Médecins de la Grande Guerre

Le brancardier Henri Juckler.

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Le brancardier Henri Juckler.

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Juckler Edmond

Ses états de services depuis son incorporation jusqu’à sa démobilisation (extrait de son dossier militaire)

Un autre extrait de ses états de service. C’est son écriture, les dates sont plus précises.

Reconnaissance de son cran et de son courage par le commandant de sa compagnie.

Sa citation et sa décoration pour son intrépidité.

Le secteur de l’attaque Alesia, Catinat et Papegoed, le champ de bataille de ses exploits comme brancardier. Une carte française issue du JMO du 233ème RI alors présent dans le secteur. Carte de 1917, au temps où le secteur était occupé par les Français.

Les arbres mutilés par les bombardements dans les positions belges à Boesinghe (fin 1917). Henri Juckler est présent dans ce secteur avec le 24ème régiment de ligne. (Coll. Personnelle.)

Les arbres mutilés par les bombardements dans les positions belges à Boesinghe (fin 1917). Henri Juckler est présent dans ce secteur avec le 24ème régiment de ligne. (Coll. Personnelle.)

Les arbres mutilés par les bombardements dans les positions belges à Boesinghe (fin 1917). Henri Juckler est présent dans ce secteur avec le 24ème régiment de ligne. (Coll. Personnelle.)

Des corps de soldats allemands retrouvés après un bombardement. Ils devaient avoir été tués l’année précédente car la végétation avait déjà repoussé

La photo de Henri Juckler pour le Livre d’Or des Croix du Feu. Elle date de sa présence à Velaine-sur-Sambre.

La forêt de Houthulst, le terrain devant être attaqué par les 24ème, 23ème et 4ème de ligne.

Une des fortifications de Stampkot (trouvée sur internet)

Sa présence en Palestine.

Un résumé de sa vie civile et religieuse avant de rejoindre le front en 1917. (Source : son dossier religieux aux archives ecclésiastiques de Namur)

Le brancardier Henri Juckler

Recherches faites par Christian Philippart

Un trait de généalogie



Juckler Edmond

Juckler Edmond, tailleur d’habits.

Né le 9 janvier 1859 à Lesve, Edmond Juckler épouse, le 3 janvier 1885, Joséphine Catherine Borbouse, une jeune fille, née en 1860, à Arbre, un village voisin mais faisant partie de la même paroisse.

Il y exerce le métier de tailleur d’habits, au 76 de la rue des Hayettes. De cette union, naîtront cinq enfants, une fille et quatre garçons : Léon, le 19 avril 1885, Joseph, le 26 mars 1887, Marie, le 1 décembre 1890, Henri, le 5 février 1893 et enfin Valère le 12 février 1902. C’est du moins la composition de famille que donnent les archives consultées.
Léon et Henri participeront à la grande guerre.

Henri, le prêtre



La photo de Henri Juckler pour le Livre d’Or des Croix du Feu. Elle date de sa présence à Velaine-sur-Sambre.

Après ses classes, faites à Lesve, à l’école maternelle tenue par les sœurs de Pesche puis à l’école communale primaire tenue par messieurs Jules Demeuze, instituteur en chef et Victor Bienfait, instituteur, il entreprend, en 1905, des humanités au juvénat des pères du Sacré Cœur de Jésus. Une institution française « exilée à Lesve » en 1903 suite aux lois anti cléricales votées à l’époque.

L’étudiant est doué et continue ses études de philosophie au scolasticat de Nazareth puis sa théologie au scolasticat à Bethléem (Palestine). Le 5 janvier 1914, il reçoit la tonsure des ordres mineurs à Jérusalem par le patriarche Philippe Camassei.



Sa présence en Palestine.

Rappelé sous les drapeaux, il interrompt momentanément ses études pour rejoindre l’armée belge derrière l’Yser.

