Médecins de la Grande Guerre

Le Dr Marcille, inventeur de l'hôpital chirurgical mobile

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Le Dr Marcille, inventeur de l'hôpital chirurgical mobile.

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Le château de Bonnelles

Hôpital chirurgical mobile. (Collection K. Schuiling)

Transport d'un blessé à l'hôpital chirurgical mobile. (Collection K. Schuiling)

Hôpital chirurgical mobile. (Collection K. Schuiling)

Transport d'un blessé à l'hôpital chirurgical mobile. (Collection K. Schuiling)

Salle de stérilisation de l'hôpital chirurgical mobile. (Collection K. Schuiling)

Hôpital chirurgical mobile. (Collection K. Schuiling)

La salle d'opération dans le camion du P.C.A. à Sint-Jan’s Molen

Devant l'entrée, le docteur Neuman et son épouse infirmière, du P.C.A. à Sint-Jan’s Molen

La salle d'hospitalisation du P.C.A. à Sint-Jan’s Molen

Le Dr Marcille, inventeur de l'hôpital chirurgical mobile

       Le Dr Marcille, chirurgien des hôpitaux de Paris, né en 1871, semble avoir été un homme doté d’un caractère très intelligent, très inventif mais quelque peu caractériel, ne supportant pas d’être contredit par qui que ce soit. D'après son confrère George Duhamel, Maurice Marcille s’était fait une fameuse réputation : on racontait de lui qu’il avait conquis sa femme par enlèvement, prouesse qui avait même fait l’objet d’un refrain chanté  par le tout Paris.  On rajoutait qu’il était l’homme des mauvaises plaisanteries, des lubies et des inventions cocasses.  Maurice Marcille, grand amateur de sport automobile, fréquentait un milieu assez mondain dont faisait partie  la duchesse d’Uzès. Il semble apprécié par cette dame, elle-même personnage hors du commun par son originalité, son absence de préjugés et son esprit très  en avance sur son temps. Féministe militante, la duchesse d'Uzès parviendra à obtenir qu’une loi soit votée afin qu’une femme puisse disposer de ses propres biens et de son salaire qui, auparavant, appartenaient de fait au mari ! En 1906, on la retrouve dans l’équipe qui lance «  la Française », le bulletin officiel de l’action féminine. En 1909, elle est une des fondatrices de l’Union Française pour le Suffrage des Femmes (UFSP). Il faudra cependant attendre 1944 pour que le général de Gaulle signe l’ordonnance accordant aux Françaises le droit de vote. Très féministe mais aussi sportive, elle est une des premières femmes, si pas la première, à conduire une automobile. Elle préside d’ailleurs l’Automobile Club Féminin. La duchesse possède encore une autre qualité : elle est profondément altruiste ce qui la pousse à accepter  la présidence de nombreuses œuvres à caractère humanitaire comme la Ligue contre le Cancer, les Pouponnières de France, le Calvaire (hôpital pour femmes cancéreuses). Parmi ses relations, on retrouve même la fameuse Louise Michel, héroïne de la Commune de Paris en 1870 et déportée jusqu’en 1888  en Nouvelle Calédonie.


