Médecins de la Grande Guerre
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Source: "Je suis un interné", Omer Habaru, Editions Fasbender, Arlon, 1936 Introduction Le témoignage d' Omer Habaru est particulièrement précieux parce qu'il nous livre un véritable reportage particulièrement complet et critique sur le sort des soldats belges internés en Hollande lors de la chute d'Anvers. De plus, l’auteur par son esprit critique et sa franchise détaille à la postérité l'état de mal-être qu’endurèrent sans doute bon nombre de prisonniers de guerre ou d'internés durant de nombreuses années après leur retour au foyer. Les souffrances infligées aux soldats ne sont pas uniquement celles infligées par l'ennemi! Remarque: Omer Habaru se décrit dans son livre autobiographique comme étant le sous-lieutenant René Monty. J'ai préféré pour la compréhension du lecteur redonner au sous-lieutenant sa véritable identité et remplacer dans le texte de l'auteur le prénom René par celui d’Omer. L'internement Le 8 octobre le directeur d'un institut anversois réquisitionné pour recevoir des blessés militaires téléphona à l'hôpital militaire pour savoir si on pouvait espérer que des voitures d'ambulance viendraient prendre les blessés pour les évacuer. On lui répondit "je ne sais pas". L'infirmière anglaise miss Bickle et le docteur Thieren assumaient les soins des officiers. Miss Bickle rentra dans la chambre et informa les officiers que l'armée évacuait Anvers et que devant l'absence des ambulances, le docteur Thieren autorisait aux blessés qui pouvaient marcher de tenter de quitter Anvers par leurs propres moyens...Le Sous-lieutenant Omer Habaru du 8ème de ligne et quatre de ses camarades n'hésitèrent pas un instant. Ils revêtirent leurs uniformes et ayant quitté l'institut se dirigèrent vers le pont du Steen. Celui-ci était hélas tellement encombré que les blessés décidèrent de traverser l'Escaut plus au nord à hauteur de Calloo ou de Lillo. Il fallut aux hommes deux heures pour atteindre la porte de Bréda. Plus on approchait de la sortie de la ville et plus la foule se faisait dense.On conseilla alors aux blessés de rejoindre le village de Oorderen d'où un tram était en partance pour Lillo, localité dans laquelle un bac pouvait les faire traverser l'escaut. A Oorderen, des milliers de civils se pressaient pour trouver une place dans le tram qui disait-on allait entreprendre son dernier voyage! Les officiers blessés parvinrent finalement à se faire aider par les employés du tram qui leur attribuèrent une place dans un wagon réservé aux blessés. A Lillo, on les fit passer sur un remorqueur qui faisait la navette vers Doel. Arrivés dans cette localité, les blessés furent installés dans le pensionnat de jeunes filles qui avait été transformé en ambulance. Le repos des blessés ne dura que quelques heures car à cinq heures du matin, on évacua tous les blessés dans un remorqueur qui les conduisit à Terneuzen. Là, les blessés, selon les dires du médecin qui dirigeait l'évacuation, allaient pouvoir être transférés dans un navire belge en partance pour Zeebrugge. Ce plan échoua car la canonnière hollandaise "Brinio" arrêta le remorqueur alors qu'il se trouvait dans les eaux territoriales néerlandaises. Un officier hollandais monta a bord et donna l'ordre au pilote de diriger son bateau sur Bath! A l'entrée du port les autorités firent continuer le bateau vers Hanswert... A Hanswert on fit descendre les blessés qui furent accueillis par la Croix-Rouge avant d'être transférés dans la salle d'attente de la petite gare de Vlake...Les blessés attendirent là six heures pour finalement s'entendre dire qu'ils étaient envoyés à l'hôpital militaire de Middlebourg. C'est dans cet hôpital que les blessés apprirent la reddition d'Anvers. Après quelques jours d'hospitalisation, on leur signifia que leur demande de rejoindre Zeebrugge était refusée et qu'ils seraient internés au camp d'Hardewyk pendant la durée des hostilités. Cette décision les stupéfia... Le camp d'Hardewiyk Le colonel hollandais à leur arrivée leur tint ce discours "Vous êtes internés et je dois vous parler de ce que sera désormais votre vie. Il y a ici plusieurs milliers d'internés dont de nombreux officiers, qui ont été séparés de leurs troupes. Les officiers peuvent se mouvoir librement dans un espace que l'on vous indiquera bientôt. Les limites de cette zone sont gardées militairement. Le payeur va vous faire une avance sur votre traitement. Le montant de ce traitement n’est pas encore fixé. Vous vous logerez là où vous voudrez et vous prendrez vos repas où bon vous semble...toujours dans les limites permises. Tous les jours à 11 heures, vous vous présenterez dans un local, place de l'église où je vais moi-même procéder à la formalité de l'appel. A partir de ce moment, votre chef c'est moi...On vous communiquera où se trouve mon bureau et vous aurez recours à moi pour tout ce qui a trait aux choses militaires. Vous avez la faculté de donner votre parole d'honneur. Les officiers qui ne la donnent pas sont envoyés en forteresse et même, on songe à les isoler à l'île d'Urk, au milieu du Zuyderzee..." Ecoutons Omer Habaru qui nous décrit l'afflux des internés belges à Hardewijk Dans le village la rue principale était bourrée de militaires belges. Quel troupeau! Une caserne était à front de rue. On y avait entassé les internés dont les premiers étaient arrivés le 10 octobre. La réception des