Médecins de la Grande Guerre
Accueil - Intro - Conférences - Articles
Photos - M'écrire - Livre d'Or - Liens - Mises à jour - Statistiques
Le docteur Brassine,
médecin du Corps des Auto-Canons en Russie V. Brassine en 1957. Médecin au fort de Lierre Le docteur Brassine est né le 7
juin 1883 à Ransart. En 1905, alors qu’il était
étudiant en médecine, il est convoqué au tirage au sort en vue du service
militaire et malheureusement, il tire un
mauvais numéro, le 62. Interrompant ses
études, l’étudiant en médecine va porter l’uniforme d’aspirant-officier du
Service de santé pendant deux ans ! Libéré en 1907, il poursuit ses études
de médecine et décroche son diplôme
en juillet1911. Le jeune docteur
s’installe à Les médecins Biquet et Brassine, du Fort de Lierre. Le lendemain, on
apprend que l’hôpital de Lierre a été
touché par un obus ennemi provoquant 8 morts. Le fort encaisse à son tour des obus de 135 qui labourent sans arrêt le
massif de la caserne. Le soir, autour du colonel Doneux,
les officiers font le bilan : 64 obus ont atteint le fort et les autres nouvelles
ne sont pas réjouissantes, le fort de Wavre-Sainte-Catherine a été évacué et le fort de Waelhem ne répond plus ! Le lendemain vers 12h 20
éclate pour la première fois un obus de 420 : un sifflement sinistre suivi
d’un grondement de plus en plus violent comme celui d’un express en marche et, pour terminer, une
détonation de fin de monde… Ce jour là, le fort recevra 56 obus …56 fois, le
fort recevra une blessure béante. Pas un mètre carré qui n’ai reçu la griffe
des monstres et la cuirasse de La nuit suivante est assourdissante. Toutes les coupoles grondent et inondent de leurs obus les routes. Le matin, les trois soldats tués sont enterrés dans les quelques mètres carrés du glacis recouverts de terre. Le bombardement des 420 recommence vers 10h15 soufflant les coupoles l’une après l’autre. Le Commandant Termonia est amené à l’infirmerie après être tombé au fond d’un cratère. A la fin de la journée, le bila est effroyable car le fort a tremblé 60 fois ! Le colonel Doneux ranime le courage des hommes, juste à temps pour repousser une attaque de l’infanterie allemande. A 23 heures, le téléphone grésille et demande au fort de résister encore 12 heures ! La nuit, l’infanterie ennemie tente un deuxième assaut et celui-ci est à nouveau repoussé ! Le lendemain matin, les 420 reviennent mais cette fois avec une précision diabolique. A 18h 20, le colonel Doneux donne finalement l’autorisation de quitter le fort pour rejoindre les lignes belges, le fort a résisté 100 heures ! La fuite en France Le docteur Brassine a rejoint l’Inspection Générale du service de
santé de la place fortifiée d’Anvers. On lui demande de partir pour Ostende. Là, pendant dix jours, le docteur
patiente en attendant les ordres. Le 10 octobre, date de la chute d’Anvers, le
docteur quitte Ostende pour A Ardres Les troupes de
forteresse resteront 40 jours à Ardres. Les officiers sont hébergés chez
l’habitant et le Dr Brassine et son adjoint Biquet
bénéficient de l’hospitalité d’un huissier. Le matin, c’est la visite médicale.
