Médecins de la Grande Guerre
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L’abbaye
de Bricquebec au service des blessés de l’hôpital 117. Des réfugiés belges. (Collection Abbaye de Bricquebec). Merci à la communauté cistercienne de l'abbaye
de Bricquebec qui par l’intermédiaire du Frère Gérard rendit possible ce petit
travail afin d’entretenir la mémoire de nos « Anciens ».
Depuis neuf siècles, les cisterciens proposent
une quête de Dieu particulière faite de prières, de silence et de simplicité. Bien
malgré eux, ils se retrouvèrent souvent au milieu des conflits armés. Chacun
connaît le sort particulièrement dur que la révolution française réserva à tous
les ordres religieux. La plupart des abbayes durent fermer leurs portes et
leurs bâtiments mis en vente publique. En Belgique, l’abbaye d’Orval et
l’abbaye de Villers
Le sort de l’abbaye de Vauclair est symbolique :
la guerre 14-
L’histoire de l’abbaye Notre-dame de Grâce à
Bricquebec en Normandie est aussi exemplaire. Chacun sait que les moines
cisterciens ont l’habitude d’une vie extrêmement minutée par « la
Règle ». C’est la Règle qui caractérise la vie des moines …C’est elle qui
rend possible, humainement faisable, de vivre dans la joie une prière
continuelle qui s’étend jours et nuits une vie entière. Pour suivre la règle la
sérénité est cependant de mise, mais qu’en est-il quand le bruit des canons
pénètre jusque dans les cloîtres, quand la mobilisation des postulants et des
jeunes moines perturbe sans arrêt la communauté ? Comment enfin réagir lorsque la
misère de la population vient s’échouer devant les murs du monastère ? Le 12 janvier 1916, quatre frères sont
mobilisés, puis sept le 27 septembre 1917 et enfin 3 frères le 10 octobre 1918.
Trois d’entre eux seront « tués à l’ennemi » : le Frère Albert Guillé
était postulant convers et fut tué à l’âge de 30 ans le 8 septembre 1914 à
Les archives de l’abbaye nous montrent le choix
difficile que fit la communauté cistercienne : pendant quatre ans, ils
acceptèrent de sacrifier en grande partie leur idéal de silence et de
méditation pour un autre idéal, celui que des circonstances tragiques imposent
à tout homme de bonne volonté : délaisser ses activités pour porter secours à
son prochain. De méditant et de priant, les moines de Bricquebec se
transforment en « soignant » et cela en accueillant dans leurs murs l’hôpital
auxiliaire n°117. Toute cette aventure commença par la demande que fit un jour
le docteur Briens au Père Abbé : la communauté pourrait elle donner son
accord pour héberger des blessés au sein même du monastère. La question était
franche et osée, la réponse quant à elle fut rapide et sans équivoque : toute
« Du champ de
bataille au cloître hospitalier… »
Le charme d’une fête
de famille. 4-7 novembre 1915. Jean Prudhommeaux.
« À l’écart d’un
bourg important de Normandie, au milieu de verts et de gras pâturages peuplés
de placides laitières qui semblent river au labeur des Moines d’autrefois,
s’élève l’Abbaye Cistercienne de Notre-dame de Grâce plus connue sous le titre
de Trappe de Bricquebec. Comme pour l’isoler d’avantage, la rendre plus
reposante, un rideau d’arbres entoure l’Abbaye comme d’un écran et les bruits
du chemin de fer voisin n’arrivent ainsi que tamisés par cette première
clôture. La charité des Moines qui l’habitent est bien connue à la ronde, aussi
le geste du Révérend Père Abbé Dom Vital ouvrant les portes de l’hôtellerie du
monastère aux blessés de la guerre ne devait surprendre personne. Or, donc, les soldats,
victimes du champ de bataille, revenants glorieux de combats fameux, le corps
traversé par la mitraille ou affaibli par la maladie, affluèrent à Notre-Dame
de Grâce. Et, bien vite, fallut- il encore songer à donner à l’hôpital de plus
vastes proportions. Le quartier des hôtes étant insuffisant, les religieux
donnèrent leur dortoir et, soldats de Dieu et soldats de France reposèrent sous
le même toit. -Vous allez être comme
chez vous, en famille, choyés là-bas par les Pères Trappistes, disait le
docteur Briens aux nouveaux débarqués du train, tout en recommandant à chacun le
respect du silence de la solitude, de la vie des Moines dont nous allions être
les hôtes. Et le docteur avait
raison. Dès que l’on avait franchi la clôture régulière de l’Abbaye, pris
contact avec les Pères Germain, Henry et Raphaël, avec le frère Donatien, on
voyait tout de suite que l’on était le bienvenu et que ceux qui nous avaient devancés
dans cette maison n’avaient point épuisé la délicate bonté des religieux. On était à l’aise et
l’on oubliait - pour ceux qui s’en souviennent » les récits des auteurs qui
assimilent les Trappes à de véritables pénitenciers. La gaieté des Moines aux