Le Dr Marcille

       Quand la guerre éclate, l'original Docteur Marcille va exposer à  cette femme de caractère  un projet hors du commun. Il sait que la duchesse l'écoutera.  Mobilisé à 43 ans comme aide-major de 2ème classe ; il est maintenu auprès du Gouverneur de Paris sans emploi particulier. Chirurgien, il est convaincu que certaines plaies de guerre nécessitent l’intervention immédiate si l’on veut obtenir la survie du blessé. Il en est ainsi des plaies abdominales qui aboutissent rapidement à la mortelle péritonite. Il faudrait, pense le Dr Marcille, développer au plus vite une salle d’opération aisément transportable par camions  pour  que le chirurgien militaire puisse travailler dans la toute grande proximité du front. Bénéficiant de temps libre auprès du Gouverneur de Paris, il met donc au point un plan permettant de  réaliser un hôpital chirurgical entièrement autonome, entièrement démontable et transportable par quelques camions. C’est cette idée, ce plan, qu’il expose longuement à la duchesse d’Uzès qui, par ailleurs, vient de décider de transformer son château de Bonnelles en hôpital militaire et d’y servir elle-même à 68 ans comme infirmière-major ! La duchesse est enthousiaste à l’idée novatrice du Dr Marcille, une idée qui pourrait sauver de nombreuses vies. Aussitôt est créée une association sous le nom de « Formation chirurgicale franco-russe » sous la présidence de la duchesse elle-même qui parvient à recruter pour cette bonne cause toute une série impressionnante de personnalités politiques. Muni de ce soutien extraordinaire, le docteur Marcille peut alors faire pression, malgré son petit grade, auprès de sa hiérarchie militaire pour que l’on réalise son projet. Dès octobre 14, une formation prototype est construite au Grand Parc Automobile de réserve de l’artillerie à Vincennes. Le prototype était composé de deux éléments : une salle d’opération démontable transportée sur un camion Berlier de 5 tonnes et une remorque technique pour le matériel de stérilisation, chauffage, éclairage, radiologie. On compléta l’installation par deux camions de matériels pour créer 100 lits et par des véhicules sanitaires Renault. La première expérience de la formation fut réalisée à 10 km du front de l’Artois. Le Dr Marcille la dirige et il est aidé notamment par son ami le Dr Hallopeau. La formation chirurgicale mobile part de Paris le 10 novembre. Du 14 au 27 novembre, on opère 70 blessés. Le bilan impressionnant est décrit ci-dessous par le Dr Hallopeau :


La duchesse d’Uzès

       Des 70 malades que nous avons eu à traiter, 17 avaient des fractures de la voûte crânienne ; 4, des plaies de la moelle ; 8, des plaies de poitrine ; 9, des plaies de l'abdomen ; 6, des plaies articulaires ; 7, des fractures ouvertes ; 1, une rupture de l'urètre ; enfin, 14 étaient atteints de plaies profondes et multiples des membres. Nos opérés sont ainsi divisés d'après leur blessure principale, car la plupart d'entre eux présentaient des plaies multiples. On ne s'en étonnera pas, plus de la moitié ayant reçu des éclats d'obus.

       Chez les 17 malades atteints par des projectiles au niveau de la voûte crânienne, nous sommes intervenus, même lorsque la situation paraissait désespérée. C'est ainsi que l'un avait 15 éclats d'obus dans le cerveau ; un second avait l'occipital broyé et, pendant quatre jours, sa substance cérébrale s'est éliminée en abondance, un autre avait 29 plaies, plusieurs enfoncements crâniens, un bras broyé, le thorax traversé : ces trois malades n'ont pu être sauvés. Chez tous les autres l'exploration méthodique, l'ablation des esquilles profondes nous ont donné que des succès. Un de ces blessés mérite une mention particulière : arrivé avec une hémiplégie gauche et une plaie contuse par balle dans la région pariétal supérieure droite, je lui fais un débridement sans découvrir la moindre fissure, je trépane au point contus sans rien trouver au-dessous ; un décolle-dure-mère, introduit dans cet orifice et dirigé en dehors, ramène un peu de sang noir ; une deuxième trépanation, pratiquée plus bas, montre un orifice punctiforme de la dure-mère par où le sang s'écoule ; la dure-mère est incisée et un épanchement assez important est évacué ; l'orifice osseux est élargi sans qu'on voie trace de fracture ; au bout de huit jours, les mouvements réapparurent et, moins d'un mois après l'intervention, le blessé pouvait se promener et se servir de son bras.

       Sur 4 blessures de la moelle, nous n'avons opéré qu'une fois un fragment d'obus avait écrasé le névraxe au niveau de la deuxième dorsale ; malgré l'intervention, notre opéré est mort le 11ème jour.

       4 blessés atteints au cou ont guéri. Chez l'un, il fallut lier la carotide interne et la carotide externe, l'occipitale et la maxillaire interne : il n'a présenté aucun trouble consécutif. Chez un autre, dont le larynx était broyé, le cartilage thyroïde, fendu verticalement, dut être suturé. Ces deux malades ont pu être présentés à la Société de Chirurgie par suite de leur évacuation sur Paris.

