Médecins de la Grande Guerre

Qui se souvient de Paul Hoornaert ?

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Qui se souvient de Paul Hoornaert ?

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L’arrivée au cantonnement. (James Thiriar)

Le porteur de gourdes. (James Thiriar)

Au feu de la rampe. (James Thiriar)

La vieille chanson. (James Thiriar)

Héros. (James Thiriar)

1) Un destin dramatique et hors du commun 

Paul Hoornaert publia en 1937 un petit livre intitulé "Aux temps rouges, là-bas" (Nouvelles Editions d'Occident, Paris-Bruxelles, 1937) et dans lequel il racontait quelques scènes de sa vie d'officier patrouilleur pendant la guerre 14-18. J'acquis ce livre dans une brocante en mai 2002. L'exemplaire en ma possession n'était pas n'importe lequel: sur la page de garde, l'auteur avait écrit à la plume une dédicace dédiée "Au bon légionnaire et au vaillant combattant Maurice Dufour". Sous sa signature, une date: le 18 novembre 1937. Le livre contenait un autre souvenir émouvant. Glissées entre les pages, une coupure datant de 1971 et provenant du "Journal des combattants" me fit découvrir un texte relatant le drame dans lequel Paul Hoornaert fut plongé lors de la seconde guerre mondiale :

Qui a connu Paul Hoornaert dans les camps nazis ?

Le camarade Joseph Bartsch, secrétaire de la section Léon Lejeune de Fléron (rue de Magnhée 33 à 4620 Fléron) nous a envoyé à plusieurs reprises, quelques extraits remarquables du livre de Paul Hoornaert. nous avons publié ces extraits. Un lecteur a écrit au bureau fédéral pour savoir ce qu'était devenu l'auteur de ce livre. Voici ce que nous écrit le camarade Bartsch à ce propos :

"Paul Hoornaert, ce très grand patriote, fut arrêté à Liège en 1941 par la Gestapo. Déporté en Allemagne, il y serait décédé en 1944, au cours du transfert du camp dans lequel il était détenu. Ses amis supposent qu'au cours de ce transfert, s'étant affaissé (il avait été très malmené par ses geôliers) , il aurait été abattu par les sentinelles qui accompagnaient le convoi. Des recherches très sérieuses ont été entreprises après la libération pour connaître la vérité, mais il fut impossible d'en savoir plus que ce que je vous signale ci avant. Madame Hoornaert, son épouse, est décédée elle aussi, et ils n'avaient pas d'enfants. Beaucoup de ses compagnons du mouvement nationaliste qu'il dirigeait sont dans la tombe. Qui a connu Paul Hoornaert dans les camps de concentration? Qui pourrait donner des précisions quant à sa mort ?

Répondre au secrétariat national, 27, rue du Boulet, 1000 Bruxelles.

Paul Hoornaert a été oublié. Son livre dédicacé avec la coupure de journal relatant sa mort tragique a traversé une cinquantaine d'années pour aboutir un jour dans mes mains. Je me fais un devoir de rappeler à la mémoire collective des Belges la vie de cet "ancien combattant" qui 26 ans après "sa guerre" succomba héroïquement au cours d'une deuxième guerre mondiale. Deux guerres dans une vie! A ces mots, le coeur ne peut que crier sa rage: quel destin injuste ! Quel gâchis causé à l'homme par l'homme !

Dr Loodts P.

2) Noël à Furnes après une séance de vaccination très éprouvante 

 Paul Hoornaert nous raconte dans ce très beau texte comment il passa le Noël 1914: dans l'église de Furnes et après une séance de vaccination très pénible....

A midi, dans une école, des étudiants en médecine, mobilisés sous l'uniforme de sous-lieutenants, nous ont fait des piqûres de vaccin typhique. Il nous ont dit qu'il fallait éviter de nous refroidir et que la cuisine nous servirait le soir une soupe au lait chaude. Malheureusement, le vaccin n'était pas au point. Nous avons su par la suite qu'on nous avait injecté une dose massive, distribuée habituellement en trois ou quatre séances consécutives, réparties sur quinze jours au moins. En ces temps-là, j'avais un ami que la guerre m'a tué. C'était un jeune compositeur de musique liégeois (1); un être plein de rêves et d'harmonies. Dès la mobilisation, il avait tout quitté, ne croyant pas que le talent ou la fortune eussent jamais dispensé les gens de faire leur devoir, ce devoir qu'on exige des déshérités et des malheureux. Comme il était de santé délicate, les premiers mois de campagne l'avaient épuisé. Il tenait debout par un miracle d'énergie, accueillant d'un clair sourire, les pires tribulations. Mais la formidable inoculation dont on nous gratifia, le "rua par terre", comme le bel Aubespin dont parle Ronsard.

Ce 24 décembre 1914, veille de Noël, dûment vaccinés, malades comme des chiens, nous vaguions par la ville, en devisant. Je vois encore le beau front intelligent de mon ami se charger d'ombres, sa figure s'altérer, ses yeux se ternir. Il faut avoir vécu les premiers mois de 1914, avec un frère d'élection; être descendu avec lui jusqu'au fond de la misère humaine; avoir échappé vingt fois ensemble à la plus hideuse des morts pour figurer ce qu'on peut ressentir, en suivant sur un visage cher, les progrès d'un mal implacable. Je savais, en l'observant, que le lendemain je serais seul; qu'il partirait quelque part vers un hôpital de France, tandis que le bataillon, par les routes défoncées remonterait vers la boue, vers l'inondation, vers les tranchées...

