Médecins de la Grande Guerre

Histoire de la transfusion sanguine pendant la Grande Guerre.

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Histoire de la transfusion sanguine pendant la Grande Guerre.

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Le professeur Albert Hustin

Le professeur Albert Hustin

Transfusion du sang à la seringue de Jubé. (dessin extrait de « Petite chirurgie » par J. Maisonnet)

Transfusion avec le distributeur à trois voies de Tzanck. (dessin extrait de « Petite chirurgie » par J. Maisonnet)

Appareil de Henry et Jouvelet pour transfusion. (dessin extrait de « Petite chirurgie » par J. Maisonnet)

Technique de Bécart pour la transfusion du sang pur. Prise de sang au donneur. (dessin extrait de « Petite chirurgie » par J. Maisonnet)

Transfusion du sang. Technique de Bécart. Injection au receveur. (d’après Pauchet et Bécart) (dessin extrait de « Petite chirurgie » par J. Maisonnet)

Seringue à piston auto-vaselineur de Bécart et aiguille spéciale. (dessin extrait de « Petite chirurgie » par J. Maisonnet)

Transfusion du sang suivant la méthode de Jeanbrau. Aspiration. (dessin extrait de « Petite chirurgie » par J. Maisonnet)

Transfusion du sang suivant la méthode de Jeanbrau. Injection au récepteur. (dessin extrait de « Petite chirurgie » par J. Maisonnet)

Transfusion du sang citraté. Prélèvement du sang du donneur (d’après Richard Lewisohn) (dessin extrait de « Petite chirurgie » par J. Maisonnet)

Seringue de Cot pour la transfusion sanguine après réoxygénation. (dessin extrait de « Petite chirurgie » par J. Maisonnet)

Le docteur Albert Hustin et l’épopée des premières transfusions sanguines pendant la grande guerre.

 Auteur : Dr Loodts P.

Le Docteur Hustin, un véritable savant


Le professeur Albert Hustin

   Le Dr Albert Hustin fut le véritable inventeur de la transfusion sanguine. Il est né à Ethe, petit village  en Lorraine belge qui eut à  souffrir très fort en août 14 les terribles combats qui mirent aux prises  Français et Allemands. Albert fit ses études de médecine à l’université libre de Bruxelles où il deviendra l’assistant du célèbre chirurgien  Antoine Depage. Une fois diplômé, il compléta sa formation par  un stage d’une année académique à Paris et en  1906, par  un voyage d’étude aux Etats-Unis. Admirant dans le nouveau continent une médecine à la pointe de l’hygiène et des derniers progrès, Albert Hustin  publia  à son retour en Belgique ses éloges envers la médecine américaine dans un article intitulé «  Quelques notes sur les hôpitaux de Philadelphie ». En 1908, il est engagé dans le  service de chirurgie de l’hôpital Saint Jean où opère  son ancien professeur, le Dr  Depage. Ce dernier va l’encourager à mener à bien  recherches  et réflexions scientifiques. Alors qu’il n’est encore qu’un jeune médecin adjoint des hôpitaux, Albert Hustin a des idées à revendre. Il publiera une brochure sur les réformes qu’il voudrait voir appliquée dans les études médicales et entre 1908 et 1913 réalisa plus de  39 études scientifiques qui seront rassemblées dans un volume de 400 pages édité en 1922. La découverte qui  rendit célèbre ce découvreur infatigable fut la découverte du citrate de soude comme anticoagulant en 1913. Voici comment cette découverte fut effectuée :

   A la veille de la première guerre mondiale, les groupes sanguins découverts quelques années auparavant  avaient donné  l’espoir de pouvoir réaliser des transfusions sans risquer les graves  accidents d’incompatibilité entre donneur et receveur qui avaient été jusque là la règle !  Ce problème résolu, il restait cependant  encore à diminuer les risques entraînés par la coagulation naturelle du sang qui survenait très rapidement après son prélèvement. Le  docteur Hustin fut confronté à ce problème  en  effectuant des recherches sur le pancréas prélevé chez le chien. Il fallait en effet irriguer cet organe  avec un  sang qui puisse se conserver quelque temps en restant fluide. Hustin rechercha donc un produit qui rendrait le sang incoagulable.  Le sel de cuisine était bien connu des bouchers mais  ne pouvait convenir à cause des  graves perturbations ioniques qu’il aurait entraîné ; on connaissait aussi  les propriétés anti-coagulantes du  glucose mais il provoquait dans le sang un certain degré de floculation. Le génie d’Hustin fut alors d’essayer le citrate de soude connu à l’époque pour rendre stable une suspension de … mastic. Ses premiers essais au  laboratoire de physiologie à l’Institut Solvay sur l’animal lui  donnèrent  la preuve que ce produit était d’une merveilleuse efficacité et  cela sans aucune toxicité.

   Le docteur  Hustin eut  l’idée d’appliquer  sa découverte chez l’homme  lorsqu’un jour il examina une  personne qui avait été gravement  intoxiquée au CO par le gaz d’éclairage et pour laquelle  la médecine  se déclarait alors  impuissante. Et s’il suffisait d’extraire le sang de ces personnes, portion par portion, de l’exposer à l’oxygène sous pression et puis de le réinjecter après l’avoir ainsi purifié, pensa-t-il ! Cette idée ne le quitta plus et quelques temps plus tard comme il soignait aussi des malades hypertendus auxquels il pratiquait la saignée, il posa à l’un deux la question de principe s’il était disposé à voir son sang servir pour quelqu’un d’autre.. La réponse fut positive. Il ne  resta plus au médecin qu’à attendre le moment idéal qui l’autoriserait  à mettre pour la première fois  en pratique sa méthode. L’occasion  se présenta,  non avec un  nouvel intoxiqué par le CO mais avec un malade qui s’était fortement anémié par des hémorragies intestinales. Le 27 mars 1914, le docteur  préleva  150 ml à son malade  hypertendu et recueillit le sang dans une bouteille  contenant du glucose additionné de citrate de soude. Il rentra, en tram ( !), à l’hôpital Saint Jean avec le précieux flacon tenu  bien au chaud entre ses jambes et injecta son mélange miraculeux à l’anémier qui se mourrait. Pour ce faire, Albert Hustin avait préalablement mis au point tout le système technique : un matériel de prélèvement et d’injection, une tuyauterie et une petite manivelle munie d’un excentrique. Désormais la transfusion sanguine devenait d’une extrême simplicité. Le savant  fit rentrer sa découverte dans l’histoire en écrivant un article relatant sa découverte  et qui parut en avril 1914 dans le Bulletin des sciences médicales et naturelles de Bruxelles sous le titre « Principe d’une nouvelle méthode de transfusion sanguine ». Son exploit médical  fera aussi l’objet d’une communication dans « le  journal médical de  Bruxelles » n°32 du 6 août 14. On peut imaginer que l’un  des premiers médecins qui fut averti de la découverte fut le docteur Depage.