       Nous avons reçu 8 malades atteints de plaies de poitrine. Chez presque tous, il y avait fracture de côtes avec esquilles, lésions pleurales et hémopneumothorax. Notre conduite a été la même dans tous ces cas : débridement de l'orifice cutané, ablation des esquilles, tamponnement ou drainage suivant l'abondance de l'épanchement pleural. Une seule fois, en l'absence de fracture, nous nous sommes contentés de la désinfection des parties molles. Un seul malade a succombé avec des phénomènes de congestion pulmonaire, dès le deuxième jour ; tous les autres ont rapidement guéri dans les meilleures conditions, sans avoir présenté ni élévation de température, ni suppuration pleurale.

       9 blessés sont entrés avec des plaies de l'abdomen. Deux d'entre eux avaient des plaies non pénétrantes, bien que la distance séparant les deux orifices put faire croire à une lésion du péritoine. Des 7 autres blessés, l'un fut opéré in extremis, sur la demande du major qui l'avait amené, et succomba deux heures après l'intervention : il était, en réalité, inopérable. Restent 6 blessés, chez lesquels nous avons pensé devoir intervenir. Chez tous, coexistaient tantôt une ou plusieurs perforations intestinales, tantôt une lésion d'un gros organe par balle, shrapnell, éclat d'obus ou de grenade. Deux sont morts rapidement ; le troisième a succombé le septième jour, le quatrième, dont la plaie était cicatrisée et l'abdomen en parfait état, par conséquent guéri au point de vue chirurgical, a été atteint, le douzième jour, d'une scarlatine à laquelle il a succombé le dix-huitième jour ; les deux autres étaient vivants le trente et unième jour, lorsque nous les avons évacués, et l'un d'eux se levait depuis une semaine environ. Si nous ne tenons pas compte des 2 premiers malades aux plaies non pénétrantes et qui ont guéri facilement, ni du troisième malade, opéré dans les conditions que j'ai dites, nous comptons 6 opérations avec 3 guérisons chirurgicales. Il y a mieux à faire encore, car, pour nous, qui avons vécu au milieu de ces blessés, nous avons pu voir à quel point l’absence d’un personnel infirmier professionnel a nui à l’évolution des guérisons : le cinquième opéré, mort le 7ème jour, aurait certainement survécu entre les mains de nos surveillantes ou infirmières d’hôpitaux, ce qui nous aurait donné 66% de guérisons.

       Un blessé est entré avec une plaie du rectum et une section du sphincter anal : le projectile, s'étant logé profondément dans la cuisse droite, détermina un phlegmon diffus total du membre inférieur auquel le malade succomba. Nous avons également perdu un homme, entré vingt-cinq heures après une contusion de l'abdomen, et chez lequel on constatait une absence totale de pouls, nous fûmes cependant invités à opérer ; après avoir hésité. Je lui fis une petite injection de novocaïne et une très courte incision de la paroi ; le malade acheva de mourir deux heures après.

       Nous avons traité 6 plaies articulaires, Des 2 plaies du coude, l'une, légèrement infectée, a guéri sans incident ; la seconde, qui avait déterminé une arthrite d'odeur fétide, s'est améliorée très rapidement, et le malade a été évacué le dixième jour avec des plaies en bon état, alors que, depuis quatre jours, la température était redevenue normale. les plaies du genou s’accompagnaient, dans 3 cas, d'un éclatement de l'extrémité inférieure du fémur, et, dans le 4e, de l'éclatement du plateau tibial, malgré l'état d'infection dans lequel ils sont arrivés, aucun d'eux n'a été amputé et ils ont été évacués le trente-cinquième jour en bonne voie de guérison.

       7 fractures ouvertes siégeaient 3 fois à l'avant-bras, 3 fois à la cuisse, et, dans le dernier cas, aux jambes. Ce dernier blessé, dont les deux jambes étaient littéralement broyées, et qui nous est arrivé complètement exsangue, est mort le lendemain, sans être sorti de son état de choc.

       Les 3 fractures ouvertes de l'avant-bras ont évolué dans les meilleures conditions. Les fractures de la cuisse, après ablation des esquilles et des débris vestimentaires, ont également évolué d'une façon apyrétique et les blessés ont été évacués alors que s'annonçait une guérison sans incident.

