Médecins de la Grande Guerre

Les Aventures du brancardier Lesceux

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Les aventures du brancardier Lesceux

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Les Belges au camp d'Auvours

Les tentes au camp d'Auvours

L'entrée du camp d'Auvours

Courrier

Sous le signe de la Croix
Hervé  Lesceux
Edition Hubert-Macq
Chimay, 1961 

La mobilisation d’un brancardier 

Mobilisé comme brancardier le 31 juillet, Hervé originaire de Sivry  rejoint à Hemixem (Anvers) le dépôt Saint-Bernard  dans lequel règne  une ambiance déconcertante : Si la mobilisation du service armé se fait dans un ordre parfait, il n’en est pas de même de celle du corps sanitaire. Partout nous avons l’air d’être des non-prévus. Pas de logement, pas de nourriture, pas d’effets. On nous parque en plein air…nous attendons ! (…). Le temps passe… Va-t-on nous laisser ici longtemps encore ? Non un ordre : «  Retournez à Anvers et allez à l’hôpital militaire ». On reprend le train et on rentre à Anvers  » . Déjà mûris par l’expérience, nous avons soin de souper avant de nous rendre à notre destination. (…). A l’hôpital militaire, on nous remet au lendemain matin. Mais où loger ? Une école nous est réquisitionnée.(…).  

Le lendemain , les brancardiers sont enfin répartis entre les différentes divisions d’armée et dirigés vers la gare : 

Nous voilà déambulant en rangs et au pas dans les rues d’Anvers ! Les passants regardent médusés , ces groupes où instituteurs, séculiers, réguliers paraissent une vivante incarnation de l’union sacrée. Animés nous-mêmes par les témoignages de sympathie  dont nous sommes l’objet, nous nous mettons à chanter des chants patriotiques  (…). Nous arrivons à la gare centrale et nous nous groupons sous le vaste hall intérieur. Le public nous est manifestement favorable : «Vivent les Belges, même les catholiques» s’écrie un gros Monsieur !   

Nos brancardiers s’embarquent alors pour Mons.  

A la descente du train , on reforme le groupe et, pilotés par l’abbé Colbrant, vicaire de Sainte Waudru, nous exprimons de nouveau par nos chants notre ferveur patriotique. 

Le 3 août, les brancardiers sont envoyés à Termonde où ils trouvent à se loger chez l’habitant. Le lendemain beaucoup de brancardiers se ruent dans les magasins pour acheter du linge, des gourdes, des valises. Hervé lui trouve plus pratique et plus militaire de se faire confectionner un petit sac de toile à porter en bandoulière. Les religieuses de la Sainte-Enfance de Grembergen lui font cela et le munissent en plus d’un brassard de la Croix-Rouge. Enfin le 4 août dans la nuit, les brancardiers quittent Termonde pour Perwez. Le 6 août, ils bivouaquent à Thorembais - Saint –Trond et sont répartis en vingt brigades de vingt hommes qui se mettent en marche pour Lathuy.  

Le soir, le Commandant nous réunit et y va d’une petite allocution, ma foi, assez macabrer. Il nous parle de la ligne de feu, des rubans de balles de mitrailleuses…Vraiment, nous le trouvons pessimistes car nul d’entre nous ne songe que pareil danger est capable de le menacer. Et cependant l’avenir devait donner raison à ce pauvre Commandant qui, lui-même, devait tomber en héros à Dixmude, mort de l’éclatement d’une bombe, alors qu’il opérait en première ligne un malheureux enseveli sous un abri.

Le dimanche 9 août, des brancardiers demandent la permission d’effectuer un saut jusqu’à Jodogne pour y effectuer des achats. Hervé y achète chemises et bas et fait par ailleurs réparer sa soutane, il ose aussi demander à se laver les pieds, ce qu’il fera dans… un salon.

Le 10 août, retour à Lathuy.

A la phobie des alertes a succédé celle des espions : plusieurs brancardiers en sont victimes, entr’autres Joseph Eglem de Cul-des-Sarts qui, à deux reprises, est accusé d’espionnage, tombe entre les mains de nos fougueux « Corps des Transports », est menacé du revolver d’un officier d’artillerie et est enfin sauvé par nos témoignages ! Le docteur Legrand nous donne une leçon de brancarderie.  

Le 16 août, les brancardiers partent pour l’Ecluse. Il y a une heureuse innovation dans la colonne d’ambulances : un chariot aux bagages où les brancardiers peuvent déposer leurs effets. Le surlendemain, c’est la retraite vers Anvers qui commence. En 48 heures, la colonne a franchi 75 km et n’a goûté que de quelques heures de sommeil. Epuisé, Hervé profite de sa qualité de séminariste pour demander l’hospitalité aux religieuses de l’hospice de Bornhem qui l’accueillent et lui donnent « un lit moelleux et des repas plantureux ».

Le 26 août, Hervé reprend malgré lui sa vie de soldat car les brancardiers sont appelés pour Eppeghem où la bataille bat son plein. 

