Médecins de la Grande Guerre
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Le docteur Albert Hustin
et l’épopée des premières transfusions sanguines pendant la grande guerre. Auteur : Dr Loodts P. Le
Docteur Hustin, un véritable savant Le professeur Albert Hustin Le Dr Albert Hustin fut le véritable inventeur de la transfusion sanguine. Il est né à Ethe, petit village en Lorraine belge qui eut à souffrir très fort en août 14 les terribles combats qui mirent aux prises Français et Allemands. Albert fit ses études de médecine à l’université libre de Bruxelles où il deviendra l’assistant du célèbre chirurgien Antoine Depage. Une fois diplômé, il compléta sa formation par un stage d’une année académique à Paris et en 1906, par un voyage d’étude aux Etats-Unis. Admirant dans le nouveau continent une médecine à la pointe de l’hygiène et des derniers progrès, Albert Hustin publia à son retour en Belgique ses éloges envers la médecine américaine dans un article intitulé « Quelques notes sur les hôpitaux de Philadelphie ». En 1908, il est engagé dans le service de chirurgie de l’hôpital Saint Jean où opère son ancien professeur, le Dr Depage. Ce dernier va l’encourager à mener à bien recherches et réflexions scientifiques. Alors qu’il n’est encore qu’un jeune médecin adjoint des hôpitaux, Albert Hustin a des idées à revendre. Il publiera une brochure sur les réformes qu’il voudrait voir appliquée dans les études médicales et entre 1908 et 1913 réalisa plus de 39 études scientifiques qui seront rassemblées dans un volume de 400 pages édité en 1922. La découverte qui rendit célèbre ce découvreur infatigable fut la découverte du citrate de soude comme anticoagulant en 1913. Voici comment cette découverte fut effectuée : A la veille de la première guerre mondiale, les groupes sanguins découverts quelques années auparavant avaient donné l’espoir de pouvoir réaliser des transfusions sans risquer les graves accidents d’incompatibilité entre donneur et receveur qui avaient été jusque là la règle ! Ce problème résolu, il restait cependant encore à diminuer les risques entraînés par la coagulation naturelle du sang qui survenait très rapidement après son prélèvement. Le docteur Hustin fut confronté à ce problème en effectuant des recherches sur le pancréas prélevé chez le chien. Il fallait en effet irriguer cet organe avec un sang qui puisse se conserver quelque temps en restant fluide. Hustin rechercha donc un produit qui rendrait le sang incoagulable. Le sel de cuisine était bien connu des bouchers mais ne pouvait convenir à cause des graves perturbations ioniques qu’il aurait entraîné ; on connaissait aussi les propriétés anti-coagulantes du glucose mais il provoquait dans le sang un certain degré de floculation. Le génie d’Hustin fut alors d’essayer le citrate de soude connu à l’époque pour rendre stable une suspension de … mastic. Ses premiers essais au laboratoire de physiologie à l’Institut Solvay sur l’animal lui donnèrent la preuve que ce produit était d’une merveilleuse efficacité et cela sans aucune toxicité. Le docteur Hustin eut l’idée d’appliquer sa découverte chez l’homme lorsqu’un jour il examina une personne qui avait été gravement intoxiquée au CO par le gaz d’éclairage et pour laquelle la médecine se déclarait alors impuissante. Et s’il suffisait d’extraire le sang de ces personnes, portion par portion, de l’exposer à l’oxygène sous pression et puis de le réinjecter après l’avoir ainsi purifié, pensa-t-il ! Cette idée ne le quitta plus et quelques temps plus tard comme il soignait aussi des malades hypertendus auxquels il pratiquait la saignée, il posa à l’un deux la question de principe s’il était disposé à voir son sang servir pour quelqu’un d’autre.. La réponse fut positive. Il ne resta plus au médecin qu’à attendre le moment idéal qui l’autoriserait à mettre pour la première fois en pratique sa méthode. L’occasion se présenta, non avec un nouvel intoxiqué par le CO mais avec un malade qui s’était fortement anémié par des hémorragies intestinales. Le 27 mars 1914, le docteur préleva 150 ml à son malade hypertendu et recueillit le sang dans une bouteille contenant du glucose additionné de citrate de soude. Il rentra, en tram ( !), à l’hôpital Saint Jean avec le précieux flacon tenu bien au chaud entre ses jambes et injecta son mélange miraculeux à l’anémier qui se mourrait. Pour ce faire, Albert Hustin avait préalablement mis au point tout le système technique : un matériel de prélèvement et d’injection, une tuyauterie et une petite manivelle munie d’un excentrique. Désormais la transfusion sanguine devenait d’une extrême simplicité. Le savant fit rentrer sa découverte dans l’histoire en écrivant un article relatant sa découverte et qui parut en avril 1914 dans le Bulletin des sciences médicales et naturelles de Bruxelles sous le titre « Principe d’une nouvelle méthode de transfusion sanguine ». Son exploit médical fera aussi l’objet d’une communication dans « le journal médical de Bruxelles » n°32 du 6 août 14. On peut imaginer que l’un des premiers médecins qui fut averti de la découverte fut le docteur Depage. Les
transfusions dans les hôpitaux militaires durant la première guerre mondiale La guerre éclatée, le Dr Depage qui était à la tête de l’hôpital l’Océan à La Panne, permit l’application de la transfusion de sang citraté dans l’hôpital militaire de l’Océan à La Panne et dès 1915, le Dr Debaisieux et le Dr Janssen utilisèrent cette technique. Il semble cependant que, même dans cet hôpital qui se voulait à la pointe des techniques, les transfusions de sang citraté restèrent expérimentales et ne furent pas généralisées comme en témoigne une des infirmières de l’hôpital, Jeanne de Launoy (« Infirmières de guerre en service commandé » Edition Universelle, Bruxelles, 1936) : 26 au 27 juin. Trente-six entrants dans la journée. Ce soir une ovation au gros Thiriar qui, un peu pâle, entre dans la salle à manger un bras passé dans son dolmen! Il vient de donner du sang pour sauver un Anglais et les infirmières anglaises applaudissent! Ces transfusions sont extrêmement intéressantes. On utilise plusieurs méthodes dont une paraît être la meilleure. On emploie dix ou douze seringues dont aucune ne sert deux fois. Le sang est pris directement et donné de l'un à l'autre. Il est passionnant, quand cela réussit, de constater que le pouls remonte et que la vie revient ! (…) Encore des
transfusions de sang ces temps-ci et encore un donneur : Edmond, le brancardier
qui sert à la salle à manger, qui sauve un Anglais dont la cuisse est broyée et
qui rentre exsangue. Arthur aussi... D'autres donneurs suivent. C'est
magnifique et impressionnant de voir la pression sanguine, nulle au début,
remonter lentement ! "Mon" Anglais est sauvé ! dit Edmond très fier.
