Médecins de la Grande Guerre

Le général Jacques de Dixmude.

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Le général Jacques de Dixmude.

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Le lieutenant général Jacques de Dixmude

Le Roi accompagné du général Jacques de Dixmude, décore des braves de la 6ème Division d'Armée

Le capitaine Joubert

Le capitaine Joubert et ses 8 enfants

Jacques de Dixmude lors de son quatrième terme en Afrique

Dixmude en 1914 – Les Belges arrêtent les Allemands sur le vieux pont de l’Yser

Nieuport – Tranchées du Grand Redan

Dixmude, l’Hôtel de Ville. Il reçut les premiers obus le 21 octobre. Le premier frappa la tour massive y creusant une large brèche ; entré par la verrière du fond le second éclata dans une arrière petite pièce avec une telle force d’expansion que le plafond et une partie de la toiture ont été précipités sur les dalles de la grande salle des pas perdus où ils broient les corps de 50 soldats belges et français

Dixmude – Le Canal et le Pont du Marché-aux-Pommes

Dixmude – La Minoterie et L’Yser. Que de luttes, que de pertes, que de souffrances ce nom de Dixmude évoque pour les divisions de l’armée belge qui toutes ont saignées devant ces ruines. Quiconque montrait la tête au dessus du parapet était condamné : aussi ceux qui pendant quatre années ont monté dans ce secteur infernal, leur garde sacrée n’oublieront jamais la sinistre Minoterie dont les mitrailleuses ont tué tant des nôtres, ni ces tranchées, où l’on subissait stoïquement les ravages continuels des bombes et des torpilles géantes

L'enterrement du Commadant Poupliers. Derrière le cercueil, Jacques de Dixmude et son Etat-major. (Dessin de Thiriard)

Le général Jacques de Dixmude

       Les parents d’Alphonse Jacques habitaient Vielsam. L’enfant  naquit  le 24 février 1858 et parce qu’il était de santé délicate, Alphonse fut confié par ses parents à son grand-père maternel car ce dernier habitait  Stavelot, qui contrairement à Vielsam, disposait d’un médecin.

Adolescent, il fut mis en pension à Louvain pour les trois dernières années de ses humanités  chez les Pères Joséphistes au collège de la Trinité à Louvain. Il fut ensuite admis à l’école militaire le premier mai 1876. C’était à  l’époque des grandes découvertes de Stanley  en Afrique centrale.  

Premier terme au Congo

       Le 8 mai 1887 le lieutenant adjoint d’Etat-Major Jacques s’embarque pour le Congo pour assurer  la direction des Transports, de la Marine et des Travaux publiques à Boma. La solitude lui pèse mais écrit-il à sa famille « il ya une Mission française à vingt minutes de Boma et je pourrai remplir mes devoirs religieux aussi facilement qu’en Europe ».  Malgré un job fort administratif, le jeune lieutenant reçoit le baptême du feu qu’il décrit ainsi :

        « Je me vois parfois mêlé à des histoires dangereuses. C’est ainsi que tout dernièrement j’ai dû faire la guerre et livrer combat toute la journée à plus de trois cents sauvages, qui poussaient des hurlements féroces. Je n’avais que six soldats avec moi, très braves il est vrai, mais je l’ai échappé belle tout de même, et je vous garantis bien que mon cœur faisait fort toc-toc quand j’ai entendu des balles siffler à mes oreilles. J’ai pu descendre le fleuve en canot la nuit et je suis revenu à Boma pour hâter l’envoi de renforts, de sorte qu’au point du jour nous étions de nouveau sur le théâtre de la lutte avec des forces imposante cette fois, presque tous les blancs de Boma et toute la force publique. Nous avons âprement combattu, mais je suis revenu victorieux. »

       Un an après son arrivée au Congo, il cherche à s’évader de son bureau  et obtient d’être envoyé dans le Haut-Congo dans le territoire des Bangala. Il remonte le fleuve  pour atteindre la station des Bangala commandée par Van de Kerckoven.  De cette station il  effectuera diverses missions avant  de rejoindre la Belgique après un premier terme  de trois ans.