Les transfusions dans les hôpitaux militaires durant la première guerre mondiale

   La guerre éclatée, le Dr Depage qui était à la tête de l’hôpital l’Océan à La Panne, permit l’application de la transfusion de sang citraté  dans l’hôpital militaire de l’Océan à La Panne et dès 1915,  le Dr Debaisieux et le Dr Janssen  utilisèrent cette technique. Il semble cependant que, même dans cet hôpital qui se voulait à la pointe des techniques, les transfusions de sang citraté  restèrent expérimentales et ne furent pas généralisées  comme en témoigne une des infirmières de l’hôpital, Jeanne de Launoy  (« Infirmières de guerre en service commandé » Edition Universelle, Bruxelles, 1936) :

   26 au 27 juin. Trente-six entrants dans la journée. Ce soir une ovation au gros Thiriar qui, un peu pâle, entre dans la salle à manger un bras passé dans son dolmen! Il vient de donner du sang pour sauver un Anglais et les infirmières anglaises applaudissent! Ces transfusions sont extrêmement intéressantes. On utilise plusieurs méthodes dont une paraît être la meilleure. On emploie dix ou douze seringues dont aucune ne sert deux fois. Le sang est pris directement et donné de l'un à l'autre. Il est passionnant, quand cela réussit, de constater que le pouls remonte et que la vie revient !

(…)

   Encore des transfusions de sang ces temps-ci et encore un donneur : Edmond, le brancardier qui sert à la salle à manger, qui sauve un Anglais dont la cuisse est broyée et qui rentre exsangue. Arthur aussi... D'autres donneurs suivent. C'est magnifique et impressionnant de voir la pression sanguine, nulle au début, remonter lentement ! "Mon" Anglais est sauvé ! dit Edmond très fier. Curieux de constater que tous les donneurs emploient le possessif pour le malade qu'ils sauvent et s'inquiètent de lui après avec un sentiment voisin de l'amour maternel! Ceci est neuf dans la psychologie masculine dirait-on !  Nous ? On ne veut pas de notre sang ! Plusieurs l'ont offert... dommage !

   Les transfusions à l’hôpital de l’Océan firent l’objet d’une études scientifique par le Dr Govaerts (Dr Govaerts, Etude de l’anémie posthemorragique, in   « Les  Travaux  de l’hôpital l’Océan  », pages 375 et suivantes, Editions Masson, Paris). Ce travail  portait sur 14 transfusions  effectuées à l’hôpital l’Océan  dont les résultats sont détaillés de cette façon :

   Sur 14 cas, 3 sont morts d’infection suraiguë (gangrène gazeuse-septicémie à perfringens). Il est évident que lorsqu’une infection semblable est en voie de développement, la transfusion est incapable de sauver la vie du blessé. Les 11 autres cas, où une infection suraiguë n’était pas en cause ont fourni 8 succès complets.

   Des trois échecs, l’un est dû à l’hémolyse (Dans ce cas l’épreuve d’agglutination n’a pas été pratiquée parce qu’un seul donneur s’était présenté et que l’état du blessé exigeait une intervention immédiate. Ce blessé a présenté le deuxième jour une hémoglobinurie qu’il a paru bien supporter, mais il est mort le sixième jour avec des symptômes d’urémie)

  Par contre, dans tous les autres cas, nous avons eu le choix entre plusieurs donneurs et pratiqué l’épreuve d’agglutination : jamais nous n’avons constaté d’hémoglobinurie ni d’accidents ultérieurs. Les deux autres sont imputables au fait que la transfusion d’un demi-litre de sang était insuffisante. (…)

   L’effet immédiat de la transfusion est tout à fait remarquable et bien différent de celui que l’on obtient par l’injection de sérum artificiel. Dans certains cas c’est une véritable résurrection : le blessé presqu’inconscient jusque là, semble se réveiller ; ses muqueuses se colorent, et il accuse spontanément un grand bien être.

   Les transfusions sanguines furent appliquées un peu partout dans les armées belligérantes au cours de la grande guerre. La découverte de Hustin qui permettait des transfusions différées ne se propagea cependant que très peu et dans la plupart des d’hôpitaux ce furent  des transfusions directes de bras à bras  (les transfusions de bras à bras réduisaient les risques de coagulation mais ne les réduisaient cependant pas à néant) qui furent appliquées. Nous avons retrouvé des témoignages émouvants (1) de ces premières transfusions  dans le  N°17 daté de juin 1916 du mensuel  « La grande guerre du XX° siècle ». On y découvre avec un certain amusement  que les premiers donneurs de sang furent considérés comme de véritables héros de guerre. Le lecteur intéressé trouvera la retranscription de l’entièreté de ces témoignages en fin d’article mais je ne puis résister de vous livrer celui qui concerne le soldat belge Van de Broeck du 11e de ligne..

   Un blessé français hospitalisé à Saint-Lô allait mourir ; pour le sauver, il fallait recourir à la transfusion du sang. Spontanément, le clairon Van de Broeck, du 11e de ligne belge, grièvement blessé lors des combats épiques livrés à Dixmude en octobre, s'offrit pour arracher son frère d'armes à la mort.

   Ce double sacrifice affirme de la manière la plus touchante la confraternité des soldats français et des soldats belges. Leurs cœurs battent à l'unisson, et c'est le même sang - le sang des braves - qui coule dans leurs veines.

 [Bulletin des Armées*, 13-15 mal 1915] * françaises, évidemment

 L’histoire du docteur Hustin après la première guerre mondiale



Le professeur Albert Hustin

   L’histoire du docteur Hustin  se prolongea bien après la première guerre mondiale. Hustin se consacra aussi à de nombreuses autres recherches et possédait de véritables doigts de fée. Il parlait d’ailleurs de son bureau comme de  « son atelier » parce qu’il y fabriquait lui-même les instruments dont il avait besoin. Son intérêt pour la mécanique, l’électricité et même l’électronique était notoire. C’est ainsi qu’on lui doit aussi  l’invention d’un appareil permettant de suivre en continu le pouls et la température d’un patient, un tournevis-porte-vis, un viseur pour enclouage du col du fémur…

