Médecins de la Grande Guerre
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Un père
désespéré offre à son fils mort pour A ma compagne de
Saint-Point, mon unique et merveilleuse Elvire ! Marc de Larréguy de Civrieux L’histoire est tragique et véridique. Un père, Louis de Larréguy élève son
fils Marc avec amour afin d’en faire un homme épris des arts et de la libre pensée…Le temps
de l’enfance passe et le père observe avec satisfaction que son fils adolescent est
devenu tel qu’il le souhaitait, un jeune homme humaniste et poète à ses heures…
Marc, au fil de ses lectures, est devenu aussi un admirateur inconditionnel du
grand poète Lamartine (1790-1869)…Cela n’a rien pour déplaire à son père Louis
car Alphonse Lamartine fut de toute évidence un homme éclairé, un exemple à suivre ! Ne fut-il pas l’homme idéal, c'est-à-dire, à
la fois homme d’action et homme de lettres ? Politicien idéaliste épris de la liberté et
ennemi de l’esclavage en même temps qu’un très grand poète
à succès ? Lamartine,
éternel amoureux, essaya de trouver dans la beauté mais aussi dans les injustices subies par
l’homme les motivations d’un Dieu insaisissable…Un Dieu
qu’il interrogea sans relâche
toute sa vie au fil de ses innombrables
rimes…Ses « méditations » ne constituent-elles pas une immense
supplique adressée au Ciel ? Lamartine
en homme visionnaire en avance sur son temps se voulait aussi défenseur d’une presse entièrement libre œuvrant pour la progression du bien, de
la liberté dans le cadre d’un autre patriotisme que celui que connaissait son
temps. Il y a deux patriotismes ;
il y en a un qui se compose de toutes les haines, de tous les préjugés, de
toutes les grossières antipathies que les peuples abrutis par les gouvernements
intéressés à se désunir nourrissent les uns contre les autres…Ce patriotisme
coûte peu : il suffit d’ignorer, d’injurier et de haïr. Il en est un autre qui se compose
au contraire de toutes les vérités, de toutes les facultés, de tous les droits
que les peuples ont en commun et qui, en chérissant avant tout sa propre patrie,
laisse déborder ses sympathies au-delà des races, des langues, des frontières
et qui considère les nationalités diverses comme les unités partielles de cette
unité générale dont les peuples les plus divers ne sont que des rayons, mais
dont la civilisation est le centre. (Lamartine), discours sur
l’abolition de l’esclavage, 10 mars 1842) Le célèbre Lamartine Mais revenons au jeune Marc de Larréguy qui s’élève au contact des œuvres de Lamartine. Son père s’enorgueillit de ce fils
si prometteur. Mais les convulsions guerrières qui agitent l’Europe ne
laisseront pas le temps à Marc de se réaliser pleinement. L’affreuse
guerre éclate ! Le père s’en va
trouver son fils et lui commande de s’engager…ce dernier se montre
réticent ; on le comprend sachant
la profonde communion d’idées qu’il éprouve avec Lamartine. Il cite à son
père cette parole de son maître à penser : « L’égoïsme et la haine ont seuls une patrie. La Fraternité n’en a
pas » Mais Marc n’était pas un lâche, il part au front le 5 juillet 1915 résigné par la piété filiale et entraîné par
la folie collective…Il accomplit alors son devoir pendant 17 mois avant de succomber à Froideterre
près de Verdun le 18 novembre 1916 ! Pendant ses 17 mois de guerre, Marc écrivit plus de cinq cent lettres et
des dizaines de poèmes illustrant la réalité de la Grande Guerre en Argonne ! Le jeune poète excellait à décrire la belle forêt d’Argonne indifférente
aux souffrances des hommes qui y guerroyaient. Lisez ce poème et vous éprouverez en un instant les sentiments désespérés du « poilu » occupant jour après
jour sa tranchée noyée dans le froid et l’humidité de la sombre forêt d’Argonne. Inferno O forêt de l’Argonne ! Hélas
je t’ai connue A l’heure où la bataille a pris
tes horizons ; Un de tes noirs ravins me tient lieu
de prison Et j’y vis face avec ta beauté
nue ! Mais, soit que le soleil chauffe
tes frondaisons Ou que le givre pende à tes cimes
chenues J’entends le vent râler parmi tes
avenues Comme la voix des morts couchés
sous ton gazon Tes arbres, suppliciés par la
guerre sans trêve, Crispent leurs moignons vifs aux
blessures de sève En des poses d’horreur protestant
au ciel las ! Et, métamorphosant leurs formes
gigantesques, Dans l’ombre, humanisés, ils
incarnent, dantesques, Tes cadavres roidis dans la nuit
d’au-delà Janvier 1916 au front Un jour le courrier ne parvint plus au père Louis, puis vint l’attente
funeste et finalement l’annonce à la famille de la mort de l’être aimé ! La mort du fils
entraîna le père dans le malheur… Un père
à jamais culpabilisé, coupé, comme il l’écrira, à jamais du chef-d’œuvre
issu de lui-même…Un chagrin immense mais semblable à celui éprouvé par des milliers d’autres pères, le même chagrin
mêlé de remords que celui qui fut éprouvé par le célèbre Kipling
lorsqu’il apprit la disparition de son fils John d’à peine 18 ans ! Un fils que le prix
Nobel de littérature avait littéralement
poussé de ses deux bras dans la guerre. Kipling était en effet intervenu auprès des plus hautes autorités pour que son fils puisse être engagé malgré l’inaptitude