       Enfin on nous a envoyé 14 malades atteints de plaie ; profondes et multiples. Sept fois, il s'agissait de plaies par balles pour lesquelles il fallut faire des régularisations et des débridements ; tous les opérés partirent guéris ou avec des plaies en parfait état. Sept avaient été frappés par des éclats d'obus : toutes leurs plaies furent largement débridées et chaque fois on rencontra, outre des débris métalliques, de nombreux débris vestimentaires. Ces plaies étaient déjà remplies d'un liquide fétide à l’arrivée du blessé, c'est-à-dire au bout de vingt-quatre heures en moyenne. Grâce à ce traitement, elles évoluèrent avec une grande rapidité vers la guérisons, sauf dans 2 cas. Les substances antiseptiques employées par nous ont été presque exclusivement la teinture d'iode et le formol.

Et le Dr Hallopeau  de conclure :

       A côté des 15 morts que nous avons eus, chiffre peut être élevé, mais dû simplement à ce que nous n'avons reculé devant aucun cas, si désespéré qu'il fût, voici ce que nous avons obtenu : tous les blessés du crâne ayant quelque chance de guérir ont guéri ; toutes les plaies de poitrine ont évolué sans température et sans suppuration pleurale : nous avons sauvé la moitié ou, suivant les interprétations, le tiers des plaies pénétrantes de l'abdomen, alors qu'ailleurs elles meurent toutes ; nous n'avons pas fait une seule amputation ; nous n'avons pas eu un seul cas de tétanos ; nous n'avons pas vu se développer une seule gangrène gazeuse : le malade qui en était atteint à son arrivée a guéri.

       On comprendra la satisfaction que nous éprouvons devant ces résultats, et j'en déduirai ceci :

       1° Il est possible d'opérer au voisinage du front dans des conditions de sécurité au moins égales à celles que nous trouvons dans les hôpitaux ;

       2° Nos blessés, qui ont droit plus que quiconque à cette sécurité, ont droit aussi à la rencontrer le plus tôt possible, sans subir des jours d'attente qui leur coûtent souvent la vie ;

       3° Il est à souhaiter qu'on multiplie les formations analogues à celle-ci, très supérieure aux systèmes d'ambulances actuellement employés.


Le Dr Proust

       L’expérience est réussie mais est arrêtée prématurément  peut-être  à cause du manque d’infirmiers chargés des soins postopératoires ou, peut-être encore, à cause du caractère particulier du Dr Marcille. Ce dernier en effet, toujours d'après le docteur G. Duhamel, injuriait les infirmiers, insultait le patient endormi, pestait contre ses confrères les menaçant à la moindre réplique par des « Je vous ferai fusiller ». L’Etat-Major du Service de Santé convient cependant d’une seconde expérimentation, cette fois confiée au professeur Antonin Gosset, médecin-major de 1ère classe. Désignée sous le nom de formation automobile N° 1, l’hôpital mobile va cette fois être engagé en Argonne avec 8 médecins, 37 infirmiers et 27 hommes de train. L’équipement a même subi des modifications prescrites par Marcille lui-même après la première expérimentation. L’inventeur est aussi désigné  pour participer à cette nouvelle expérience, cette fois non plus comme médecin mais comme « ingénieur ». Cette  deuxième expérience sous les ordres de Gosset va se révéler tout aussi satisfaisante que la première. L’invention du Dr Marcille est cette fois adoptée complètement par le Service de Santé avec certes encore quelques améliorations : extension du pavillon servant de salle d’opération pour qu’elle contienne quatre tables, spécialisation des camions qui seront au nombre de trois : l’un pour la radiologie, l’autre pour la stérilisation (autoclaves etc… alimentés par un générateur à vapeur) et le troisième servant à transporter le pavillon opératoire de 15 mètres sur 5. A côté de ces gros véhicules, on ajouta un véhicule pour transporter la literie, deux camionnettes pour le transport du personnel et du matériel administratif et quatre véhicules destinés au transport de blessés. Le premier ensemble fabriqué selon les nouveaux plans  fut  terminé en trois semaines et présenté le  4 mai 1915, à la presse. Le Service de Santé fut félicité, Gosset notamment porté aux nues mais son concepteur Marcille tout-à-fait passé sous silence !