premiers avait été parfaite mais les trains succédèrent aux trains et très vite il y eut surpopulation. La "nouvelle caserne une fois bourrée, on utilisa le "temple" puis la vieille caserne au centre de la ville. Là aussi il y avait trop de pensionnaires. La cage était trop petite et c'est pourquoi on ouvrait les barreaux plusieurs fois par jour pour que les captifs puissent se dégourdir les membres et trouver leur pitance. On leur accordait une centaine de mètres de rue dans lesquels les riverains depuis un mois faisaient des distributions de tartines, thé, café... Les officiers étaient privilégiés et purent se loger chez l'habitant. Il y avait évidemment un inconvénient de taille: les officiers belges ne pouvaient approcher leurs anciens soldats. Cette situation était voulue par les autorités hollandaises...De ne pas apercevoir leurs officiers, les internés en concluaient que leurs chefs les avaient égoïstement abandonnés à leur triste sort. Le ressentiment naquit et ne se développa pas facilement dans ce climat de misère et de neurasthénie et il prit très vite des proportions graves. Chose logique, ce sentiment se communiqua aux troupes hollandaises de garde, puis à la population civile. Et peu à peu se dressa autour des officiers internés, un filet tissé d'un certain mépris irraisonné. Omer Habaru trouva finalement à se loger chez le photographe. Il y apprit jour après jour à mieux connaître la vie dans les familles hollandaises. Evidemment l'espérance de pouvoir être libéré restait très présente car Omer était dans un convoi de blessé lorsqu'il pénétra en Hollande et la convention de Genève précisait en son article 14 qu'une puissance neutre pouvait autoriser le passage sur son territoire de blessés ou malades appartenant aux armées belligérantes, sous réserve que les trains qui les amèneront ne transporteront ni personnel, ni matériel de guerre. Pour l'officier, ce texte était clair, la hollande pouvait avoir tous ses apaisements et libérer les blessés sans trop craindre la mauvaise humeur de l'Allemagne. Omer Habaru écrivit donc de nombreuses lettres aux autorités hollandaises pour demander l'application de l'article 14 à son égard. Malheureusement ce fut sans succès. Omer doucement dût se faire à l'idée qu'il ne pourrait de si tôt rejoindre l'armée belge. Les premières heures, les premières journées à Herdewijk lui paressèrent interminables. Sa seule distraction fut l'observation minutieuse de l'installation des soldats belges internés: Une très grande étendue de bruyère à 2 km d'Hardewyk fut entourée d'un double réseau de fils barbelés. On construisit un corps de garde puis on répartit les soldats belges par groupe de sept. On distribua ensuite bâches, cordes et piquets et c'est ainsi que par une froide journée des milliers de campeurs dressèrent au mieux qu’ils pouvaient leurs maisons de toile. Le travail n'était pas terminé le soir. Qu'importe! il se continua dans l'obscurité la plus complète, car il était formellement interdit d'allumer la moindre lumière. On devine ce que pût être la corvée de paille, par exemple, vers les huit heures du soir, alors que les campeurs ne connaissaient pas encore la topographie des lieux. Les tentes avaient été plantées à peu près au hasard; elles se ressemblaient toutes et n'étaient pas numérotées. Allez donc vous y retrouver, la première nuit, alors qu'on ne voyait pas à deux mètres de soi! Quand on était perdu, on adoptait la solution la plus simple: on se glissait sous la première tente venue. Quand elle était trop peuplée, ou lorsqu'on y était trop mal accueilli, on recommençait au palace d'en face. Jusqu'au moment où on trouvait à se caser... L'ère des tentes dura plusieurs mois et les internés subirent dans cette situation déplorable des températures hivernales très rigoureuses, des gels intenses, de fortes chutes de neige et des semaines de pluies glacées. Et toujours sans feu ni lumière. Une nouvelle ère: les baraques de bois, mais toujours sans aucun chauffage Au camp de Zeist et de Groningen, on avait construit dès le début des baraques en bois dès le début de l'arrivée des internés mais à Hardewijk, on ne commença à construire des baraquements en bois que lorsque l'hiver fut à peu près terminé. Ce fut comme bien on pense un travail formidable: construire de toutes pièces les logements pour 10.000 hommes. A cette occasion et pour la première fois on fit appel à la main-d'oeuvre internée.(...) Les baraques n'étaient évidemment pas des palaces et ne furent jamais chauffées même par les froids les plus rigoureux. On donnait à cette mesure des explications médicales et de sécurité. Pas de feu...on supprimait donc les risques d'incendies; pas de feu...on évitait le chaud et le froid, grand dispensateur de maux de gorge et d'angines...; pas de feu...c'était empêcher les internés de s'agglomérer autour des poêles et c'était les obliger à sortir et à se donner du mouvement... Deux officiers dégradés pour s'être enfuis de Hollande Deux officiers internés non blessés, ayant, comme tous leurs camarades, donnés leur parole de ne pas s'enfuir, en attendant les ordres de leur gouvernement résolurent malgré cela de rejoindre le front. Ils s'étaient dit: " Nous violons notre parole, mais il faut considérer le but qui nous fait agir. Nous plaçons notre devoir de soldat au-dessus de notre devoir d'homme. Nous partons au mépris de notre engagement mais c'est pour aller offrir nos bras