La première expérience du champ de bataille   

A proximité du champ de bataille , on s’arrête, attendant l’ordre d’intervenir. Au bout de quelque temps, la 16° brigade est désignée pour aller chercher les blessés : je l’accompagne ainsi qu’un docteur et une voiture d’ambulance hippomobile. Un cycliste nous montre la route. Nous sommes très fiers d’être enfin utiles à quelque chose, depuis vingt jours que nous sommes en guerre. Nous nous dirigeons d’abord vers le front, puis nous tournons à droite, puis à gauche. Nous longeons le parc du château de la Motte d’Estrel ; nous voici arrivés. Une désillusion : il n’y a pas de blessés. C’est pourtant bien là que nous devions en trouver. La bataille se déroule non loin de nous. Au moment où nous délibérons sur ce que nous allons faire, un recul se produit dans la ligne de nos soldats dont plusieurs se précipitent dans le parc. En même temps une volée de balles sifflent à nos oreilles. Il n’en faut pas plus pour décider le médecin qui nous commander à battre en retraite. En retraite ! Sauve qui peut ! Nos valeureux « corps de Transports » fouettent leurs chevaux et la voiture se défile en quatrième vitesse, emportant notre docteur et quelques brancardiers qui ont été » assez agile pour y grimper… et nous abandonner à notre triste sort ! Indignés et effrayés à la fois, nous nous mettons à la poursuite de la voiture : durant cinq minutes, c’est une course folle Bientôt, nous sommes à bout de souffle. La voiture elle-même a ralenti et nous finissons par la rejoindre. Nous revenons vers le gros de la colonne, fort peu fiers de notre coup. Heureusement, nous rencontrons quelques blessés en route : nous n’aurons donc pas été complètement inutiles. Nous les conduisons à Laere, au couvent converti en ambulance.

Le 2 septembre, des habits militaires arrivent pour les brancardiers. Ce sont de vieux équipements de Chasseurs à pied avec des manteaux d’Artilleurs. Les séminaristes doivent abandonner leur soutane avec laquelle ils avait marché pendant un mois, seuls les prêtres purent la conserver. 

Une vie de famille chez un instituteur

Hervé passera ensuite de nombreux jours à Niel où il est hébergé par l’instituteur Desmedt.

Je conserve un souvenir très reconnaissant à ces braves gens qui s’ingénièrent de leur mieux à nous rendre la vie des plus agréables et y réussirent à merveille. Quand nous n’étions pas occupés par le service, et c’était l’ordinaire, nous passions toute la journée au salon qui nous avait été réservé : on y lisait, écrivait, faisait la musique. Le déjeuner se prenait à la cuisine avec toute la famille.(…).Et chaque soir, c’était d’interminables parties de cartes auxquelles tous participaient et qui se prolongeaient souvent très tard.(…).L’on avait la sensation, en pleine guerre d’avoir retrouvé la vie de famille, et une vie de famille très chrétienne : ce qui nous mettait à l’abri de tout scrupule de conscience.  

Pour Mr Robert une guindaille vaut bien une messe  

Le 25 septembre les pérégrinations reprennent et finalement on retrouve Hervé le 30 septembre cherchant à Mortsel à se loger chez l’habitant.

Nous étions partis, les abbés Potiaux, Nimal, Nackart et moi, à la recherche d’un patelin où nous pourrions cuisiner nos modestes biftecks. Nous tombons à la porte d’une luxueuse villa : sonnerons-nous ? L’abbé Potiaux se dévoue et entame les négociations avec sa diplomatie coutumière. Accueil sympathique : les propriétaires, des Français, se sont enfuis, laissant la maison à la garde de Mr Robert, vieux garçon original et viveur, frère du patron, et de deux domestiques. Nous sommes bien reçus, en dépit des deux soutanes, et Mr Robert, satisfait au fond, de pouvoir manger en joyeuse compagnie nous fait servir un copieux repas. Plus et mieux que cela : invitation à souper : il y a le soir, deux convives en plus, deux brancardiers instituteurs. Peu importe ! Le repas est animé : Mr Robert se montre expansif et, en dépit de quelques saillies un peu trop gauloises, bon garçon. De fil en aiguille, nous sommes invités à loger. Mais à quelle heure, avec un amphityron si accaparant ? Alphonse s’est déjà retiré. A minuit Maurice veut en faire autant sous prétexte de sa messe du lendemain. « Mais je m’en f… de votre messe » répartit Mr Robert décidément un peu « parti » ! Et à l’abbé qui lui explique que pour dire la messe, il faut être à jeun depuis minuit, il fait cette ahurissante réponse. »Et bien, buvez encore une heure et vous direz la messe une heure plus tard !  » Bref, ce n’est qu’à deux heures du matin que nous parvînmes à nous tirer de là ! Nous garderons longtemps le souvenir de la villa « Antoinette !!!

La retraite vers l’Yser

Le samedi 3 octobre commence la retraite de la colonne d’ambulances sur l’yser. Parvenue à Eecloo, la Colonne d’Ambulance s’embarque dans un train pour Bruges.

Le train s’ébranle : aux arrêts, nos compagnons de voyage se conduisent de la pire façon, volant et scandalisant la population.

