Médecins de la Grande Guerre
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L’aumônier Lenoir,
avait « le diable au corps » pour transmettre son courage et sa foi Le Père Louis Lenoir Le Père Louis Lenoir, né en 1879 et ordonné prêtre en 1911, fut un remarquable professeur à Marneffe dans les années précédant la Grande Guerre. Il était continuellement à la recherche de moyens didactiques pour aider ses élèves à assimiler la matière tout en veillant à augmenter leur sens de responsabilités et leur autonomie. Féru de culture classique, il avait créé dans ses classes un « sénat » qui pouvait prendre toute décision utile à la vie en communauté à Marneffe. Ce sénat avait à sa tête un consul mais aussi un tribun du peuple ayant voix de veto. Le Père Lenoir consacra aussi une grande partie de ses loisirs à rédiger lui-même ses cours pour améliorer la compréhension de la matière enseignée. Il suivait attentivement les progrès de chaque élève et quand un d’entre-deux n’engrangeait pas de bons résultats, il s’efforçait, à tout prix, d’en trouver les raisons. C’est ainsi qu’un jour, il proposa à un élève en difficultés de réfléchir à haute voix en sa présence pendant qu’il faisait ses devoirs et cela, durant vingt longues minutes journalières. Le Père Lenoir avait trouvé cette méthode originale pour connaître les défauts de raisonnement de son élève afin de pouvoir ensuite les corriger. Ce moyen d’éducation exige une disponibilité de temps importante de la part de l’éducateur ! Seuls les religieux d’antan possédaient cette disponibilité. Professeurs le jour, éducateurs et surveillants le soir, les professeurs religieux vivaient du matin au soir avec leurs élèves. Quand la guerre éclata, le Père Lenoir n’hésita pas un instant à rejoindre la France pour s’engager la malgré les mesures anticléricales que le gouvernement avait pris depuis le début du siècle. Le Père Lenoir usa de ses connaissances pour obtenir un poste d’aumônier militaire et partir le plus vite possible au front. Il fut désigné le 11 août pour rejoindre en tant qu’aumônier le Groupe des Brancardiers Divisionnaires de la deuxième Division de la 4ème Armée. Le 22 août, il reçoit la confession de l’écrivain Psichari qui mourra un jour plus tard dans le village belge de Rossignol une balle dans la tête, ayant son chapelet enroulé autour de son poignet. Le soir, dans l’église de Pin, il soigne et veuille sur les deux à trois cents blessés qui y ont trouvé refuge. Le lendemain matin, il est sur le champ de bataille de Jamoigne où il aperçoit pour la première fois la réalité affreuse de la guerre. Puis vint la retraite vers la Marne. La deuxième division constitue l’arrière-garde chargée de retenir les allemands pour permettre au gros de l’armée de repasser la rive gauche de la Meuse. Dans la forêt de Jaulnay entre Stenay et Beaumont, les brancardiers sont occupés à ramasser les blessés quand une patrouille allemande survient et tire. Le Père Lenoir est visé mais heureusement une balle ne fait qu’effleurer son bras lui causant une petite éraflure. Dès ce jour, commença à s’implanter en lui la conviction que les balles et obus semblaient décidés à l’épargner ! Le 5 septembre au soir, il se trouve à Viry-en-Perthois avec des voitures et quelques brancardiers pour évacuer les derniers blessés. Vers 9 heures du soir, le petit convoi se trouve à Marolles où il se fait arrêter par une patrouille d’Uhlans. Les brancardiers sont conduits à Vitry-le-François où un officier allemand lui demande des renseignements sur les forces françaises. Le Père Lenoir se rebelle et refuse de parler malgré le révolver mis sur sa tempe. Finalement l’officier baisse son arme en disant « C’est bien, si j’étais votre prisonnier, j’aurais répondu la même chose ! ». Le Père Lenoir est maintenu prisonnier jusqu’au 11 septembre à Vitry. Ce jour-là, les Allemands évacuent la ville et dans la panique de la retraite oublie le Père Lenoir qui s’empresse de s’enfuir, rencontre un détachement des chasseurs d’Afrique et rejoint avec eux dans une folle chevauchée l’état-major du corps d’armée. Le 13 septembre, le Père Lenoir retrouve son Groupe de Brancardiers Divisionnaire. Les combats font rage et notre aumônier tout en ramassant les blessés du champ de bataille continue son travail apostolique en célébrant la messe et en confessant. Beaucoup de soldats étaient incroyants car formés à l’école