Médecins de la Grande Guerre

Marc de Larréguy, soldat et poète de 21 ans, repose auprès du « grand » Lamartine !

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Marc de Larréguy, soldat et poète de 21 ans, repose auprès du « grand » Lamartine !

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Marc de Larréguy de Civrieux

Le célèbre Lamartine

L’entrée des touristes au château de Saint-Point se fait par cette porte.

Le Château de Lamartine avec sur la gauche au premier étage le bureau du poète dont la fenêtre offrait une vue sur l’église romane

Le mausolée de Lamartine côtoie la tombe de Marc Larreguy de Civrieux

L’explication du côtoiement des deux tombes

« Mon âme a espéré » Lamartine interrogea souvent Dieu dans ses poèmes. Il repose ici

La chapelle romane de Saint-Point

Lamartine de son bureau voyait ce paysage. La pelouse du château de Saint-Point jouxte la petite église romane et son cimetière. Aujourd’hui, il y repose en compagnie de son jeune admirateur de 21 ans Marc de Larreguy

Le paysage que l’on découvre du château de Saint-Point

Portrait de la fille de Lamartine, Julia décédée pendant le voyage que fit Lamartine en famille en orient. C’était mon univers, Mon mouvement, Mon bruit, La voix qui m’enchantait, Dans toutes mes demeures, Le charme ou le souci de mes yeux, de mes heures, Mon matin, mon soir ; ma nuit… (Gethsemani ou la mort de julia)

Cluny se trouve à quelques kilomètres du château de saint-Point. Ici, nous voyons l’emplacement de la plus grande église abbatiale d’Europe dont il ne subsiste plus que l’impressionnante tour de la travée est. La photo est prise à l’endroit où se trouvait le porche.

Un père désespéré offre à son fils mort pour la France la compagnie de Lamartine  pour l’éternité !

A ma compagne de Saint-Point, mon unique et merveilleuse Elvire !


Marc de Larréguy de Civrieux

L’histoire est tragique et véridique. Un père, Louis de Larréguy élève  son fils Marc  avec amour  afin  d’en faire un homme  épris des arts et de la libre pensée…Le temps de l’enfance passe et le père observe  avec satisfaction que son fils adolescent est devenu tel qu’il le souhaitait, un jeune homme humaniste et poète à ses heures… Marc, au fil de ses lectures, est devenu aussi un admirateur inconditionnel du grand poète Lamartine (1790-1869)…Cela n’a rien pour déplaire à son père Louis car Alphonse Lamartine fut de toute évidence un homme éclairé, un exemple  à suivre !  Ne fut-il pas l’homme idéal, c'est-à-dire, à la fois homme d’action et homme de lettres ?  Politicien idéaliste épris de la liberté et ennemi de l’esclavage en même temps qu’un  très grand  poète   à succès   ? Lamartine, éternel amoureux, essaya de trouver   dans la beauté  mais aussi dans les injustices subies par l’homme  les motivations  d’un Dieu insaisissable…Un  Dieu   qu’il interrogea  sans relâche toute sa vie   au fil de ses innombrables rimes…Ses « méditations » ne constituent-elles pas une immense supplique adressée au Ciel ?  Lamartine en  homme  visionnaire en avance sur son temps  se voulait aussi  défenseur d’une presse entièrement  libre œuvrant pour la progression du bien, de la liberté dans le cadre d’un autre patriotisme que celui que connaissait son temps.

Il y a deux patriotismes ; il y en a un qui se compose de toutes les haines, de tous les préjugés, de toutes les grossières antipathies que les peuples abrutis par les gouvernements intéressés à se désunir nourrissent les uns contre les autres…Ce patriotisme coûte peu : il suffit d’ignorer, d’injurier et de haïr.

Il en est un autre qui se compose au contraire de toutes les vérités, de toutes les facultés, de tous les droits que les peuples ont en commun et qui, en chérissant avant tout sa propre patrie, laisse déborder ses sympathies au-delà des races, des langues, des frontières et qui considère les nationalités diverses comme les unités partielles de cette unité générale dont les peuples les plus divers ne sont que des rayons, mais dont la civilisation est le centre.

