Médecins de la Grande Guerre
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L’admirable Sarah
Bernhardt, amputée et septuagénaire anime le Théâtre des Armées auprès des soldats du front Dédicacé à mes deux filles, Isabelle et Sabrina,
chacune à leur façon, merveilleuses artistes. Sarah Bernhardt en 1859, lors de son entrée au Conservatoire. (Plon) Introduction sur Sarah
Bernhardt (1844-1923) A l’époque où le digital ne régnait pas sur les loisirs, le théâtre constituait la distraction principale de nos ancêtres ! Les stars du 19ème siècle étaient donc quasi exclusivement les acteurs qui pouvaient maintenir à l’affiche leur représentation plus d’une centaine de fois ! Sarah Bernhardt fut incontestablement la « championne toute catégorie » du monde théâtral. Aujourd’hui, il nous est très difficile de comprendre la raison de son prodigieux succès car nous ne possédons que quelques fragments filmés de ses représentations. Quant à sa voix, les quelques enregistrements que nous possédons sont décevants : une voix chevrotante, sans doute très adaptée à la récitation de vers, mais qui lasserait très vite un auditoire contemporain. Si nous ne pouvons juger aujourd’hui son talent, nous pouvons sans risque de nous tromper, au vu des témoignages de ses contemporains, admettre que cette actrice possédait une personnalité hors du commun qui contribua certainement à son succès. Aujourd’hui nous dirions qu’elle possédait l’art de faire parler d’elle à tout propos ! Son excentricité, sa vie amoureuse très libre, devinrent vite l’objet de toutes les conversations de salon ! De multiples biographes ont entrepris le récit de la vie de Sarah Bernhardt tout simplement parce que sa vie peut être assimilée à un véritable roman d’aventures. Le lecteur contemporain se distraira toujours à la lecture de ce roman mais, curieusement il en retirera plus qu’une simple détente. En effet, un vent de fraîcheur et d’optimisme s’incruste progressivement dans l’âme du lecteur lorsqu’il rentre en contact avec Sarah Bernhardt. Cet effet bénéfique qui subsistera longtemps après avoir refermé sa biographie ne vient évidemment pas par hasard. Sarah aurait fait un bon « coach ». Au-delà de son excentricité, cette artiste nous donne en plusieurs chapitres un traité sur le courage et l’optimisme. Je ne peux m’empêcher de vous les détailler ! Huit années (1860-1868)
d’art théâtral avant de connaître son premier succès : elle choisit une devise qui reflète son combat :
« Quand même ! » Chiffre et devise de Sarah Bernhardt, surmontés du masque de la tragédie. Ils constituent les armes de l’actrice. Sarah était la fille d’une courtisane Julie Bernhardt qui habitait avec sa sœur Rosine dans un vaste appartement qui servait de « refuge » à quelques hommes hauts placés qui venaient s’y détendre. Nous sommes à l’époque des courtisanes, que l’on pourrait comparer aux geishas japonaises et qui furent si bien décrites par Zola ou Flaubert. Réservées à la nouvelle élite, les courtisanes doivent distraire les hommes de leurs hautes responsabilités. Parmi ceux qui fréquentent les sœurs Bernhardt, on relève le peintre Fleury, le docteur Monod, le banquier Lavolie, Camille Doucet qui était le directeur des Beaux-arts, Hippolyte Larrey, chirurgien de Napoléon III, Rossini, le duc de Morny, Alexandre Dumas père etc.… Les deux sœurs remportaient donc un succès certain et cela dans l’atmosphère feutrée de leur salon où l’érudition, la culture tenaient une grande place dans les conversations. Pour s’amuser, il fallait savoir apprécier les poètes, commenter les derniers livres, jouer d’un instrument ou savoir chanter. Nul doute que ce milieu « multiculturel » influença Sarah qui, s’aperçut très vite que, pour s’attirer des faveurs et la reconnaissance, il fallait impérativement posséder un talent, et cela dans n’importe quel domaine, du moment qu’il fût hors du commun ! Bien entendu, dans ce salon éclectique tenu par des geishas françaises, le libertinage trouvait sa place. Il nous est difficile de nous imaginer aujourd’hui comment les deux sœurs géraient les amours illégitimes qui fleurissaient dans leur appartement. Quoi qu’il en soit, la tante de Sarah comptait parmi ses amants le duc de Morny. Ce grand mondain, demi-frère de Napoléon III était un homme d’affaire important. On lui doit la station balnéaire de Deauville et il devint même ministre. Lorsque la petite Sarah scolarisée par les religieuses eut atteint 15 ans, sa mère réunit un « conseil de famille » auquel participa ce grand personnage. On ne savait quoi faire avec Sarah et il fallait prendre une décision ! Le duc eut la bonne idée de proposer que Sarah puisse rentrer au Conservatoire en vue d’une carrière de comédienne. Sarah s’en remit à cette décision qui lui offrait les perspectives d’une plus grande indépendance vis-à-vis de sa mère et qui la mettait à l’abri d’un mariage arrangé ! Sarah, rentrée au Conservatoire, se révéla être une élève enthousiaste mais non exceptionnelle. Maigrichonne, ayant souffert d’une grave pleurésie en 1859, elle ne répondait pas aux critères de beauté de l’époque, sa voix ne portait pas très haut et elle n’était pas douée pour le chant. Malgré tout, Sarah essaya de profiter au mieux de sa formation. Ce fut encore le duc de Morny qui, après le Conservatoire, joua de son influence pour faire accepter Sarah à la Comédie-Française. Pendant deux ans, la jeune comédienne, dans les rôles qu’elle tint, ne remporta aucun succès ! Sarah connut des moments très durs mais au prix d’un grand effort sur elle-même ne désespéra pas. C’est à cette époque qu’elle adopta la devise « Quand-même » qu’elle fit figurer, durant toute sa vie dans l’entête de sa correspondance. Quand la presse commença à parler d’elle ce fut dans des circonstances peu favorables pour elle. Lors d’une cérémonie d’hommage à Molière, Sarah avait emmené sa petite sœur Régina. Celle-ci avait malencontreusement marché sur la traîne de velours de l’opulente actrice bien connue, Mlle Nathalie. Cette dernière se montra si méchante envers la petite Regina que la frêle Sarah la défendit en giflant l’imposante Mlle Nathalie. Ce geste fit évidemment la joie des journalistes et caricaturistes et diffusa le nom de Sarah aux quatre coins de la France ! On ne parvint pas à convaincre Sarah de s’excuser et ce fût finalement au soulagement de beaucoup que l’impétueuse comédienne démissionna de la Comédie-Française. Sarah se retrouvait sans avenir… Peu après ce coup de colère, elle rencontra à Bruxelles lors d’un bal masqué le Prince de Ligne à Bruxelles. Elle en tomba amoureux et en devint enceinte ! Le 22 décembre 1864, Sarah donna naissance à son enfant unique, Maurice. Ce jour fut sans doute le plus important de sa longue vie car l’amour de Sarah pour son fils éclaira toute son existence. Le père de l’enfant ne put ou ne