A Bruges, Hervé et quelques compagnons, en dépit des ordres, prennent du bon temps en ville. Le lendemain, ils aperçoivent que la Colonne d’Ambulance a pris la route d’Ostende et se mettent sur ses traces.

A un moment donné, j’aperçois un groupe d’ensoutanés qui paraissent attendre. En m’approchant, je reconnais, parmi eux l’abbé Siénon, du diocèse de Namur (…). Un bout de causette : on aurait tant de choses à se dire mais il faut se hâter. A Jabbeke, nous nous arrêtons et buvons un coup dans un estaminet situé sur la place propette du village. Nous pensons à Pierre De Rudder, le fameux miraculé d’Ostaeker, natif du lieu. On se remet en route pour arriver vers midi à Oudenburg : à l’entrée du village, nous rencontrons l’abbé Colbrant, chef ecclésiastique de la colonne d’Ambulance, qui prend nos noms et nous engage à cacher notre arrivée tardive car tout retardataire sera sévèrement puni. Nous rejoignons la Colonne d’un air innocent : encore une fois, le tour est joué ! (…) L’après-midi on nous rassemble sur la place du village et on nous annonce qu’en punition du désordre constaté au cours du déplacement, on va procéder à l’envoi des récalcitrants dans les unités combattantes comme brancardiers régimentaires. La mesure est pénible : plusieurs de nos amis les plus chers sont ainsi désignés un peu au hasard suivant l’humeur de nos gradés d’occasion.  

La nuit la Colonne se remet en marche. Le lendemain Hervé pourra dire : 

 Nous avons accompli cette nuit 43 km , avec la marche de ce matin, cela nous fait 57 km : notre retraite sur l’Yser est terminée.  

Hervé après de nombreux jours de cantonnement est désigné le 23 octobre pour renforcer la section d’Ambulance à Forthem. Il y restera trois jours. 

Nous passons la nuit à transporter et à soigner les blessés. Nous soignons et transportons dans le tram sanitaire pas mal de blessés belges et français sénégalais : ces derniers sont rudement durs à la souffrance et les blessures les plus affreuses paraissent les laisser impassibles. Pour d’autres, c’est tout le contraire : on en amène un qui pousse des cris et des gémissements inérrables : on le déshabille avec des précautions inaccoutumées…et on ne lui trouve pas la moindre égratignure. Aussi, ce qu’il encaisse comme savon du médecin-chef ! Le Dr Kufferath exerce son art chirurgical avec un flegme impressionnant : un cigare dans la bouche !   

Le service des galeux à l’hospice d’Averinghem  

La Colonne d’Ambulance, commence à organiser des soins à l’arrière et le 8 novembre, Hervé avec une dizaine d’autres brancardiers est désigné pour créer un service de « galeux » installé dans l’hospice d’Alveringhem. La besogne ne manque pas : chaque jour , dimanches compris, les brancardiers donnent des bains de 8 à 12 h et de 2 à 4 h, sans compter les bains d’officiers en dehors de ces heures. Le problème principal est l’approvisionnement en eau : tous les puits de la région s’épuisent . La discipline du service de galeux est cependant moins dure que dans une colonne d’Ambulance. De temps en temps cependant surgit le Dr Gaudissart venant inspecter les installations. Hervé raconte avec humour une de ces visites : 

Le médecin divisionnaire est-il signalé, accompagné de son indispensable adjoint Sillevaerts, l’alerte est donnée, et aussitôt, c’est le branle-bas de combat ! Les chauffeurs enlèvent les couvercles des deux douches : ce qui, en un clin d’œil, emplit la buanderie de vapeur, à ne plus rien distinguer à deux mètres. Gaudissart et Sillevaerts entrent : à peine sont-ils à l’intérieur que leurs lorgnons s’embuent et changent la myopie en aveuglement : d’autre part, l’odeur caractéristique du sulfure que nous ne sentons plus, à force d’habitude, les fait tousser. Aveugles et asphyxiés, c’en est trop ! A peine ont-ils le temps de féliciter Nihoul qu’ils sont déjà dehors. « Ces brancardiers sont tout simplement des héros » souffle Gaudissart à Sillevaerts qui ne peut qu’opiner du bonnet. S’ils pouvaient voir les « héros » dès qu’ils ont tourné le coin de la propriété, ils les verraient ouvrir les fenêtres à deux battants et entendraient leur rire homérique à la pensée de la bonne farce qu’ils leur ont jouée.

  Des prêtres-brancardiers préfèrent la soutane à l’uniforme

Le 12 janvier 1915,la Division part en long repos et le service des galeux doit l’accompagner. Pour continuer leur mission, une ancienne voiture de déménagement est transformée en une salle de bain ambulante. La Division en repos à Houthem , les brancardiers réussissent à se faire héberger dans le grenier du couvent. Les prêtres brancardiers Potiaux et Nimal avaient jusqu’à présent pu obtenir de garder leurs soutanes mais le 17 janvier 1915, ils sont obligés d’aller chercher un équipement militaire complet à Calais. Sur place, ils parviennent à reporter l’échéance de devoir porter l’uniforme. Le 22, ils sont de retour à Houthem : Nos deux Calaisiens sont rentrés en soutane à leur grand contentement. C’est un triomphe pour l’abbé Potiaux qui a juré de n’endosser jamais un costume militaire.

