Médecins de la Grande Guerre
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Wilfred Owen,
immense poète Portrait de Wilfred Owen Wilfred Owen causa à sa mère le plus
terrible des chagrins…
Wilfred Owen, né le 8 décembre 1891, était l’enfant chéri de sa maman, Susan.
Elle n’aurait certainement pas aimé entendre cette phrase et aurait répliqué « Voyez-vous j’aime mes trois
enfants (outre Wilfried, elle avait une fille
Mary et un autre garçon Harold) de la même manière mais il est vrai, qu’avec
Wilfried, je ressens une plus grande proximité, parce que ses goûts semblent
identiques à ceux que j’avais au même âge… »
Parmi ces goûts qui les rapprochaient il y avait sans aucun doute la
passion littéraire. En témoignent les 554 lettres et cartes que Wilfred écrivit
à sa maman ! C’est ce nombre impressionnant de missives permit plus tard à
ses biographes de décrire dans les moindres détails toutes les étapes de sa
courte vie. Le sous-lieutenant Wilfred Owen commença véritablement la guerre le
1er janvier 1917 lorsqu’il débarqua en France à Etaples en compagnie
d’un contingent de nouvelles recrues pour le régiment des Manchesters,
régiment qui avait subi d’énormes pertes le 1er juillet 1916, lors
de la bataille de la Somme. Ce n’était pas la première fois que le jeune homme
débarquait en France. En 1914, il avait exercé le job de professeur d’anglais
successivement à Bordeaux à la « Berlitz school »
puis dans une famille habitant les Pyrenées. En
octobre 1915, il avait rejoint son pays avec le désir de s’engager. Il suivit
alors une formation d’officier que nous ne détaillerons pas ici.
Wilfred ne connut pas la fin de la guerre car il fut tué le 04 novembre 1918.
Agé seulement de 25 ans, il laissait à ses proches outre ses lettres, toute une
série de poèmes écrits principalement pendant la guerre. La dernière lettre postée
à sa chère maman datait du 24 octobre 1918. Elle avait été écrite dans la cave
de la maison du garde forestier située dans la forêt jouxtant le petit village
d’Ors, près de Saint-Quentin. La guerre se terminait mais le sous-lieutenant
Owen devait encore une fois conduire au combat son peloton. Les Allemands
reculaient mais, dans leur retraite, s’étaient solidement retranchés sur la
rive nord du canal « Sambre-Oise ». Les Anglais s’apprêtaient donc à
prendre d’assaut le canal après avoir minutieusement préparé cette offensive
très risquée en étroite coordination avec l’artillerie mais aussi avec les
troupes du génie chargées d’établir trois ponts de fortune. Trois pontons, un
pour chaque bataillon engagé le long du canal à Ors. Au nord du village, se
trouvait, le 16 th Lancs Fusiiers, au centre le 2nd Manchesters qui était le bataillon de Wilfred, et enfin, au
sud du village d’Ors, le 1st Dorsets). Le jeune officier Owen était
optimiste ! Il fallait absolument l’être car les soldats savaient que, dans
une lutte implacable, le vainqueur serait celui qui garderait le plus haut moral.
Wilfred possédait ce moral de vainqueur. Sa dernière lettre datée du 24 octobre
1918 en fait foi. Wilfred dans la cave de la maison forestière décrit à sa mère
non les misères de la guerre mais plutôt la fantastique camaraderie née de
celle-là. Dans la cave, chacun essayait de s’occuper tout en se montant le
plus fraternel possible avec ses camarades d’infortune.
A la gauche, le commandant de compagnie
ronfle sur un banc ; d’autres officiers se reposent derrière moi sur des
lits de treillis. A ma droite, Kellet, un charmant tampon de la compagnie A
rayonne de joie et de satisfaction avec ses joues roses et ses yeux de bébé. Il
rit avec un téléphoniste, dont l’oreille gauche est collée à l’écouteur, mais
dont les yeux roulent de plaisir, démontrant que de l’oreille droite il écoute
un joyeux caporal à cette distance (trois pieds à peu près), on ne perçoit de
lui qu’un trait de dents blanches et des blagues à jet continu. Eclaboussant ma
main, un vieux soldat à moustache de morse pèle des patates et les laisse
tomber dans un seau. A côté de lui, Keyes, mon
cuisinier coupe du bois ; un autre nourrit la fumée avec du bois humide.
