Médecins de la Grande Guerre

Wilfred Owen, immense poète

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Wilfred Owen, immense poète

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Portrait de Wilfred Owen

La maison forestière telle qu'elle était en 1919

La maison forestière telle qu'elle était avant sa restauration par l'architecte anglais Simon Patterson

La maison forestière rénovée fut inaugurée en 2011

A L'intérieur de la maison forestière, les poèmes de wilfred Owen sont déclamés tout en défilant sur les murs

La cave de la maison forestière où Wilfred Owen écrivit sa dernière lettre

L'auteur de cet article dans la cave de la maison forestière où Wilfred Owen écrivit sa dernière lettre

Le carré militaire dans lequel repose Wilfred Owen est une extension du cimetière communal d'Ors. 

 Ce carré se compose de soixante tombes. La dernière rangée, contient la tombe du poète (3ème tombe à partir de la gauche) mais aussi celle du sous-lieutenant Kirk, VC (dernière tombe à droite),et du  fameux colonel Marshal, V.C.

 Ce carré se compose de soixante tombes. La dernière rangée, contient la tombe du poète (3ème tombe à partir de la gauche) mais aussi celle du sous-lieutenant Kirk, VC (dernière tombe à droite),et du  fameux colonel Marshal, V.C.

 Ce carré se compose de soixante tombes. La dernière rangée, contient la tombe du poète (3ème tombe à partir de la gauche) mais aussi celle du sous-lieutenant Kirk, VC (dernière tombe à droite),et du  fameux colonel Marshal, V.C.

A l'extrémité de la dernière rangée se trouve la tombe du sous-lieutenant Kirk, décoré de la  Victoria Cross

A l'extrémité de la dernière rangée se trouve la tombe du sous-lieutenant Kirk, décoré de la  Victoria Cross

Vue des deux dernières rangées des tombes

Vue générale du carré militaire du cimetière communal d'Ors

Wilfred Owen, immense poète



Portrait de Wilfred Owen

Wilfred Owen causa à sa mère le plus terrible des chagrins…

       Wilfred Owen, né le 8 décembre 1891, était l’enfant chéri de sa maman, Susan. Elle n’aurait certainement pas aimé entendre cette phrase et aurait répliqué « Voyez-vous j’aime mes trois enfants (outre Wilfried, elle avait une fille Mary et un autre garçon Harold) de la même manière mais il est vrai, qu’avec Wilfried, je ressens une plus grande proximité, parce que ses goûts semblent identiques à ceux que j’avais au même âge… »

       Parmi ces goûts qui les rapprochaient il y avait sans aucun doute la passion littéraire. En témoignent les 554 lettres et cartes que Wilfred écrivit à sa maman ! C’est ce nombre impressionnant de missives permit plus tard à ses biographes de décrire dans les moindres détails toutes les étapes de sa courte vie. Le sous-lieutenant Wilfred Owen commença véritablement la guerre le 1er janvier 1917 lorsqu’il débarqua en France à Etaples en compagnie d’un contingent de nouvelles recrues pour le régiment des Manchesters, régiment qui avait subi d’énormes pertes le 1er juillet 1916, lors de la bataille de la Somme. Ce n’était pas la première fois que le jeune homme débarquait en France. En 1914, il avait exercé le job de professeur d’anglais successivement à Bordeaux à la « Berlitz school » puis dans une famille habitant les Pyrenées. En octobre 1915, il avait rejoint son pays avec le désir de s’engager. Il suivit alors une formation d’officier que nous ne détaillerons pas ici.