et notre poitrine à la patrie. Nous somme persuadés que, là-bas, personne ne nous reprochera notre geste" Ils partirent, arrivèrent au Havre et furent dégradés. Le général Dossin Le général Dossin avait été envoyé en Hollande pour s'occuper spécialement des internés. Son arrivée fut assez réfrigérante...: esprit de front! Il ne fut pas tendre avec les internés, ni dans ses propos ni dans ses actes! Il résolut de visiter ses administrés et c'est ainsi qu'il entreprit le tour des camps. Pénétrant la vie des internés, il vit ses idées préconçues tomber une à une... L'arrivée des femmes Parmi le million de réfugiés belges qui arrivèrent en Hollande du 8 au 16 octobre se trouvaient des femmes et des enfants dont le mari, le père faisaient partie de la garnison d'Anvers .Car les troupes de forteresse étaient surtout composées des plus vieilles classes de milice: des hommes âgées de 28 à 35 ans étaient donc mariés pour la plupart. Et les femmes réfugiées apprenant l'entrée en Hollande des troupes de forteresse aspirèrent toutes à avoir des nouvelles de l'époux. Etait-il encore en vie? Etait-il lui aussi en Hollande? Dès lors on assista à une véritable chasse aux maris. Des épouses, traînant avec elles leurs enfants, entreprirent le voyage à tous les camps d'internement. Elles arrivaient inquiètes, au corps de garde hollandais, fournissaient les renseignements au sujet de celui qu'elles recherchaient, puis attendaient le résultat. Si l'homme était inconnu à ce camp, elles repartaient tristes, et plus minables encore, continuer plus loin leurs recherches. Et quand le mari était retrouvé, quelles scènes émouvantes de bonheur! Mais on ne pouvait pas admettre de ménages au camp. Les femmes cherchèrent donc à s'installer à proximité, soit en se faisant adopter par des familles particulièrement généreuses, soit en louant un logement. Pour pouvoir payer la location qui monta très vite à des taux élevés, les femmes travaillèrent. (...) Quand les autorités hollandaises décidèrent de donner un peu plus de liberté aux hommes et de leur permettre de quitter le camp une ou deux fois par semaine, les mariés allèrent évidemment passer ces heures de liberté en famille. Situation bizarre et d'esprit peu guerrier! (...) Par humanité, le gouvernement hollandais se décida finalement à autoriser les mariés ayant leur famille à proximité du camp à aller passer la journée avec celle-ci mais sous l'obligation de revenir la nuit dans les baraques. Et l'on comprend très bien qu'un "jass" du front songeant tristement au fond d'une tranchée boueuse à sa famille dont il était sans nouvelles, on conçoit très bien qu'il ait serré les dents et les poings en apprenant que pendant ce temps-là des internés mariés fumaient bourgeoisement leur pipe en faisant sauter le dernier né sur leurs genoux... Mais on n'avait pas prévu ceci: c'est que, en apprenant que des ménages d'internés étaient reformés, des épouses restées en Belgique décidèrent de passer la frontière et d'aller retrouver le mari. Il leur semblait que la vie devait être plus agréable en Hollande que sous la botte germaine. Et puis ...on serait deux! En mai 1916, on comptait que 760 ménages s'étaient reformés. En 1918, ce nombre approchait de 5.000! Toutes les femmes nouvellement venues,voulant également habiter à proximité du camp .Comme il y avait déjà surpopulation dans ces localités, le Ministre de l'Intérieur hollandais décida qu'il serait construit des habitations spéciales pour les ménages les plus nécessiteux. D'autre part certaines oeuvres philanthropiques, telles "Le soutien belge", le "Friends of Belgian Soldier", les "Quakers", les Fonds Danois et Suédois", entreprirent les constructions d'habitations...et c'est ainsi que naquirent les villages Alertsdorp, Heidecampp, Oud-Mirdum, Oldebroeck, Elisabethdorp, Léopoldsdorp, et Gaasterland. Hardewyk vit s'élever pour sa part les villages "Heidecamp" et "Léopoldsdorp". A "Heidekamp" 96 ménages logeaient dans 5 baraques de 20 chambres chacune. Toutes les installations étaient éclairées électriquement jusqu'à 22h30. L'ensemble des bâtiments formait un grand carré, emprisonnant une cour. Derrière les baraques en pleine bruyère, un emplacement était réservé pour le "jardin d'enfants". A l'entrée du camp s'allongeait l'école pour 140 gosses répartis en trois classes. Un réfectoire était attenant à l'école. A midi, grâce au Comité Belge de Secours d'Hardewiyk, les élèves recevaient de la soupe ou de la bouillie, ainsi que des tartines. Quelques femmes de "Heidekamp" s'étaient improvisées laveuses. Elles lessivaient, réparaient, repassaient le linge des internés qui pouvaient se permettre ce luxe. Au milieu de la cour, l'autorité hollandaise avait eu la prévenance de faire installer une buanderie et un séchoir qui étaient à la disposition des habitants du camp (...). Un peu à l'écart de côtoyaient, l'infirmerie, l'école de couture et la salle de bains.80 femmes fréquentaient l'école de couture. (...) Des cours étaient donnés aux femmes illettrées. Un poste de pompiers était continuellement sur pied.