Curieux de constater que tous les donneurs emploient le possessif pour le
malade qu'ils sauvent et s'inquiètent de lui après avec un sentiment voisin de
l'amour maternel! Ceci est neuf dans la psychologie masculine dirait-on !
Nous ? On ne veut pas de notre sang ! Plusieurs l'ont offert... dommage ! Les transfusions à l’hôpital de l’Océan firent l’objet d’une études scientifique par le Dr Govaerts (Dr Govaerts, Etude de l’anémie posthemorragique, in « Les Travaux de l’hôpital l’Océan », pages 375 et suivantes, Editions Masson, Paris). Ce travail portait sur 14 transfusions effectuées à l’hôpital l’Océan dont les résultats sont détaillés de cette façon : Sur 14 cas, 3 sont morts d’infection suraiguë (gangrène gazeuse-septicémie à perfringens). Il est évident que lorsqu’une infection semblable est en voie de développement, la transfusion est incapable de sauver la vie du blessé. Les 11 autres cas, où une infection suraiguë n’était pas en cause ont fourni 8 succès complets. Des trois échecs, l’un est dû à l’hémolyse (Dans ce cas l’épreuve d’agglutination n’a pas été pratiquée parce qu’un seul donneur s’était présenté et que l’état du blessé exigeait une intervention immédiate. Ce blessé a présenté le deuxième jour une hémoglobinurie qu’il a paru bien supporter, mais il est mort le sixième jour avec des symptômes d’urémie) Par contre, dans tous les autres cas, nous avons eu le choix entre plusieurs donneurs et pratiqué l’épreuve d’agglutination : jamais nous n’avons constaté d’hémoglobinurie ni d’accidents ultérieurs. Les deux autres sont imputables au fait que la transfusion d’un demi-litre de sang était insuffisante. (…) L’effet immédiat de la transfusion est tout à fait remarquable et bien différent de celui que l’on obtient par l’injection de sérum artificiel. Dans certains cas c’est une véritable résurrection : le blessé presqu’inconscient jusque là, semble se réveiller ; ses muqueuses se colorent, et il accuse spontanément un grand bien être. Les transfusions sanguines furent appliquées un peu partout dans les armées belligérantes au cours de la grande guerre. La découverte de Hustin qui permettait des transfusions différées ne se propagea cependant que très peu et dans la plupart des d’hôpitaux ce furent des transfusions directes de bras à bras (les transfusions de bras à bras réduisaient les risques de coagulation mais ne les réduisaient cependant pas à néant) qui furent appliquées. Nous avons retrouvé des témoignages émouvants (1) de ces premières transfusions dans le N°17 daté de juin 1916 du mensuel « La grande guerre du XX° siècle ». On y découvre avec un certain amusement que les premiers donneurs de sang furent considérés comme de véritables héros de guerre. Le lecteur intéressé trouvera la retranscription de l’entièreté de ces témoignages en fin d’article mais je ne puis résister de vous livrer celui qui concerne le soldat belge Van de Broeck du 11e de ligne.. Un blessé français hospitalisé à Saint-Lô allait mourir ; pour le sauver, il fallait recourir à la transfusion du sang. Spontanément, le clairon Van de Broeck, du 11e de ligne belge, grièvement blessé lors des combats épiques livrés à Dixmude en octobre, s'offrit pour arracher son frère d'armes à la mort. Ce double sacrifice affirme de la manière la plus touchante la confraternité des soldats français et des soldats belges. Leurs cœurs battent à l'unisson, et c'est le même sang - le sang des braves - qui coule dans leurs veines. [Bulletin des Armées*, 13-15 mal 1915] * françaises, évidemment L’histoire
du docteur Hustin après la première guerre mondiale Le professeur Albert Hustin L’histoire du docteur Hustin se prolongea bien après la première guerre mondiale. Hustin se consacra aussi à de nombreuses autres recherches et possédait de véritables doigts de fée. Il parlait d’ailleurs de son bureau comme de « son atelier » parce qu’il y fabriquait lui-même les instruments dont il avait besoin. Son intérêt pour la mécanique, l’électricité et même l’électronique était notoire. C’est ainsi qu’on lui doit aussi l’invention d’un appareil permettant de suivre en continu le pouls et la température d’un patient, un tournevis-porte-vis, un viseur pour enclouage du col du fémur… L’histoire
du premier centre de transfusion en Belgique En 1934, le docteur Hustin participa activement à l’ouverture du premier service de transfusion de la Croix-Rouge en Belgique. Il faut rappeler ici que ce fut la Croix-Rouge Britannique qui érigea le premier service de transfusion et cela en 1921. Cet exemple fut rapidement suivi dans les autres pays. La Hollande suivit en 1930 avec un centre à Rotterdam et la même année l’Espagne en créa un à Alicante. En 1934, la Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge publia une brochure intitulée « La Croix-Rouge et la transfusion de sang » qu’elle mit à la disposition des 59 association nationales existant à ce moment. Elle y recommandait la création de service de transfusion. La Belgique répondit rapidement à cet appel et pour préparer la mise sur pied d’un tel service, une commission d’expert fut constituée. Parmi les membres de cette commission se trouvaient le Dr Hustin mais aussi le Professeur Nolf , Président de la Croix-Rouge belge et le Professeur Moureau (qui allait plus tard être un des découvreurs du facteur Rhésus). Dès le premier mai 1934, un service de transfusion débuta dans une annexe de l’Institut Médico-chirurgical (Hôpital Brugmann) à Bruxelles. Ce « Centre Albert Hustin » fut inauguré par la Reine Elisabeth. On recruta rapidement des donneurs universels et ceux-ci s’engagèrent à se présenter le plus rapidement possible sur place (en principe dans les dix minutes) en cas de besoin. Rappelons qu’à cette époque, la plupart des transfusions se faisaient encore directement de donneur à receveur, de bras à bras, au moyen de l’appareil de d’Henry et Jouvelet ou de la seringue de Jubé.. La technique du Dr Hustin qui permettait la conservation du sang et n’imposait plus que la transfusion se fasse au même moment que le prélèvement ne se diffusera à grande échelle qu’à la fin des années trente…Le démarrage du service bruxellois se fit promptement et durant les dix premiers mois, 182 donneurs potentiels furent examinés et 106 retenus comme donneurs effectifs. Après un an d’existence, le service avait dû répondre à 172 appels dont 77 présentant un caractère d’urgence. Dès le 9 février 1935, c’était au tour du centre de Gand de se lancer, suivi le 20 avril de celui de Liège. Pendant la guerre 40-45, le centre Bruxellois de transfusion « Albert Hustin » sera transféré dans un autre hôpital bruxellois, l’hôpital Saint-Pierre. Le