républicaine. La guerre changea cependant les mentalités. Côtoyant la mort, nombre de jeunes gens cherchèrent des consolations là où on leur en offrait. Quand un aumônier se montrait attentionné, serviable et souriant, il lui était facile de reconquérir des « âmes » particulièrement celles des blessés ou des soldats voués à participer à des offensives meurtrières. Ce prosélytisme qui pourrait nous heurter aujourd’hui en 2017, fut finalement bien accepté par les commandants de bataillons qui s’aperçurent que, loin de diminuer l’esprit combattif des hommes, les aumôniers prônaient le devoir à tout prix même si celui-ci devait aboutir à l’ultime sacrifice. Evidemment le message de l’aumônier était d’autant mieux accepté par la troupe que lui-même se montrait à la hauteur de ce qu’il demandait. Il en était certainement ainsi pour le Père Lenoir qui montrait un dévouement exceptionnel à tous et un mépris du danger. Très vite le Père Lenoir fut surnommé « le preneur d’âmes » et un soldat trouva un jour cette belle phrase pour le décrire à sa famille : « Notre aumônier a le diable au corps pour faire aimer le bon dieu ! ». Le Père Lenoir réalisa donc « une moisson d’âmes » qui fut sa joie et sa raison de vivre : Le sourire légendaire du Père Lenoir se perçoit bien sur cette photo alors qu’il distribue des cigarettes. « Si ces consolations ne supposaient tant de douleurs, de séparations et de ruines, tant d’atrocités de toutes sortes, je vivrais la période la plus heureuse de ma vie. Hélas ! C’est aussi la plus angoissée. Je reverrai toujours ses cadavres morcelés, ces villages en flammes où, sous le bruit ininterrompu du canon, nous cherchons des blessés. Mais j’entendrai toujours aussi leurs appels au prêtre, je sentirai toujours sur ma joue leurs derniers baisers sanglants. Et je reverrai toueurs aussi ces confessions hâtives la nuit, durant la marche ou à la rencontre des chemins, près des obus qui éclatent ; et ces communions données à toute heure grâce à votre précieuse custode que je porte continuellement. La grâce, l’amour de Notre-Seigneur tombent à profusion et dans des circonstances si extraordinaires que je crois rêver ! » Le Père Lenoir se donne corps et âme. Le colonel Thiry le retrouve, un jour, harassé dormant debout appuyé sur un bâton. Mais cette vie n’est pas encore assez dure pour lui. Il désire se rapprocher des tranchées et être affecté dans un bataillon et non plus dans le Groupe des Brancardiers Divisionnaires (G.B.D.). Mais en ce début de la guerre, le poste d’aumônier n’est pas prévu dans un bataillon. Il faut trouver une combine ! C’est le colonel Pruneau qui commande le 4ème colonial qui va l’aider en lui permettant d’être détaché quatre jours par semaine dans son bataillon tout en continuant de dépendre administrativement du G.B.D. Le 9 novembre, le général approuve et le jésuite commence son séjour aux tranchées. Ses journées commencent par la messe dans une grange pour les unités en repos puis il se glisse dans les tranchées de la cote 191 du lieudit « Main de Massigue » Main de Massiges « Je
me glisse de boyau en boyau, de créneau en créneau, de braséro en braséro,
causant, blaguant, écrivant des lettres, essuyant des larmes, distribuant les
cadeaux que me permet ma solde scandaleuse, et souvent, hélas, ramassant morts
et blessés. »
De temps en temps un vieux soldat l’entraîne à l’écart pour lui dire son
chagrin comme celui-ci : « Ah, s’il n’y avait que ma peau, mais il y a la femme
et les gosses ». Secteur de Massiges et de Beauséjour
Le seul fait de voir venir leur aumônier à eux et leur serrer la
main suffit à gagner les soldats. Le Père Lenoir acquiert vite dans son
bataillon une réputation de modèle. Toujours plein d’entrain il écrit sur son
agenda le jour de l’assomption son secret : « Jésus-hostie est avec moi ; force, vie, salut,
victoire ! » Ce qui donne confiance au Père Lenoir c’est de porter « Jésus-Hostie » sur lui et de le donner aux soldats. A notre époque de plus en plus sceptique sur tout ce qui est surnaturel, il est difficile, même pour un chrétien, de croire en l’importance du sacrement de communion. Mais pourtant le chrétien d’aujourd’hui considérera que, pour un « Dieu fait homme », laisser, après sa montée au ciel, aux hommes des générations futures, une trace de sa présence physique en l’hostie consacrée est certainement le rappel extraordinaire et réconfortant qu’il n’est pas un Dieu extraterrestre appartenant « au ciel » mais qu’il est avant tout un Dieu continuant à partageant avec nous notre réel, notre monde matériel existant depuis 14 milliards d’années, et notre condition d’homme vouée hélas souvent à la guerre. Donc « Jésus-Hostie » est