Deuxième terme au Congo

       Jacques retourna en Afrique en 1891 cette fois pour le compte de la ligue anti-esclavagiste. Il avait pour mission de prêter secours au  célèbre capitaine dont il importe ici de dire quelques mots. Le cardinal Lavigerie, fondateurs des Pères blancs, avait lancé un appel solennel en vue de combattre les esclavagistes en Afrique. La création de la  ligue anti-esclavagiste suivit son appel et un  des premiers volontaires à vouloir partir combattre  fut le capitaine français Joubert. Cet officier était un véritable personnage hors du commun ! Il avait commencé sa carrière militaire, âgé de 18 ans, comme Tirailleur Pontifical (Zouaves Pontificaux). Il participa à la Bataille de Castelfidardo le 18 septembre 1860 et à la guerre Franco-allemande de 1870. A la demande du cardinal Lavigerie, le capitaine Joubert escorta donc en janvier 80 la troisième caravane des pères blancs en route pour le Tanganyika depuis l’île de Zanzibar. Arrivé à bon port, l’officier  ne quitta  plus les  rives du lac et devint le défenseur de sa population contre les esclavagistes. Marié en 1888 avec Agnes Atakaye qui lui donna  8 enfants, Joubert fonda notamment le  village de St Louis du Murumbi qui devint plus tard Baudouinville. Il mourut en 1928.


Le capitaine Joubert

        En 1891, Jacques rejoint donc  Zanzibar puis Dar es Salam où il recrute 700 porteurs. Le voilà, maintenant à la tête d’une colonne de 3000 personnes car chaque porteur emmène  femmes et amis avec eux ! Il possède comme adjoints Docquier, Vrithoff et Renier. Le 7 septembre c’est l’arrivée à Tabora  puis le  vendredi 16 octobre, trois mois après le départ de la côte, Jacques fait son entrée à Karéma au bord du lac Tanganyka. Par là même, les troupes armées par Rumaliza, un des grands razzieurs de la région, se trouvent disloquées, et le capitaine Joubert qui défend les populations locales contre les esclavagistes délivré de l’encerclement.  Jacques traverse le lac en canot pour saluer le brave capitaine et crée  ensuite un nouveau poste fortifié  qui deviendra Albertville. Les esclavagistes cependant  déplacent alors leur centre névralgique au  nord du lac et transforment ce pays en désert.  « Depuis quatre mois, plus de dix mille Wabembés ont été enlevés et transportés à Udjidji pour être exportés. Je ne sais à combien d’individus ces captures ont coûté la vie ; mais ce que je puis affirmer, c’est que la région qu’ils occupaient est transformée en un désert où des milliers de cadavres putréfient l’atmosphère. Et tant que tribu, les Wabembés peuvent être biffés de la carte. » Voilà ce que constate Jacques qui décide de poursuivre la lutte malgré ses moyens limités. Avec cinquante fusils, il traverse le lac pour combattre Rumaliza, qui séjourne à Udjidji.  Hélas quand il arrive il n’y a plus d’esclaves. Le marché est vide et le pavillon allemand est hissé. Que faire ?  Jacques revient sur ses pas  pour constater  qu’en son absence ses adjoints ont subi l’assaut des esclavagistes. Docquier, Vrithoff, Renier, avec cent hommes ont résisté mais  l’héroïque Vrithoff  a succombé. « Je renonce à dépeindre notre déchirante émotion », écrivit Jacques.


Le capitaine Joubert et ses 8 enfants

       Un renfort est attendu et Stairs et Delcommune lui font savoir qu’ils approchent à grandes étapes pour l’aider. Ils ont déjà opéré leur liaison avec le vieux Joubert. Il est grand temps car  la position d’Albertville semble intenable. Les esclavagistes ont construit un fort devant la station pour l’assiéger plus facilement. D’Europe, Jacques n’attend plus rien. Rien n’en peut venir. Son parti est pris.  Il a avec lui quatre cent cinquante hommes. Il réfléchit, dresse son plan, combine les efforts. Delcommune assurera la défense du fort. Joubert, avec Diderrrich et 150 hommes, fera diversion sur son flanc droit pour distraire l’ennemi. Lui-même avec toutes les pauvres troupes qui restent disponibles, contournant la redoute, se rue sur le fort arabe, le cerne douze heures durant, jusqu'à reddition complète de tous ceux qui ne se sont pas enfuis. Peu après cette victoire, il apprend que la presse belge le critique. Il demande des canons qui n’arrivent pas et ne sait plus à quel saint se vouer ! « Indépendamment de la déloyauté, de la fourberie des gens auxquels je me suis heurté dès le début, il y a, -et c’est là le plus pénible pour moi- le manque absolu de précisions dans les intentions qui émanent de ceux qui pourraient me donner des ordres. Personne dans les sphères gouvernementales, pas plus qu’à la Société Antiesclavagiste elle-même n’ose engager sa responsabilité en me donnant des ordres d’agir en tel ou tel sens ? »  