professeur Hustin : un savant complet aux
connaissances scientifiques mais aussi littéraires Le professeur Hustin était un homme complet. Il avait, on l’a vu, un grand amour pour les sciences exactes mais son esprit curieux s’intéressait aussi à la littérature et sa bibliothèque contenait des ouvrages de grammaire historique et de grammaire comparée. Il écrivit de plus deux livres consacrés aux coutumes et au « parler » de la Lorraine belge. Son sens de l’humain complétait cet homme assez exceptionnel. Il se souciait beaucoup de l’enseignement et du bien-être des étudiants de l’université libre de Bruxelles. C’est lui qui fut à l’origine d’un service de dépistage de la tuberculose en faveur des étudiants et même d’un sanatorium. Il participa de plus à la création en 1938 de l’Institut d’éducation physique, dont il sera le directeur de 1945 à 1948, et proposa la création d’un diplôme de médecin licencié en éducation physique. Après la deuxième guerre mondiale, il est chargé en 1945, d’évaluer les invalidités par faits de guerre, et appliquant aux opérations administratives des idées de Taylor, parvient en moins de six ans à clôturer plus de 200.000 dossiers ! Albert Hustin avait épousé la Bruxelloise Mathilde Houyoux, docteur en médecine. Ils auront trois enfants : Paul qui deviendra ingénieur, Albert qui deviendra oto-rhino et Jean-Louis qui sera diplômé en médecine sportive. > Albert Hustin fut un grand libre penseur et refusera même d’être nominé pour le prix Nobel mais en 1964 la distinction de Commandeur de l’Ordre de Léopold lui fut décernée. Il meurt à Bruxelles le 12 septembre 1967 et fut inhumé dans son village natal qui l’honorera en installera un musée « Albert Hustin ». Dr Loodts P. (1) Témoignages
sur les premières transfusions opérées pendant la Grande Guerre en France (La
Grande guerre du XX° siècle, 2°année, N°17, juin 1916, Maison de la bonne
presse, Paris) L'héroïsme
du Breton. C'est dans un hôpital de province. Il y a dans une chambre deux blessés. L'un d'eux se meurt d’hémorragies successives. On ne peut le sauver que par l'opération de la transfusion du sang. Mais qui voudra se dévouer ? Son voisin de lit, Isidore Colas, un Breton, presque rétabli de sa blessure, s'offre. Et pourtant il ne connaît pas celui pour lequel il va donner son sang. - Je ne pourrai pas vous endormir, dit le docteur. - Tant pis ! Allez-y. Et avec un courage inouï, il subit l'ouverture d'une plaie au bras, la souffrance qu'on devine et qu'il ne laisse pas paraître. L'opération est terminée. Celui qu'on espère sauver rassemble ses forces, mais ne peut parler. Il passe son bras sous la tête de celui qui vient de lui donner un peu de sa vie, le serre contre lui de toutes ses forces et l'embrasse avec deux gros baisers, bien forts, bien reconnaissants, pendant que des larmes coulent de ses yeux. Croyez-vous, dit la Guerre Sociale, qui raconte cette émouvante histoire, qu'une médaille militaire ne ferait pas bien sur ce cœur de Breton ? [Croix, 17 nov. 1914.] Fraternité
franco-belge. - Lettre ouverte à M. Millerand, ministre de la Guerre ! MONSIEUR LE MINISTRE, Lorsque vous connaîtrez l'acte touchant et si simplement beau que je veux vous signaler, vous m'approuverez certainement d'avoir voulu qu'il ne passe pas inaperçu. Le héros de ma belle histoire est un petit soldat français, atteint gravement aux deux jambes par un éclat d'obus et à peine remis de ses blessures. Cela s'est passé à l'ambulance que la générosité des Américains, amis de la France, a fondée à Neuilly, boulevard d'Inkerman, au lycée Pasteur. Le fait n'a pas eu une renommée retentissante; il est cependant digne de l'admiration de tous les Français et aussi de nos, héroïques amis les Belges, et tous mes compatriotes en seront justement fiers. Il s'agit, en effet, d'un Landais, un tout jeune de la classe 1914 : Louis Dehez, de Saint-Yaguen (Landes), soldat du 153e d'infanterie (régiment de Béziers). Un soldat belge, à côte de lui, grièvement blessé, allait mourir si un camarade ne consentait pas à se dévouer pour le sauver, en lui donnant par transfusion une partie de son sang. Louis Dehez, sans hésiter, a fait ce sacrifice pour son frère d'armes; il l'a arraché ainsi à la mort certaine, et dans les veines de ce héros belge coule désormais un peu de sang jeune, généreux et sain d'un bon petit Français. Louis Dehez a une âme simple de berger, qui trouve naturel son dévouement, et les félicitations unanimes de ceux qui l'entourent l'étonnent presque. Mais je trouve, moi, que l'acte généreux de notre jeune Landais consacre de façon splendide et délicieuse les sentiments d'admiration de la France entière À l'égard du vaillant peuple, si éprouvé pour avoir voulu sauvegarder son honneur et son indépendance ! Un soldat français donnant une partie de son sang à un soldat belge !... Quelle image plus saisissante et plus magnifique de l'union de deux peuples luttant ensemble pour la même cause sacrée: la liberté ! Louis Dehez est actuellement dans un dépôt de convalescents. Il y est l'objet de soins attentifs et délicats. C'est là que j'ai pu le voir, encore un peu pâle, et le féliciter chaudement. Pour moi, j'estime qu'il est bon que les Français, que les soldats de notre grand pays sachent ce bel acte d'un des nôtres: il est simple, mais il est d'une grandeur émouvante; il est, pour tout dire, bien français ! Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de ma considération la plus distinguée. PIERRE DEYRIS, député des Landes. [Bulletin des
Armées, 3-5 mai 1915.] Cet acte généreux vient d'avoir son émouvante réplique : Un
blessé français hospitalisé à Saint-Lô allait mourir; pour le sauver, il
fallait recourir à la transfusion du sang. Spontanément, le clairon Van de
Broeck, du 11e de ligne belge, grièvement blessé lors des
combats épiques livrés à Dixmude en octobre, s'offrit pour arracher son frère
