés de guerre.

Lors d'une bousculade sur le quai de la gare, il glisse, poussé par la foule, sous les roues d'un train en partance et se fait écraser.

La nouvelle grande salle de fête de l'Océan est aménagée, à la demande du docteur, en chapelle ardente et les funérailles du grand poète national organisées par ses soins. 

Il est inhumé provisoirement à Adinkerque, comme un soldat.

La grande salle des fêtes de l'ambulance est désormais baptisée en son honneur: salle "Emile Verhaeren".

En décembre, Théodore Botrel (1868-1925), le grand auteur-compositeur-interprète breton, auteur  (entre autre) de La Paimpolaise, qui soutient les soldats de la guerre 14-18 en donnant de nombreuses représentations dans le but de rehausser le moral des troupes, entame une tournée en Belgique.

1917 :

Hiver 1917

L'hiver 1917 sera le plus terrible de cette guerre.

Je pense souvent à nos soldats sur le terrain, ils ne doivent pas avoir chaud là-bas.

Heureusement qu'Albert est mieux loti à présent, il était temps !

Il commence à geler à partir du 20 janvier et du 2 au 7 février, le thermomètre descend en dessous de -10° C.

(Note de l'auteur: on enregistre -12.4°C le 4 février à Ostende, soit la température la plus basse de ces 4 années de guerre; cette importante vague de froid durera 19 jours consécutifs du 21 janvier au 8 février.)

Même la mer gèle en ce mois de février, formant des icebergs de deux mètres de haut, une banquise se forme, la plage a un aspect boréal pendant plusieurs semaines.

Les marais des dunes se prêtent au patinage, ce qui fait la joie des soldats et des infirmières, voire même de la famille royale.


Le roi Albert sur la glace en février 1917. Au second plan, la villa royale. (Collection Jacqueline Vandenhende)

J'espère que les allemands ne vont pas en profiter pour franchir à pied les zones inondées qui nous protégeaient jusqu'à présent…

Les températures ne s'adoucissent qu'à partir de la mi-février : il ne gèle plus, mais le printemps reste froid et la douceur ne revient qu'en mai.

Situation politique :

En mars 1917, l’état major impérial allemand prend la décision stratégique de reculer le front plus à l'est, sur la ligne dite « Hindenburg », et fait évacuer toutes ses armées des positions occupées depuis 1914 dans le secteur de l’Aisne.

Pour répondre au blocus naval britannique, les sous-marins allemands détruisent tout navire transitant dans un port ennemi.

Les États-Unis étaient restés neutres jusque là, mais apportaient cependant un soutien matériel et financier aux pays de l'Entente dès 1914.

Rappelons-nous, que le torpillage en 1915 du paquebot britannique Lusitania, qui avait été responsable de la mort de Madame Depage, avait aussi provoqué la mort de 128 citoyens américains.

L'opinons publique américaine n'avait pas accepté cet acte de piraterie.

Le 6 avril 1917, face à la guerre sous-marine à outrance et à la révélation du télégramme Zimmerman (proposant de la part des allemands, une alliance avec le Mexique contre les Etats-Unis), le congrès américain autorise le président Wilson de déclarer la guerre à l’Allemagne.

Les Etats-Unis s'engagent à ce moment aux côtés de l'Entente contre les Empires Centraux et plusieurs états d'Amérique latine s'engagent avec eux.


Troupes américaines débarquant en France

Au total 2 millions de militaires américains seront sur le vieux continent au moment de l'armistice.

Raymond Poincaré, qui pourtant ne l’apprécie guère, appelle en novembre 1917 Georges Clémenceau à la tête du gouvernement français afin de restaurer la confiance.

Très populaire, il met tout en œuvre pour que la République soutienne le choc de cette guerre.

Véritable dictateur (au sens antique du terme), il œuvre en vue de la création du commandement unique, qui conduira les alliés à la victoire.

Messines:

Dans la nuit du 6 au 7 Juin 1917, l'explosion de 454 tonnes d'explosif qui sautent sous les positions allemandes au sud d'Ypres se fait entendre parait-il jusqu'à Londres et à Paris.

Nous, à La Panne à une distance d'environ 50 km, on peut dire qu'on l'a bien entendu !

On s'est réveillés en sursaut, se demandant ce qui avait pu provoquer un tel vacarme.

Peu auparavant, un orage violent avait déjà troublé notre sommeil, mais ceci n'est pas un coup de tonnerre normal.

L'IIème armée du général britannique Plumé est responsable de cette attaque.

En deux heures seulement, certaines unités anglaise, australiennes et néo-zélandaises atteignent la deuxième ligne allemande et, à 7 heures, les villages de Messines et de Wijtschate (libérés par les troupes Irlandaises : 16th Irish et le 36th Ulster division) tombent aux mains des Alliés.


Bataille de (Mesen) le 7 juin 1917.

À 15 h 10, les objectifs sont atteints, la crête de Wijtschate (8 kilomètres de long et jusqu'à 84 mètres d'altitude) est tenue, les Britanniques s'enterrent et réussissent à contenir les contre-attaques allemandes.

Front Est :

Sur le front est, par contre, la situation se détériore.

La guerre amène une suite impressionnante de malheurs en Russie, l'armée qui est mal approvisionnée en denrées et en matériel, accumule les défaites, et recule sur le front.

Les pertes en vie humaines sont énormes (on les estime à près de 1 700 000 morts et 5 950 000 blessés).

Les forces tsaristes, épuisées par cette guerre longue et terrible finissent par se mutiner.

Dès le mois de février, les conditions dans le pays sont telles (hiver rude, pénurie alimentaire, lassitude face à la guerre) que les grèves se généralisèrent dans le pays et se transforment en révolution: le Tsar Nicolas II doit alors abdiquer.

Dans un premier temps, l'implication dans la première guerre mondiale n'est pas remise en cause par les nouveaux dirigeants, mais après bien des péripéties, la minorité bolchévique, conduite par Lénine et Trotski lance une insurrection à Petrograd, c'est la révolution d'Octobre.


Lénine


Trotsky

Un de leur premier geste, après avoir pris le pouvoir, est de proposer à tous les pays belligérants d'entamer des pourparlers "en vue d'une paix équitable et démocratique, immédiate, sans annexions et sans indemnités."

C'est une vraie catastrophe pour les alliés, dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences.

Le docteur et l'autorité militaire :

L'Inspecteur Général du Service de Santé (I.G.S.S.), le général Mélis et Depage ne sont vraiment pas fait pour s'entendre !

La plupart des médecins de l'hôpital ne sont pas des médecins militaires mais des miliciens a qui l'armée a octroyé le grade de "médecin auxiliaire" (équivalent à sous-lieutenant, c'est-à-dire le premier grade d'officier.)

Seul Depage, qui a été nommé lieutenant-colonel dès le début de la guerre, et ceux qui se destinent à la carrière militaire ont  un grade supérieur.

Mais pour Depage, ce n'est pas le nombre d'étoiles qui constitue la hiérarchie dans son ambulance, mais la valeur personnelle et le niveau de compétence des médecins.

Alors, des capitaines se retrouvent sous les ordres de sous-lieutenants !

En janvier, l'attitude du docteur est qualifiée dans une lettre du général de "contraire aux principes du règlement de discipline" et l'I.G.S.S. en réfère au ministre de la guerre.

On lui reproche "de se faire le porte-parole de médecins mécontents et d'entretenir l'indiscipline dans le corps médical".

Pratiquement, malgré son grade de colonel, Depage est et reste un civil mais son savoir-faire et que son efficacité le protègent de toute sanction; en outre il est apprécié à sa juste valeur par le palais qui le défend envers et contre tous.

En juillet 1917, le ministre de la guerre, Charles de Broqueville, croyant lui faire une faveur, provoque en réalité sa colère et son indignation en l'informant de sa promotion au grade de colonel !

Il n'acceptera que difficilement cette nomination après avoir obtenu au préalable les promotions des médecins de son équipe qu'il avait proposés.

Fonctionnement de l'Océan en 1917 :

 Sous l'égide du Dr Mélis, la publication mensuelle des "Archives médicales belges" est réinitiée d'après les travaux et observations réalisés sous son autorité à Cabourg.

Le premier numéro "de guerre" parait dès le premier janvier 1917.

La reparution des ces "Archives" incite le Dr Depage, piqué au vif, à faire paraître chez Masson, son propre recueil de brochures, consacrées aux travaux scientifiques de l'Océan: les "Travaux de l'Ambulance de l'Océan".

Trois volumes de belle qualité traitant des activités scientifiques de l'hôpital de l'Océan seront publiés pendant la guerre.

Les photographies d'Antoine Castille y sont largement utilisées.

Le premier document publié est de sa propre plume et s'intitule:

"L'ambulance de l'Océan à La Panne, sa fondation, son évolution, son organisation"


La pharmacie de l'hôpital Océan.