 (Lamartine), discours sur l’abolition de l’esclavage, 10 mars 1842)



Le célèbre Lamartine

Mais revenons au jeune Marc de Larréguy qui s’élève au contact des œuvres de  Lamartine. Son père s’enorgueillit de ce fils si prometteur. Mais les convulsions guerrières qui agitent l’Europe ne laisseront pas  le  temps à Marc de se réaliser pleinement. L’affreuse guerre éclate !  Le père s’en va trouver son fils et lui commande de s’engager…ce dernier se montre réticent ; on le comprend sachant  la profonde communion d’idées  qu’il éprouve avec Lamartine. Il cite à son père cette parole de son maître à penser : « L’égoïsme et la haine ont seuls une patrie. La Fraternité n’en a pas »

Mais Marc n’était pas un lâche, il  part au front le 5 juillet 1915  résigné par la piété filiale et entraîné par la folie collective…Il accomplit alors son devoir pendant  17 mois avant de  succomber à Froideterre près de Verdun le 18 novembre 1916 !

Pendant ses 17 mois de guerre, Marc écrivit plus de cinq cent lettres et des  dizaines  de poèmes illustrant  la réalité de la Grande Guerre  en Argonne !

Le jeune poète excellait à décrire la belle forêt d’Argonne indifférente aux souffrances des hommes qui y guerroyaient. Lisez ce poème et vous  éprouverez en un instant les sentiments désespérés  du « poilu » occupant jour après jour  sa tranchée  noyée dans le froid  et l’humidité de la sombre forêt d’Argonne.

Inferno

O forêt de l’Argonne ! Hélas je t’ai connue

A l’heure où la bataille a pris tes horizons ;

Un de tes noirs ravins me tient lieu de prison

Et j’y vis face avec ta beauté nue !

 

Mais, soit que le soleil chauffe tes frondaisons

Ou que le givre pende à tes cimes chenues

J’entends le vent râler parmi tes avenues

Comme la voix des morts couchés sous ton gazon

 

Tes arbres, suppliciés par la guerre sans trêve,

Crispent leurs moignons vifs aux blessures de sève

En des poses d’horreur protestant au ciel las !

 

Et, métamorphosant leurs formes gigantesques,

Dans l’ombre, humanisés, ils incarnent, dantesques,

Tes cadavres roidis dans la nuit d’au-delà

Janvier 1916 au front

Un jour le courrier ne parvint plus au père Louis, puis vint l’attente funeste et finalement l’annonce à la famille de la  mort de l’être aimé ! La mort du fils entraîna le père dans le malheur… Un père  à jamais  culpabilisé,  coupé,  comme il l’écrira, à jamais du chef-d’œuvre issu de lui-même…Un chagrin immense mais  semblable à celui éprouvé par  des milliers d’autres pères, le même  chagrin  mêlé  de remords  que celui  qui fut éprouvé par  le célèbre   Kipling  lorsqu’il apprit la disparition de son fils John  d’à peine 18 ans ! Un fils que le prix Nobel de littérature  avait littéralement poussé de ses deux bras  dans la guerre.  Kipling était en effet intervenu  auprès des plus hautes autorités  pour que son fils puisse être engagé malgré l’inaptitude médicale que les médecins militaires avaient prononcée en raison de la forte  myopie du jeune homme !

Louis de Larréguy, eu plus de chance que Rudyard Kipling pour retrouver la sépulture de son fils. Ce dernier  ne retrouva jamais de son vivant  la tombe de son fils John. Celle-ci ne fut en effet  identifiée qu’en 1991. Louis, influent et débrouillard,  parvint à  retrouver le corps de son fils sur le champ de bataille  et à le faire exhumer  dans les environs de Verdun et cela,  la veille du jour du déclenchement de l’offensive  de Verdun ! Le corps du  héros se trouvait roulé dans une toile de tente. Il est  mis en bière et rapatrié.  Le père supplie le ciel :

  « Ma faute, moi, je ne me la pardonne pas. Ma douleur se double du remords. Je veux donc m’efforcer d’éviter à autrui la même faute, les mêmes maux. »

Pour convaincre le monde de l’absurdité de la guerre, le père publie  le recueil de poésies  « La muse de sang[1] » que son fils avait préparé et qui contenait  ses plus beaux poèmes  ainsi qu’un avertissement aux futurs lecteurs :

 « En ces années où le mensonge journalistique a perverti tant d’esprits, il est bon de se souvenir de la phrase si profondément juste du grand tribun de la Paix, de notre Lamartine national et international :

« Je suis un homme avant d’être anglais, Français ou Russe. »