médicale que les médecins militaires avaient prononcée en raison de la forte myopie du jeune homme ! Louis de Larréguy, eu plus de chance que Rudyard Kipling pour retrouver la sépulture de son fils. Ce
dernier ne retrouva jamais de son vivant la tombe de son fils John. Celle-ci ne fut en
effet identifiée qu’en 1991. Louis, influent
et débrouillard, parvint à retrouver le corps de son fils sur le champ de
bataille et à le faire exhumer dans les environs de Verdun et cela, la veille du jour du déclenchement de
l’offensive de Verdun ! Le corps du
héros se trouvait roulé dans une toile
de tente. Il est mis en bière et
rapatrié. Le père supplie le ciel : « Ma faute, moi, je ne me la pardonne
pas. Ma douleur se double du remords. Je veux donc m’efforcer d’éviter à autrui
la même faute, les mêmes maux. » Pour convaincre le monde de l’absurdité de la
guerre, le père publie le recueil de
poésies « La muse de sang[1] »
que son fils avait préparé et qui contenait ses plus beaux poèmes ainsi qu’un avertissement aux futurs
lecteurs : « En
ces années où le mensonge journalistique a perverti tant d’esprits, il est bon
de se souvenir de la phrase si profondément juste du grand tribun de « Je
suis un homme avant d’être anglais, Français ou Russe. » A tous
ceux qui auront su sauvegarder cette qualité d’homme dans la folie universelle
des intelligences, j’adresse ces visions de la Géhenne pour remplacer dans leur
âme cette « image d’épinal » du plus
criminel des patriotismes que le commerce honteux de nos gens de lettres répand
depuis la guerre. » (Marc de Larréguy) Le père, fait imprimé dans le
recueil de son fils son propre mea culpa : « Parents, écoutez, avec la voix profonde de votre conscience,
celle d’un père douloureux qui- dans le repentir atrocement vain- vous clame
l’horreur de sa faute, écoutez ! Vous entendrez ceci : Le
sacrifice de la vie pour une « Patrie » contre un « autre »
n’est que devoir Officiel (service obligatoire) : imposture qu’exploitent
ambitieux et Malins, généralement préservés, eux. Mais le salut de votre fils,
voici votre devoir naturel, bien simple et bien vrai, parent ! La «
Patrie »… quoi donc et surtout qui donc ? » Ces phrases retentissent comme un écho à celle
que Kipling écrivit à peu près au même
moment, quand il sillonnait les
cimetières militaires britanniques en France
à la recherche de la sépulture sans nom qui aurait pu être celle de son
fils ! « S’ils
veulent savoir pourquoi nous sommes morts dites leur : c’est parce que nos
pères ont menti » ( Rudyard
Kipling) Le père Louis publie l’œuvre de
son fils Marc mais cela ne suffit pas à atténuer son chagrin ! Il va user
de toutes ses influences pour offrir à
son fils une sépulture exceptionnelle ! Son rêve est de faire reposer son
fils auprès du poète que ce dernier admirait tant, le célèbre Lamartine ! On
imagine les tractations avec les héritiers de Lamartine et finalement l’immense
satisfaction du père quand l’accord fut donné ! Lamartine fut un père immensément malheureux comme le père de Marc de Larréguy. Lamartine perdit en effet ses deux enfants de tuberculose. Son premier
enfant, un fils décéda à 20 mois en mars 1822. Julia, née le 14 mai 1822, apporta une immense
consolation aux parents mais en décédant à l’âge de dix ans, elle brisa le cœur du poète et de son épouse ! Portrait de la fille de Lamartine, Julia décédée pendant le voyage que fit Lamartine en famille en orient. C’était mon univers, Mon mouvement, Mon bruit, La voix qui m’enchantait, Dans toutes mes demeures, Le charme ou le souci de mes yeux, de mes heures, Mon matin, mon soir ; ma nuit… (Gethsemani ou la mort de julia) Eh ! bien, prends, assouvis,
implacable justice, D’agonie et de mort, ce besoin
immortel ! Moi-même, je l’étends sur ton
funeste autel, Si je l’ai tout vidé, brise enfin
mon calice ! Maintenant tout est mort dans ma
maison aride : Des yeux toujours pleurant sont toujours devant moi. Je vais sans savoir où ;
j’attends sans savoir quoi, Tous mes jours et mes nuits sont
d e même couleur, La prière en mon sein avec
l’espoir est morte (Gethsémani,
Lamartine) Marc fut donc enterré à Saint-Point à l’ombre de la chapelle romane
jouxtant le château du poète et à 2 mètres de son mausolée. Près de cinquante
ans après son décès, on confia donc à Lamartine un nouvel enfant mort, un tout
jeune homme de 21 ans qui l’avait tant aimé et admiré ! Depuis presque un siècle, les deux poètes, le
jeune et le vieux, l’admiré et le méconnu, reposent l’un à côté de l’autre en
se veillant mutuellement pour
l’éternité. Vous tous qui arpentez la superbe région
de Cluny dans laquelle se trouve
le château de Saint-Point de Lamartine,
ne manquez pas de franchir la grille du petit cimetière qui jouxte le château.
Inclinez-vous ensuite devant les tombes
des deux poètes qui désiraient d’abord servir
l’Humanité avant de servir la Nation ! Deux hommes dont les pensées
communes furent si bien résumées par l’écrivain Romain Rolland dans la préface de « la Muse de Sang » en
1922 : Le coupable, c’est tout l’ensemble
d’une société décrépite, c’est une religion vieillie, qui fut grande en son
temps, qui est moribonde et mortelle
aujourd’hui, la religion de la tribu, de
la caste, de la nation, qui doit tomber, qui tombe devant la nouvelle foi, la
foi en l’humanité. (Romain Rolland) Dr Loodts P Février 2012 |