(...) Le camp de Ede La sollicitude hollandaise envers les ménages de civils n'avait pas été moindre. On en jugera par ces quelques détails relatifs au camp de "Ede" extraits d'un article paru le 1 novembre 1916 (en flamand) dans "Inter-Nos-Revues": "Le camp d'Ede est situé le long de la merveilleuse chaussée d'Arnhem, comme une blanche cité de légende au milieu des bruyères fleuries. Les drapeaux hollandais et Belge flottaient pesamment dans le petit vent lourd du sud; un arc de triomphe était dressé, tout respirait un air de fête. En effet une exposition était ouverte au camp des réfugiés. Les autorités avaient pensé qu'il pourrait être intéressant de montrer quelques forces et quels talents -sur le terrain des arts ménagers et, plus simplement des arts- étaient concentrés dans le camp. Par la même occasion, on indiquerait de quelle manière certains organismes s'étaient constitués. (...) Le long de l'allée Wilhelmine se rangent les bâtiments d'utilité générale: le bureau du commissaire du gouvernement et du commandant du camp; le corps de garde des scouts et de la police; le magasin-dépôt; le bureau de poste avec l'habitation de l'employé; le bureau de l'état-civil; l'installation pour le service de désinfection, enfin les installations de bains, du lavoir, du chauffage et de l'électricité. D'un autre côté se trouve un local où le lait est tenu au frais, un magasin de conserves, un magasin central, des cliniques pour le service sanitaire, une cuisine pour la préparation des aliments pour les nourrissons, ainsi que des écoles gardiennes. De très loin l'attention est attirée par le robuste bâtiment qu'est l'église entourée de six écoles.(...) Un don de "la Society of Friends" fut le départ d’une bibliothèque qui se développant bientôt, fut transportée à la salle "Breughel". Cette salle, employée comme salle de lecture et d'étude est toujours très fréquentée. (...) Pour les enfants de moins de 16 ans, on a aménagé une bibliothèque spéciale dans la salle de jeu "Namur". (...) Ou il y a des belges, il y a de la musique .Une société de musique ainsi qu'une chorale existe au camp. Du "Comité Rockfeller", on reçoit des habillement en tout genres.(...) Un journal hebdomadaire "Notre Vie" parut 53 fois, mais disparut pour raisons financières. Les internés des super embusqués? Les statistiques apprennent qu'au début de 1916, il y avait en tout que 4.000 internés travaillant à l'extérieur des camps ou habitant en famille. Comme on comptait à ce moment plus de trente mille "Hollandais", on constate qu'à cette date la proportion des "super embusqués" ne dépassait guère le dixième". En 1916, il y avait donc au moins 25.000 internés soumis au régime des barbelés, de la ratatouille en commun, des baraques sans feu, de la solde famélique et de la désespérance! Assouplissement du régime des internés après juin 1916 En juin 1916 le gouvernement belge donnait l'ordre formel à tous les internés de ne plus chercher à rejoindre le front et promis au gouvernement hollandais de renvoyer en Belgique les internés qui se seraient évadés. On pouvait donc sans crainte accorder un peu plus de libertés aux hommes .On leur permit de sortir tous les jours et de plus on autorisa le marié dont la femme habitait à proximité à passer la nuit en en famille. De plus cette disposition permit d'occuper les soldats belges partout où, en Hollande on pouvait avoir besoin de main-d'oeuvre. L'employeur était alors tenu de veiller lui-même au logement des internés qu'il occupait. En juin 1917, il y avait jusqu'à 86 groupes d'internés travaillant dans plus de 500 villes et villages.Chaque groupe était placé sous les ordres d'un commandant, officier ou sous-officier hollandais. Celui-ci disposait d'une petite garde et d'un ou plusieurs employés belges internés. Au total donc en juin 1917, sur les 29.000 internés, 21.500 jouissaient d’une vie à peu près normale. Le département délassement du camp d'Hardewyk Au camp d'Hardewyk, rené fut attaché au "département délassements" qui regroupait une multitude de sociétés: Harmonie (80 membres), Troupe de Théâtre Flamand (30), Troupe d'Opérettes Française (50). Troupe de Comédie Française (25).Troupes d'Opérettes Flamande, Football Club Sparta (16), Football Union Sportive Belge (48), Football C Malines (32), Football Union E.M.M. (42), le Cercle Flamand de Gymnastique, Section Schockert (100), Société de Tir au Berceau-Albert Club (38), Cercle d'Acrobates (33), Cercle de lutte Belgica (95), Athlétik Club (33), Club d'Escrime (30), Club de Boxe anglaise (35), Club de Lutte-section wallonne (38), Section de gymnastique-Amis Réunis (151), Cercle Jeu de Dames (30), Club de Natation (243), Tir à l'Arc (70), Section de Boxe Française (34), Section de gymanstique-L'Espoir (36), Balle pelote Belgica (42), Club cycliste-Les Amis du Sport (8O), Section de gymnastique-Nous Maintiendrons (75), Fanfare (80), Cinéma (30),Football Vooruit (37), Football Quick (16), Football Vétéran (30), Football Boom (34), Section de gymnastique- Union (66), Les Joueurs de Boules Limbourgeois (66), Association des Jeux de Boules Françaises (242), Albert Athlétik Club Lutte (65), Club de Billard (32), Club d'Echecs (30), Les Accordéonistes (25), Section de gymnastique: Le Progrès (30), Les Promeneurs du Dimanche (100), Symphonie (30), Chorale Flamande (30), Chorale Walonne (50), Kinos Club (30), Rowing Club (10), club Cycliste La Tortue (72), Club de Pêcheurs (35), Inter-Nos-Revues (15), La soirée de Chant (450), Mandolinistes(20) Mais l'oeuvre la plus méritante était " l'Ecole du travail". Le 22 janvier 1915, selon une décision de la ville de Bruxelles, il se forma une commission centrale chargée d'organiser l'enseignement dans les camps d'internement. M. Omer Buyse, ancien directeur de l'Université du travail