Médecins de la Grande Guerre

Sœur Marguerite, l'héroïque infirmière improvisée des Yprois !

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Sœur Marguerite, l’héroïque infirmière improvisée des Yprois !



Sœur Margriet-Marie. Journal de guerre d'une religieuse d’Ypres 1914-1915 – Zuster Margriet-Marie. Oorlogsdagboek van een Ieperse non 1914-1915


Sœur Marguerite – Emma Boncquet

Introduction et avertissement au lecteur

       De l’automne 1914 au printemps 1915, Ypres fut soumis à un incessant bombardement. La ville encombrée de réfugiés et de soldats vivra à cette époque un véritable enfer. Les habitants s’abritèrent comme ils purent dans les caves et essayèrent de survivre tant bien que mal. Ils durent affronter la famine, la fièvre typhoïde et la destruction de tous leurs biens. Dans leur grande misère, les Yprois pouvaient cependant compter sur l’aide d’une équipe de secours remarquable. Elle était composée du curé de la paroisse de Saint-Pierre, le curé Delaere, des religieuses enseignantes, Sœurs Marguerite et Sœur Marie-Berchmans et d’une demoiselle Cloostermans. Ces quelques belges furent merveilleux pour leurs compatriotes. Ils soignèrent, consolèrent les blessés, ramassèrent les morts, victimes des bombardements puis les ensevelirent et cela dans des conditions effroyables et souvent sous une pluie de shrapnels. L’arrivée des Quakers à Ypres leur procura une aide précieuse. Sous le commandement de Mr. Young, ces derniers créèrent er un hôpital dans l’hospice du Sacré-Cœur et procurèrent à l’équipe de choc du curé Delaere les voitures ambulances nécessaires à l’évacuation des blessés, orphelins et vieillards.

       Le curé Camille Delaere fut d’abord professeur de rhétorique cinq ans au collège de Saint-Amand à Courtrai avant d’en devenir le directeur. Le 1er mars 1908, sa vie prend une autre orientation quand il est nommé à Ypres curé de la paroisse Saint-Pierre. Durant les premiers mois de la guerre, il fera partie d’un « Comité Provisoire » pour gérer la ville sous les bombardements. Camille Delaere fit preuve d’un dévouement exceptionnel pour secourir jour et nuit ses habitants, ce qu’il lui valut d’être décoré de l’ordre de Léopold par le Roi Albert en personne le 17 août 1915.

       Quand il dut quitter Ypres en mai 1915, il s’occupa de l’orphelinat des garçons à Wisques. Revenu à Ypres après la guerre, comme doyen, il participa à l’effort de reconstruction puis, en 1928, à l’âge de soixante ans, il se retira à Saint-André à Brugge où il décèdera en 1936.

       Quant à Sœur Marguerite, elle raconta toute cette épopée dans son journal personnel qui fut publié sous le titre de « Journal d’une Sœur D’Ypres » à Rouen par l’imprimerie de la Vicomté en 1918. Un récit exceptionnel qui témoigne de la grandeur d’âme de l’auteur et de ses compagnons qui furent les héroïques sauveteurs des Yprois. Sœur Marguerite (en réalité Sœur Marguerite-Marie), de la congrégation des sœurs de Lamotte, de son vrai nom Emma Bonquet, avait passé toute son enfance à Ypres. Elle enseignait dans l’école des filles de la rue de Lille qui jouxtait son couvent. D’enseignante, elle se transforma avec la guerre en une infirmière douée qui servait aussi servir d’interprète aux médecins Quakers qui ne parlaient qu’anglais. Sœur Marguerite possédait une force de caractère exceptionnelle. Son courage lui permettait d’affronter les pluies de shrapnels pour porter secours à ses nombreux concitoyens victimes des bombardements. Plusieurs fois, elle faillit perdre la vie au cours de ses sorties mais Sœur Marguerite œuvrait manifestement sous une bonne étoile. Rien ne la rebutait, pas même l’enlèvement dans les décombres des corps des victimes souvent atrocement mutilées par les bombardements. Sœur Marguerite savait tout faire ou, en tout cas, s’essayait à toutes les tâches. Elle faisait office de cordonnière pour réparer les chaussures de son curé, était charpentière pour obturer de planches les fenêtres de son couvent et fit parfois office de sapeur-pompier.

       A la lecture de son journal, on est surpris de voir détaillés de nombreux noms des victimes des bombardements. Sœur Marguerite n’avait pas devant elle des victimes anonymes mais des voisins, des connaissances, des parents d’élèves et même des élèves. En détaillant minutieusement leurs noms dans ses mémoires, Sœur Marguerite nous impressionne. Derrière le corps qui vient de décéder se cache toujours une âme, une histoire. Peu importe qu’ils aient été nombreux à devoir être ensevelis pendant ces six affreux mois. Pour résister au stress post-traumatique, Sœur Marguerite n’a jamais été tentée de banaliser le cadavre. Elle s’efforcera toujours, au contraire, de connaître et de retenir les noms des victimes afin qu’ils ne soient pas oubliés. Comment cette frêle religieuse ne s’écroula pas devant tant de drames et de corps déchiquetés ? La question reste sans réponse.

       Après la guerre, sœur Marguerite reprit son métier d’enseignante mais, à plus de septante ans, elle accepta encore la responsabilité de supérieure d’une communauté de religieuses à Bon-Secours (Hainaut). En septembre 1963, elle rejoignit le couvent de la Sainte Famille à Ypres pour y passer une retraite bien méritée. Elle décéda en 1977 à l’âge de 94 ans.

       Sœur Marguerite fut fêtée récemment à Ypres pendant les commémorations du centenaire de la Grande Guerre. Je ne sais pas si ce fut aussi le cas de sa compagne, Sœur Marie-Berchmans, qui la seconda dans tous les coups durs. Pour cette deuxième religieuse au courage exemplaire, je n’ai hélas pas trouvé de renseignements, je ne connais ni son nom de jeune fille ni son origine. Peut-être un lecteur pourrait-il me renseigner ? Sœur Marie-Berchmans ne survécut pas à la guerre. Elle décéda à Poperinge en octobre ou novembre 1916. Jusqu’à ce jour, elle reste donc une héroïne anonyme et bien trop discrète. Il en est de même pour cette demoiselle Cloostermans qui, selon Sœur Marguerite, était toujours présente pour soigner ses concitoyens. Qui était cette demoiselle ? Que devint-elle après la guerre ?   Nous aimerions le savoir pour mieux pouvoir l’honorer !

       Pour vous cher lecteur, j’ai résumé « le Journal d’une sœur D’Ypres ». Ce que vous allez lire ci-dessous n’est donc pas le texte original mais bien le texte condensé du livre de Sœur Marguerite. J’ai essayé de reprendre les évènements principaux de ce journal avec nombre de ses phrases mais il me fallut aussi résumer, à ma façon, de longs paragraphes.  

Condensé du « Journal d’une sœur d’Ypres »

7 octobre 1914

Entrée d’une avant-garde allemande dans Ypres. Henri Vandamme tué par une balle qui traversa la fenêtre de sa maison. Premiers dégâts dans la ville suite à des obus. 

Samedi 10 octobre 

Joseph Debrouwer, terrassier est assailli par les allemands et tué par une automitrailleuse. Echevins et Bourgmestre pris en otage contre 65.000 francs. 

13 octobre

Les Allemands ont quitté la ville, une armée anglaise de 40.000 hommes la remplace.

14, 15, 16 octobre

 250 anglais et 60 chevaux logent dans le couvent.

17 octobre

Les soldats français arrivent. 40 prêtres faisant partie du service d’ambulance logent au manège de la rue des Tuiles. Bon nombre de fugitifs des environs arrivent en ville.

22 octobre

300 blessés anglais arrivent au couvent. Jusqu’au 5 novembre, 9 ambulances anglaises se succédèrent. Du 12 au 15 décembre, ce furent des Français qui arrivèrent, remplacés de nouveau par des Anglais. Chaque ambulance restait 24 heures. Le premier soldat mort chez nous fut P. Whitehead, 2274 Cay, Batt-Ray-War-Reg, mort le 22 octobre. Le capitaine Lord Charles Fits Maurice et le lieutenant A.D.Harding décédèrent le 30 octobre.

Le 27, 28 octobre

Bombes et coups de canon occasionnent plusieurs blessés.

Le 29 octobre

Une bombe tomba sur la Grand-Place. Valentine Dethoor qui demeurait rue de Lille eut une jambe et un pied écrasés et mourut peu après. Deux enfants furent tués rue de Thourout. J’aide à soigner les blessés français à l’école communale des filles, rue de Lille.

3 novembre

Des marmites atteignent différents endroits de la ville dont la cure à côté de notre école (rue de Lille) où se trouvait une ambulance anglaise. A. Devos, domestique à l’hôpital civil est tué. Nous passons la nuit dans les caves depuis le 30 octobre.

L’ambulance nous quitte nous laissant 18 morts. 14 sont enterrés au cimetière mais les autres dans le jardin du couvent.