d'armes à la mort. Ce double sacrifice affirme de la
manière la plus touchante la confraternité des soldats français et des soldats
belges. Leurs cœurs battent à l'unisson, et c'est le même sang - le sang des
braves - qui coule dans leurs veines. [Bulletin des Armées,
13-15 mai 1915] Quelques
prêtres « donneurs de sang ». L’ABBÉ MARME ET LE SOLDAT BRIAND. Lettre de M. l'abbé Bourrel,
curé de Liausson et infirmier militaire : Il
y a quelques semaines, arrivait à l'hôpital de Creil le soldat Briand: C'était,
comme on lui disait plaisamment à la salle d'opérations, « un vrai voleur aux
Allemands ». N'était-il pas, en effet, un trésor de mitraille ? N'en
avait-il pas sur lui une splendide collection ? Le brave s'était dévoué
sans compter, et son caporal a déclaré : « C'était bien un miracle qu'il
soit debout après tant d'héroïques actions. » A
son arrivée, Briand avait la jambe gauche fracturée, d'une façon horrible, et,
en plusieurs endroits, labourée profondément par des éclats d'obus; son pied
droit, près de la cheville, était aussi percé de part en part; c'était une
loque sans énergie. Mais
bientôt, au contact de l'infirmier de salle, comme des autres malades devenus
vite ses amis, l'énergie revint. Et d'ailleurs, le mieux était réel, les majors
referaient un peu la pauvre loque. Sauver
la vie d'abord, puis le membre s'il est possible, telle est la ligne de
conduite de nos majors aussi dévoués que consciencieux. Mais
les jours, les semaines s'écoulent, et, malgré tous les soins, malgré toute la
science, le pauvre héros, ranimé un instant par la visite de sa chère femme, va
en s'affaiblissant. Tous les pansements font découvrir de nouveaux foyers
d'infection: débris de pantalon, de verre, de capote que les éclats d'obus
entraînent avec eux. Le
jeudi 8 avril [1915] et le lendemain, l'état du pauvre blessé devient
inquiétant. Le samedi, l'infirmier, qui aime et soigne ses
malades comme un frère, s'alarme; les majors déclarent
l'amputation nécessaire, le pauvre blessé s'y résout bien vite, il souffre tant. L'opération
a lieu le dimanche matin dans des conditions excellentes. Mais la faiblesse
de l'amputé gagne à tout instant. Le mercredi matin 14 avril,
le malade est si bas que le major désespère, et le brave
infirmier aussi. Les docteurs, toutefois, voient encore une chance, une
seule... et peut-être... la transfusion. L'infirmier, l'abbé Marme, que les élèves du collège catholique de
Cette aiment tant, de dire aussitôt : -
Monsieur le major, je le puis. Le
major ne veut pas. Les majors se refusent à priver le service d'un infirmier
qu'ils ne sont pas les seuls à apprécier. A
l'admiration de toute âme française s'offre alors un véritable duel de
dévouement. Le docteur confie à l'infirmier-major, un caporal prêtre, de lui
trouver quelqu'un qui veuille se dévouer. Le caporal s'offre aussitôt. Et
alors ? Alors l'infirmier-major fait valoir qu’il peut, après la
transfusion, continuer très bien son service, qu’il est prêt à se dévouer pour
sauver un camarade, un père de famille. L'infirmier fait valoir ses droits
indiscutables à ce dernier acte de charité à l'égard des blessés qu'il soigne de
tout son cœur sans trêve ni repos. Duel sublime... Le major, hésite, les deux
prêtres insistent, tout le monde attend. L’infirmier l’emporte. Mercredi soir
14 avril, vers 3 heures, couché côte à côte sur les tables d'opération avec le
pauvre blessé, le plus malade de sa salle, donc le plus gâté, l'abbé Marme donne généreusement son sang pour ce soldat qu'il
désire conserver à sa famille et à la France. Hélas ! La faiblesse du pauvre
Briand est trop grande, il ne peut s'assimiler ce sang généreux, plus généreusement
donné encore. Le lendemain, presque à la même heure, à peine Mme Briand, à qui
cette prolongation de vie a permis d'arriver, a-t-elle déposé sur le front aimé
: un baiser d'adieu, que le héros s'endort pieusement pour aller là-haut
recueillir la couronne des braves. Et de là-haut, sans doute, il laisse tomber
avec sa protection quelques brindilles de laurier sur le cher infirmier, qui à
tout prix voulait encore le retenir ici-bas. [Sem. Rel. de Montpellier, 1e mai
1915.] S. Em. le cardinal de Cabrières, évêque de Montpellier, écrivait à l'abbé Marme, quelques jours après : MON CHER
AMI, Vous pensez bien que je m'étais associé déjà
aux éloges si mérité qui vous ont été décernés par vos chefs militaires et
spécialement par M. le général commandant de la deuxième armée, M. de
Castelnau. L'acte généreux que vous avez accompli en donnant de votre sang tout
ce qui paraissait nécessaire au chirurgien pour rendre possible la guérison
d'un blessé est de ceux qui suscitent partout un mouvement d'admiration. Les
témoins de votre sacrifice n'ont peut-être pas tous senti comme vous-même,
comme vos confrères prêtres, l'honneur que vous aviez de reproduire ainsi
sensiblement quelque chose de ce que Notre-Seigneur a fait une fois pour nous
sur le Calvaire et renouvelé chaque matin, quand nous célébrons la messe. C'est, mon ami, à cette école mystique que,
sans vous en rendre compte, vous avez appris cet échange du sang qu'il vous a
été donné de réaliser et qui vous a mérité l'étonnement et la vive sympathie de
vos camarades de l'armée. Je
vous remercie, mon ami, comme je remercie tous vos confrères de l'Hérault, qui
rivalisent avec vous d'ardeur, de dévouement et d'endurance ; je vous
remercie de faire honneur ainsi à votre diocèse et de préparer avec tous ,les
prêtres de France mobilisés et employés aux armées la seule réponse qu'il
faudra faire aux sectaires, aujourd'hui mornes et soumis, et qui se promettent
de célébrer nos méfaits militaires et politiques d'une voix
retentissante : « Montrez, Messieurs, vos états de service. Où étiez-vous
quand on se battait ou quand, près du front, on soignait les blessés, exposé à
l'être soi-même ? Quand avez-vous été cités à l'ordre de vos régiments et
de l'armée ? » Votre
citation, mon ami, celles de vos confrères déjà venues ou à venir, sont pour
nous un sujet d'orgueil légitime, et notre modeste Semaine sera fière de la
publier. Croyez, mon cher Marme,
à mon paternel attachement et à mon respect en Notre-Seigneur. Le cardinal DE CABRIERES, Evêque de
Montpellier. [Sem. Ret. Montpellier.