de Charleroi se rendit aux camps de Zeist et d'Hardewykk, y réunit les internés appartenant à l'enseignement ou susceptibles de donner des cours, y exposa son plan, composa quelques comités qui furent chargés de dresser un programme d'études, un horaire, de trouver des élèves et des locaux pour les classes. Le 10 avril 1915, l'école du travail était officiellement inaugurée à Hardewyk, en présence du général Loke, du ministre belge des sciences et des arts Poullet; de l'ambassadeur de Belgique, le baron Fallon; de M. O. Buyse et de quantité d'autres autorités civiles et militaires. A ce moment on était parvenu à installer 8 classes à la baraque 33 servant d'église, dix classes à la baraque 40, une salle d'études au même bâtiment, ainsi qu'une salle de réunion. Au total 20 locaux pour 198 cours. Pour la préparation de leurs leçons, les professeurs eurent l'usage d'un chalet coquet, spécialement construit à cet effet. Fin juillet de la même année le nombre d'élèves était le suivant: travail du métal 596 élèves, travail de la pierre 248; travail du bois 242, industrie textile 49, métiers d'art 342, agriculture 266, sciences commerciales 297, police 168, cours généraux 2.208. Au 25 août, le nombre d'élèves était monté à 6.750 (Plus de mille illettrés apprenaient à lire, écrire et à calculer). En octobre 1915, le nombre total des élèves internés (pour l'ensemble des camps) était de 19.025, dont 2.755 illettrés. Quelle effrayante proportion d'illettrés. Pour instruire pratiquement et théoriquement- cette armée d'élèves, on utilisa les services de 783 professeurs internés. Le camp possédait en outre deux bibliothèques (environ 500 volumes), une salle de lecture pouvant contenir 300 personnes, enfin une imprimerie. Et c'est l'imprimerie qui donna l'idée de fonder une revue. Omer Habaru fut de l'équipe des fondateurs. Elle s'appela 'Inter-Nos-Revue", vit le jour le 15 mai 1916, parut toutes les quinzaines et mourut au 61ème numéro le 1èer novembre 1918. Omer Habaru définitivement interné En août 1917, le lieutenant-général Dossin fit transmettre aux quatre officiers blessés la lettre suivante: Le Havre, 19 juillet 1917 Au lieutenant- Général Dossin Lahaye Comme suit aux requêtes que vous m'avez fait parvenir sous votre numéro rappelé en marge, j'ai l'honneur de vous faire savoir que le département des affaires Etrangères, par sa dépêche du 15 courant, n° 6266, m'a informé de ce que le Gouvernement Néerlandais a rejeté la demande de libération des lieutenant (...) et des 14 soldats qui les accompagnaient à bord du remorqueur "Schelde". Veuillez aviser les intéressés de ce qui précède. Le Ministre de la Guerre. Le directeur général J. Hublet C'était un "non"définitif et sans appel et pour arriver à ce résultat décevant, Omer Habaru avait bataillé administrativement pendant près de trois ans! Après la guerre: premières impressions Des soldats assuraient l'ordre à la gare du nord de Bruxelles. Quand le train des rapatriés se fût arrêté doucement contre les buttoirs, en ce soir de décembre 1918, tous les internés se précipitèrent vers la sortie. Des bousculades se produisirent. Des hommes de garde intervinrent, mais ils furent débordés. Ils se fâchèrent. -Bande de "kees"! Omer observait à la dérobée ces soldats caqués. L’échelle des chevrons rouges attesterait qu'ils "l'avaient faite". Leur tenue kaki contrastait violemment avec les défroques des internés. (...) L'accueil au Ministère des Internés Le lendemain Omer se présenta au Ministère pour se conformer aux instructions reçues. Il y retrouva, dans un couloir, plusieurs de ses camarades d'internement, ainsi que quelques rapatriés d'Allemagne, dont des officiers supérieurs et Généraux. Et il appris que les prisonniers n'avaient pas été mieux reçus que les internés. Même ceux qui avaient été ramassés blessés sur le champ de bataille! Un planton introduisit les rapatriés dans une salle. On attendit un bon moment. Soudain la porte du fond fut poussée et un major apparut: "Ah! c'est vous les rapatriés! dit-il, sans autre préambule et en négligeant de répondre aux saluts. Vous pouvez vous en aller. Retournez chez vous pour trente jours. Ceux qui désirent revenir seront ici dans un mois et on leur dira ce qu'on fera avec eux!" Puis il s'en alla en claquant la porte. Le premier contact officiel n'était pas vraiment encourageant! La brusquerie avait été voulue et il y avait dans la formule "ceux qui désirent revenir" une sorte d'invitation très peu déguisée, à la démission. Un mois de congé Un mois de congé! L'unique train vers Arlon quittait la gare du Quartier-Léopold à 4 heures du matin. On mettait encore 14 heures et plus pour effectuer ce trajet de 200 km! (...) L'enfer du C. T. A. M. Le mois de congé étant écoulé, Omer retourna au Ministère. Un adjudant lui signifia qu'il avait à se rendre immédiatement à Gand pour être attaché au C.T. A. M., c'est à dire au centre de triage des anciens militaires. Ce service était installé dans une vieille caserne. Il partit aussitôt et mit près de huit heures pour arriver à destination. La caserne était un ancien monastère adossé à l'église Saint-Pierre, massive et noire. (...) Le C. T. A. M. accueillait tous les rapatriés d'Allemagne, de Hollande, de France, de Suisse, d'Angleterre, et du Congo, ainsi que tous les blessés rentrant de convalescence. On y démobilisait les plus anciennes classes, on triait les plus jeunes qui étaient dirigées sur