L’hôpital civil avant la guerre


Ce qui resta de l’’hôpital civil après les bombardements

4 novembre

Plusieurs de nos sœurs ont fui à Poperinge. Oscar Seghers qui se trouvait à sa porte, place Van de Peereboom eut la tête décapitée, ses deux fils furent grièvement blessés et plusieurs soldats tués.



5 novembre 

Les obus sifflent sans arrêt. Les blessés français et leurs ambulances partent pour Pop. Le chœur de l’église Saint-Martin est endommagé. Au cercle catholique dans les caves où se trouvaient des réfugiés, un obus éclata. La famille Notebaert qui comptait six enfants fut très éprouvée. Deux enfants furent tués sur le coup, trois autres blessés gravement, le papa, Joseph eut la main coupée. La maman et la bonne s’en sortirent indemnes. Je me portai au secours de ces gens avec Sœur Marie-Berchmans. Nous arrivâmes le matin alors que le bombardement avait eu lieu à 3 heures du matin. Toute la famille était là au milieu des morts et des décombres. On fit appel à des soldats anglais qui aidèrent à l’évacuation vers notre couvent où ils reçurent les soins du bon docteur Dieryckx.

6 novembre

Explosions continuelles. Ch. Beun meurt après avoir reçu l’extrême-onction. Joseph Notebaert et sa fille Anna reçoivent aussi l’Extrême-Onction. Le docteur Dieryckx opère la main de M. Notebaert avec l’aide de Sœur Marie-Berchmans qui s’évanouit en voyant le sang. Je la remplace.

7 novembre

Décès de M.Notebaert. Des maisons brûlent en dix endroits.



9 novembre

Bombardement terrible. Une casserole d’un obus pénètre dans la cellule de Sœur Anna pendant que le curé de Saint-Pierre récitait les prières des défunts pour M. Notebaert. Le débris est refroidi par des seaux d’eau puis transporté à la cave dans une cuve d’eau.



10 novembre

Le bombardement reprend et provoque des dégâts dans l’église Saint-Pierre. Marie Lefebvre est tuée en face de l’église. Emérence Wyckaert mortellement blessée. Le toit de l’église s’enflamme et les Sœurs Livine, Geneviève et Raphaëlle remplissent les seaux d’eau. Le curé et le vicaire Leys essaient de retrouver les ciboires et hosties. L’église est devenue hors d’usage. La révérende Mère quitte la ville avec ses religieuses sauf Sœur Marie-Berchmans et Sœur Marie. Nous partons à Poperinge.



Le courageux curé Delaere portant la décoration reçue des mains du roi Albert en août 1915

11 novembre

Violente détonation dans l’hospice des Sœurs noires. Dans le dortoir, trois petites vieilles sont tuées ainsi que la servante Céline Pladys et le vicaire Leys qui avait été appelé pour donner les derniers sacrements à une malade. La supérieure des Sœurs Noires fut projetée à distance. Une heure après la première explosion, il y en eut une nouvelle au-dessus de la buanderie dans laquelle on avait entreposé les corps des victimes qui furent projetés à plusieurs mètres. Ce n’est que cinq mois plus tard que l’on retrouva le corps de Céline Pladys. On fait connaissance avec les Quakers qui prêtent une ambulance pour évacuer les vieilles femmes et orphelins de l’hospice.



Sœur Marguerite à l’extrême gauche, le curé Delaere à droite en compagnie des Quakers

12 novembre

Dans la cave de Monsieur Baus où s’étaient réfugiés pour la nuit, Monsieur le Curé et les Sœurs Noires qui étaient restées, Sœur Geneviève et Sœur Raphaëlle, se fit entendre une explosion. La famille Ameloot est sous les décombres. On put sauver 4 enfants mais le père, la mère, la grand-mère, le bébé étaient morts. Le lendemain on retrouva encore le corps de la petite Marie. Les deux Sœurs Noires décident de quitter Ypres. Le soir, un obus tombe dans la cave de la brasserie de M. A. Boone. Il y a deux morts, Charles Demey et Sophie Torens.  

13 novembre

Les aliénés de l’hospice du Sacré-Cœur ont été évacués sur Vaucluse en France sous la garde des Sœurs et du Dr Dieryckx. Cet hospice va dorénavant accueillir les sinistrés avec l’aide du curé et de Mlle Cloostermans. Un obus tombe sur l’hôpital civil et tue la servante Léonie, Léon Vanderbeke et deux soldats anglais. Plus tard sept personnes sont tuées dans la salle de l’école Saint-Louis : la femme Achille Coutrez-Vanaassche et trois de ses enfants, l’enfant unique de M. Degryse, le neveu de M.Didier et un vieillard, Ch. Vereecke. Léonie Degrave subit l’amputation d’une jambe.

Les Quakers du «  Friends Ambulance Unit » décident de secourir les habitants d’Ypres tant qu’il y restera un seul habitant.




14 novembre 

Le bombardement qui dure depuis 12 jours, cessera-t-il ?  Sœur Anna et sœur Elisabeth sont restées seules pendant ces douze jours à l’hôpital civil avec 46 blessés allemands. Le soir, des voitures ambulances parviennent à évacuer les Sœurs et blessés. 

16 novembre

Messe à l’Hospice Saint-Jean. Le curé Delaere veut adresser des paroles à ses paroissiens mais aucune parole ne veut sortir de sa bouche et seules viennent des larmes.

16 novembre

Après deux jours d’accalmie, les bombardements reprennent. Je décide de quitter Poperinge pour retourner à Ypres. Avec deux consœurs nous atteignons Ypres ou nous rencontrâmes 500 fuyards qui quittaient la ville. Au couvent, Sœur Marie-Berchmans et Sœur Marie sautent de joie en nous revoyant. La petite communauté restante se composera du curé Delaere, de Sœur Marie-Berchmans, de Sœur Marie, de Sœur Antoinette, de moi-même, ainsi que de Math. Maroy.

19 novembre

Que restera-t-il de notre ville ?

20 novembre

Un shrapnel explose tuant Arthur Deweerdt et Jules Garreyn. Les blessés sont conduits dans notre couvent où Mlle Cloostermans et moi-même les soignons en attendant l’arrivée du  docteur de la Friends Ambulance Unit. Vers 3 heures, je récupère trois bottes d’officiers anglais morts chez nous pour confectionner deux semelles pour les souliers de M. le curé que je dois réparer.

21 novembre

Beaucoup de maisons sont détruites.

22 novembre

Vers 9 heures on bombarde les Halles. Le premier obus tombe sur la tour, le troisième sur l’horloge. Vers 11 heures le carillon dégringole et les Halles sont en feu. C’est un spectacle affreux.



L’église St-Martin prend feu à son tour. Le curé parvient à y sauver plusieurs antependiums anciens. Ils sont portés à l’auberge « Boerenhol ». J’arrive encore à temps pour sauver quelques beaux tapis et statues.  Vers 8 heures du soir, Sœur Marie-Berchmans nous demande si nous avons pu sauver la statue de Notre-Dame de Thuyne, patronne de la ville. Nous y allons. La force d’explosion des shrapnels était telle que nous avons dû nous adosser contre le mur de l’église St-Martin durant une heure avant de pouvoir y entrer. Hélas nous ne trouvâmes pas la statue. Nous emportâmes un tableau que nous avons découpé de son encadrement ainsi que quelques objets. Vers le soir le beau musée de l’ancien hospice s’enflamme à son tour.



L’ancien hospice Belle était devenu le musée d’Ypres. On le voit ici tel qu’il était avant sa destruction


23 novembre

Monsieur le Curé Delaere s’assure qu’il n’y a plus rien à sauver dans les Halles mais il ne reste que les murs. L’abbé Versteele parvint, dans l’église St-Martin, à ouvrir le coffre-fort de la sacristie. Le Saint-Sacrement est alors porté au couvent de l’école Saint-Joseph. On apprend que l’ingénieur Vander Ghote a sauvé la statue de Notre-Dame de Thuyne


La statue de Notre-Dame de Thuyne sauvée par l’ingénieur Vander Ghote

Le soir, Mr le Curé se rend à l’auberge Boerenhol où il découvre quatre automobiles françaises en train de charger tous les objets précieux qui avaient pu être sauvés des Halles et de l’église Saint-Martin. Le Curé voulut s’opposer à ce déménagement mais il fut effectué par ordre du bourgmestre. Quelques temps après, la précieuse cargaison à l’abri à Berck-Plage, on pouvait lire dans différents journaux que deux officiers français avaient sauvé les trésors d’Ypres parmi lesquels la Vierge de Thuyne. Quel canard pour des messieurs qui n’avaient pas affronté les flammes !  Mais la statue qu’ils avaient n’était pas la celle de Notre-Dame de Thuyne mais celle de Sainte Barbe. La vraie statue était chez nous dans la cave pour trois semaines et y resta jusqu’au 9 mai 1915, date à laquelle elle fut transportée à Poperinge.

L’après-midi au coin de la rue Wenninck, je rencontre deux individus bizarres, l’un dans des vêtements trop larges, l’autre dans des vêtements trop courts. Je parviens à avertir des soldats anglais qui les arrêtèrent comme étant des espions allemands.



