Médecins de la Grande Guerre
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Henriette van Acker et
le Dr Robert Schùermans : un duo extraordinaire Réfugiée en Angleterre, avec sa mère et ses sœurs, Henriette van Acker voulait, comme ses frères mobilisés, être partie prenante dans cette guerre si terrible. L'occasion se présente enfin. Une formation accélérée pour devenir infirmière lui est proposée, ainsi qu'à d'autres jeunes filles ayant fuit la guerre avec leur famille, dans ce beau pays accueillant, l'Angleterre. Henriette n'hésite pas un instant. Son admirable mère, ayant déjà deux fils au front, l'encourage. Henriette a traversé la mer, son certificat d'aptitudes en poche pour travailler dans l'hôpital l'Océan créé à La Panne par le Dr Depage et la Reine Elisabeth. Elle n'a guère le temps de rêver au temps qui passe, à sa jeunesse (elle a vingt ans !) qui ne devrait lui apporter que du bonheur. Les combats sont féroces, les blessés affluent. Le son du canon rythme ses nuits trop courtes. Elle court d'un lit à l'autre, réconforte, soigne, avec son sourire, la douceur de sa main qui se pose sur un front, n'hésite pas une seconde devant les plus basses besognes : lavements, panne, vomis... Parfois, épuisée, elle s'endort dans un transat, sur la terrasse d'une ancienne chambre de l'hôtel. Un soir, elle croit caresser le chat qui a sauté sur ses genoux : horreur ! C'est un rat bien nourri que sa main touche. Un soir, un bombardement violent sur la région. Des quantités de maisons sont touchées, des gens blessés ou mourants. On a évacué l'hôpital dans les caves, arrangées en abri. Tout le monde n'a pas pu y descendre. Les blessés les plus graves sont intransportables. Henriette, tout simplement, reste avec eux, les réconforte, les fait rire même, essaye de masquer sa peur, tient la main d'un jeunot qui appelle sa mère. Voilà comment elle est Henriette. Elle trouve que tout cela va de soi, elle ne fait rien d'autre que son devoir, celui qu'elle a choisi de faire. Et elle est bien étonnée quand, après cette nuit terrifiante, elle est proposée pour être citée, pour son courage, à l'ordre du jour de l'armée ! Mais les infirmières n'ont pas reçu la considération et les honneurs qui leur étaient du. Jane de Launoy le déplore dans son livre, le seul écrit, à ce jour, à leur sujet. Quelqu'un l'a remarquée. C'est le docteur Dolhen. Un beau garçon, plein d'humour, de joie de vivre, de courage. Bientôt l'amour nait dans cet enfer. Marcel Dohlen à un ami très cher, Robert Schùermans. Ce dernier travaille sur le front, dans les tranchées. Il a fait ses études avec Marcel. Ils ont des tas de projets pour après cette guerre. Ils sont tous les deux plein d'espoir. Ils adorent leur métier. Ils le pratiquent avec enthousiasme. Marcel lui présente sa fiancée. C'est ainsi qu'ils font connaissance. Les combats continuent, s'intensifient. Robert est blessé dans une tranchée par des éclats d'obus. Il a la gorge ouverte et un œil perdu. Il voulait devenir chirurgien, voilà un rêve qui s'envole. Ce jour là, Henriette travaille intensément. Un afflux de blessés de tout bord. Pas une minute pour elle. Elle aspire à la nuit pour prendre un peu de repos. Soudain, on apporte un héros. Il a donné sa vie pour sauver un soldat, tombé entre les tranchées. Personne n'arrivait à le tirer de là. Lui n'a pas hésité. Le soldat, quoique blessé sérieusement, est ramené en sécurité. Au moment où le courageux sauveur le bascule par dessus le rebord de la tranchée, un coup de feu, il est blessé à mort. C'est Marcel Dohlen, son fiancé. Henriette le veille toute la nuit. A l'aube, il meurt dans ses bras. Son fiancé mort, elle n'est pas allée pleurer dans sa chambre, elle est restée, à travailler, soigner, sourire, réconforter, et ce, jusqu'à la fin de la guerre. On lui a donné la Médaille de le Reine Elisabeth, avec Croix rouge, la Médaille commémorative de la guerre de 14-18, celle de la Victoire. Sa santé en a pris un coup aussi, on la déclare invalide de guerre - 6 chevrons de front. La guerre est finie. Avec comme souvenir tangible un carnet, où les blessés qu'elle a soignés lui ont manifesté leur reconnaissance de façons diverses, elle rentre à Bruxelles. Elle retrouve sa famille. De son coté, Robert Schùermans, guéri de ses blessures, a reprit son travail, aux premières lignes, dans les unités combattantes. La médecine est pour lui comme un sacerdoce. En 1916, il avait reçu la Croix de Guerre avec Citation : "
A Eegevaartskapel, où se trouve au repos le 4ème
Chasseur à cheval, le cantonnement est copieusement bombardé par l'aviation Allemande.