Brassards de Au contraire, tout ici
vous invitait à la vie, vous incitait à vous refaire des forces. Au saut du lit, avant
la visite médicale, un bon déjeuner vous disposait à demeurer stoïque sous le
fer et le feu, sous les applications d’iode ou de bromure pour amener la
guérison. Elle avait par
ailleurs un charme particulier cette rencontre avec le médecin, car de même que
les Religieux gardaient pour eux l’austérité et les rigueurs de leur Règle,
les voilaient par leur gaieté, le docteur égrenait sans doute ses soucis tout
le long de la route, puisqu’il nous arrivait à
Durant les promenades,
en devisant paisiblement le long des ruisseaux qui actionnent les moulins de Jusqu’au jour attendu,
on vécut dans l’espérance que pour le Docteur, comme en son temps pour le Père
Germain et le Père Raphaël, ces souhaits seraient une surprise, car l’inattendu
en pareille circonstance a un charme nouveau. Or le matin du 4
novembre 1915, on eut cette joie au milieu de la salle de visite remplie par
les blessés et les malades, encadré par deux gerbes de fleurs aux couleurs
mariées avec goût par Nouchi, le sergent de Peretti s’avança vers le docteur
tout surpris et présenta nos hommages et nos vœux en ces termes :
Monsieur le Médecin-chef,
Nous avions tous à
cœur, dans notre jeune âge, d’offrir à nos parents, amis ou bienfaiteurs, à
l’occasion de leur fête, l’expression de nos meilleurs sentiments traduits avec
plus d’éloquence par notre âme que par des phrases souvent vulgaires. Ces
manifestations domestiques étaient dans leur simplicité l’objet d’une grande
joie. Les enfants d’autrefois, soldats, d’aujourd'hui et enfants de À l’exemple de
Saint-Charles, vous vous donnez tout entier aux malades et glorieux blessés de
la grande guerre. Plein de sympathie pour nous, vous paraissez toujours fier de
vous acquitter scrupuleusement de votre lourde besogne. Le mauvais temps ne
saurait vous arrêter un seul instant, pas plus que l’heure matinale pour venir
à Votre dévouement
s’inspire de votre ardent patriotisme et vous découvrez dans les plaies
douloureuses mais honorables, des héroïques défenseurs que vous soignez l’image
vivante de Votre bonne humeur que
nous nous plaisons tous à reconnaître, nous reçoit chaque fois avec la même
sollicitude et bienveillance, vous ne faites pas de distinctions d’arme et de nationalité
pour les braves qui ont vaillamment rempli leur devoir. Quels souhaits
pouvons-nous former pour vous, en récompense de ces précieuses vertus et des
grands services que vous donnez généreusement à Nous ne saurions mieux
terminer cette adresse, Monsieur le Médecin Chef qu’en rappelant cette parole
d’un général, après une visite de l’Hôpital auxiliaire 117 : « Des
soldats ne pourraient être dans de meilleures conditions morales et physiques
pour recouvrer les forces dont Appelé auprès d’un
malade, obligé de faire route la nuit précédente sous la pluie, le docteur, en
arrivant à Cette fête n’était
donc qu’à son début, et le docteur, par un geste délicat, allait lui donner une
suite charmante. À son tour, il voulut faire une surprise à ses blessés
et malades de De mémoire de
« Poilu », on ne se souvenait pas de tant de simplicité, alliée, à
une amitié aussi cordiale. Possible que, sous les obus, chefs et soldats ne
connaissent guère les pas réglementaires qui distancent l’officier du
subordonné, mais à l’arrière, pareille condescendance est rare ! Et, pendant que les
plats volaient de l'un à l’autre, que les verres se remplissaient tout à tour
du cidre de Normandie, de vins de Bordeaux et de Champagne, les conversations
allaient bon train. Chacun était de belle humeur sous ce cloître austère devenu
réfectoire accueillant et gai avec les drapeaux des Alliés et le portrait de
Notre Joffre qui exprime si bien notre espérance dans Subitement les têtes
se tournèrent, et la même exclamation partit de toutes les bouches à la vue
d’une apparition inattendue. Tel un revenant de l’autre monde, Charles, « le
Père Charles » comme l’appelait familièrement le docteur, clopin-clopant
venait en personne d’entrer dans le cloître où l’étonnement général était si
grand ! ...Notre bon territorial, le doyen d’âge parmi nous, avait eu vent
de la fête et en malade reconnaissant, il tenait à ce que ses premiers pas le conduisent
au médecin. Aussi discrètement, il s’était évadé de sa chambre dont il connaissait depuis longtemps
tous les recoins, puisqu’elle était tout le temps laissée à ses promenades. Vite les rangs s’ouvrirent
et malgré les protestations Charles fut installé à la place du maître de maison
face à notre hôte et tous trinquèrent à sa santé. Ce fut le signal des toasts.