mai 1915.] Voici le texte de la citation de l'abbé Marme à l'ordre du jour de l'armée du 25 avril 1915
(Journal Officiel, 20 mai 1915) : MARME (LÉOPOLD), infirmier à l'hôpital d'évacuation n° 16
: Fait preuve
depuis le début de la campagne de la plus intelligente initiative et du plus
absolu dévouement. A demandé avec insistance d'être choisit comme « donneur» de
sang au cours d'une transfusion qui seule pouvait sauver un blessé de la salle
dont il avait la garde. M.
L'ABBÉ BOURDONCLE ET LE SOLDAT BEAU Au matin du 23 février [1915],
arrive à l'hôpital de Creil le soldat Beau, du… d'infanterie de Châteauroux ;
un obus, à Poperinge, lui avait emporté l'index de la main droite et... la
jambe gauche; une double hémorragie fort abondante avait suivi; il ne lui
restait plus que quelques heures à vivre. Les
majors ne voient aucun moyen de le sauver, ou plutôt il y en aurait un, mais
héroïque, la transfusion du sang. Or, s'il est des héros, et par milliers, dans
l'armée française, il semble qu'ils doivent leur sang à la défense de la patrie
pour laquelle le soldat Beau vient de perdre un membre, et le moyen de la
défendre encore. Mais
Beau est père de famille et il laisse femme et enfant. Un
soldat infirmier qui écoute, grave, la déclaration des majors, a vite fait de
prendre sa décision : l’héroïque charité, lui semble-t-il, ne peut entrer en
conflit avec le devoir patriotique: il offre son sang à transfuser au pauvre
blessé, Les majors qui entendent la généreuse proposition de l'infirmier ont
devant eux un robuste Aveyronnais ; ils le félicitent de son beau geste, mais
ne lui laissent pas ignorer le danger qui en résultera pour lui. - Je
m'abandonne à la Providence, répondit notre infirmier. Ecoutons
l'abbé Bourdoncle raconter lui-même à sa famille ses
impressions pendant qu'il donnait si généreusement son sang ; Je suivis l'opération, dit-il, sans trop
d'émotion, mais avec un peu de souffrance. Je savais le danger que je courais:
si, par malheur, un caillot de sang s'était formé et avait pénétré dans mon
artère, c'en était fait de moi; vous ne m'auriez plus revu. Mais je me suis
abandonné entre les mains de la Providence. Elle a permit que tout aille à
souhait. Le blessé était sauvé, il est revenu petit à petit à la vie,
l'hémorragie n'est plus à craindre : au bout d'une semaine, il était hors de
danger, et tous les jours il mange une bonne côtelette. Ce
n'a pas été sans souffrance pour moi; j'ai passé une nuit dans des douleurs
cuisantes, car l'artère ayant été sectionnée et ligaturée par ses deux bouts,
le sang devait se frayer d'autres issues à travers les veines ; mais,
petit à petit, la circulation s'est rétablie, la plaie s'est refermée, et deux
semaines après me voilà à peu près remis. Je suis on ne peut plus satisfait de
voir que mon sacrifice n'a pas été inutile. Et il raconte ça, le bon abbé Bourdoncle, simplement, naturellement, tout heureux seulement,
vous le voyez, d'avoir exposé sa vie pour sauver celle d'un soldat français
père de famille. Car
le soldat Beau, natif de l'Indre, âgé de trente-deux ans, est marié et père
d'un petit garçon de dix-sept mois. Sa femme est venue le voir, la semaine
dernière, et vous jugez de sa joie et des remerciements qu'elle a exprimés
lorsqu'elle a connu l'acte d'héroïsme qui, lui valait de pouvoir encore
embrasser son mari… On nous dit que l'abbé Bourdoncle sera prochainement cité à l'ordre du jour : je
doute que toutes les récompenses qui pourront lui être décernée dans la suite
vaillent pour son âme de prêtre et de Français la satisfaction qu'il éprouve
aujourd'hui en songeant que, grâce à lui, il n'y aura pas d'orphelin au foyer
de son nouveau frère, le soldat Beau, du 90e d'infanterie. [Sem. Rel. Bourges.
24 avril 1915.] Du Journal Officiel (28 mars 19l5), parmi les citations à
l'ordre du jour de l'armée du 3 mars 1915 : BOURDONCLE (JOSEPH-BASILE), soldat à la 16e section
d'infirmiers militaires, infirmier à l'hôpital d'évacuation n° 16 : Consciencieux et
zélé en tout temps, s'est spontanément offert, le 23 février : 1915, pour
fournir le sang nécessaire « une transfusion effectuée sur un blessé arrivé à
l'hôpital d'évacuation, exsangue et dans un tel état de faiblesse générale que
la survie obtenues est manifestement due à son généreux dévouement. C'est à Creil
même que les deux prêtres infirmiers, MM. Marme et Bourdoncle, ont reçu la croix de guerre des mains du
commandant de dragons Jobert. Voici en quels termes
la Semaine de l'Oise, journal radical-socialiste de Creil, raconte cette
émouvante cérémonie : Le samedi 19 juin [1915], nous avons
assisté, à Creil, à une émouvante cérémonie. A
9 heures du matin, une compagnie d'infanterie et les militaires chargés du
service des ambulances avaient été convoqués sur la place Albert-Dugué, en face l'église, pour être présents à la remise des
croix de guerre qui avaient été précédemment accordées à deux militaires cités
à l'ordre du jour de l'armée pour leur belle conduite. A
9 heures précises, M. le commandant de dragons Jobert,
escorté de M. le capitaine Bontoux, arrive sur la
place et passe la revue des troupes qui sont sous les armes. Les
tambours battent « aux champs ». Au nom du président de la
République, M. le commandant Jobert remet la croix de
guerre : 1°
A M. l'abbé Marme, préfet des études du collège
catholique de Montpellier. 2°
A M. l'abbé Bourdoncle, vicaire à Marcillac
(Aveyron), tous deux ambulanciers à l’hôpital militaire de Creil. MM. les abbés
Marme et Bourdoncle ont
généreusement offert et donné leur sang pour faire la transfusion à deux
militaires blessés qui se trouvaient à l'hôpital de Creil. Une
petite fille de Creil, la jeune Pauline Rodwick,
s'avance et offre une gerbe de fleurs aux nouveaux médaillés. Les
tambours battent « aux champs », la troupe rentre dans ses
casernements ; la foule, fortement impressionnée, se retire, non cependant sans
aller serrer la main de ces braves qui ont fait si généreusement le sacrifice
de leur sang pour sauver leurs semblables. Nous n'avons pas voulu laisser passer
cet événement, si simple en apparence, si impressionnant en réalité, sans
adresser à ces braves soldats et à ces courageux aumôniers nos sincères et
chaudes félicitations. M.