La file des malades est impressionnante les premiers jours : jusqu’à 250 à
300 soldats à voir en une matinée. L’après-midi le service reprend à l’hôpital
ou en séances de conseil de révision. Le soir ce sont les parties de domino ou
d’échecs qui distraient les médecins. Le docteur Brassine
reste sans nouvelles de sa famille et rédige pourtant lettre sur lettre à sa chère Maria et à son
jeune fils Valéry. La routine de l’arrière est interrompue le 29 novembre quand
il reçoit son ordre de marche pour rejoindre les « compagnies de travailleurs »
à A Dans ce petit bourg
au sud-ouest d’Ypres, notre docteur est hébergé à la cure. Les compagnies de
travailleurs appartiennent aux troupes du génie et sont affectés à des tâches
harassantes. A la tombée de la nuit, les soldats partent creuser les boyaux à Voilà mon dernier fils. J’avais cinq garçons. Ils sont
tous morts à la guerre. Je reste seul, les yeux secs, car, voyez-vous docteur,
je ne sais plus pleurer. Il est dommage que le Dr Brassine ne nous ait pas laissé le nom de ce colonel et de ces fils. Les premiers jours de 1915, le docteur transportera ses pénates à Eesken, puis à Poperinghe où il arrive le 12 janvier avec comme mission de vacciner 5.200 hommes contre la typhoïde. Le 12 février, la routine du docteur est à nouveau interrompue par un télégramme venant de Paris : le commandant Delporte lui propose de le rejoindre au corps des Autos-Canons-Mitrailleuses. Après un jour de réflexion, le docteur accepte l’offre et le voilà parti pour Paris en compagnie de son fidèle porte-sac Godefroid qu’il a pu garder auprès de lui. Les deux hommes arrivent à Paris et rejoignent un hôtel. Godefroid est ébahi de se retrouver sur un bon lit et signale à son docteur qu’il y a près de trois mois qu’il n’a pu enlever ses pantalons pour dormir ! Dans le corps des A. C. M. Les 300 volontaires du corps des Auto-canons en Russie. – Photo prise lors de la réception du corps à San Francisco. Dix auto-canons-mitrailleuses, des motos, des vélos, des camions et 300 volontaires belges dont beaucoup n’avaient pas vingt ans, tels étaient les composants du corps formé en France par le major Colon en 1915. Le corps des A. C. M. était la réplique exacte des « Armoured Cars anglais » et sa mission était de foncer dans les brèches des lignes ennemies. Le docteur de Neef que remplace le docteur Brassine met son confrère en garde : il y a beaucoup d’indiscipline dans cette unité débutante. La première consultation amène 47 patients au docteur mais celui-ci se montre sévère. Le lendemain, le nombre de consultants tombe à 28 ! Aucun critère spécifique n’a été retenu pour le recrutement des soldats de l’A. C. M. mais le caractère sportif du corps a attiré de nombreux représentants de la noblesse éprise de sport automobile. On trouve les Aspremont, de Montpellier, de Vedrin, de Liedekerke, de Crawhez, d’Outremont, de Caters, de Ribeaucourt, de BerckerRemy. Il y a aussi des sportmen de haut niveau comme les Moens, Boin, Constant le Marin. Le cadre officier supérieur ne possède quant à lui que très peu de notions de mécanique comme le fait remarquer avec humour le docteur Brassine dans ses souvenirs : J’entends encore ce Colonel répondre ex cathédral, à son
chauffeur qui lui fait part de la nécessité d’acheter un nouveau
carburateur : -Un carburateur ? Pour que faire, décidément ? Vous pourriez,
il me semble, garder votre carbure dans des boîtes à conserves. Le major Collon lui-même s’emporte contre son ordonnance,
qui se plaint de ne pouvoir arrêter son moteur emballé par un
court-circuit : -Eteignez donc ces bougies, espèce de cruches ! Le même encore –excusez-moi mon Major- n’hésite pas, dans
une discussion à prendre parti en faveur du châssis Peugeot au détriment du
châssis Mors, parce que dit-il : -Les chevaux Peugeot sont plus puissants que les chevaux
Mors ! » Les Belges se vont
connaître à Paris. Le 4 mars, ils organisent au Châtelet une soirée de gala au
profil des réfugiés belges et de Entre sorties et manœuvres qui se déroulent au camp de Satory ou de Vincennes, le temps s’écoule paisiblement ! Il reste cependant la grande souffrance de rester sans nouvelles de ceux qui sont restés en Belgique occupée ! La dernière lettre de Maria jaunit depuis sept mois dans le portefeuille du docteur Brassine ! Le 9 avril, le docteur va prendre possession de son ambulance aux usines Peugeot à Levallois. Le 14 avril, enfin, une lettre de Maria, la première depuis le 12 août ! Le 17 avril le Corps
des A.C.M. défile le 17 à Longchamps et reçoit son drapeau des mains du général
français Clergerie. « Le journal » du lendemain nota que « le défilé a été impressionnant. Ouvert par les cyclistes,
suivis des motocyclistes, il s’est terminé par les auto-mitrailleuses
et les auto-caissons roulant à Le 21 avril c’est le départ pour l’Yser. Après cinq jours de voyage la frontière est atteinte puis Adinkerke et enfin Les Moëres où le cantonnement est établi ! Mais les A.C.M ne
trouvent pas à s’occuper dans la guerre statique des tranchées. Dans l’inaction
le moral de la troupe va baisser considérablement malgré la pêche à l’anguille
dans les canaux environnants et malgré la distraction des visites officielles.