La guerre

C’est donc au séminaire de Lestelle-Betharram (Pyrénées France) qu’arrive sa convocation envoyée en 1915 par le bureau de recrutement de Bordeaux. Les études entreprises retardent son engagement. Il ne rejoindra qu’en 1916 pour être dirigé vers les Troupes Auxiliaires du Service de Santé : (TASS).

Le 15 avril 1916, il rejoint l’armée belge et versé au CIBI (le centre d’instruction pour brancardiers d’infanterie) à Auvours (Normandie).

Le 30 mai 1916, il passe au TS (le train sanitaire) à Calais.

Le 13 février 1917, on le retrouve au CIBI à Auvours. Il termine son instruction, il va recevoir son équipement avant de partir au front.

Le 8 mars 1917, il reçoit son affectation pour la 1ère division et directement affecté à la 3ème compagnie du 24ème régiment de ligne.

A peine arrivé dans son unité, il reçoit bien vite son baptême du feu. Le 26 mars 1917, son régiment se lance à l’assaut des bunkers de Stampkot. Une position bétonnée qui abrite quantité de postes de mitrailleuses qui balayent la plaine. Cette position est couverte par de l’artillerie. Une attaque qui ne réussit pas et le régiment comptera des morts et quantité de blessés. La guerre de positions reprend ses droits, le régiment défend un secteur entre Pervyse et Boesinghe avec les 4ème et le 23ème de ligne guettant l’ennemi de tranchées en tranchées, entreprenant parfois quelques raids sur les lignes adverses, d’autres fois, repoussant les assauts de l’adversaire en s’accrochant au terrain. Les Allemands tenteront plusieurs fois de percer le front au début de l’année 1918. En vain.



Une des fortifications de Stampkot (trouvée sur internet)

Le quotidien des brancardiers n’est pas de tout repos. Outres les blessés par faits de guerre, il faut également transporter les malades atteint par les maladies dues au manque de soins et de nourriture, occasionnées par le froid et l’humidité. Henri fait preuve d’un moral d’acier, réconfortant sans cesse ses frères d’armes.

Eté 1918, après de violentes attaques allemandes et les répliques de nos défenseurs, le sort des armes bascule à l’avantage de nos troupes.

L’offensive décisive est déclenchée

La position de Craonne (en Belgique) est un objectif pour les 4ème et 24ème régiments de ligne, puis c’est l’attaque sur les tranchées du Tour. Le 11 septembre, ce sont les combats devant la ferme Papegoed. Le terrain où se fait remarquer Henri Juckler par son cran, « une intrépidité, un mépris du danger »

Henri, ayant fait preuve de courage durant les combats, est cité à l’ordre de la division.

La grande offensive continue. Les Allemands reculent non sans opposer de violentes répliques. Leur artillerie est encore très efficace et pose encore bien des problèmes à notre infanterie qui avance en terrain découvert.

Le 28 août 1918. « Le terrain de l’attaque, complètement dénudé, criblé de trous d’obus presque jointifs, ravagé par des pilonnages successifs de 1917 et 1918, évoquait l’image de paysages lunaires troués de cratères bossués et chauves et offrait des difficultés sérieuses à la progression. D’autres parts, les Allemands l’avaient organisé formidablement pour la défense. Ils avaient échelonné six lignes de résistance successives. Le 28 septembre, à 2h 30, 1104 pièces d’artillerie belges, françaises et britanniques de tous calibres, ouvrent le feu.



Les arbres mutilés par les bombardements dans les positions belges à Boesinghe (fin 1917). Henri Juckler est présent dans ce secteur avec le 24ème régiment de ligne. (Coll. Personnelle.)

Pendant trois heures, le tonnerre gronde. A 5h 30, l’heure H sonne, la 7ème division (formée du 4ème, 23ème et 24ème régiments de ligne) s’attaque à la position formidable qu’est la forêt de Houthulst ».

