Médecins de la Grande Guerre
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D'après : "Un vaillant de chez nous, Marcel Dolhen", E. Lallemant, 18° de ligne, Édition Westmael-Charlier, Namur, 1919. Le Docteur Dolhen. Le Dr Dolhen est mort en héros sur l'Yser : tué d'une balle alors qu'il s'était porté volontaire pour gravir le parapet de la tranchée pour rechercher un blessé en avant des lignes. Cette tragédie n'a duré que quelques instants. Au rappel de cet événement beaucoup d'entre nous le trouverait banal : la Grande Guerre n'a t-elle pas engendrer dans toutes les armées combattantes de milliers de héros de ce genre ? Héros malgré eux poussés à accomplir des actes surhumains par le fanatisme, des idées suicidaires ou l'obéissance scrupuleuse à des ordres irréfléchis ? En lisant les écrits du Dr Dolhen, nous sommes obligés de laisser au vestiaire la plupart de ces conceptions simplistes sur l'héroïsme. Le véritable héroïsme, celui qui se manifeste pendant seulement quelques instants, est souvent le résultat du long travail d'un homme sur lui-même, d'une réflexion laborieuse et souvent douloureuse Ecoutons d'abord le Dr Dolhen parler adolescent de son choix d'entamer des études de médecine "Mon but, le voici (je tiens à l'écrire pour le relire aux moments de faiblesse) ; faire le plus de bien possible ; soulager les malades ; donner au prochain mon temps, mes veilles, mes peines, et faire tout cela au nom de Dieu ; puis les amener à mourir chrétiennement ; ramener les familles à la foi par l'intimité ; faire du bien par mon influence ; enfin, chercher à soulager le prochain par mes études, peut-être comme Pasteur, pour, au moment de la mort, pouvoir regarder derrière moi avec satisfaction et mourir en paix, avec espérance, soutenu dans les bras du divin Maître pour lequel j'aurai donné toute ma vie. Que c'est consolant la religion chrétienne ! Je sens des larmes me monter aux yeux ; mais des larmes de joie". Pour arriver à son but, l'étudiant Dolhen s'imposera d'acquérir certaines qualités comme l'éloquence : "Pour un médecin que ne faut-il pas d'éloquence, non de l'éloquence qui entraîne les foules mais de l'éloquence paisible, amicale, enveloppante, caressante, faite de pitié, d'intérêt, de dévouement. A cela je dois m'exercer directement. Puis il y a une chose que je puis toujours faire : c'est collectionner les écrits des autres sur ce sujet, tout ce qui peut-être consolant, réconfortant pour un malade et puis pour moi-même dans ma profession. Ce qui serait aussi très appréciable serait une démonstration éloquente de la religion car, après tout, c'est là la seule consolation péremptoire". Quand la guerre éclate, Marcel Dolhen est étudiant en médecine en troisième doctorat, interne à l'hôpital de Bavière. Réquisitionné comme médecin, bien vite il se retrouve dans les feux de l'action. A Fléron, il se porte volontaire pour remplacer un médecin père de famille dans un poste avancé. Il s'y comportera de façon exemplaire, ce qui lui vaudra une citation à l'ordre de la 3° division d'armée ; citation qu'il mit d'ailleurs en poche sans en parler. Un jour que par mégarde, le papier s'échappant de sa poche on lui demanda des explications, il répondit simplement : " Bah ! c'est pour l'affaire de Fléron ! " Marcel Dolhen suit ensuite l'armée dans son mouvement de repli. A Louvain, après 12 jours de marche et de contre-marche, il a la joie de revoir ses parents venus spécialement de Rhisnes (Namur) pour apporter à leur fils unique soutien et réconfort. Peu après le 15 août 1914, il écrira à ses parents pour les remercier de cette visite. Cette lettre est émouvante reflète la grande angoisse qu'éprouvait le Dr Dolhen à cette époque : privilégié matériellement et dans son éducation (son père était régent et sa mère institutrice), il s'interroge sur sa capacité à abandonner une vie aisée pour l'idéal qu'il s'est fixé. "Chers parents, j'espère que vous êtes rentrés en bon port et sans accroc. Vous aurez bien souvent pensé, pendant le trajet, au soldat hâlé par le soleil, endurci par la vie des camps, que vous avez trouvé ici. Je me regardais ce matin dans ma glace (c'est la première fois que je le fais depuis douze jours) et j'étais stupéfait de me voir si changé : chevelure à l'abandon, poussant librement avec le luxurieux désordre d'une forêt vierge, visage bronzé qu'encarde un