24 novembre

A une heure du matin, un obus tombe sur le dortoir des vieilles dames de l’hospice Saint-Jean. Avec le curé, Mlle Cloostermans, Sœur Marie-Berchmans, nous nous y rendons. Quel chaos ! On ne pouvait plus distinguer les lits. On découvrit deux mortes, et sept blessées. A défaut d’hommes et de véhicules, on enterra les mortes dans le jardin avec deux autres corps rapportés là depuis le samedi par deux soldats français.

Après tout cela, Sœur Marie-Berchmans se rendit à Pop pour demander qu’on y transporte tous les vieillards des hôpitaux.



Photo de l’hospice qui fut une des rares bâtiments qui ne fut pas totalement détruits par les bombardements de la Grande guerre. Aujourd’hui, il est devenu le musée communal

25 Novembre

Pendant que je panse un blessé, de grosses pierres de taille sont lancées de tous les côtés. Il en tombe une dans la chapelle des Sœurs Noires, et trois dans notre couvent. Le calme succède à ce tapage. Plusieurs personnes meurent à l’hospice Saint-Jean de leurs blessures. Dans l’après-midi, l’ambulance automobile des Friends Unit transporte 16 femmes à l’hôpital du Sacré-Cœur et 8 autres chez les Sœurs Paulines à Poperinge.

26 novembre

Les Quakers continuent à évacuer les vieilles femmes de Saint-Jean et les vieillards du Nazareth. Ils seront conduits à Pop et de là en France.



28 novembre

Les cadavres enterrés au jardin de l’hospice Saint-Jean sont déterrés et portés au cimetière civil. Joséphine Cloostermans est suspectée comme espionne alors qu’elle fait tant de biens ici !

J’ai oublié d’écrire que quelques jours avant l’incendie de la cathédrale, muni d’un marteau et de pinces, j’allai dans l’église sauver les objets du reliquaire qui avait été brisé par un obus. Quelques soldats français en avaient déjà pris quelques-uns mais je réussis à sauver la plupart des précieuses reliques. Le lendemain, la grande voûte s’effondra ! Cela aurait pu arriver un peu plus tôt lors de nos fouilles d’hier !!

29 novembre

M. le Curé Delaere me dit d’aller chercher rue du Canon et rue de Nazareth deux vieilles femmes qui devaient être un peu plus tard évacuées par les Quakers. A peine sortie, la tête d’un shrapnel roula dans la rue et je retournai sur mes pas mais le curé me cria : Eh bien quoi pas encore partie ? Finalement je courus dans la rue et pu ramener les vieilles mais pas moins de cinq shrapnels volèrent au-dessus de nos têtes. 

1er décembre

Le combat est moins furieux. Emile Legrand est le premier opéré du Dr Rees du Friends Ambulance Unit. L’opération se fait dans notre ouvroir.

2 décembre

Les Quakers consentent à organiser un hôpital à Ypres. Ce sera au Sacré-Cœur mais il leur faut du renfort et le curé s’en va à Poperinge quérir deux Sœurs de l’hôpital civil de Pop : ce sera Sœur Aloysia et Sœur Antonia. D’autres Sœurs suivront. 

3 décembre

Vers deux heures, un obus tombe sur la cuisine du Dr Dieryckx y tuant la femme Lazeuse, deux de ses enfants et une vieille femme.

4 décembre

Maintenant que les blessés possèdent leur hôpital tenu par les Quakers, le curé s’occupe de chercher un logis pour les vieillards.

5 décembre

Les blessés qui ne sont pas à l’hôpital peuvent venir jusqu’à notre couvent pour y être soignés par moi et par Mlle Cloostermans sous la surveillance du Dr Rees ou du Dr Malaber. Quelques-uns, trop effrayés, sont soignés dans les caves et les casemates. Les casemates sont des places souterraines sous les remparts. Chaque famille choisit son petit coin et y installe ses matelas et deux ou trois chaises avec parfois une petite table et un réchaud à pétrole. Des habitants y restèrent six semaines sans voir la lumière du jour. J’y trouvai un jour un bébé de deux mois qui y était né et qui n’avait pas encore respiré l’air du dehors !

6 décembre 

Plus de 50 obus tombent en ville.

7 décembre

Vers 9 heures du matin tombe une pluie d’obus. Vers 13 heures un homme réclame notre assistance : un obus est tombé sur l’auberge « Het Zeepaard » et toute une famille est sous les décombres. Nous nous y rendons avec M. le Curé. Un enfant de Joseph Coffyn Hof est tué, plusieurs autres blessés. A ce moment, l’église Saint-Pierre commence à flamber car un obus est tombé sur l’église. Le curé et moi courons chercher les clés de l’église. Il fallait couper le feu en montant sur le toit et c’est le curé qui y monta. Jos. Cortenier et deux volontaires l’imitèrent tandis que nous leur apportions des seaux d’eau. Vers deux heures du matin, l’incendie était éteint !  A peine rentrés au couvent, trois hommes de la maison Grimonprez en face de l’église étaient blessés et venaient demander nos soins car un obus était tombé sur l’arrière-cuisine dans laquelle, faute de cave, ils s’abritaient. Nous les soignâmes puis Joséphine Cloostermans les conduisit dans la cave de la brasserie Gillebert en face du couvent. Un autre obus avait blessé le beau-père Degryse. Les obus continuèrent à tomber aussi cette nuit fut la plus terrible pour nous et il y eut encore 15 nouveaux blessés. Le matin on vint nous avertir que 4 personnes de la rue de Dixmude étaient tuées et trois autres blessées. C’est Mlle Cloostermans qui s’en alla les soigner.

8 décembre

Je vais prévenir quelques familles qui veulent être conduites à Furnes par les Quakers.

9 décembre

Après une accalmie, les blessés profitent de venir refaire leurs pansements chez nous. Un réfugié de Zonnebeke, Ed. Deleu, était affreux à voir. Il souffrait d’une infection de la barbe et je lui promis de le soigner s’il venait deux fois par jour faire ses soins. 

10 décembre

Une charrette nous amène un officier français mort. Il s’agit du Capitaine Diedelge du 126ème . Aujourd’hui les Quakers ont emmené à Furnes beaucoup de malades et de blessés.

11 décembre

Pluie de shrapnels ce matin.

12 décembre

Marmites et shrapnels sur le couvent du Nazareth où des soldats français malades se reposaient. Huit tués. Les époux Eu. Vanuxem-Dufflou et deux enfants sont blessés par un shrapnel tombé sur leur maison. Un autre tomba sur la maison de Georges Roscamp-coffyn. Père, Mère et trois enfants restèrent sous les décombres. Plus loin, dans une maisonnette de bois, le mari, la femme et deux enfants de la famille Cam. Velghe-Carleir sont blessés

14 décembre

Pluie d’obus sur notre couvent. On se réfugie dans la cave. Des soldats du poste de secours du 94ème qui sont installés dans la salle de classe, paniquent. Quelques-uns s’encourent et l’un d’entre eux est tué près de la porte. M. le curé eut le temps de lui administrer l’extrême-onction, le pauvre homme avait les deux jambes enlevées. Un autre fut atteint près de la porte de Lille ainsi que deux civils, le père Geeraerd et M.Devarvere. Après ce bombardement, munie de clous et d’un marteau, je me transforme en charpentier pour rafistoler portes et fenêtres ! Il en faut des clous ! J’en ai déjà employé 1 kg et demi de gros et 2 kg et demi de petits.

15 décembre

Des obus à trois reprises pendant la nuit.

17 décembre

Un docteur des Friends unit vient me chercher pour aller visiter des malades car l’hôpital du  Sacré-Cœur est réservé aux blessés. Il n’y a plus qu’un seul docteur Yprois, c’est le Dr Van Robaeys, toujours en course et ne se souciant aucunement du danger !

19 décembre

32 pansements sont fait avant l’arrivée du médecin Quaker, le  Dr Fox.

20 décembre

Un jeune homme blessé arrive. Son bras enfle terriblement et pas de docteur ! Avec un crochet je parviens à lui enlever un morceau d’éclat d’obus. Le pauvre garçon tombe en syncope. Après une demi-heure, il peut reprendre le chemin de sa maison. Ce soir a commencé le bombardement de l’hôpital du Sacré-Cœur. Les quakers transportent dans les caves leurs blessés et malades.

21 décembre

Ce matin, 50 obus tombent sur le Sacré-Cœur. Nombre de blessés doivent être transportés à La Panne. Les dégâts sont énormes. Six civils de l’ambulance des Quakers sont tués parmi lesquels Raphaël  Vander Ghote et son compagnon. 

22 décembre

Les quakers transportent leur hôpital à l’asile des aliénés, rue de Thourout.

23 décembre

Massselein du Potyse qui était venu en ville acheter du pain est blessé mortellement près de la gare. Un shrapnel enfonce le toit chez le pharmacien Vandenplasse-Samyn et chez Vandelanoitte.