       Et  avec ironie, Jacques résume le paradoxe auquel  il doit répondre : « Empêchez la traite mais laissez en paix les razzieurs ! Tâchez d’établir une douane mais n’embêtez pas les trafiquants. C’est à peu près comme si on vous disait de manger un œuf sans en entamer l’écaille ».

       Amer, Jacques attend  son retour en Belgique avec impatience. Il prolonge cependant  son terme de quelques semaines et finalement  revient vers la côte par le Nyassa et le Zambèze. Le 23 juin 1894, il était de retour  à Bruxelles.

Troisième terme en Afrique :

       Embarqué à Anvers, le 6 août 1895, il arrive à Boma le 20 août. Une fois de plus, rien n’est prêt. Cette aventure, il la connaît. Il s’emporte. Voilà un voyage qui s’annonce mal. Pas d’ordre précis, quelques indications sans valeur. Lorsqu’il apprend, le 26 août qu’il est désigné pour commander le District du Lac Léopold 11, il s’apaise. La besogne est délimitée, nette. Le but est concret. Il écrit à sa fiancée :

       « J’ai été passé trois quarts d’heure dans la petite église de Boma et j’ai été très heureux de dire notre chapelet, en pensant à toi. Je suis certain qu’à la même heure, à la même minute, tu en faisais autant de ton côté, et qu’en ce moment précis, nos prières, unies dans un même élan, sont monté »s auprès de celui qui est le plus grand dispensateur de tout  et qu’il n’oubliera pas ses deux enfants qui s’aiment et qui souffrent d’être séparés. La prière console beaucoup, et je bénis le ciel de m’avoir conservé la foi dans laquelle m’ont élevé mon vieux grand-père, mon pauvre oncle Alphonse et mes chers parents, malgré l’existence trop mouvementée que j’ai eue en compagnie de tant de camarades qui ne croient ni en Dieu ni à diable. Je reviens toujours aux bons principes qui ont bercé ma jeunesse. Je suis heureux de constater la douce et salutaire émotion, quand je retrouve ici, à tant de centaines de lieues du village natal, de bons prêtres, enseignant les mêmes bons principes, avec une douceur évangélique, et que je puis assister au même Saint Sacrifice, célébré dans un rythme identique. »

        Jacques multiplie les tournées d’inspection dans la forêt. Il doit aussi pacifier les insoumis.  « Un jour, raconte Jean-Marie de Buck dans la biographie qu’il consacra à notre héros, Jacques en reconnaissance le long du fleuve, débarque avec ses gens pour faire du bois. Quelques indigènes, qu’il n’avait pas aperçus, mais qui l’observaient, décochent sur lui et sur ses boys, quelques flèches. Il est atteint par l’une d’elles. Il l’arrache et devine qu’elle est empoisonnée. Il sait que le poison opère dans le quart d’heure. Ces quinze minutes écoulées, il saura s’il doit vivre ou mourir. Il donne l’ordre aux noirs de reprendre le travail, prend son chronomètre d’une main, son chapelet de l’autre et se met à le réciter. Le quart d’heure écoulé, le verdict est clair : il vivra. Ce chrétien était un de ces gentlemen dont Maurois dit quelque part, qu’ils n’ont pas de nerfs. »

       Après trois ans, Jacques a transformé le district du lac Léopold II. Il s’embarque à Boma pour Anvers le 27 juillet 1898. Il peut enfin retrouver sa fiancée et  fonder le foyer rêvé mais en 1902 il accepte de repartir comme chef de mission d’études du chemin de fer du Katanga.