trimbalé dans les tranchées par le Père Lenoir qui le présente aussi aux yeux
des soldats dans l’ostensoir pendant la messe. « A la bénédiction, les vieux chrétiens s’inclinent, les
nouveaux, sans peur, regardent l’ostensoir avec intensité ; il semble que
notre-Seigneur se dévoile à eux. » Cantine chapelle du Père Louis Lenoir (musée de l'Armée Dist. RMN – Grand Palais – photo Emilie Cambier) La Père est partout où l’on a besoin d’aide. Il avait un véritable don d’ubiquité pour savoir où aider. Un tringlot est tué à Hans d’un coup de cheval : l’aumônier est là (17 octobre). Un incendie éclate à Virginy dans une grange : l’aumônier s’y trouve (28 octobre). Une escouade est ensevelie à Massigues sous un bombardement : l’aumônier est le premier à porter secours (18 décembre). L’ordonnance du colonel de brigade est blessé gravement aux reins : justement l’aumônier se trouve de passage chez le colonel (19 janvier 1915). Le commandant Noël est pris sous une sape effondrée. Quelqu’un s’avance pour le dégager : c’était le Père Lenoir. Le 27 décembre, le régiment des marsouins reçoit l’ordre de s’emparer du col des Abeilles. Cela semble une mission suicide mais les ordres sont les ordres. La bataille se transforme en hécatombe pour les marsouins. L’aumônier retrouve le corps d’un petit gars qu’il venait de baptiser et avec qui il aimait discuter, le « petit patrouilleur » Achille R. Il était une des 1.100 victimes de cet assaut ; Quelques semaines plus tard, aux abords
de « la Main de Massiges », dans la nuit du 3 février 1915, c’est à
nouveau l’assaut. « Trois mille des
nôtres sont restés là, trois mille de ces enfants que je commence à connaître
et à aimer comme on aime le prodigue revenu à dieu avec toute la sincérité de
son âme… » Le Père relève les blessés mais vers 3 heures du matin un obus le blesse à l’épaule droite et tue le malheureux qu’il portait. Quelques jours de repos à dire la messe et à visiter les cantonnements du 4ème et 8ème colonial. Le Père Lenoir a gagné à sa manière
« sa guerre ». Il a conquis tous ses marsouins. Dans l’église de
Courtémont, le capitaine de Bélinay témoigne de sa surprise en voyant cinq ou
six cents soldats communier ! Il écrira : « Il avait sur les hommes une influence qu’il faut avoir vue pour
la croire possible. Les coloniaux sont braves, débrouillards, et bons
camarades, mais ils n’ont jamais prétendus être des petits saints. Or voilà des
régiments, des brigades, une division qui, sous le rayonnement du surnaturel et
de pureté du Père Lenoir, s’étaient transformés en peu de semaines. Ces âmes
frustres et parfois dévoyées souvent ignorantes de toute notion religieuse,
s’ouvraient à la grâce par la charité d’un sait. Ces soldats ne montaient pas
aux tranchées, ne partaient plus à l’assaut sans avoir communié ».
L’aumônier Lenoir devient
l’allié incontournable du colonel Pruneau qui dira « Jamais chef de corps ne trouva un auxiliaire aussi précieux
pour assurer le bon moral des troupes en temps de guerre ». Le Général
Gouraud sera encore plus élogieux : « Le Père Lenoir faisait à lui
seul, pour une grosse part, la force de son régiment ». Hommage du Général Gouraud Le 17 mars, le Père Lenoir devant toutes
les troupes est décoré pour avoir été aux premiers rangs pour se porter au
secours des blessés. Le dimanche de Pâques, l’aumônier réitère sa conviction
profonde durant son sermon :
Le 15 août le père Lenoir est déçu, il escomptait pour l’assomption
une cérémonie religieuse avec 800 participants mais quelques heures avant
l’aube, l’ordre est donné de partir. Alors
dit-il, « je suis reparti avec Notre-Seigneur sur moi comme toujours. J’ai
pu voir quelques compagnies, donner çà et là, dans les taillis, le divin