collier de barbe en jachère. C'est moi ce guerrier ? Je serais donc devenu soldat pour de bon ? J'ai peine à y croire. Et quand je pense qu'il y a trois semaines je m'endormais dans ce bon lit douillet bordé par une maman attentive... Pourtant je ne regrette pas tant ces bons jours de gâterie. je suis content et je suis fier ; fier d'avoir pu me prouver à moi-même que je n'étais pas cet efféminé qu'une enfance trop choyée aurait annihilé, fier parce que je sens que je remplis mon devoir ; un grand devoir, que dans cette moisson de sacrifices et de dévouement j'ai ma part à fournir aussi large, aussi grande que je le veux , et si belle est ma part ! Jamais je n'ai apprécié notre rôle de médecin comme je le fais aujourd'hui. Je suis si heureux de me sentir utile, que par moments je me demande si je ne dois pas me réjouir que la guerre m'en ait fourni l'occasion" Marcel participe à la lutte pour Anvers et puis à la retraite vers l'Yser. Enfin fin de l'année 14 le grand orage est passé et le calme se rétablit peu à peu, si l'on peut appeler calme cette vie de tranchées où l'on recevait des coups sans pouvoir les rendre, où l'on servait de cible à l'artillerie. Les soldats s'apprêtent à passer leur premier Noël au front. Marcel écrit à ses parents le 24 décembre : Veille de Noël. La journée se termine en apothéose : dans le ciel teinté de pourpre et d'or, pas un nuage ; sur la terre, pas un bruit. Pas un mouvement dans les hauts peupliers où dorment les moineaux. Immobiles, les grandes ailes d'un moulin profilent sur le ciel leur silhouette. La lune clairette sourit dans l'azur sombre de l'orient. Les fenêtres s'éclairent dans les fermes. Pendant tout le jour, la canonnade a duré, acharnée. Maintenant c'est le calme. Toutes les querelles semblent s'être un moment calmées, comme si tous se préparaient, dans le recueillement du soir, à la Sainte Nuit. A Namur aussi, sans doute, on se prépare à célébrer Noël ? Je revois la chambre familiale avec sa tapisserie claire, sa grande table de chêne, le fauteuil où papa, la pipe aux dents, s'endort sous un monceau de journaux froissés, pendant que maman rempiète des chaussettes oubliées au fond d'un tiroir d'étudiant.(...) Bientôt au front, les fatigues minent sa constitution et une entérite persistante le force à se déclarer malade. Son journal traduit les angoisses et interrogations qui l'envahissent lorsque la maladie le tient cloué au lit : et si les planqués avaient raison ? " Je suis malade aujourd'hui. Oh ! un simple malaise : un dérangement intestinal. Je garde la chambre. Il est cinq heures. La nuit tombe. Je songe. Le vent a soufflé en bourrasques pendant la journée. Il est tombé avec le jour. De gros nuages plombés barrent le couchant d'où filtrent encore, par des fissures, des lueurs d'apothéose. Dans quelques jours je serai moi aussi lancé dans la rafale. Ce sera dur, pourrai-je y tenir ? Et tout cela pour une idée ! Une angoisse me saisit qui me crispe la gorge, l'espace d'un éclair. Et si je me trompais ? Et je pense à Roskam, à son frère(1), à tous les braves que je connais, avec qui j'ai vécu. Seraient-ils dupes ? et ceux-là auraient-ils raison qui se cramponnent désespérément à leur rond-de-cuir pendant que leurs frères vont à la boucherie ? Non. C'est impossible que l'élite morale se trompe à ce point. Impossible que soit erroné ce cri instinctif de la nature qui éclate en moi : là est ta vraie place. Mais encore pourquoi dois-je y répondre ?...Est-ce pour me procurer la satisfaction du sacrifice ? Vains mots ! Me voyez-vous après dix mois de peines et de privation blessé à mort, traîner des mois peut-être sur un lit de douleur pour mourir ensuite ? A supposer même que par l'acceptation héroïque de toutes ces souffrances une satisfaction morale me soit possible, la douleur physique sera toujours là cuisante, réelle, concrète, indéniable. Et c'est pour cela que je sacrifierais ma jeune vie ? Pour la famille, me dis-tu ? Mais ma famille à moi se résume en mon vieux père et ma vieille maman qui n'ont eu qu'un but dans la vie, ma vie à moi, belle, grande, facile. Ma mort les tuera peut-être. Pour la société ? Et pourquoi faut-il que moi, plutôt que Pierre ou Paul, je paie pour la société ? Quelle dette particulière ai-je envers elle ? -Pourquoi faut-il que Jean - parce qu'il a voulu faire ce qu'il considérait comme son devoir, - soit