  Une farce d’étudiant

Le 24 janvier, la Division déménage pour poursuivre son repos à Bray-Dunes. Les brancardiers du Service des galeux trouve un logement dans le grenier d’un pêcheur. Le 13 février, le repos de la Division prend fin, et les brancardiers retrouvent leurs installations d’Averinghem où la routine reprend ponctuée cependant de nouvelles tragiques (décès de leur camarade Verriest évacué à Calais atteint de typhoïde) et parfois de farces d’étudiant comme celle-ci :

Un camarade qui a un Commandant très froussard, du moins en ce qui concerne ses supérieurs, vient me trouver à l’hospice d’Alveringhem et nous combinons une bonne farce. Il me conduit auprès de son Commandant et me fait passer pour un délégué de la Croix-Rouge chargé de visiter les cantonnements du point de vue de l’hygiène. J’arbore un brassard immaculé et m’efforce de prendre un complexe de supériorité. Le Commandant se multiplie et nous fait visiter cantonnements, cuisines, latrines, etc... Après quoi il nous offre un verre et un cigare, histoire de lubréfier le rapport que je dois soi-disant faire au sujet de sa Compagnie. Tout est bien qui finit bien mais quel culot nous avions eu et quelles auraient été les suites de notre supercherie si elle avait été découverte. !

Un Major terrible…

Hervé voit ses compagnons partir l’un après l’autre pour le front. Quant à lui, un incident drôle faillit l’envoyer plus tôt que prévu :

Le Major Blijkaerts, terreur de son bataillon, étant venu cantonner à l’Hospice, prétendit se réserver le W.C des religieuses dont nous étions autorisés à nous servir. Je fus surpris par cette brute avinée au moment où j’enfreignais ses ordres et j’en entendis de dures : il était question d’embusqué, de me mettre à pied, de conseil de guerre et d’autres loufoqueries du même genre. Heureusement, la « moeder « intervint et tout cela finit en eau de boudin !

Pour Hervé, le tour de servir de brancardier au front viendra le 30 mai 1915. Il partage le sort du 2° de Ligne dans le secteur de Dixmude. Les évacuations de blessés et de morts se succèdent.Le 2 août, c’est une évacuation déconcertante qu’il doit effectuer : J’ai retrouvé le terrible Major Blijkaerts qui m’avait fait tremblé à Alveringhem. Voici dans quelles circonstances. J’avais évacué deux blessés lorsque je vis un corps étendu, recouvert d’une couverture. Instinctivement, je découvris la figure : c’était le fameux Major ! Pauvre Bougre ! Du coup, j’ai senti fondre ma rancune (…).

Rencontre avec le Roi en maillot de bain

Le 14 août, Hervé reçoit un uniforme kaki, c’est un événement. Le 16, il est en repos à La Panne et rencontre le Roi dans des circonstances amusantes :

Les brancardiers ecclésiastiques pouvaient se rendre, à l’extrémité ouest de la digue, à la dernière villa occupée par des Religieuses Dominicaines Portugaises. Pour les autres soldats, cet endroit était consigné en raison de l’occupation des trois villas voisines par la Famille Royale. Ce jour mémorable, nous sortions à trois, en costume de bain, de la cabine des Religieuses, pour nous rendre à la mer, lorsque nous vîmes, sortant de l’eau, deux baigneurs qui venaient à notre rencontre. Il y avait un grand diable en tête, suivi d’un second baigneur un peu en arrière. Le grand diable, c’était le Roi ! Le Roi en costume de bain allait nous rencontrer en costumes de bain. Il était trop tard pour reculer. Que faire ? On délibéra rapidement car le temps pressait. Evidemment, nous aurions du passer sans donner signe de vie ; mais instinctivement, nous nous mîmes en position, au garde à vous, à cinq pas, comme des imbéciles que nous étions(…). Le Roi esquissa un vague salut militaire ; quant à l’officier d’ordonnance qui suivait ,il nous révolvérisa des deux yeux ! Il n’y eut pas de suites et nous vécûmes là, l’une de nos plus belles aventures de guerre

Un lièvre qui défile avant de passer à la casserole

Du 4 octobre 15 au 5 juin 1916, Hervé occupe cette fois le secteur de tranchées de Ramscappelle. C’est un secteur calme plus reposant que celui de Dixmude. Le 31 décembre 1915, chacun essaie de fêter le réveillon avec fastes :