Il n’est pas un général, pas un personnage
de marque en visite sur le front belge auquel on inflige l’inspection de
l’A. C. M… Enfin le 20 juillet, une nouvelle éclate comme une bombe dans le
cantonnement : la collaboration des A. C. M. est demandée sur le front russe.
Dès lors, c’est une nouvelle attente qui commence ! Le 15 août, les
véhicules rejoignent Paris pour une dernière révision des moteurs. Des
instructions suivent : le médecin, l’aumônier et trois autres officiers
accompagneront la troupe par mer. Le restant du cadre fera le voyage par « Nos concitoyens ont été agréablement surpris, hier
matin, vers 8h30 de voir défiler, par la rue de Les Belges s’embarquent le 21 sur le « Wray Castle ». Sur le pont 19 boeufs vivants et gras à souhait attendent le coup de grâce des cuistots. Ils ne seront pas de trop pour nourrir les 700 hommes pendant les deux semaines du voyage. Outre les soldats belges, le navire emmène aussi 250 ouvriers belges volontaires pour aider les usines d’armement russes. Mitrailleurs A.C.M. et barques de sauvetage à bord du Wray Castle. Le septième jour du voyage, la glace apparaît sur le pont, le cercle polaire est tout proche. Le 1er octobre, il neige et une baleine montre le chemin au navire. Le soir, les soldats s’attardent sure le pont malgré le froid pour admirer la splendeur des lueurs boréales. Le 5 octobre, le navire jette l’ancre dans la baie de Svyatoï Nos et attend le remorqueur russe. Une violente tempête secouera le navire toute la nuit. Le lendemain, le remorqueur russe n’est toujours pas au rendez-vous et l’équipage est forcé de passer une deuxième nuit dans le navire immobilisé. Il pleut, il vente et la tempête continue. Le capitaine, pour éviter de toucher un récif côtier, décide de rejoindre la haute mer pour passer la nuit…Il faudra finalement sept jours pour que les navires d’escorte arrivent. Le 13 octobre c’est enfin l’arrivée à Arkhangel. Une péniche accoste le navire, ce sont les officiers belges qu ont fait le voyage par terre via Stockhom qui viennent accueillir leurs compatriotes. Arkhangel compte à peine 30.000 habitants C’est une ville sans confort. Une rue large et mal pavée comprend un son milieu un trottoir de bois que l’on ne peut quitter sous peine de patauger dans la boue. Les maisons sont en bois et l’atmosphère de la ville est pesante. Les soldats de l’A. C. M. y resteront trois jours avant de s’embarquer en train pour un voyage de plus de1000 km. Le 18 octobre c’est l’arrivée en gare de Saint-Petersbourg. Les soldats partent à la découverte du domaine de Peterhof, propriété des Tsars aussi impressionnante que Versailles. Dans la cathédrale, le docteur Brasseur découvre un spectacle émouvant, celui d’une jeune femme agenouillé devant le cercueil d’un jeune homme décédé au cours de la dernière offensive allemande. On lui raconte l’histoire de la malheureuse qui passe là toutes ses après-midi depuis deux mois penchée sur le cercueil qu’elle ouvre de temps à autre pour glisser sur le corps de son bien aimé des lettres d’amour pliées en quatre. Le major Collon rejoint enfin ses hommes et, avec ses officiers, il
est reçu par les officiers de Pétrograd au Grand Hotel Astoria. Le Général-Médecin Klimovitch
recevra le docteur Brassine chez lui avec un menu on
ne peut plus symbolique comprenant un cochon « à la russe » et des
asperges « à Les réceptions se suivent pour les officiers belges : bal au gymnase d’Alexandre II, spectacles et ballets au Théâtre impérial, séance de musique de chambre chez la princesse Clemboski…. Entre-temps, les hommes reprennent leur entraînement. Le froid est terrible et le thermomètre descend sous les -20 degrés. Les malades sont nombreux à la consultation du docteur : une cinquantaine chaque matin. C’est au cours de cette offensive hivernale que le Tsar lui-même manifeste son désir de se voir présenter les officiers belges. La cérémonie a lieu le 26 octobre à Tsarskoïe-Selo, le château du Tsar. Nicolas II s’arrête devant chacun des officiers. Le Major Collon explique au Tsar que les A. C. M. ont arrêté l’ennemi sur le front de l’Yser à Lizerne. C’est un mensonge qui embarrasse le docteur car le Tsar l’interroge sur les pertes subies ! Le docteur Brasseur relata plus tard, dans son livre, comment il se tira de cette mauvaise passe : -Très peu de pertes Sire ! Comme le Tsar, étonné de ce qu’un assaut aussi meurtrier