voulut se marier avec Sarah mais lui paya une pension. Sarah, qui avait peut-être espérer fonder une véritable famille, surmonta sa déception et se résigna alors de calquer sa vie sur celle de sa mère. Elle prit possession d’une demeure plus grande où elle commença à tenir un « salon » qui remporta un certain succès. Mais après quatre ans, lasse de cette vie, elle finit par demander à Camille Doucet qui fréquentait le salon de sa mère et, qui était, rappelons-le, Directeur de l’administration des théâtres au ministère de la Maison de l’Empereur, d’user de son influence pour qu’elle retrouve un emploi de comédienne. En 1866, elle est finalement engagée au théâtre de l’Odéon. Les débuts sont très difficiles pour Sarah qui va d’échec en échec jusqu’au moment où, dans la représentation de « Kean » écrite par Alexandre Dumas, elle parvint à séduire un public essentiellement estudiantin qui, à la fin de la soirée, lui fait une ovation comme jamais elle n’avait eu ! Nous sommes le premier février 1868 et cette date signe le début du succès de Sarah ! Un succès qui sera confirmée un peu plus tard avec la pièce « Le passant » écrite par le jeune poète François Coppée. Cette pièce n’exige que deux acteurs. Mlle Agar interprète Sylvie tandis que Sarah y joue le rôle d’un jeune troubadour florentin de 17 ans. La première de cette pièce est jouée le 14 janvier 1869 et c’est un triomphe. Sarah est acclamée et le rideau se relève huit fois. La renommée de Sarah franchit pour la première fois Paris ! Les deux actrices sont admirables mais l’intensité poétique avec laquelle Sarah récite ses vers fait mouche dans le public ! La pièce sera jouée à l’Odéon cent cinquante fois devant une salle toujours comble. L’empereur Napoléon III obtint quant à lui une représentation privée en son palais des Tuileries. Sarah Bernhardt, une
femme idéaliste : en 1870, elle crée de toutes pièces un hôpital, se
transforme en infirmière et… soigne le soldat Ferdinand Foch ! Lorsque la guerre éclate avec la Prusse, Sarah n’hésite pas à prendre sa part au combat. L’armée prussienne assiège Paris. Sarah a éloigné son fils et sa mère au Havre. Elle demande alors au préfet de police, le vicomte de Kératry l’autorisation d’installer une ambulance dans le théâtre de l’Odéon. Kératry, amoureux de Sarah quelques temps auparavant, accepte et l’aide de son mieux. Sarah montre ses talents d’organisatrice. Elle sollicite l’aide de ses admirateurs qui la ravitaille en vivres. Quand les combats se rapprochent de Paris, des lits de fortunes prennent place partout jusque sur la scène et dans les loges. Sara veille deux nuits sur trois sur ses 60 blessés qui doivent aussi affronter un froid exceptionnel. Début janvier, un jeune soldat est hospitalisé mais il n’y a plus une place de disponible. Sarah offre alors sa loge qu’elle avait gardée libre pour pouvoir se reposer de temps à autre. Elle se prend d’amitié pour ce blessé, élève de Polytechnique. Lorsqu’il quitte l’Odéon, le jeune homme demande à Sarah la faveur d’un souvenir. Sur sa photo elle écrit « A Ferdinand Foch, amical souvenir de Sarah Bernhardt ». 52 ans plus tard, le maréchal Foch sera l’un des premiers à venir s’incliner devant le cercueil de celle qui fut son infirmière de 1870 ! Mais revenons à ce terrible mois de janvier 1870. Il faut bientôt mettre les blessés à l’abri des tirs en descendant les lits dans les caves. Mais le froid devient tellement intense que les canalisations d’eau éclatent. Il faut abandonner l’Odéon. Sarah trouve alors un vaste d’appartement rue Taitbout pour abriter ses blessés. Paris capitule le 28 janvier 1871. Sarah a dirigé son hôpital de fortune pendant plus de trois mois ! Sarah, une femme
« infidèle » pour ses amants mais
fidèle remarquable pour tous les membres de sa famille ! Entre 1871 et 1878, Sarah va consolider son succès grâce à Victor Hugo qui revient en France après 20 ans d’exil. Elle est choisie par le grand écrivain pour jouer le rôle de la reine d’Espagne dans « Ruy Blas », une pièce de théâtre antimonarchique. Le succès de la pièce est tel que Victor Hugo finit par s’émerveiller de Sarah et en tombera amoureux ! Difficile de décrire les amours de Sarah car celle-ci n’en parlera jamais dans ses mémoires mais certaines sources semblent suggérer qu’elle aurait souhaité donner la vie à un enfant de Victor Hugo ! Le succès de Sarah la conduisit à quitter la troupe de l’Odéon tant était grande l’insistance du directeur de la Comédie Française pour l’engager. La Comédie-Française n’épanouit pas Sarah car des rôles qui ne lui vont pas lui sont imposés elle se retrouva ainsi dans un rôle comique qui n’est pas fait pour elle, celui de Mlle de Belle-Isle dans la pièce du même nom écrite par Alexandre Dumas. Elle se rattrape dans « Britannicus », qui obtient un très grand succès et tombe en pamoison devant son partenaire dans cette pièce, le grand et bel acteur Mounet-Sully ! Cette liaison ne durera cependant pas plus d’une dizaine de mois car Sarah désire par-dessus tout se garder indépendante ! Perrin, le directeur de la Comédie-Française continue à se montrer trop directif avec Sarah. La comédienne compense alors son insatisfaction par l’apprentissage de la sculpture. Elle réalise notamment une œuvre qu’elle présente au Salon de 1876 et dont elle est très fière. On n’en sera pas étonné de sa part, cette sculpture, nommée « Après la tempête » symbolise la tragédie de la vie humaine sous la forme d’une vieille femme de pêcheur mourant de chagrin pour avoir perdu tous ses fils et même un petit-fils en mer ! « Après la tempête » sculpté par Sarah Bernhardt. La chance revint cependant dans la carrière de la tragédienne : à la suite d’une défection de dernière minute de la grande actrice Rachel, on demande à Sarah de la remplacer dans le rôle de Phèdre. Elle a quatre jours pour apprendre ce rôle très difficile. Douée d’une mémoire prodigieuse, elle y parviendra et obtiendra un immense succès. A la première, elle sera rappelée quinze fois et s’évanouira d’épuisement dans les bras de… Mounet-Sully. La plupart des critiques souligneront l’énorme talent de l’actrice qui arrive avec grâce et grand naturel à réciter les difficiles alexandrins de Racine et cela avec une grande musicalité. Le succès de Sarah devient triomphe mais ne contribue pas à une meilleure entente avec Perrin, son directeur, qui la surnomme « Mlle Révolte » et qui continue à privilégier l’actrice Sophie Croizette en lui donnant tous les premiers rôles. Sarah a, d’autre part, difficile à gérer sa vie familiale. Elle recueille chez elle sa sœur Régina atteinte de tuberculose et la voit dépérir jour après jour. Elle l’installe dans son propre lit tandis qu’elle même dort dans le cercueil en bois rose qu’elle s’était fait offrir auparavant (sans doute pour répéter un rôle !). Sarah était tourmentée par la