Bonne nouvelle, cette année 1917, le Comité international de la Croix-Rouge à Genève se voit décerner le prix Nobel de la paix.

Agenda Culturel :

Le docteur a compris depuis longtemps que le moral a une influence primordiale sur la guérison des malades et des blessés; en outre, c'est un intellectuel d'une grande culture, malgré son aspect bourru et son accent marollien.

Le docteur est un grand mélomane et il soutient totalement l'initiative du sergent Corneil de Thoran: ce jeune musicien, premier chef d'orchestre du théâtre de la Monnaie, crée au printemps 1917 l'"Orchestre symphonique de l'Armée de campagne" qui comprendra jusqu'à 85 musiciens.

Il dirige des concerts sur divers lieux de repli, dans les hôpitaux militaires (Beveren, l'Océan, Vinckem, …) ou dans des casernes de fortune, ces interludes divertissent les troupes et sont bénéfiques pour leur moral.

L'initiative reçoit l’aval inconditionnel des autorités militaires. 

En outre, il bénéficie, de l’appui de ses nombreux amis musiciens, entre autre des frères Ysaye et de celui de la souveraine, artiste elle-même, qui veille personnellement à la réalisation matérielle de ce projet.

Le 3 décembre 1917, à l'hôpital de Beveren, il monte avec la troupe Libeau, du théâtre Belge au front, "Werther" de Jules Massenet.

Les loisirs des hospitalisés sont pris en charge de manière magistrale, et cela à quelques kilomètres de la zone des combats !

A l'Océan, on organise très régulièrement des concerts, des pièces de théâtre, des conférences et des expositions d'œuvres d'art décorent souvent les murs de l'hôpital.

Une bibliothèque prête des livres et du matériel cinématographique est disponible pour la distraction des hospitalisés.

Ce dont nous profitons dès que nous disposons de quelques heures de loisirs.

Au parc aérostatique de Beau-Marais

Les ateliers de Calais ont bien travaillés de 1914 à aujourd'hui: une dizaine de nouveaux avions de type Farman MF11 munis de moteurs Renault ont été construits en 1915; en 1916: 54 Farman F40 et F41 et en ce début d'année: 2 modèles GN (selon les plans de Georges Nelis).

D'autre part des dizaines d'appareils ont été réparés et modernisés.

L'armée achète cependant de nouveaux avions (des modèles de "chasse" plus modernes) à leurs autres fournisseurs (avions Nieuport, Voisin, Caudron, Morane et Short) et les services de Nélis, responsable de Beau-Marais se sont progressivement développés: de l'ordre de 300 hommes en 1917.

Le contrat passé entre la Belgique et les établissements Bollekens vient à échéance en 1917.

Pour des raisons peu claires, le 1 mars 1917 (date de l’échéance de la licence Farman), le contrat avec les établissements Bollekens est dénoncé unilatéralement par le gouvernement belge et les ateliers de "Dépôt et logistique" sont repris directement par l'armée.

Les Bollekens, suite à cette rupture de contrat inexpliquée de la part de leur unique client, sont totalement désappointés.

Ils feront un procès à l’Etat belge qui, après un combat de procédure d’une vingtaine d’années, sera finalement condamné, pendant la deuxième guerre mondiale, à leur verser un dédommagement substantiel…

On peut imaginer qu'il y a eu (comme au niveau des hôpitaux) une certaine rivalité entres établissements civils et autorités militaires…

Albert est, pour cette raison, à partir du 15 avril 1917, rattaché au parc d’aviation militaire belge de Calais (département "Dépôt et logistique" de l'aviation militaire belge à Beau-Marais), et travaille à la maintenance et à la réparation du matériel volant, ce qui ne change rien à son travail, mais le réintègre à l'armée active.

En effet, le parc d’aviation militaire dépend de la Direction Technique de l'Aviation Militaire Belge.

L'aéroport de Beau-marais est situé à la sortie est de la ville de Calais, sur la route de Dunkerque.

Six officiers et 467 hommes, sous l'autorité du lieutenant Georges Nélis, font fonctionner la base et l'aérodrome qui occupent 15 ha, et dont plusieurs hydravions sont à quai dans le port de Calais, ceux-ci assurent un service régulier vers Folkestone.

(Officier issu de l'Ecole Militaire, Nélis décroche son brevet de pilote le 21 décembre 1910, et devient ainsi l'un des premiers pilotes de l’aviation militaire belge - Le premier officier belge breveté pilote ayant été Montens d’Oosterwijck le 28 septembre 1910)

Albert, qui est désormais logé dans des baraquements sur la base même de Beau-Marais, y poursuit son travail jusqu'au 10 septembre 1917.

Les nombreux bombardements aériens ennemis visent Calais (et principalement les installations militaires) et je tremble pour la sécurité de mon mari.

À partir du 11 septembre 1917 il est muté à la 2ème Escadre Militaire casernée à Koksijde-Saint Idesbald, près de la ferme de "Ten Bogaerde", encore plus près de moi.

(Le premier champ d'aviation militaire de la zone y a été installé dès 1915).

Son travail consiste toujours à la réparation du matériel volant.

Vie de tous les jours

Ce mois de mai 1917, quoique nuageux, est chaud (on dépasse les 20°C dès le 11 et on atteints même 27°C en fin de mois).

Avec ce printemps arrive les alertes aux gaz: on est tous muni d'un masque à gaz.

Qu'est ce qu'on est belles avec ça ! Et en plus, il ne faut pas aller dans les caves, comme lors de bombardements classiques, mais au plus haut des maisons, ces gaz étant plus lourds que l'air.

Une sirène spéciale doit nous informer de ce type d'attaque.

Dieu merci, ce ne sont que des alertes, jusqu'à présent !


Mitrailleuse sur un avion

Outre les pistolets et carabines, leurs aviateurs emportaient des grenades, voire une mitrailleuse et même des fléchettes "Bon", du nom de leur inventeur, mais mise au point à partir des travaux du célèbre ingénieur français Clément Ader (1841-1925).

Celles-ci ont fait beaucoup parler d’elles parmi les fantassins de la première guerre mondiale.

Destinées à être utilisées contre les troupes au sol, rangées dans des boites suspendues sous le fuselage de l'avion, l'ouverture en est commandée depuis l'habitacle.

Lâchée d'une altitude de 500 mètres, une fléchette pouvait traverser le corps d'un homme ou d'un cheval !

Cette diabolique invention française a été naturellement rapidement copiée par l'ennemi.

En octobre 1914, en moyenne, 50.000 d'entre elles ont été lancées depuis des avions.

Les journaux nous ont informés de la mort d'un général allemand victime de cette arme.

J'en ai ramassé une que je conserve en souvenir: elle est en fer, mesure 11.50 cm, d'un diamètre d'environ 1 cm; on dirait un crayon taillé muni d'ailettes en croix.


Ma fléchette "Bon".

Le 18 juin 1917, les troupes françaises laissent la place aux anglaises. Cela nous change, on rencontre désormais des Canadiens, des Irlandais, des Australiens, des Ecossais en kilt qui défilent au son des cornemuses, des Hindous enturbannés, des Gurkhas, …

Compte tenu des bombardements incessants sur la zone côtière, il nous est de plus en plus difficile de dormir.

La famille royale s'installe le 20 juillet à la ferme-château Ste-Flore dans les Moëres, près d'Adinkerke et de Houtem (le siège du QG belge): les villas en bord de mer ne sont plus à l'abri des obus.

Les autorités envisagent même sérieusement de déménager l'"Océan" pour mieux l'abriter, car depuis la fin de l'année 1916, les artilleurs ennemis ne respectent plus La Panne et bombardent même régulièrement nos hôpitaux.

La ville perd de son "air de fête" et son caractère de "villégiature oubliée par la guerre" !

Cette année 1917, nous nous la rappellerons comme l'"année des harengs"; la pêche en a été quasiment miraculeuse que l'on en trouve tant que l'on veut, les soldats en reçoivent tellement régulièrement qu'ils en sont dégoutés.

Le temps, cet été, est vraiment chaud: du 11 mai au début octobre, le thermomètre avoisine les 20°C. (33°C le 18 juin, la journée se terminant par un violent orage).

Albert et moi, on se fait la réflexion que dans l'avenir, une fois la paix revenue, on reviendrait bien passer des vacances en été par ici.

Un nouvel hôpital : Vinckem

En août 1917, on implante un nouvel "Océan" à l'intérieur des terres: "Vinckem".

Dans un premier temps, un grand camp de tentes est dressé autour d'un bloc central opératoire en dur, selon les plans du Docteur et avec le soutien de la Croix-Rouge américaine.

Celui-ci profite largement des enseignements et de l'expérience acquis à La Panne pendant les premières années du conflit.

L'hôpital "provisoire" fonctionne de mai à septembre.

À l'approche de l'hiver, on emploie les baraques de l'"hôpital de Bruxelles", grandes baraques démontables qui remplaceront les tentes et qui constituent l'un des derniers dons des Américains avant leur entrée en guerre.