       Wilfred ne connut pas la fin de la guerre car il fut tué le 04 novembre 1918. Agé seulement de 25 ans, il laissait à ses proches outre ses lettres, toute une série de poèmes écrits principalement pendant la guerre. La dernière lettre postée à sa chère maman datait du 24 octobre 1918. Elle avait été écrite dans la cave de la maison du garde forestier située dans la forêt jouxtant le petit village d’Ors, près de Saint-Quentin. La guerre se terminait mais le sous-lieutenant Owen devait encore une fois conduire au combat son peloton. Les Allemands reculaient mais, dans leur retraite, s’étaient solidement retranchés sur la rive nord du canal « Sambre-Oise ». Les Anglais s’apprêtaient donc à prendre d’assaut le canal après avoir minutieusement préparé cette offensive très risquée en étroite coordination avec l’artillerie mais aussi avec les troupes du génie chargées d’établir trois ponts de fortune. Trois pontons, un pour chaque bataillon engagé le long du canal à Ors. Au nord du village, se trouvait, le 16 th Lancs Fusiiers, au centre le 2nd Manchesters qui était le bataillon de Wilfred, et enfin, au sud du village d’Ors, le 1st Dorsets). Le jeune officier Owen était optimiste ! Il fallait absolument l’être car les soldats savaient que, dans une lutte implacable, le vainqueur serait celui qui garderait le plus haut moral. Wilfred possédait ce moral de vainqueur. Sa dernière lettre datée du 24 octobre 1918 en fait foi. Wilfred dans la cave de la maison forestière décrit à sa mère non les misères de la guerre mais plutôt la fantastique camaraderie née de celle-là. Dans la cave, chacun essayait de s’occuper tout en se montant le plus fraternel possible avec ses camarades d’infortune.

       A la gauche, le commandant de compagnie ronfle sur un banc ; d’autres officiers se reposent derrière moi sur des lits de treillis. A ma droite, Kellet, un charmant tampon de la compagnie A rayonne de joie et de satisfaction avec ses joues roses et ses yeux de bébé. Il rit avec un téléphoniste, dont l’oreille gauche est collée à l’écouteur, mais dont les yeux roulent de plaisir, démontrant que de l’oreille droite il écoute un joyeux caporal à cette distance (trois pieds à peu près), on ne perçoit de lui qu’un trait de dents blanches et des blagues à jet continu. Eclaboussant ma main, un vieux soldat à moustache de morse pèle des patates et les laisse tomber dans un seau. A côté de lui, Keyes, mon cuisinier coupe du bois ; un autre nourrit la fumée avec du bois humide. C’est la belle vie. Davantage que vous chère Mère, j’oublie le hideux reflet des canons dehors et les impacts creux des obus.

       Wilfried termine sa lettre à sa maman en la rassurant : « Il n’y a aucun danger ici, où s’il en existe, il sera passé depuis longtemps lorsque tu liras ces lignes ! ». Il ajoute comme dernière phrase : « Je suis sûr d’une chose : vous ne pourrez jamais avoir autour de vous une bande d’amis aussi parfaits que ceux qui m’entourent en ce moment. » La lecture de cette lettre pleine d’optimisme et d’entrain aurait dû en effet rassurer une mère anxieuse pour son fils mais cette lettre arriva à destination de façon totalement incongrue et provoqua chez Susan Owen un effet très différent de celui escompté par son cher Wilfred. C’est, quelques jours après l’armistice du 11 novembre, que la lettre parvint au domicile des Owen. Cet armistice avait sans doute été le plus affreux dans l’existence des proches de Wilfred ! Imaginez les carillons sonner durant des heures entières pour annoncer la nouvelle de la fin des combats ; imaginez la liesse populaire dans les rues de la petite ville de Shrewsbury où réside la famille Owen. Imaginez ensuite Madame Owen, en train de dire, avec le plus grand des sourires à son mari : « Quelle bonheur immense de ne plus devoir se tracasser pour Wilfried ! » puis, le père, Tom Owen s’en quérir d’une bouteille de vin que Wilfred avait ramené de France lorsqu’il y était précepteur. Tom n’a malheureusement pas fait deux pas qu’il est interrompu dans sa recherche par le coup du heurtoir sur la porte. Il se dirige vers la porte de service où un policier se présente et lui remet un pli. Un pli, oh combien maléfique puisqu’il annonçait sans ménagement la mort de Wilfred le 4 novembre dans l’assaut du canal Sambre-Oise à Ors, petit village dans le Cambresis.

       A la liesse familiale se succède alors, en l’espace de seulement quelques secondes, l’horreur absolue éprouvée par Susan, son mari et les deux frère et sœur de Wilfred ! Difficile en tout cas d’imaginer plus grande souffrance pour une mère ! Et comme si tout cela ne suffisait pas, quelques jours après la funeste annonce, Susan recevait la dernière lettre si joyeuse de son fils… Une lettre dont certains disent qu’elle deviendra au fil du temps, une lettre de consolation pour la maman. Wilfred ne disait-il pas en effet qu’il se trouvait bien abrité dans un endroit où, de façon exceptionnelle, il était entouré d’une bande des plus merveilleux ? N’était-ce pas, cet endroit, le refuge éternel de son fils ?