Le Sergent de Peretti se leva. Mais qui l’eut cru d’un Corse authentique et
surtout d’un Corse revenant de Au nom de tous mes
camarades, je viens Monsieur le Docteur, vous remercier de l’honneur et du réel
plaisir que vous nous avez fait en venant partager notre dîner. Ce geste nous prouve,
une fois de plus, qu’en dehors des soins que vous nous prodiguez avec un zèle
au-dessus de tout éloge, vous vous êtes attaché à nous par un lien de cordiale
amitié. Ces marques de
profonde sympathie nous ont profondément touchés et croyez, Monsieur le
Docteur, qu’elles sont réciproques. Je remercierai aussi
ces bons Pères qui vous secondent avec dévouement dans la tâche si rude que
vous vous êtes imposée. Je lève mon verre à
votre bonne santé, à celle des bons Pères trappistes, et à celle de tous les
camarades ; et je vous prie de croire en notre plus sincère
reconnaissance. On applaudit, du bout
des doigts seulement ; oh ! Non pas pour exprimer de cette manière
des réserves sur les sentiments qui venaient d’être manifestés, mais pour
respecter le sommeil des Moines qui prennent leur repos dès sept heures.
Quand tout fut calme,
le « Père Charles » fit signe qu’il avait, lui aussi, à parler. Et
c’est d’une voix chevrotante, qui dénotait sa faiblesse, - le pauvre camarade
était arrivé jadis à Jaaffry, un breton à
la tête dure, il l’avait prouvé en supportant avec succès l’opération du
trépan, - crut ensuite que le moment était venu de lancer son refrain favori en patois du
pays, mais il céda volontiers la parole au docteur. Mes chers amis. Par une délicate attention,
vous avez tenu, il y a deux jours, à m’offrir vos meilleurs souhaits à
l’occasion de ma fête, l’émotion, la joie m’ont empêché à ce moment de vous
exprimer suffisamment ma reconnaissance, et c’est pour cela que ce soir, je
suis venu passer quelques instants parmi vous. Permettez-moi de vous rappeler
(beaucoup l’ignorent sans doute) que s’il existe un hôpital à Bricquebec, c’est
surtout grâce aux bons Pères Trappistes que nous le devons. A peine les
hostilités commencées, le Service de Santé était débordé par le nombre de
blessés .En présence de l’insuffisance notoire de ses ressources, il faisait
appel à toutes les bonnes volontés. Je fis part de cette situation au Révérend
Père Abbé, et aussitôt il mettra vingt chambres de l’hôtellerie à ma disposition
pour créer un Hôpital bénévole. Cette formation fut bientôt transformée sous
les auspices de l’Union des Femmes de France de Bricquebec en Hôpital
auxiliaire avec en plus, les vingt lits du dortoir des religieux qui dès lors,
étaient obligés d’occuper un autre local de l’abbaye. En présence de
nouveaux besoins, le Révérend Père a bien voulu tout récemment permettre
l’installation de vingt nouveaux lits, ce qui porte à soixante le nombre de
blessés et malades qui peuvent être hospitalisés à Notre Dame de Grâce. Les camarades qui vous
ont précédé ont pu, comme vous-mêmes, apprécier la bonté inépuisable des Père
trappistes. Qu’il me soit permis en votre nom, en celui du comité de l’Union
des Femmes de France et au mien de leur exprimer à nouveau notre vive et
respectueuse gratitude..Que notre reconnaissance aille particulièrement à ceux
d’entre eux qui, tout, en continuant à observer les règles sévères de la vie du
Monastère, ne cessent de vous entourer de soins attentionnés et dévoués, j’ai
nommé le Père Germain, le Père Henry, le Père Raphaël et le frère Donatien. Dans un tel milieu, il
me serait impossible, comme vous le disiez, de ne pas éprouver une véritable
fierté à m’acquitter de ma tâche journalière. Oui, mes amis, je suis
heureux de pouvoir consacrer mes jours au service des glorieux blessés de la
grande guerre. Pourrait-il en être
autrement ? Quelle reconnaissance
ne nous devons-nous pas à vous, braves soldats de France, qui depuis de longs mois,
sans plaintes, sans murmures, supportez les plus pénibles et cruelles
privations, exposant chaque jour votre vie pour repousser le barbare
envahisseur ! Non, rien de trop ne saurait être fait pour vous pendant
votre séjour ici, pour vous faire oublier les souffrances endurées et vous
redonner l’illusion des douces joies de la vie de famille. Je n’ai jamais
autant aimé qu’en ce moment, je l’avoue, la profession qui me permet de vous
apporter le réconfort toujours, le soulagement souvent, et la guérison quelquefois ! Jamais plus profonde
joie ne m’avait été donnée à goûter que celle que j’éprouve chaque jour en
contribuant de mes faibles moyens, mais aussi de tout cœur, à redonner à Acceptez donc à votre
tour, les souhaits bien sincères que je tiens à vous adresser. Que la providence vous
protège, qu’elle vous permette après votre guérison de reprendre place parmi
vos camarades pour aller jusqu’au bout de cette lutte héroïque qui se terminera
par le triomphe des nations alliées ! Mes chers amis, je
bois à votre santé, à celle de tous ceux qui vous sont chers, je bois à la
grandeur de notre France Eternelle ... Avec quel plaisir on entendit
ce toast du médecin !