L'adjudant Schùermans, sans se soucier des obus,
traverse la zone bombardée pour chercher le matériel et les médicaments
nécessaires pour soigner les nombreux blessés." Volontaire de guerre, en tant qu'adjudant-médecin, en 1914, il est nommé sous-lieutenant, en 1917, Invalide de guerre, il a 8 chevrons de front. Il aurait préféré garder son œil et devenir Chirurgien. Mais au moins, il est vivant, lui ! L'armistice le retrouve, nanti de médailles qu'il a bien méritées : Il est fait Commandeur de l'Ordre de Léopold II, avec glaive, Officier de l'Ordre de Léopold avec glaives, Officier de l'ordre de la Couronne avec glaives, Croix de Feu et Croix de l'Yser. Quand il se rend à l'université passer ses derniers examens, comme il doit ressentir l'absence de son ami ! Le nom de Marcel Dohlen figurera sur le tableau d'honneur aux murs de l'Université de Liège. Bien sur il gagnera d'autres médailles, aussi prestigieuses, plus tard, (dans le civil Médaille de bronze du Carnegie Hero fund et d'autres, militaires encore, en 1940) mais nous sommes en 1918. La Grande Guerre est terminée. Il peut reprendre le cours de sa vie, interrompu depuis 4 ans. En 1920, Robert épousa Henriette. Ils eurent 6 enfants. Je suis la dernière. Ils n'ont jamais oublié Marcel. Leur second fils porte son prénom. Quand Henriette avait décidé de suivre une formation accélérée d'infirmière, en 6 mois, à Londres, ce n'était pas dans le but d'en faire une carrière, mais uniquement de soigner bénévolement, mais avec compétence, les blessés de guerre, au front. Après la guerre de 14-18, elle n'a plus employé ses talents et son expérience en dehors du circuit familial. Ce qui ne l'a pas empêchée de se dévouer autour d'elle, dans le cercle paroissial, en tant que Dame de charité de St Vincent de Paul. De plus, mère de six enfants, elle a été très attentive à leur éducation, les entourant de son amour et de sa tendresse. Ensuite, pendant la guerre de 40-45, malgré sa santé souvent défaillante, elle a été très active dans les organismes divers qui s'occupaient, entre autres, des familles de prisonniers de guerre. A ce sujet je me souviens précisément d'une anecdote dont je fus partie prenante malgré moi. Ma mère, avec d'autres personnes, qui étaient également bénévoles dans ces organisations, (je suis désolée, mais j'avais 5 ans au début de la guerre, je ne me souviens pas des noms de ces organisations philanthropiques) avaient organisé un gouter pour les enfants de prisonniers, dans un local du Parc de la Boverie, qui avait été une patinoire à roulettes en d'autres temps. Nous habitions en face de ce parc. Je me souviens que j'étais habillée avec un training tout neuf et je jouais tranquillement au salon, quand maman est arrivée toute essoufflée : " Ote ton training, me dit-elle, tu en as encore un autre. Il y a, à ce gouter, un petit garçon de ton âge. Il est arrivé (nous étions en plein hiver) vêtu seulement d'un tablier de coton. " L'échange a été fait en un clin d'œil. Je me suis retrouvée avec mon vieux training et maman courrait déjà vers le parc pour habiller ce pauvre petit avec le nouveau. J'avais six ans. Je n'ai jamais oublié ça. Ma mère était quelqu'un de formidable ! Pendant les bombardements de 1944, maman s'est réfugiée à Spa avec une de mes sœurs et moi. On y a vécu la Libération, puis à Liège, le reste de la famille a failli mourir : un V1 s'est écrasé sur notre maison et tous étaient alors dans la cave. Personne n'a été blessé mais mon frère est allé passer ses examens à l'Université en pyjama ! Mes frères, qui étaient déjà dans la Résistance, se sont engagés, l'ainé dans le Génie (il était architecte), le second dans la Brigade Piron et le plus jeune s'est retrouvé en Irlande, avec son bataillon, pour sa formation militaire. Mon frère ainé avait participé au sauvetage des cloches pendant la guerre. Il a écrit un livre là dessus et il y a eu une exposition à Malmédy, il y a quelques années, sur ce sujet.(" Les Cloches dans la Tourmente " Harry Schùermans) (
Bien sur, le sujet pour vous, c'est la guerre de 14-18, et la suite pour les
anciens combattants divers, mais je pourrais vous en raconter pas mal sur la
guerre suivante, vue par les yeux d'une petite fille.) A la fin de la guerre, on est tous
revenus à Liège, dans une autre maison. Malheureusement la santé de maman