24 décembre

Beaucoup de pansements à faire. La barbe d’Ed. Deleu est presque guérie. Visites aux malades dans la ville. Le docteur, quoique protestant, nous avertit quand un patient est en danger de mort. C’est M. le curé ou le vicaire Roose qui leur administre les derniers sacrements. Aujourd’hui, je déploie mon talent de coiffeuse en rasant la tonsure du vicaire Roose. Donc un métier de plus après ceux de charpentier et pompier, barbier, cordonnier.

25 décembre

Pendant la messe célébrée par M. le Curé, le sifflement et l’explosion de shrapnels recommence. L’église pleine de monde se vide en un instant. Une femme est tuée rue de Bruges et plusieurs autres sont blessées. Triste Noël !

26 décembre 

A la Kruisstraat, il tombe plus de 16 obus.

27 décembre

L’artillerie française fait un bruit épouvantable. Dans la matinée je me rends avec un docteur quaker aux hameaux « Het Wieltje » et « de Brijke » d’où nous pouvons voir que l’on bombarde la ville. Sœur Antoinette est nommée « Supérieure » et nous avons beaucoup de plaisir avec notre nouvelle « Mère ».

30 décembre

Une voiture d’ambulance conduit à Poperinge et à Proven  M. le Curé, Sœur Livine et Sœur Marie-Berchmans pour aller porter nos vœux de nouvel-an à notre Révérende mère et à nos Sœurs.

31 décembre

Le bombardement dure jusque minuit puis subitement tout redevient calme.

1er Janvier 1915

La petite église des Sœurs Noires est bondée. Plus tard vers 3 heures, au moment du salut, cinq ou six shrapnels viennent éclater au-dessus de nos têtes. On n’entend plus le curé qui prélude au chapelet. Sœur Marie-Berchmans vient me chercher pour panser trois blessés. Entre-temps, le salut achevé, un des patients vient nous avertir que d’autres personnes dans la rue des Boudeurs étaient blessés gravement. Le curé y court et trouve Emma D’Hondt, 21 ans, mourante. Mr le curé lui donna la Sainte Onction puis le fit conduire en charrette jusque chez nous où elle expira quelques minutes plus tard, tenant en mains le cierge béni et priant sans laisser échapper une plainte. On nous apporta Marie Dehollander, 17 ans avec une balle de plomb qui lui a traversé le corps au-dessus de l’omoplate droite. Au même instant, Valentine Woets, 20 ans, entre en pleurant et criant. Elle avait le bras fracassé au-dessus du coude par de petites balles de plomb. Mr le Curé rentre avec la mère Dehollander qui souffre d’une plaie terrible au bas-ventre. Le docteur-major des Français et un vétérinaire entrent et pansent la patiente qui est conduite à l’hôpital des Quakers arrivés aussi à ce moment.

2 janvier

Mr Lams arrive avec le corbillard pour y chercher les morts de la veille. Dans la galerie, je heurte un brancard d’où sort une odeur infecte. C’était le cadavre d’une vieille femme réfugiée de Zonnebeke, morte de misère dans un grenier de la rue des Trèfles. Apporté la veille, dans un état de putréfaction, Sœur Berchmans avait oublié de me prévenir.

3 janvier

La femme DeHollander meurt au Sacré-Cœur. Le matin durant le Salut on vint me chercher pour conduire deux officiers français auprès de la tombe du commandant de La Croix du 114ème de Ligne. Un des deux officiers semblait très ému : c’était son frère ! Le soir je rencontrai un pauvre soldat français qui venait des tranchées et s’appuyait sur un bâton. Il avait les deux pieds gelés .Je l’ai invité à venir se restaurer chez nous avant de reprendre son chemin vers le poste français. Chez nous, je lui ai donné des vêtements de rechange, ce qui a permis de faire laver ceux qu’il portait.

4 janvier

Les quakers nous ont envoyé sept caisses de Bovril  (extraits de viande) et des pois secs pour nos blessés et malades. Il y a deux jours, le commandant des Quakers, Mr Young nous apporta deux sacs de chemises.

5 janvier

Un gendarme a commis l’imprudence d’ouvrir un obus et est mis en pièces. Un autre est grièvement blessé. Le comité de secours se réunit. Il est décidé d’organiser une soupe et Sœur Marie fera bouillir du lait qui sera versé dans des bouteilles d’un litre. Mlle Mathilde Maroy nous aidera à la distribution qui sera faite selon une liste contenant des adresses : deux familles rue des Chiens ; trois à la rue de la Crapaudière ; 8 à la cour des Veuves ; sept, rue des Boudeurs ; cinq à la rue Grillinck ; cinq, rue du Canon ; trois au Zaalhof ; deux rue des Trèfles ; cinq à la rue Basse et trois dans la rue de Lille.

6 janvier

Journée calme. Vers 5 heures, trois soldats volent du vin dans la cave du curé. Ils avaient avec eux une charrette des pompiers et s’enfuirent par la porte de Lille.

7 janvier

Depuis quelques jours, je visite les malades avec le Dr Thomson (quaker). Tous les malades qui envoient leur adresse à notre couvent sont visités gratuitement. Les malades qui se présentent au couvent, rue de Lille entre 9 et 10 heures reçoivent aussi des soins des Quakers. Ma mission est de servir de guide et d’interprète et aussi de décider les malades à se laisser conduire à l’hôpital, ce qui n’est pas facile. Une fois, une vielle femme de la rue des Lapins, empoigna une pelle à charbon et le tisonnier pour me frapper. Heureusement que les Quakers ne comprennent pas la langue flamande et les termes délicats par lesquels on les récompense !

Quelques cas de fièvre typhoïde se sont déclarés. M. le Curé se rend chez le Commandant de Place pour lui parler de l’organisation d’un hôpital pour les typhoïques.

8 janvier

Mr le Curé et le chef des quakers s’occupent d’organiser un hôpital pour les typhoïques à l’Institut du Sacré-Cœur. Trois Sœurs de l’hôpital civil d’Ypres reviennent de Pop pour aider les Quakers.

9 janvier

La maison de R.M. Verriest, rue St Jacques s’effondre. Joseph Hof est blessé et je lui retire du visage une vingtaine de petits grains de fer.

10 janvier

M. le Curé rappelle au commandant de Place que la Friends ambulance Unit » attend son autorisation pour pouvoir rester à Ypres.

11 janvier

Bombardement. A la rue des boudeurs  n°18, la petite fille Alcroix-Sinnaeve avait une grave blessure à la tête et la femme Pharilde Sinnaeve, au front. Mme Bauwens refugiée dans une maison attenante était au lit avec un bébé de deux jours quand elle fut projetée contre le poêle brûlant. L’enfant roula sous le lit mais n’eut pas la moindre égratignure. Je les pansai. Un peu plus tard je rencontrai le commandant Young et nous allâmes rechercher les blessés pour les conduire au « Sacré-Cœur » mais la mère Bauwens avec son enfant s’était encourue comme une folle et personne ne savait où. Il y eut aussi deux tués et 12 blessés à la Kruisstraat. Finalement on retrouva la femme Bauwens dans cette rue et elle fut conduite à l’hôpital.

12 janvier

Alors que le Curé et moi-même étions à la porte pour écouter la femme Kerrinckx-Vandevijver, une explosion se fit entendre auprès de nous : c’était un obus brisant qui fit un trou juste à côté de l’égout. Nous restâmes indemnes mais la femme Zélie Duprez-Legrand fut blessée à la face ; à la main, à la jambe. Je pus extraire sept éclats de fer.

Un shrapnel est tombé sur la maison Didier rue de l’Arsenal et a tué la femme Dondeyne-Dehollander, sa fille et son beau-fils Alyntho.

13 janvier

M. le Doyen est arrivé. Cette fois il restera au couvent où Sœur Berchmans lui prépare un lit dans la cave aux pommes de terre qui sert déjà de logis à M. le Curé depuis des semaines.

15 janvier

M. le Curé va rechercher des vieillards impotents pour les mener en lieu sûr.

16 janvier

M. le Curé accompagnait en auto la première petite vieille que l’on conduisait aux « Pauvres Claires » quand il tomba hors de la voiture. Je courus lui porter secours. Il avait perdu connaissance et avait une blessure à l’œil gauche que je pansai. Ce ne fut qu’après une heure qu’il revint à lui. Il souffrait beaucoup de l’épaule gauche et il lui fut impossible de s’habiller les jours suivants. Quel sacrifice pour lui de ne plus pouvoir faire ses courses de charité !

21 janvier

Un colonel, un sergent et six soldats tués dans une maison qui s’effondre

26 janvier

Le commandant Young accompagne le Curé à la réunion du Comité et propose de désinfecter l’eau des remparts, de placer des tonneaux d’eau stérilisée à l’usage des habitants, de faire des injections anti typhoïdes. On constate beaucoup de cas de typhoïde parmi les réfugiés.

27 janvier

Le commandant Young a acheté bon nombre de tonneaux. Camille d’Haene est chargé de les remplir et de les placer aux différents endroits de la ville.

