Médecins de la Grande Guerre
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L'abbaye de Valloire (France) : un
ancien hôpital militaire belge Le sergent De Vrin Vue de L'Abbaye de Valloires.(Photo F. De Look) Je découvris l'abbaye de Valloires durant les vacances de Pâques 2OOO[1]. Ma visite n'était pas due au hasard. Ce vénérable endroit de toute beauté, situé dans la vallée de l'Authie, petit fleuve côtier entre Picardie et Artois, avait servi d'hôpital militaire belge[2] durant la Grande Guerre et j'avais résolu de m'y rendre dans l'espoir de retrouver quelques souvenirs des soldats belges qui y avaient séjourné. Les bâtiments, notamment le cloître et la chapelle, pouvaient être visités et c'est avec une certaine impatience que j'attendis l'heure de la visite guidée. Je ne fus pas déçu : une guide aussi enthousiaste que compétente me présenta ce qui subsistait de l'époque où des médecins belges et leurs patients occupaient l'abbaye. Il y avait notamment une magnifique peinture représentant le chœur de l'abbatiale réalisée en 1916 par le Belge Baillière A. et, choses beaucoup plus modestes, des traces de la peinture bleue appliquée par les Belges sur les murs et colonnes du cloître qui avait servi de salle d'hospitalisation. Anecdote amusante rapportée par ma guide : la couleur bleue avait sa raison d'être dans un hôpital : elle était considérée à l'époque comme un bon moyen de faire fuir les moustiques... Le cloitre. (Photo F. De Look) Ces quelques
souvenirs précieux représentaient cependant bien peu de
choses quand il fallait évoquer le séjour de centaines des soldats belges à
Valloires. Les Belges n'avaient-ils pas laissé à la postérité d'autres
souvenirs ? J'avais remarqué, gravés sur le long mur qui séparait le
jardin de l'abbaye de la route nationale, d'innombrables graffitis qui
témoignaient des hommes et des femmes qui avaient côtoyé ces lieux.
Peut-être s'en trouvaient-ils quelques uns écrits par les soldats belges
? A deux reprises, j'examinais ces innombrables inscriptions dont
certaines remontaient au 19e siècle. Des centaines de touristes et
d'amoureux avaient voulu laisser à Valloires un souvenir pour
la postérité mais, pour une raison inconnue et à mon grand dépit, aucune
ne semblaient provenir des soldats belges ! Un an plus tard, le 5 mai 2001, j'eus l'opportunité de retourner une nouvelle fois à Valloires. A l'invitation du Président de l'Association de Valloires, Monsieur J. F. Camus, je donnai ce jour là une conférence bien à propos sur la "Présence des belges en France pendant la guerre 14-18". Ce séjour fut en quelque sorte providentiel car, durant celui-ci, je fus conduit par le plus grand des hasards à reprendre des recherches qui débouchèrent sur un résultat inespéré. Les circonstances de cet évènement méritent d'être racontées : la conférence avait été prétexte à un magnifique week-end de détente pour mon épouse, un couple d'amis et moi-même. Quand le terme de notre escapade approcha, nous dûmes nous résoudre à plier bagages et à quitter nos magnifiques chambres d'hôtes situées dans le quartier de l' "Abbé" . Nous convînmes alors de nous retrouver, nos valises faites, devant la porte de l'hôtellerie afin de nous dire au revoir. Arrivé le premier sur les lieux convenus et après plusieurs minutes d'une vaine attente, je pris le parti d'examiner à tout hasard les murs extérieurs de l'église abbatiale qui s'élevait à proximité... Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, derrière la végétation qui cachait le mur ouest de la nef, les mots gravés "Yser" et "Anvers". Il n'y avait aucune confusion possible : Je venais de découvrir les souvenirs cachés, dont j'avais pressenti l'existence, des soldats belges hospitalisés dans l'abbaye. Une joie peu banale m'envahit en même temps que l'impression fugace mais réelle qu'il n'y avait dans cette découverte aucun hasard et que ces inscriptions avaient été écrites pour être lues ce jour même. Un lien venait de s'établir entre deux générations d'hommes que séparaient plus de 80 ans. L'une des inscriptions attira plus spécialement mon attention : elle était aussi complète qu'une carte d'identité militaire car elle renseignait outre le nom du soldat (De Vrin), son bataillon (le troisième chasseur à Pied) et son numéro de matricule (57 697). Nom du soldat (De Vrin), son bataillon (le troisième chasseur à Pied) et son numéro de matricule (57 697). (Photo F. De Look) Mon ami m'ayant
rejoint ainsi que nos épouses, nous éprouvâmes devant ces mots gravés
une grande compassion pour ce compatriote qui surgissait du passé.