mort car elle-même, toute jeune, avait été condamnée par les médecins. On ne connait pas les réactions de sa sœur très malade qui, en luttant contre la maladie, apercevait ce cercueil ! Pas très encourageant pour une malade mais ne jugeons pas trop vite ! Le contraire est aussi possible car Sarah, par ses paroles et ses gestes, tenait aussi la mort en dérision ! Regina ne commenta jamais son séjour de malade chez sa sœur Sarah de 11 ans son aînée ; elle rentra dans une agonie longue et pénible et s’éteignit le 16 décembre 1873 à l’âge de 18 ans ! On imagine l’émotion de Sarah ! Trois ans plus tard, Sarah perdra sa mère sans que celle-ci ne lui ait jamais réellement témoigné d’affection ! Jamais pourtant Sarah ne la dédaignât ! Sarah eût certes une vie sentimentale peu classique pour les femmes de cette époque, mais il faut reconnaître qu’elle s’occupa toujours des membres sa famille quelles que fussent leurs difficiles caractères ou leurs situations et quelles que fussent les conséquences que cela entrainait pour elle-même ! Les souffrances de la vie, la mort présente très tôt dans sa vie, son talent à comprendre et jouer la tragédie firent de Sarah une femme sensible, empathique mais aussi extrêmement consciente qu’il fallait profiter au maximum du moment présent ! Sa manière de considérer l’argent en fait foi : jamais elle ne compta ses sous, jamais elle ne les garda pour un avenir hypothétique ! Elle les donnait ou les dépensait pour elle-même ! Et quand il n’y avait plus rien dans le sac qui contenait toute sa fortune et qu’elle confiait à sa chère dame de compagnie, Sarah savait qu’il était temps de trouver le moyen de le remplir à nouveau ! Sarah envisagea peu à peu de mettre un terme à sa collaboration avec le terrible directeur de la Comédie-Française ! Elle entreprit cependant une grande tournée en Angleterre avec toute la troupe de la Comédie-Française. Sarah, éprise de la
nature et en particulier de la vie animale, tient tête aux critiques et
s’oppose à la Direction de la Comédie-Française Sarah va connaître un succès phénoménal en Angleterre. Les Britanniques viennent en masse l’écouter déclamer ses rimes en français et admirer son jeu d’actrice et cela, malgré le fait que la plupart d’entre eux ne comprennent pas la langue de Molière. La pièce « Adrienne Lecouvreur » par exemple est représentative de l’art de la comédienne. La manière dont Sarah interprétait la mort d’Adrienne arrachait des larmes aux spectateurs. Adrienne mourait empoisonnée et Sarah arrivait à faire voir aux spectateurs les effets progressifs du poison : elle devenait de plus en plus blême au point qu’il fallait, quand le rideau se baissait, la porter dans sa loge, « les mains glacées », les yeux fermés ». Si Sarah n’épargnait pas aux spectateurs ses larmes, en revanche après le spectacle, elle est une femme joyeuse vivant au gré de ses fantaisies. A Londres, elle se passionne pour les animaux exotiques et achète un chien-loup tout blanc et un jeune guépard qui deviennent ainsi les compagnons des animaux qu’elle possède déjà, le singe « Darwin », le perroquet « Bizibouzou », et ses trois chiens. Sa ménagerie provoque tant de raffut dans le voisinage de sa résidence londonienne qu’un des membres de la troupe est chargé de lui faire comprendre qu’elle doit absolument s’amender ! Sarah est scandalisée de la remarque et punit toute la troupe en se faisant porter malade ! La représentation suivante est donc jouée sans elle mais le public, ayant constaté qu’elle ne figurait pas parmi les acteurs, exige le remboursement ! Quel triomphe pour Sarah qui vient de prouver ainsi que ce n’est pas la troupe de la Comédie-Française que les Anglais viennent applaudir mais bien sa personne ! La Direction de la Comédie-Française, pour sauver la mise, présente alors des excuses à Sarah qui accepte alors de reprendre le travail ! Bien entendu, ses aventures en Angleterre suscitent des débats houleux dans la presse française. Sarah est caricaturée, critiquée et on lui reproche même d’essayer de vendre ses sculptures et peintures en Angleterre. Rentrée à Paris, elle affronte la presse qui la dénigre mais les journalistes devront finalement s’avouer vaincus devant l’intensité de l’ovation que lui fait le public lors de la cérémonie organisée pour le retour de la Comédie-Française à Paris. Perrin, son directeur causera finalement la rupture finale en lui faisant à nouveau jouer un rôle (celui de Donna Clorindre dans « L’aventurière », pièce d’Emile Augier) qu’elle ne désirait pas. La pièce se révèle un échec et la critique est sévère pour Sarah. C’est la goutte qui a fait déborder le vase et Sarah donne sa démission à la Comédie-Française. Sa décision est fort critiquée dans la presse car, pour l’opinion publique, avoir la chance de faire partie des artistes de la Comédie-Française représentait le summum qu’un comédien pouvait espérer ! Sarah, remarquable
femme d’affaires dirige une troupe crée par elle pour s’exhiber aux Etats-Unis Sarah décide alors d’accepter l’aide de l’impresario Jarett qui sera son organisateur d’une tournée aux Etats-Unis. Elle confie son fils Maurice à son oncle et s’embarque avec la troupe de comédien qu’elle a engagée sur l’Amérique le 15 octobre 1880. Son amie, Marie Colombier, est engagée en remplacement de la sœur de Sarah, Jeanne, restée malade en France. Il faut rappeler ici que Sarah vit sa sœur Régina mourir et n’eut pas beaucoup plus de chances avec sa sœur Jeanne qui devint une droguée notoire. Sarah essaya vainement de lui faire retrouver une vie normale, notamment en la gardant près d’elle comme actrice. Avec son fils Maurice, alors âgé de quinze ans. (Snark International) La longue tournée de Sarah aux Etats-Unis peut-être qualifiée d’aventureuse et de cocasse. Le voyage en bateau lui fait découvrir la misère des émigrants des troisièmes classes. L’arrivée à New-York est tumultueuse car il faut casser la glace à la pioche pour arriver à bon port. Les Américains sont venus en masse accueillir la « femme fatale ». Sarah doit faire face à tout ce monde tandis qu’elle patiente pour récupérer ses malles. Celles-ci sont si nombreuses qu’elles nécessitent trois jours de travail pour être inventoriées par les douaniers. La taxe qui suit l’inventaire sera proportionnelle, soit la somme très élevée de 28.000 francs ! La première rencontre avec le public américain est un immense succès. Tout est grandiose et surdimensionné aux Etats-Unis. Sarah le constate en en recevant des corbeilles de fleurs gigantesques ! Sarah restera un mois à New York et y donnera 27 représentations dans sept rôles différents ! Quelle énergie à déployer pour jouer quasi chaque soirée ! Son succès irrite plus d’un et Sarah est attaquée par de nombreux journalistes qui l’accusent de venir ruiner les mœurs du peuple américain. Selon un pamphlet, elle