Médecins de la Grande Guerre

L’ambulance des sœurs van der Straten-Ponthoz à Rossignol.

point  Accueil   -   point  Intro   -   point  Conférences   -   point  Articles

point  Photos   -   point  M'écrire   -   point  Livre d'Or   -   point  Liens   -   point  Mises à jour   -   point  Statistiques


L’ambulance des sœurs van der Straten-Ponthoz à Rossignol.

point  [article]
Rossignol – Rue du Village et le château.

Rossignol – Intérieur de la propriété du château où furent soignés 1400 Français en août 1914

Rossignol – Rue de Breuvanne et ruines – A l’avant plan, entrée du château qui servit d’ambulance et place de l’Eglise. A l’arrière plan, coin du bosquet dernier emplacement de la pièce d’Ernest Psichari

L’ambulance des sœurs van der Straten-Ponthoz à Rossignol

En hommage à Madame Gravis. Sa souffrance fut incommensurable !  

       Cette habitante de Rossignol, veuve de Joseph Pecheur, disait à son curé avant de mourir en décembre 1914 : « J’ai vécu trop longtemps ! J’avais quatre fils mariés, tous les quatre ont été fusillés ; je suis en deuil de seize membres de ma famille. »

       Madame Gravis a perdu dans le massacre du 26 août 1914, son frère, son beau-frère, ses quatre fils, son gendre, six petits-fils et trois neveux !

Introduction

       On connaît l’immense tragédie qui se passa à Rossignol le 22 août 1914. Une défaite sanglante pour les soldats français (1850 soldats français y reposent) et le calvaire des habitants dont 112 furent pris en otages et périront à Arlon parce que le major Von Tessmar,  n’ayant plus de train disponible pour les transporter en Allemagne, ordonna leurs exécutions. On connaît moins l’héroïsme des volontaires de la Croix-Rouge Belge qui se dévouèrent dans des conditions infernales dans le château de Rossignol. Le témoignage suivant est à ce sujet exceptionnel. Parmi tant de courage, un fait m’impressionne plus que tous : beaucoup de volontaires de la Croix-Rouge virent leur maison se consommer en flammes pendant qu’ils soignaient les soldats français. 

L’Ambulance de Rossignol : le témoignage des demoiselles van der Straten-Ponthoz[1]

       Lorsqu'éclata la guerre en 1914, le château de Rossignol était habité par ses petites-filles Mesdemoiselles Mathilde et Gabrielle van der Straten-Ponthoz. Elles mirent le vieux château à la disposition de la Croix-Rouge de Belgique par lettres au Ministre de la Guerre, et au Gouverneur de la Province, demandant l'autorisation officielle d'y établir une ambulance… Pensée de simple dévouement et de protection pour le village, croyaient-elles. Quelle illusion !

       Le 4 août, un télégramme du comte de Briey donnait l'ordre d'arborer le drapeau de la Croix-Rouge. La guerre était déclarée ; et, sans ressources, sans expérience, sans notion aucune des soins à donner et de l’organisation, elles avaient ouvert et leurs portes et leurs cœurs... La population de Rossignol intelligente et généreuse prouva une fois de plus que ces qualités ne sont pas un vain mot. Trois listes furent mises en circulation, couvertes immédiatement de signatures de personnes offrant qui de l'argent ; qui des literies, linge ou vivres à fournir, lait, beurre, œufs ou journées de travail, au fur et à mesure des besoins ; des voitures et des chevaux furent mis à la disposition des châtelaines et, avec un élan magnifique, nombre de jeunes gens se présentèrent comme brancardiers, quantité de jeunes filles comme infirmières. On se mit à l'œuvre. Comme une ruche en mouvement, chacun travaillait à aménager le local pour une trentaine de lits avec réserves à appeler en cas de nécessité, tout en conservant encore l'espoir que la guerre n'atteindrait pas le village. M. le curé Ch. Hubert assuma les fonctions d'aumônier, le docteur Sironval, de Jamoigne, le soin des malades, M. Pierlot, secrétaire communal et M. F. Previs devaient s'occuper de l'organisation et de la comptabilité. M. et Mme Hurieaux offrirent les bâtiments de leur usine, dans le cas où ceux du château seraient insuffisants. Dès le 6 août, des patrouilles allemandes et françaises sillonnaient le pays. Un soldat cycliste fut apporté, suivi bientôt de deux autres, à bout de forces, qui furent soignés et réconfortés avant de rejoindre leurs unités. Le même jour, deux blessés du 4ème  régiment de Hussards de Verdun entrèrent à l'ambulance. Le 7, le général Réquichot et six officiers logèrent au château, la troupe était cantonnée dans le village ; ce fut une patrouille de ce régiment qui amena un prisonnier allemand blessé légèrement à l'oreille ; après un interrogatoire sommaire sous la porte, au moment où se refermait sur lui le cachot improvisé, il s'écria joyeusement à l'hilarité générale : « Tant mieux, pour moi la guerre est finie ». Le 10 août, se présenta au château une délégation de la Croix-Rouge d'Arlon, composée du R. P. Forget, du baron de Bonhomme et des docteurs Hesse et Simon. A la demande de Mlles les comtesses, ils remirent le brassard officiel n° 9 à M. Félix Provis. Ces Messieurs, après inspection, donnèrent les règles à suivre et firent remarquer que les locaux de l'ambulance devaient être exclusivement réservés aux  blessés et aux malades qui, après les premiers soins, doivent être évacués soit à l'ambulance du château de Jamoigne, dirigée par des religieuses françaises pouvant en hospitaliser un grand nombre, soit à Marbehan où Mme Lambiotte avait aménagé cent lits, dans de vastes locaux. Le 14, des cavaliers allemands passèrent : le danger se rapprochait. Le 15, fête de l'Assomption, fut une journée inoubliable, marquée par l'enlèvement du drapeau du clocher de l'église, à la consternation générale :