28 janvier

Vers midi, trois ou quatre shrapnels blessent cinq personnes rue d’Elverdinghe et rue Saint-Jean. Lorsque j’arrive là pour porter secours, une ambulance des Quakers est déjà là.

Young propose de créer un « Search Party » (équipe de recherche) pour rechercher dans les maisons les typhoïdes.

29 janvier

Chaque jour à partir 9 heures le matin et à partir 2 heures l’après-midi toutes les maisons et caves seront visitées par les quakers en compagnie des Sœurs comme interprètes. Dans chaque famille, on s’assure de l’état de santé et on facilite aux vieillards et enfants de pouvoir quitter la ville. Les maisons infectées seront marquées par un X de couleur jaune pour celles qui ont un cas de typhoïde non évacué, un V jaune pour les maisons qui ont un cas de typhoïde évacué mais non encore désinfectée, un X bleu dans le cas d’une diphtérie, un X rouge dans le cas d’une fièvre scarlatine. Défense aux militaires d’entrer dans les maisons marquées pour faire des achats ou pour faire laver leur linge. S’il faut brûler des lits et literies, les habitants reçoivent une carte leur permettant de s’en procurer chez nous. Ce « Search Party » fut le plus grand bien, tant pour l’état sanitaire des soldats que pour celui des civils.

30 janvier

M. Vandamme qui se rendait au Sacré-Cœur avec son bébé pour le faire baptiser est mortellement atteint.

31 janvier

M. le Curé accompagne le Dr Thomson chez les malades. Une quatrième salle pour typhoïdes a été ouverte au « Sacré-Cœur »

2 février

Une ambulance anglaise s’installe à l’hospice Saint-Jean. Le soir, le Dr Smerdon (Quaker)  vient nous injecter au couvent le vaccin.

3 février        

200 soldats viennent loger au couvent. 

4 février

La « Search-Party »  fait bonne besogne malgré les shrapnels et obus. Rue Courte-du-Marais, deux personnes tuées.

5 février

Un obus brisant fait explosion dans notre chapelle. Beaucoup de dégâts. On vient demander notre secours pour une maison de la rue de la Prison qui s’est effondrée. Mlle Cloostermans s’y rend mais revint immédiatement : le mari et la femme Muylle-Pinet étaient sous les décombres et devaient être tués.

La chapelle des Sœurs Noires a aussi été touchée et nous suivons M. le Curé pour essayer d’arranger au mieux la chapelle afin de pouvoir le lendemain y célébrer la messe. L’après-midi, je me rends dans la chapelle des âmes du Purgatoire sur ordre du curé pour y chasser des voleurs. J’y découvre deux soldats anglais qui essayaient d’ouvrit le tronc de Saint-Antoine. Ils se retirèrent aussitôt.

7 février

L’hôpital du Sacré-Cœur se peuple de plus en plus : on y compte 470 malades et 134 cas opérés.

11 février

Une maison s’effondre ; cinq tués. Un soldat anglais est fusillé à la caserne. Une voiture d’ambulance emmenait quatre blessés chez les Sœurs de Godelieve. Un obus tua les deux brancardiers et les quatre infirmes. Au moment du coucher, on nous amena Arthur Dehaene grièvement blessé ainsi que Charles Dehaene et un enfant Maertens. Une femme nous apporta un jeune bébé à panser croyant que c’était le sien. Arrivée au couvent, elle s’aperçut que c’était celui de Charles Dehaene ! Et son enfant qu’est-il devenu ? Pauvre Mère ! Un peu plus tard, huit morts sont trouvés près des casemates ! C’étaient Charles Dehaene, et sa femme, l’épouse Alixe Vandenberghe et deux de ses enfants, l’épouse Hof. Dubois et ses deux filles. Les cadavres furent déposés chez nous. Je portai le bébé Dehaene au « Sacré-Cœur », il avait un bras et une jambe cassée. Arrivée là-bas, je remarquai que j’étais toujours en toilette de nuit. On me donna deux couvertures pour me couvrir. 

Le lendemain matin, nous visitâmes les proches des victimes. Les petits Dehaene et Maertens sont décédés à l’hôpital. Six soldats sont tués dans la maison de Maurice Desramault. Quatre autres dans la rue du Lombard. Beaucoup de blessés sont transportés à « Saint-Jean » où six meurent peu d’heures après.

13 février

Service d’enterrement pour les 8 victimes dans la chapelle des Sœurs Noires. C’est la troisième fois que l’on enterre une de mes élèves.

15 février

152 personnes sont venues se faire injecter. Les cas de typhus diminuent. Dans la ville les civils consomment environ 65.000 litres d’eau désinfectées. Depuis le 28 janvier 11.000 ont été inoculées pour la première fois et 10.000 pour la seconde fois.

16 février

Un capitaine s’arrange avec le curé afin de centraliser le nettoyage des vêtements des soldats. 12 lessiveuses sont recrutées qui seront dès demain à la caserne de l’infanterie.

18-19-20 février

Le Dr Thomson se rend avec moi dans la famille Sonneville pour les persuader d’hospitaliser leur fille Gabrielle, 22 ans, atteinte de typhoïde. Il faut user de force !

22 février

Quelques hommes près de l’auberge « de Engel » ont voulu ouvrir un obus qui a éclaté entre leurs mains. Emile Crepeele, Célibataire 36 ans est mis en pièces. Thomas Deruddere, jeune père est écrasé contre un mur. Le petit Albert Hoornaert est grièvement blessé.

Nous continuons notre « Search Party ». Trois typhoïque de la paroisse Saint-Pierre sont décédés aujourd’hui à l’hôpital : Romanie Maertens, 13 ans, Elma Meersman, 15 ans et Gabrielle Sonneville, 22 ans. Aujourd’hui encore 236 personnes sont injectées. Un réfugié, Cuypers, tombe aussi victime de son imprudence en voulant ouvrir un obus. Il s’était fait un petit métier ne vendant des obus allemands aux Anglais !

Nous avons été, le soir, rechercher les corps de Crepeele et de Deruddere. Le corps d’Emile Crepeele était littéralement en pièces : un des bras était introuvable. La tête et l’épaule de Thomas Deruddere étaient restées collées au mur et si fortement attachées que sœur Lucie et moi fûmes obligées d’employer nos ongles pour les enlever le mieux que nous pûmes. Nous étions à une demi-heure des Sœurs Noires où nous devions porter les corps. Quoique la lueur des fusées éclairaient la route assez souvent, la difficulté du chemin, le poids du fardeau et la rencontre de plus de 1.200 soldats en marche pour les tranchées, et qui, à chaque tournant, recevaient l’ordre de s’arrêter, nous attardaient beaucoup. Après une heure et demie d’efforts, nous arrivâmes au couvent où les corps furent enveloppés de couverture.

25 février

M. le curé va trouver le doyen pour lui parler des mesures à prendre en faveur des orphelins et impotents de la ville. Nous hébergeons depuis 4 jours les soldats du R/B Hussars G escadron. Ils ont trouvé l’endroit où nous avions entreposé nos costumes de théâtre et vont organiser un concert avant de partir dans les tranchées. Le soir le concert commence vers 7 heures. Les acteurs paraissent sur la scène déguisés en Chinois etc. Il y a des morceaux de musique et des refrains chantés par toute la salle. Bref, ils s’amusent comme des enfants sans s’inquiéter des obus qui tombent continuellement dans notre quartier.

26 février

La « Search Party » explore aujourd’hui le Kruisstraat. Au moment où nous quittons le N° 28, un shrapnel éclate et puis un peu plus loin deux obus. Le premier met en ruines une maison de la Pannenhuisstraat. Nous y courons. Une femme est sous les décombre gravement atteinte. Son bébé est indemne mais son enfant de un an est tué. La femme et son bébé sont transportés à l’hôpital des Quakers. Le second obus est allé à cinquante mètres tuer deux soldats anglais et trois civils parmi lesquels Menu et Lefever. Celui-ci est revenu la veille de Malassise, guéri de la typhoïde. Un homme avait la main enlevée et Lucien Masselin avait perdu deux doigts.

28 février

Une douzaine de shrapnels près de l’école de Bienfaisance. Nous sommes appelés par le Curé à nous rendre Brielenpoorte où se trouvaient des réfugiés en grande détresse. Nous y trouvâmes une mère alitée depuis trois semaines, dévorée par la fièvre ; les dents noires comme de l’encre. Le mari était caché sous le lit, d’où nous le retirâmes, ce dont il nous remercia en nous crachant à la figure. Le pauvre était si malade qu’il divaguait. Cinq petits enfants sales jouaient dans la même pièce et n’avaient rien mangé de la journée. Le gamin de 11 ans me coupa du bois pour faire du feu et je préparai de la soupe avec le Bovril que j’avais apporté puis la viande qu’on m’avait donnée pour eux… Le lendemain, une voiture des Friends vint enlever les deux malades et les enfants confiés à une voisine. Après quelques jours, on dut emmener deux des garçons à l’hôpital. Lorsqu’ils y arrivèrent, père et mère avaient déjà passé à une autre vie. M. le curé se chargera des enfants à l’avenir.