L'ensemble est opérationnel le 15 octobre lorsque L'Océan est partiellement évacué.

Un pavillon central d'un hectare en briques, avec cinq salles d'opération; de part et d'autre deux ailes, de cinq cent mètres de long, parallèlement à une route qui amène les blessés et à une voie de chemin de fer construite pour l'évacuation.

De douze à quinze cents lits et une dizaine de salles d'opération sont aujourd'hui disponibles en cas de besoin.

L'hôpital de Vinckem ne sera utile qu'à partir de mai 1918,  et surtout en septembre 1918, où il fera merveille.

Curieux événement :

Nous rêvons quelquefois de nous évader loin, en Amérique peut-être comme mon oncle Vital, le parrain de mon frère, qui est parti un jour au Canada et dont on n'a jamais eu de nouvelles. Mais une sorte de grain de sable va changer nos plans.

Fin juillet 1917, je me rends compte que mon mois se termine sans menstruations, moi qui suis toujours régulière, je suis donc surement enceinte !

Mon mari et moi n'avions pas envisagé cette possibilité jusqu'à présent

L'expérience malheureuse de mes parents me reste toujours à l'esprit et nous aurions aimés attendre la fin de la guerre pour y penser, mais me voilà concernée !

Quand Albert revient de l'atelier d'aviation à la fin de semaine, nous sommes obligés de nous faire à l'idée que nous allons devenir bientôt parents et que nous allons devoir assumer nos responsabilités.

Albert et moi nous nous disons qu'il ne sert plus à rien de faire attention dans nos relations intimes et nous jouissons pleinement de la vie dès ce soir là.

Quand j'informe, quelques semaines plus tard, le docteur Depage de ma grossesse il me dit:

"Je m'en doutais, Julia, certains symptômes me l'ont déjà laissé supposer; il eût mieux valu attendre, mais ce qui est fait est fait.

Cependant je ne veux pas d'un accouchement à la villa, j'exige que tu ailles à l'hôpital pour mettre ton enfant au monde dans les meilleures conditions d'hygiène et comme je ne suis pas gynécologue, je te confierai à mon meilleur spécialiste.

En outre ainsi tu ne recommenceras pas ton travail avant que l'hôpital ne te laisse sortir."

Il avait vraiment appris à me connaitre !

Été et automne 1917

Le 6 août, nous préparerons un grand goûter: nous travaillons ferme pour produire suffisamment de tartes, de biscuits et de cakes pour une grande réception.

Cet après-midi, le docteur reçoit Sa Majesté et des infirmières méritantes qui reçoivent chacune un bijou en cadeau.

La reine en profite, comme à son habitude, pour laisser photographier toute l'assemblée autour d'elle.

En septembre, la situation devient difficile, on bombarde l'Océan le samedi 1er septembre, le magasin est détruit, deux morts, plusieurs blessés.

Les ennemis ne respectent même plus les hôpitaux de la Croix-Rouge !

Le docteur décide alors de faire transférer le corps de son épouse au cimetière de la commune, craignant qu'une bombe ne détruise la tombe de la dune.

Fin septembre la reine doit s'aliter, le 23 nous apprenons qu'il n'y aura pas de quatrième prince à la cour…

On intensifie l'installation de Vinckem, on organise un goûter d'adieu à la villa "La Cloche". (C'est dans ce cottage que les infirmières passent leurs temps libre et reçoivent leurs visites)

Castille est très occupé à ranger ses clichés et son laboratoire photographique en vue d'un déménagement.

Et on installe (enfin) un abri devant les salles d'opération de l'ambulance. 

L'Océan est aujourd'hui le centre décisionnel de toute un "Secteur chirurgical" qui comprend Petit fort Philippe à Gravelines, Virval à Calais et Mortain en Normandie.

L'année se termine avec un peu de neige en décembre mais sans très grand froid comme au début de l'année.

Nouvelles de Vital :

Vital continue à avoir des ennuis: sauf lorsqu'il travaille à la compagnie de subsistance de Calais, il n'arrête de se faire punir, il est devenu la "bête noire" de son sous-officier.

Un jour, il est arrivé à casser sa baïonnette en faisant la chasse aux rats !

Qu'est ce que cela a pu faire rire Albert quand il a appris ! 

Mais Vital n'a pas ri, quand il a été envoyé en conseil de guerre et à la prison militaire, puis en "compagnie de réhabilitation" pour quatre mois: du 30 avril au 31 août, à la suite à cet incident.

Il est en outre privé de supplément de solde et de la "haute paie de guerre".

Quant à ses permissions, elles lui ont été supprimées et je ne le vois plus à La Panne depuis lors.

1918 :

La guerre :

Dès le début de l'année 1918, il devient impératif pour les empires centraux d'emporter la guerre sur le terrain avant que ne débarquent en Europe le gros des troupes de Washington.

Les deux révolutions russes de mars et d'octobre 1917 avaient permis aux Allemands des avancées considérables en Russie.

Les Bolcheviks signent un armistice avec les Empires Centraux dès le mois de décembre.

Puis, le 3 mars 1918, l’Allemagne et ses alliés: l'Autriche-Hongrie, la Turquie et la Bulgarie signent avec les révolutionnaires russes la paix de Brest-Litovsk en Biélorussie.

Par ce traité, d'immenses territoires sont annexés à l'empire allemand en particulier l'Ukraine (cette dernière sera toutefois reprise après la défaite de l'Allemagne en novembre) et une partie de la Biélorussie; une partie du Caucase revient à l'Empire Ottoman.

La Finlande, l'Ukraine, la Pologne et les pays baltes (Lituanie, Lettonie et Estonie), anciennes provinces de l'Empire russe, en profitent pour s'émanciper.

D'autre part, le gouvernement bolchevik doit verser au Reich une indemnité de 94 tonnes d'or.

Ce traité est une aubaine pour l'Allemagne et ses alliés qui, après que le front russe se soit effondré, concentrent toutes leurs forces sur le front occidental.

L'ennemi dispose aujourd'hui de 192 divisions sous commandement unique contre 175 divisions alliées de 5 nations insuffisamment coordonnées.

 Les Allemands reprennent l’offensive à partir de mars 1918, sur la Somme, en Flandre, au Chemin des Dames et en Champagne.

Au prix de lourdes pertes en vies humaines, ils conquièrent du terrain et se rapprochent à nouveau dangereusement de Paris qui est bombardé par les canons prussiens à longue portée et par l'aviation ennemie.

Cependant, les renforts allemands ne parviennent que tardivement en France, du fait des distances énormes et du temps nécessaire pour acheminer les troupes depuis l'Est.

L'offensive, repoussée lors de la seconde bataille de la Marne, ne peut être exploitée par manque d'effectifs de la cavalerie allemande.

En effet, celle-ci est restée à l'Est, pour contrôler les immenses territoires annexés (environ un million de kilomètres carrés).

Les troupes allemandes, dans la région de Villers-Cotterêts, se sont aventurées trop au sud.

La contre-attaque française entamée le 18 juillet 1918 leur est dévastatrice, ils doivent refluer vers le nord, évitant de justesse leur encerclement.

En janvier, toute la zone côtière de Dunkerque à Nieuport, subit d'intenses bombardements; le 23 janvier, une torpille se retrouve même avenue de la mer …

Reigersvliet :

Le 6 mars 1918 est une date marquante et est connue, en Belgique, comme la victoire de la bataille de Reigersvliet, du nom d'un très petit ruisseau sur le front de l'Yser.

C'est plutôt un fossé, ayant 1.50m à 2m de large et d'une profondeur d'un peu plus d'un mètre, qui se jette à Stuyvekenskerke dans le Kleine Beverdijk, lequel rejoint finalement le "fleuve" Yser.

C'est une tête de pont tenue en ce jour par les Carabiniers cyclistes.

Ce 5 mars à 5h du matin, l'artillerie allemande pilonne notre position durant environ 8 minutes, puis attaque massivement la zone.

Le but stratégique reste toujours d'enfoncer le front de l'Yser et de se ruer sur les ports français de l'Atlantique pour les occuper et empêcher ainsi l'arrivée des renforts anglais puis américains.

Notre artillerie rapidement avertie contrattaque et bombarde nos propres ouvrages à peine pris par l'ennemi.

Les cyclistes et les 1ers et 2ème Chasseurs à cheval sont à pied d'œuvre vers 11h, donnent l'assaut à 13h15, repoussent héroïquement l'attaque allemande et réoccupent le terrain perdu dès 17h50, faisant 130 prisonniers (dont 5 officiers) et capturant 10 mitrailleuses ennemies.

 Le 5 mars, mon frère Pierre, aux 2ème Guides est blessé lors de cette bataille à Oud-Stuivekenskerke, à 19h20, par une balle de mitrailleuse qui lui perfore la cuisse gauche, il est évacué le lendemain à l'Océan ou il est soigné jusqu'au 19 mars.