       «  Ce drapeau, disent les demoiselles  van der Straten, nous avions été fières de le prêter lorsque l'ordre avait été donné d'arborer les couleurs belges. Beau et solide encore malgré sa vétusté, témoin de tant d'événements dont il aurait pu conter l'histoire, il avait fait ses débuts à Verviers en 1853, chez notre grand'mère, la vicomtesse de Biolley, quand elle reçut dans son hôtel, déclaré terrain neutre pour la circonstance, Léopold I venant au-devant de l'archiduchesse Marie-Henriette d'Autriche, notre future Reine qui selon le protocole, fut amenée par sa suite autrichienne et remise solennellement à la Belgique. Son mariage avec le Duc de Brabant (Léopold II) fut célébré quelques jours plus tard à Ste Gudule à Bruxelles. On vit le drapeau jeté dans un fossé sur la route de Termes ; personne n'osa le ramasser. La hampe brisée resta pendant plus d'une année au clocher de l'église à peu près détruit avec un petit lambeau d'étoffe que M. Godfrin en réparant le toit enleva et nous rapporta. Pauvre et précieux souvenir, témoin de tant d'honneurs, il est conservé avec respect. »

       A partir de ce jour commencèrent les réquisitions tracassières des Allemands. Ne pouvant prévoir à quel point l'ambulance manquerait de vivres, on en livra, comme les autres, habitants du village, pour se conformer à l'ordre donné. On ne connaissait rien encore de la guerre, mais on savait que les troupes en campagne réquisitionnent ou prennent les vivres au besoin. Toute résistance n'était ni sage ni possible. Le premier contact inquiétant et pénible avec l'ennemi n'allait pas tarder à se produire.

Nous laisserons la parole à Mlles  Van der Straten-Ponthoz :

Le témoignage des demoiselles Van der Straten-Ponthoz

       « Un officier de cavalerie allemande descendit toute la prairie du parc et vint en colère nous reprocher qu'on faisait des signaux dans le village et qu'on donnait de vivres aux Français. D'où avait-il pu voir, avec de puissantes lunettes sans doute, le cafetier de la place, M. Hamptiaux en veston blanc ; et M. J. Pécheur-Schmit en veston de toile bleue porter à boire à des sentinelles française surveillant la route près du poteau indicateur près de l'église ? On prévint immédiatement dans le village ceux qui avaient des habits semblables d'en changer afin de n'être pas soupçonnés. Précaution hélas inutile ; ces deux malheureux firent  partie du groupe de fusillés. Le 21 on entendit la bataille du côté d'Izel. Nous allions entrer  dans une série de jours dont la description n'est pas possible, dont les douleurs ne peuvent se décrire ; et lorsque les années ont passé, que dans le calme et avec sang-froid on revit cette époque, on comprend l'immense miséricorde de Dieu qui, par pitié pour la faiblesse humaine, lui cache l'avenir, car malgré le vouloir le plus énergique, le désir du dévouement le plus absolu, l'amour du devoir et de la Patrie, n'aurait-on pas faibli ou fui devant le danger si on s'était fait une idée de la guerre telle qu'elle fut en 1914 ?   Dès l'aurore du 22 août, le bruit des mitrailleuses faisait prévoir le violent combat qui bientôt allait se dérouler sur la route de Neufchâteau, dans la forêt de Chiny, et du côté de Breuvanne.  M. Provis se trouvant devant l'entrée de l'ambulance, le Colonel Vitart en tête des troupes coloniales s'informe si l'ennemi occupe la région. Il lui répondit affirmativement, ajoutant « la forêt en est remplie.» Le colonel le remercia, et continua néanmoins sa marche en avant pour exécuter les ordres reçus.