Le Médecin Général inspecteur Henri ROUVILLOIS (1875-1969)

       La première autochir  fut mise sous les ordres de Robert Proust, l’autochir n° 2 fut confiée à Henri Rouvillois. En juillet 1915, le Service de Santé comptait 9 autochirs au front et 12 en août 1915. En août 1915, le médecin Inspecteur Général Chavasse décida cependant   que le nombre d’autochirs se limiterait à 21  mais que l’on mettrait à disposition de  chaque division une formation médicale encore plus légère et mobile, à savoir des « GSO » ou  « Groupe de Stérilisation et d’Opération. Les trois premiers GSO rejoignirent le front en décembre 1915 et furent plus souvent connues sous le nom de « Petite Chavasse ».

       Mais ces réalisations officielles ne satisfaisaient pas encore le Dr Marcille qui cherchait encore à réaliser une formation ambulatoire capable de se suffire entièrement à elle-même. Cette autochir particulière, Marcille put la faire construire grâce au mécénat de la duchesse d’Uzès présidente de l’association « Formation chirurgicale franco-russe ». Elle porta le nom d’autochir N° 24 et fut autorisée à rejoindre le front le premier octobre 17 sous le commandement de Marcille. Malheureusement cette formation fut brinquebalée d’un endroit à l’autre, boycottée à cause du caractère privé de sa création et à cause de la personnalité  de son chef.

       Plus tard le Service de Santé revint à une conception plus lourde avec un nouveau modèle de formation le groupe chirurgical Mobile Plisson-Proust (autochir de type lourd 1917). Sept autochirs de ce type furent fabriqués et mis à la disposition des différentes Armées (au moins un par Armée).

       Enfin vers la fin de la guerre une dernière formation vit le jour : le groupe automobile chirurgical léger ou autochir de combat. Cette formation ne comptait que deux camions avec remorques et deux camionnettes pour le service général. Elle devait pour fonctionner s’accoler aux ambulances des Corps d’Armée ou des Divisions. Trois formations de ce type virent le jour.

       En Belgique l’invention du Dr Marcille fut aussi appliquée par le Service de Santé belge. Au mois de juillet 1916 furent crées  trois « postes chirurgicaux avancés »  ayant la structure des autochirs du Dr Marcille. Celui qui dépendant de l’hôpital l’Océan fut installé à 3km 5 du front à Sint-Jan’s Molen et dirigé par le chirurgien Neuman. Les deux autres furent installées à Abeelenhof et à Grognies. L’installation du Dr Neuman comportait 4 voitures automobiles disposées en rectangle en formant entre elles une grande salle close de 14 lits  que recouvrait une double toile. Une cinquième voiture, remorque servait de salle d’opération et était rattachée à la grande salle par une tente servant d’annexe pour la stérilisation. Ce  P.C.A fonctionna un an de juillet 1916 à Juillet 1917. On y pratiqua de nombreuses laparotomies (interventions au niveau de l’abdomen) avec un taux de succès de 51%, ce qui était remarquable. L’expérience ne dura qu’une année car le Grand Quartier Général craignait pour le second semestre 1917 des changements rapides  de la ligne de front.


Le Dr Neuman

       Lors de la préparation de  l’offensive alliée de septembre 1918, le Général-Médecin Melis  remit sur pieds quatre P.C.A., chacun dépendant d’un des hôpitaux militaires établis derrière l’Yser, à savoir : La Panne, Vinckem, Beveren, Hoogstaede.  Le Dr Depage responsable de l'hôpital « l'Océan » de La Panne envoya deux P. C. A. au lieu d'un seul suivre l’avancée des troupes belges dans son secteur. Dès que la crête des Flandres et la forêt d’Houthulst furent conquises, les P. C. A. de l’Océan s’établirent l’un à Poelkapelle, l’autre à Jonckershoven. Grâce au matériel automobile et aux tentes d’hospitalisation, chacun de ces P. C. A. pouvait hospitaliser jusqu’à cent blessés ! Ces deux P. C. A s’en allèrent ensuite à Landegem et à Lovendegem puis à Waarschoot et à Baarle. Ce furent leurs dernières destinations avant l’armistice. Les P. C. A. du Dr Depage exploitaient au maximum leurs mobilités pour se garder toujours au plus près du front. Ils se montraient beaucoup plus rapides que les autres P.C.A. La raison en était que le Dr Depage faisait progresser ses deux P.C.A. avec le seul accord de la direction des opérations militaires et donc sans attendre les ordres du Général-Médecin Melis qui lui-même dépendait du Ministre de la Guerre.