Quelques instants après, avec une grande émotion nous informèrent une
guide de l'abbaye de notre découverte. Après l'avoir conduite devant l'inscription,
nous la laissâmes quelques instants stupéfaite et émerveillée avant
de lui dire adieu : il temps de
retourner au pays... Sur la route qui nous ramenait en Belgique,
mes pensées me ramenèrent encore vers les soldats belges blessés de
Valloires et vers nos amis français qui les avaient accueillis. J'entrevis
aussi pourquoi, l'année précédente, je n'avais pas découvert des
inscriptions de nos soldats sur le mur du jardin : les blessés belges en
convalescence n'étaient sans doute pas autorisés à s'éloigner des bâtiments !
Certains d'entre eux jetèrent alors leur dévolu sur les murs
extérieurs de l'abbatiale beaucoup plus accessibles car
situé à 30 mètres du cloître dans lequel ils étaient
hospitalisés... Le souvenir laissé par le Belge De Vrin prit en août 2001 une dimension encore plus précieuse grâce au dossier militaire du blessé belge De Vrin que nous avons retrouvé aux Archives du Musée de la Guerre à Bruxelles. Désormais, nous pouvons découvrir quel fut le visage et la vie du soldat qui se cache sous l'inscription gravée en 1917 et redécouverte en 2001. De Vrin à la 3ième compagnie des mitrailleurs à Autingues-Lez-Ardes De Vrin
Gustave est né à Anvers le 15 juillet 1890 et y exercera le métier d'agent de
change. Le 15 mars 1915, à l'âge de 24 ans, il rejoint Calais, s'engage
et est incorporé au C.I.M. d'Autingues (côte d'Opale)
dans lequel il restera un mois avant de rejoindre le C. I. M. d'Oye pour y
recevoir la formation complémentaire de mitrailleur. Gustave est décrit
comme un homme d'un mètre 69, aux yeux bleus, aux cheveux blonds et
portant une mouche à la joue droite. Le 14 août 15, sans doute malade, il est
envoyé un mois en convalescence au camp du Ruchard qu'il quittera le 17 juillet
1915 pour rejoindre le 3e chasseur à pied. En décembre 1916,
il passe au 6e chasseur à pied. Le 9 janvier 1917, il est blessé et
évacué sur l'ambulance de l'Océan (Hôpital militaire belge situé à La Panne).
Le 10 janvier 1917, un médecin de cette formation médicale transmet au
Commandant du 6e chasseur l'avis de présence de Gustave à l'hôpital
en mentionnant la nature exacte de la blessure : "Plaies
pénétrantes au niveau de la partie moyenne de la face externe de la jambe
gauche, éclats restés. Plaie superficielle cuisse gauche." Il est fait mention
dans son dossier militaire "qu'étant aux tranchées en C 6 , il a
été gravement blessé à la jambe gauche et à la cuisse par des éclats d'obus qui
l'ont atteint en pénétrant par la porte de l'abri." Gustave soldat exemplaire, est proposé le 18 janvier 1917
pour une citation à paraître dans les O. J. D. (ordres journaliers
divisionnaires) : "Soldat d'une conduite
exemplaire, a toujours donné à ses camarades sur lesquels il possède un grand
ascendant moral, l'exemple de la bravoure au feu et du calme devant le danger,
a été grièvement blessé aux tranchées par éclats d'obus". Cette proposition de citation est jugée
favorable par son commandant de compagnie qui écrit : " Ce
soldat par sa conduite aussi bien au cantonnement qu'aux tranchées, a toujours
donné entière satisfaction à ses chefs. Par son instruction comme par son
patriotisme, il exerçait une grande et saine influence sur ses camarades." Hospitalisé
pendant près de trois mois à l'hôpital l'Océan, il est autorisé à
partir le 27 mars 17 en convalescence à l'abbaye de Valloires. En
mai 1917, Gustave est décoré de la Croix de Guerre (A.R du 17 05 17) et
est muté au C. I. A. d' EU d'où il rejoindra finalement en août 17, le S.
