Médecins de la Grande Guerre

Histoire de la perfusion

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Histoire de la perfusion.

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La seringue de Roux

Injection intraveineuse par ponction veineuse (J Maisonnet, Petite Chirurgie, 1942)

Solution Baxter en Vacoliter

Contrôle d'absence de particules (test de lumière blanche sur fond noir)

L’invention du Dr Baxter.

Chacun sait aujourd'hui ce que signifie le mot "baxter" ou le mot "perfusion". Peu de gens savent cependant qu'il fallut une grande découverte, "un moment de génie" pour rendre cette technologie possible pour le plus grand bien de la médecine.

La sérothérapie commença à être utilisée souvent au début du siècle, en particulier pour combattre la diphtérie et le tétanos. La voie sous-cutanée s’imposait pour ces nouvelles thérapeutiques. On utilisait la seringue de Roux, d’une contenance de 20 cm³, reliée à une longue aiguille par un raccord en caoutchouc.

Les premières ampoules scellées firent leur apparition, parfois utilisées sans seringue, à la manière d’une perfusion sous-cutanée. Le Manuel de l’infirmière hospitalière (Masson, 1914) nous apprend qu’il suffit de briser d’un trait de lime les deux extrémités et d’adapter la pointe inférieure au tube de caoutchouc terminé par une aiguille en platine iridié. Durant l’entre-deux-guerres, cette technique d’injection n’a pas beaucoup évolué bien qu’on ait perfusé des solutions liquidiennes en quantités de plus en plus importantes.

L’occupation allemande nous coupe alors de toute information quant aux progrès de la médecine réalisés hors d’Europe. On en reste donc à la méthode classique de perfusion décrite dans le traité de « Petite chirurgie » du médecin-général français J. Maisonnet (1942) :


Injection intraveineuse par ponction veineuse (J Maisonnet, Petite Chirurgie, 1942)

-         les solutions seront introduites dans l’organisme à une température de 35 – 40 degrés et donc réchauffées si besoin au bain-marie,

-         pour l’injection sous-cutanée de sérum, il faut une aiguille de longueur et de calibre suffisants (8 à 10 cm) adaptée à un tube en caoutchouc lui-même fixé à un récipient contenant le sérum,

-         le récipient peut être soit un bloc d’Esmarch, soit un flacon à double tubulure fonctionnant comme un siphon ou par renversement. Dans ce procédé, on utilisera pour faciliter la pénétration du liquide l’augmentation de la pression de l’air d’une soufflerie de Richardson.

Le choc pyrogénique freine l'emploi des solutions aqueuses en perfusion.

Tout médecin qui voulait perfuser un patient soupirait devant la complication de la méthode. La solution à perfuser devait être préparée par le pharmacien, stérilisée, puis versée à bonne température dans un bock ou dans un flacon à double tubulure. Le contact de l’air avec le liquide perfusé et la méthode de Richardson favorisaient la dispersion des poussières aériennes dans le liquide. Les complications post-perfusionnelles sont fréquentes, la plus redoutée étant le choc pyrogénique qui survient surtout pendant la perfusion intraveineuse. Le vocable « pyrogène » a été créé en 1924 par Seibert et désigne des substances dissoutes dans les solutions injectables, capables de produire une poussée d’hyperthermie après une injection intraveineuse. Ce phénomène a été bien étudié par le professeur Hustin, pionnier de la transfusion sanguine en Belgique. Il se manifeste par de la température, des frissons, des lombalgies, céphalées et vomissements, quelle que soit la substance pyrogénique employée ( vaccin anti-typhoïde, gonovaccin, solution de glucose, ou d’eau salée physiologique).

Les substances pyrogéniques résultent du développement de microorganismes variés, qui apparaissent même dans de l’eau distillée. La stérilisation ne les fait pas disparaître et l’examen bactériologique ne permet pas de déceler si une solution est pyrogénique ou non.

En 1942, la pharmacopée américaine a établi un test étalon pour déterminer la présence de substances pyrogènes dans une solution. C’est le test des lapins. Cinq animaux doivent être employés pour la même expérience. Après injection, un écart de température de 0,6° au moins doit être noté chez deux des lapins pour que la solution testée soit considérée comme pyrogénique.

Pour d’une solution ne contienne pas de pyrogènes, le professeur Hustin conseille de n’employer que de l’eau fraîchement distillée, car il suffit de la maintenir quelques heures à température ambiante pour qu’elle développe des substances pyrogéniques.