Cependant on
regrettait l’absence en ces instants du bon Père Henry, infirmier du Monastère si apprécié de tous
pour son actif dévouement. Puis on aurait aimé aussi que les Dames du comité de
l’Union des Femmes de France, que chacun saluait si volontiers à Bricquebec, fussent
de cette fête. Mais le Père Henry, toujours modeste, effacé ne quittait Cette soirée
familiale, si bien commencée ne devait point s’arrêter avec le repos grâce à la
condescendance de Monsieur Briens. Mais pour continuer la fête, on vint faire
salon dans la salle de pansements. Piano, canapés et fauteuils manquaient soit,
mais la gaité était à l'ordre du jour, elle suppléait à tout. Au milieu des Père
infirmiers, le Médecin voulut bien applaudir les chants de chacun. Ce fut une audition
inédite. Noblesse oblige, le répertoire était choisi, et ceux qui se firent
entendre nous offrirent des romances de bon goût. Les couplets en patois
de Jaaffry le breton eurent l’honneur du début ; ils étaient si nombreux
que l’on se rendit compte bien vite de la raison de son impatience à la fin du
dîner, le barde craignait sans doute voir les convives se retirer de table
avant qu’il n’ait épuisé sa chanson. On lui laissa libre carrière et on eut
raison, car il amusa fort la galerie et inspira à notre Sidi, Boudana. Notre Arabe
convalescent, entraîné par son devancier, ne se fit pas trop prier pour nous
envoyer à son tour, sur une modulation étrange, un refrain de son pays. Comme il
n’y avait point là d’interprète, on jugea plus par les gestes du chanteur que
par ses phrases du sens de cette invocation, et on lui sut gré d’attirer sur le
docteur la protection de Mahomet. Paradis nous fit rire
avec sa chanson militaire, et André Margueret, quoique Lyonnais, nous prouva
qu’il connaissait « Ma Normandie » et qu’il avait une belle voix. Mr
Coirault, notre sympathique fourrier, se réserva pour la note grave en cette
récréation, qu’il clôtura en nous récitant avec âme la dramatique
« Veillée » de Coppée. Et c’est ainsi que le
geste délicat du Médecin-chef de l’Hôpital auxiliaire de Bricquebec amena
chacun à manifester de beaux sentiments et à prouver que la plus franche amitié
régnait à
Jean Prudhommeaux
Dans le registre des hôtes et des soldats
français et belges soignés à l’Abbaye Notre-Dame de Grâce de Bricquebec pendant
la guerre 1914-1918, il est signalé que l’abbaye a accueilli 159 personnes en
1914 ; 177 en 1915 ; 82 en 1916 ; 219 en 1917 et 230 en 1918.
Plus de 850 blessés profitèrent du cloître hospitalier de Bricquebec et
bénéficièrent des soins prodigués par la communauté cistercienne sous la
houlette du Dr Briens. Dom Vital Lehodey, Abbé de Notre Dame de Grâce. (Collection Abbaye de Bricquebec). Le Roi Albert récompensa les soins donnés aux soldats et réfugiés
belges par l'abbaye en décorant Dom Vital
Lehodey, abbé de
Dr Loodts Patrick. Hannut, Belgique le 14 octobre 2006.
« Au début,
l’homme s’aime lui-même pour lui-même car il est chair et ne prend goût à rien
qui le dépasse. Puis il constate qu’il ne peut subsister par soi seul ; il
commence alors à chercher Dieu par Saint-Bernard. |