Carte du Feu de Pierre Jacmain. (Collection Paul Falkenback)

Sachant que sa sœur est à côté de l'ambulance, il me fait prévenir et je viens immédiatement le visiter.

Sa blessure n'est pas trop grave, aucun os n'est cassé, il sera sur pied après quelques semaines de convalescence.

Je lui annonce ce jour là que mon enfant aura comme troisième prénom "Pierre" comme notre père et lui; c'est un principe que nous respectons chez les Jacmain: à chaque génération, ce prénom est attribué à un de nos enfants.

Il ne lui sera malheureusement pas possible d'être le parrain de mon petit, ce qui aurait naturellement été le cas en temps de paix, mais il lui sera impossible de se libérer à temps.

Evacué à Cherbourg, via Gravelines, Villers le Sec, il y est soigné du 27 mars au 2 avril et rejoint son régiment du 2ème guide le 8 mai.

Il reçoit la croix de l'Yser et 8 chevrons de front pour sa bravoure au combat.

Cette dernière offensive allemande du printemps 1918 ne changera pas grand chose aux positions des armées en présence dans la région de l'Yser.

Et en juin les premières troupes américaines arrivent sur le terrain des combats.

La bataille navale fait rage devant nous, la flotte allemande nous bombarde du 20 au 21 mars, où un obus tombe sur l'hôpital. Les combats se poursuivent avec rage en avril.

Il ne fait pas chaud en ce début 1918, il gèle régulièrement le matin jusqu'au 20 avril.

Il a même neigé en mars, le vent du nord souffle avec vigueur et ce n'est qu'en mai qu'il commence à faire agréable.

Un fils nous est né :

Après 9 mois de grossesse, fin mars 1918, nous ne voyons toujours rien venir !

Mes premières contractions commencent seulement le 23 avril au matin. Après avoir fait prévenir mon Albert, je me rends à l'hôpital, dans le service du docteur Janssens de Mot.

(On reste entre Janssens !)

Et ce n'est que le lendemain, mercredi à 4 heures du matin que je donne le jour à mon fils Marcel né donc au bout de 10 mois par une belle journée de printemps !

Nous en sourions: soit c'est un âne (quoique leur durée de gestation est plutôt de 12 mois), soit nous avons eu en juillet dernier une fausse alerte concrétisée avec un mois de retard !

Mon Albert, une fois informé, rentre rapidement et vient nous rendre visite le jour même et nous nous retrouvons autour de ce berceau avec une telle émotion que nous ne savons plus que nous dire !

Albert, le déclare le 26 avril à la maison communale en présence des deux témoins requis par la loi: Gaston Hermans, d'Herstal, ajusteur (collègue d'Albert à l'atelier, justement en permission ce jour là) et Odilon Hofman, de Wandre, coiffeur de son métier. (Ce dernier, un inconnu, passait par la maison communale ce jour là.)

Notre livret de mariage, qui ne m'a pas quitté durant ces quatre ans, aura même finalement servi.

Une naissance à l’hôpital de l’Océan, où l'on soigne par définition plutôt des blessés de guerre, c'est tout à fait exceptionnel, et nombreuses sont les infirmières qui avaient souhaité assister à cette naissance car elles n'en n'avaient jamais eu l'occasion auparavant !

Je reçois de nombreuses visites autant des gens que je connais que d'une série de curieux.


Marcel âgé de 11 jours, carte postale envoyée: "À notre grand chéri, Marcel et Julia. La Panne, le 9 mai". (Collection Paul Falkenback)

Je reçois de nombreux cadeaux, principalement des vêtements tricotés; le docteur qui m'a fait envoyer un magnifique bouquet de fleurs, me donne de l'argent en me disant que je saurais bien quoi en faire…

Il pleut ce 5 mai 1918, jour du baptême de Marcel, Louis, Pierre, célébré à l’église paroissiale Sint-Petrus de La Panne, par notre aumônier, l'abée Quaegebeur.


Au centre [xx] l'aumônier Quagebeur. (Collection Paul Falkenback)

Celui-ci est ravi de célébrer enfin un baptême, lui qui célèbre (selon ses dires) trop d'extrême-onction et d'enterrements depuis ces 4 dernières années…

(Adolf Robert Quagebeur, né le 16 juin 1887 à Nieuport, aura devant lui une belle carrière: vicaire de la Panne en 1913, brancardier puis aumônier à l'Océan le 10 janvier 1915;professeur de philosophie puis Père-Supérieur au Séminaire de Roulers, vicaire général et archiprêtre, il décèdera le 1er juin 1957 à Bruges).


Marcel à deux mois (à droite de la photo) sur mes genoux, Irma Castille derrière moi. (Collection Paul Falkenback)

Les Parrain et Marraine sont : Jean (dit "Louis") Van Lommel et Joséphine Verbist (connue sous le prénom de "Maria"), deux de mes amis qui travaillent en tant que civils dans l’entourage de l’hôpital.

Jean, le parrain de Marcel, domestique à Bruxelles, a épousé avant 1914 une allemande: cela le complexera longtemps, mais la pauvre, elle n'est pas responsable de ce qui nous est arrivé !

Que doit dire notre roi, qui a lui une épouse bavaroise ?

Il travaille à l'hôpital comme serveur, il apporte la nourriture aux hospitalisés.

 

Maria, y travaille comme couturière; par la suite elle sera veuve trois fois, elle deviendra après la guerre la femme de chambre de Madame Morel à Boisfort, des anciens voisins du Dr. Depage qui l'a introduite auprès d'eux.

Nous resterons en contact de nombreuses années, principalement avec Maria, qui viendra souvent à la maison.

L'Océan désaffecté ?

En avril, comme on ouvre en Normandie l'hôpital de Mortain, de nombreuses infirmières doivent s'y rendre, il ne reste d'ailleurs plus fin avril que 40 infirmières à l'Océan, au lieu des 210 à 220 précédemment.

Début juin, une seule équipe reste en place, constituée du docteur Janssens et de 5 infirmières.

Vinckem a pris la relève.

Le docteur loge désormais dans une superbe ferme-château de l'arrière pays: le donjon des "Toreelen" situé à 200 m de Vinckem.

Moi, je reste à la villa "Sans-Soucis" jusqu'à nouvel ordre.

Tout l'été sera terrible, un déluge de feu s'abat sur le Westhoek, Vinckem comme La Panne et les autres hôpitaux du front: (Hoogstade - Belgian Field Hospital, Beveren, …) deviennent de petits postes de 200 lits dès la mi-août.

Mais Depage, malgré les ordres, résiste, ne démantèle pas son "Océan" qu'il relance: fin septembre, il est prêt alors à offrir 2500 ou 3000 lits et comme l'offensive finale approche, Mélis doit se taire, malgré qu'il enrage !

De plus, son refus se relève justifié par les événements: 4600 blessés seront soignés à Vinckem et à La Panne pendant l'offensive finale.

Voyage en Normandie :

Les températures de cet été 1918 sont élevées dès le mois de juin; le 23 août, elles atteignent plus de 30° !  Un net refroidissement n'intervient qu'après le 20 septembre.

  Mi-août 1918, à cause des combats très durs dans le Westhoek, je suis envoyée (avec mon jeune fils) au centre hospitalier belge de Mortain dans la Manche, en Normandie, à 500 km d'ici.

C'est là un grand voyage, que nous faisons en train, à partir de la gare des permissionnaires à Adinkerke, dont la ligne initialement à voie unique a, depuis 1917, été doublée.

(Gratuit d'abord jusqu’à Calais, le train l'est jusqu’à Paris depuis le 1er mai 1917.)

Au départ d'Adinkerke, notre train qui part à 18 h 25 arrive à Paris le lendemain à 10 h 10 à la gare du Nord, dont la verrière me rappelle celle de la gare centrale d'Anvers.

Nous traversons cette capitale animée en métropolitain pour rejoindre la gare Montparnasse.

Le voyage se poursuit vers la Normandie, le train nous déposant à la gare de Grandville où une voiture nous attend et nous conduit au centre hospitalier belge, l'abbaye blanche de Mortain.

L'église abbatiale des "Blanches" et les bâtiments conventuels des moniales ont été édifiés entre 1150 et 1205.

L'architecture de l'église est de style gothique primitif, cistercien, simple et austère.

Le cloître, qui comprend encore deux galeries, date de la fin du XIIe s.

Ce monastère était un séminaire avant sa réaffectation en hôpital.

Cette première nuit, j'ai bizarrement dormi: ce calme, ce silence, je ne l'avais plus ressentis depuis près de quatre ans: pas de bruit d'armement, pas d'éclair de bombe, une sérénité totale !

On se sent en effet vraiment dans un monastère voué à la loi du silence.