On comprend que nous autres, médecins d’avant-guerre, avons longtemps restreint au maximum les perfusions intraveineuses. Et voilà que début 1940, la firme Christiaens fait paraître à ses frais un petit livre écrit par le docteur M. Ferond qui s'intitulait Le médecin devant le péril aérochimique. Ce livre contenait les premières publicités de la firme Baxter concernant ses solutions stérilisées sous vide Vacoliter. Ce système garantissait enfin au médecins des perfusions sans réaction thermique, quelle que soit la composition de la solution employée. Les photos de ce matériel révolutionnaire, dont Christiaens venait d’obtenir le monopole de distribution pour la Belgique, faisait mesurer à nos médecins l’avance prise par la technique des perfusions aux Etats-Unis. Ces premières publicités pour les solutions sous vide n'eurent cependant pas de suite immédiate car peu de temps après la guerre coupera les liens commerciaux de notre pays avec l'Amérique. Il faudra attendre la victoire alliée pour voir enfin chez nous la propagation de cette innovation médicale extrêmement importante.

L'inventeur des solutions sous vide:Le bon Dr Baxter.

Donald E Baxter est né à Southington (Ohio) en 1882. Après des études d’ingénieur civil, il obtient son diplôme de médecin en 1909. Engagé par la fameuse Rockefeller Fundation, il s’occupe de la mise au point des techniques de revalidation pour les victimes de la poliomyélite, puis il sert en France comme médecin militaire pendant la première Guerre mondiale. Démobilisé, il part en Chine, toujours pour le compte de la Rockefeller Fundation, afin de porter assistance aux victimes du choléra. C’est durant ce séjour qu’il aurait inventé le premier plan incliné destiné à faciliter l’accès aux bâtiments aux handicapés en voiturettes.

Atteint de tuberculose, il doit écourter son séjour et rentrer aux Etats-Unis. En 1921, il crée un laboratoire de produits médicaux à Glendale (Californie). Il y développe toute une série de produits novateurs : des bouteilles d’oxyde d’azote pour l’anesthésie, des équipements radiographiques, des produits anticonceptionnels et même des cosmétiques.

Il suit de près la littérature médicale. Son attention est attirée en 1923 par un article du Dr Seibert Florence, de l’Association Nationale contre la Tuberculose. Ce médecin décrit les graves réactions de ses patients aux substances pyrogènes contenues dans l’eau distillées, même après stérilisation. Pour le Dr Baxter, c’est le point de départ de recherches visant à mettre au point une technique qui rendrait toute solution liquide apyrogène.

En 1928, il expérimente sur lui-même en s’injectant un liquide stérilisé sous vide. La solution reste apyrogène : c’est le succès et un progrès indéniable.

Un an plus tard, il commercialise timidement ses solutions sous vide. Travaillant à très petite  échelle, le succès eut été lent à venir sans sa rencontre avec les frères Falk. L’histoire de cette collaboration vaut la peine d’être contée. Harry Falk est un commerçant avisé mais malchanceux : la dernière entreprise qu’il vient de fonder – la Popatocrat ( !) – s’est engagée auprès des détaillants de l’Est du pays à leur fournir des pommes de terre d’Idaho dans un parfait état de fraîcheur. L’idée, excellente en soi, demande une logistique compliquée et le succès se fait attendre. Philosophe, en attendant que le projet mûrisse, l’homme d’affaire collabore avec le Dr Baxter pour la diffusion et la vente de ses cosmétiques. Quant il voit le chercheur se focaliser sur ses solutions apyrogènes, il se demande si de tels produits pourraient engendrer un marcher important. Il montre quelques échantillons de solution sous vide à son frère, médecin à l’hôpital St Joseph à Boise, qui les teste dans son service et dans ceux de ses confrères.

Le Dr Ralph Falk est vite convaincu à la fois par le produit et par son frère d’investir dans cette invention. La confrontation des idées d’un médecin praticien, d’un médecin théoricien et d’un commerçant avisé, débouche en octobre 1931 sur la création de la Don Baxter Intravenous Products Inc.

Les capitaux de Falk permettent à l’invention de Baxter de prendre son envol. Il est vrai qu’elle arrive au bon moment : les progrès récents en chirurgie et en thérapeutique médicamenteuse réclament des voies d’accès plus sûres au corps humain. La perfusion de liquide est de plus en plus employée comme moyen thérapeutique mais, pour éviter le choc pyrogénique, elle s’effectue par voie sous-cutanée avec une longue aiguille. La procédure requiert la surveillance par un médecin et une infirmière au chevet du malade pendant une heure ! Ce nursing limite fortement les demandes de perfusion.