des centres d'instruction. (...) Pour chaque homme , on dressait une fiche provisoire, en se basant uniquement sur les dires de l'inconnu. Puis on écrivait aux quartiers-maîtres des régiments indiqués pour s'assurer si ces militaires étaient bien inscrits à la matricule. Les quartiers-maîtres répondaient parfois huit ou quinze jours après, déclarant souvent que les archives de ces unités ayant été détruites par le fait de la guerre, ils ne pouvaient fournir les renseignements demandés. Pendant ce temps les hommes s'impatientaient, réclamaient, juraient, et même menaçaient. Or il se présentait une moyenne de cent hommes par jour, dans des tenues les plus invraisemblables. Beaucoup n'avaient conservé de leur passé militaire que le bonnet de police ou le pantalon; d'autres possédaient encore une tenue en loques mais étaient coiffés d'une casquette de travailleur ou même d'un chapeau melon. Et tous avaient un urgent besoin d'argent et une soif de liberté qu'ils ne prenaient pas la peine de camoufler. Ils arrivaient sans se faire annoncer et étaient étonnés de n'être pas servis sur l'heure. Tous les services étaient débordés. Les fourriers se lamentaient.(...) On démobilisa ainsi des milliers d'hommes sans aucune pièce officielle.(...) Ce fut donc, durant plusieurs mois une vie d'enfer. C'était à avoir peur d'entrer à la caserne. C'était à avoir peur d'en sortir. La plupart du temps les officiers dînaient sur place d'une tartine et d'un coup de café. Ce qui rongeait le coeur des vieux de la vieille, c'étaient le manque absolu de discipline et l'impuissance totale de l'introduire par pénurie de locaux et de moyens de répression. On n'avait pas le temps de faire un seul rassemblement. Et d'ailleurs la cour était trop petite, chaque compagnie atteignant parfois un effectif de deux mille hommes. La lecture de la presse: déprimante pour les rapatriés Les journaux se faisaient l'écho de l'état d'esprit général (...). On s'indignait à la pensée que les rapatriés pourraient se voir octroyer le premier chevron. On écrivait qu'il était question de créer à leur intention des décorations spéciales: l'Ordre de la poudre d'Escampette" et de la "Crosse en l'Air" et de former avec eux des régiments spéciaux "les Froussards de la Mort". Comme signe distinctifs, on proposait pour les internés, des chevrons couleur fromage de Hollande, à porter non plus sur les bras, mais sur les jambes qui semblaient avoir été leur principale arme de guerre. Et mille autres amabilités de ce genre! Le lieutenant-général Deguise qui commandait la position fortifiée d'Anvers se défend d'avoir rendu Anvers sans nécessité Le lieutenat-général Deguise publia un ouvrage "La défense de la Position Fortifiée d'Anvers en 1914" pour se défendre des accusations malveillantes. Il comparut finalement devant un Conseil d'enquête institué par Arrêté royal en date du 31 mai 1919 qui clôtura ses travaux le 16 mai 1920 par un ordre du jour de l'armée concluant qu'il avait bien "défendu la place d'Anvers en épuisant tous les moyens laissés à sa disposition (...)" Enfin un chevron pour Omer Habaru Omer apprit qu'il pouvait prétendre à un chevron de blessure. Mais il devait produire des attestations officielles sur les circonstances de l'accident. Son commandant de compagnie, pensionné, lui fournit de bonne grâce l'attestation demandée. Le médecin Hollenfeltz qui l'avait soigné à Herdersem avait été tué à l'Yser. Il écrivit alors à Guérin, son ancien camarade de l'Ecole régimentaire. Loirs de l'affaire d'Herdersen, Guérin était du bataillon de réserve couché dans les champs de betteraves et il vit passer Omer blessé. Guérin répondit avec empressement, fournissant la déclaration souhaitée. (...) Omer vécut alors dans l'attente du chevron de blessure. Si on lui avait donné à choisir entre le chevron et une deuxième étoile, il eut pointé sans hésiter le premier! Il vint enfin! Omer se sentit allégé d'un grand poids. Il respira profondément et releva la tête. On ne dirait plus maintenant qu'il n'avait jamais vu un boche! La terrible commission Biebuyck Un tribunal militaire fut créé à Bruxelles: "Commission chargée d'examiner les droits à l'avancement des officiers". Rien que le titre était déjà suffisamment éloquent: on allait ramener la question des rapatriés sur un plan matériel. Il est vrai qu'il était nécessaire de savoir si ceux qui étaient revenus avec le grade qu'ils détenaient déjà en 1914, allaient marquer le pas longtemps encore, ou bien s'ils allaient retrouver l'ancienneté qui, théoriquement leur était due. C'était un problème compliqué. Pour s'en rendre compte qu'on veuille se souvenir que bon nombre de capitaines de l'armistice furent nommés au grade de sous-lieutenant aux premiers jours des hostilités. Beaucoup même étaient encore du cadre des sous-officiers le 23 août 1914, à l'époque de la chute de Namur. Or, parmi les sous-lieutenants et les lieutenants rentrant de captivité, il s'en trouvait qui eurent ces gradés sous leurs ordres à Liège, Namur, à Anvers. Le sergent de 1914 était devenu capitaine et le rapatrié était resté sous-lieutenant et lieutenant. Il fallait donc une solution. C'est la commission dite Biebuyck qui se chargea de démêler cette affaire. Elle était présidée par le général Biebuyck, une de nos plus belles figures de guerre. Sorti de la troupe, il avait gagné ses étoiles patiemment, rudement avec un labeur incessant. Il était donc "le guerrier" dans