est accusée d’avoir séduit le Tsar, Napoléon III et même le pape Pie IX ! Comme si cela ne suffisait pas, elle est trahie par son amie, Marie Colombier, déçue de devoir céder sa place dans la troupe à la sœur de Sarah, Jeanne, qui a pu quitter son hôpital en France et rejoindre les Etats-Unis. Marie Colombier se venge alors en écrivant des pamphlets destinés en France au magazine l’ « Evènement ». Plus tard, elle écrira aussi un roman satyrique sur la vie de Sarah qu’elle intitulera « Sarahbarnum ». Il faut beaucoup plus pour décourager Sarah qui décide d’aller de l’avant en jouant une pièce écrite par Alexandre Dumas fils : « La Dame aux camélias ». Cette pièce deviendra le plus grand succès de Sarah aux Etats-Unis. Le dernier soir à New-York, Sarah compte 17 rappels après le troisième acte et 29 après le cinquième ! Après cette dernière représentation, cinq mille personnes l’attendent dans la rue pour la voir remonter dans sa voiture ! Effrayée ou fatiguée, elle chargera sa sœur de se faire passer pour elle et rejoindra son hôtel incognito gagnant une heure sur sa sœur ! A noter que le succès de « la Dame aux camélias » fera tâche d’encre en Europe. La pièce sera jouée par Sarah pendant trente années ! Après le séjour à New-York, la troupe s’embarque dans un train spécial pour une longue tournée à travers les Etats-Unis et le Canada. Le train est tout enguirlandé de fleurs et orné de drapeaux. Il ressemble à celui d’un grand chef d’Etat ! A Boston, une admiratrice demande à Sarah sa signature. La mode des autographes est lancée ! A Menlo-Park, le train s’arrête en pleine campagne, près de la résidence du grand inventeur Edison qui réalisera les premiers enregistrements de sa « voix d’or ». La troupe fait ensuite route pour Montréal mais dans cette ville l’évêque menace d’excommunier tous ceux qui iraient assister aux représentations d’ « Adrienne Lecouvreur ». Ensuite, c’est au tour de l’évêque de Chicago de pourfendre Sarah et sa troupe. Peu importe Sarah joue avec succès malgré tout même si son publique est parfois clairsemé. L’arrivée du train spécial à la Nouvelle-Orléans sous des trombes d’eau est à l’image de la conquête de l’ouest : le dernier pont menace de s’effondrer sous les effets de la crue et Sarah paye très cher un mécanicien pour qu’il accepte le risque de faire passer son train. Les alligators envahissent la ville qui compte des centaines de noyés. Sarah en adopte un et le baptise « Ali-Gaga ». Ali-Gaga mourra d’une indigestion au champagne dont on l’abreuvait généreusement ! Le rythme de la tournée est harassant pour les acteurs qui n’ont pas tous la facilité de Sarah, celle de pouvoir s’endormir n’importe où et n’importe quand ! Peu importe, on lui obéit au doigt et à l’œil ! Quand Sarah débarque le 15 mai 1881 au Havre après sept mois de tournée, elle est devenue riche. 156 représentations lui ont rapporté 2.667.600 francs. Sarah croira toujours
au Grand Amour. Elle se marie, est
trahie, divorce mais ne cessera jamais d’apporter de l’aide à son ex-mari. De retour en France, Sarah se refait une place dans le cœur des Français en déclamant la Marseillaise à l’Opéra lors de la commémoration du dixième anniversaire du départ des troupes prussiennes de France. Vivante incarnation du patriotisme, elle déclenche une véritable hystérie dans le public : les hommes hurlent tandis que les femmes éclatent en sanglots ! Peu après, sa sœur Jeanne lui présente un jeune Grec nommé Damala qui est attaché d’ambassade et voudrait commencer une carrière d’acteur. Sarah en tombe éperdument amoureux. Malheureusement, comme sa sœur Jeanne, cet homme est morphinomane. Sarah joue « La dame aux camélias » dans toute l’Europe et le succès est immense. La tournée est entrecoupée par le mariage de Sarah à Londres avec Damala. Sarah fait jouer son mari dans « La dame aux camélias » mais après la tournée, Sarah doit jouer une nouvelle pièce écrite par Sardou, « Fédora ». Le beau Damala s’ennuie alors et Sarah pour occuper son mari va jusqu’à lui louer le petit théâtre de l’Ambigu pour lui permettre de monter son propre spectacle. Les efforts de Sarah pour rendre heureux son mari se révèlent inutiles : Damala ne cesse de tromper sa femme et de l’humilier en envoyant les factures des bijoux qu’il leur offre à Sarah ! De plus, il continue à être dépendant à la morphine. Quant à sa sœur Jeanne, elle décède de sa dépendance à la drogue et Sarah recueille alors sa fille Saryta (elle deviendra plus tard une assez bonne comédienne) ! Dépressive, Sarah se relève pourtant et obtient un succès véritablement phénoménal avec une nouvelle pièce de Sardou, « Théodora » ! Sigmund Freud ira voir la pièce et tombera lui aussi sous le charme de Sarah car il accrochera le portrait de l’artiste dans son cabinet médical. Théodora sera joué plus de 300 fois à Paris tout le long de l’année 1885. Infatigable, Sarah repart en 1886 pour une grande tournée de 14 mois dans les deux Amériques. Après quelques mois son fils se sépare d’elle. Sarah lui écrit alors de Montevideo ces mots très émouvants : « Pendant que ton navire voyageait vers la France, le mien se
séparait de plus en plus de toi, nous étions tous deux balancés par le même
mouvement, nous étions livrés tous deux à la merci du même élément… J’ai quitté
Montevideo avec joie, car cette ville me faisait horreur… j’ai reçu un très bel
oiseau en diamant et un magnifique hamac en dentelle du Paraguay. » Jacques Damala. (Roger Viollet) Elle revient à nouveau fortunée en Europe qu’elle sillonne durant l’hiver 88-89. Maurice son fils ne la quitte guère et est prêt à relever le moindre propos qui touche à la réputation de sa mère. Il fréquente les salles d’armes et devient un habile bretteur et tireur. Malheur à qui ose ternir la réputation de sa mère car Maurice le provoquait en duel ! Sarah, prise de pitié pour Damala très mal au point, le fait transporter chez elle et pendant deux mois le soigne avant de lui proposer de remonter en scène avec elle. Elle l’emmène avec son cortège habituel : son fils, ses impresarii, sa troupe, ses domestiques, sa meute de ses chiens au complet, sa tigresse « Minette ». La tournée passe par Prague, Vienne, Budapest, Bucarest, Constantinople, le Caire, Alexandrie, Tunis, Rome, Florence, Milan et enfin la Scandinavie. Au retour, Damala n’est plus l’ombre que de lui-même et meurt en août 89 âgé de 32 ans et n’ayant pas su se débarrasser se ses accoutumances. Dans l’armoire de sa chambre mortuaire, on trouve, bien cachés, des seringues, 15 gr de morphine, 48 gr de cocaïne ! Sarah s’occupe de rapatrier à ses frais sa dépouille en Grèce et ornera son tombeau d’un buste sculpté par elle-même. Témoignant de son amour passé, elle signera souvent son nom en ajoutant derrière celui-ci « Veuve Damala » ! Sarah aime se faire
admirer mais est aussi une fervente