 

Quatrième séjour en Afrique comme chef de mission d’études du chemin de fer du Katanga

       Jacques s’embarque à Naples sur le Kronprinz le 1er décembre 1902.Il laisse en Belgique sa femme et ses deux enfants. Encore une fois, tout est à créer, il est sans escorte, presque sans argent, sans bagages et sans armes. Ses instruments, il doit les acheter. 

       «  C’est un peu le sort commun de souffrir, et, à la fin d’une existence, je crois que lorsque l’on additionne les jours où l’on a souffert et ceux où l’on a été réellement heureux, la différence n’est pas souvent en faveur de ces derniers. En ce qui nous concerne, nous personnellement, nous sommes occupés à traverser une période d’épreuves excessivement pénibles, mais c’est dans l’adversité que les caractères se trempent. Sortons vainqueurs de l’épreuve actuelle et tout ce qui pourra arriver dans l’avenir, ne sera plus que des bagatelles que nous saurons surmonter en jouant. J’ai souvent, moi aussi, mes moments d’abattement, mais je fais tout mon possible pour les surmonter et j’y parviens. Je pense aux mérites que nous nous sommes imposé, mais dont chaque jour diminue d’autant la durée. Je pense aussi et surtout à la récompense qui nous attend, si nous savons la mériter. Et nous saurions la mériter. Et notre bonheur sera d’autant plus grand et notre joie d’autant plus grande, que nous l’aurons payée plus cher. »

       Sa mission d’exploration est un succès et Jacques  arrive avec ses relevés à répondre aux principales questions qui se posent pour l’établissement de la future ligne ferroviaire. L’enthousiasme des ses chefs à son égard est tel qu’on lui demande de ne pas rentrer directement en Belgique mais de profiter de son voyage de retour pour faire le relevé topographique du grand bassin du fleuve Kasaï


Jacques de Dixmude lors de son quatrième terme en Afrique

       De retour en Belgique, il rejoint son régiment à Hasselt. Promu major au 13e de ligne, le 26 juin 1907, il est nommé u an après  commandant en second de l’Ecole militaire. Il y restera quatre ans de 1908 à 1912. Puis après fut désigné pour commander à Liège le 12e de ligne. La guerre lointaine ou imminente ne faisait plus aucun doute.  Le lieutenant-colonel Jacques connaissait les défauts de notre armée due au  déplorable système de recrutement dit de remplacement, qui ne fut abandonné qu’après 1909 et qui  avait doté l’armée de beaucoup d’éléments très mauvais. La loi néfaste de 1902, qui marque l’apogée de l’antimilitarisme, avait abouti à un véritable désastre au point de vue des effectifs. Les « congés interruptifs » rendaient l’instruction à peu près impossible. L’immixtion de la politique dans les affaires militaires décourageait les meilleurs officiers.

 Ce ne fut qu’à partir de 1911, peut-on dire, que l’on revint à des conditions normales. Mais il ne faut pas oublier que l’armée de campagne, était formée en majeure partie des classes de la  mauvaise période (de 1906 à 1913). Elles arrivaient donc avec toutes les faiblesses  de la période funeste ; instruction incomplète et sommaire, manque de discipline, manque de cohésion. Comment allait se comporter l’armée et particulièrement le 12e de Ligne composé d’éléments très peu entraînés ?

La bataille du Sart-Tilman

       En août 14, la guerre éclate. Le colonel Jacques, secondé par ses officiers dont plusieurs ne sortirent pas vivants de cette fournaise, établit le 5 août  son poste de combat au centre même de la clairière de Sart-Tilman  qui domine Liège. Une partie de ses troupes furent lancée vers la Cense Rouge, occupée depuis quelques heures par les Allemands. Elles furent mitraillées à 30 mètres et reculèrent aussitôt, désorganisées. Les assauts de l’ennemi, surpris par ce soudain renfort cessent un moment. Un jeune officier, Bonnet, élève de l’Ecole Militaire, emboîtant le pas à Jacques, qui charge à la tête des ses troupes, au cri de « Vive le Roi, Vive la Belgique » rallie ses soldats dont le moral après douze heures de lutte commence à fléchir. L’ennemi est débordé par cet assaut furieux, puis menacé d’encerclement. Il se retire et se tapit dans les bois voisins. Jacques a ses hommes bien en main. Il sent qu’il peut tout leur demander. Il leur ordonne de tenir coûte que coûte au moins jusqu'à la nuit.  A 10 heures, les allemands renoncèrent et évacuèrent le champ de bataille ! Vers 11h 30 cependant l’ordre arrivait à Jacques de se retirer vers Angleur et Waremme.

