Médecins de la Grande Guerre

Arthur Perbal, de Liège à Chambéry en passant par le camp du Ruchard (Jean Perbal)

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Arthur Perbal, de Liège à Chambéry en passant par le camp du Ruchard (Jean Perbal)

point  [article]
En 1914, Arthur avec son brassard de brancardier. (document Jean Perbal)

Au camp du Ruchard en 1915. (document Jean Perbal)

Au camp du Ruchard en 1915. (document Jean Perbal)

Au camp du Ruchard en 1915, Arthur est assis à droite. (document Jean Perbal)

Au camp du Ruchard en 1915. (document Jean Perbal)

Verso d’une des cartes. (document Jean Perbal)

Au camp du Ruchard en 1915. (document Jean Perbal)

Une cantinière du camp du Ruchard en 1915, Arthur se trouve à l’extrême droite. (document Jean Perbal)

Une salle des malades du Ruchard en 1915. (document Jean Perbal)

Ernest Genval, chansonnier de l’Armée Belge, qui a donné 800 représentations au front. (document Jean Perbal)

Ernest Genval est honoré. (document Jean Perbal)

Couverture du recueil de chansons et poèmes de guerre. (document Jean Perbal)

Genval au camp du Ruchard en 1917. (document Jean Perbal)

Genval au camp du Ruchard en 1917. (document Jean Perbal)

Dédicace de Genval. (document Jean Perbal)

Chanson improvisée « Les Miss » 1915. (document Jean Perbal)

A Chambéry en 1918, la grippe espagnole fit 7 morts en une nuit. (collection J. Perbal)

Arthur Perbal.

 

 

Né à Messancy  (Prov. De Luxembourg – Belgique) le 2 avril 1882

Il fréquente de 1888 à 1897 l’école primaire de Messancy, où son père est instituteur, puis ensuite l’Athénée d’Arlon et enfin l’Ecole Normale de Carlsbourg d’où il sort avec le diplôme d’instituteur (1902).

Arthur PERBAL est appelé au tirage au sort pour la levée de milice de 1902. Il tire un « mauvais numéro » .Toutefois, par décision du conseil de milice du 12 mars 1902, il est « dispensé du service en temps de paix comme élève instituteur appartenant à une famille qui n’est pas dans l’aisance. »

Le 15 juillet suivant, il est incorporé au Bataillon d’administration comme milicien de 1902 qu’il devra rejoindre en cas de guerre. Sa dispense du temps de paix est renouvelée par la suite, d’année en année.

Il exerce ses fonction d’instituteur, à titre intérimaire, dans diverses localités des provinces du Luxembourg, du Hainaut et de Liège avant d’être nommé à titre définitif comme instituteur communal à Stockem (lez  Arlon).

Il se marie le 8 septembre 1909 avec Catherine MAIRE, un fils, Camille, naîtra le 12 juillet 1910.

Le 1 août 1914, il est mobilisé. Il se retrouve à Liège, avec quelques centaines d’instituteurs et de curés, affectés comme lui, comme brancardier.


En 1914, Arthur avec son brassard de brancardier. (document Jean Perbal)

Dans ses carnets de campagne, il relate sa vie au jour le jour : retraite de Liège à Anvers entrecoupée de combats, les marches épuisantes, le manque de sommeil, le danger, les blessés, la mort.

Il échappera, à deux reprises, à une exécution sommaire comme « espion », parce qu’il devra attendre jusqu’au  23 août avant de recevoir une tenue militaire et qu’il se trouve toujours en civil avec seulement un petit brassard jaune et que parfois avec des collègues du pays d’Arlon il converse en luxembourgeois.

C’est ensuite les tranchées de l’Yser.