C’est la belle vie. Davantage que vous chère Mère, j’oublie le hideux reflet
des canons dehors et les impacts creux des obus. Wilfried termine sa lettre à sa maman en
la rassurant : « Il n’y a aucun danger ici, où s’il en existe, il
sera passé depuis longtemps lorsque tu liras ces lignes ! ». Il
ajoute comme dernière phrase : « Je suis sûr d’une chose : vous
ne pourrez jamais avoir autour de vous une bande d’amis aussi parfaits que ceux
qui m’entourent en ce moment. » La lecture de cette lettre pleine d’optimisme et d’entrain aurait dû en
effet rassurer une mère anxieuse pour son fils mais cette lettre arriva à
destination de façon totalement incongrue et provoqua chez Susan Owen un effet très
différent de celui escompté par son cher Wilfred. C’est, quelques jours après l’armistice
du 11 novembre, que la lettre parvint au domicile des Owen. Cet armistice avait
sans doute été le plus affreux dans l’existence des proches de Wilfred ! Imaginez les carillons sonner durant des heures
entières pour annoncer la nouvelle de la fin des combats ; imaginez la
liesse populaire dans les rues de la petite ville de Shrewsbury où réside la
famille Owen. Imaginez ensuite Madame Owen, en train de dire, avec le plus grand des sourires à son
mari : « Quelle bonheur immense de ne plus devoir se tracasser pour
Wilfried ! » puis, le père, Tom Owen s’en quérir d’une bouteille de
vin que Wilfred avait ramené de France lorsqu’il y était précepteur. Tom n’a
malheureusement pas fait deux pas qu’il est interrompu dans sa recherche par le
coup du heurtoir sur la porte. Il se dirige vers la porte de service où un policier
se présente et lui remet un pli. Un pli, oh combien maléfique puisqu’il annonçait
sans ménagement la mort de Wilfred le 4 novembre dans l’assaut du canal Sambre-Oise
à Ors, petit village dans le Cambresis.
A la liesse familiale se succède alors, en l’espace de seulement quelques
secondes, l’horreur absolue éprouvée par
Susan, son mari et les deux frère et sœur de Wilfred ! Difficile en tout cas d’imaginer plus grande souffrance
pour une mère ! Et comme si tout cela ne suffisait pas, quelques jours après
la funeste annonce, Susan recevait la dernière lettre si joyeuse de son fils… Une
lettre dont certains disent qu’elle deviendra au fil du temps, une lettre de consolation pour la maman. Wilfred
ne disait-il pas en effet qu’il se trouvait bien abrité dans un endroit où, de façon
exceptionnelle, il était entouré d’une bande des plus merveilleux ? N’était-ce pas, cet endroit, le refuge éternel
de son fils ?
Ce n’est en tout cas pas la notoriété du poète qui put consoler quelque
peu les parents. Les poèmes de Wilfred
ne furent considérés comme des chefs d’œuvre qu’une quarantaine d’années après la
Première guerre mondiale. C’est en 1962, que le compositeur Benjamin Britten dans
son « War Requiem » mêla à la solennité de
la messe des morts qu’il composa, les meilleurs poèmes de Wilfred. Cet
évènement assura alors la notoriété de Wilfred. Wilfred Owen fut reconnu tardivement
comme un grand poète
Wilfred est cent ans après sa mort reconnu comme un des plus grands poètes
de guerre de la Première guerre mondiale. Je n’ai pas la prétention de vous
parler longuement de ses poèmes. Sachez que le Belge Xavier Hanotte
en a traduit une excellente sélection dans un recueil[1]
publié en 2001. Le poème « Futility » y est
repris. Ce poème que j’apprécie particulièrement, parvient à lier l’absurdité
de la guerre et de la mort à la genèse de notre univers. C’est le soleil qui a
permis le développement de la vie en offrant aux plantes son énergie par la
photosynthèse. Le soleil est donc pourvoyeur
de toute vie. Et pourtant, cet astre qui darde aussi ses rayons sur le théâtre
des combats, est impuissant à réchauffer, à faire revivre les corps des soldats
tués à l’ennemi. Le soleil reste indifférent. Pour Owen, c’est un double drame
absurde : la mort d’un soldat et le peu de cas que la nature et les hommes
en font ! Wilfred Owen est un des rares poètes qui situe la guerre et ses
conséquences dans le mystère infini du cosmos. Futilité Mettez-le au soleil- Pensez, il éveille bien les semences - Wilferd Owen
(traduction X.Hanotte)
Madame Owen refusa sans doute jusqu’à ses derniers jours la possibilité
de ne plus jamais revoir son fils. Dans un poème, « The end » Wilfred
formula ces interrogations : « La vie, renouvellera-t-elle ces
corps ? En vérité, annulera-t-elle toute mort et essuiera-t-elle toutes
larmes ? Sur la pierre tombale de son fils, Susan fera inscrire les deux
vers et transformera la deuxième interrogation de son fils en
affirmation. “ Shall life renew these bodies ? Of a truth All death will he
annul.” Puisse-la mère du poète avoir
raison ! La mort du poète au milieu d’autres
héros !