L'ABBÉ BALLOUARD Dans une ambulance où se trouve
comme infirmier M. l'abbé Toussaint Ballouard,
aumônier des Sœurs de la Groix, de Tréguier, un malade se trouvait en danger de
mort par suite de la perte presque totale de son sang. Les médecins ne virent d'autre moyen de
le sauver que de lui infuser du sang puisé dans les veines d’un homme bien
portant. Ils demandèrent des volontaires; il s’en présenta deux. Le premier
était un étudiant de l'Université catholique de Louvain ; l'autre, M. l'abbé Ballauard. L'étudiant relevait de maladie, ce fut
le prêtre qui fut choisi, et, grâce à son dévouement, le malade est maintenant
sauvé. L'opération de la transfusion du sang n'est pas extrêmement douloureuse,
à ce qu'il paraît, mais elle produit chez celui qui donne son sang une
impression d'angoisse mortelle et une faiblesse qui dure, si vous avez encore
besoin de sang, vous pouvez continuer. Et sur cette insistance
on prolonge la transfusion jusqu'à douze minutes. Je crois, Monseigneur, que tout
commentaire affaiblirait la sublimité de cette simplicité dans la bonté et le
dévouement. Tous ceux qui ont assisté à l’opération étaient heureux d'avoir,
pour expliquer les larmes dont leurs yeux étaient remplis, le motif des obus
asphyxiants qui tombaient à moins de cent mètres de la salle d'opération. [Sem. Cath. Toulouse. 4 juin. 1915.] M.
L'ABBÉ BALLOUARD Le samedi 19 juin [1915], nous avons assisté, à Creil, à
une émouvante cérémonie. A
9 heures du matin, une compagnie d'infanterie et les militaires chargés du
service des ambulances avaient été convoqués sur la place Albert-Dugué, en face l'église, pour être présents à la remise des
croix de guerre qui avaient été précédemment accordées à deux militaires cités
à l'ordre du jour de l'armée pour leur belle conduite. A
9 heures précises, M. le commandant de dragons Jobert,
escorté de M. le capitaine Bontoux, arrive sur la
place et passe la revue des troupes qui sont sous les armes. Les
tambours battent « aux champs ». Au nom du président de la
République, M. le commandant Jobert remet la croix de
guerre : 1°
A M. l'abbé Marme, préfet des études du collège
catholique de Montpellier. 2°
A M. l'abbé Bourdoncle, vicaire à Marcillac
(Aveyron), tous deux ambulanciers à l’hôpital militaire de Creil. MM. les abbés
Marme et Bourdoncle ont
généreusement offert et donné leur sang pour faire la transfusion à deux
militaires blessés qui se trouvaient à l'hôpital de Creil. Une
petite fille de Creil, la jeune Pauline Rodwick,
s'avance et offre une gerbe de fleurs aux nouveaux médaillés. Les
tambours battent « aux champs », la troupe rentre dans ses
casernements; la foule, fortement impressionnée, se retire, non cependant sans
aller serrer la main de ces braves qui ont fait si généreusement le sacrifice
de leur sang pour sauver leurs semblables. Nous n'avons pas voulu laisser passer
cet événement, si simple en apparence, si impressionnant en réalité, sans
adresser à ces braves soldats et à ces courageux aumôniers nos sincères et
chaudes félicitations. M.
L'ABBE ADRIEN PRUVOST Un
de nos prêtres, infirmier à la..., ambulance du 1er corps
d'armée, rentrait de permission le jeudi 21 octobre [1915]. Il
aperçoit, dans la salle dont il est chargé, un blessé qui avait perdu beaucoup
de sang. Le médecin-chef cherchait des yeux un homme de dévouement. Notre
infirmier s'offre spontanément : quelques minutes après, on lui ouvrait
l'artère radiale, et son sang généreux ramenait la vigueur dans le corps épuisé
de son pauvre camarade. On
félicite le jeune héros, on veut le proposer pour la croix de guerre; mais lui,
modestement, se contente de dire : -
J'ai fait mon devoir de soldat et de prêtre. M. l'abbé Adrien Pruvost,
vicaire de Lillers, permettra du moins à ses confrères du diocèse d'Arras
d'applaudir à son geste. [Croix du
Pas-de-Calais, 7 nov. 1915] LES
ABBÉS PERROCHAIN ET GODARD A l'hôpital n° 9 de Fontenay-le-Comte, le
chirurgien en chef, M. Chastenet, se voyait obligé
d'amputer le bras à un blessé menacé de gangrène, Léonisse
Midey, âgé de trente et un ans. Mais ce blessé était
tellement fatigué que le docteur ne vit de salut pour lui que dans la
transfusion d'un sang plus généreux. Deux infirmiers et un autre blessé
s'offrirent à donner le leur. Le chirurgien opta pour l'un des infirmiers,
l'abbé Henri Perrochain, missionnaire diocésain de
Luçon. L'opération
a merveilleusement réussi. A l'hôpital mixte de Caen venait d'être
amputé d'une cuisse et trépané un soldat blessé, âgé de quarante-deux ans, père
de sept enfants. Sa faiblesse était telle à la suite de ces opérations que le
chirurgien, M. Auvray, jugea nécessaire pour le
sauver, de pratiquer la transfusion du sang. Un prêtre, M. l'abbé Godard,
ancien vicaire d'une paroisse de Caen, depuis curé aux environs, et qui soigne
avec un grand dévouement les blessés, s'offrit spontanément pour donner son
sang. Il supporta avec un beau courage l'opération. Le blessé va beaucoup mieux
et paraît tout à fait hors de danger. Le généreux prêtre recouvre peu à peu ses
forces, heureux d'avoir pu, par son sacrifice, sauver la vie d'un combattant. [Croix de l'Isère, 19 nov. 1915.] L'abbé Perrochain
a été cité à l'ordre du jour en ces termes (déc. 1915) : PERROCHAIN,
soldat infirmier à l'hôpital n° 9, à Fontenay-le-Comte : Infirmier héroïque, qui n'a pas hésité à se prêter à
l'opération délicate de la transfusion du sang sur un malade de l'hôpital.