Je peux y observer, dès le lendemain, depuis les étages supérieurs de l'Abbaye Blanche, le Mont St-Michel à l’horizon (il est à environ 70 km d'ici, mais nous n'aurons pas l'occasion de nous y rendre).

Ce centre hospitalier belge est, comme les hôpitaux de Petit-Fort Philippe à Gravelines, et Virval à Calais, sous l'autorité médicale du docteur Depage.

Mortain était, lorsque le docteur en a été nommé responsable, "l'exemple quasi-parfait de ce qu'un hôpital ne doit pas être !" (selon ses dires).

Il y faisait sale, il fallait tout y refaire: distribution d'eau, éclairage, réseau d'égout, …

Il n'y avait même pas de réelle salle d'opération et pas d'équipement de stérilisation !

Quatre-vingts prisonniers allemands sont réquisitionnés, transportés en une nuit en automobile depuis La Panne pour transformer le séminaire de Mortain en un hôpital digne de ce nom.

En moins de trois semaines, le 14 avril 1918, Depage, malgré l'opposition du directeur en place (un médecin militaire de carrière), métamorphose les dépendances de l'abbaye, vire le directeur en place et nomme à sa place comme médecin-chef, un de ses collaborateurs de l'Océan, le docteur Van De Velde.

Nous restons à Mortain jusqu'à la fin septembre, lorsqu'on nous demande de retourner à La Panne, la situation là-bas le nécessitant.

En rentrant en Belgique, nous nous arrêtons encore à Paris, quelle ville extraordinaire, Bruxelles me semble aujourd'hui vraiment modeste.

Nous nous y laissons photographier, mon amie Céline Dierendonck, Marcel et moi, avec les nouveaux chapeaux que nous venons d'acheter, avant de reprendre le train vers le nord.

Céline, je l'ai rencontrée à La Panne, son mari Joseph tenait un magasin de chapellerie à la mer (à Ostende, je crois) et à la suite de l'avancée allemande, ils se sont retrouvés réfugiés ici avec leurs 4 fils: Jan, Etienne, Herman et Maurice.

Notre amitié restera constante et les contacts entre nos deux familles ne cesseront jamais.


Céline Dierendonck, Marcel (4 mois) et moi à Paris en Août 1918. (Collection Paul Falkenback)

Fin de la guerre:

Les effets du blocus maritime de l’Allemagne conjugué avec l’arrivée de troupes fraîches américaines vont changer le cours de la guerre: une offensive généralisée de la part des Alliés force les Allemands à reculer et c’est pour eux le début de la fin.

En juillet, Foch peut enfin passer à la contre-offensive avec les premières troupes américaines.
À partir du 18 juillet, les alliés reprennent du terrain, les Allemands sont partout repoussés.

Sur l'Yser, l'offensive finale débute le 27 septembre 1918.

Avec l’arrivée des troupes américaines et l’action spectaculaire des chars anglais, puis "Renault" français que la ligne de front sera enfin enfoncée et que la Belgique pourra être libérée.


Un des premiers tanks Renault


Tank anglais (NB: capturé et réutilisé par l'armée allemande)

Les Postes médicaux et hôpitaux de campagne :

 Des postes médicaux avancent avec l'offensive: Jonckershove à Woumen, Poelkapelle, Vijfwegen à Staden.

Deux postes chirurgicaux avancés dépendant de l'Océan sont installés en janvier à Zoetenaaie et à Nieuport.

Début octobre, le petit séminaire de Torhout accueille un premier hôpital de campagne.

Le 17 octobre, l'armée libère Brugge (un hôpital y est installé à l'Ecole normale), Gand tombe le 2 novembre.

Des postes sont aussi installés à Prinsveld (Ursel), Aalter, Waarschoot et Baarle à Drongen.

Après l'armistice du 11 novembre, le poste de Saint-Michel-lez-Bruges est rapatrié sur La Panne et Vinckem, avec l'aide de prisonniers allemands.

Ces deux hôpitaux poursuivent leur œuvre jusqu'au 15 octobre 1919.

Les méthodes médicales qui y ont été appliquées ont permis de réduire le taux de mortalité à environ 5%, ce qui est extraordinaire pour l'époque.

Quant à l'Ambulance de l'Océan, on estime que plus de la moitié des soins aux blessés en première ligne y ont été pris en charge.

Bilan:

Le nombre de blessés soignés dans les hôpitaux peut se compter comme suit:

Belgian Field Hospital Furnes (Hoogstade):              6.570

Océan:                                                                                  19.375

Cabour:                                                                     10.900

Beveren/Yser:                                                              7.986

Vinkem:                                                                       9.440

Poperinghe:                                                                 1.810

La victoire des alliés:

Le 1er août la famille royale quitte les Moëres pour réintégrer la villa Maskens sur la digue.

Le 24 octobre, le couple royal quitte définitivement La Panne et le 17 novembre, rentre à Bruxelles.


Derniers bombardements de la Panne le 16 octobre 1918

En Allemagne, dès le début novembre, la situation politique dégénère, suite aux revers de l'armée la révolution gronde, la république est proclamée le 9 à Berlin et le Kaiser Guillaume II s'enfuit aux Pays-Bas le 10 novembre.

Le maréchal Ferdinand Foch, par son offensive du 18 juillet, rejette les armées ennemies vers les Ardennes, les encercle et les force à capituler le 11 novembre 1918.


Le Maréchal Foch. Photo dédicacée au Lieutenant-Général Baron Emmanuel Joostens (1864-1943), Attaché Militaire à la Légation de Belgique à Paris (1919-1926) ("collection privée, www.ars-moriendi.be")

À 5 h 05, le 11 novembre 1918, la France et le nouveau gouvernement de la toute jeune république allemande se mettent d'accord sur le texte définitif de l'armistice.

Au terme de cet accord du 11 novembre 1918, il est décidé d'arrêter les hostilités le plus tôt possible.

A 6 heures du matin, les généraux allemands signent l'armistice avec les alliés près de la gare de Rethondes dans l'Oise.

Dans le wagon-restaurant aménagé en salle de réunion, l'amiral Wemyss, le maréchal Foch et le général Maxime Weygand mettent fin à quatre ans de guerre.


Rethondes, 11 novembre 1918. De gauche à droite au premier rang: Capitaine Marriott, Weygand, Amiral Sir R. Wemyss, Maréchal Foch et Contre Amiral G. Hope.

Le cessez-le-feu prend effet le jour même à 11 heures.

Un silence impressionnant succède à cinquante-trois semaines de bataille.

Tous les combattants veulent croire que cette guerre est la "der des der". Ce premier conflit mondial aura fait plus de 8 millions de morts.

L'armistice :

Outre la cessation des hostilités, six heures après la signature de l'armistice, celui-ci précise un certain nombre de points:

- Évacuation des troupes allemandes dans les 15 jours des pays occupés sur le front occidental: Belgique, France (y compris l'Alsace et la Lorraine), Luxembourg dans les frontières de l'Allemagne telles qu'elles étaient au 1er août 1914.

- Replis des troupes allemandes qui se trouvent actuellement dans les territoires qui faisaient partie avant guerre de l'Autriche-Hongrie, de la Roumanie et de la Turquie.

- Retrait des troupes allemandes qui se trouvent dans les territoires qui faisaient partie avant la guerre de la Russie.

- Évacuation de toutes les forces allemandes en Afrique.

- Abandon sur place du matériel militaire, les sous-marins étant livrés aux Etats-Unis.

Chez nous :

En mai, Vital est tombé malade, il souffre de gros problèmes respiratoires et se retrouve hospitalisé à l'infirmerie de sa division du 26 mai au 26 juin, puis il rejoint sa compagnie de carabiniers cyclistes.

Il est réhospitalisé du 15 au 25 octobre pour les mêmes symptômes, cette fois à l'hôpital "Cabour", situé à Adinkerke.

(l'hôpital de l'Océan a été en effet transféré à Saint-Michel-lez-Bruges dès le 8 octobre)

Je lui rends visite, laissant Marcel auprès de sa marraine; pour ce faire, je prends le tram.

En zone non occupée, ce vicinal, tout en assurant l'essentiel du transport des passagers, a joué un rôle stratégique et contribué à l'approvisionnement des populations isolées et de l'armée.

Vital tousse vraiment fort, ce n'est jamais bon.

Quoique qu'étant sa cadette, j'en profite pour le sermonner sur sa conduite puérile de ses derniers mois et il me promet de s'assagir.

Je peux comprendre qu'après ses quatre ans de tranchées, de misère, de peur, il doit se libérer de tout ce poids qui lui pèse, mais pas n'importe comment !

Après sa convalescence, le 30 octobre, il rejoint un bataillon de renfort d'instruction.

Albert restera à l'armée jusqu'au 31 janvier 1919 passant de la 2ème Escadre Militaire à la 1ère (toujours casernée à Coxyde); puis, au début de l'année 1918, à la 7ème (cette fois à Houtem près de la frontière française au sud-ouest de Furnes - ou les états-majors de l'armée et de l'aviation sont installés) enfin à la 1ère Escadre Militaire (de retour à Coxyde) en Belgique non envahie.