A 9 heures du soir, je le conduisis, je le portai pour ainsi dire, tout grelottant de fièvre, courbaturé et réduit, à l'église Ste-Walburge où nous étions casernés jusqu'au lendemain. L'église était toute parsemée de paille; les lampes et les bougies des petites chapelles tremblotaient. Aux piliers, les soldats s'adossaient saisis à leur tour par les frissons de la fièvre. Tous les hommes toussaient, crachaient, aboyaient, dans un air sifflant de respirations rauques. Nous étions tous malades à crever, et les yeux luisaient dans les figures jaunes, hérissées de picots de barbe. A cette époque l'intendance n'avait pas encore distribué les couvertures, et chacun se roulait piteusement dans les lambeaux de sa capote. Personne ne faisait attention aux sifflements des obus sur la ville, aux éclatements brutaux du dehors. Beaucoup sans doute, eussent souhaité qu'une marmite, crevant la voûte, vînt donner leur éternel sommeil dont dormaient les alpins français ensevelis sous les ruines de l'église de Lampernisse. Peu à peu, le bataillon s'endormit en geignant. Des claquements de portes, des pas des chuchotements, nous réveillèrent. Au jubé, s'éveillait aussi le ronflement majestueux des orgues. Puis les chants montèrent, du choeur profond comme une forêt dans la pénombre. Grelottants, nous regardions le vaste vaisseau de l'antique église, se remplir de très vieilles femmes en mantes noires, d'humbles vieux hommes proprets et rasés... Des enfant aussi trottaient menu vers le scintillement des cierges. Un prêtre en or, nimbé d'encens, officiait. Les gens murmuraient en passant: "Pauvres garçons... pauvres jeunes gens". Et parfois nous nous sentions étrangement remués par le regard mouillé qui s'irradiait de quelque doux visage de jeune femme. C'était Noël à Furnes, comme c'était Noël pour le guetteur scrutant la nuit, à travers son créneau, de la Suisse à la mer; comme c'était Noël pour la vieille maman aux pays envahis. Les douze coups de minuit sonnaient au lourd bourdon, annonçant à Furnes la naissance du Christ !

3) Hommage aux soldats

Sur l'Yser, les travaux sans cesse renaissants, l'obligation de reconstruire cent fois les mêmes précaires fortifications, mangées par les pluies et les bombardements, vous avaient mués en coltineurs et en terrassiers. Vous aviez l'allure du paysan fatigué plutôt que celle du soldat. Vous n'étiez pas des militaires... Le sens et la nécessité de la discipline vous échappaient. Les manoeuvres en rangs serrés, les ports d'armes vous faisaient redouter les périodes de repos à l'arrière. en marche, sur les routes, vous avanciez en troupeau, malgré les défenses et les ordres. Vous étiez animés de l'esprit belge de "rouspétance" et de contradiction. Vous étiez la contradiction faite homme. On vous inondait de théories et de recommandations sur le danger de fumer, de chanter en tel endroit. Vous y fumiez, vous y chantiez...

Rien ne pouvait vous empêcher de fouiller le sol à la recherche des fusées d'obus, de saluer bruyamment le passage des filles, de traînailler derrière les colonnes, d'escalader les charrettes en marche, de démolir les boiseries des tranchées pour vous chauffer. Ah! vous pouvez vous vanter d'avoir donné du fil à retordre à vos chefs! Vous ne pouviez pas vous tenir droit, prendre la position ou cette allure digne et raide du soldat anglais. C'était plus fort que vous. Il fallait que vous déboutonniez vos capotes, que vous déformiez vos képis, - je vois encore les casquettes d'apaches dont vous vous étiez coiffés- que vous plantiez de guingois vos bonnets de police. Dans votre haine de l'uniformité, vous découpiez en culottes de cheval vos pantalons d'ordonnance. Vous arboriez des ceinturons de fantaisie. Vous étiez bariolés de breloques saugrenues. Vous remplaciez vos brodequins par des souliers de repos. Quand on faisait mouvement, comme vous ne compreniez pas la nécessité de porter la casque en tête en dehors de la zone battue par les projectiles, vous l'accrochiez au canon de votre fusil, à vos besaces, sur votre havre-sac... que sais-je encore... Avez-vous jamais pu résister à la douce joie d'engueuler sur votre passage "les cosaques de Bourbourg", les "sous-marins", les motocyclistes, les corps de transports, les "délégués", les chauffeurs, les cuisiniers? Quels ordres ont prévalu contre votre volonté de nettoyer vos armes avec les ceintures de flanelles; d'utiliser les baïonnettes comme haches à découper, comme chandeliers, comme ouvre-boîtes; de transformer vos gourdes en bagues d'aluminium, de porter en accroche-coeur des chevelures illicites ? Vos sergents et les malheureux caporaux que vous métamorphosiez en domestiques de l'escouade, sont-ils jamais venus à bout de vous empêcher de rafler les grenades des postes et de subtiliser, à usage de miroirs, les glaces des périscopes? Mais vous étiez d'infatigables travailleurs, possédant au plus haut degré, le sens de la coordination des efforts, parce que vous en aviez touché du doigt les avantages. Vous aviez le sens de la justice: "chacun son tour!" disiez-vous, et vous teniez dans votre cerveau un rôle rigoureux des corvées et des tours de garde. Vous étiez des patrouilleurs patients, dévoués, subtils, d'excellents tireurs. Vous n'obéissiez ni à l'étoile, ni au grade, mais à l'homme en qui vous aviez reconnu un chef. Alors, vous le suiviez aveuglément; vous le consultiez en tout; et vous vous faisiez tuer simplement pour le protéger !

(1) Il s'agit du compositeur liégeois Georges Antoine, né en 1892, petit-fils de César Franck, et décédé de la grippe à Bruges le 15 novembre 1919. Georges Antoine séjourna à l'hôpital du camp du Ruchard en 1916. Le lecteur trouvera un long chapitre consacré à Georges Antoine dans l'article que j'ai consacré à cet hôpital.



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