Le Général-Médecin Melis

       De son côté, le Dr Melis attribua aussi le succès du Dr Depage à un certain favoritisme de la Reine Elisabeth à son égard puisqu’il reçut la seule autochir « d’origine » fabriquée en France. Il expliquera de façon diplomatique son irritation envers cet état de fait dans le livre qu'il écrivit après la guerre :

       L’association de la Croix-Rouge avait, dans son matériel une autochir, don généreux de Sa Majesté la Reine. La possession de cette formation mobile, donnait au Médecin Directeur de l’hôpital l’Océan, sur l’armée proprement dite, une supériorité qui, jointe à l’indépendance que lui conférait sa qualité de délégué de la Croix-Rouge lui permettait d’installer ses P. C. A. et ses hôpitaux de campagne là où il le jugeait utile dans l’intérêt des blessés, tandis que les formations sanitaires de l’armée avaient besoin de l’approbation du G. Q. G. et de l’autorisation du Ministre de la Guerre , pour passer à la réalisation.


Le Dr Depage

       Un autre témoignage est celui du colonel Van Schaick, cité par le fils du Dr Depage dans le livre qu’il consacra à son père. Ici  le succès du Dr Depage est expliqué essentiellement  par son esprit extrêmement entreprenant et libre.

Bruges, le 25 octobre.

(…)

Je comprends pourquoi Depage est critiqué et, pourquoi il réussit. Ce soir en le quittant à Bruges, je lui ai dit : »vous êtes parfois difficile, mais aussi, à certains moments, vous êtes superbe ». Ces heures-ci sont celles où il brille, quand rien ne l’arrête et qu’il fait abriter, opérer, couvrir, soigner ses blessés. Moi, je vois des difficultés énormes qu’il y a de créer un nouvel hôpital. Lui, prompt comme l’éclair, change ses bases d’opération chaque fois que l’Armée change les siennes. Il sacrifiera n’importe quels travaux déjà accomplis pour faire face à un nouvel état de choses que rien, dans la situation précédente ne laissait prévoir »

(John Van Schaik :  « The little corner never conquered »)

Conclusion :

Je ne peux pas m’empêcher de faire un parallèle entre certains traits de caractères du Dr Depage et du Dr Marcille. Ils avaient tous deux une indépendance d’esprit peu compatible avec le milieu militaire. Tous deux aussi surent réaliser leurs objectifs en dépit de leurs positions difficiles dans la hiérarchie : l’un, le Dr Depage se disait appartenir à la Croix-Rouge et non à l’armée et l’autre, le Dr Marcille se trouvait mobilisé avec un grade ne lui permettant pas, à priori, de prendre des initiatives. Ces deux chirurgiens finalement parvinrent à leurs fins grâce au soutien de femmes remarquables, la Reine Elisabeth pour le Dr Depage et le duchesse d’Uzès pour le Dr Marcille.

       On connaît ce que devint le Dr Depage après la guerre, on ne peut pas en dire autant du Dr Marcille. Il semble que ce dernier arrêta de pratiquer la chirurgie en 1921. Que devint-il après cette période ? Ce médecin, inventeur génial mais doté d’un caractère pour le moins difficile, mourut en 1941. On aurait aimé le connaître mieux, lui laisser la parole mais il semble bien qu’il n’ait pas écrit ses souvenirs de guerre…

Dr Loodts P.

Sources :

  1. Alain Arcan, Jean-Jacques Ferrandis, « Le service de Santé aux Armées pendant la  Première Guerre mondiale », pages 137-155, 2008, Editions LBM, Paris.

2.      P.Hallopeau, « Fonctionnement complet d’un service chirurgical transportable et déplaçable destiné à opérer, à panser les blessés du front » in « La Presse Médicale » du 11 février 1915. (Cet article se trouve sur le  web retranscrit par Laurent Prevost)

3.      Henri Depage, La vie d’Antoine Depage, La Renaissance du livre, 1956

4.      L .Melis. Contribution à l’Histoire du Service de Santé de l’Armée au cours de la guerre 1914-1918 , institut géographique militaire,1932, Bruxelles

 

 

 

 

 



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