admiratrice de ceux qui ont fait la France comme Jeanne d’Arc A l’automne 1889, Sarah fêtera ses 45 ans et trouve une immense joie à de devenir pour la première fois… grand–mère. Son énergie créatrice est à son zénith. Sarah est patriote, elle l’a prouvé à maintes reprises notamment en 1870 et en refusant toutes les invitations à se produire en Allemagne. Elle rêve maintenant d’incarner au théâtre un personnage symbolisant la France. C’est dans ce but qu’elle crée la mise en scène d’une pièce écrite par Jules Barbier sur Jeanne d’Arc. La première représentation a lieu le 3 janvier 1890. La foule se presse. Sarah a lu tout ce qui existait sur Jeanne d’Arc et elle parvient à la rendre extraordinairement contemporaine. Pour l’anecdote, sachez que Sarah joue une Jeanne qui tombe souvent à genoux en prière. Cette « gymnastique » aura des répercussions sur la santé de Sarah qui commence à souffrir de son genou droit. Après ce nouveau succès, la fièvre des voyages reprend et Sarah repart pour une tournée de trois ans en Amérique et en Australie où elle fera l’acquisition d’un koala, un wallaby et un opossum. 15 mois de voyage soit 395 représentations ! A son retour à Paris, elle est l’actrice la plus riche de son temps. Elle achète le théâtre de la Renaissance qu’elle rénove à grands frais et s’entoure d’un nouveau collaborateur, Mucha, merveilleux artiste « Art nouveau déco » qui réalisera pour elle affiches, mobiliers et décors. Sarah trouve et
s’éprend d’un des plus beaux paysages de notre Europe : La pointe des
Poulains à Belle-Ile-en-Mer En 1894, elle achète en Bretagne la Pointe des Poulains de Belle-Ile avec son petit fortin autrefois destiné à défendre la côte. La propriété constitue en fait l’extrémité nord de l’île, battue par les vents et la mer. Le paysage y est extrêmement sauvage et spectaculaire. L’érosion a sculpté les immenses rochers qui bravent des flots déchaînés en des compositions surréalistes dont l’œil ne se lasse jamais. C’est vraiment le bout du monde, la « finis terrae » où les soucis des hommes paraissent dérisoires face à une nature qui semble toujours devoir avoir le dernier mot. Sarah se retrouve dans ce paysage qui lui ressemble. « Moi j’adore la mer et la plaine, mais je n’aime pas les
montagnes, ni les forêts. La montagne m’écrase. La forêt m’étouffe. Il me faut
à tout prix, de l’horizon à perte de vue, et du ciel à perte de rêve. » Le couvercle du carton à chapeau orné du « Portrait de Sarah Bernhard en colère » réalisé par Georges Clairin (1843-1919) Elle aménage le fortin puis fait construite derrière celui-ci une maison de cinq chambres pour ses hôtes, la villa « Cinq parties du monde » car elle ne peut concevoir des vacances qu’entourée de gens qu’elle aime et qui l’aiment. Le peintre George Clairin est l’un de ceux-ci et disposera même d’un atelier à demeure. Sarah montrera une fidélité à toute épreuve envers Belle-Isle. Elle y séjournera durant ses vacances pendant plus de trente ans ! Conversations, peinture, promenades, chasse à l’oiseau dans les rochers : les activités ne manquent jamais à marquent pour toute leur vie les visiteurs qui ont séjourné auprès de Sarah à Belle-Isle dans sa propriété vite appelée « Sarahtorium » ! Voici de sa plume comment se déroulait une de ses journées : Je me lève de bonne heure entre
cinq et six heures. Tout de suite, chasse. A 8 heures, je rentre, je pose mon
fusil et je vais pêcher la crevette. Je reviens de la pêche à 11 heures. Alors,
c’est le bain, la toilette, et à midi, le déjeuner. Après le déjeuner, la
sieste. La sieste est obligatoire et saine. Depuis le réveil, c’est mon premier
moment de repos physique, d’immobilité, de silence. Nous nous allongeons sur
des chaises longues, dans des fauteuils d’osier, contre le fort, garés de la
brise du large. La consigne est de se taire ; chacun médite, on lit, on
dort, à sa guise. Puis travail. Dans l’atelier que j’ai fait construire, face
au fort, chacun a son coin ; moi je lis des manuscrits, je repasse ou
j’apprends des rôles, ou je fais de la sculpture. A cinq heures, nous allons au
tennis. Ensuite nous dînons. Ensuite on fait de la musique. Ensuite on se
couche. Ensuite tout recommence… (1897, pour les lectrices de la revue Femina) Sarah, désirait être enterrée sur son rocher de la Pointe des Poulains face à l’océan. Ce vœu ne fut pas exaucé mais aujourd’hui en 2013, l’âme de Sarah reste extraordinairement présente à Belle-Ile. La mise en valeur de sa propriété est réalisée depuis l’an 2000. La villa « Cinq parties du monde » fait redécouvrir la star que fut Sarah tandis que le fortin montre un intérieur tel que Sarah l’avait conçu. Les promenades autour de la Pointe des Poulains et de son phare ont été balisées et offrent le spectacle d’une nature belle, sauvage et libre désormais sous la protection du Conservatoire du Littoral. En résumé un site d’une beauté époustouflante que tout amoureux de la Bretagne doit absolument voir, admirer, sentir, humer, respirer… Sarah, une femme qui ne
supporte pas l’injustice et qui prend parti pour Dreyfus Mais revenons à la carrière de Sarah ! En 1896, elle repart une nouvelle fois en Amérique et à son retour crée une pièce de théâtre à partir d’un texte très difficile écrit en 1833 par Alfred de Musset et intitulé « Lorenzaccio ». Dans cette pièce, Sarah dans le rôle de Laurenzo de Médicis excelle à jouer le rôle d’un jeune homme mélancolique au caractère très complexe. Plus que jamais les Parisiens l’adulent. Le 9 décembre 1896, un comité de gens de lettres et d’artistes organise « une journée Sarah Bernhardt » au Grand Hôtel. Sarah est fêtée parmi cinq cents invités dont le Président de la République, Poincaré et la princesse de Monaco. En son honneur, Jean Rostand déclame : En ce temps sans beauté, seule
encore tu nous restes Sachant descendre, pâle un grand
escalier clair, Ceindre un bandeau, porter un
lys, brandir un fer. Reine de l’attitude et princesse des gestes. En ces temps sans folie,
ardente, tu protestes ! Tu dis des vers. Tu meurs
d’amour. Ton vol se perd. Tu tends des bras de rêve, et