L’histoire du premier centre de transfusion en Belgique

   En 1934, le docteur Hustin participa activement à l’ouverture du premier service de transfusion de la Croix-Rouge en Belgique. Il faut rappeler ici que ce fut la Croix-Rouge Britannique qui érigea le premier service de transfusion et cela en 1921. Cet exemple fut rapidement suivi dans les autres pays. La Hollande suivit en 1930 avec un centre à Rotterdam et la même année l’Espagne en créa un à Alicante.  En 1934, la Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge publia une brochure intitulée « La Croix-Rouge et la transfusion de sang » qu’elle mit à la disposition des 59 association nationales existant à ce moment. Elle y recommandait la création de service de transfusion. La Belgique répondit rapidement à cet appel et pour préparer la mise sur pied d’un tel service, une commission d’expert fut constituée. Parmi les membres de cette commission se trouvaient le Dr Hustin mais aussi  le Professeur Nolf , Président de la Croix-Rouge belge et le Professeur Moureau (qui allait plus tard être un des découvreurs du facteur Rhésus). Dès le premier mai 1934, un service de transfusion débuta dans une annexe de l’Institut Médico-chirurgical (Hôpital Brugmann)  à Bruxelles. Ce « Centre Albert Hustin » fut inauguré par la Reine Elisabeth.  On recruta rapidement des donneurs universels et ceux-ci s’engagèrent à se présenter le plus rapidement possible sur place (en principe dans les dix minutes) en cas  de besoin. Rappelons qu’à cette époque, la plupart des transfusions se faisaient  encore directement de donneur à receveur, de bras à bras, au moyen de l’appareil de d’Henry et Jouvelet ou de la seringue de Jubé.. La technique du Dr Hustin qui permettait la conservation du sang et n’imposait plus que la transfusion se fasse  au même moment que le prélèvement  ne se diffusera à grande échelle qu’à la fin des années trente…Le démarrage du service bruxellois se fit  promptement et durant les dix premiers mois, 182 donneurs potentiels furent  examinés et 106  retenus comme donneurs effectifs. Après un an d’existence, le service avait dû répondre à 172 appels dont 77 présentant un caractère d’urgence. Dès le 9 février 1935, c’était  au tour du centre de Gand de se lancer, suivi le 20 avril de celui de Liège.  Pendant la guerre 40-45, le centre Bruxellois de transfusion « Albert Hustin » sera transféré dans un autre hôpital bruxellois, l’hôpital Saint-Pierre.

Le professeur Hustin : un savant complet aux connaissances scientifiques mais aussi littéraires

   Le professeur Hustin était un homme complet. Il avait, on l’a vu, un grand amour pour les sciences exactes mais son esprit curieux s’intéressait aussi à la littérature et sa bibliothèque contenait des ouvrages de grammaire historique et de grammaire comparée. Il écrivit de plus deux livres consacrés aux coutumes et au « parler » de la Lorraine belge. Son sens de l’humain complétait cet homme assez exceptionnel. Il se souciait  beaucoup de l’enseignement et du bien-être des étudiants de l’université libre de Bruxelles. C’est lui qui  fut à l’origine d’un service de dépistage de la tuberculose en faveur des étudiants et même d’un sanatorium. Il participa de plus à la création en 1938 de l’Institut d’éducation physique, dont il sera le directeur de 1945 à 1948, et proposa la création d’un diplôme de médecin licencié en éducation physique. Après la deuxième guerre mondiale, il est chargé en 1945, d’évaluer les invalidités par faits de guerre, et appliquant aux opérations administratives des idées de Taylor, parvient en moins de six ans à clôturer plus de 200.000 dossiers !

   Albert Hustin avait épousé la Bruxelloise Mathilde Houyoux, docteur en médecine. Ils auront trois enfants : Paul qui deviendra ingénieur, Albert qui deviendra oto-rhino et  Jean-Louis qui sera  diplômé en médecine sportive.

>   Albert Hustin fut un grand libre penseur et refusera même d’être nominé pour le prix Nobel mais en 1964 la distinction de Commandeur de l’Ordre de Léopold lui fut décernée. Il meurt à Bruxelles le 12 septembre 1967 et fut inhumé dans son village natal qui l’honorera en installera un musée « Albert Hustin ».

Dr Loodts P.

(1) Témoignages sur les premières transfusions opérées pendant la Grande Guerre en France (La Grande guerre du XX° siècle, 2°année, N°17, juin 1916, Maison de la bonne presse, Paris)

L'héroïsme du Breton.

   C'est dans un hôpital de province. Il y a dans une chambre deux blessés. L'un d'eux se meurt d’hémorragies successives. On ne peut le sauver que par l'opération de la transfusion du sang.

   Mais qui voudra se dévouer ?

   Son voisin de lit, Isidore Colas, un Breton, presque rétabli de sa blessure, s'offre. Et pourtant il ne connaît pas celui pour lequel il va donner son sang.

   - Je ne pourrai pas vous endormir, dit le docteur.

   - Tant pis ! Allez-y.

   Et avec un courage inouï, il subit l'ouverture d'une plaie au bras, la souffrance qu'on devine et qu'il ne laisse pas paraître.

   L'opération est terminée. Celui qu'on espère sauver rassemble ses forces, mais ne peut parler. Il passe son bras sous la tête de celui qui vient de lui donner un peu de sa vie, le serre contre lui de toutes ses forces et l'embrasse avec deux gros baisers, bien forts, bien reconnaissants, pendant que des larmes coulent de ses yeux.

   Croyez-vous, dit la Guerre Sociale, qui raconte cette émouvante histoire, qu'une médaille militaire ne ferait pas bien sur ce cœur de Breton ?

[Croix, 17 nov. 1914.]

Fraternité franco-belge.

-  Lettre ouverte à M. Millerand, ministre de la Guerre !

         MONSIEUR LE MINISTRE,

    Lorsque vous connaîtrez l'acte touchant et si simplement beau que je veux vous signaler, vous m'approuverez certainement d'avoir voulu qu'il ne passe pas inaperçu.

   Le héros de ma belle histoire est un petit soldat français, atteint gravement aux deux jambes par un éclat d'obus et à peine remis de ses blessures.

   Cela s'est passé à l'ambulance que la générosité des Américains, amis de la France, a fondée à Neuilly, boulevard d'Inkerman, au lycée Pasteur. Le fait n'a pas eu une renommée retentissante; il est cependant digne de l'admiration de tous les Français et aussi de nos, héroïques amis les Belges, et tous mes compatriotes en seront justement fiers.

   Il s'agit, en effet, d'un Landais, un tout jeune de la classe 1914 : Louis Dehez, de Saint-Yaguen (Landes), soldat du 153e d'infanterie (régiment de Béziers). Un soldat belge, à côte de lui, grièvement blessé, allait mourir si un camarade ne consentait pas à se dévouer pour le sauver, en lui donnant par transfusion une partie de son sang. Louis Dehez, sans hésiter, a fait ce sacrifice pour son frère d'armes; il l'a arraché ainsi à la mort certaine, et dans les veines de ce héros belge coule désormais un peu de sang jeune, généreux et sain d'un bon petit Français.