Le 28 septembre 1918, donc les lignards des 4ème, 23ème et 24ème de ligne doivent enlever « la meurtrière, l’imprenable forêt d’Houtulst, vraie forteresse contre laquelle se brisa l’offensive franco-britannique en octobre 1917 ( ) cette forêt constitue un fouillis inextricable d’arbres mutilés, déracinés, enchevêtres que des réseaux de fils de fer entremêlent de leurs lacets capricieux. Et sous tout cela, des embûches cachées, des trous d’obus, des eaux croupissantes, des nids masqués de minnenwerfers, des mitrailleuses qui, perfidement embusquées, attendent le moment de déclencher leurs fauchaisons meurtrières ». « Notre avenir est devant nous, sur ce sol labouré et stérile où nous allons courir, la poitrine et le ventre offerts. »[1]

Le 29, les 4ème, 23ème et 24ème de ligne achèvent la conquête de la formidable forêt d’Houthulst et poussent jusqu’au ruisseau Zarrenbeek, après s’être emparé du village de Stampkot ».

Le soir du 30 septembre, nos troupes se trouvent en contact avec la position de repli construite par les Allemands en 1917, la fameuse Flandernstellung I et la non moins terrible position Hildenburg. Henri Juckler y est présent.

Un combat terrible, à la mesure de l’enjeu que représente cette forêt au milieu de la plaine flamande : « Les compagnies accomplirent sur ce terrain ravagé, semé de mille pièges, une marche lente, farouche, obstinée. L’artillerie d’appui n’ayant pu progresser, ce fut à un certain moment, pour les compagnies de première ligne, la lutte pas à pas dans toute son âpreté ( ) les pelotons des deux régiments jalonnaient leur itinéraire de morts et de blessés ».

Les brancardiers font preuve de courage pour aller rechercher les blessés sur le terrain alors que balles et les obus cherchent encore des victimes. La bataille tourne à l’avantage de nos armes. Les Allemands abandonnent la position.

Mais la nuit du 30 septembre au 1er octobre 1918, alors qu’Henri Juckler se trouvait avec sa section près de la forêt de Houthulst, des tirs d’artillerie ennemis atteignent les baraquements « où nous étions cantonnés ».



La forêt de Houthulst, le terrain devant être attaqué par les 24ème, 23ème et 4ème de ligne.

On dénombre plusieurs victimes. Henri Juckler se porte à leur secours. Dans la matinée du 1er octobre, le transport des blessés s’effectuait lorsque le tir recommença, atteignant de nouveau les blessés. « C’est en les soignant que je fus atteint au pied gauche d’un éclat d’obus ». Dans un premier temps, il est pris en charge par le médecin du poste de secours des premières lignes, le docteur Fondair, médecin du régiment, puis est transféré vers l’hôpital de la Porte de Gravelines à Calais où il est déclaré « petit blessé ( ) avec une plaie par éclat d’obus au bord externe du pied gauche, sans lésion osseuse » mais il en gardera néanmoins des difficultés à se déplacer par « marche prolongée ». (Il obtiendra 35% de titre d’invalidité).

Le 7 octobre, il est transféré à l’hôpital de Dinard et y reçoit les soins du docteur Fernand Bacq. Il y entreprend sa convalescence pendant 25 jours.

Le 13 décembre 1918, il rejoint le CIBI à Furnes pour enfin terminer son service, vu son invalidité, comme aide-comptable à l’hôpital de Calais jusqu’au 31 janvier 1919. Il totalise 1 an 10 mois et 23 jours au front. Le 31 janvier 1919, il est démobilisé.

Reprendre ses études

Il finalise ses études en Espagne, à Fuenterrabia. Reçu comme diacre dans un premier temps, il est ordonné prêtre le 18 décembre 1920, en la cathédrale de Vitoria (Espagne).

L’année 1921, le voit devenir professeur au collège Notre-Dame à Betharram (Lourdes) et ce, jusqu’en 1925.

Il constitue un dossier d’invalidité et fait constater les séquelles de sa blessure. C’est le docteur Lacq (de Nay, Basses-Pyrénées), qui l’ausculte. Vu son éloignement, c’est son frère Valère, habitant toujours à Lesve, qui entreprend la plupart des démarches auprès des ministères.