A tous ceux qui auront su sauvegarder cette qualité d’homme dans la folie universelle des intelligences, j’adresse ces visions de la Géhenne pour remplacer dans leur âme cette « image d’épinal »  du plus criminel des patriotismes que le commerce honteux de nos gens de lettres répand depuis la guerre. » (Marc de Larréguy)

 Le père, fait imprimé dans le recueil de son fils  son propre  mea culpa : « Parents, écoutez, avec la voix profonde de votre conscience, celle d’un père douloureux qui- dans le repentir atrocement vain- vous clame l’horreur de sa faute, écoutez ! Vous entendrez ceci :

Le sacrifice de la vie pour une « Patrie » contre un « autre » n’est que devoir Officiel (service obligatoire) : imposture qu’exploitent ambitieux et Malins, généralement préservés, eux. Mais le salut de votre fils, voici votre devoir naturel, bien simple et bien vrai, parent ! La « Patrie »… quoi donc et surtout qui donc ? »

Ces phrases retentissent comme un écho à celle que  Kipling écrivit à peu près au même moment,  quand il sillonnait les cimetières militaires britanniques en France  à la recherche de la sépulture sans nom qui aurait pu être celle de son fils !

« S’ils veulent savoir pourquoi nous sommes morts dites leur : c’est parce que nos pères ont menti » ( Rudyard Kipling)

Le père Louis  publie l’œuvre de son fils Marc mais cela ne suffit pas à atténuer son chagrin ! Il va user de  toutes ses influences pour offrir à son fils une sépulture exceptionnelle ! Son rêve est de faire reposer son fils auprès  du poète que ce dernier  admirait tant, le célèbre Lamartine ! On imagine les tractations avec les héritiers de Lamartine  et finalement  l’immense  satisfaction  du père  quand l’accord fut donné !

Lamartine fut un père immensément malheureux comme le père de Marc de Larréguy. Lamartine perdit en effet  ses deux enfants de tuberculose. Son premier enfant, un fils décéda à 20 mois en mars 1822. Julia, née  le 14 mai 1822, apporta une immense consolation aux parents  mais en  décédant  à l’âge de dix ans,  elle brisa  le cœur du poète et de son épouse !


Portrait de la fille de Lamartine, Julia décédée pendant le voyage que fit Lamartine en famille en orient. C’était mon univers, Mon mouvement, Mon bruit, La voix qui m’enchantait, Dans toutes mes demeures, Le charme ou le souci de mes yeux, de mes heures, Mon matin, mon soir ; ma nuit… (Gethsemani ou la mort de julia)

Eh ! bien, prends, assouvis, implacable justice,

D’agonie et de mort, ce besoin immortel !

Moi-même, je l’étends sur ton funeste autel,

Si je l’ai tout vidé, brise enfin mon calice !

 

Maintenant tout est mort dans ma maison aride :

Des yeux  toujours pleurant sont toujours devant moi.

Je vais sans savoir où ; j’attends sans savoir quoi,

Tous mes jours et mes nuits sont d e même couleur,

La prière en mon sein avec l’espoir est morte

 

(Gethsémani, Lamartine)

Marc fut donc enterré à Saint-Point à l’ombre de la chapelle romane jouxtant le château du poète et à 2 mètres de son mausolée. Près de cinquante ans après son décès,  on confia donc  à Lamartine un nouvel enfant mort, un tout jeune homme de 21 ans  qui l’avait tant  aimé et admiré !  Depuis presque un siècle, les deux poètes, le jeune et le vieux, l’admiré et le méconnu, reposent l’un à côté de l’autre en se veillant mutuellement  pour l’éternité.    

Vous tous qui arpentez la superbe région  de Cluny  dans laquelle se trouve le château de Saint-Point de  Lamartine, ne manquez pas de franchir la grille du petit cimetière qui jouxte le château. Inclinez-vous ensuite  devant les tombes des deux poètes qui désiraient d’abord servir  l’Humanité avant de servir la Nation ! Deux hommes dont les pensées communes  furent si bien résumées par l’écrivain Romain Rolland  dans  la préface de « la Muse de Sang » en 1922 :

Le coupable, c’est tout l’ensemble d’une société décrépite, c’est une religion vieillie, qui fut grande en son temps, qui est moribonde  et mortelle aujourd’hui, la religion  de la tribu, de la caste, de la nation, qui doit tomber, qui tombe devant la nouvelle foi, la foi en l’humanité. (Romain Rolland)

Dr Loodts P

Février 2012

 

 

 

 

 



[1] ) « La Muse de sang » peut être chargée gratuitement sur ce site

 



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