se soit soldé par si peu de pertes, lève un sourcil interrogateur, je noie le
poisson dans quelques généralités : -Vous savez, la mortalité est en forte régression au
front belge depuis que le conflit s’est transformé en guerre de position. Ces
tranchées savamment aménagées protègent leurs occupants et ce ne sont pas les
quelques opérations locales qui…qui… Novembre se passe sous un temps de pluie et en répétitions pour la revue du Corps A. C. M. que doit effectuer le Tsar. Les soldats belges ont l’impression qu’ils ont été formés pour la parade et la frime. Le 6 décembre, le Tsar, le jour de sa fête patronale fait l’honneur aux Belges de les passer en revue. Le 5 janvier, arrive enfin un communiqué du chef de corps : l’unité doit se préparer pour rejoindre la province autrichienne de Galicie conquise par les Russes, reprise par l’Allemand Mackensen et qui fait maintenant l’objet d’une contre-offensive russe. L’unité est
transportée par train jusqu’à Kiev puis
jusqu’à la frontière. Après un voyage de neuf jours et neuf nuits et de Les séjours des A. C. M. à Sbaraz C’est une ville triste, sans âme et sans espoir, où les envahisseurs que nous sommes n’ont à espérer de leurs hôtes que crainte et mépris. Nos villes belges, qu’occupe l’allemand, auraient-elles à ce point perdu le goût de la vie ? Comme je te plains, dans ce cas, ma chère Maria… Notre infirmerie à Sbaraz. Après trois jours de recherche, les Belges parviennent à repérer un local libre pour en faire leur dispensaire. Il s’agit d’un pavillon annexe de l’hôpital Alexandre II. Le docteur, ayant décelé deux cas de variole, décide de faire vacciner tous les soldats de l’A. C. M. Il aménage une petite salle d’opération où il réussit à extraire la balle de révolver de la cuisse du soldat Thélismar. Il opère aussi d’une ostéite de la mâchoire inférieure le maréchal des logis Lienaerts. L’immersion des soldats Belges au cœur de l’armée russe n’est pas facile. Le major Desmet (bulletin du Touring Club année 1918) décrit très bien des malentendus fréquents : C’était surtout le primitif soldat russe qu’il fallait conquérir et l’on apprendra avec étonnement que les premiers contacts que nous eûmes avec lui dans les tranchées nous valurent quelques coups de fusil. Dame! Pour l’âme simple du troupier russe, tous ceux qui ne portaient pas le bonnet ou la casquette russe étaient autrichiens, et nous nous présentions devant eux avec la casquette de l’Yser dont la parenté avec la casquette autrichienne est connue ! Plus tard les auto-mitrailleurs reçurent la tenue kaki avec casque. De nouveaux coups de fusils accueillirent cette coiffure qui, dans l’esprit du russe, était la caractéristique de l’Allemand. Notre bonnet de police kaki avait une vague ressemblance avec la coiffure des Turcs, qui, faits prisonniers, passaient dans les cantonnements occupés par les Russes. Il nous fallut abandonner le kaki et ce fut avec l’ancien bonnet de police des artilleurs bleu à bande rouge, que les nôtres se firent reconnaître comme alliés par le soldat russe. Mais ces petits incidents n’avaient pas eu raison de l’âme primitive du combattant moscovite qui demandait, pour se donner complètement, des témoignages plus probants : « Le mariage du sang ». Tant que les combats livrés côte à côte n’eurent pas donné de la valeur au soldat belge, celui-ci, auquel les règlements russes avaient malheureusement été rendus applicables, connut la rigueur de la discipline moscovite qui autorisait un officier des armées impériales à cravacher nos mitrailleurs dans les rues de Tarponol, à les jeter dans des prisons militaires, à leur refuser l’accès de tel café-restaurant ou buffet réservé aux officiers etc.. L’esprit de liberté que nous avions emporté de Belgique était soumis à des épreuves d’autant plus pénible que l’âme du simple soldat russe se serait mal accommodée d’un régime différentiel en faveur des Belges. Grâce à l’énergie déployée par les officiers belges et aussi au magnifique esprit montré par leurs soldats, le Corps des Auto-Canons-Mitrailleuses finit par bénéficier d’un régime d’exception dans l’appareil disciplinaire russe. Il est néanmoins assez plaisant de rappeler ici que les premières libertés réclamées par les soldats russes au début de1917 furent précisément celles qui avaient été acquises par les Belges au milieu de la vieille et belle armée russe : le droit de fumer en rue, le droit de prendre place dans tous les restaurants et buffets, dans les wagons de deuxième et de première classe ! » L’hiver à Sbaraz est très