       Ce n’est en tout cas pas la notoriété du poète qui put consoler quelque peu les parents. Les poèmes de Wilfred ne furent considérés comme des chefs d’œuvre qu’une quarantaine d’années après la Première guerre mondiale. C’est en 1962, que le compositeur Benjamin Britten dans son « War Requiem » mêla à la solennité de la messe des morts qu’il composa, les meilleurs poèmes de Wilfred. Cet évènement assura alors la notoriété de Wilfred.

Wilfred Owen fut reconnu tardivement comme un grand poète

       Wilfred est cent ans après sa mort reconnu comme un des plus grands poètes de guerre de la Première guerre mondiale. Je n’ai pas la prétention de vous parler longuement de ses poèmes. Sachez que le Belge Xavier Hanotte en a traduit une excellente sélection dans un recueil[1] publié en 2001. Le poème « Futility » y est repris. Ce poème que j’apprécie particulièrement, parvient à lier l’absurdité de la guerre et de la mort à la genèse de notre univers. C’est le soleil qui a permis le développement de la vie en offrant aux plantes son énergie par la photosynthèse. Le soleil est donc pourvoyeur de toute vie. Et pourtant, cet astre qui darde aussi ses rayons sur le théâtre des combats, est impuissant à réchauffer, à faire revivre les corps des soldats tués à l’ennemi. Le soleil reste indifférent. Pour Owen, c’est un double drame absurde : la mort d’un soldat et le peu de cas que la nature et les hommes en font ! Wilfred Owen est un des rares poètes qui situe la guerre et ses conséquences dans le mystère infini du cosmos.

Futilité

Mettez-le au soleil-
Autrefois sa caresse l’éveillait,
Lui parlait au pays des champs à moitié semés,
Toujours il l’éveillait, même en France,
Jusqu’à cette neige et jusqu’à ce matin.
A présent qui pourrait encore le faire lever ?
Seul ce bon vieux soleil connait la réponse.

Pensez, il éveille bien les semences -
Eveilla même un jour l’argile d’une froide étoile.
Ces membres si chèrement formés, ces flancs
Nerveux, chauds encore, seraient-ils si durs à émouvoir ?
Fut-ce pour en arriver là que la glaise s’éleva ?
– Oh, pourquoi donc ces rayons imbéciles
Sortirent-ils la terre de son sommeil ?

Wilferd Owen (traduction X.Hanotte)

       Madame Owen refusa sans doute jusqu’à ses derniers jours la possibilité de ne plus jamais revoir son fils. Dans un poème, « The end » Wilfred formula ces interrogations : « La vie, renouvellera-t-elle ces corps ? En vérité, annulera-t-elle toute mort et essuiera-t-elle toutes larmes ? Sur la pierre tombale de son fils, Susan fera inscrire les deux vers et transformera la deuxième interrogation de son fils en affirmation.

“ Shall life renew these bodies ? Of a truth All death will he annul.”

Puisse-la mère du poète avoir raison !

La mort du poète au milieu d’autres héros !

       On ne connaît pas les circonstances exactes de la mort de Wilfried en essayant de franchir le canal. Personne n’a témoigné de celle-ci. Ce que l’on sait c’est que ce combat fut extrêmement dur et que de véritables héros se sacrifièrent et obtinrent post-mortem la Victoria Cross. La tombe de Wilfried au fond du petit cimetière communal où se trouve le carré militaire comprend une soixantaine de tombes. Parmi celles-ci celle du sous-lieutenant Kirk qui pour permettre l’établissement du pont provisoire par les hommes du corps des Engineers  (Genie) décida de faire taire la mitrailleuse d’en face. Il franchit seul le canal sur un radeau au milieu d’une nuée de balles puis installa sa Lewis. Il résista le temps de vider quelques chargeurs que l’on lui lançait depuis la rive mais, rapidement, fut atteint d’une balle mortelle.

       Un autre héros fut le colonel John Marshall qui s’élança avec quelques-uns de ses hommes sur un ponton à peinte terminé. Son héroïsme aurait pu galvaniser le reste des troupes mais le ponton fut totalement mis hors d’usage après cette avant-garde courageuse. Marschall  avait une personnalité remarquable. Il avait déjà été blessé dix fois au combat ! La onzième lui fut fatale ! Owen disait de lui qu’on le craignait en même temps qu’on l’admirait. Finalement, les soldats du 1st Dorsets réussirent à franchir le canal plus au sud par le troisième ponton.