« 1er Novembre 1914 – Nuit calme, mais froide. Une patrouille française s’avance, trouve blessés allemands, que nous allons chercher 80 à 100 m devant notre tranchée, beaucoup de morts allemands dans les tranchées inondées… 

Le 7 ,… le soir, allons à la 1ère ligne – aussitôt, les 4 brancardiers, chacun avec 10 hommes procèdent à l’enterrement des Boches et des nombreuses bêtes crevées sur le terrain. Je vais avec équipe enterrer les hommes – deux par cadavre et à la besogne ! – j’en trouve 11 – les cadavres sont en état de putréfaction avancée – les hommes se cachent la figure avec des mouchoirs – ma besogne à peine achevée voilà des coups de feu qui partent devant nous – les balles nous sifflent aux oreilles et nous avons hâte de nous mettre à l’abri dans les tranchées.. »

Début 1915, c’est le camp du Ruchard, en Tourraine, où il est magasinier à l’hôpital militaire.

Dans une lettre, datée du 22 février 1915, adressée à son ami Edmond FOUSS, également mobilisé dans l’armée belge,  il écrit :

« … je suis arrivé, je crois, le 20 janvier, j’étais donc ici lorsque tu es venu à Azay-le-Rideau, le 2 février, mais d’Azay au camp il y a 12 km. Je ne pourrai jamais visiter le château dont tu me parles parce que je ne puis sortir du camp qu’avec une permission. Ce n’est pas gai. On est bien sévère avec les combattants de l’Yser. Nous sommes isolés du monde qui vit…

….le camp est malsain, trop humide, trois décès depuis peu, le dernier un jeune homme de mes connaissances de 16ans½ enlevé en quelques heures…

Notre vie pour être sûre n’est pas moins monotone et toujours ce poids qui pèse des milliers de tonnes, l’exil loin de la maison, sans savoir quand nous pourrons retourner vers la Belgique.

J’ai souvent des moments de mélancolie. Parfois, je fais  des efforts pour réagir sur moi-même, mais…

Il paraît, d’après ce qu’on m’écrit de Hollande, que les boches ont fermé le Gd Duché. Comment fais tu pour correspondre ?…. »

Les correspondances de France libre avec la Belgique occupée sont difficiles. Elles se font par personnes interposées, via les pays neutres, la Suisse et la Hollande (via les familles de soldats belges internés dans ce pays) et le Gd Duché de Luxembourg, en déguisant les noms, le sexe et les adresses pour donner le change à la censure allemande fonctionnant à l’entrée et à la sortie des pays occupés.

La transmission des correspondances entre le Grand Duché et Athus, où la femme et le fils d’Arthur étaient réfugiés, et vice versa se faisait par des ouvriers frontaliers en déjouant la fouille à laquelle étaient soumis tous ceux qui passaient la frontière et en bravant les sanctions sévères (déportations) auxquelles étaient exposés ceux qui étaient pris.

Cette fouille devenait de plus en plus sévère avec le déclin des espoirs allemands de gagner la guerre. Au moment le plus aigu, les correspondances étaient dissimulées dans des doubles semelles.

« Le cafard m’enlace, m’étreint et me glace plus que froid d’hiver. Et mon cœur amer, rêve des jours d’hier.. »

C’est ce qu’on peut lire dans « La chanson des « Jasses »  » recueil de chansons et poèmes de guerre dits par Ernest GENVAL (Ernest THIERS - °Liège 1884, +Dachau 1942), chansonnier de l’armée belge et ses compagnons, dans un exemplaire, édité en 1919 et dédicacé « à mon vieux camarade Perbal, en souvenir de la guerre ».


Ernest Genval, chansonnier de l’Armée Belge, qui a donné 800 représentations au front. (document Jean Perbal)

GENVAL était un homme « souriant, dynamique, optimiste et patriote. On aimait sa silhouette rondouillarde et sa bonhomie »[1]

S’il touche au passage à la mélancolie et à la tristesse, s’il émeut ses auditeurs par ses évocations c’est pour mieux les conduire au rire compensateur qu’il suscite par la chanson expresse dans laquelle il est passé maître et des satires mordantes à l’adresse des Allemands, telle la chanson « Ah ! L’agence Wolff » écrite en mai 1915, qui fut produite dans une revue « Vidons les boches » jouée au camp du Ruchard, le 15 mai 1915 et qui fut, pendant un certain temps une des nombreuses « scies » du front.