   Louis Dehez a une âme simple de berger, qui trouve naturel son dévouement, et les félicitations unanimes de ceux qui l'entourent l'étonnent presque.

   Mais je trouve, moi, que l'acte généreux de notre jeune Landais consacre de façon splendide et délicieuse les sentiments d'admiration de la France entière À l'égard du vaillant peuple, si éprouvé pour avoir voulu sauvegarder son honneur et son indépendance !

   Un soldat français donnant une partie de son sang à un soldat belge !... Quelle image plus saisissante et plus magnifique de l'union de deux peuples luttant ensemble pour la même cause sacrée: la liberté !

   Louis Dehez est actuellement dans un dépôt de convalescents. Il y est l'objet de soins attentifs et délicats. C'est là que j'ai pu le voir, encore un peu pâle, et le féliciter chaudement.

   Pour moi, j'estime qu'il est bon que les Français, que les soldats de notre grand pays sachent ce bel acte d'un des nôtres: il est simple, mais il est d'une grandeur émouvante; il est, pour tout dire, bien français !

   Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de ma considération la plus distinguée.

PIERRE DEYRIS, député des Landes.

[Bulletin des Armées, 3-5 mai 1915.]

Cet acte généreux vient d'avoir son émouvante réplique :

   Un blessé français hospitalisé à Saint-Lô allait mourir; pour le sauver, il fallait recourir à la transfusion du sang. Spontanément, le clairon Van de Broeck, du 11e de ligne belge, grièvement blessé lors des combats épiques livrés à Dixmude en octobre, s'offrit pour arracher son frère d'armes à la mort.

   Ce double sacrifice affirme de la manière la plus touchante la confraternité des soldats français et des soldats belges. Leurs cœurs battent à l'unisson, et c'est le même sang - le sang des braves - qui coule dans leurs veines.

 [Bulletin des Armées, 13-15 mai 1915]

Quelques prêtres « donneurs de sang ».

L’ABBÉ MARME ET LE SOLDAT BRIAND.

   Lettre de M. l'abbé Bourrel, curé de Liausson et infirmier militaire :

   Il y a quelques semaines, arrivait à l'hôpital de Creil le soldat Briand: C'était, comme on lui disait plaisamment à la salle d'opérations, « un vrai voleur aux Allemands ». N'était-il pas, en effet, un trésor de mitraille ? N'en avait-il pas sur lui une splendide collection ? Le brave s'était dévoué sans compter, et son caporal a déclaré : «  C'était bien un miracle qu'il soit debout après tant d'héroïques actions. »

   A son arrivée, Briand avait la jambe gauche fracturée, d'une façon horrible, et, en plusieurs endroits, labourée profondément par des éclats d'obus; son pied droit, près de la cheville, était aussi percé de part en part; c'était une loque sans énergie.

   Mais bientôt, au contact de l'infirmier de salle, comme des autres malades devenus vite ses amis, l'énergie revint. Et d'ailleurs, le mieux était réel, les majors referaient un peu la pauvre loque.

   Sauver la vie d'abord, puis le membre s'il est possible, telle est la ligne de conduite de nos majors aussi dévoués que consciencieux.

   Mais les jours, les semaines s'écoulent, et, malgré tous les soins, malgré toute la science, le pauvre héros, ranimé un instant par la visite de sa chère femme, va en s'affaiblissant. Tous les pansements font découvrir de nouveaux foyers d'infection: débris de pantalon, de verre, de capote que les éclats d'obus entraînent avec eux.

   Le jeudi 8 avril [1915] et le lendemain, l'état du pauvre blessé devient inquiétant. Le   samedi, l'infirmier, qui aime et soigne ses malades comme un frère, s'alarme; les majors    déclarent l'amputation nécessaire, le pauvre blessé s'y résout bien vite, il souffre tant. L'opération a lieu le dimanche matin dans des conditions excellentes. Mais la faiblesse de   l'amputé gagne à tout instant. Le mercredi matin 14 avril, le malade est si bas que le major   désespère, et le brave infirmier aussi. Les docteurs, toutefois, voient encore une chance, une seule... et peut-être... la transfusion. L'infirmier, l'abbé Marme, que les élèves du collège  catholique de Cette aiment tant, de dire aussitôt :

- Monsieur le major, je le puis.

   Le major ne veut pas. Les majors se refusent à priver le service d'un infirmier qu'ils ne sont pas les seuls à apprécier.

   A l'admiration de toute âme française s'offre alors un véritable duel de dévouement. Le docteur confie à l'infirmier-major, un caporal prêtre, de lui trouver quelqu'un qui veuille se dévouer. Le caporal s'offre aussitôt. Et alors ? Alors l'infirmier-major fait valoir qu’il peut, après la transfusion, continuer très bien son service, qu’il est prêt à se dévouer pour sauver un camarade, un père de famille. L'infirmier fait valoir ses droits indiscutables à ce dernier acte de charité à l'égard des blessés qu'il soigne de tout son cœur sans trêve ni repos. Duel sublime... Le major, hésite, les deux prêtres insistent, tout le monde attend. L’infirmier l’emporte. Mercredi soir 14 avril, vers 3 heures, couché côte à côte sur les tables d'opération avec le pauvre blessé, le plus malade de sa salle, donc le plus gâté, l'abbé Marme donne généreusement son sang pour ce soldat qu'il désire conserver à sa famille et à la France.

   Hélas ! La faiblesse du pauvre Briand est trop grande, il ne peut s'assimiler ce sang généreux, plus généreusement donné encore. Le lendemain, presque à la même heure, à peine Mme Briand, à qui cette prolongation de vie a permis d'arriver, a-t-elle déposé sur le front aimé : un baiser d'adieu, que le héros s'endort pieusement pour aller là-haut recueillir la couronne des braves. Et de là-haut, sans doute, il laisse tomber avec sa protection quelques brindilles de laurier sur le cher infirmier, qui à tout prix voulait encore le retenir ici-bas.

 [Sem. Rel. de Montpellier, 1e mai 1915.]