       L’armée belge reflua sous Anvers  puis par trois fois sortit d’Anvers pour semer le trouble dans les rangs ennemis. Lors de la seconde sortie d’Anvers, le 12 septembre,  le 12e sous le commandement de Jacques attaqua l’ennemi à Haecht. Le 12e fonça droit devant lui. Le colonel Jacques, raconta un témoin, fit avancer le drapeau, qui,  déployé, arriva en première ligne. Lui, il ramassa un fusil, cria un ordre. Sous les balles des mitrailleuses, il chargea à  la tête de ses troupes.  La progression  demeura ensuite lente mais l’espoir d’une victoire restait  réel.  Hélas vers 16h 15, un courrier survient et ordonne la retraite.

La place forte d’Anvers ne tint tête à l’ennemi que jusqu’au mois d’octobre. Le 6 octobre l’ordre de retraite fut donné à toutes les divisions. Le 10  octobre, le 12e atteignit Nieuport. Pas le tempos de se reposer pour les pauvres soldats du  régiment obligé d’ organiser une solide position défensive le long de l’Yser. Le 13, il creuse des tranchées à Schoorbakke et à Pervyse ; le 14, il cantonne à Dixmude ; le 15, il établit une solide ligne de remblais à Nieuwcapelle ; le 16, il aménage la rive droite de l’Yser ; le 17 et 18, il cantonne sur place et travaille jour et nuit à approfondir, à consolider des ouvrages qui, tout fragiles qu’ils apparaissent doivent coûte que coûte endiguer la marée ennemie qui dans quelques heures va brutalement déferler.

La bataille de Dixmude

       Le 20 octobre  Jacques et son régiment occupe la tête de pont de Dixmude, il installe son poste de combat à l’Hôtel de Ville, sur la Grand-Place de Dixmude et commande à toutes les troupes belges occupant la rive droite de l’Yser. Dixmude agonise sous les obus et  Jacques est blessé une première fois par un éclat d’obus. Il conserve pourtant son commandement.  La matinée s’achève. Il va être midi. Six heures déjà que l’on tient tête à l’ennemi.  « Trois jours » avait demandé le Roi. Le lendemain, l’hôtel de Ville d’où Jacques commande la tête de pont de Dixmude,  va voler en poussières. Vers quatre heures de l’après-midi, raconte un témoin, un horrible gros noir entrait quelque part par la droite, à côté de l’escalier et venait éclater dans la salle archibondée...je n’insiste pas. Je ne penserai jamais plus sans frémir à cette minute épouvantable. Les murs étaient éclaboussés de sang, partout gisaient des débris humains, des corps terriblement déchiquetés. Une vingtaine d’hommes français et belges avaient été tués sur le coup. Un plus grand nombre étaient blessés plus ou moins grièvement et notamment le colonel Jacques qui la veille avait reçu un éclat d’obus à la tête. »