monotone ponctué de rares événements comme par exemple le changement du chef de
Corps. Le colonel Collon est remplacé par le major Semet. Le célèbre Collon avait eu
quelques ennuis avec son supérieur représenté en Russie par le Général Baron de
Rijkel. Il avait dû d’abord réintégrer son grade de major dont il s’était
prématurément dépouillé pour se faore appeler colonel
et on avait annulé les nominations de « Praperchiks »
belges, grade intermédiaire qu’il avait lui-même créé entre celui d’adjudant et
de sous-lieutenant. Un original, ce Collon qui s’était permis de nommer lui-même quatre soldats dont
son fils au grade d’officier ! Le 12 février après une dernière revue, il
prit congé de ses hommes et fut pensionné d’office le 18 février ! Les poux de Sbaraz vont constituer les seuls ennemis des Belges comme en témoigne le docteur Brassine ! J’en porte 27 à mon tableau de chasse du 20 février, 32
le lendemain. Je gâche des nuits entières tant je me gratte et je contracte un
tel nervosisme que j’utilise pour la désinfection de ma chambre et de mon lit
tous les liquides caustiques qui me tombent sous la main. Hélas, pétrole et
benzine s’avèrent inopérants et je me vois contrait d’aller frapper à la porte
du monastère où mes confrères russes traitent quelques trois cents galeux.
J’aurais passé la journée dans le bain si je n’avais craint de me singulariser
aux yeux des infirmiers Pâques arrive enfin. Le R.P. Bonne, rédemptoriste brugeois séjournant dans la ville voisine de Tarnopol, entend les confessions des Belges avant la cérémonie religieuse. Le printemps inaugure un renouveau pour les Belges. Le lever est repris dès 5 heures du matin tandis que les exercices sont remis au programme et que la discipline est rétablie. Deux officiers et six hommes indisciplinés sont renvoyés au pays ! Le 30 mai, la nouvelle du départ des Belges vers le front est rendue officielle. Le 31 le capitaine Roze parti en reconnaissance dans le hameau d’Iankowce est atteint par une balle de shrapnell qui le frappe à la tempe droite. Le blessé est ramené la nuit à l’hôpital de Tarnopol. Le Corps comprend 350 hommes répartis en cinq batteries. Il y a deux batteries blindées ayant chacune cinq véhicules blindés. Chaque batterie blindée est suivie d’un caisson à munitions, de caissons à vivres d’un atelier roulant et d’une auto ambulance. Il y a une batterie de parc chargée du ravitaillement. La quatrième batterie est composée de 120 cyclistes et d’un groupe de motocyclistes. La 5ème batterie de dépôt est quant à elle laissée à l’arrière à Kiev et elle s’occupe des pièces de rechange, de l’habillement, des archives… Les A.C.CM dans le secteur de Tarnopol Les batteries prennent position dans le secteur de Tarnopol. Devant eux les Autrichiens sont retranchés dans d’inextricables boyaux. La première batterie a son poste d’attente à l’orée du bois de Czikari tandis que la seconde batterie démonte des véhicules deux canons et les mitrailleuses pour les installer dans les tranchées. Le 4 juin, l’assaut est donné par les Russes. Les moujiks avant d’enjamber le parapet se tournent vers l’orient, se signent trois fois, puis s’en vont vers leur objectif, le village d’Iankowe. La riposte est immédiate. Pour la plupart des Belges c’est le baptême de feu. L’attaque a échoué, le poste de secours du docteur Brassine se remplit de blessés. Le docteur sera cité à l’Ordre du jour pour son dévouement. Les Belges qui ont appuyé les Russes avec efficacité reçoivent les félicitations du Général Maymajeroski. Le 6 juin les canons et mitrailleuses sont réinstallés sur les blindés en prévision d’une poursuite de l’ennemi. Le 9 juin, la 4ème batterie cycliste est mise à la disposition du 22ème Régiment de Cosaque tandis que la 1ère se dirige vers Vorobiefka