       Déjà les dévoués brancardiers nous amènent des blessés ; bientôt c'est un vrai convoi de malheureux dont le flot grossi jusqu'au soir. Ils arrivent en civières, en véhicules ou à pied  soutenant les uns les autres, s’appuyant sur des branches fourchues servant de béquilles improvisées. Environ 750 Français et 30 à 40 Allemands entrent à l'ambulance et toutes les maison du village en regorgent déjà... Toute l'après-midi le canon continue à gronder et les obus prenant comme point de mire le clocher de l'église, en face du Château, font craindre à chaque  instant d'en voir éclater sur l'ambulance même; de gros arbres sont brisés dans le parc, 26 obus éclatent dans la cour, les balles crépitent sur les tons, passent par les fenêtres, frôlent les blessés et en touchent plusieurs dans les chambrées. Bientôt cernés de tous côtés, les Français pénètrent dans le parc. Les dragons à droite venant à travers  bois, des canons et des mitrailleuses par la prairie. Les Allemands faisant des clôtures du côté de Marbehan, se précipitent avec des cris de victoire. Les nombreux Français repoussés dans la cour de la Croix-Rouge recevaient des balles à foison, tandis qu'au café de la Place, en face de la porte de l'ambulance le drapeau blanc était hissé. Notre délégué M. Provis au mépris du danger s'avançait alors courageusement au-devant de l'officier allemand, le brassard au bras, lui expliquant que les Français s'étaient rendus. Braquant son revolver sur lui, le lieutenant Zartig du 23 R. I. lui donna deux minutes pour chercher un officier français qu'il attendit au-dessus de la pelouse. Les Allemands pénétrèrent alors dans la cour de la Croix-Rouge, firent lever les mains et jeter les armes aux nombreux Français qui y étaient réfugiés et le combat cessa. Une garde fut immédiatement installée dans le porche, des sentinelles entourèrent la propriété et l'ambulance fut désormais prison. La confusion était complète à l'intérieur où tout était bondé de la cave au grenier et dans les dépendances : trois rangs de civières dans les corridors, beaucoup de malheureux durent rester dehors couchés sur l'herbe ; le soir, le spectacle devint sinistre : chevaux blessés et bétail de tout genre circulaient sur les pelouses ; les cris des animaux se mêlant aux gémissements des blessés ; de grands feux furent allumés dans la cour où les soldats allemands brisèrent et brûlèrent pendant deux jours les armes et des marchandises pillées dans les magasins du village. Les lueurs des maisons en flammes tout, autour répandaient des visions d’enfer et l'âcre odeur du bétail grillant dans les étables prenait à la gorge.  Les officiers français cloués sur leur grabat voyaient le danger de l'incendie croître d'instant en instant et charitablement  engageaient le personnel à les abandonner pour se sauver. Toute la nuit les sentinelles allemandes circulèrent de chambre en chambre, revolver au poing et deux d'entre elles étaient en permanence  dans la cuisine où sans interruption l'on préparait des boissons pour les blessés mourant de soif. Les soldats ne cessaient de répéter : «  dans quelques jours nous serons à Paris, mais avant, à Rossignol, tout brûler et tous fusillés,  les femmes et les enfants aussi, Gomme nous l'avons fait ailleurs. » Le lendemain ce fut encore le même spectacle et les incendies des maisons brûlées intentionnellement se succédaient pour éclairer, disaient-ils, les carrefours et les routes pour le passage des armées allemandes. MM. Provis et Pierlot vinrent heureusement à empêcher qu'on mît le feu aux dépendances de l'ambulance l'emplies de blessés. La maison de M. Provis, celle du secrétaire communal et bien d'autres encore des familles des jeunes filles qui soignaient les blessés étaient en feu. Toutes continuaient à faire leur devoir, sans s'arrêter tandis que disparaissaient, maison familiale, meubles, bétail et souvenirs les plus chers. Notre plus proche voisine, M'" Alex. Goffinet allait être victime de ces incendies criminels. Clouée sur son lit par une paralysie et une congestion cérébrale causée par la terreur, elle fut apportée mourante à l'ambulance. Dans la matinée du 23 un coup de feu ayant retentit,  le lieutenant Zartig vint obliger tous les Français valides et nos brancardiers civils à se ranger dans la cour. L'ordre fut exécuté sans se douter des conséquences qu'il allait avoir, Combien nous regrettâmes  amèrement depuis d'y avoir obtempéré. Ces pauvres victimes livrées à la mort étaient MM. Georges et Joseph Pierlot, Léon Moreau et Louis Rossignon pris dans l'exercice de leurs fonctions brassards au bras. Violation flagrante des lois de la guerre protégeant la Croix-Rouge.  