       Les deux jours suivants, les 22 et 23 octobre, le régiment est relevé et  ne participe plus effectivement à la défense de Dixmude. Non pas, certes, qu’il fût au repos. La ruée des Allemands sur la ville se faisait, d’heure en heure, plus pressante. En hâte, il fallait creuser de nouvelles tranchées le long de la route de Pervyse à Dixmude. Ces moments là furent aussi effroyables que le feu roulant de la veille et de l’avant-veille. Peinant du matin au soir, ils réussissent cependant à élever une digue entre l’envahisseur et eux. Dans la soirée de 23 octobre, ordre formel de remonter en première ligne. On a besoin de tout ce qui reste disponible. Ce repos de deux jours ne fut qu’un long labeur. Les 22 et 23 octobre, l’ennemi avait continué à bombarder Dixmude, mais avait suspendu toute attaque d’infanterie. Les deux jours qui vont suivre vont être marqués par un bombardement qui sera particulièrement violent au cours de la nuit du 24 au 25. Dans la nuit du 24 au 25, le premier bataillon signale qu’il a repoussé 11 assauts dont plusieurs à la baïonnette. Le 2ème en a arrêté 15 !  A l’aube du 25, le général Meiser  malade, remet son commandement au colonel Jacques. Nouvelle et écrasante responsabilité. Elle ne l’effraie pas. Il aimait répéter : « La responsabilité, ça n’existe pas.  Il ya des responsabilités ». Cette distinction de bon sens lui calmait les nerfs.

Dans la nuit du 25 au 26, un fort contingent allemand, un peu moins qu’un bataillon, parvint  à traverser l’Yser à la faveur de l’obscurité pour se retrouver derrière nos lignes !  La situation est tragique mais l’ennemi est  circonscrit et doit fuir ou se rendre ! Après cette nuit mouvementée, le 12° est relevé et rejoint La Panne. Il n’y restera pas longtemps et doit  quitter le cantonnement en urgence pour prêter main forte aux troupes qui s’opposent aux Allemands dans la boucle de Tervaete. Heureusement l’inondation vient enfin soulager les soldats belges épuisés et mettre fin à la première bataille de l’Yser.

        « Quand l’eau eut grimpé des chevilles aux jambes, des genoux à la ceinture, et du ventre à la poitrine, les Allemands ne purent plus se dégager de la vase glaciale, prisonniers du marais, cibles vivantes, cramponnés aux affûts embourbés des bouches à feu, désormais muettes, de nombreux Germains en grappes furent fauchés par le tir vengeur et impitoyable de nos fantassins et de nos artilleurs ; frappés à mort, ils glissaient sous l’eau boueuse, puis disparurent pour toujours ». (Général Pontus)

       Récompensé pour ses talents de chef, Jacques devient général de brigade, ce qui ne l’empêche pas de  rêver de la paix  comme le prouve cette lettre adressée à son épouse :

       « Je serai heureux de voir arriver ce jour qui mettra fin à toutes ces horreurs, qui permettra de nous réunir d’une façon définitive. Que de fois mon pauvre cœur n’a-t-il pas saigné au spectacle lamentable des pauvres ménages fuyant par les grandes routes ; des pauvres, avec des petits gosses, traînés sur des brouettes, ou plus grands, traînant leurs pauvres jambes et courbés sous le fardeau de leurs pauvres nippes ramassées à la hâte. Misère de misère ! Si je n’attrape pas une maladie de cœur de tous les serrements qu’il a éprouvés, cela va bien. Tu me connais assez pour savoir combien j’aime les pauvres et surtout les petits crottés innocents. Des autres misères du champ de bataille, je ne dirai rien pour le moment. Cela me fait mal aussi quand je vois mes braves soldats mal arrangés comme cela arrive parfois. Ce sont de si braves enfants et on leur demande tant d’efforts, qu’ils supportent avec un stoïcisme tel, que nul ne pourrait les dépasser pour autant qu’on les égale dans n’importe quelle nationalité. Il n’y en a aucune qui approche la nôtre ».

       Le général Jacques est un être extrêmement sensible. Son aura, sa force vient qu’il ne cache rien de ce qui anime sa volonté comme l’explique son biographe, Jean-Marie De Buck :

« Les vrais chefs sont ainsi, tout d’une pièce, ne réservant pas pour l’intimité ce qu’ils jugent être le meilleur stimulant de leur vie publique. Ils ne font pas deux parts. Cette dualité, ce dédoublement leur paraîtrait une malhonnêteté, une faiblesse qui répugne à leur caractère. Assister à une messe militaire au premier rang de l’assemblée ; se confesser devant son Etat-Major au plus fort d’un combat dont certains ne reviendront pas ; exiger qu’on mette en lieu sûr les ciboires d’une église bombardée ; saluer un des nombreux calvaires qui ornent les carrefours des routes flamandes ; être parrain de confirmation d’un soldat qui désire accomplir ses devoirs religieux, tout cela pour Jacques est naturel, d’une simplicité enfantine (....) ».