S. Em. le cardinal de Cabrières, évêque de Montpellier, écrivait à l'abbé Marme, quelques jours après :

   MON CHER AMI, 

    Vous pensez bien que je m'étais associé déjà aux éloges si mérité qui vous ont été décernés par vos chefs militaires et spécialement par M. le général commandant de la deuxième armée, M. de Castelnau. L'acte généreux que vous avez accompli en donnant de votre sang tout ce qui paraissait nécessaire au chirurgien pour rendre possible la guérison d'un blessé est de ceux qui suscitent partout un mouvement d'admiration. Les témoins de votre sacrifice n'ont peut-être pas tous senti comme vous-même, comme vos confrères prêtres, l'honneur que vous aviez de reproduire ainsi sensiblement quelque chose de ce que Notre-Seigneur a fait une fois pour nous sur le Calvaire et renouvelé chaque matin, quand nous célébrons la messe.

   C'est, mon ami, à cette école mystique que, sans vous en rendre compte, vous avez appris cet échange du sang qu'il vous a été donné de réaliser et qui vous a mérité l'étonnement et la vive sympathie de vos camarades de l'armée.

   Je vous remercie, mon ami, comme je remercie tous vos confrères de l'Hérault, qui rivalisent avec vous d'ardeur, de dévouement et d'endurance ; je vous remercie de faire honneur ainsi à votre diocèse et de préparer avec tous ,les prêtres de France mobilisés et employés aux armées la seule réponse qu'il faudra faire aux sectaires, aujourd'hui mornes et soumis, et qui se promettent de célébrer nos méfaits militaires et politiques d'une voix retentissante : « Montrez, Messieurs, vos états de service. Où étiez-vous quand on se battait ou quand, près du front, on soignait les blessés, exposé à l'être soi-même ? Quand avez-vous été cités à l'ordre de vos régiments et de l'armée ? »

   Votre citation, mon ami, celles de vos confrères déjà venues ou à venir, sont pour nous un sujet d'orgueil légitime, et notre modeste Semaine sera fière de la publier.

   Croyez, mon cher Marme, à mon paternel attachement et à mon respect en Notre-Seigneur.

 Le cardinal DE CABRIERES,

Evêque de Montpellier.

 [Sem. Ret. Montpellier. mai 1915.]

Voici le texte de la citation de l'abbé Marme à l'ordre du jour de l'armée du 25 avril 1915 (Journal Officiel, 20 mai 1915) :

MARME (LÉOPOLD), infirmier à l'hôpital d'évacuation n° 16 :

   Fait preuve depuis le début de la campagne de la plus intelligente initiative et du plus absolu dévouement. A demandé avec insistance d'être choisit comme « donneur» de sang au cours d'une transfusion qui seule pouvait sauver un blessé de la salle dont il avait la garde.

M. L'ABBÉ BOURDONCLE ET LE SOLDAT BEAU

   Au matin du 23 février [1915], arrive à l'hôpital de Creil le soldat Beau, du… d'infanterie de Châteauroux ; un obus, à Poperinge, lui avait emporté l'index de la main droite et... la jambe gauche; une double hémorragie fort abondante avait suivi; il ne lui restait plus que quelques heures à vivre.

   Les majors ne voient aucun moyen de le sauver, ou plutôt il y en aurait un, mais héroïque, la transfusion du sang. Or, s'il est des héros, et par milliers, dans l'armée française, il semble qu'ils doivent leur sang à la défense de la patrie pour laquelle le soldat Beau vient de perdre un membre, et le moyen de la défendre encore.

   Mais Beau est père de famille et il laisse femme et enfant.

   Un soldat infirmier qui écoute, grave, la déclaration des majors, a vite fait de prendre sa décision : l’héroïque charité, lui semble-t-il, ne peut entrer en conflit avec le devoir patriotique: il offre son sang à transfuser au pauvre blessé, Les majors qui entendent la généreuse proposition de l'infirmier ont devant eux un robuste Aveyronnais ; ils le félicitent de son beau geste, mais ne lui laissent pas ignorer le danger qui en résultera pour lui.

   -  Je m'abandonne à la Providence, répondit notre infirmier.

Ecoutons l'abbé Bourdoncle raconter lui-même à sa famille ses impressions pendant qu'il donnait si généreusement son sang ;

   Je suivis l'opération, dit-il, sans trop d'émotion, mais avec un peu de souffrance. Je savais le danger que je courais: si, par malheur, un caillot de sang s'était formé et avait pénétré dans mon artère, c'en était fait de moi; vous ne m'auriez plus revu. Mais je me suis abandonné entre les mains de la Providence. Elle a permit que tout aille à souhait. Le blessé était sauvé, il est revenu petit à petit à la vie, l'hémorragie n'est plus à craindre : au bout d'une semaine, il était hors de danger, et tous les jours il mange une bonne côtelette.

   Ce n'a pas été sans souffrance pour moi; j'ai passé une nuit dans des douleurs cuisantes, car l'artère ayant été sectionnée et ligaturée par ses deux bouts, le sang devait se frayer d'autres issues à travers les veines ; mais, petit à petit, la circulation s'est rétablie, la plaie s'est refermée, et deux semaines après me voilà à peu près remis. Je suis on ne peut plus satisfait de voir que mon sacrifice n'a pas été inutile.

   Et il raconte ça, le bon abbé Bourdoncle, simplement, naturellement, tout heureux seulement, vous le voyez, d'avoir exposé sa vie pour sauver celle d'un soldat français père de famille.

   Car le soldat Beau, natif de l'Indre, âgé de trente-deux ans, est marié et père d'un petit garçon de dix-sept mois. Sa femme est venue le voir, la semaine dernière, et vous jugez de sa joie et des remerciements qu'elle a exprimés lorsqu'elle a connu l'acte d'héroïsme qui, lui valait de pouvoir encore embrasser son mari…

   On nous dit que l'abbé Bourdoncle sera prochainement cité à l'ordre du jour : je doute que toutes les récompenses qui pourront lui être décernée dans la suite vaillent pour son âme de prêtre et de Français la satisfaction qu'il éprouve aujourd'hui en songeant que, grâce à lui, il n'y aura pas d'orphelin au foyer de son nouveau frère, le soldat Beau, du 90e d'infanterie.

[Sem. Rel. Bourges. 24 avril 1915.]

Du Journal Officiel (28 mars 19l5), parmi les citations à l'ordre du jour de l'armée du 3 mars 1915 :

BOURDONCLE (JOSEPH-BASILE), soldat à la 16e section d'infirmiers militaires, infirmier à l'hôpital d'évacuation n° 16 :

   Consciencieux et zélé en tout temps, s'est spontanément offert, le 23 février : 1915, pour fournir le sang nécessaire « une transfusion effectuée sur un blessé arrivé à l'hôpital d'évacuation, exsangue et dans un tel état de faiblesse générale que la survie obtenues est manifestement due à son généreux dévouement.