Papa Willems a tué il y a quelques jours un magnifique lièvre dans le No Mans land : aussitôt, on a décidé de le garder pour le réveillon qu’on doit justement passer à La Panne. Le chiendent, c’est de caser le dit lièvre qui est de grosseur respectable : une espèce d’embusqué, quoi ! Chacun sait que les havresac, besace et poches d’un fantassin sont complètement impropres à l’introduction d’un lièvre. Les copains ont vite arrangé l’affaire : Hervé s’en chargera ! Où le mettre ? Durant le voyage, il y a toujours moyen de le pendre quelque part ; mais à l’arrivée à LA Panne, nous devons défiler devant le Major Vidrequin ! A la dernière minute, une inspiration : le pan de ma capote relevé servira de cachette au capucin ! Et c’est ainsi que derrière la 3° compagnie du 1° Bataillon du 1° Régiment de Ligne, un brancardier défila crânement, tête à gauche, devant le Major, mais tremblant à la pensée que peut-être une patte ou une oreille indiscrète ne révélât le stratagème. Il n’en fut rien, grâce à Dieu : et le soir, dans la cave d’une villa abandonnée, une demi-douzaine d’amis donnèrent au lièvre une sépulture convenable.

Du 5 juin 1916 au 11 février 1917, la cinquième Division occupe le secteur de Boesinghe qu’elle reprend aux Français.

A peine arrivé dans leurs nouvelles tranchées, les bombes tombent :

Une des bombes blesse Lippens sans gravité heureusement : nous le soignons dans l’abri et nous lui découvrons trois ou quatre petites blessures. Vers le soir, nous le transportons très difficilement à travers d’étroits boyaux qui nous obligent à des efforts fatigants : le tout sous une petite pluie fine qui nous mouille rapidement. Heureusement que notre petit homme est très courageux car le transport jusqu’à la ferme Paratonnerres ne dure pas moins de trois heures. Le lendemain à la même heure, répétition de la séance d’hier. Cette fois, Louis l’échappe belle car il reçoit, en allant aux vivres, juste à ses pieds, une bombe qui éclate avec fracas, ne lui faisant heureusement aucune blessure sinon une crevaison du tympan. D’autre part, Kleinewerk est blessé et Danaux attrape dans les reins un sac de terre qui le rend impropre à tout service. Vers le soir, nous transportons avec les mêmes difficultés que la veille, un caporal bombardier qui a été tué.  

La complainte du brancardier régimentaire  

Au mois de novembre 1916, paraissait le premier numéro d’une petite Revue mensuelle destinée au clergé mobilisé du Diocèse de Tournai. Hervé y fit paraître  « la complainte du Régimentaire » : 

Les brancardiers, gens très malins,  
Ne mourant pas, les médecins  
  Divisionnaires
Jugèrent que, pour les punir,
Il fallait les fair’ devenir  
  Régimentaires.

A pein’ venus au régiment  
Ce fut le grand chambardement :  
  Alors, sublîmes,  
Tous se montr’nt à la hauteur,  
D’aucuns péri’nt au champ d’honneur,  
  Nobles victimes. 

Les morts,et les gra’ments blessés  
Devaient êtr’ de suit’ transportés  
  Au prix d’quell’s peines  
Au travers des champs défoncés,  
Des trous d’obus et des fossés :  
  Tout’s les déveines !

Après ces jous remplis d’horreur,  
L’armé’ connut un temps meilleur,  
  De guerre lasse.  
Si certains s’sont émancipés  
Les régimentaires sont restés  
  Dans la mélasse !  
Le matin, les jours de repos,

Ils mèn’nt ceux qui n’sont pas dispos  
  A la visite.  
Ils voi’nt marquer « exempt », « soigné »,  
Evacu’nt ceux qui ont gagné  
  La « Calaisite »,  
Lorsqu’ils vont au travail, le soir,

Quand la plui’tombe et qu’il fait noir,  
  Ou dans la brume,  
Ils se disent que ce soir-là ,  
L’un d’leurs homm’s sûrement encaiss’ra  
  Un mauvais rhume.  

Mais la coll’ de prédilection,  
Est cell’ de la désinfection  
  Par « la » Clorure.  
A raison de ses bons effets,  
Ce sont surtout les cabinets  
  Qu’on en sature.  

On nous appplique à nos dépens  
Cett’phras’ tiré d’nos règlements  
  Bien militaires :  
Les brancardiers s’ront affectés  
A tous les servic’s  dénommés  
  Humanitaires.

Mais notr’devis’ est «  T’en fais pas ».  
D’ici un an, nous s’rons là-bas  
  Dans nos familles  
Tandis qu’messieurs les embusqués  
De r’mords ne cess’ront d’êtr’ rongés,  
  Nous… s’rons tranquilles.  

Si on nous d’mande alors : Vraiment,  
Que f’siez-vous dans l’gouvernement  
  Comm’sanitaires ?  
Nous répondrons immédiatement  
Par un seul dit bien fier’ment  
  Régimentaires !!  

Le médecin visite les malades de  la deuxième section hospitalisation  

En janvier 1917, Hervé est hospitalisé quelques jours à la deuxième section d’hospitalisation. Il décrit la visite du docteur « divisionnaire » : 

Il est 10 h. Tout le monde est au lit. Tout est propre, tout est calme. Seul, l’infirmier, l’œil inquisiteur, inspecte la salle en quête du moindre détail à corriger : lit en rupture d’allignement, ou toile d’araignée obstinément retissée. On attend la visite quotidienne du médecin divisionnaire. Il a, comme précurseurs, le médecin de salle qui examine soigneusement chaque malade et propose un régime ; et le médecin major commandant de l’hôpital, un petit gros, rouge, jovial, loquace, qui trouve toujours que tout est le mieux dans le meilleur des mondes.