puis des bras de chair. Et quand Phèdre paraît, nous sommes tous incestes. Sarah est patriote mais elle est aussi scandalisée par l’injustice. Dans l’affaire Dreyfus, c’est elle qui va demander à Zola d’user de sa notoriété pour prendre position dans le débat. Après que Zola eût écrit l’article « J’accuse » Sarah se montrera pleine de reconnaissance pour l’écrivain. L’attitude de Sarah est courageuse, son intervention en faveur de Dreyfus lui amènera pas mal de déboires puisque les antidreyfusards vont jusqu’à crier des insultes durant les représentations de la pièce « Les mauvais bergers ». On se bat même dans son théâtre au point que la police ordonnera sa fermeture pour quelques jours ! Bientôt son théâtre se révèle trop petit pour être rentable. Sarah a englouti plus de deux millions et demi de francs dans sa rénovation et elle n’a pas récupérer sa mise. Elle se fait opérer d’un kyste de l’ovaire par le célèbre docteur Pozzi, part deux mois se reposer à Belle-Isle puis décide de repartir en tournée, cette fois en Italie et à Monte-Carlo. A son retour elle signe un bail pour un théâtre de 1.700 spectateurs, le Théâtre des Nations qu’elle rebaptise Théâtre Sarah Bernhardt. Dans ce théâtre, elle se fit construire un véritable appartement dans lequel elle vivait. Souvent cependant elle préférait dîner seule sur scène et selon son humeur faisait mettre un décor champêtre ou une forêt afin de manger ainsi « à la campagne ». Si le lendemain elle voulait s’évader de la France, elle faisait mettre un décor italien ou égyptien « dressé pour le dîner de Madame Sarah » ! Sarah prendra de l’âge
mais arrivera à conserver une âme de 20
ans La première représentation dans son nouveau théâtre eût lieu le 21 janvier 1899 avec une reprise de « La Tosca ». Le théâtre affichera complet pendant deux mois ! Sarah est infatigable, elle répète le jour, la nuit, dirige tout, reçoit, travaille et règle les moindres détails de la mise en scène. Durant l’exposition universelle de 1900, les visiteurs peuvent l’admirer dans un film intitulé le duel d’Hamlet. La scène sans paroles se termine par la mort des deux protagonistes. Sarah fait ainsi le lien entre le théâtre et le cinéma naissant. En 1900, Sarah joue la première de « L‘Aiglon » écrit pour elle par Edmond Rostand. Le scénario est simple : exilé jeune, le fils de Napoléon rêve de grandeur et voudrait reprendre le trône de France. Malheureusement le complot qu’il organise échoue et l’Aiglon meurt de tuberculose. Sarah joue le rôle de l’Aiglon à plus de 56 ans ! Pourtant elle parvient non seulement à se travestir en garçon mais à incarner un adolescent ! Ce véritable tour de force la place encore une fois au sommet de l’art théâtral. Sarah sera représentée sous les traits de l’Aiglon sur une carte postale qui sera diffusée à des milliers d’exemplaires. Le 25 septembre, on fêtera la deux centième représentation de L’Aiglon ! Fin octobre 1900, elle repart pour une tournée en Amérique qui durera jusqu’en mai. Plutôt que de jouer dans des petits théâtres, Sarah proposa de jouer sous un chapiteau pouvant accueillir en une fois, beaucoup de spectateurs. La proposition fut acceptée et l’on conçu pour elle un chapiteau pouvant accueillir 4.800 personnes et qui se transportait aisément de ville en ville ! Malgré cela les places manquaient encore comme ce fut le cas à Omaha quand un cow-boy à cheval sortit son révolver pour en exiger une ! « L’Aiglon » le 15 mars 1900. (Roger Viollet) Revenue en Europe, Sarah, en 1902, accepte finalement de se produire en Allemagne, à Berlin mais à la condition de pouvoir jouer au moins une fois « L’Aiglon », ce qui lui permet de prononcer des paroles antigermaniques ! En 1903, elle obtient un nouveau grand succès en jouant « La Sorcière » de Sardou plus d’une centaine de fois. Après ce succès, elle part en 1905 pour Rio de Janeiro. C’est à cet endroit, en jouant « La Tosca » que Sarah, simulant le suicide en tombant du haut d’un décor représentant le château Saint-Ange, se blesse à nouveau au genou droit. La faute provient du régisseur qui avait omis de placer le matelas prévu pour amortir la chute. De janvier à juin 1906, elle se produit aux Etats-Unis et au Canada. A son retour en France elle part se reposer à Belle-Isle. Les habitants de l’île sont reconnaissants de la gentillesse de « la Divine » ! Sarah témoigne en effet beaucoup de considérations envers les gens du peuple. Simple avec les gens simples elle pouvait cependant se montrer arrogante avec les gens imbus d’eux-mêmes comme en fait foi l’anecdote suivante : Un jour, Sarah en conversation avec une actrice s’entendit dire : – C’est curieux que vous ayez encore le trac en jouant la comédie ! Et Sarah répondit : – Vous verrez ma chère, quand vous aurez du talent ! Sarah est devenue une véritable institution à elle seule. Son énergie ne faiblit pas malgré son genou droit qui la fait fort souffrir. En 1910, la mort surprend sa belle-fille et comme elle l’avait déjà fait pour ses deux sœurs et pour sa nièce, elle recueille sa petite-fille Lysiane chez elle. Celle-ci ne la quittera plus. Plus tard, Lysane Bernhard rédigera un volumineux livre en hommage à Sarah et intitulé « Ma grand-mère Sarah Bernhardt ». En 1910, Sarah repart une nouvelle fois en tournée Etats-Unis. Sarah, âgée de 66 ans, emmène avec elle un jeune homme de 27 ans. Les commérages vont bon train mais Sarah comme d’habitude n’en a cure ! A la Nouvelle Orléans, elle participe à une chasse aux crocodiles et écrit avec humour à son fils Maurice : « Je vais à la chasse au crocodile avec un ami paralysé des deux
jambes. Moi j’ai le genou que tu connais ; sur les quatre jambes, il n’y
en aura qu’une de bonne et voilà comment on fait les meilleures chasses. Nous
partons à 3h1/2 ce matin après avoir joué « La femme X » et
« Jeanne d’Arc », et nous serons de retour demain soir pour
jouer « La sorcière ». Toujours à son fils qui dirige son théâtre à Paris pendant son absence, elle écrit cette lettre dans laquelle elle lui reproche d’avoir changer le dénouement d’une pièce. Mais cette missive qui montre une Sarah tragédienne mais aussi directrice de théâtre, contient aussi un merveilleux témoignage de l’amour maternel : « La venue des petits enfants par la fenêtre était d’un angoissant
à mourir sur place et puis c’était original, nouveau ; ce n’était pas l’imbécile
qui payait ses fautes, son entêtement… l’innocent enfant, c’était la vérité
horrible de la vie qui châtie toujours l’innocent… le fou était seul avec
l’enfant… et le meurtre s’achevait indescriptiblement émouvant, shakespearien,
digne du second acte. Tu as dû te laisser attendrir par Chameroy, vieux jeu ou
la femme, ou… je ne sais, mais quand on fait de l’homme ça ne devient beau que
lorsque cela devient surhumain d’horreur. C’est ce qu’on appelle la
tragédie ! Le Public aurait protesté, tant mieux ! On aurait hurlé à
l’horrible, à l’impossibilité, tant mieux ! Ce sont les protestations du
public au 3 de la Tosca qui a porté cette pièce MAUVAISE (c’est Sarah qui
souligne !) à son éternel
succès » Je ne regrette pas que tu ne m’aies parlé de ce changement. Là,
nous n’aurions pas été d’accord, tu as toujours plus confiance dans les autres
que dans moi-même. Ceci n’est pas un reproche, mon adoré fils, ça doit être ma
faute, je n’ai pas su t’inspirer une confiance intellectuelle. Tu as foi dans
mon profond amour pour toi, mais pas dans mon intelligence. Je te dois tout !... Mes pensées les
meilleures, mes actes biens ; mon effort vers le beau, ma petite gloire
que j’ai voulu avoir pour te consoler de n’avoir que moi, que mon nom !