Quelques instants après, deux hommes garrottés conduits par un peloton arrivaient dans la cour. M. Ernest Claude et M. Aug. Mathias, fidèle serviteur du château, étaient allés traire des vaches dans le potager contigu à l'Ambulance, pour avoir du lait pour les blessés. Les accuser d'avoir tiré était aussi stupide qu'inexact. Prévenues aussitôt, nous nous efforçâmes d'expliquer le cas au lieutenant Zartig.  Il ne voulut rien entendre et avec le geste galant propre à ses pareils, l'officier allemand braquant son revolver sur Mlle Gabrielle van der Straten-Ponthoz lui dit : « Si vous ne dites pas la vérité, vous serez fusillée. Après avoir encore parlementé, il ordonna aux deux Hommes toujours garrottés, d'attendre près de la tour. Plusieurs heures après seulement, l’officier  en passant leur dit: « Je vous ai oubliés, il est trop tard », et on les délia. » Cependant les jours se suivent à l'ambulance dans les mêmes occupations. Le colonel Gallois, du 2ème Rég. d'Inf. Colon apporté le jour de la bataille, lorsque tous les lits étaient déjà occupés, ne voulut pas malgré son état  grave qu'on  prit celui d'un moins blessé ; il resta dans un fauteuil où il expira.»  A cause de la chaleur et de l'exiguïté du local, les opérations durent se faire en plein air sur la pelouse devant la porte. C'est au milieu des civières et des cris des blessés qu'on pénétrait dans l'ambulance. Le corps médical se composait de17 médecins et de 29 infirmiers et brancardiers français. Les blessés allemands furent transportés dans l'église, dont ils avaient fait un lazaret. Les Français évacués journellement firent place à d'autres amené des villages voisins. Notre vénéré curé, jeté brutalement hors de son presbytère fut lui aussi amené prisonnier à la Croix-Rouge où il se dépensa nuit et jour auprès des blessés, le consolant, les réconfortants, aidant les mourants, sans que l'on pût trouver d'autre place pour l'y reposer un instant qu'une arrière-cuisine encombrée du personnel, de malades et blessés du village. En même temps que les blessés, on avait amené à l'ambulance une femme  que  personne ne  reconnut d’abord quoique voisine, Philomène Gérard. Les blessures de la face étaient effroyables et la rendaient méconnaissable. A elle aussi, une patience admirable, les soins furent donnés par les médecins français ainsi qu'à M. Joseph Boch, potier : mâchoire enlevée par un coup de feu tiré à bout portant. Exemple entre mille à Rossignol comme  ailleurs de la mentalité cruelle de ces barbares. Nous ne parlerons pas longtemps du régime de l'ambulance : on n'y dormait guère. Trois matelas par terre dans une mansarde servaient au repos de 18 personnes. Pendant dix jours et dix nuits, la cuisinière ne quitta pas son fourneau entourée de blessés qui s'étaient faufilés sous les tables dans tous les coins de la cuisine. Les repas se prenaient dans une cave obscure sous  la surveillance indiscrète des sentinelles épiant par les soupiraux. Des planches posées sur des caisses de bouteilles de bière, vides hélas ! servaient de bancs. On se passait alternativement assiettes, verres et couverts. Le pain fit totalement défaut pendant plus d'une semaine et ce fut un régal et un dessert lorsqu'on put obtenir au prix de trois sous un pain allemand moisi, combien détestable ! La viande fut bientôt fournie en abondance par l'autorité communale grâce à l'initiative du secrétaire M. Pierlot qui fit d'office abattre du bétail. Jusqu'au 10 septembre ce fut en diminuant graduellement le même régime. Le dernier blessé évacué en auto laissa vide les bâtiments, mais aussi les cœurs. Nos amis étaient partis. Quel sort leur serait réservé en Allemagne ? Ici il ne restait que l'ennemi, le silence la douleur et l'appréhension des nouvelles de la guerre. Dès le 12 septembre, les grands drapeaux de la Croix-Rouge flottant sur les bâtiments furent enlevés par ordre des Allemands et remis à l'officier de gardé qui promit de les restituer s'il revenait des blessés.  »

 

 

 

 

 

 



[1] Ce témoignage provient du livre de L’Abbé Jos-Hubert et Jos. Neujean, « Rossignol », Presse Luxembourgeoise, 1922

 



© P.Loodts Medecins de la grande guerre. 2000-2020. Tout droit réservé. ©