A l’ordre ! Instantanément, dans tous les lits, les corps se figent dans une respectueuse et craintive immobilité. Le médecin principal fait son entrée accompagnée d’une escorte imposante. Il s’arrête devant chaque lit, interpelle paternellement chaque malade, le visite parfois, l’interroge toujours. Il est bon mais s’en laisser conter : malheur à qui voudrait lui en faire accroire ! En un clin d’œil, il serait démasqué, sermonné, et inévitablement « Renvoyé au Corps ». A part cela, il comprend les choses, et pour peu que le nombre d’entrants le permette, accorde même quelques jours superflus. En présence d’un cas intéressant, il discoure savamment, souvent avec bonhomie, toujours avec esprit, consulte ou interroge ses subordonnés, ne dédaigne même pas le trait d’esprit. Et les régimes variés se succèdent avec leur terminologie caractéristique : diète six laits, le quart, la demie, l’entière. Plus loin, un cas plus sérieux et qui dure déjà depuis plus d’une semaine est évacué vers l’arrière : imperceptiblement, les yeux et les têtes se tournent du côté de l’expédié et un loustic, sortant les mains de ses couvertures, esquisse le geste caractéristique du départ. Enfin la visite est terminée. A peine la porte s’est-elle refermée derrière le cortège que déjà la plupart des malades, lassés d’une longue contrainte sont debout, échangeant leurs impressions.

L’ennemi attaque la tranchée  

Le 30 janvier, Hervé est dans un abri en première ligne , face à l’Yperlée . L e canal est gelé et l’ennemi en profite pour faire un raid à 2 heure du matin. Hervé se réveille en sursaut :  

Tremblant de peur et claquant des dents, je m’affaire à mettre mes souliers. Des projectiles éclatent à peu de distance de l’abri et les explosions nous envoient de la terre et des débris. Que devons-nous faire ? Courir à la tranchée de combat ou rester dans l’abri ? Nous décidons de rester où nous sommes car on sait où nous trouver. Il est d’ailleurs impossible de sortir dans cette fournaise dont la lueur prend l’aspect d’un brillant feu d’artifice. Ce n’est qu’à la fin que nous tentons une timide sortie. Ce n’est pas notre Compagnie qui a le plus souffert ; néanmoins nous avons écopé : un blessé et des tués. Nous aurons les honneurs du communiqué ! Les Boches n’ont pas réussi leur tentative : les quelques hommes qui ont pu arriver jusqu’à nos tranchées se sont embrochés réciproquement avec les sentinelles.  

Congé à Lourdes  

Les semaines se succèdent. Hervé à la chance de pouvoir partir en grand congé en France deux fois. En août 17, comme beaucoup de soldats belges, il a pu se rendre à Lourdes où sont installés plusieurs foyers belges :

Le foyer belge est somptueusement installé dans trois hôtels de premier ordre : St Louis de France, St-Jean et St Victor. A raison de 3,5 frs par jour, nos permissionnaires y trouvent un logement et un couvert des plus confortables. Ils y jouissent de la plus grande liberté ainsi que d’inappréciables avantages de tout genre : excursions à prix réduit, cinéma gratuit, magasins économiques, etc…Sous la conduite de Mr l’ Aumônier Van Hoonacker, le paternel et dévoué directeur de l’œuvre, j’en ai visité les différents locaux : chambres à coucher véritablement luxueuses, salles à manger, salons, salle de fêtes, cabinet de correspondance, bibliothèque, que sais-je encore… Cependant mon aimable guide me donnait tous les renseignements qui pouvait m’intéresser ; il me parlait de la grande bienfaitrice des soldats belges à Lourdes Melle Jacob, propriétaire de l’hôtel St-Louis ; en un rapide tableau, il m’évoquait les modestes débuts de l’œuvre, ses difficultés passées, son efflorescence actuelle ; il m’en soulignait particulièrement le caractère désintéressé et surnaturel. Conquis par la parole de ce saint et dévoué prêtre, persuadé que le permissionnaire belge en congé à Lourdes ne pouvait être mieux qu’au Foyer Belge, et cela à tous les points de vue, je promis d’engager nos braves soldats à y descendre. Je tiens ma promesse .