       La maison forestière où Owen avait écrit sa dernière lettre a été sauvée et transformée récemment grâce à des mécènes. On peut s’y rendre et pénétrer dans la cave. Le corps de maison a été transformé en un espace lumineux où défilent sur les murs en permanence les poèmes d’Owen. Il est cependant dommage que sa vie n’est pas contée par un montage audio-visuel. Pour un public non averti, la poésie d’Owen pourrait être plus accessible si elle apparaissait dans le cadre de son parcours dramatique. On peut aussi regretter que la vue extérieure de ce bâtiment évoque plus l’audace architecturale contemporaine que le refuge d’un groupe de soldats tentant par tous les moyens de survivre à l’absurde.

Wilfred atteint par le shell-shock

       Wilfred sur ses deux ans de guerre passa plus de six mois en traitement et congé de convalescence pour avoir souffert d’un violent stress post-traumatique. Son poème « Le show » reflète parfaitement le genre de cauchemar qui pouvait hanter pendant des mois le sommeil d’un combattant traumatisé. En voici une traduction :

Le Spectacle

Mon âme s’élève et aperçoit la mort
Je ne sais plus par quel miracle, j’ai su grandir
Pour devenir un homme et quelles en sont les raisons
Et je vis un triste pays vidée de ses ressources
Et parsemé de cicatrices et de croûtes

Partout, dans un paysage hirsute, l’horreur des affreux barbelés
Et là on voyait bouger d’interminables chenilles
Venant comme des bouchons remplir les fossés
Tout en se tordant dans les convulsions de la mort

Des chenilles qui par leurs cheminements ont creusé des pistes
Et formé des excroissances pareilles aux collines d’un paysage
Et qui au fond de la brume se glissent dans des trous
Pour disparaître entièrement de la vue du soleil

Et de ces immondes orifices s’exhalaient l’odeur fétide
Des haleines et des larges et affreuses blessures
Les files hésitantes finissent par se rassembler progressivement
Les files brunes rejoignant les files grises pour former
Des masses hétérogènes qui s’hérissent.
Toutes ces créatures quittent les pâturages pour la boue qu’ils désiraient 

Je vis leurs dos courbés et touchés se redresser
J’ai regardé les agonies de ces corps se déformant et s’écrasant
Et ceux qui étaient gris en rangs compacts rampaient sur les autres
Puis les dévoraient avant de connaître à leur tour le même sort
Et, c’est avec cette image dans la terreur que ce spectacle m’inspira
Que soudain je suis tombé sur la terre en tourbillonnant comme une plume

             Et la mort surgit devant moi en râlant et Sous la forme d’un ver monstrueux
Qui, avant de s’enfouir sous terre pour cacher ses blessures
Me montra ses innombrables pieds, les pieds de beaucoup d’hommes
Et sa tête qui n’était autre que la mienne qu’il venait de couper !  

Wilfred Owen (Traduction :  P. Loodts)

En conclusion

N’hésitez pas à visiter Ors et à vous souvenir de Wilfred Owen. Après avoir visité la Maison Forestière (tel  +33(0)3 27 84 54 83), une balade de 6,5 km commentée par audio-guide vous fera revivre le parcours dramatique de Wilfred jusqu’au canal et jusqu’à sa dernière demeure. A Ors, petit village paisible, la guerre semble si lointaine mais un poète de 25 ans qui en souffrit beaucoup, continuera encore longtemps à rappeler son absurdité. 

Dr Loodts P.
Juillet 2019      

 

 

 

Sources :

1)     Wilfred Owen, revue nord, revue  de critique et de créations littéraires du nord/Pas-de-Calais, N° 52, octobre 2008, 7, résidence Dampierre, Parc  Saint-Maur-59800 Lille

2)     Wilfred Owen, On the trail of the poets of the Great War, Helen McPhail and Philip guest, Series Editor Nigel Cave, Pen and Sword Books,1998

 

 

 

 



[1] Et chaque lent crépuscule, Wilfred Owen,  Poèmes et lettres de guerre choisis et traduits par Xavier Hanotte, édition Escales du nord, LE CASTOR ASTRAL.



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