Médecins de la Grande Guerre
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Ce fut en octobre 2004 que nous rencontrâmes Jacques Baeke à Liège. Jacques nous avait confié quelque temps auparavant, par écrit, l’histoire singulière de ses deux pères. Une histoire qui nous avait fortement émus. Interpellés nous voulûmes en savoir plus et c’est ainsi qu’un rendez-vous fut fixé dans la «Cité Ardente». Jacques a maintenant 79 ans et a toujours bon pied, bon œil. C’est avec joie que nous entendîmes Jacques nous raconter quelques épisodes de sa vie. Les souvenirs d’abord de sa vie en Afrique, puisque à l’âge de 23 ans, il s’en alla courageusement travailler au Katanga au sein de l’Union Minière du Haut-Katanga. Il fut affecté à la main d’œuvre indigène dans un premier temps, s’occupa ensuite du dédouanement et du trafic des produits miniers, pour être transféré de 1952 à 1964 à la comptabilité ; il resta au Congo après l’indépendance et termina sa carrière comme responsable du service ciné-photo de la société. En 1979, il revint définitivement en Belgique. Aujourd’hui, il arrive souvent à Jacques de se souvenir avec émotion de son enfance très particulière. Jacques a vu le jour le 14 mars 1925. Son papa Georges Baeke avait fait la Grande-Guerre comme soldat derrière l’Yser au sein du Génie. Il était de constitution faible, anxieux et avait sans aucun doute un cœur défaillant puisque astreint à prendre journellement des gouttes de digitale. Les médecins militaires l’avaient cependant accepté comme volontaire mais l’avaient placé dans une fonction non combattante. C’est ainsi que Georges devint le responsable du mess des sous-officiers du bataillon du génie. Une photo émouvante nous le montre devant ce baraquement de bois dans lequel retentissaient souvent les strophes joyeuses ou mélancoliques qu’il fredonnait à la moindre occasion ! Oui, Georges était un passionné de Musique et de chansons et c’est certainement grâce à cette passion qu’il «tint le coup» et put ainsi affronter le grand chagrin de voir, au fil des mois de guerre, son épouse se désintéresser progressivement de lui jusqu’à la rupture totale ! Georges Baeke en 1913. On peut imaginer que Georges s’épancha sur quelques-uns uns de ses amis du régiment. Parmi ceux-ci se trouvait certainement Maurice Billiet, né le 4 avril 1890 à Mont-St-Amand-lez- Gand. Une personnalité extraordinaire que ce Maurice, un « diable » d’homme par sa force physique et son courage ! Tout à l’opposé du chétif artiste Georges avec lequel il se lia pourtant d’une grande amitié ! Maurice pesait 100 kg et mesurait un mètre 83, ce qui n’était pas courant pour l’époque. Il était certainement la fierté de sa compagnie et sans doute de son bataillon. On racontait qu’il avait, lors de l’exposition universelle de Gand en 1913, sauvé un dompteur d’ours qui s’était fait renverser par une de ses bêtes. Maurice n’hésita pas un instant, il entra dans la cage et tira le dompteur de sa mauvaise situation…Quand la guerre éclata, Maurice qui avait été milicien en 1910 est rappelé sous les drapeaux au 1er Régiment de Génie, 2ème Compagnie. Il va alors s’illustrer par son courage au point d’obtenir la grande faveur d’être décoré de la Légion d’Honneur. Cette distinction française est exceptionnelle car elle ne pouvait être donnée à un soldat belge que sur proposition d’une seule autorité belge : le Roi Albert … Mais quel acte de bravoure avait réalisé Billiet pour s’attirer cette faveur du roi. En fait, durant la nuit du 21 au 22 octobre 1914, alors que la bataille de l’Yser battait son plein, le soldat Billiet se trouvait sur l’Yser à hauteur du Km 300 et faisait partie d’un détachement qui devait détruire deux radeaux allemands. Des charges avaient été placées dans chacun des tonneaux supportant les radeaux. Il ne restait plus qu’à aller mettre le feu aux mèches. Il quitta donc la tranchée et sous un feu violent parvint aux radeaux. Malheureusement ses allumettes ne parvinrent pas à s’enflammer. Maurice retourna à la tranchée, y alluma une cigarette, retourna sur les bords de l’Yser et parvint à mettre le feu à trois charges sur six…Les radeaux vacillèrent, s’enfoncèrent dans l’eau mais ne coulèrent pas totalement. Maurice se jeta alors dans l’eau froide et démantela ce qui restait des radeaux. Quelques jours plus tard, le 29 octobre, Billiet faisait partie d’un détachement qui gardait des « aiguës » (ouvertures dans le remblai du chemin de fer Nieuport-Dixmude) qui venaient d’être colmatées par les gars du génie afin que les inondations ne pénètrent pas dans nos lignes et restent