sacrifié alors que Paul, parce qu'il s'est soigneusement tenu loin des coups, bénéficiera du dévouement de Jean et reprendra sa vie paisible ? Ou le premier est dupe. Ou, il y a en dehors de notre monde concret, limité, un principe qui donne à l'idée son fondement dont la puissance ce continue au-delà de la mort. " Marcel Dolhen, malgré ses réticences, est contraint par la maladie de devoir quitter ses amis du front. Il est hospitalisé à Calais chez les Petites Sœurs des Pauvres mais, à peine guéri, il demande à retourner en première ligne après avoir longuement et à nouveau mûri son choix dans un questionnement douloureux. Mardi 9 novembre "Je sors d'une violente crise morale. Je tiens à consigner cette page de ma vie dans mes notes pour que, au cas où je succomberais - ce qui ne m'effraie pas - mes parents puissent revivre les heures que j'ai vécues loin d'eux, qu'ils sachent dans quelles dispositions je les ai traversées. Et je souhaite qu'ils acceptent l'épreuve comme je l'accepte. Je sors du cabinet du médecin général. On vient de m'offrir une place à la 2° D. C : j'ai refusé. Je veux aller à l'infanterie. Je l'avoue, j'ai dû beaucoup lutter, beaucoup raisonner avec moi-même pendant toute l'après-midi. Toujours surgissaient de nouvelles objections. Mon état de santé : mais je suis pour cela mauvais juge : mon individu sensible, ma bête influence toujours mes appréciations. Aussi je m'en rapporte au jugement du docteur S., que j'ai consulté à ce sujet jeudi dernier. Je me considère donc comme physiquement capable. J'aurais retrouvé R., j'aurais eu l'occasion de me perfectionner en équitation etc. J'ai tenu bon. Je dois reconnaître que j'ai su me déterminer cette fois encore librement et je crois, froidement, sans emballement. C'est là surtout ce que je redoute : un coup de tête, un entraînement irréfléchi provoqué par l'entourage, une ardeur enfantine sujette à se briser au contact de la réalité, car elle est trop dure cette réalité et bien pauvre en illusions ! Je crois pouvoir dire ceci : je sais à quels sacrifices je marche. Je sais que mon strict devoir ne me demande pas ce renoncement. Mais aussi je sais qu'en m'exposant comme je le fais je n'outrepasse pas les droits qu'ont sur ma vie mes parents. Je manquerais gravement à mes devoirs envers eux en m'exposant par exemple pour la gloire. Je sais qu'au contact de la réalité, j'aurai beaucoup de peines imprévues, peut-être même des désillusions et qu'il me faudra de la volonté, de la ténacité, plus peut-être même que je ne le crois pour rester fidèle à mon idéal. Mais je sais que cet idéal est, que le mobile qui me pousse raisonnable et sera toujours digne de tous les sacrifices." Marcel ne restera pas au front longtemps. Après quelques semaines, lui parvient l'ordre de rejoindre le service d'ophtalmologie du professeur Weckers à l'hôpital l'Océan. Malgré son désir de rester au front, Marcel obéit et se retrouve à l'arrière où heureusement le travail ne manque pas : comme en témoigne cette lettre écrite le 15 avril 1915 : "J'ai acquis une petite clientèle de paysans ; ces braves gens sont privés de secours médicaux depuis bien longtemps et ils sont si heureux qu'on veuille bien s'occuper d'eux. J'ai entre autres une petite malade très intéressante, une fillette de huit ans, rongée par une arthrite tuberculeuse qui est malheureusement bien avancée, et que je soigne surtout pour la consolation des parents. Je m'initie ainsi à ma future carrière que j'aime de plus en plus. C'est assez piquant pour nous, qui avons vu tant de douleurs, qui vivons dans cette atmosphère d'abnégation confiante et joyeuse, de se trouver devant le malheur vrai, ce qu'on peut appeler la détresse morale." Marcel avait trouvé dans son service à l'hôpital une infirmière aimante et dévouée, avec laquelle il ne tarda pas à se fiancer : A eux deux, ils formèrent une équipe soignante de choc comme cette anecdote le montre : Un jour on apporta au service des yeux un pauvre bébé souffrant de conjonctivite blennorragique. La vue est presque perdue. Le maître après avoir examiné la malade déclare qu'il reste bien peu d'espoir de le guérir : une chance sur cent. Le jeune assistant n'a rien dit, mais au dedans de lui-même sa résolution est prise. Il y a une chance sur cent, il tentera cette chance. Les lavages doivent être dosés très soigneusement, appliqués