   C'est à Creil même que les deux prêtres infirmiers, MM. Marme et Bourdoncle, ont reçu la croix de guerre des mains du commandant de dragons Jobert. Voici en quels termes la Semaine de l'Oise, journal radical-socialiste de Creil, raconte cette émouvante cérémonie :

   Le samedi 19 juin [1915], nous avons assisté, à Creil, à une émouvante cérémonie.

   A 9 heures du matin, une compagnie d'infanterie et les militaires chargés du service des ambulances avaient été convoqués sur la place Albert-Dugué, en face l'église, pour être présents à la remise des croix de guerre qui avaient été précédemment accordées à deux militaires cités à l'ordre du jour de l'armée pour leur belle conduite.

   A 9 heures précises, M. le commandant de dragons Jobert, escorté de M. le capitaine Bontoux, arrive sur la place et passe la revue des troupes qui sont sous les armes.

   Les tambours battent « aux champs ». Au nom du président de la République, M. le commandant Jobert remet la croix de guerre :

   1° A M. l'abbé Marme, préfet des études du collège catholique de Montpellier.

   2° A M. l'abbé Bourdoncle, vicaire à Marcillac (Aveyron), tous deux ambulanciers à l’hôpital militaire de Creil. MM. les abbés Marme et Bourdoncle ont généreusement offert et donné leur sang pour faire la transfusion à deux militaires blessés qui se trouvaient à l'hôpital de Creil.

   Une petite fille de Creil, la jeune Pauline Rodwick, s'avance et offre une gerbe de fleurs aux nouveaux médaillés.

   Les tambours battent « aux champs », la troupe rentre dans ses casernements ; la foule, fortement impressionnée, se retire, non cependant sans aller serrer la main de ces braves qui ont fait si généreusement le sacrifice de leur sang pour sauver leurs semblables.

   Nous n'avons pas voulu laisser passer cet événement, si simple en apparence, si impressionnant en réalité, sans adresser à ces braves soldats et à ces courageux aumôniers nos sincères et chaudes félicitations.

M. L'ABBÉ BALLOUARD

   Dans une ambulance où se trouve comme infirmier M. l'abbé Toussaint Ballouard, aumônier des Sœurs de la Groix, de Tréguier, un malade se trouvait en danger de mort par suite de la perte presque totale de son sang.

   Les médecins ne virent d'autre moyen de le sauver que de lui infuser du sang puisé dans les veines d’un homme bien portant. Ils demandèrent des volontaires; il s’en présenta deux. Le premier était un étudiant de l'Université catholique de Louvain ; l'autre, M. l'abbé Ballauard.

   L'étudiant relevait de maladie, ce fut le prêtre qui fut choisi, et, grâce à son dévouement, le malade est maintenant sauvé. L'opération de la transfusion du sang n'est pas extrêmement douloureuse, à ce qu'il paraît, mais elle produit chez celui qui donne son sang une impression d'angoisse mortelle et une faiblesse qui dure, si vous avez encore besoin de sang, vous pouvez continuer.  Et sur cette insistance on prolonge la transfusion jusqu'à douze minutes.

   Je crois, Monseigneur, que tout commentaire affaiblirait la sublimité de cette simplicité dans la bonté et le dévouement. Tous ceux qui ont assisté à l’opération étaient heureux d'avoir, pour expliquer les larmes dont leurs yeux étaient remplis, le motif des obus asphyxiants qui tombaient à moins de cent mètres de la salle d'opération.

[Sem. Cath. Toulouse. 4 juin. 1915.]

M. L'ABBÉ BALLOUARD

Le samedi 19 juin [1915], nous avons assisté, à Creil, à une émouvante cérémonie.

   A 9 heures du matin, une compagnie d'infanterie et les militaires chargés du service des ambulances avaient été convoqués sur la place Albert-Dugué, en face l'église, pour être présents à la remise des croix de guerre qui avaient été précédemment accordées à deux militaires cités à l'ordre du jour de l'armée pour leur belle conduite.

   A 9 heures précises, M. le commandant de dragons Jobert, escorté de M. le capitaine Bontoux, arrive sur la place et passe la revue des troupes qui sont sous les armes.

   Les tambours battent « aux champs ». Au nom du président de la République, M. le commandant Jobert remet la croix de guerre :

   1° A M. l'abbé Marme, préfet des études du collège catholique de Montpellier.

   2° A M. l'abbé Bourdoncle, vicaire à Marcillac (Aveyron), tous deux ambulanciers à l’hôpital militaire de Creil. MM. les abbés Marme et Bourdoncle ont généreusement offert et donné leur sang pour faire la transfusion à deux militaires blessés qui se trouvaient à l'hôpital de Creil.

   Une petite fille de Creil, la jeune Pauline Rodwick, s'avance et offre une gerbe de fleurs aux nouveaux médaillés.

   Les tambours battent « aux champs », la troupe rentre dans ses casernements; la foule, fortement impressionnée, se retire, non cependant sans aller serrer la main de ces braves qui ont fait si généreusement le sacrifice de leur sang pour sauver leurs semblables.

   Nous n'avons pas voulu laisser passer cet événement, si simple en apparence, si impressionnant en réalité, sans adresser à ces braves soldats et à ces courageux aumôniers nos sincères et chaudes félicitations.

M. L'ABBE ADRIEN PRUVOST

   Un de nos prêtres, infirmier à la..., ambulance du 1er corps d'armée, rentrait de permission le jeudi 21 octobre [1915].

   Il aperçoit, dans la salle dont il est chargé, un blessé qui avait perdu beaucoup de sang. Le médecin-chef cherchait des yeux un homme de dévouement. Notre infirmier s'offre spontanément : quelques minutes après, on lui ouvrait l'artère radiale, et son sang généreux ramenait la vigueur dans le corps épuisé de son pauvre camarade.

   On félicite le jeune héros, on veut le proposer pour la croix de guerre; mais lui, modestement, se contente de dire :

   - J'ai fait mon devoir de soldat et de prêtre.

   M. l'abbé Adrien Pruvost, vicaire de Lillers, permettra du moins à ses confrères du diocèse d'Arras d'applaudir à son geste.

[Croix du Pas-de-Calais, 7 nov. 1915] 

LES ABBÉS PERROCHAIN ET GODARD

   A l'hôpital n° 9 de Fontenay-le-Comte, le chirurgien en chef, M. Chastenet, se voyait obligé d'amputer le bras à un blessé menacé de gangrène, Léonisse Midey, âgé de trente et un ans. Mais ce blessé était tellement fatigué que le docteur ne vit de salut pour lui que dans la transfusion d'un sang plus généreux. Deux infirmiers et un autre blessé s'offrirent à donner le leur. Le chirurgien opta pour l'un des infirmiers, l'abbé Henri Perrochain, missionnaire diocésain de Luçon.