L'opération a très heureusement réussi. M.
L'ABBÉ JUHEN ET LE SOLDAT LOUIS DUBOIS Le soldat Dubois Louis, du 11e de
ligne, était en traitement à l'hôpital mixte du Creusot, pour une fracture de
la jambe gauche, nécessitant, de façon urgente, l'amputation. Mais cette
amputation était considérée comme impossible en raison de l'état de faiblesse
du blessé, qui avait perdu une quantité de sang si considérable que cela seul
constituait déjà pour lui un danger de mort. Un unique espoir demeurait : la
transfusion du sang. M.
l'abbé Juhen, curé de Jambles,
près de Chalon-sur-Saône, et mobilisé comme infirmier dans notre ville, offrit
courageusement son sang pour sauver le malheureux agonisant. La
dangereuse et difficile opération eut lieu la semaine dernière avec un plein
succès, et trois jours après, le blessé put subir l'amputation de la jambe
broyée. Quant à M. l'abbé Juhen,
il dut s'arrêter pendant quarante-huit heures, car, en plus de la faiblesse
occasionnée par la douloureuse intervention supportée par lui avec un admirable
courage, un peu d'infection s'était déclarée. Aujourd'hui, tout danger a
disparu pour lui, et le prêtre soldat a voulu reprendre ses occupations
d'infirmier. [Réveil du
Charollais, 30 avr.1915.] « Je
sais que cela fera plaisir à mon fils. » La scène est d'hier. A l'ambulance
américaine installée au collège, de Juilly, un blessé perd son sang en
abondance. Sa faiblesse est extrême et l'on peut craindre un dénouement fatal.
Les docteurs décident de tenter l'opération délicate de la transfusion du sang. Aussitôt, un caporal du 3e zouaves,
Aimé Verdura, originaire de Marseille, s'offre pour
sauver son camarade, lui aussi zouave. Et comme on fait remarquer qu'il faudra
peut-être une transfusion assez considérable; Verdura
répond : - Prenez
tout le sang qui sera nécessaire. Il se couche alors auprès du moribond, et
pendant une heure et demie, donne son sang avec le plus grand calme. Comme
on le félicitait, ce brave, déjà décoré de la médaille du Maroc et dont le bras
a été fracassé dans les tranchées, a simplement ajouté : -
J'ai trois enfants, là-bas; je suis heureux d'avoir été assez vigoureux pour
sauver mon camarade, car je sais que cela fera plaisir à mes fils. Cette
réponse, où l'on découvre que l'amour de la famille, loin d'être un obstacle à
l'héroïsme chez nos troupiers, leur est un stimulant, ne vaut-elle pas les plus
beaux traits de l'antiquité ? Grâce
au caporal Aimé Verdura, le blessé est aujourd'hui
hors de danger, et son sauveur, que cette douloureuse opération n'a nullement
affecté, promène à travers les fraîches allées du parc de Juilly le bon sourire
de ces magnifiques soldats, terribles aux Allemands, mais si tendres pour leurs
frères d'armes. [Echo de Paris. 8
juin 1915.] « Je
donne mon sang, je ne le vends pas ! » C'est une scène véritablement
touchante que celle qui s'est passée dans l'un des hôpitaux de la Croix-Rouge,
à Biarritz : Un
des salons du Grand Hôtel a été transformé en salle d'hôpital. Autour d'un lit
où est étendu un jeune gars: normand, aussi blanc que l'oreiller sur lequel
repose sa pauvre tête endolorie, des infirmières s'empressent. Le chirurgien,
silencieux, recueilli, regarde cet enfant dont la vie semble peu à peu fuir le
corps meurtri, puis, tout à coup, il dit, comme se parlant à lui-même : -
Il est trop exsangue pour tenter une opération, il faudrait une transfusion du
sang. Mais qui ? Comment ? Il
regarde autour de lui et ne voit que d'autres blessés, quelques rares rescapés
qui sont près de leur camarade presque moribond. Mais voilà un de ces rescapés,
tout jeune, lui aussi, mais déjà remis, les joues roses, les yeux brillants de
la joie que donne le retour à la santé, qui a entendu les paroles du docteur.
Hésitant, gauche, il s'approche et, d'une voix que l'émotion rend un peu rauque
: -
Comme ça, si vous voulez, Monsieur le docteur, dit-il, vous pouvez en prendre
de mon sang pour le camarade. Il
n'est plus temps d'hésiter, le médecin fait l'incision, la transfusion
s'effectue et nous voyons peu à peu les joues et les lèvres du soldat normand
se colorer, ses yeux s'ouvrent lentement. Puis, avec les forces, l'intelligence
revient; il regarde le Breton et murmure : -
Ben, maintenant que j'ai de ton sang, nous sommes frères, pas vrai ? L'opération
pourra se faire, et un Français de plus sera conservé, à la patrie menacée.
Pendant ce temps, les quelques témoins de cette émouvante scène se sont
empressés autour du soldat breton et ont fini par savoir qu'il est orphelin et
sans le sou. On se consulte dans l’embrasure d'une des grandes baies, d'où l'on
voit l'océan aux vagues agitées, et peu : après une quête se fait et on remet à
l'habile chirurgien la somme de 500 francs pour le brave petit Breton qui,
spontanément, simplement, vient de nouveau de verser son sang, pour la France.