Noël dans la tranchée

Nuit de Noël 1917, Hervé rejoint son poste en première ligne. Pas de fête, pas de messe mais un trajet pénible dont il se souvient : 

Paix sur la terre : quelle dérision depuis trois ans ! Au cours de ces acrimonieuses autant qu’ineptes réflexions, j’ai enfilé le boyau X : à mesure que j’avance, le terrain devient de plus en plus difficile. Il faut monter, descendre, remonter encore à des endroits où le tir ennemi a été particulièrement efficace. Et ce maudit casque qui me serre la tête comme un étau…Et cette couverture en bandoulière qui m’étouffe véritablement… Quel métier, mon Dieu ! Ah, me voici enfin en première ligne : mais j’ai encore quelques centaines de mètres à parcourir, et cela en terrain apocalyptique pour arriver à mon poste. Enfin, voici « l’abri de la caserne » : je m’y engouffre soufflant, suant, geignant. Hâtivement, je jette mon fourbi dans un coin et je m’assieds par terre complètement abruti, ne pensant plus à rien, avec un sentiment confus dans lequel il y a le contentement d’être enfin arrivé, le soulagement de mes pauvres épaules coupées par les courroies du sac, de la besace et autre impedimenta du fantassin, avec la désillusion complète de tous les espoirs caressés, la résignation un peu « je m’en foutiste » à tout ce qui peut m’arriver…que sais-je encore ? Tous ceux qui ont vécu la vie de brancardiers d’infanterie me comprendront bien. 

L’hôpital anglo-belge de Calais  

1917 : Hervé souffre de fièvre, d’abord hospitalisé à la Section d’Hospitalisation de Hoogstade-Linde, il est ensuite transféré à l’hôpital Anglo-Belge de Calais :

Mardi 18 juin: Hôpital Anglo-Belge: premières impressions confuses ; difficultés d’uriner au lit ; or, défense stricte de se lever ; et pour parer à toute désobéissance en cette matière, on a eu soin de nous munir de chemises qui ne descendent pas plus bas que le nombril : alors ! Visite de l’Aumônier: je ne pourrai pas communier car je suis dans un hôpital anglais où le catholicisme ne peut être pratiqué ; les infirmières sont toutes anglaises; il y a seulement un infirmier belge; les médecins sont anglais et belges ; il y a bien un religieux malade mais il se trouve malheureusement à l’autre bout de la salle ! Nous sommes à trente dans le baraquement(…). Les infirmières paraissent honnêtes et font bien leur service : mais n’attendez  d’elles aucune manifestation de sympathie : leur service terminé, elles quittent l’hôpital et, fussiez-vous moribond, elles n’auront pas une pensée pour vous. Je crois que je ne fais aucun jugement téméraire. Les mieux douées baraguinent quelques mots de français ; elles veulent qu’on les appellent « sister » (sœurs) ; je persiste à les appeler « miss », ce qui ne leur plaît pas du tout ! A l’une qui me demande pourquoi je ne l’appelle pas « sister », je réponds : Mademoiselle, je ne donne ce nom qu’à une catégorie de personnes à laquelle vous n’avez pas l’honneur d’appartenir ! (…).

Je suis au régime B: cela veut dire que je reçois toutes les deux heures une tasse de lait ou de bouillon ; le midi, on remplace le liquide par une crème excellente mais peu consistante ; toutes les deux heures même la nuit, ce qui fait qu’il est impossible de dormir plus de deux heures d’affilée ! (…).

Dimanche 30 : Désormais, chaque fois que le temps sera clair la nuit, les avions boches viendront arroser Calais de leurs projectiles : aucun n’est jamais tombé sur l’hôpital mais, une nuit, une bombe a fait déplacer notre baraquement de quelques centimètres, faisant dégringoler les bouteilles de médicaments et tout ce qui n’était pas bien d’aplomb. Et défense absolue de se mettre à l’abri : réellement, nous sommes plus exposés qu’aux tranchées ! Quant aux infirmières, elles ne peuvent pas sortir de la salle, elles non plus : à chaque bombe qui tombe relativement près, elles se planquent à terre, ce qui nous fait rire malgré notre propre frousse !  

Le camp de convalescent de Neuville  

Le 30 juillet, Hervé est déclaré apte à rejoindre le camp de convalescent de Neuville situé dans l’ancienne Chartreuse de Ste-Marie des Prés. Cette Chartreuse, lors de l’expulsion des religieux en 1905 fut achetée par Clemenceau qui en fit un lieu de repos et de plaisir pour ses amis. En bon anticlérical, il fit graver, en 1907, au fronton de l’édifice, cette orgueilleuse inscription : « A la vie sombre et solitaire qui s’écoulait dans ces enclos a succédé, au grand jour, une vie active et féconde pour le progrès humain. ».

 Le 14 août, Hervé se prépare à partir. Reçu pantalon. Ainsi se termine mon séjour à la Chartreuse de Neuville. Elle abrite non seulement des soldats en convalescence mais encore des civils belges : l’établissement est tenu par des Religieuses : on y est bien soigné car on y est pour s’y retaper. Abondance de nourriture et particulièrement de « rijspap ».On y est aux portes de Montreuil-sur-mer, base anglaise importante et en conséquence souvent bombardée ; nous n’y pouvions d’ailleurs y pénétrer mais nous réussissions toutefois à forcer la consigne.