contenu de ma custode… » Vint l’automne 1915. Le 4ème R.I.C. participe à la bataille de Champagne. Les troupes doivent reprendre « la Main de Massiges ». L’aumônier encourage les troupes avant l’assaut du 15 septembre. Les coloniaux sont vainqueurs mais au prix de lourdes pertes. Le Père Lenoir est parti avec les premières vagues pour secourir les blessés. Au cours de l’assaut, il s’aperçoit qu’une des compagnies a perdu tous ses officiers. Il prend alors le commandement de celle-ci mais vers 5 h du soir, une balle l’atteint à la cuisse. L’aumônier est évacué à l’hôpital d’Autun où il restera six semaines avant de repartir au front. Son retour est trop rapide et la plaie s’ouvre à nouveau après cinq jours. Il doit être hospitalisé à nouveau. Le temps d’hôpital lui paraît interminable mais il le consacre à rédiger « Le Livre des prières pour le soldat catholique » qui sera diffusé à….150.000 exemplaires ! Un véritable bestseller ! Auteur du livre de prières du soldat catholique Enfin le 27 janvier 1916, le Père quittait l’hôpital pour rejoindre le 4ème colonial dans la région de Maucourt, au nord-ouest de Troyes. Plus tard, au mois de juillet 1916, on le retrouve sur la Somme à l’ouest de Péronne. Un début de mutinerie naît dans deux compagnies. Le Père Lenoir parle aux révoltés qui retrouvent la quiétude. Le lendemain, le jour de l’assaut controversé, il se place au milieu des mutins de la veille pour partir à l’assaut en avant d’eux les encourageant en criant « Mes enfants en avant » puis lorsque l’ordre de repli fut donné, il resta sur le champ de bataille pour évacuer les blessés. Quelques mois après la Somme, le 4ème colonial est désigné pour Salonique pour secourir la Serbie.. Dans le bateau qui emmène ses marsouins, il parcourt les cales pour distribuer des cigarettes et des pilules anti-nausées. Beaucoup de soldats sont de nouvelles recrues et ne connaissent pas le Père Lenoir qui se désole de leur ignorance et de leur indifférence en matière de religion ! « Je
pars le cœur gros ; la plupart des hommes ne sont pas prêts, ils le sont
moins que jamais. La nuit, rôdent quelques Nicodèmes. Mais qu’est-ce que tout
cela à côté des centaines d’indifférents ? » Bientôt le 4ème R.I.C. monte à l’attaque du Piton jaune dans la région de Monastir. Pas d’abris, aucune tranchée intermédiaire ; il faut monter à l’assaut à découvert. Durant 21 nuits, il s’en va ramasser blessés et morts. Il a à nouveau conquis les jeunes marsouins… Le 9 mai 1917, il monte aux premières lignes qui se préparent pour un nouvel assaut. A l’heure fixée, le 4ème Colonial s’élance mais les Austro-Bulgares apparaissent au sommet, dans des créneaux creusés dans la pierre, beaucoup plus protégés que prévus. L’assaut est un échec et sur les quatre capitaines, trois sont tués. L’aumônier revint épuisé dans les lignes arrière vers 14 heures, puis décide de repartir vers la compagnie du lieutenant Gréau, isolée sur les pentes du piton et dont on a plus de nouvelles. Il parvint presque à son but. Le lieutenant l’aperçoit qui essaie de le rejoindre malgré une mitrailleuse qui crépite sur lui. Il croit d’abord que c’est une estafette puis le reconnaît en train de s’écrouler mortellement atteint en mettant les mains sur sa poitrine. Le Piton Jaune vu du Piton des Italiens. La croix indique l’endroit où fût tué le père Lenoir. On put retrouver son corps trois jours après. Entourant sa custode comme pour la protéger, trois papiers : ses résolutions de la retraite de Noël 1915, une lettre d’adieu pour sa famille et une autre pour son régiment qui disait : « En cas de mort, je dis au revoir à
tous mes enfants bien-aimés du 4ème Colonial. Je les remercie de
l’affectueuse sympathie et de la confiance qu’ils m’ont toujours
témoignées ; et si parfois, sans le vouloir, j’ai fait de la peine à
quelques-uns, je leur demande bien sincèrement pardon. De tout mon cœur de
Français, je leur demande à faire vaillamment leur devoir, à maintenir les
traditions d’héroïsmes du régiment, à lutter et à souffrir tant qu’il faudra,
sans faiblir, pour la délivrance du pays, avec une foi inconfusible dans les
destinées de la France…». A son enterrement, personne n’eut la force de prendre la parole. Personne ne se sentit capable de rivaliser avec les sermons du Père Lenoir ! Seuls, le silence et les larmes marquèrent le départ de l’aumônier vers la demeure éternelle de son « Jésus-hostie » qu’il espérait voir remplie de courageux marsouins. Dr P. Loodts Sources : 1 - « Un preneur d’âmes, Louis Lenoir, l’aumônier des marsouins », Georges Guitton S.J., 1922, Editions J. De Gigord. Cette biographie de plus de 500 pages est accessible sur le web 2 - Pour le chrétien qui veut méditer sur la vie du Père Lenoir :
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