déclinait de plus en plus. Malgré tous les efforts de mon pauvre papa, elle est
morte le 28 aout 1946. Pour Robert, le décès de son épouse tant aimée fut un coup terrible. Etant médecin, il devait souffrir d'autant plus, de n'avoir pu la guérir ! Oui, médecin il l'était bien. Pour lui c'était un sacerdoce plutôt qu'un métier. Après la fin de la guerre de 14-18, comme il ne pouvait pas devenir chirurgien, il a choisi d'être généraliste. A cette époque, ce terme impliquait bien plus de choses que de nos jours. Il y avait peu de spécialistes et les gens n'allaient les trouver que pour des raisons très graves. On se méfiait un peu des hôpitaux, les femmes accouchaient chez elles, par exemple. Donc, les généralistes s'occupaient des accouchements, (c'est mon père qui nous a tous mis au monde, nous six, et aussi les enfants de ma sœur et les miens, ces derniers à la clinique, bien sur.) Papa en a pratiqué des quantités, suivant attentivement les grossesses de ses clientes. Il soignait les maladies diverses, et même les blessures graves. Il avait un certain plaisir à recoudre une plaie, entamer un doigt blanc pour en ôter le pus, pratiques qui sont maintenant réservées aux chirurgiens. Il soignait les fractures aussi et je me souviens qu'il a aidé un chirurgien de ses connaissances à opérer une appendicite dans son cabinet médical ! Il s'agissait d'une amie de ma sœur, laquelle a été comme ça " hospitalisée " chez nous. (Mon
frère, enfant, à qui on demandait ce que
faisait son papa, a répondu ingénument : " mon papa répare les madames et les trottinettes.") Mon père avait plusieurs cabinets médicaux, il était aussi médecin des écoles et des institutions, comme un orphelinat à Wandre et un autre au Vertbois, (Liège) qui l'avaient pris comme médecin traitant des enfants hébergés là bas. En plus, il participait et organisait des séminaires et des conférences médicales, en Belgique et aussi en Allemagne. Il était aussi professeur d'anatomie (bénévole) à l'école d'infirmières de Beauregard (Liège) et ce pendant des années, même encore après la guerre de 40-45. Entre les deux guerres, il était donc excessivement occupé. Infatigable, il adorait sa profession et la pratiquait avec passion. Il a d'ailleurs failli perdre la vie pendant les inondations de Liège, en 1926. C'est ainsi qu'il a été honoré par la Médaille de bronze du Carnegie Hero Fund et par la Croix Civique de 2ème classe, décernée par la Ville de Liège. Voici l'épisode qui lui valut ces récompenses : Au mois de Janvier1926, la Meuse ayant débordé, toute la ville était inondée. Le courant du fleuve était tel qu'aucune barque ne pouvait s'y risquer sans chavirer aussitôt. Comme je disais, mes parents habitaient près du parc de la Boverie, sur la rive droite de la Meuse. Mon père reçu un appel angoissé de l'orphelinat du Vertbois : un petit garçon se trouvait si gravement malade que sa vie semblait en danger. Personne ne savait que faire. Le Vertbois se situe sur la rive gauche de la Meuse. Pas de possibilité de traverser en barque, le pont lui même était impraticable. Que faire ? Robert n'a pas hésité. Pendant la Grande Guerre, il était dans une unité de cavalerie. Il pratiquait régulièrement ce sport depuis lors. Il partit à cheval pour la traversée du fleuve en crue. Arrivé à l'orphelinat, il franchit, en les escaladant, les grilles et le mur d'enceinte et il arriva enfin auprès du petit malade. C'était la diphtérie ! Sans sérum, l'enfant allait passer. Mon père a recommencé la périlleuse traversée du fleuve pour chercher le sérum en question, ensuite, toujours à cheval et trempé, il est revenu soigner l'enfant qui lui a dû la vie. Un habitant du quartier, journaliste à la" Gazette de Liège ", a photographié Robert pendant l'escalade et c'est comme ça que son exploit a été connu et récompensé. Après cette équipée, mon père a failli mourir d'une pneumonie. C'est à la suite de cette épisode qu'il décida un pèlerinage à Lourdes. Médecin du Train Blanc, il fit ce voyage chaque année jusque dans les années 50-60, avec interruption pendant les années de guerre. Il en fut récompensé cette fois par les autorités de l'Eglise. Il reçu les Croix de Chevalier de l'Ordre de Saint Grégoire le Grand et celle " Ecclesia et Pontifice " Entre les deux guerres, Robert, officier