la plus pure acceptation du terme. Et il dirigea les travaux de la Commission avec la même poigne implacable. Il fut spartiate, terrible. On sut bientôt dans les milieux rapatriés quel sort la "Commission" faisait aux prisonniers d'Allemagne et aux internés d'Hollande .Certains officiers avaient été "exécutés" en un rien de temps avec une froide hostilité. Personne n'en sortait exactement semblable à l'homme qu'il était en entrant. On jugeait théoriquement, idéalement, avec l'esprit et l'expérience de 1919 et non pas en se rapportant à l'ambiance de 1914. Un des "exécutés" dit à René: - Ne te donne pas la peine de te défendre, cela n'avance à rien. Cela ne servirait qu'à prolonger un instant pénible. Le conseil était bon. A une longue table avaient pris place des généraux abondamment étoilés, barétés, chevronnés, et décorés. Aussi le malheureux sous-lieutenant qui n'avait, pour mettre dans l'autre plateau de la balance, que son unique étoile, son unique chevron pas même de front- et les deux seuls traits des médailles Commémoratives et de la victoire n'en menait pas large! René s'attendait à être avalé. Il fut tout étonné de se trouver encore en vie après que le président eût posé sur lui des yeux profonds. - Vous êtes entrés en Hollande comme blessés sur un bateau de la Croix-Rouge et accompagné d'un médecin. -L'article 14 de la convention de Genève dit que les pays neutres peuvent laisser passer arbitrairement de tels convois mais il ne dit pas qu'ils doivent, qu'ils y sont obligés. Expliquez-moi comment, vous, blessé, soigné à une ambulance d'Anvers, vous vous vous trouvez tout à coup à 30 km de là dans les eaux hollandaises? -Mon général, nous avons été amenés là-bas parce qu'on nous avait abandonné à l'hôpital. Si on nous avait évacués à temps sur Ostende, comme on le fit pour d'autres troupes, nous n'aurions pas été refoulés là-haut. Nous avions le choix: rester tranquillement dans notre lit à nous faire soigner et alors les allemands seraient venus nous cueillir, ou bien partir, mais partir seulement quand nous aurions la certitude qu'on n'avait pas pensé à nous évacuer. Notre intention était de passer sur la rive gauche. La rive gauche, en face d'Anvers était embouteillée par l'armée de campagne qui battait en retraite. Dans notre état nous n'aurions pas pu passer. Nous avons cherché des routes libres, plus au nord. (...) Omer Habaru ne demandait pas l'égalité absolue avec ses camarades ayant fait toute la campagne. Il savait que 52 mois de guerre pesaient tout de même plus lourd que 2 mois. Mais ce qu'il était venu chercher à la Commission, c'était la reconnaissance officielle de sa bonne foi militaire. Il ne demandait pas un certificat de vaillance, mais ce qu'il désirait intensément, c'était une espèce de sauf-conduit: "Laisser passer librement cet homme, on ne peut rien lui reprocher". Il se fichait pas mal de l'avancement! Le ressort était cassé depuis longtemps. Omer quitta néanmoins la salle du tribunal soulagé d'un grand poids. Il n'avait pas été maltraité. Mais il rencontra dans les couloirs sombres de nombreux collègues qui n'avaient pas été aussi heureux que lui: les mois de non-activité avaient plu avec une régularité automatique. Et pourtant que de victimes qui en âme et conscience n'avaient rien à se reprocher! On lui avait recommandé d'aller chercher dans un bureau voisin le texte de sa sentence. On lui fournit le document peu après: "La commission après avoir entendu la déposition du sous-lieutenant Omer Habaru, estime que cet officier n'a franchi la frontière hollandaise que contraint et ne pouvant faire autrement vu son état de blessé. Cet officier est digne de servir au front." Un camp pour reprendre en main les officiers rapatriés Les officiers rapatriés furent dirigés par fournée vers des organismes destinés à les reprendre en mains et à leur enseigner les nouveaux principes de la guerre. (...) Au cours d'exercices d'attaques de tranchées ennemies, on se servait de grenades O.F. qu'on faisait exploser devant soi et on profitait du nuage de fumée pour faire un bond. Quand le chef est mal levé, l'exercice est toujours mal fait. Alors le directeur s'emportait et il hurlait: - Foutez leur une grenade à la gueule, à ces N.de D. là ; c'est quand même du matériel peu intéressant...! Le matériel, c'était évidemment les rapatriés qui, à plat ventre se mordaient les lèvres sous l'outrage. Et il y avait là des officiers qui comptaient plus de dix ans de grade! - La guerre d'aujourd'hui ne ressemble plus à la petite guéguerre que vous avez entrevue ou dont vous avez entendu parler. Aujourd'hui on se bat, ce n'est plus comme dans le temps. On se bat et on meurt sur place. Mais on ne se rend pas. Les prisonniers ça n'existe plus. On devrait exhiber les derniers exemplaires dans un Musée des Horreurs. Et dire qu'il adressait ces discours à cent officiers rapatriés dont plusieurs avaient été capturés évanouis sur le champ de bataille! Après trois mois de cette vie, on passait un examen, puis on était déclaré apte à commander une unité active. Et on sortait de là, aigri, sourdement révolté, décidé à abandonner la lutte et à fuir cette vie militaire où on ne trouverait plus jamais, sans doute, que vexations et mépris. L'école militaire rouvre ses portes Quelques mois après, l'Ecole Militaire ouvrit ses portes aux officiers qui désiraient achever leurs études interrompues par la guerre. Omer fit partie de la 64ème promotion A . Cette classe comportait environ 120 élèves, parmi lesquels cinq ou six rapatriés seulement. (...) René fut néanmoins nommé capitaine alors que ses camarades de même ancienneté d'avant-guerre mais ayant terminé la campagne avaient été promus à ce grade en 1916. Il le fut rétroactivement à la date de fin décembre 1919. Il perdait donc trois ans d'ancienneté! Il n'en fut pas affecté. Qu'importait après tout l'ancienneté dans le grade, à qui avait définitivement remisé ses ambitions! L'arrêté Royal du 18 décembre 1925 Le 18 décembre 1925 parut un arrêté royal dans lequel il était dit que, eu égard à la nouvelle organisation de l'armée, le nombre d'officiers était devenu trop élevé et que le gouvernement avait décidé d'en licencier 700.