En  1917 et 1918, ARTHUR PERBAL se trouve à l’Hôpital militaire belge de St Louis-au-Mont à Chambéry (Savoie) et exposé à la contagion des tuberculeux.

« La grippe de 1918 fut meurtrière. O combien, puisqu’elle fit 13 millions de morts, deux fois plus que la guerre »[2]. Parmi les tuberculeux de l’hôpital, elle fit des ravages : 7 en une seule nuit !


A Chambéry en 1918, la grippe espagnole fit 7 morts en une nuit. (collection J. Perbal)

Après la guerre, Arthur PERBAL reprend ses fonctions d’instituteur à Stockem et un an plus tard, en 1920, après avoir passé l’examen, il est nommé inspecteur cantonal de l’enseignement primaire à Neufchâteau (B) où il restera 5 ans avant d’être muté pour Arlon où il achèvera sa carrière.

Arthur PERBAL taquinait la muse. Il aimait exprimer en bouts rimés, sans prétention, un petit événement de la vie de tous les jours.

A un instituteur qui lui avait envoyé un rapport entaché d’une faute d’orthographe, il écrivit :

« Exigence ne dérive pas d’exigeant

mais d’exiger

comme préférence

de préférer

La langue française à de ces exigences

Dont l’œil ne voit pas toujours la différence,

Mais on ne pardonne pas à l’instituteur

D’émailler son style de ces coupables erreurs.

Ne doit il pas, tout en étant un athlète

Se voir accuser d’être un analphabète ?

Chassez vite de vos écrits ces coquilles

Qui, en somme, ne sont que des peccadilles »

 

Arthur PERBAL avait la passion de la chasse et de la pèche.

A Stockem, il lui arrivait d’aller poser des lignes de fond, à l’insu de son meilleur ami, Auguste FREYLING, le garde forestier, dans l’Engelbach qui « s’ évade des buttes sableuses constituées de sable blanc sans calcaire qui forment la montagne de Stockem »[3].

Avec son oncle Léon et son frère Georges, ils avaient loué  la chasse de la plus grande partie du ban de Messancy, leur village natal. C’était une chasse de plaine, au petit gibier.

A Neufchâteau, A.P. eut l’occasion de participer, dans la forêt ardennaise, aux battues au gros gibier qui rassemblaient plusieurs dizaines de chasseurs venus de tous les coins du pays.

La guerre de 1940-45 allait donner à A.P. l’occasion de s’exercer à d’autres passes d’armes avec le Dr Mathias ZENDER, chargé de cours à l’université de Bonn qui, sous l’uniforme feldgrau, était devenu le deus ex machina des tentatives de germanisation dans le Pays d’Arlon.

Originaire de la rive droite de la Moselle, parlant le luxembourgeois, ZENDER connaissait le pays que, sous le couvert de folklore et de toponymie il avait exploré avant 1940 et s’y était fait quelques sympathisants, préparant ainsi soigneusement son « dossier de mobilisation ».

En 1936, il avait publié à Bonn aux éditions L.Röhrscheid, dans une collection intitulée « Deutsches Grenzvolk im Westen erzählt », un livret de légendes populaires recueillies en différents  endroits de l’Eifel, du Gd Duché de Luxembourg et du Pays d’Arlon.

Une carte donnant le tracé de la frontière linguistique latino-germanique annonçait la couleur, englobant dans les pays d’expression germanique le pays d’Arlon.