de réserve, avait été promu successivement sous-lieutenant, puis lieutenant, capitaine en 1924 et Major Médecin en 1938, après avoir réussi les examens pour être officier supérieur. Mobilisé en 1939, il fait la campagne des 18 jours comme Major Médecin commandant le service des Ambulances médicales du 3ème corps d'armée. Fait prisonnier avec son ambulance, il est reconnu par un Officier Allemand, lequel le connaissait parce qu'il avait fait des séminaires avec lui avant la guerre. Cet Officier lui a proposé de le relâcher. Mon père accepte, à la condition que ses subordonnés soient aussi libérés sur le champs. Ce qui fût fait. Après cet épisode, mon père a essayé de rejoindre les troupes belges pour continuer la lutte contre les envahisseurs. En chemin, il est à nouveau fait prisonnier et est encore une fois relâché, cette fois parce qu’il porte un nom flamand ! Cependant, la capitulation étant advenue, il est rentré dans notre maison de Liège. Mais dans les bouleversements et les confusions qui ont eu lieu à cette époque, il a été compté parmi les disparus. Maman et ses six enfants étaient réfugiés en France et, là où nous étions, elle a reçu la nouvelle de sa disparition. Pendant plusieurs semaines, elle a cru qu'elle ne reverrait plus son mari et qu'elle devrait assumer seule l'éducation et la charge de ses six enfants. Heureusement, papa a réussi à nous localiser en France. Il a écrit à maman et je me souviendrai jusqu'à la fin de mes jours de ses larmes de joie quand elle a reçu ce courrier. Nous sommes rentrés chez nous dès que cela a été possible. Après la guerre, mon père a reçu la Médaille commémorative de la guerre 40-45 et il fut nommé Officier de l’Ordre de Léopold avec glaives. Robert a pu bientôt recommencer à soigner le plus de gens possible. Les temps étaient durs. L'argent manquait et mon père soignait le plus souvent gratis. Parfois un client payait en nature : ainsi j'ai pu avoir un lapin bien vivant pour jouer, mais hélas il termina sa vie dans la casserole quand il fut à point ! Une autre fois, ce fût le souvenir de la Grande Guerre qui resurgit pour Henriette. Ce n'était pas facile de trouver de la nourriture à cette époque pour ses six enfants ! le hasard fit qu'elle fut reconnue un jour dans la rue par un de ses anciens blessés. Cet homme se livrait au petit jeu dangereux du marché noir. Reconnaissant envers son infirmière, il se chargea de nous ravitailler. Encore une anecdote, cela n'a pas un rapport direct avec la guerre, mais c'est si beau ! Mes frères étaient mobilisés volontaires. Mes sœurs et moi nous étions à Spa, avec maman. Papa était à Liège, continuant de soigner ses clients, dans un cabinet médical de fortune, dans une maison amie. Nous étions le 8 janvier 1945. Il y avait ce jour là tout juste 25 ans depuis le mariage de mes parents. La bataille des Ardennes n'était pas encore terminée, les trains ne circulaient plus, il y avait belle lurette que mon père avait eu sa voiture confisquée par les Allemands, de plus il y avait plein de neige partout et bien sur personne n'avait le temps de déblayer quoi que ce soit et surtout pas les routes. Tout à coup, une silhouette de bonhomme de neige s'approche de la maison et patauge dans les congères. On ouvre la porte et Henriette tombe dans le bras de Robert ! Il était venu A PIEDS, dans la neige et le froid, depuis Liège, pour être avec elle ce jour là. Que vous dire de plus ? Robert Schùermans, mon cher papa, est décédé à l'âge de 88 ans, en avril 1976. Il a exercé son métier jusqu'en 1971. Il avait alors 83 ans. Il est venu habiter alors tout près de chez moi. Mes enfants l'adoraient et il a eu le bonheur, avant son décès, de voir notre fille ainée bien engagée déjà dans les études de médecine. Il a eu une vie bien remplie. Il a eu des moments tragiques. Il est resté 30 ans veuf et mon second frère, Marcel, est mort à 37 ans dans un accident d'avion. C'était un homme intègre, courageux, toujours optimiste, un père comme on en souhaite à tout le monde et Henriette van Acker, sa chère épouse, fut elle aussi un exemple de courage et d'amour pour les autres et pour ses enfants. Mon plus lancinant regret est de l'avoir si tôt perdue. Je suis fière d'être leur fille. Marie-Claire Schùermans
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