Seulement tu me forces à me renfermer un
peu, à essayer d’être froide et cela me fait mal ! Prends soin de ce cœur
qui ne bat que pour toi. (Lettre autographe, datée de Toledo (Ohio) du 20
nov 1910) En 1912, elle tourne son premier long métrage… de 12 minutes. Elle a compris que le cinéma lui permet d’augmenter encore sa notoriété. Le film suivant « La Reine Elisabeth » fait un triomphe. Cette fois le film dure 50 minutes. En janvier 1914, elle est décorée de la Légion d’Honneur. A la même époque, elle obtient un très beau succès dans la pièce « Jeanne Doré » dans laquelle elle récite un véritable plaidoyer contre la peine de mort. Sarah souffre beaucoup de son genou mais ne se plaint jamais. Tout dans la mise en scène est calculé pour qu’elle n’ait pas à se déplacer. La guerre éclate et Sarah veut comme en 1870 créer une ambulance à Paris. Clemenceau parvient à l’en dissuader et Sarah rejoint alors le sud de la France et y fête ses septante ans. 1916, Sarah crie
« Aux armes » ! Amputée et âgée de septante ans, elle joue au
théâtre des armées pour les soldats du front ! A Andernios, elle se remet à la peinture tout en rédigeant un volumineux courrier destiné aux rédactions des journaux américains pour les sensibiliser au sort de la France. Son genoux droit est de plus en plus douloureux, il s’agit sans doute d’une arthrite tuberculose aggravée par de nombreux traumatisme. Son fameux médecin, le Dr Pozzi[1] qu’elle appelle « Docteur-dieu », essaie de soulager ses douleurs par un plâtre mais le résultat n’est pas satisfaisant. Sarah va finalement demander à son médecin de l’amputer : « Je vous supplie de me couper la jambe un peu au-dessus du genou.
Ne vous récriez pas : j’ai peut-être dix ou quinze ans à vivre. Pourquoi
me condamner à souffrir ces quinze ans, pourquoi me condamner à
l’inactivité ? » Finalement le Dr Pozzi fera opérer Sarah par un de ses anciens élèves à Bordeaux. Le 22 février 1915, elle aurait chantonné la Marseillaise en partant pour la salle d’opération ! Durant les deux mois de convalescence elle essaie de nombreux modèles de prothèses pour finalement décider de s’en passer au profit d’une chaise à porteur qu’elle fit construire en style Louis XV. L’intervention a soulagé effectivement les douleurs de Sarah qui se remet au travail. Elle prend part à un documentaire filmé « Ceux de chez nous » destiné à mettre en valeur la culture française décriée par les Allemands. Elle tourne aussi une fiction « Jeanne doré », d’après la pièce qu’elle jouait avant-guerre. Et surtout elle veut jouer un poème dramatique d’Eugène Morand « Les cathédrales ». Cette pièce de théâtre donne la parole aux cathédrales françaises qui subissent de plein fouet la guerre. Sarah tient le rôle de la cathédrale de Strasbourg. Devant un décor de champ de bataille, les acteurs, immobiles figures de pierre représentant Strasbourg, Reims, Verdun se mettent à raconter. Ce rôle immobile convient à Sarah amputée. Mais le patriotisme de Sarah ne peut se contenter de donner des représentations classiques. Elle veut être présente au milieu des soldats et s’engage au « Théâtre des Armées ». Ses représentations devant les Poilus finissent en apothéose par le cri de Sarah « Aux armes ! » qu’elle fait suivre immédiatement par « La Marseillaise ». La vieille dame apporte ainsi un peu de sa force aux soldats. Sarah Bernhardt aux armées. L’actrice Dussane qui l’accompagne au front, nous apporte ce beau témoignage sur le courage de Sarah : « J’avais vu le génie de Sarah, je vis son courage. Non, nous n’avons pas été bombardées, il ne s’agit pas de cela. Mais son courage d’infirme, à qui la volonté tient lieu de tout à chaque heure du jour. Nous partions vers midi en automobile, et ne rentrions que le soir fort tard. Aux haltes, le travail et, comme loges, des réduits de hasard, avec des chaises de paille et des escabeaux de bois, l’excessive chaleur d’une tente au soleil ou l’humidité d’un coin de cave. Un moment, je me trouvai seule avec elle, et je dus l’aider dans sa toilette. Elle allait de sa chaise à la table, en s’appuyant sur moi et en sautant à cloche-pied sur son unique jambe de septuagénaire, qui avait la sécheresse d’une patte d’oiseau sans en avoir la solidité. Et elle me disait en riant : « je fais la pintade, je fais la pintade…» En 1917, de retour à Paris, elle tourne un film de propagande intitulé « Mères françaises » dans lequel elle joue le rôle d’une maman perdant son fils à la guerre. Elle crée aussi une nouvelle pièce « Du théâtre au champ d’honneur » dans laquelle elle tient le rôle d’un soldat gravement blessé qui cherche l’endroit où est caché le drapeau de son bataillon pour le brandir dans un dernier geste héroïque juste avant de mourir. Sarah, pour achever son action patriotique, décide de se rendre en Amérique pour convaincre l’opinion publique de rentrer dans la guerre au secours de la France. Elle s’embarque le 30 septembre 1916 et parcourt les Etats-Unis pendant 18 mois. En mars 1917, elle est cependant obligée d’interrompre sa tournée à cause d’un gros calcul rénal qui lui vaut une intervention chirurgicale dans un hôpital de New-York. A peine rétablie, elle reprend sa tournée. Les Etats-Unis rentrent en guerre. Sarah est fière d’avoir pu influencer cette prise de décision. Entre août 17 et octobre 18, elle a parcouru plus d’une centaine de villes pour jouer « Les cathédrales » ou « Du théâtre au champ d’honneur ». A chaque fois, la vieille femme, quand elle se met à jouer, se métamorphose en un personnage vibrant d’énergie et de patriotisme. De retour au pays, elle débarque au Havre exactement le jour de l’armistice, le 11 novembre 1918. A sa manière, la courageuse Sarah a contribué à la victoire ! Sarah Bernhardt, amputée, jouant vers 1916 le rôle d'un soldat blessé dans la pièce "Du théâtre au champ d'honneur" Jusqu’à la mort,
infatigable et optimiste ; elle
désire travailler et continuer à plaire aux autres !