limitées à l’est du chemin de fer. Une attaque ennemie survint vers midi et le détachement eut fort à faire. Billiet fut blessé au bras droit mais continua à coopérer à la résistance pendant tout le temps de la confrontation qui dura plus d’une heure. Après cela, Billiet pansa ses compagnons avant d’accepter de se faire soigner lui-même ! C’est à la suite de ces deux actes de bravoure que le Roi Albert écrivit lui-même sur le rapport de ces faits d’armes qu’avait rédigé son commandant de compagnie afin que Billiet soit promu caporal et cité à l’ordre de l’armée, ces quelques mots « Approuvé. Sera en outre promu chevalier de la légion d’honneur. Signé Albert » Maurice Billiet se distingua encore brillamment dans la nuit du 17 au 18 juillet 1916. Il s’était porté volontaire pour un coup de main sur les tranchées allemandes de la rive droite de l’Yser. Ayant atteint les tranchées allemandes, il pénétra à la suite de son officier, le sous-lieutenant Loys dans un abri bétonné. Il dut alors livrer un corps à corps pour dégager son officier blessé des mains de l’ennemi. Maurice raconta toujours à ses proches que durant ce raid, « ils avaient fait 17 prisonniers, pas un de plus, pas un de moins » ! Il raconta aussi plus tard à ses deux fils adoptifs une histoire qui marqua leur imagination enfantine : un jour, il parvint à une fortification ennemie où se trouvait cloué un chat sur une porte. Il ne fallait surtout pas y toucher ! Les soldats qui par pitié auraient voulu sauver le chat, auraient de ce fait déclenché une explosion mortelle pour eux ! Maurice Billiet fut atteint au cours de la guerre de 14 blessures et fut gazé plusieurs fois. Il fut d’ailleurs après ses exploits d’octobre 14 évacué dans un hôpital du Pas-de-Calais et entreprit une convalescence à La Panne où il eut tout le loisir d’entendre tout ce qui s’y racontait sur la famille royale : les discussions entre le Roi et la Reine, le caractère difficile de Marie-José et même l’histoire suivante qui passait d’un lit de blessé à un autre et qui concernait le petit soldat belge qui n’ayant pas reconnu le roi en visite dans sa tranchée l’avait apostrophé peu cavalièrement « Hé, dwazekloot kunt g’e nie stuipen ? (eh, le c... ne pourrais-tu pas te baisser ?) Voilà donc la vaillance de Maurice Billiet racontée ! Georges Baeke était certainement un grand admirateur de Maurice et on peut imaginer qu’il ait même chanté l’une ou l’autre fois les exploits de son ami. La guerre terminée, chacun essaya de retrouver un métier. Georges divorça puis eut le bonheur de tomber amoureux d’une jeune femme courageuse qui osa braver les préjugés de l’époque si défavorables pour les « divorcés ». Georges se remaria en 1923 et en 1925, le petit Jacques Baeke vint au monde. Pendant ce temps Maurice Billiet avait retrouvé lui aussi une vie civile. D’abord représentant pour la firme Dupont de Nemours, il participait au premier « Salon de l’Auto » à Bruxelles, où le Roi Albert le reconnaissant prendra de ses nouvelles : Billiet, tout va-t-il bien pour vous ? ». Plus tard, il acheta un brevet pour fabriquer de la crème glacée et exerça un moment à Knokke le métier de glacier. (« Le bouquet Roumain », était situé avenue Lippens, à côté de l’hôtel Westland). Les deux amis, Georges et Maurice, gardèrent d’étroites relations tout au long des années d’après guerre. Georges hélas, mourut très jeune en 1928, épuisé par la maladie qui le minait depuis longtemps et laissait ainsi une femme seule avec deux enfants. Quelques mois après, Maurice se remaria avec la veuve de son ami et devint le père adoptif de deux très jeunes orphelins. Pour faire vivre sa famille, il devint entrepreneur à Gand. Durant la deuxième guerre mondiale, il eut beaucoup de mal à joindre les « deux bouts » car Maurice refusait systématiquement tous les travaux qui auraient pu profiter à l’occupant. Nous ne vivions pratiquement que grâce à son invalidité de guerre. . Aujourd’hui, Jacques se souvient de ce beau-père qu’il aima avec beaucoup d’admiration ! Un beau-père si courageux qu’il avait eu l’insigne honneur d’être choisi en 1945 pour rallumer à Paris sous l’Arc de Triomphe en 1945 (ou 1946), la Flamme du Soldat Inconnu.. Quant à Jacques Baeke, sa vie ne fut pas une sinécure. En cette fin d’année 2004, il nous confia qu’il avait perdu sa maman en 1951 et qu’il n’avait pas eu la possibilité de rejoindre la Belgique pour les derniers adieux : on ne voyageait pas aussi facilement que maintenant et les congés durant les « termes » au Congo étaient quasi impossibles à obtenir. Son père « adoptif », Maurice Billiet