1er Mars

M. le Comte de Beaumont et M. Chopard sont venus aujourd’hui faire offre à M. le curé d’un château en Normandie pour y recueillir à leurs frais les orphelins d’Ypres.

Il pleuvait lors de notre « Search Party » et dans une petite cave sous les halles de la boucherie une femme nous offrit son abri en attendant que la pluie cesse. A peine assise, comme poussée par une main invisible, je me lève et sors suivi par le Dr Stopford. A peine sommes-nous au milieu de la rue que, sous la poussée du vent, les murs calcinés des halles s’effondrent ensevelissant la femme que l’on venait de quitter. Avec l’aide de deux hommes nous entreprîmes le déblayement pour retirer la victime qui fut transportée chez Dehaene, en face du couvent. Le curé lui donna l’Extrême Onction. 



Le curé Delaere et les orphelins


Le courageux curé Delaere après la guerre

3 mars

Dans l’après-midi, M. le comte et Mme la Comtesse d’Ursel viennent trouver le curé pour l’œuvre de la literie et des vêtements pour typhoïques et réfugiés. Ce même jour, j’accompagne Mme la Comtesse pour faire des emplettes de toile pour literies et pour chemises ; le tout s’élève à 1.200 francs. Le travail sera confié à des jeunes filles réfugiées.

5 mars

Un homme tué au château d’eau.



Ruines du château d’eau

Nous visitons trois fermes vers la chaussée de Dickebusche pour y visiter trois fermes. Dans les prairies de la première est installée une batterie anglaise. Bientôt un obus tomba dans la prairie ou nous étions. Derrière un arbre, je vis rouler à mes pieds un morceau de fer brûlant. Trois obus tombèrent en tout. A grand peine on parvint à se dégager de cette prairie pour arriver à notre voiture d’ambulance et là un quatrième et cinquième obus tombèrent à proximité. Pour la cinquième fois cette semaine, nous échappions à une mort presque certaine. La « Search Party » à Ypres est terminée. Plus de cinq mille familles ont été visitées et souvent en plein bombardement.

6 mars

Distribution des vêtements dans notre couvent en compagnie de la comtesse d’Ursel. Plus de 700 chemises ont été données. Le Dr Thomson vient me chercher pour visiter quelques malades suspects. Nous trouvons trois typhoïques qui se laissent conduire à l’hôpital. Parmi eux se trouvent deux enfants Breyne, réfugiés de Werwick, ce qui fait huit malades de cette famille à l’hôpital du Sacré-Cœur.

7 mars

Nous trouvons deux typhoïques et il faut prêcher pour que leurs parents les laissent partir. Voilà 12 cas dans la rue de la Plume !

8 mars

Départ d’un convoi de réfugiés vers la France. Les vieillards, enfants impotents seront conduits par les quakers de notre couvent à Vlamertinghe. Vers 11 heures chacun est au rendez-vous dans notre réfectoire. Après que Sœur Berchmans a donné à tous une bonne tasse de soupe chaude, le départ commence. J’accompagne les enfants en auto, car il faudra que, arrivés à destination, ils soient remis à leurs parents qui, pour la plupart vont le trajet à pied… Arrivés à Vlamertinghe, il reste dix minutes à faire à pied pour atteindre la gare. Sur le bras droit je porte un bébé, au bras gauche, je traîne un vieillard de 86 ans. A mon tablier pend un des plus petits, un autre à mon chapelet, et un à ma corde. Une trentaine de jeunes enfants marchent devant nous. Voyez ce cortège !

Arrivés à la gare, la cuisine roulante des Quakers servit aux réfugiés soupe, pain, viande, fromage et une orange. Le chef de gare examina la liste des réfugiés et on veille à ce que les gens d’une même famille soient logés dans le même compartiment. Le train part en France mais je ne connais pas la destination. Et durant trois semaines, le même spectacle se reproduira.

Vers 2 heures, il faut guider la « Search Party » et visiter des typhoïques qu’on a laissé chez eux.

Monsieur Henri Lemahieu, qui travaillait dans sa propriété est tué par un obus.

9 mars

Au Tivoli, chaussée de Lille, on nous apprit qu’au Driekoningenhoeck, deux réfugiés d’Hollebeke étaient atteints du typhus. Nous allâmes faire une enquête. Dans une maisonnette sale et en désordre, presque dépourvue de mobilier, nous trouvons quelques enfants dans un état lamentable de pauvreté et de négligence.

-         Combien êtes-vous dans la famille ? demandai-je.

-         Père, Mère et huit enfants. » Montrez-moi les cartes, attestant que vous avez été injectés !

-         Six cartes ! et les autres ?

-         Mon Mari et mon fils aîné travaillent chez les anglais, ma fille aînée a un gros froid et moi je me ferai vacciner lorsque les autres seront guéris !

Nous demandâmes à visiter la maison. Pour toute literie, quelques sacs de paille infects, de la chambre à coucher s’échappait une odeur nauséabonde. J’ouvris la fenêtre et dis à la femme de laisser aérer la pièce. Nous descendîmes à la cave mais nulle part nous trouvâmes deux typhoïques. Il fallut partir bredouille.  « Nous surprendrons la bonne femme ce soir » me dit le Dr Thomson. Je lui fis remarquer que lors de notre visite la femme s’est tenue adossée contre un mur en bois et avait peut-être caché une porte. Il fut donc convenu que sitôt rentrés, on s’empresserait vers l’endroit suspect et que, le cas échéant, la porte dissimulée serait ouverte immédiatement. C’est ce que fit le Dr Thomson, tandis que je notifiai à la femme que nous avions reçu l’ordre d’emmener tous les typhoïques qui, à cause de la proximité des tranchées, mettaient nos soldats en péril. Nous trouvâmes les deux malades à l’endroit soupçonné couchés sur des sacs. Ils avaient 40° et 41° et le fils délirait. M. Thomson reprit sévèrement la femme en anglais et fit si bien qu’elle fut saisie de frayeur. Je la calmai et nous les emmenâmes à leur grand contentement ainsi que la jeune fille qui était légèrement atteinte.

11 mars

Le comte de Beaumont du Valée vient discuter avec le curé du projet d’érection d’un asile pour orphelins.

12 mars

Beaucoup de familles pauvres de Saint-Pierre s’apprêtent à partir pour la France. Quelques familles auxquelles j’ai remis des bons, pourront venir demain chercher un paquet d’effets avant de quitter la ville.

M.E. Declercq, professeur au collège, a trouvé à caser nos orphelins chez les Pères Trappistes à West-Vleteren.

Le soir, une douzaine d’obus sont tombés. La femme Gruwez a été tuée

13 mars

La famille Claeys-Coffyne que je visite avec le Dr Thomson refuse absolument de laisser conduire à l’hôpital les membres atteints de typhoïde de sa famille. Trois de ses membres sont déjà morts.

15 mars

Les petits orphelins ont rendez-vous chez nous pour être conduits à West-Vleteren. Comme j’allais chercher deux petits, à quelques mètres de moi, trois obus au « Kafferwijk » tuent Woussen, Braem et la belle-sœur Biebouw avec un jeune enfant. Les jambes de l’enfant sont projetées au loin. Deux autres enfants eurent une jambe coupée. L’ambulance que j’envoie chercher arriva immédiatement et les victimes conduites à l’hôpital. Après quoi je trouvai la maison de mes parents au quartier du commerce. La porte était ouverte… j’y entre… personne ! Je vais voir Emile Devos qui m’assure que ma sœur est dans la maison d’à côté. Je l’y trouvai et lui remis la clé de la porte. Près de la barrière de chemin de fer, je rencontre mon frère et lui ordonne de rejoindre ma sœur jusqu’à ce que cet affreux bombardement se termine. J’avais à peine fait quelques pas qu’un obus tombe en face de l’estaminet « le Congo » et tue Emile Léo Devos et trois des six soldats qui se trouvaient là en train de chercher des victimes ensevelies sous les décombres de la maison du directeur de l’usine à gaz. En tout, il y eut 8 morts et 12 blessés. Ce fut le jour le plus affreux pour la Kruisstraat.

16 mars

Nos chers orphelins sont tous réunis. Vers 2 heures, le Révérend M. Declercq qui sera leur directeur, les conduit à West-Vleteren.

17 mars

M. le curé avec le commandant Young partent pour St-Omer où Madame Pannnier d’Ambricourt offre son patronage et son ouvroir à Wizernes pour nos orphelins.



Classe de garçons à l’orphelinat de Wizernes

19 mars

Un nouveau cas de typhoïde, chaussée de Menin. C’est une jeune fille de 18 ans qui avait refusé l’inoculation. Au moment où nous la déposons à l’ambulance, les Allemands commencent à bombarder le quartier. Les balles de plomb pleuvent autour de nous.

21 mars

Des shrapnels tuent un homme au « Sacré-Cœur » et deux femmes à la Kruisstraat.