Les bases de Moëres et de Houtem servent également de bases à des escadrilles françaises et britanniques.

Sa « grande invalidité de guerre 14/18 » lui sera accordée suite à une tuberculose pulmonaire contractée en avril 1918 à Houtem.

Les malheurs de Paul

Paul Van Ongeval (il avait un nom prédestiné), en cette fin de guerre (le 20 octobre 1918), est très grièvement blessé près du village de Zomergem, au sud de Maldegem.

Pendant qu'il attend un officier en mission en première ligne, son véhicule est atteint par plusieurs éclats d'obus lors du bombardement de cette localité.

Grièvement blessé (des éclats d'obus ont traversé son genou droit et fracturé le fémur), il s'est d'abord trainé sur une grande distance pour trouver des secours.

Transporté directement sur un hôpital de l'arrière, il est soigné ensuite à l'hôpital d'Hoogstade puis au "Palais des fêtes", salle II, lit 9 à Gand) pendant de longs mois.

(Cet hôpital de Gand a été ouvert au moment de l'offensive de libération de la Belgique et a recueilli les blessés de l'offensive finale ainsi que les victimes de la grippe espagnole.)

En temps de guerre, il aurait été simplement amputé de la jambe mais en cet automne 1918, pris en charge par des médecins qui souhaitent tester de nouvelles techniques opératoires comme la fameuse méthode Carrel-Dakin de désinfection des plaies, ceux-ci lui sauvent la jambe.

Le résultat n'est malheureusement pas à la hauteur de leurs ambitions et Paul reste estropié.

Il marchera laborieusement toute sa vie, la jambe droite soutenue par une jambière.

Il reçoit le statut de "Très grand invalide de guerre" et la Croix de chevalier de l'ordre de Léopold II pour "son courage, son sang froid et sa bonne volonté".

Cette distinction honorifique étant décernée "en rapport avec la gravité de sa blessure et avec l'incapacité physique qui en résulté" (selon son major dans une lettre datée du 24 avril 1920 et adressée à la "Commission d'examen des droits des blessés de guerre aux décorations"), elle lui est accordée par le roi Albert le 31 juillet 1920.

Quand nous allons le visiter a Gand, il se montre désillusionné: plus jamais il ne pourra reprendre son ancien métier de chauffeur, il a déjà comme Albert et moi près de 30 ans et il est toujours célibataire.

Et comme il le dit lui-même: "Qui voudrait aujourd'hui d'un invalide comme moi ? Il ne me reste plus qu'à trouver une riche entretenue …"

S'il n'avait pas un peu raison, on pourrait sourire de sa réflexion désabusée. 

La paix :

Cette guerre finit donc bien pour notre famille: bien sûr, Pierre a eu à souffrir d'une blessure, Vital et Albert ont été malades, mais nous ne déplorons aucune perte parmi nos trois soldats et nous revenons même plus nombreux à la maison: on est parti à la guerre à quatre, on revient à cinq !

Peu de familles de combattants peuvent en dire autant…

En février 1919, Albert étant démobilisé, nous quittons la côte belge et regagnons Bruxelles.

Nous y retrouvons nos familles en bonne santé, qui n'ont pas eu trop à souffrir des quatre années d'occupation allemande.

Comme il n'est plus possible de retourner vivre à Schaerbeek, dans ma belle famille, nous louons un appartement au 25 avenue Gribaumont, près de celui de mon père, dans une rue parallèle à la rue des Chasseurs.

Il nous y a trouvé un appartement identique au sien, toujours au dessus d'un café (le café "du coin" de la rue François Gay, un tronçon de la rue du duc récemment rebaptisé en hommage à une victime de la guerre).

Nous restons à Woluwe saint Pierre jusqu'au 22 septembre 1919, date à laquelle nous allons habiter Etterbeek, au 7 de la rue Gérard non loin de la maison de mon amie Germaine Dendal.

Nous disposons là d'un appartement dans une petite maison crépie comme on en voit beaucoup dans les communes bruxelloises.

Notre famille:

Aujourd'hui, malgré que la guerre soit terminée, nous sommes comme toujours dispersés et tous les événements familiaux se passent en l'absence de la plupart d'entre-nous !

Pierre :

Pierre s’est réengagé dès la guerre terminée et est devenu l’ordonnance du Lieutenant-Général Emmanuel Florent Joostens, Attaché Militaire à la Légation de Belgique à Paris

Il épouse à Paris, à la Mairie du XX ème arrondissement, le 26 avril 1921 à 11 h, une veuve française de 33 ans, Claire Suzanne Fagnet, femme de chambre, née à Chenoise (Seine-et-Marne) le 9 septembre 1889.

De son premier mariage, elle a déjà une fille: Marguerite Gravet.

Après avoir quitté l'armée peu après leur mariage, ils s'installent et resteront vivre dans la région limitrophe des départements de l’Oise et de l’Aisne.

Leur fils Pierre Joachim nait à Montgobert (Aisne) le 4 février 1923.

Je reverrai Pierre une dernière fois peu de temps avant la guerre '40: de passage à Bruxelles, il avait réussit à nous retrouver malgré nos nombreux déménagements.

Depuis ce jour nous n'avons plus jamais entendu parler de lui ni de sa famille.

(Pierre et Suzanne décèdent loin de leur famille belge: elle, le 12 janvier 1957 à Villers-Cotterêts; lui, un an plus tard le 2 mai 1958 à Soisson.)

Vital :

Mon second frère a repris son travail de maître d'hôtel à Anvers et vit à Berchem.

Il a rencontré une jeune femme, petite, très dynamique: Irma De Grande, dont les parents travaillent, tout comme les nôtres précédemment, dans un château, celui de Oostkamp, dans les environs de Bruges.

Mes deux frères ainés ont donc tout deux épousé à la même époque une femme qui avait déjà une fille prénommée Marguerite !

Ils auront une seconde fille Suzanne née en 1927.

La santé de Vital s'est bien détériorée, la tuberculose le mine et nous devons prendre le maximum de précautions pour aller lui rendre une dernière visite, Albert et moi, au sanatorium en Campine peu avant qu'il n'y achève sa vie le 10 février 1930.

Jamais auparavant je n'avais rencontré sa charmante épouse, ni ses enfants.

Ceux-ci feront désormais entièrement partie de la famille et nous nous rendrons visite régulièrement.

Peu de temps après, en 1934, la pauvre petite Suzanne, qui avait du être mise en pension, y contracte la tuberculose, et disparait à l'âge de 7 ans.

Irma retourne vivre à Oostkamp, d'abord au château, puis, après s'être remariée, dans la famille de son second mari, Basile Van den Neucker, même après le décès de celui-ci.

Elle s'éteindra le 30 avril 1985 dans le home du village.

Madeleine :

Nous l'avons retrouvée, ma chère sœur, elle s'était mariée peu avant nous et vit à Jodoigne où elle est aujourd'hui la mère de deux garçons, prénommés Marius (né en 1915) et Edgard (né en 1917) que nous avons découverts après notre retour à Bruxelles.

Elle vivra à Jodoigne jusqu'à la fin de sa vie; devenu veuve, elle se remariera et survivra à son second époux.

Elle décèdera lors d'une hospitalisation à Louvain le 22 décembre 1958.

Joséphine :

Notre famille, depuis le 22 septembre 1919, s'est installée au n°7 de la rue Gérard.

Le nouvel appartement étant plus vaste que le coin de l'avenue Gribaumont, nous y aménageons une troisième chambre pour Joséphine, qui nous y rejoint en fin d'année et qui y trouve enfin la sérénité pour son travail de couturière loin de notre belle-mère …

Le 5 février 1935, Joséphine nous quitte, âgée de près de 42 ans.

Elle est encore jeune, mais son handicap l'a usée prématurément !

Elle nous disait toujours "je ne vivrai pas plus longtemps que notre mère", décédée elle aussi à 42 ans …

Albert :

Mon jeune frère, lui non plus n'est pas heureux de devoir vivre avec sa belle-mère.

En octobre 1920, Albert, aujourd'hui peintre en bâtiment est devenu majeur et quitte définitivement la maison paternelle.

Il va d'abord vivre chez Madeleine et Julien à Jodoigne.

Plus tard, il résidera à Anvers où je perds sa trace…

Paul Van Ongeval :

En octobre 1920, Paul est transféré à Bruxelles et se retrouve à l'hôpital de Woluwe, au parc Parmentier qui a été aménagé pour la convalescence des plus grands invalides de guerre comme lui.

Dessiné par l'architecte Lainé à la fin du XIXe siècle, comme le parc de Woluwe tout proche, le parc Parmentier occupe un superbe domaine de 17 hectares ayant appartenu à l'entrepreneur du même nom, réalisateur de l'avenue de Tervueren.