mourut à Gand le 6 mars 1965 âgé de 75 ans et assisté seulement d’un camarade de régiment. Là aussi, Jacques à cette époque se trouvait au Congo et il lui fut impossible d’assister aux funérailles. Ecrit à Hannut ce 21/12/O4 Maurice Billiet Annexe : Maurice Billiet Né le 4 avril 1890 à Mont-St-Amand-lez-Gand. Son père Emile Billiet était marchand de chevaux ; la famille habitait en face du grand béguinage, 53 rue de l’Ecole à Mont-St-Amand où l’intéressé passa son enfance. Maurice eut un frère marié et père de famille qui mourut du tétanos à l’âge de 34 ans ; une sœur Rosa institutrice et une jeune sœur Marie, religieuse qui décéda à 20 ans. Après l’école primaire, il fréquente, jusqu’à 16 ans, l’école professionnelle de don Bosco à Oostakker et y apprend le métier de charpentier-menuisier
Rapport. Le présent rapport a pour objet de signaler à l’autorité supérieure la conduite devant l’ennemi du soldat, de la classe M 1910, Maurice Billiet de la compagnie sous mes ordres, dans les circonstances : 1. Pendant la nuit du 21-22 octobre dernier, le soldat Billiet faisait partie d’un détachement chargé de couler deux radeaux, se trouvant sur l’Yser à hauteur de 9 ³ºº. Cette destruction avait été préparée au moyen de charges placées dans chacun des six tonneaux de support. Le soldat Billiet se dévoua quittant les tranchées sous un violent feu de shrapnels et parcourut les 100 mètres environ qui séparaient ces tranchées de l’emplacement des radeaux. Ayant tenté de mettre le feu aux mèches au moyen d’allumettes il dut y renoncer suite au vent trop violent. Il revint vers les tranchées chercher une cigarette allumée et parvint à mettre le feu à trois charges sur six. Les radeaux ayant encore une flottabilité trop grande, le soldat Billiet retourna aux radeaux, entra dans l’eau jusqu’au-dessus de la ceinture et coula les tonneaux (puis illisible) A la suite de ces faits, j’ai félicité le soldat Billiet devant la troupe rassemblée. 2. Pendant la journée du 29 octobre, le soldat Billiet faisait partie d’un détachement chargé de garder les aiguës construites pour fermer les ouvertures existant dans le remblai du chemin de fer de Nieuport à Dixmude, à hauteur de la gare de Boitshouke ; ces ouvertures avaient été bouchées pour limiter les effets de l’inondation qu’on tendait à l’est du remblai Vers midi, une attaque ennemie se produisit. Le détachement participa à la défense et dès le début de l’action le soldat Billiet fut blessé au bras droit à hauteur de l’épaule. Il continua néanmoins à coopérer à la résistance jusqu’à ce que l’ennemi se fut retiré soit pendant une heure et quart environ bien qu’il souffrit beaucoup de sa blessure. Après le combat, il désira avant de se faire soigner, aider à panser ses camarades du Génie et de l’Infanterie qui venaient d’être blessés, ce qui dura encore trois heures. Après avoir été soigné, il refusa de se faire évacuer malgré les instances de l’officier chef de détachement et ce n’est que lorsque celui-ci lui eut assuré qu’il était préférable, au point de vue de la promptitude de son retour de prendre quelques jours de repos, qu’il consentit à gagner l’arrière. A la suite de ces faits et estimant que la conduite du soldat Billiet mérite d’être citée en exemple à l’armée, je propose que celui-ci soit porté à l’ordre du jour 2 : qu’il soit promu au grade de caporal, grade pour lequel il possède d’ailleurs les aptitudes requises. Coxyde,
le 31 octobre 1914. Avis et proposition du Lieutenant Général
commandant la 1.D.A. Je propose le sergent Billiet, du II P, pour une nouvelle distinction honorifique. Sous-officier d’une bravoure et d’une audace extraordinaires et d’un dévouement exemplaire Au cours de la campagne, a été blessé à deux reprises différentes et a accompli plusieurs actions d’éclat qui lui ont valu l’octroi successif de la Décoration militaire et la Croix de Chevalier de la Légion d’Honneur avec Croix de guerre belge et française. A demandé à faire partie d’une expédition périlleuse ayant pour but de délivrer des prisonniers d’un ouvrage bétonné situé dans les tranchées de 1re ligne allemandes. A fait preuve d’audace, d’énergie et de mépris du danger, en pénétrant en même temps que l’officier chef de l’expédition dans les tranchées ennemies, en dégageant son officier blessé, des mains de l’ennemi, par une lutte corps à corps acharnée et émouvante, et en explorant ensuite les abris pour faire des prisonniers. A fait réellement preuve dans le corps à corps qui eut lieu dans l’ouvrage bétonné conquis d’une énergie et d’une audace extraordinaires. Le 21 juillet 1916. |