Ravi de pouvoir offrir, pas comme récompense, mais comme preuve de la sympathie
que sa belle action lui a acquise, le docteur s'approche du petit soldat et,
avec quelques mots émus, lui tend les billets bleus et blancs. Geste
de refus du Breton, insistance du docteur. Nouveau refus, et le jeune héros de
dire : - Non, merci bien tout de même; Monsieur le
docteur ; je donne mon sang, je ne le vends pas ! [Croix de
Saône-et-Loire. 13 juin 1915.] « Un
professionnel du dévouement. » Le petit Breton va mourir, non
point que sa blessure soit grave, mais elle a provoqué plusieurs hémorragies et
tout son sang s'en est allé ; le peu qui lui en reste est sans vigueur, les
globules rouges ont fui. Le
petit Breton va mourir; mais quoi, laisser s'éteindre ainsi un gars de vingt
ans, bien constitué et qui ne demanderait qu'à vivre, faute d'huile dans la
lampe ? Ne trouvera-t-on pas un peu de sang bien rouge, bien vif, qu'on
lui infusera dans les veines, et qui lui permettrait d'attendre le rétablissement
certain que ne manqueront pas d'amener la nourriture fortifiante et un long
repos ? Pierre
est déjà convalescent. A la Maison du Passeur, une balle lui a traversé le
bras, occasionnant une fracture simple. La plaie se cicatrise à merveille, pas
trace d'infection. C'est que Pierre est un solide gaillard, robuste, bien
charpenté; un individu sain, de corps et d'âme. Il suffit de le regarder en
face, une seconde, pour en être tout de suite convaincu. Il est très fort et
très bon, un peu téméraire parfois. Là-bas, il s'est conduit en héros, ne
faisant en cela que suivre une habitude déjà ancienne : plusieurs médailles de
sauvetage sont là pour l'attester c'est un professionnel du dévouement. Aussi, sans hésitation, est-ce à lui tout
d'abord que le chirurgien est allé exposer le cas du petit Breton. Pierre n'a
pas été long à comprendre. Voici qui est bien. Il est « costaud » pour
deux, un autre profitera de sa vitalité débordante. Les
fortes ampoules électriques de la salle d'opérations laissent tomber une
lumière crue sur un petit visage chiffonné, exsangue. Un soupçon de moustache
jaunâtre, des dents jaunâtres, mal plantées, irrégulières, écartées, des lèvres
et des gencives décolorées. A
voir ce pauvre visage, ce cou, ces bras d'un blanc cireux, plus blafards encore
sous la lumière éclatante des cent bougies, on peut se demander si l'on a
devant soi un être vivant ou un cadavre. Mais
non, le petit Breton n'est pas encore mort ; il respire, faiblement ; il va
falloir agir vite. A
la face extérieure du bras gauche étendu, une piqûre de novocaïne produira
l'anesthésie locale. L'incision faite, quelques gouttes d'un liquide à peine
rosé tachent la serviette. Ça, du sang ? C'est difficile à croire. Pierre
s'amène en voisin, chemise de flanelle et pantoufles, très calme, malgré
l'atmosphère particulière du lieu. Il s'allonge, comme on le lui demande, sur
une seconde table, tend le bras. Une piqûre de novocaïne l'empêchera de sentir
la douleur, mais lui laissera toute sa lucidité et, avec une attention
constante, sans un geste de nervosité, il suivra toutes les péripéties de ce
drame où il est à la fois acteur et spectateur. L’artère
mise à nu, on décide d'essayer un nouvel appareil dont on dit grand bien; une
sorte d'éprouvette qui agit à la façon d'une pompe aspirante. Et le sang riche
et coloré de Pierre monte et se précipite, envahit le flacon bientôt plein du
précieux liquide vermeil. Il s'agit maintenant de faire passer le sang qu'il
contient dans les veines appauvries du petit Breton. Hélas ! La pompe qui
aspirait si bien ne semble pas vouloir refouler ! Moment d'angoisse… Les
secondes sont précieuses. Elles tombent l'une après l'autre dans le silence, et
le sang de Pierre est coagulé dans l'éprouvette. Tout est à recommencer. Mais
cette fois on suivra la vieille méthode, féconde en bons résultats. On
rapproche les deux tables jusqu'à ce que les bras des hommes se touchent. Tout
près, plus près. Pénétration intime et émouvante s'il en fut. Le
sang de Pierre, sans intermédiaire, cette fois, bondit dans le corps du petit,
s'en va jusqu'au cœur, qu'il emplit. Les veines du cou se gonflent légèrement,
la peau se teinte, les artères des tempes se mettent à battre; le miracle
s'accomplit. Et Pierre, chaque jour, rend visite à son «
enfant », qui renaît graduellement à la vie. Ah !
Le beau regard mouillé de reconnaissance, de dévouement absolu que le petit
Breton tourne vers son sauveur ! ALICE
LAMAZIÈRE. [Revue
hebdomadaire, 17 juin. 1915.] «
C'est de la bonne marchandise que je te livre là. » Lettre d'une religieuse de l'A. : M...,
septembre 1915. Dans
une de nos grandes ambulances arrivait dernièrement un jeune soldat de
Tourcoing: grièvement blessé, il fallut l'amputer d'une jambe et peu après, à
la suite d'une violente hémorragie, le docteur jugea la transfusion du sang
nécessaire. Il se rend dans la partie de l'ambulance réservée aux mécanos
(blessés qui font de la mécanothérapie) et demande : « Qui veut donner son
sang ? » Prêts à le verser pour la France, ces braves n’hésitent pas
davantage à se sacrifier pour un de leurs frères d'armes : tous les doigts se
lèvent : tous s'écrient : « Moi ! Moi ! » Le docteur choisit un petit
trapu, gouailleur, qui criait plus fort que les autres : pendant l'opération,
tandis qu'avec son sang ses forces l'abandonnent : « Tu sais, mon vieux, dit-il
à son camarade, c'est de la bonne marchandise que je te livre là, tu en seras
content ! Ca vaut cher ! » Depuis
ce jour, une affection toute fraternelle unit ces deux hommes, le premier
chrétien fervent l'autre libre penseur se vantant de ne croire à rien. Et Dieu,
le grand médecin, opéra une plus merveilleuse transfusion : la foi de l'un
passa au cœur de l'autre : il promit de communier sitôt son ami rétabli ; mais
il n'attendit pas la guérison tant souhaitée : le 15 août, crânement comme il
fait toute chose, on pouvait le voir s'agenouiller à la sainte Table. Le petit
blessé est toujours calme et souriant, le docteur a dû lui amputer la seconde
jambe ! Au milieu d'atroces souffrances il demandait, une nuit, à la Sœur
qui le veillait : - Ma Sœur, on dit qu'il faut des victimes
pures ; croyez-vous que je sois assez pur pour être une de ces victimes
choisies ? [Communiqué à la
Grande Guerre du XXe Siècle.] |