très délicatement, répétés jour et nuit toutes les heures. Il prendra cela sur lui, en surplus, sans en rien dire à personne. D'habitude, c'est là la tâche des infirmières, mais il ne veut s'en remettre qu'à lui-même... Et puis le mal est contagieux. Le jour il se fait aider par sa petite fiancée, la nuit il se fait éveiller toutes les heures ; les nuits de garde, il les passe de la salle de réception au pavillon des yeux. Et ce traitement dura des semaines, mais l'enfant ne fut pas aveugle. Quand on le présenta à nouveau au chef de service, ce fut un étonnement profond devant cette cure merveilleuse. En décembre 1916, les régiments d'infanterie ayant été dédoublés, il fallut des médecins pour les nouvelles formations. Marcel fut désigné pour le 18° de ligne, dédoublement du 8°. Ses amis voulurent le retenir à l'hôpital, alléguant ses connaissances spéciales. A ce moment même on lui offrit une place à l'artillerie. En soldat obéissant, il défendit à tous de faire la moindre démarche ; il était désigné ; il partirait. Il parti décidé et dans une lettre il décrit le but qu'il se propose dans sa nouvelle unité au front : "Le but que je me propose est celui-ci : devenir l'ami, le compagnon, du soldat, manger avec lui, fréquenter les cantonnements, les endroits où il s'amuse, vivre sa vie." Le Docteur Dolhen va réussir pleinement sa mission : et obtiendra de ses chefs une amélioration du sort des hommes aux avancées. Tout cela avec beaucoup d'humilité pour rendre ses démarches crédibles : "L'écueil que je dois éviter au bataillon, c'est de pécher par excès de zèle, de paraître un petit vaniteux qui veut tout réformer. Travaillons silencieusement et à coup sûr, ...soyons modeste" . Modeste, il l'était, dévoué, il l'était à l'excès et on l'a vu par choix personnel. A peine avait-on signalé des blessés, il partait avec l'aumônier et les brancardiers. Son dévouement lui coûta la vie. Un soir, très tard, on téléphone : " des blessés en avant des lignes ".Immédiatement on part. Un soldat détaché en sentinelle avancée sur la glace a été blessé au pied : perdant la tête il s'est découvert davantage et a été abattu. Un caporal s'élançant à son secours a été également descendu de trois balles dans le ventre. Ils gisent tous deux sur la glace de l'inondation recouverte de neige. Il fait un clair de lune effroyablement net : les Boches se rendent compte qu'il ne s'agit pas d'une patrouille, qu'on procède au sauvetage de blessés et pourtant ils continuent à mitrailler tout ce qui se présente. Un premier sergent, se portant au secours des malheureux vient encore d'être blessé à la main. L'aumônier à son tour y va une première fois : il traîne un des blessés sur un espace de quelques mètres puis, sans prise sur la glace trop glissante, devant la fusillade qui redouble, il y renonce. Changeant de tactique, il court au poste le plus voisin chercher des cordes pour haler le blessé. Il se porte de nouveau jusqu'à lui, attache la corde et revient. Doucement on tire : malheur ! la corde casse. A ce moment le cher docteur ne veut plus que l'aumônier s'expose : il ira lui aussi. Avant de s'en aller il se confesse brièvement. Il rampe, le voilà arrivé : il accroche une double corde aux pieds du blessé, il revient en rampant sous le feu qui redoublez. Bientôt il va être à l'abri : deux mètres seulement le séparent de la tranchée. Un cri soudain : " je suis blessé. Aumônier, vite l'absolution." Et pendant qu'on le ramenait, il priait tout haut, faisant des invocations qui arrachaient des larmes aux assistants. On l'emporte, on le soigne et pendant le long trajet sur les passerelles, pendant son transfert en auto à l'hôpital, pas une plainte, pas un cri. Il arrive mourant dans cette maison qu'il avait quittée trois semaines auparavant et où il avait sa fiancée. Accourue à son chevet, celle-ci n'eut pas la consolation de recueillir ses dernières paroles : il était dans le coma. Au petit matin, le sept février 1917 il rendait le dernier soupir. Conclusion: L'instant d'héroïsme se prépare de longue date Le vrai héros, celui qui a le choix entre deux solutions : et qui choisit la solution du sacrifice ne réfléchit pas : il s'élance sans hésiter car dans chacune de ses fibres musculaires s'est imprimé de façon indélébile et inconsciente (le héros doutera de lui-même jusque bout) une conviction, celle qui répond à