La bataille de Merckem

       Le 17 avril 1918, on retrouve le général Jacques commandant  la 3.D.A devant Merckem.

Les Allemands donnent l’assaut et les Belges vont transformer leur résistance en victoire. Jean-Marie de Buck nous décrit ci-dessous les péripéties de cette bataille.  

« A 8 heures, après une vigoureuse préparation d’artillerie, l’ennemi attaqua sur le front de la 3.D.A. en certains endroits , supérieurs en nombre, l’allemand parvint à s’établir dans quelques postes avancés, dont les occupants blessés , décimés, à bout, ne pouvaient plus lutter. Il progressait, de poste en poste, malgré le feu intense de l’artillerie et de mitrailleuses belges. Après avoir pris Kippe, il avança par bonds vers les postes de la Guêpe, où il ne put pénétrer et de Britannia qu’il trouva à peu près évacué. Une à une, les tranchées belges s’écroulaient ; le sort du village de Merckem ne semblait plus douteux. Glissant de l’ouvrage Britannia, sur qui reposait une grande partie de nos ouvrages défensifs, l’ennemi obliqua subitement vers l’est. La situation devenait tragique. Attaqués de dos, de front et de flanc, sous le tir en enfilade des mitrailleuses allemandes, les occupants de l’ouvrage d’Ashhoop et de Jesuitengoed, presque sans munitions, durent ou se rendre ou se laisser massacrer héroïquement.

        Il était 11h du matin. La brèche tant redoutée était ouverte. La digue rompue laissait passer le flot qui s’y engouffra. Toute une brigade allemande, en hurlant chargea nos positions, qui prises de revers et d’enfilade, étaient impitoyablement décimées. Un ouvrage tenait encore magnifiquement. Son nom est dans tous les mémoires: l’ouvrage Mazeppa. Là, les allemands décontenancés par un violent tir d’artillerie et par les mitrailleuses du 12e, hésitèrent et s’arrêtèrent.

       Malgré le repli des troupes auxquelles son sort semblait lié, Mazeppa tient Bon. Rien ne put vaincre cet entêtement, cette mâle énergie, dont notre armée avait, en des cas aussi désespérés, donnés tant de preuves. Cet îlot, au centre de cette mer déchaînée, résista à plusieurs assauts, qui tous vinrent mourir, brisés, fauchés impitoyablement par des tirs successifs dont la précision n’avait d’égale que la violence.

       Un peu après 11h, la pression ennemie devint si forte qu’elle parut un instant irrésistible. Mais ici se produisit une circonstance qui brisa pour les Allemands toute possibilité d’attaque. Le front de la 3 D.A qui n’avait cédé en somme que sur un point, s’était légèrement incurvé. Massés, entassés dans cette poche, pris de flanc et de revers, les Allemands, brisés dans leur élan ne pouvaient ni avancer, ni reculer. Il leur avait fallu quatre heures d’un combat meurtrier pour qu’une de leur division sur un front de deux kilomètres et sur une profondeur de 1.200 mètres, fît reculer cinq compagnies belges. Vers midi leur offensive était paralysée. Ils avaient joué leur chance et l ‘avait irrémédiablement perdue. Il s’agissait maintenant de jouer et de gagner la nôtre.

       Il était 12H30. Les troupes de la 3 D.A. attendaient le moment de contre-attaquer. Reprendre les ouvrages perdus au cours de la matinée n’était pas une mince affaire. Britannia devait être reconquise coûte que coûte. Mais que l’on se souvienne de l’état du terrain, pilonné par les obus de gros calibre, troué d’entonnoirs presqu’infranchissables et rempli de boue où l’on enfonçait jusqu'à la cheville et parfois jusqu’au genou. Le sort de la journée dépendait cependant de cette contre-attaque, qui, au moins, avait l’avantage d’un objet bien défini. Cela ne traîna pas. Ce qui au cours de la matinée avait été presque impossible, une heure et demie de combat suffit à le réaliser. Vers 1h30, Britannia et tous les ouvrages qui en dépendaient étaient au pouvoir des troupes héroïques qui s’étaient dévouées à les reprendre.