22 mars

Visite du ministre de Broqueville. Je lui fis visiter notre réfectoire où le Dr Wallice faisait des injections à une quarantaine de personnes, l’ouvroir où le Dr Manning, assisté de Mlle Cloostermans prodiguait des soins aux blessés ; la classe où deux jeunes filles s’occupaient des literies et une douzaine d’autres faisaient des vêtements ; enfin la salle servant de dépôt. Il vit aussi à l’œuvre nos braves soldats anglais et ne put exprimer assez sa satisfaction à la vue de tant d’œuvres improvisées dans des bâtiments bombardés au milieu d’un tas de ruines.



Visite aux ruines d’Ypres du Ministre de Brocqueville

23 mars

Distribution de vêtements.

24 Mars

Quelques typhiques transportés.

25 mars         

Plus de 65 petites filles viennent accomplir leur devoir pascal à la chapelle des Sœurs Noires. En allant avec le Dr Thomson visiter des réfugiés  chaussée de Zonnebeke, nous trouvons, un cas de diphtérie au n° 45, un typhoïque au n° 21 et deux cas de scarlatine au n° 33. Tous sont transportés à l’hôpital.

26 mars

Une réfugiée de Zonnebeke est tuée par un obus. Le Révérend Declercq part pour Wisques avec six orphelines de Watou. La « Search Party » a commencé ses recherches à Vlamertinghe. Sur la grand-route de Ypres à ce village nous découvrons douze typhoïques qui sont conduits à l’hôpital Elisabeth fondé à Poperinge par les quakers et où la comtesse d’Ursel et la comtesse van den Steen de Jehay déploient un dévouement admirable.

29 mars

Un soldat qui se trouvait dans le magasin de M. Vergracht a une jambe enlevée ! Chasse aux aéroplanes. Quelques malades visités le long du canal à Boesinghe.



A Ypres, un petit commerçant qui ne craint pas les bombes

30 mars

Le Dr Thomson vient me chercher pour continuer ses visites aux typhoïques de la paroisse Saint-Jacques hors ville. On n’en trouve plusieurs : Vandenbergh, la femme Hughe, Père Ghelein, etc.

1er avril

Les tuberculeux sont visités aujourd’hui : un homme, rue de Thurout ; Lebbe ; Kalfvaart, et la femme de Ch. Van Overschelde qui venait d’expirer à notre arrivée.

4 avril

Une vingtaine d’obus. Le Père Room et Vanhove sont tués et dans la maison contigüe, les deux enfants Dethoor-Deweerdt sont blessés grièvement. Ils expirèrent quelques heures plus tard au « Sacré-Cœur ». 12 petites Vieilles partent pour Pontoise et 15 vieillards pour Corbeil (France)

6 avril

En visitant les malades, nous trouvons deux cas de typhus. Au vieux marché au Bois, plusieurs personnes sont tuées sous les décombres d’une maison.

7 avril

Je suis partie aller chercher trois orphelines qui devaient partir pour notre colonie de Wisques-lez-Saint-Omer. A mon retour, notre couvent commença à être bombardé. Trois obus tuent quatre soldats, 48 autres furent blessés dont trente moururent dans la quinzaine. Un des cuisiniers fut saisi de frayeur et courut dans les caves des Sœurs Noires où il perdit connaissance durant une heure. Dans la chapelle des Sœurs Noires, le vicaire Roose célébrait la messe pour le repos de l’âme de Room et de Van Hove quand le bombardement commença. La panique fut générale. Un des fuyards qui s’était mis à l’abri dans l’estaminet « het Truweeltje » rue des Chiens fut enseveli sous les décombres. M. le Curé le dégagea et le fit transporter au Sacré-Cœur où il mourut le matin même. Deux soldats qui préparaient le déjeuner pour officier furent tués dans la brasserie de M. Vermeulen. Ce dernier eut une blessure à la tête que je pansai. Au « Bukkerstraat », un obus tomba sur la boulangerie Castelein et tua l’ouvrier Adelin Houtekiet et blessa Philipaert. La femme Castelein reçut 23 blessures dont plusieurs mortelles.



8 avril

Le bombardement persiste. A la rue des trèfles, une pauvre femme atteinte du typhus est conduite au « Sacré-Cœur », laissant trois petits enfants aux soins du malheureux mari ; le plus jeune était malade et n’avait que cinq mois. Immédiatement le curé s’en chargea : pour 20 fr par mois, une réfugiée volontaire soignera l’enfant. Vers midi, j’arrive au couvent avec un bébé que j’avais trouvé seul et pleurant dans son berceau. Un petit trousseau fut rassemblé pour elle et elle fut confiée à une nourrice.

12 avril

Enterrement de Madame Castelein. Le couloir et le réfectoire sont pleins de femmes et d’enfants pleurant de frayeur en attendant les ambulances qui doivent les conduire en lieu sûr.

15 avril

Notre bon Curé a porté hier le Saint-Sacrement à 18 malades. C’était touchant de le voir passer en rochet et velum, précédé de deux enfants de chœur portant sonnette et flambeau.

Michel Ossieur en maniant un obus l’a fait exploser et a eu les deux jambes arrachées. Il mourut peu après. Cinq nouveaux cas de typhus.

17 avril

Visite à la ferme Hoflack. Trois malades dans la grange que nous ramenons au «  Sacré-Cœur »

18 avril

Record des coups de canon : trente par minute !

Sur la route d’Elverdinghe où nous sommes partis chercher deux typhoïques, c’est un champ de ruines ! Un obus tombe sur l’église au moment où Mr Armstrong, le chauffeur Quaker se préparait à remettre la voiture en marche. Un gros morceau de fer vint s’abattre entre lui et moi et cassa onze tuyaux de notre voiture. Quatre officiers canadiens me reconduisirent au « Sacré-Cœur ».



19 avril

Ce matin après le service pour M. Dethoor, au moment de transporter le corps au cimetière, l’arrivée d’un shrapnel a obligé le cortège de retourner sur ses pas. Au « Bascule » où je me trouvais ce matin avec le Dr Fox, tous les habitants s’étaient sauvés dans les champs. Sous une maison qui venait de s’écrouler, nous trouvâmes deux morts et un blessé. Le cadavre d’une jeune fille frappée dans sa fuite fut ramassé par M. l’ingénieur Vanderghote. Je la reconnus pour être la cousine de Julia Lenoir, une de mes élèves, elle devait avoir 22 ans. Notre tournée chez les malades dut être abandonnée. C’était la première journée du deuxième grand bombardement qui dura 15 jours.

Au couvent, je soignai le petit J. Demeester de Passchendaele âgé de 11 ans, luttant contre la mort. Il avait le bras droit et la jambe gauche enlevés. Sa mère et deux autres enfants avaient été tués sous le coup et sa petite sœur mortellement blessée. Le pauvre père est à l’hôpital parmi les typhoïques. Joseph Hof, déjà blessé antérieurement est tué. Mr. Alp Van den Driessche eut la tête coupée ; sa femme et son fils sont sous les décombres. Deux autres tués au « Bolle », rue Carton.

L’affreux bombardement d’hier provoque de nouveaux départs. Dans l’après-midi un obus tombe sur la brasserie Donck et tue 23 personnes des cinquante qui s’y étaient réfugiés. En m’y rendant, je rencontrai une petite fille de 9 ans, Jeanne Meersdom traînant son petit frère de 7 et sa sœur de 5 ans. Les enfants furent pansés et emmenés aux casemates derrière l’église Saint-Jacques

22 avril

Hier des soldats fuyant les tranchées sont arrivés criant que les Boche les avaient empoisonnés. Beaucoup moururent sur la route en proie à l’asphyxie. 

25 avril

Nous recevons notre part : des obus asphyxiants : un sur le couvent et trois aux alentours. L’eau me coule des yeux, mes lèvres bleuissent, j’étais prête à suffoquer.

26 avril

Ces derniers jours, on a évacué les habitants restés en ville. L’église Saint-Jacques brûle. Le curé est accouru avec Sœur M. Berchmans, Sœur Livine, et Jos Cottemer. M. le curé escalade le toit de « la Providence » pour couper le feu. L’image de N.D. du Rosaire avait été apportée à notre couvent et on a sauvé un grand nombre d’objets de la cure ou de la Providence.



Elverdinghe, intérieur de l’église


27 avril

Cette nuit de nombreux obus. L’un tombe sur la maison où l’on avait mis les objets sauvés hier. Tout le travail effectué a été inutile !

1er mai

Le 29 avril, nous avons trouvé intact le corps de Juliette Liégeois. Elle devait être une victime de l’incendie du Tribunal. Elle portait sur elle un grand nombre d’obligations sauvées d’une maison en flamme. Mlle Cloostermans a préparé dans la caserne qui sert de gendarmerie une salle pour blessés. J. Lorrain et deux jours après Claeys y sont morts. Ceux qui laissent encore un peu d’espoir de survie sont quant à eux transportés par l’ambulance des Quaker.