   L'opération a merveilleusement réussi.

   A l'hôpital mixte de Caen venait d'être amputé d'une cuisse et trépané un soldat blessé, âgé de quarante-deux ans, père de sept enfants. Sa faiblesse était telle à la suite de ces opérations que le chirurgien, M. Auvray, jugea nécessaire pour le sauver, de pratiquer la transfusion du sang. Un prêtre, M. l'abbé Godard, ancien vicaire d'une paroisse de Caen, depuis curé aux environs, et qui soigne avec un grand dévouement les blessés, s'offrit spontanément pour donner son sang. Il supporta avec un beau courage l'opération. Le blessé va beaucoup mieux et paraît tout à fait hors de danger. Le généreux prêtre recouvre peu à peu ses forces, heureux d'avoir pu, par son sacrifice, sauver la vie d'un combattant.

[Croix de l'Isère, 19 nov. 1915.]

   L'abbé Perrochain a été cité à l'ordre du jour en ces termes (déc. 1915) :

   PERROCHAIN, soldat infirmier à l'hôpital n° 9, à Fontenay-le-Comte :

Infirmier héroïque, qui n'a pas hésité à se prêter à l'opération délicate de la transfusion du sang sur un malade de l'hôpital. L'opération a très heureusement réussi.

M. L'ABBÉ JUHEN ET LE SOLDAT LOUIS DUBOIS

   Le soldat Dubois Louis, du 11e de ligne, était en traitement à l'hôpital mixte du Creusot, pour une fracture de la jambe gauche, nécessitant, de façon urgente, l'amputation. Mais cette amputation était considérée comme impossible en raison de l'état de faiblesse du blessé, qui avait perdu une quantité de sang si considérable que cela seul constituait déjà pour lui un danger de mort. Un unique espoir demeurait : la transfusion du sang.

   M. l'abbé Juhen, curé de Jambles, près de Chalon-sur-Saône, et mobilisé comme infirmier dans notre ville, offrit courageusement son sang pour sauver le malheureux agonisant.

   La dangereuse et difficile opération eut lieu la semaine dernière avec un plein succès, et trois jours après, le blessé put subir l'amputation de la jambe broyée.

   Quant à M. l'abbé Juhen, il dut s'arrêter pendant quarante-huit heures, car, en plus de la faiblesse occasionnée par la douloureuse intervention supportée par lui avec un admirable courage, un peu d'infection s'était déclarée. Aujourd'hui, tout danger a disparu pour lui, et le prêtre soldat a voulu reprendre ses occupations d'infirmier.

[Réveil du Charollais, 30 avr.1915.]

« Je sais que cela fera plaisir à mon fils. »

    La scène est d'hier. A l'ambulance américaine installée au collège, de Juilly, un blessé perd son sang en abondance. Sa faiblesse est extrême et l'on peut craindre un dénouement fatal. Les docteurs décident de tenter l'opération délicate de la transfusion du sang.

   Aussitôt, un caporal du 3e zouaves, Aimé Verdura, originaire de Marseille, s'offre pour sauver son camarade, lui aussi zouave. Et comme on fait remarquer qu'il faudra peut-être une transfusion assez considérable; Verdura répond :

   Prenez tout le sang qui sera nécessaire.

   Il se couche alors auprès du moribond, et pendant une heure et demie, donne son sang avec le plus grand calme.

   Comme on le félicitait, ce brave, déjà décoré de la médaille du Maroc et dont le bras a été fracassé dans les tranchées, a simplement ajouté :

   - J'ai trois enfants, là-bas; je suis heureux d'avoir été assez vigoureux pour sauver mon camarade, car je sais que cela fera plaisir à mes fils.

   Cette réponse, où l'on découvre que l'amour de la famille, loin d'être un obstacle à l'héroïsme chez nos troupiers, leur est un stimulant, ne vaut-elle pas les plus beaux traits de l'antiquité ?

   Grâce au caporal Aimé Verdura, le blessé est aujourd'hui hors de danger, et son sauveur, que cette douloureuse opération n'a nullement affecté, promène à travers les fraîches allées du parc de Juilly le bon sourire de ces magnifiques soldats, terribles aux Allemands, mais si tendres pour leurs frères d'armes.

[Echo de Paris. 8 juin 1915.]

« Je donne mon sang, je ne le vends pas ! » 

   C'est une scène véritablement touchante que celle qui s'est passée dans l'un des hôpitaux de la Croix-Rouge, à Biarritz :

   Un des salons du Grand Hôtel a été transformé en salle d'hôpital. Autour d'un lit où est étendu un jeune gars: normand, aussi blanc que l'oreiller sur lequel repose sa pauvre tête endolorie, des infirmières s'empressent. Le chirurgien, silencieux, recueilli, regarde cet enfant dont la vie semble peu à peu fuir le corps meurtri, puis, tout à coup, il dit, comme se parlant à lui-même :

   - Il est trop exsangue pour tenter une opération, il faudrait une transfusion du sang. Mais qui ? Comment ?

   Il regarde autour de lui et ne voit que d'autres blessés, quelques rares rescapés qui sont près de leur camarade presque moribond. Mais voilà un de ces rescapés, tout jeune, lui aussi, mais déjà remis, les joues roses, les yeux brillants de la joie que donne le retour à la santé, qui a entendu les paroles du docteur. Hésitant, gauche, il s'approche et, d'une voix que l'émotion rend un peu rauque :

   - Comme ça, si vous voulez, Monsieur le docteur, dit-il, vous pouvez en prendre de mon sang pour le camarade.

   Il n'est plus temps d'hésiter, le médecin fait l'incision, la transfusion s'effectue et nous voyons peu à peu les joues et les lèvres du soldat normand se colorer, ses yeux s'ouvrent lentement. Puis, avec les forces, l'intelligence revient; il regarde le Breton et murmure :

   - Ben, maintenant que j'ai de ton sang, nous sommes frères, pas vrai ?

   L'opération pourra se faire, et un Français de plus sera conservé, à la patrie menacée. Pendant ce temps, les quelques témoins de cette émouvante scène se sont empressés autour du soldat breton et ont fini par savoir qu'il est orphelin et sans le sou. On se consulte dans l’embrasure d'une des grandes baies, d'où l'on voit l'océan aux vagues agitées, et peu : après une quête se fait et on remet à l'habile chirurgien la somme de 500 francs pour le brave petit Breton qui, spontanément, simplement, vient de nouveau de verser son sang, pour la France. Ravi de pouvoir offrir, pas comme récompense, mais comme preuve de la sympathie que sa belle action lui a acquise, le docteur s'approche du petit soldat et, avec quelques mots émus, lui tend les billets bleus et blancs.