Sa terre natale lui manque-t-elle ? Désire-t-il donner une autre orientation à sa vie religieuse ? Toujours est-il que le 24 janvier 1926, il sollicite et obtient un « indult d’ex claustration » pour un an.

« Une ex claustration est une autorisation officielle accordée à un religieux de vivre, pour un temps défini, à l’extérieur de sa communauté religieuse. Elle ne peut être prorogée au-delà de trois ans sans autorisation spéciale du Saint-Siège. S’il s’agit d’un prêtre l’accord de l’évêque du lieu où il va résider est nécessaire.

Ce qui lui permet de revenir en Belgique et d’intégrer le clergé séculier namurois. Dans un premier temps et après avoir justifié de ses compétences théologiques, « certifie sur la foi de témoin que l’abbé Juckler a passé après sa prêtrise, les examens de théologie exigés par le droit et par nos institutions, { }quant à moi je fus le témoin d’une soutenance de thèse au milieu de la communauté et je me rappelle que vraiment, il fut remarquable. Ses condisciples s’accordent à dire qu’il fut un des meilleurs parmi eux »[2].

Il est nommé vicaire à Wépion. Il demande en 1927, une prorogation de son « congé » car écrit-il, « sa santé ne s’étant pas suffisamment rétablie (séquelle de la guerre) et afin de pouvoir, pour le bien-être des âmes, se livrer au ministère que lui a confié Mgr Heylen ».

Conscient de ses difficultés, le prêtre montre une volonté de bien faire. L’évêque l’aide à s’intégrer mieux dans la démarche pastorale du diocèse où « son savoir-faire des âmes » ne cadre pas (encore) « Une formation un peu tronquée que l’on trouve généralement chez les anciens religieux » écrit l’évêque de Namur. C’est un bon prêtre plein de bonne volonté mais qui est un peu désarçonné par les différences entre l’esprit dans lequel il a été formé et la sensibilité belge.

Il sera aidé dans son évolution par le doyen de Fosse à qui l’évêque conseille, « vous pourrez achever cette formation tronquée que l’on trouve généralement chez les religieux qui entrent chez nous ». L’évêque est attentif au cheminement de son nouveau pasteur.

Outre le fait qu’Henri Juckler n’aie pas suivi la parcours normal pour devenir prêtre, le passage dans les tranchées et le vécu militaire de l’homme ont certainement marqué son esprit déjà très volontaire. Ce qui ne faciliterait pas une douce intégration.

La littérature publiée sur le sujet montre à quel point beaucoup de soldats sont revenus traumatisés par la férocité de cette guerre. Et comme brancardier, il a dû certainement être confronté à des situations horribles.

Henri Juckler demandera par deux fois la prolongation de son congé mais la troisième demande doit être accordée par le pape. Permission accordée suite au courrier qu’il a envoyé à Rome.

Le brouillon de la lettre envoyée à Rome afin de demander une autorisation (définitive ?) car le délai de trois ans accordé à ce genre de dispense est en voie d’être dépassé. C’est le (futur) chanoine Schmitz qui a rédigé le texte.

Le prêtre va connaître plusieurs paroisses avant de s’établir définitivement.

En 1928, il est transféré comme vicaire à Cul-des-Sart, en 1929, il est à Velaines-sur-Sambre puis en 1935 à Fosses-la-Ville et enfin, en 1937, il a en charge la pastorale de la paroisse de Pry et y restera jusqu’en 1968. Année où il demande d’être relevé de sa fonction. « L’âge et la santé » donne-t-il comme justification. Cela lui est accordé en 1969. Il restera au village jusqu’en 1974, date de sa mort. Il sera enterré à Fosses-la-Ville. Sa nécrologie donne une idée de son caractère : « c’était un prêtre franc et direct, énergique dans sa vie, ferme dans sa foi ».

 

 



[1] Gabriel Chevalier, La peur, p.98

[2] Signé Eug. Suberbielle, secrétaire général, vu et approuvé par H. Paillas, SCJ, supérieur général.