Sarah publie un roman « Petite idole ». Le 1er avril 1920, tout Paris vient l’applaudir dans « Athalie ». Elle entre en scène dans une chaise à porteur comme une véritable reine ! A la fin du spectacle, les spectateurs sont tellement hypnotisés par l’actrice qu’ils finissent par prendre parti pour « Athalie », la cruelle usurpatrice. L’été 1921, elle présente « Daniel » à Londres et est présentée à la Reine Mary qui lui conseille de prendre du repos. Sarah lui répond : « Majesté, je mourrai sur la scène, c’est mon champ de bataille. » Sarah rentrée en France publie encore un roman « Joli sosie » puis âgée de 78 ans se résout à vendre sa propriété de Belle-Ile. Elle repart cependant en tournée et donne 48 représentations dans 32 villes françaises avant de s’embarquer pour l’Italie. Sa dernière apparition en public date du 29 novembre 1922 à Turin. Epuisée, elle rentre plus tôt que prévu à Paris. Dans les premiers mois de 1923 elle apprend cependant encore le rôle de Cléopâtre espérant jouer dans « Rodogune » de Corneille. Mi-mars, on tourne un film où elle tient le rôle d’une vielle voyante mais quelques jours plus tard elle est prise de délire. Dans un moment de lucidité, elle demande l’extrême-onction et s’éteint comme elle l’avait toujours désiré, dans les bras de son fils. Voici comment elle exprimait à son fils ce vœu dans une lettre écrite de nombreuses années auparavant de San Pedro : « Je t’aime d’un amour immense, sans bornes et quand je mourrai, je sens bien que les larmes qui mouilleront mes yeux seront du regret de ne plus jamais te voir. Ceux-là qui croient sont heureux, mais ceux-là qui comme moi ne croient pas souffrent de l’éternel adieu ! Mais tu me tiendras dans tes bras et tu me diras : ce n’est pas la mort, c’est le sommeil, demain tu me reverras, dors mère chérie, et peut-être mon esprit moins vivant croira ta voix amie » Le jour même de sa mort, toutes les actrices de Paris viennent déposer leurs bouquets au 56 boulevard Pereire, la résidence de Sarah. On fait la file le lendemain pour l’admirer une dernière fois revêtue de sa robe de satin blanc décorée de la Légion d’honneur ainsi qu’elle le désirait. La Divine est enterrée le 28 mars 1923 au Père Lachaise. Le gouvernement Poincaré, catholique et bien-pensant lui a refusé des funérailles nationales, ce qui n’empêche pas une foule immense d’accompagner Sarah sans sa dernière demeure. Sarah a fini ce jour là de construire sa légende à force de talents mais aussi de travail et de volonté. Elle laissa à sa famille pour toute fortune l’éclat de son nom, la magnificence de sa légende. Elle avait gagné des sommes prodigieuses, elle ne possédait rien ! Des funérailles presque nationales. (Roger Viollet) Conclusion Fascinante Sarah qui
aurait pu dire comme Molière : « Je hais ces cœurs pusillanimes qui,
pour trop prévoir la suite des choses, n’osent rien entreprendre. Sarah fascinait et elle fascine encore. Elle fut une femme pionnière dans de nombreux domaines : elle lança la mode des autographes, fut la première à se libérer des corsets pour se montrer une femme libre, souple, svelte. Elle promulgua l’Art Nouveau et le cinéma. Elle se montra de façon extraordinaire passionnée par la vie et dans cette passion n’oublia pas la vie animale. Elle ne pouvait vivre sans un « Amour » à ses côtés mais les arts lui étaient aussi nécessaires que l’oxygène. Le théâtre ne lui suffisait pas et elle s’essaya à la sculpture, peinture, littérature ! Elle fut une grande patriote et n’hésita pas une seconde à se transformer en infirmière dans sa jeunesse et malgré son amputation, à jouer pour les Poilus dans sa vieillesse ! Sarah, fut aussi une femme qui ne se plaignit jamais malgré les coups du sort dont elle ne fut pas épargnée ! Cette dame qui se surnommait « Quand même » fut une grande actrice parce qu’elle percevait avec grande acuité les souffrances humaines entraînées par les tragédies de chaque vie. Sur scène, elle se dédoublait dans son personnage de façon extraordinaire, ce qui lui faisait dire en sortant de sa loge pour rentrer sur scène : « Je me quitte ». Elle avouera : « Je n’ai jamais joué « Phèdre » sans m’évanouir ou cracher du sang, et après le quatrième acte de Théodora, dans lequel je tue Marcellus, je suis dans un tel état nerveux que je remonte dans ma loge en sanglotant ». Là où elle était, elle manifesta toujours énormément de respect pour les gens les plus simples, ce qui ne l’empêcha pas d’être aussi une femme d’affaires très efficace. Sans jamais avoir été être une « suffragette », Sarah fut finalement une pionnière dans l’émergence d’une nouvelle femme, une femme libre et non plus soumise ! Nul doute que beaucoup de femmes sont aujourd’hui comme des Sarah essayant, malgré les difficultés, de combiner travail, amour, passions et militance pour chanter la vie et ainsi l’honorer ! Janvier 2013 Dr Loodts. P Biographie succincte – Sarah Bernhardt, Sophie-Aude Picon, folio biographie, n° 69, Gallimard 2010 – Ensorcelante Sarah Bernhardt, André Castelot, Librairie Perrin, 1961 – Sarah Bernhardt, Binet-Valmer, Flammarion ,1936
[1] Dr Pozzi (1846-1918) : ce médecin devint un célèbre chirurgien (surtout pour ce qui est des opérations gynécologiques). On lui doit la propagation en France de l’antiseptie inventée par Lister en Angleterre. Il fut aussi un ardent propagateur de la technique inventée par le Dr Carrel pour désinfecter les graves traumatismes avec la solution de Carrel-Dakin. Le Dr Pozzi écrivit des livres de chirurgie très renommés. Il était coquet et grand séducteur. A son épouse qui ne voulait pas divorcer, il disait « je ne vous ai pas trompée, je vous ai complétée ». Il fut le médecin de la haute société et notamment de Proust. En 1914, malgré son grand âge (70 ans), il se porta volontaire et servit comme chirurgien dans plusieurs hôpitaux militaires de Paris. Il mourut en service puisqu’il fut assassiné le 13 juin 18 par un de ses patients frappé de démence ! Voir : http://www.samuelpozzi.net/ |