Solution Baxter en Vacoliter

En 1931, la société Baxter dépose le brevet de son Vacoliter Containent. Un an plus tard, s’étant rendu compte de la difficulté de vendre au « porte à porte » aux hôpitaux. Harry Falk parvient à conclure un contrat avec une société de distribution de produits médicaux déjà bien en place : The American Hospital Supply. La partie n’est pas encore gagnée. Il faut sans cesse améliorer le produit et arriver à produire à grande échelle. Les multiples problèmes sont résolus rapidement, sans grands moyens mais avec beaucoup d’ingéniosité. Ainsi, on s’aperçoit que de microscopiques particules de verre détachées pendant le transport peuvent rendre le liquide turpide. Le Dr Nesset, nouveau collaborateur de la jeune société, règle la chose par un traitement des flacons au dioxyde de souffre. Un autre collaborateur, le Dr Cherkan, parvient à traiter le bouchon de caoutchouc afin qu’il ne réagisse plus avec la solution. Il invente pour ce faire une huile dont la formule est toujours gardée secrète.

Du côté des hôpitaux, il faut sans cesse convaincre et ce rôle est dévolu aux premiers délégués pharmaceutiques engagés. Il faut persuader les médecins que le surcoût des solutions sous vide est compensé par un moindre coût du nursing, faire des démonstrations. Certains hôpitaux se plaignent de réactions imprévues attribuées au Valcoliter. Il s’agit bien souvent de contaminations microbiennes dues à la mauvaise désinfection de la tuyauterie en caoutchouc et de l’aiguille. Des solutions deviennent turpides sans raison apparente pendant un hiver rigoureux. Les reprenant dans sa voiture pour les faire analyser, le délégué s’aperçoit à l’arrivée qu’elles sont redevenues limpides : le froid avait simplement précipité le dextrose. On spécifie des normes de stockage.

En 1934, le Dr Baxter revend ses 40% de parts aux frères Falk. Il décède l’année suivante d’une hémorragie cérébrale, à 53 ans.

En temps de guerre comme en temps de paix.

Les opérations de la seconde Guerre mondiale ont mis en lumière la valeur de l’invention du Dr Baxter et assuré le succès de sa société. En 1939, le système de conservation du sang sous vide est breveté par la firme Baxter sous le nom de Transfuso-Vac. En 1941, c’est le plasma qui est à son tour conservé sous vide. A la fin des hostilités, 1,2 millions de Transfuso-Vac et de Plasma-Vac Container, et 4,3 millions de Valcoliter avaient été livrés à l’armée américaine. Les nouvelles techniques de transfusion ont fait leurs preuves. On estime que moins de 5% des soldats américains blessés au front perdirent la vie, alors que 10% des soldats allemands décédèrent des suites de leurs blessures.

Les liquides de perfusion stérilisés sous vide sont arrivés chez nous en 1944 avec les médecins militaires ayant appartenu aux forces belges en Grande-Bretagne. Un jeune confrère, le Dr H. Reynholt, qui opéra trois semaines comme anesthésiste en 1944, se souvient du savoir-faire remarquable qui régnait dans le Service de Santé britannique, où appareillage et produits pour transfusions et perfusions étaient disponibles à la demande. Se retrouvant plus tard à l’hôpital Longchamp à Bruxelles, il s’efforça d’obtenir des équipements tout aussi performants. On imagine les difficultés d’un jeune médecin idéaliste revenant de récentes opérations militaires, face à des chefs de service plus âgés et encore installés dans les habitudes d’avant-guerre ! Encore fallait-il aussi former le personnel paramédical aux nouvelles techniques. Le Dr Reynholt en fit l’expérience l’an dernier encore, quant il demanda à l’infirmière responsable de son service de commander un stock de sérum physiologique destiné à être perfusé. Quelque temps après, alors qu’il réclamait son stock, celle-ci ouvrit une main protégeant six ampoules de sérum physiologique et lui dit candidement : « Je crois que cela suffira pour un certain temps, docteur… »

C’est donc avec une certaine lenteur que les perfusions au moyen de solutions stérilisées sous vide se généralisent dans nos hôpitaux. Le progrès est toutefois inarrêtable et le nombre de patients sauvés est là pour en témoigner.



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