   Geste de refus du Breton, insistance du docteur. Nouveau refus, et le jeune héros de dire :

   - Non, merci bien tout de même; Monsieur le docteur ; je donne mon sang, je ne le vends pas !

[Croix de Saône-et-Loire. 13 juin 1915.]

« Un professionnel du dévouement. »

   Le petit Breton va mourir, non point que sa blessure soit grave, mais elle a provoqué plusieurs hémorragies et tout son sang s'en est allé ; le peu qui lui en reste est sans vigueur, les globules rouges ont fui.

   Le petit Breton va mourir; mais quoi, laisser s'éteindre ainsi un gars de vingt ans, bien constitué et qui ne demanderait qu'à vivre, faute d'huile dans la lampe ? Ne trouvera-t-on pas un peu de sang bien rouge, bien vif, qu'on lui infusera dans les veines, et qui lui permettrait d'attendre le rétablissement certain que ne manqueront pas d'amener la nourriture fortifiante et un long repos ?

   Pierre est déjà convalescent. A la Maison du Passeur, une balle lui a traversé le bras, occasionnant une fracture simple. La plaie se cicatrise à merveille, pas trace d'infection. C'est que Pierre est un solide gaillard, robuste, bien charpenté; un individu sain, de corps et d'âme. Il suffit de le regarder en face, une seconde, pour en être tout de suite convaincu. Il est très fort et très bon, un peu téméraire parfois. Là-bas, il s'est conduit en héros, ne faisant en cela que suivre une habitude déjà ancienne : plusieurs médailles de sauvetage sont là pour l'attester c'est un professionnel du dévouement.

   Aussi, sans hésitation, est-ce à lui tout d'abord que le chirurgien est allé exposer le cas du petit Breton. Pierre n'a pas été long à comprendre. Voici qui est bien. Il est « costaud » pour deux, un autre profitera de sa vitalité débordante.

   Les fortes ampoules électriques de la salle d'opérations laissent tomber une lumière crue sur un petit visage chiffonné, exsangue. Un soupçon de moustache jaunâtre, des dents jaunâtres, mal plantées, irrégulières, écartées, des lèvres et des gencives décolorées.

   A voir ce pauvre visage, ce cou, ces bras d'un blanc cireux, plus blafards encore sous la lumière éclatante des cent bougies, on peut se demander si l'on a devant soi un être vivant ou un cadavre.

   Mais non, le petit Breton n'est pas encore mort ; il respire, faiblement ; il va falloir agir vite.

   A la face extérieure du bras gauche étendu, une piqûre de novocaïne produira l'anesthésie locale. L'incision faite, quelques gouttes d'un liquide à peine rosé tachent la serviette. Ça, du sang ? C'est difficile à croire.

   Pierre s'amène en voisin, chemise de flanelle et pantoufles, très calme, malgré l'atmosphère particulière du lieu. Il s'allonge, comme on le lui demande, sur une seconde table, tend le bras. Une piqûre de novocaïne l'empêchera de sentir la douleur, mais lui laissera toute sa lucidité et, avec une attention constante, sans un geste de nervosité, il suivra toutes les péripéties de ce drame où il est à la fois acteur et spectateur.

   L’artère mise à nu, on décide d'essayer un nouvel appareil dont on dit grand bien; une sorte d'éprouvette qui agit à la façon d'une pompe aspirante. Et le sang riche et coloré de Pierre monte et se précipite, envahit le flacon bientôt plein du précieux liquide vermeil. Il s'agit maintenant de faire passer le sang qu'il contient dans les veines appauvries du petit Breton. Hélas ! La pompe qui aspirait si bien ne semble pas vouloir refouler ! Moment d'angoisse… Les secondes sont précieuses. Elles tombent l'une après l'autre dans le silence, et le sang de Pierre est coagulé dans l'éprouvette. Tout est à recommencer. Mais cette fois on suivra la vieille méthode, féconde en bons résultats.

   On rapproche les deux tables jusqu'à ce que les bras des hommes se touchent. Tout près, plus près. Pénétration intime et émouvante s'il en fut.

   Le sang de Pierre, sans intermédiaire, cette fois, bondit dans le corps du petit, s'en va jusqu'au cœur, qu'il emplit. Les veines du cou se gonflent légèrement, la peau se teinte, les artères des tempes se mettent à battre; le miracle s'accomplit.

   Et Pierre, chaque jour, rend visite à son « enfant », qui renaît graduellement à la vie.

   Ah ! Le beau regard mouillé de reconnaissance, de dévouement absolu que le petit Breton tourne vers son sauveur !

                                                                                               ALICE LAMAZIÈRE.

 [Revue hebdomadaire, 17 juin. 1915.]

« C'est de la bonne marchandise que je te livre là. »

 Lettre d'une religieuse de l'A. :

                                                                                                    M..., septembre 1915.

    Dans une de nos grandes ambulances arrivait dernièrement un jeune soldat de Tourcoing: grièvement blessé, il fallut l'amputer d'une jambe et peu après, à la suite d'une violente hémorragie, le docteur jugea la transfusion du sang nécessaire. Il se rend dans la partie de l'ambulance réservée aux mécanos (blessés qui font de la mécanothérapie) et demande : « Qui veut donner son sang ? » Prêts à le verser pour la France, ces braves n’hésitent pas davantage à se sacrifier pour un de leurs frères d'armes : tous les doigts se lèvent : tous s'écrient : « Moi ! Moi ! » Le docteur choisit un petit trapu, gouailleur, qui criait plus fort que les autres : pendant l'opération, tandis qu'avec son sang ses forces l'abandonnent : « Tu sais, mon vieux, dit-il à son camarade, c'est de la bonne marchandise que je te livre là, tu en seras content ! Ca vaut cher ! »

   Depuis ce jour, une affection toute fraternelle unit ces deux hommes, le premier chrétien fervent l'autre libre penseur se vantant de ne croire à rien. Et Dieu, le grand médecin, opéra une plus merveilleuse transfusion : la foi de l'un passa au cœur de l'autre : il promit de communier sitôt son ami rétabli ; mais il n'attendit pas la guérison tant souhaitée : le 15 août, crânement comme il fait toute chose, on pouvait le voir s'agenouiller à la sainte Table. Le petit blessé est toujours calme et souriant, le docteur a dû lui amputer la seconde jambe ! Au milieu d'atroces souffrances il demandait, une nuit, à la Sœur qui le veillait :

   - Ma Sœur, on dit qu'il faut des victimes pures ; croyez-vous que je sois assez pur pour être une de ces victimes choisies ?

[Communiqué à la Grande Guerre du XXe Siècle.]

 

 



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