A. T. B. H.[3] dans
la ville du Havre. Il restera dans cette unité jusqu'au 26 août 1919,
date de sa mise en congé sans solde. Gustave aura donc effectué vingt
mois de présence au front et vingt-cinq mois de présence à l'arrière, ce qui
lui vaudra deux chevrons de front, vingt mois d'allocations à 75 francs, soit
1.500 francs et vingt-cinq mois d'allocations à 50 francs soit 1.250 francs. Il
rentrera en possession de cet argent le 12 août 1921. Après la guerre, Gustave se mariera avec Gabrielle Janssens qui lui donnera deux enfants. Gustave décédera prématurément le 17 septembre 1930 d'une péritonite. Sa veuve écrira le 20 octobre 1931 au Ministre de la défense nationale cette lettre émouvante : Monsieur le Ministre, Je soussignée Janssens Gabrielle veuve de De Vrin Gustave, volontaire de
guerre (...), prend la respectueuse liberté de solliciter de votre
bienveillance a titre posthume la décoration d’ou médaille des volontaires de guerre
à laquelle paraît-il j'ai droit. Je vous serais très reconnaissant Monsieur le
Ministre de bien vouloir m'accorder cette faveur, ayant deux enfants auxquels
je voudrais laisser autant de beaux et bons souvenirs de leur père que
possible. Le sergent De Vrin[4] fait maintenant partie de l'histoire de l'abbaye de Valloires qui, depuis la révolution française, entretient des liens privilégiés avec la Belgique[5]. Dr Loodts P. Le long de l'Abbaye. (Photo Dr Loodts) [1] L'abbaye
de Valloires est un endroit véritablement merveilleux. Blottie dans la
merveilleuse vallée de l'Authie, elle jouxte un merveilleux jardin installé sur
sept hectares et d'une richesse botanique exceptionnelle. N'hésitez pas à
y séjourner. Vous y logerez dans une des six chambres d'hôtes toutes
ornées de boiseries magnifiques et situées dans le quartier jadis réservé à
l'abbé. [2] 4.563 Belges y furent hospitalisés [3] La signification de ces initiales ne m'est connue que partiellement; le S provient de Service, le B. H. signifie Base du Havre. [4] Le sergent De Vrin a des descendants en Belgique. Nous espérons pouvoir les rencontrer prochainement et compléter cet article. [5] Valloires fut en effet vendue en 1817 à une société religieuse dite des "Basiliens" fondée par Joseph Leleux et qui s'était d'abord installée à Fort-Lillo en Belgique. Les Frères Basiliens cultivèrent les terres environnant l'abbaye. Ils allaient vendre leur récolte dans les marchés où ils étaient facilement reconnaissables grâce à leur costume fait d'une blouse de toile bleue, d'un bonnet de même couleur. En 1870, les jeunes Basiliens partirent à la guerre et n'étant plus assez nombreux pour entretenir l'ensemble des bâtiments, ils acceptèrent en 1880 l'installation d'un orphelinat agricole qui dura jusqu'à 1901. Après cette date, l'abbaye fut sauvée de la démolition in extremis par son classement par les Monuments Historiques. Les lieux restèrent vides pendant sept ans jusqu'au moment où en 1914 les Belges y créèrent un hôpital militaire. Après la guerre en 1922, une infirmière dévouée Mademoiselle Papillon créa dans l'abbaye un préventorium pour des enfants menacés par la tuberculose. Elle fut aidée dans cette tâche par deux demoiselles belges originaires de Charleroi, les sœurs de Kegel qui se dévouèrent durant toute leur vie pour les enfants de Valloires. |