la question qu'il s'est mille fois posée dans l'angoisse, à chacune des étapes de sa vie, à chacun de ses choix Une conviction, une vérité accumulée jour après jour, en couche de plus en plus épaisses au plus profond de ses fibres et trop précieuse pour être confié à un cerveau. Le cerveau humain n'est-il pas, en effet, un merveilleux instrument de questionnement mais un piètre gardien de la vérité car par sa fonction critique continuelle il remet tout constamment en cause jusqu'aux vérités que lui même a décelés dans le monde, la vie, sa propre existence et celle des autres. Nous terminerons cet article en donnant la parole à la fiancée (2) du héros qui écrit aux parents qui viennent de perdre leur fils. N'était-elle pas elle aussi une héroïne ? A vous de juger ! Comme je vous l'ai promis, je deviendrai votre enfant. J'irai habiter avec vous : je ne vous quitterai plus que pour partager mon temps entre mes chers parents et vous. Ils me le permettront, j'en suis certaine : je resterai leur enfant tout en étant le vôtre et remplaçant Marcel auprès de vous. Ma sœur et moi nous continuerons à travailler jusqu'à la fin à l'hôpital où je travaille depuis deux ans et où Marcel a vécu avec moi pendant dix mois. Ici tout est souvenir pour moi, tout me le rappelle... Ainsi, il reste aussi vivant pour moi que s'il était ici. Dès que cela me sera possible, j'irai près de vous ; en ce moment les circonstances ne le permettent pas, mais donnez-moi de vos nouvelles, dites-moi que vous avez du courage, que vous supportez l'épreuve avec résignation. Marcel nous a donné l'exemple du plus grand sacrifice : imitons-le tous trois. Je me sens déjà votre enfant, Parents bien-aimés, je vous aime pour Marcel, pour moi-même. Acceptez toute mon affection. Bientôt, j'espère que je vous serai réunie pour ne plus vous quitter. Bénissez votre enfant ". (1) Roskam et son frère : il s'agit sans doute des deux héros du 18° de ligne dont l'auteur du livre à la mémoire de Marcel Dolhen fait mention dans sa préface sous ces termes : " Et cet autre enfant du peuple, de sentinelle en petit poste avec son frère, qui voit tomber celui-ci et qui, malgré la mort d'un frère, malgré le bombardement qui fait rage, reste à son poste jusqu'à la nuit, jusqu'à la relève. " (2) Sur le comportement de la fiancée (le nom de cette
infirmière ne nous est pas renseigné) du Dr Dolhen, J De Launoy dans son livre
( "Infirmières de guerre en service commandé" Édition universelle
Bruxelles ,1936.) nous livre son témoignage : Mardi 6. Revue. Tout a été répété, travaillé, exercé après les heures de service. La représentation est réservée aux médecins et infirmières. Les chansonnettes de certains médecins sont très amusantes. Le sketch de Miss White aussi. Le mien ?!...enfin tout le monde est content. Mercredi matin 7 : Revers de médaille, émotion intense succédant à la fête de la nuit... Le fiancé de la pauvre petite H.van A... est amené blessé à mort. Trois ou quatre brancardiers s'étaient portés déjà au secours d'un patrouilleur blessé en avant de la première ligne et avaient été atteints ; le docteur Dolhen partit lui-même et fut frappé d'une balle qui traversa le thorax après avoir traîné le corps du soldat jusque contre la tranchée belge. H.van A... resta jusqu'à la fin près de lui ; je la revis le matin de sa funèbre garde plus blanche que le mort qu'elle avait veillé. On voulut l'envoyer se coucher quelques heures. " Laissez-moi reprendre mon service de suite, répondit-elle, c'est la seule chose capable de me soulager. " Depuis, quand elle a des mourants dans sa salle... parfois plusieurs ensemble elle prie tout haut et comme elle souffre... tout le monde répond, même ceux qui ne prient jamais. Jeudi 8 : Obus de 120 sur le champ d'aviation... on voit tous les avions qui s'envolent au plus vite. La nuit, série de bombes et série de blessés. Travail terrible. Six ou sept médecins et cinq infirmières jusqu'à minuit dans la salle d'opération de la réception. Vendredi 9 : Bombes... Enterrement du Dr Dolhen... Et H. qui conduit le deuil très courageusement comme toujours... M. Depage fait un discours senti... il a du cœur, s'il est parfois brusque... je l'ai vu pleurer à grosses larmes du reste devant un très jeune homme qui le suppliait de ne pas lui amputer les jambes... "Je serais ton père... je le ferais " répondait le professeur ! |