Le camp d’Auvours

Après quatre mois d’hôpital, Hervé doit retourner au front. Le 9 octobre il arrive au camp d’Auvours dans lequel il transitera huit jours. Demain, nous quittons le camp d’Auvours. Ce n’est plus, paraît-il le camp de jadis. Auvours ancien camp français d’artillerie, a été un centre de réorganisation pour l’Armée belge : des milliers de recrues sont venues s’y instruire pour ensuite rejoindre leurs aînés au front. Au C.I.B.I (Centre d’Instruction des brancardiers et infirmiers), des centaines de brancardiers ecclésiastiques, religieux et instituteurs s’y sont formés à leurs charitables fonctions. Il fut un temps où mes brancardiers ecclésiastiques y jouissaient d’un régime en rapport avec leur situation spéciale. Chaque ordre religieux avait même un baraquement particulier. Les fêtes militaires ont eu leur renommée. Aujourd’hui, tout cela est bien fini : les pertes subies par l’Armée en campagne ont forcé les réserves de recrues à gagner précipitamment le front avec un minimum d’instruction. Le C.I.B.I. n’existe plus qu’à l’état de débris : des milliers de prisonniers boches, butin des récentes victoires sont venus remplacer les partants.

Une religieuse qui a de l’humour

Hervé rejoint Adinkerke, il est désigné pour la 1° Section d’Hospitalisation de la 1° Division qui du 27 octobre au 5 novembre est installée à Saint-André-lez-Bruges et puis doit partir pour Maldeghem. Explosion de joie dans la section le 11 novembre. Le 12 novembre, son unité est mutée à Gand ; Hervé décide de ne pas marcher avec la Colonne et part avec un unique compagnon. A Gand, il assiste à la Joyeuse entrée des souverains et se débrouille pour se faire héberger deux nuits chez les Sœurs. Hervé raconte son adieu aux sœurs :  Comme je faisais allusion au paiement éventuel de mon hospitalité, la petite Sœur m’a répondu « Oh, Mr, vous ne pourriez jamais payer complètement » ! Réponse ambiguë mais qui au sens propre , était absolument vraie vu le prix exhorbitant des vivres et la princière hospitalité dont j’ai joui !

Pendant trois semaines, Hervé servira comme infirmier à l’ H.M de Gand. L’épidémie de grippe sévit et Hervé pense qu’en fait de grippe, il s’agit plutôt d’une espèce de choléra car j’ai le souvenir d’un mort devenu complètement noir et exhalant une odeur insupportable.  

Revoir ses parents après quatre longues années

Le 21 novembre  après quatre interminables années, Hervé a l’immense bonheur de retrouver son foyer. 

Enfin une porte s’ouvre et Maman, Maman elle-même, ma bonne vieille maman me serre dans ses bras et sa voix est brisée par l’émotion. Et c’est Papa si vieilli que c’en est maintenant un vieillard. Et c’est Roger, si grandi, si changé que je ne l’aurais pas reconnu en rue. Et dire que c’est uniquement par raison qu’on est allé se coucher vers 3 h. Et que je n’ai nullement dormi ni eux non plus, j’imagine, car nous étions tous trop heureux pour dormir. Dormir, c’est oublier, et nous ne voulions pas oublier ! Ah, comment dépeindre un tel retour ? Nulle plume ne pourrait y parvenir. Ah, que c’est bon de revenir au foyer après quatre années d’absence et d’y retrouver les chers siens en bonne santé ! Merci mille fois, mon Dieu !

La guerre est finie

La guerre est finie, Hervé a retrouvé sa famille mais il n’est pas encore au bout de ses peines. Le 28 novembre, il repart rejoindre son unité puis il est muté au C.I.B.I. de Furnes. Il ne retrouvera sa liberté complète qu’à la fin du mois de janvier 1915. Le 12 février, c’est au séminaire la  photographie des « rentrées » ; le sacrifice de la barbe ; l’ouverture de la grande retraite de dix jours en silence complet, ordonné par le Décret « Redeuntibus » et prêchée par le R.P. Para S.J.  

La vie normale peut maintenant reprendre ses droits.

Epilogue

Hervé devint curé à Peissant. En 1960, il publia (1) son journal de guerre, vendu au profil de l’œuvre « Bâtir avec notre Evêque ».Certains lecteurs reprocheront à l’auteur de ne pas avoir mis suffisamment l’accent sur le patriotisme de l’Armée. A ces critiques, L’abbé Lesceux répondra : notre patriotisme consistait avant tout à subir la servitude militaire, à verser nos sueurs et, éventuellement, notre sang ; ce qui n’était déjà pas si mal ! Pour ce qui est du panache, ce n’était pas notre rayon : nous le laissions à ceux qui n’étaient pas «  dans le bain » .

(1) Hervé Lesceux ; Sous le signe de la Croix-Rouge, Journal d’un brancardier de la Grande Guerre ; Edition Hubert-Macq, Chimay, 1961.

(2) Soixante jeunes gens ont quitté le séminaire et petit-séminaire de Bonne-Espérance à Tournai pour l’armée. Sur ces soixante, onze ne sont pas revenus soit les deux dixièmes du nombre total des partants. Un taux de  pertes deux fois plus important que celui enregistré au total pour toute l’armée belge.



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