3 mai   

Sur les indications de M. le Curé nous avons découvert une petite vieille dans la cour d’une maison bombardée, à demi écroulée. Elle n’avait plus mangé depuis deux jours et pouvait à peine marcher. Miss Fyfe, demoiselle écossaise, nous avait amené une voiture. Un brave Canadien sortit de sa cachette et m’offrit de m’aider pour amener la petite vielle à l’ambulance. Au sifflement qui se fit entendre, un deuxième soldat sortit. Ensemble, ils auraient pu porter aisément la vieille dame mais celle-ci ne voulut rien entendre et s’écria : « Quoi de ma vie, je n’ai donné le bras à un homme et maintenant j’irais l’offrir à un soldat ! »  Il fallut céder. Je fis signe aux soldats que je m’en tirerais seule. Arrivée à l’auto, rue de Lille, la veille refusa d’y monter : elle devait auparavant acheter du tabac pour trois centimes ! Je lui remis 1 Fr, lui disant qu’elle pourrait s’en procurer à Poperinge autant qu’elle voudrait. Enfin elle se décida à prendre place dans l’auto déjà bondée de chiens, de chats, de cages d’oiseaux que Miss Fyfe avait trouvés çà et là.

Les familles Baelden et Baratto réfugiées ensemble chez ces derniers, rue des Trèfles, sont bien éprouvées aujourd’hui. Les femmes Baelden et Baratto furent tuées sus le coup. Le père Baratto a deux blessures mortelles, le fils unique de 11 ans a le crâne fêlé ; la sœur de la femme Baelden, réfugiée d’Houthulst, a la jambe cassée. Le père Baelden est couvert de petites blessures de la tête aux pieds. Son jeune fils de 7 ans souffre d’une jambe cassée. Les trois plus petits sont saufs. Tous ont été transportés au couvent. En cherchant du secours pour ces malheureux, d’autres tristes spectacles se présentent à notre vue : ici c’est un homme entre les brancards d’une charrette à bras toute chargée de paquets avec femme et enfants, plus loin un homme git, tenant un paquet sous la main, tandis qu’un autre est jeté à distance ; puis c’est un soldat étendu sous son cheval mort.

7 mai

Un obus de 420 vient de démolir une maison de la rue de Menin. Au « Kalfvaart », tout le monde est parti. Des cadavres doivent être ensevelis sous les décombres car ce quartier a été bombardé furieusement cette nuit. M. le Curé y a envoyé ses ouvriers, qui avec l’aide de deux gendarmes, ont déjà découvert deux cadavres. Dans une maison à demi démolie, Joseph Cottenier trouva un vieillard terrifié dans une cuisine dont la porte était fermée par une corde. Joseph fit entrer les gendarmes. Au premier abord, le pauvre homme crut que c’était les Allemands mais vite on le rassura et on le convainquit qu’on était venu pour le délivrer. Marcher lui était impossible, on le porta sur un brancard jusqu’à la charrette où force fut de le coucher sur les deux cadavres qu’on emmenait. Oh ! Que ce malheureux était content quand je le vit ! «  Je savais bien que la bonne vierge viendrait à mon secours » dit-il. Je lui demandai qui il était ; voici son récit : « Je suis Léopold Mahieu, réfugié de Moorslede. Il y a quelques semaines, je suis arrivé ici chez V… qui, il y a trois jours, est parti avec mon portefeuille contenant 16.000 Fr, après avoir lié la porte. Depuis, je n’ai ni mangé, ni bu ! J’ai 86 ans.

8 mai

Le corps de Louise Devos a été retrouvé. Elle avait un petit panier renfermant quelques objets de couture, un catéchisme ; ses livrets d’épargne et de pension.

Je suis chargée de faire du pain pour les 30 ou 40 personnes qui n’ont pas encore quitté la ville. La boulangerie d’E. Penseel est à notre disposition. Nous y trouvons six sacs et demi de farine. Le four est chauffé au milieu d’un affreux bombardement mais bientôt il fallut quitter la besogne car M. Young venait prendre les derniers habitants qu’il fallait que je rassemble. Dans une casemate de la porte de Lille, je trouvai encore 14 réfugiés que je ne pus qu’à grand peine décider à déguerpir. Je retournai à la boulangerie juste à temps pour mettre au four. Notre fournée fut fort réussie avec 74 beaux pains !  

9 mai

Après un long regard sur nos ruines et surtout sur l’image de la Sainte vierge, toujours debout au-dessus de la porte d’entrée de notre couvent dévasté et malgré une grosse trentaine d’obus et shrapnels qui avaient éclaté au-dessus, nous abandonnons, le cœur brisé, notre chère maison et notre bonne ville d’Ypres.

10 mai

J’ai poursuivi ma route à Saint-Omer, à l’ « Appui belge », puis à la « Malassise » où j’avais à remettre un colis à la sœur Marguerite des Sœurs Noires. Ici, j’ai trouvé parmi les typhoïques notre sœur Germaine dont j’ignorais absolument la maladie. Je retourne à Poperinge où je loge à l’hôpital Elisabeth.

12 mai

J’accompagne la comtesse van den Steen à Ypres

Nous sommes rentrées dans le couvent d’où nous avons enlevé en partie ce qui restait de nos ornements d’église. Coûte que coûte, je voulus rapporter aussi un pot de beurre mais je faillis bien ne plus jamais retourner à Poperinge car à ma sortie de cave, je fus saluée par une nouvelle salve d’obus.

13 mai

J’accompagne M. le Curé qui rapporte à Saint-Omer des ornements d’église et l’image de N.D de Thuyne.

14 mai

Je jouis de l’hospitalité des Sœurs du pensionnant Saint-Denis à Saint-Omer. Quel contraste que le calme de ces jours avec ma vie si mouvementée des longues semaines passées à Ypres.

26 juin

M. le Curé est venu m’annoncer mon départ pour l’Angleterre. Le Commandant des Quakers, M. Young m’invite dans sa famille avant de pouvoir m’occuper d’enfants Belges réfugiés en Angleterre.

14 juillet

De retour à Poperinge.

18 juillet

J’ai participé à une « Search Party » vers Elverdinghe.

17 juillet

Six cas de typhoïde à Vlamertinghe.

18 juillet

Il est à remarquer que dans la plupart des cas de fièvre typhoïde, ce sont les typhoïques de l’an dernier qui en sont ma cause. C’est pourquoi, tous ceux qui ont été attaqués doivent se présenter aux docteurs pour un examen minutieux.

19 juillet

Hier dans une maison remplie de soldats, dans les bois entre Vlamertinghe et Elverdinghe, nous avons trouvé une jeune fille se mourant de fièvre. Nous l’avons transportée à l’hôpital Ste-Elisabeth à Poperinge. Je suis prise comme une espionne par un policier militaire en face d’une ferme alors que Monsieur Goodbody et moi-même regardions une carte. Une fermière passant par là ne manqua pas de s’écrier : Ah ! J’ai bien pensé que cette nonne et cet officier étaient des espions allemands ! Les choses s’arrangent après une heure et trente d’attente.

20 juillet

Je vais rechercher des typhoïques. Dans une seule maison, nous en trouvâmes 14. Toutes les filles malades ont perdu leurs cheveux.

21 juillet

Vive la Belgique !

22 juillet

« Search Party » entre Poperinge  et  Proven.

23 juillet 15

Expédition à Ypres pour récupérer des livres dans ma classe. Après-midi Visite d’une trentaine de petites fermes. Peu de malades. Nous sommes rentrés trempés.



Ypres – Sur les ruines de l’église St Jacques

28 juillet 15

La « Search Party » se poursuit vers Proven, partout où la 6ème division est cantonnée. 

3o juillet 15

Embarquement vers l’Angleterre à Boulogne

1er août 15

Nous voici arrivée à Cookham  au « Formosa », château de notre bienfaiteur Mr. Young.



Cette carte postale montre les ruines du couvent des Sœurs Lamotte après les terribles bombardements de 1915. On aperçoit encore la niche dans laquelle se trouvait une image de N-D.

11 août 15

Un camp des Quakers est organisé à proximité du château. Les nouvelles recrues s’entraîne pour leur prochaine mission en Italie.

17 août

La nouvelle ambulance Quaker sous la conduite du commandant Young est fêtée avant son départ pour l’Italie le 20 août.

2 septembre

Nous voilà depuis plus d’un mois au château « Formosa » où nous avons passé des jours heureux et tranquilles.

4 septembre

Je quitte « Formosa » pour « Kenmora » où Miss Marie Colman nous a recueillies avec une bonté sans pareille. Nous attendons ici que dès le mois de septembre, nous puissions ouvrir à Maidenhead une école belge dont Miss Coleman prend sur elle toutes les charges pécuniaires.

5 octobre

Depuis quelques jours nous avons ouvert notre école dans le « Liberal club ».

21 novembre

Monseigneur Cotter donne le sacrement de confirmation à 13 de nos enfants.



Fin du journal de Sœur Marguerite, « condensé » par le Dr Loodts P. en ce mois de février 2019.



Cette carte postale témoigne des premières reconstructions de la ville martyr


Le tourisme de mémoire se développera rapidement après la guerre comme en témoigne cette British Tavern !

Dr P. Loodts

 

 

 



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