(...) Quinze officiers, dont Omer- de la petite garnison dont il faisait partie, demandèrent à bénéficier de cet arrêté royal. Les trois quarts étaient des rapatriés d'Allemagne ou de Hollande. -Je m'en vais, disait un commandant qui fut capturé lors de la retraite de Namur. J'ai été nommé lieutenant en 1913 soit il y a douze ans. Certains de mes camarades de promotion sont Majors depuis des années, mais ils ont fait toute la campagne. Moi, j'ai été pris près de Bioulx, dans des conditions telles que la Commission Biebuyck a jugé que j'avais fait tout ce qui était en mon pouvoir pour échapper à la capture (...), ce qui n'empêche qu'on s'est arrangé pour me faire occuper dans l"annuaire" un rang qui ne me permet plus d'espérer. Je n'ai commis aucune faute et je suis cependant puni par une perte considérable d'ancienneté. Puisqu'il en est ainsi, je m'en vais planter des choux et des bégonias! La circulaire Ministérielle du 16 mars 1929 : une injustice pour l'avancement des officiers ex-prisonniers de guerre Dans cette circulaire relative à l'avancement des officiers ex-prisonniers de guerre, le Ministre de la défense Nationale a déclaré que " L'officier ex-prisonnier de guerre ne sert pas en captivité". Les conséquences pour l'avancement seront évidemment importantes... Une drôle de lutte afin que les ex-prisonniers obtiennent les chevrons de front Une question préoccupait fortement les rapatriés au sein des sections d'anciens combattants: le chevron de front. Pendant plusieurs années quelques dirigeants de ces groupements avaient compris que la suspicion dont étaient entourés les rapatriés n'avait que trop duré et qu'il était temps d'obtenir leur réhabilitation morale. A la F. N. C. M. J. Hubert montra un cran admirable, secondé par une pléiade de collaborateurs animés du même zèle (notamment le général Werbrouck, MM. Victor Pierart, Mamet; Rock...). Des conférences furent données, des manifestations furent organisées, des entrevues eurent lieu avec des groupes de parlementaires, des ministres et même des présidents du conseil. Finalement un projet de loi fut élaboré et voté le 2 août 1932. Quatorze ans après l'Armistice le chevron de front était enfin accordé aux prisonniers d'Allemagne "pour autant qu'ils prouvent d'une façon irrécusable qu'ils ont usé de tous les moyens de défense mis à leur disposition avant de tomber entre les mains de l'ennemi". (...) Pour les internés la question du chevron était t encore au stade des tergiversations en 1936 lorsque Omer Habaru fit publier son livre. Et les moqueries des civils... Si Omer avait accepté -douloureusement certes- les suspicions, les reproches et les insultes de chefs chevronnés, il se hérissait devant les insinuations malveillantes des civils. Il avait rougi souvent devant les réflexions fielleuses de pékins bien portants qui s'étaient prudemment gardés, en 1914, de faire le moindre geste pour voler au secours de la Patrie. Il ne leur avait cependant jamais demandé compte de leur conduite peut-être peureuse. Mais en restant calfeutrés chez eux, ils avaient gagné le droit de ne pas prendre des petits airs supérieurs pour juger les mérites des combattants! Qu'il y avait-il de plus poignant pour un ancien prisonnier d'Allemagne que de s'entendre reproché sa capture par des citoyens gros et gras dont le seul acte de guerre avait été de se réfugier dans la cave lors de l'entrée des Allemands! Il est bien vrai que tout le monde ne pouvait pas être soldat; il est bien vrai que ce furent les plus pauvres qui marchèrent; il est vrai que certaines régions furent envahies avant qu'on ait eu le temps de s'engager; il est malheureusement vrai que la désorganisation de 1914 fut cause qu'on refusa les services de certains engagés. Il ne fut pas donné à tout le monde d'être soldat. Mais que l'homme valide qui ne bougea pas de chez lui ait au moins la pudeur de s'abstenir de faire des reproches sarcastiques aux victimes des premières batailles! Ces sarcasmes avaient constamment harcelé de leurs coups d'épingles venimeux l'ancien prisonnier comme l'ancien interné; au café, au travail, sur le pas des portes. Voilà vingt ans que cela durait! Alors, cela durerait toujours? Il n'y aurait jamais de fin à cette guérilla sournoise? Déjà les enfants faisaient la distinction et le gosse innocent du rapatrié commençait à se sentir amoindri. Et il faudrait continuer à subir les conséquences de cet état d'esprit néfaste! On ne pourrait donc jamais clamer sa protestation indignée! (...). Il n'y aurait donc jamais personne...et pourquoi ne serai-je pas celui-là et pourquoi ne serai-je pas celui-là? J'ai un passé: le voilà; j'ai une plume:la voici. |