On ne connaît pas les circonstances exactes de la mort de Wilfried en
essayant de franchir le canal. Personne n’a témoigné de celle-ci. Ce que l’on
sait c’est que ce combat fut extrêmement dur et que de véritables héros se
sacrifièrent et obtinrent post-mortem la Victoria Cross. La tombe de Wilfried
au fond du petit cimetière communal où se trouve le carré militaire comprend
une soixantaine de tombes. Parmi celles-ci celle du sous-lieutenant Kirk qui
pour permettre l’établissement du pont provisoire par les hommes du corps des Engineers (Genie) décida de faire taire la mitrailleuse d’en face. Il
franchit seul le canal sur un radeau au milieu d’une nuée de balles puis
installa sa Lewis. Il résista le temps de vider quelques chargeurs que l’on lui
lançait depuis la rive mais, rapidement, fut atteint d’une balle mortelle.
Un autre héros fut le colonel John Marshall qui s’élança avec
quelques-uns de ses hommes sur un ponton à peinte terminé. Son héroïsme aurait
pu galvaniser le reste des troupes mais le ponton fut totalement mis hors
d’usage après cette avant-garde courageuse. Marschall
avait une personnalité remarquable. Il
avait déjà été blessé dix fois au combat ! La onzième lui fut
fatale ! Owen disait de lui qu’on le craignait en même temps qu’on
l’admirait. Finalement, les soldats du 1st Dorsets réussirent à franchir le
canal plus au sud par le troisième ponton.
La maison forestière où Owen avait écrit sa dernière lettre a été sauvée
et transformée récemment grâce à des mécènes. On peut s’y rendre et pénétrer
dans la cave. Le corps de maison a été transformé en un espace lumineux où défilent
sur les murs en permanence les poèmes d’Owen. Il est cependant dommage que sa
vie n’est pas contée par un montage audio-visuel. Pour un public non averti, la
poésie d’Owen pourrait être plus accessible si elle apparaissait dans le cadre
de son parcours dramatique. On peut aussi regretter que la vue extérieure de ce
bâtiment évoque plus l’audace architecturale contemporaine que le refuge d’un
groupe de soldats tentant par tous les moyens de survivre à l’absurde. Wilfred atteint par le shell-shock
Wilfred sur ses deux ans de guerre passa plus de six mois en traitement
et congé de convalescence pour avoir souffert d’un violent stress
post-traumatique. Son poème « Le show » reflète parfaitement le genre
de cauchemar qui pouvait hanter pendant des mois le sommeil d’un combattant
traumatisé. En voici une traduction : Le Spectacle Mon âme s’élève et aperçoit
la mort Partout, dans un paysage hirsute, l’horreur des
affreux barbelés Des chenilles qui par
leurs cheminements ont creusé des pistes Et de ces immondes
orifices s’exhalaient l’odeur fétide Je vis leurs dos
courbés et touchés se redresser Et la mort surgit devant moi en râlant et Sous
la forme d’un ver monstrueux Wilfred Owen (Traduction : P. Loodts) En conclusion N’hésitez pas à visiter Ors et à vous
souvenir de Wilfred Owen. Après avoir visité la Maison Forestière (tel +33(0)3 27 84 54 83),
une balade de 6,5 km commentée par audio-guide vous fera revivre le parcours
dramatique de Wilfred jusqu’au canal et jusqu’à sa dernière demeure. A Ors, petit village paisible, la guerre
semble si lointaine mais un poète de 25 ans qui en souffrit beaucoup,
continuera encore longtemps à rappeler son absurdité. Dr Loodts P. Sources : 1) Wilfred Owen, revue nord, revue de critique et de créations littéraires du nord/Pas-de-Calais, N° 52, octobre 2008, 7, résidence Dampierre, Parc Saint-Maur-59800 Lille 2)
Wilfred
Owen, On the trail of the poets of the Great War, Helen McPhail
and Philip guest, Series Editor Nigel Cave, Pen and Sword Books,1998
[1]
Et chaque lent crépuscule, Wilfred Owen,
Poèmes et lettres de guerre choisis et traduits par Xavier Hanotte, édition Escales du nord, LE CASTOR ASTRAL. |