Après la mort de ce dernier en janvier 1910, sa demeure fut rachetée par l'Etat belge qui y installe de 1920 à 1925 un hôpital militaire auxiliaire.

Notons que dès 1914, la Comtesse Jean de Mérode, y crée un asile où nos premiers mutilés vécurent sous l’occupation.

Les écoles de son œuvre, « Aide et Apprentissage aux Invalides de la guerre » permettent aux invalides justifiant encore une hospitalisation, de se livrer à la rééducation professionnelle au cours même de leur traitement.

Le centre de physiothérapie et d’orthopédie de l’armée belge, jusqu'à présent en France: l’Hôpital Militaire de Bonsecours (Rouen), vient d'y être transféré, dans de vastes et confortables installations rapidement érigées par le Génie au cours du dernier trimestre 1919.

Les grands mutilés revenus de l’Yser y trouvent non seulement le gîte et la pension, mais encore la rééducation fonctionnelle avec ses ateliers de prothèse et d’orthopédie et aussi la rééducation professionnelle avec des ateliers bien outillés en vue de leur réinsertion sociale.

Il nous suffit désormais de prendre le tram vers la forêt de Soignes, en descendant au "dépôt du tram de Woluwe", ensuite de grimper la colline au-delà du pont du chemin de fer pour venir rendre visite à notre malheureux ami, dont la santé s'améliore heureusement de manière sensible.

Peu après son installation à Woluwe, il m'annonce qu'il vient de trouver ce qu'il cherchait (sic), et me présente à sa future épouse, Louise Van Hulle née le 6 décembre 1888 à Sint-Andries (Bruges), qu'il a rencontrée à Gand peu auparavant et qui s'est installée au 103, rue Clays à Schaerbeek pour être près de lui.

C'est une dame, grande et droite, instruite et distinguée mais d'aspect sévère.

Quoique d'origine modeste, elle doit avoir été gouvernante chez de riches gantois; son fiancé serait décédé peu avant leur mariage, lui laissant quelques biens: c'est tout ce que j'en saurai jamais…

Paul épousera "Tante Lou" (comme l'appellent les enfants, qui la craignent un peu) après sa sortie de convalescence fin 1921 et obtient un poste d'employé à l'Office des chèques postaux.

(Les très grands invalides, comme lui, ont une priorité à l'engagement dans ces parastataux).

Paul vivra jusqu'en 1946.

Sur son lit de mort, il me demande de ne jamais abandonner Louise, ce je lui promets et jamais je ne la laisserai; plus tard ma fille Andrée et son mari Pierre s'en occuperons jusqu'à la fin de sa vie.

Albert et Koch :

Suite à sa tuberculose pulmonaire, contractée en fin de guerre, Albert ne va pas bien.

Ce printemps 1918 à Houtem lui a été néfaste, et les médecins ne peuvent pas tuer ses microbes, car aucun traitement médical n'existe contre le bacille de Koch aujourd'hui.

Comme je veux conserver mon mari (et le père de notre fils) en vie encore de longues années, je décide donc (comme à mon habitude) de prendre la situation en main: rien ne vaut un bon régime alimentaire et une bonne cure d'air…

Nous ne pouvons nous payer le sanatorium, mais mon père et Caroline travaillent chaque été au "Château Royal d'Ardenne", un hôtel luxueux situé dans les forêts à Houyet.

Mon père (il ne va sans dire) s'y occupe des chevaux, et ma belle-mère tiens le vestiaire.

J'y envoie Albert, qui, grâce à un régime roboratif (œufs et laitage) et à l'air sain de l'Ardenne, se refait une santé en quelques mois.

Il peut alors reprendre son travail, toujours à l'aviation.

En Belgique, au lendemain de la première guerre mondiale, le commandant Georges Nélis, chef des Services techniques à l’Aéronautique Militaire, après en avoir parlé au roi Albert Ier, dont il connaît l'intérêt pour l'aviation, convainc quelques personnalités du monde de l’aéronautique, de l’industrie et de la finance de créer la SNETA (Syndicat national pour l'étude du transport aérien).

Ce Syndicat est chargé d’étudier les possibilités des transports aériens, de la mise à l’essai pratique, de la construction et de la révision du matériel nécessaire.

La SABCA (Société Anonyme Belge de Construction Aéronautique) est créée le 16 décembre 1920 pour l’entretien du matériel et la construction aéronautique (les Bollekens participent au capital de cette nouvelle société) tandis que la SABENA (Société Anonyme Belge d'Exploitation de la Navigation Aérienne) naît en mai 1923 pour l’exploitation de la navigation aérienne.

Les allemands ayant abandonné fin 1918 plus de 600 avions en Belgique, la SABCA a comme première mission l'entretien et la réparation de ceux-ci, ensuite la société produit divers avions sous licence (Morane-Saulnier MS.35, Fokker F-VII, De Havilland DH-9's, Ansaldo A.300/40's, Nieuport 29C.1's et Avro 504K's).

Compte tenu de ses qualifications professionnelles, la SABCA lui propose de travailler dans leurs ateliers d'abord à Haeren, ensuite à Gosellies.

Comme invalide de guerre, il se rend à son travail sans devoir payer son trajet, ni dans les tramways, ni dans les trains.

Une fille à présent :

En octobre 1919, je me rends compte que je suis une seconde fois enceinte !

Après un fils, Marcel, nous aurons une fille: Andrée.

Elle vient au monde, sur la table de la cuisine, le 7 juin 1920 à 7h du soir et est baptisée le 19 juin dans notre paroisse Sainte Gertrude: "Andrée, Marie, Victorine" par le vicaire Bosteels.

Sa marraine est mon amie Marie Sorée, dont elle porte le second prénom, son parrain est mon père, Pierre Jacmain, quoique le troisième prénom d'Andrée soit celui de ma défunte mère.

Nos vacances :

Dès l'été 1923, nous retrouvons la mer du nord, comme nous nous l'étions promis Albert et moi, pour des vacances en famille, à Heist le plus souvent, où nous louons un appartement.

La famille vient quelquefois nous y retrouver: en 1926, mes beaux-parents viennent y passer une journée.

Quand je suis à la mer, je pense toujours aux quatre années que nous y avons passés et il nous arrive de prendre le vicinal pour passer la journée dans cette station pleine de souvenirs.

L'ambulance de La Panne (entièrement transformée) est redevenue un hôtel aujourd'hui et notre villa "Sans-Soucis" est à nouveau une villa de villégiature.

La Kunstenaarlaan, qui séparait l'hôtel des villas, a été rebaptisée "Dr. Antoine Depagelaan".

Le Docteur Depage:

Citation rédigée à l'occasion de la remise de l'ordre de Léopold au docteur, le 15 décembre 1919:

"Médecin principal de 1ère classe, il apporta au service de santé de l'armée, le concours de son dévouement et de sa haute science.

Pendant toute la campagne, il dirigea les hôpitaux de la Croix-Rouge: Océan et Vinkem.

Il organisa au cours de l'offensive des P.C.R. qui rendirent les plus grands services"

Le 26 décembre, il est nommé "Médecin général de réserve".

(Un antimilitariste qui termine la guerre comme général, ce ne pouvait être que lui …)

Il rentre à Bruxelles en décembre 1918 et fait procéder au rapatriement du corps de Marie, qu'il fait inhumer dans le caveau de famille au cimetière de Boisfort.

Il poursuit alors en parallèle sa carrière médicale et politique.

En 1920, avec des crédits de la Fondation Rockefeller, Depage projette de créer à Woluwé un nouvel hôpital académique indépendant des pouvoirs publics, administré et géré par l'Université Libre de Bruxelles.

Ce rêve n'aboutira pas mais les fonds alloués par la Fondation Rockfeller iront à la reconstruction de l’Hôpital Saint-Pierre (devenu universitaire), achevée en 1935.

Il avait également participé à la conception du nouvel hôpital Brugmann, inauguré le 23 juin 1923, dont il devient le chef de service du département de chirurgie.

Il devient président du comité directeur de la Croix-Rouge de Belgique en janvier 1921 et  sénateur libéral (bien entendu) lors des élections de mai 1920.

Depage intervient à la tribune du sénat, entre autre, à l'occasion du vote de la loi des huit heures et de diverses lois d'ordre social ou d'hygiène publique.

Il est le promoteur de la Ligue Nationale Belge contre le Cancer et en 1923, grâce au radium acquis par la Commission d’Assistance Publique de Bruxelles, il crée avec l’Université de Bruxelles le service de radiumthérapie de l'Hôpital Brugmann.

Constitué d'un département de 20 lits dépendant de la Chirurgie, et d'un département de recherche comprenant des laboratoires de physique, de biologie, de "recherches cliniques immédiates" et de prélèvements, Depage en prend temporairement la direction.
Le 7 novembre 1924, il devient le premier président du Rotary Club de Bruxelles, dont il cède rapidement, pour des raisons de santé, le poste au Dr. Edouard Willems.