Il feignait ainsi d’ignorer que cette frontière appartenait à un passé révolu, qu’un siècle de gestion administrative belge l’avait estompée et que l’agression allemande de 1914 avait rendu même les vieilles générations, bien qu’elles fussent restées fidèles à leur parler mosellan, résolument hostiles à l’expansionnisme du Grand Reich, au même titre que les Lorrains du pays de Thionville.

ZENDER était devenu le conseiller culturel et politique de la Kommandantur et avait son bureau dans le bâtiment du Gouvernement provincial à Arlon.

Il se présenta d’abord sous les apparences de la sincérité et de la bienveillance auxquels succédèrent bientôt les menaces, voilées d’abord, ouvertes ensuite.

Il avait escompté que le temps travaillerait pour lui, mais il dut constater qu’en face de lui on se « hâte avec lenteur »[4] et qu’on aide le temps à travailler contre lui.

Jean Marie TRIFFAUX évoque la situation à Arlon en 1942[5] « ZENDER faisant le bilan de trois années de fonctionnement du Deutsche Sprachverein constatait que depuis Stalingrad la progression des affiliations à ce mouvement pro-allemand avait chuté. Sans pommes de terre et sans menaces de réquisitions les sympathisants se faisaient rares. Décidément, les Arlonais n’auraient jamais fait de bons allemands. Mais lui au moins ne se plaignait pas trop, il avait su éviter les désagréments du front de l’Est. »

Ce jeu du « finassieren » devait conduire A.P. à deux doigts de la déportation et entretenir chez lui une tension contre-indiquée avec l’angine de poitrine dont il était atteint.

On lui avait rapporté la menace qui fut prononcée dans les milieux du Sprachverein : « Bald wird auch der PERBAL uns nicht mehr hinderen » (Bientôt, PERBAL aussi ne nous gênera plus).

La menace était redoutable quand on sait que dans la nuit du 24 au 25 août 1944, le procureur du roi André LUCION et le Dr Jean HOLLENFELTZ, Président provincial de la Croix-Rouge étaient sauvagement assassinés par les nazis en plein centre d’Arlon et que 23 otages pris pendant cette nuit tragique moururent dans les camps de concentration allemands et qu’entre le 27 août et le 4 septembre 1944, 21 résistants étaient abattus par les gestapistes dans les environs d’Arlon.

Après la libération, A.P. qui avait été maintenu en fonction, par les suites de la guerre fut admis à la retraite, en 1945.

Il comptait en jouir en s’adonnant à la chasse. Dans ce but, il s’était assuré une participation dans la chasse du bois d’Udange, proche d’Arlon.

Une battue avait été fixée au 8 décembre 1945. Surpris par le froid intense qui était survenu brusquement pendant la nuit, au cours de laquelle le thermomètre était descendu à –8°C, il fut frappé de congestion.

Il n’était âgé que de 63 ans.

    

Sa sépulture au cimetière d’ARLON fut dessinée et ornée d’un bronze représentant un sous-bois, par un frère d’arme de 1914-1918, le « petit step » le sculpteur Charles STEPMAN (+Koekelberg 1964). Leurs destinées s’étaient croisées, en 1917, en Savoie à l’Hôpital de Saint-Louis-du Mont.

Une rétrospective des œuvres de Charles STEPMAN, sculpteur, décorateur, professeur de dessin, conférencier et à l’occasion poète-écrivain eut lieu en octobre 1984 à Koekelberg, à l’initiative du cercle d’art Eugène SIMONIS (créé par lui en 1948) dans la maison qu’il habita au 250 du boulevard Léopold II et qui, après sa mort, devint le centre artistique de la commune.

 

 



[1] : « Le Soir » -petite gazette, » La mort du chansonnier » date inconnue.

[2] :Fernand Destaing « ces maladies qui ont changé le monde – de Job à Roosevelt » -1978.

[3] J.Massonet –« Histoire de Vance » Annales I.A.L. –1959 p12

[4]  : « Les Nouvelles » -19-20 juin 1945.

[5] : Article « Arlon carrefour » 22 et 29/8/1984



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