Rien n’avait pu briser leur progression. Cette position, qui commandait une grande partie du secteur, une fois reprise, les autres, Ashhoop, les fermes Verte, l’Hermine, Honoré, le Jesuitengoed, rentrèrent le soir en notre pouvoir. Vers 23 heures, toutes les positions étaient définitivement reconquises ».

       Le général Jacques victorieux écrira à son épouse :

       « La division s’est distinguée hier en administrant une bonne raclée aux boches qui étaient venus nous attaquer.(…) Notre grand chef a eu l’amabilité de venir aujourd’hui m’apporter ses chaleureuses félicitations et notre chère petite Reine, venue à quelques kilomètres de mon Q.G assister à une fête, m’a fait appeler pour m’adresser aussi ses félicitations pour nos braves soldats. Tu comprends si je suis heureux... » (Jacques)

L’après-guerre

       Le Général Jaques  participera  à  l’assaut final de nos troupes  le 28 septembre 18  pour  libérer la Belgique.

       Après la guerre, le plus populaire de nos généraux s’en fut sur le Rhin en garnison.

Le 22 septembre 19, il fut désigné pour accompagner nos souverains aux Etats-Unis. En octobre 21, il est envoyé en mission militaire aux Etats-Unis. Le 11 novembre il assistera à Washington à l’inhumation du Soldat Inconnu.

       « Nos morts, dit-il, ne nous demandent ni larmes ni regrets, mais ils veulent, de toute leur mystérieuse puissance, que nous sentions leur âme palpiter dans la pierre de leur monument ; que nous soyons dignes d’eux ; que nous refassions à leur image vénérée, une Belgique meilleure encore, plus grande, plus unie, plus pitoyable aux humbles et aux déshérités, plus éprise de justice et de liberté que celle pour laquelle leur chère cité et eux s’offrirent en holocauste » 

Les  derniers moments du général Jacques

       Le général Jacques après avoir animé par sa présence une réunion au Cercle Colonial de Courtrai rentra chez lui fiévreux. Il fut forcé de s’aliter pour ne plus jamais se relever. Quelqu’un qui l’a connu de près pendant sa maladie, écrivit :

       « L’empreinte de tout ce qu’il a enduré pour ses hommes, pour ses petits soldats, pendant cette période terrible, était restée, forte, douloureuse, dans son esprit et dans son cœur. Je ne l’ai jamais constaté avec autant de netteté que durant cette courte maladie. Dès qu’il s’endormait, il était saisi par des cauchemars évoquant l’affreuse guerre. Il ne voyait que tranchées, sacs de terre, soldats luttant et mourants, et lorsqu’il s’éveillait, cela le poursuivait encore et il suppliait qu’on le délivrât de ces souvenirs obsédants et cruels. Il demandait, pour s’en distraire, qu’on lui lût un chapitre de l’Imitation. Puis quand le délire le reprenait, il disait l’une ou l’autre phrase brève, hachée où se reflétait sa mentalité, toute sa tendresse et admiration pour les petits et pour les humbles :


Le lieutenant général Jacques de Dixmude

Il faut être bon pour le peuple !

Ne brusquez pas les hommes !

On ne fera jamais assez pour les petits soldats.

       Enfin, quelques mois avant sa mort, voici ce qu’il répondait à quelqu’un qui l’interrogeait sur sa prodigieuse popularité :

        - Si dans la vie on sait créer cette passion, cette ferveur qui transforme un subordonné en un collaborateur fanatiquement dévoué, on est un chef ;

       - Mais comment, mon Général, obtenir ce zèle si précieux ?

       - Par l’amour...Fais-toi aimer de ceux que tu commandes.

       - Et quand m’aimeront-ils ?

       - Lorsqu’ils seront convaincus que tu les aimes toi-même. C’est là le suprême secret des grands conducteurs d’hommes.

       Il mourut à l’aube du 24 novembre 1928  âgé de 70 ans

Dr Loodts P

 

 

 

 

Source : Jacques de Dixmude, Jean-Marie de Buck, Collection Durendal, Paris-Bruxelles 1933

 

 

 



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