Mort d'un grand patron :

Nous apprenons par le journal le décès du docteur Antoine Depage ce 10 juin 1925 des suites d'une opération chirurgicale effectuée à La Haye par d'éminents confrères, il avait 63 ans.

Les funérailles ont eu lieu au caveau de famille au cimetière de Boisfort, le samedi 13 juin à 15h.

Lors d'un voyage au Maroc, qu'il avait effectué au printemps 1923, il avait contracté une pneumonie.

Rapidement rapatrié, sa guérison prit plusieurs mois; il dut ensuite à nouveau se ménager suite à une double phlébite.

En mars 1925, une obstruction intestinale due à une thrombose de la paroi intestinale l'oblige à subir plusieurs interventions dont la dernière, cette semaine, lui a été fatale.

Grand chirurgien, il connaissait les conséquences irrémédiables des cancers des voies digestives.

Cette maladie nécessite une chirurgie (lourde) et une radiothérapie (ce qu'il prônait généralement), mais l'espérance de vie des patients ainsi soignés reste très limitée malgré leurs souffrances inutiles.

Athée convaincu, libre penseur et franc-maçon, Depage avait décidé de ne jamais devoir encourir un tel calvaire et souhaitait s'éteindre au cours d'une éventuelle opération…

Antoine Depage était un grand humaniste et, plus simplement, malgré son caractère loin d'être facile, il restera pour moi le patron le plus intègre pour lequel j'aurai travaillé.

Je suis restée à son service plus longtemps et avec le plus de satisfaction personnelle que partout ailleurs.

Disparition de notre père.

Le 5 août 1935, c'est au tour de papa, à 78 ans, c'est déjà un bel âge.

Caroline ne reste pas longtemps à Woluwe, elle retourne dans la banlieue d'Anvers, à Borgerhout dès le 22 juillet 1936, et plus jamais on entendra parler d'elle.

Notre père était un brave homme, mais la mort de maman l'a déstabilisé: incapable de vivre seul, il s'est remarié rapidement avec une femme égoïste et autoritaire qui l'a obligé à se séparer immédiatement de ses enfants et qui a ainsi détruit notre belle cohésion familiale.

 

Retour à l'ébénisterie :

Lorsque le bois est remplacé par le métal dans le secteur de l'aviation, comme mon père dans le temps à Vorselaar, Albert perd son emploi à Gosselies.

Comme il ne souhaite pas changer de métier, il ouvre alors son premier atelier d’ébénisterie à Etterbeek. (rue du Cornet d’abord, puis au 187 rue Louis Hap avant de louer celui situé 150-152 de la même rue).

Il retrouve aujourd'hui le travail qu'il a toujours aimé, et le parfum que dégagent tous ces bois qu'ils soient indigènes (le chêne, le noyer, …) ou exotiques (comme l'ébène d'Afrique, le bois de rose d'Amérique, …) donne à cet atelier une atmosphère unique.

Nous nous installons le 28 juillet 1937 au 187, rue Louis Hap (près de la place Saint-Pierre, dans l'appartement à côté du second atelier d’ébénisterie et j'y ouvre bientôt mon premier magasin de meubles et de poteries.

C'était mon rêve depuis longtemps que de tenir un commerce de belles choses !

Et pouvoir y commercialiser la production de mon artisan de mari, quelle bonheur pour moi.

Le moment n'est pas spécialement bien choisi, pendant la crise des années '30: notre commerce nous permet de vivre mais sans faire toutefois de grandes économies. 

Albert collabore avec des sculpteurs sur bois qui sont de vrais artistes, et, ensemble, ils se spécialisent dans les styles Louis XIV et le Louis XV, mais acceptent aussi de petits travaux comme l'agencement de vitrines ou la production de plaquettes commerciales en bois (pour les pharmaciens de Bruxelles).

Mariages des enfants

Marcel se marie en 1940 avec Gilberte Cajot, ils auront 4 enfants: Marie-Louise, André, Jacques et Nadine.

Après son divorce en 1966, il se remarie avec Renée Langenaekens, ils auront un fils: Thierry.

Andrée épouse en juin 1941 Pierre Falkenback, ils n'auront qu'un fils unique: Paul.

Julia a eu deux enfants, six petits-enfants, 15 arrière-petits-enfants et plus de 20 arrière-arrière-petits-enfants…

 Elisabeth :

Chaque année, nous passons quelques semaines à la côte.

Un jour, dans les années '60, on va jusqu'à La Panne, ce qui nous amène à évoquer nos souvenirs, Albert et moi et d'expliquer à notre petit-fils Paul ce qu'on y avait vécu.

L'hôtel de l'Océan n'est plus aujourd'hui: dans les années '50, il a été détruit pour faire place à un immeuble d'appartements.

Ce qui a été le sort de la plupart des villas de la digue, y compris la "Sans-soucis" et même des villas royales; d'ailleurs, j'ai du mal à m'y retrouver à présent à La Panne.

En retournant, à Blankenberge, cette fois là, on s'est arrêté au monument au Roi Albert de Nieuport qui a été édifié en 1938 en hommage aux victimes de la 1ère guerre mondiale.

En cette fin d'une belle après-midi de juin, il n'y avait presque personne, seulement deux dames distinguées: l'une très âgée, l'autre d'âge mûr et leur chauffeur.

Immédiatement, je l'ai reconnue, c'était la reine Elisabeth !

Voulant en avoir le cœur net, on s'est informé auprès de gardien du monument, celui-ci nous a répondu textuellement: "Je ne sais pas, mais je vais demander à sa dame d'honneur !"

J'aurais bien voulu lui parler du passé, mais entretemps, elle s'est retirée discrètement.

Malgré son état de santé défaillant, (elle souffrait en effet depuis un certain temps de problèmes cardiaques), le 4 octobre 1964 elle passe encore en revue, en voiture, les combattants de 1914-1918 qui ovationnent follement leur reine des tranchées et des hôpitaux.

Le 23 novembre 1965, elle succombe à une crise cardiaque.

Départ d'Albert:

L'état de santé d'Albert en ce printemps 1965 se détériore, son cœur n'a plus 20 ans et mes enfants ont tout fait (contre notre obstination) pour nous empêcher de retourner une dernière fois à Nice où nous nous sommes fait des amis.

Cela ne nous plait pas mais, comme toujours, Pierre aura eu raison.

Cependant, il ne nous empêchera pas d'aller à la mer en ce mois de juin…

Notre docteur, malgré ses réticences, n'a pas non plus réussi à nous en dissuader !

Le mercredi 2 juin, Albert quitte notre petit appartement de la rue de l'Ommegang au centre de Bruxelles où nous habitons désormais pour aller chercher de la peinture deux rues plus loin aux établissements De Keyn.

Il n'en n'est jamais revenu ! (Et nous n'irons pas à la mer en ce beau mois de juin…)

Victime d'un arrêt cardiaque pendant qu'il attendait son tour, il a été emmené en ambulance à l'hôpital Saint Pierre où ils n'ont pu que constater son décès.

Il avait fêté ses 75 ans au printemps, leurs noces d'or l'année précédente.

Il sera enterré au cimetière de Bruxelles à Evere le samedi suivant, 5 juin, après un service religieux à la chapelle de l'hôpital saint Pierre.

Mon deuil pas comme les autres :

Je ne veux pas aller le voir à Saint-Pierre, l'enterrement ne se fait qu'en présence des hommes de la famille : Marcel, Pierre, Edgard (un des mes neveux), François (le mari de Marie-Louise) André, Paul et Jacques.

Les femmes restent avec moi pour préparer la collation pour la famille.

Je ne me mets pas en noir, il n'y a pas de deuil, je ne change pas mes habitudes et le soir même, j'ouvre ma télévision comme tous les jours…

Désormais, seul changement, la photo d'Albert, dans son fauteuil Louis XIII, figure à la place d'honneur, sur mon poste de télévision.

Albert est parti ce mercredi matin faire une course dans le quartier, il reviendra et je l'attends !

Grâce à l'insistance de Pierre (il réussi à prouver que le décès de mon cher mari était directement lié à son invalidité de 1918), je dispose d'une partie de la pension d'invalide d'Albert, ce qui me donne un complément de revenus absolument indispensable pour ne pas tomber financièrement à charge de mes enfants.

Comme le travail domestique me pèse de plus en plus (je n'ai plus 20 ans, mais quatre fois plus !), que je ne souhaite certainement plus jamais vivre chez l'un de mes enfants, en ce début novembre 1976, je viens finir ma vie au home Roi Baudouin à Woluwe saint Pierre.

Epilogue:

Le jeudi 14 janvier 1982, durant sa sieste, à l'âge de 92 ans, après une vie bien remplie, Julia rejoint enfin son Albert disparu pas loin de 18 ans plus tôt.

Son petit fils Paul en parle





 

 

BIBLIOGRAPHIE :

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