pour se préparer l’attaque des positions ennemies en la canonnant. Le R.P. Bonne, Rédemptoriste à Tarnopol et notre Aumônier, l’abbé Lens. A tour de rôle les véhicules quittent l’ultime abri des postes avancés et foncent vers les nids de mitrailleuse qu’il faut anéantir. Aussitôt repérés par l’artillerie autrichienne, ils doivent manœuvrer habilement pour éviter les bourrasques de mitraille qui les enveloppent et porter néanmoins à l’adversaire des coups efficaces. Mais voici que la voiture du maréchal des logis Bodson atteint le parapet d’une tranchée avancée, à l’instant même où une fusillade partant d’un petit bois laboure son flanc droit .Le chauffeur Dewever et son adjoint charnel sont blessés. Bodson s’écroule, la cuisse traversée par une balle. Magnifique d’énergie, l’équipage réussit son repli sans interrompre son tir un seul instant. Un autre drame se joue plus loin. Un second véhicule gît immobilisé dans un trou d’obus, le pont arrière cassé, et réclame un dépannage immédiat. On appelle une voiture de réserve à la rescousse. Elle accourt, s’arrête à la hauteur de l’invalide. L’aide-chaufeur de Becker se précipite, installe le câble remorqueur et va regagner l’abri de son blindé, lorsqu’il s’effondre la tête fracassée par une balle. Voyant tomber leur ami, de Liedekerke et Demeuse sautent à leur tour sur la route et malgré le tir meurtrier, hissent le cadavre à bord de leur voiture. Pour sortir le véhicule de son piège il faudra attendre la nuit et l’aide d’une auto-canon russe plus puissante. Le 11 juin, les funérailles de Jacques De Becker ont lieu à Tarnapol. Le major Semet a pris la place de la famille derrière le cercueil. Adieu Jacques ! Juin s’achève dans un calme qui a succédé aux débauches d’efforts des premiers jours du mois. Le major Semet garde le plus étroit contact avec sa troupe qu’il motive sans arrêt. Le 21 juin, il punit un soldat de deux ans de prison pour vol au profil d’une Autrichienne en compagnie de laquelle il oubliait da femme restée au pays. Le 22, c’est un maréchal des logis qui est dégradé et est renvoyé en Belgique. Le 29 juillet les
Autrichiens entament un mouvement de repli et le lieutenant Oudenne en
prévision d’une prochaine progression accompagne les patrouilles russes à
travers le no man’s land. Le 30, l’ordre est donné à la batterie cycliste de
rejoindre le 22ème Cosaque. Le 11 août l’ordre de poursuite est
enfin donné. Le lieutenant Oudenne en compagnie d’une estafette motocycliste a
pris les devants à travers les boyaux désertés à la recherche d’un passage pour
les voitures blindées mais l’énorme parapet barrant le chemin de Tsebrow est un
obstacle infranchissable pour les blindés. Toute la journée les hommes
construisent un plan incliné tandis que les cyclistes en avant attendaient
impatiemment le concours des blindés. Un concours qu’ils auront trop tard car
le lieutenant Andrieux a reçu l’ordre à 13h 30 de faire occuper Tsebrow par ses
soldats. C’est le troisième peloton commandé par le premier-chef Degreppe que
l’on désigne comme avant-garde. Le peloton
rencontre à 14h 15 un feu nourri provenant d’une tranchée ennemie et
Degreppe révolver au poing entraîne ses hommes à l’attaque en escomptant la
protection d’une haie qui peut en partie couvrir sa progression. Mais hélas à Nos véhicules démarrent d’abord, devançant les vagues
d’assaut russes. A portée de l’ennemi, nos canons et nos mitrailleuses crachent
le feu, balayant les parapets et contraignant l’Autrichien à se blottir à
l’abri de sa tranchée. Pendant ce temps, l’infanterie amie, assurée de l’impunité,
progresse rapidement et atteint dans perte le couvert de nos blindés. Le bond
terminé, nos véhicules repartent à leur tour jusqu’à proximité des barbelés.
Nouveau tir, nouvelle avance russe…Et la manœuvre parfaitement combinée se
termine par l’assaut final que le 13ème R.I lance avec une fougue
irrésistible. L’ennemi succombe ; sa tranchée tombe entre nos mains. Et
s’ébranle à nouveau la retraite autrichienne pendant que nos troupes
impatiemment attendent l’aube pour la poursuite. L’occupation de Zborof Aux premières lueurs de l’aube, les troupes belges quittent Ezerna pour occuper la ville de Zborof. Au-delà de la ville ils traversent le fleuve sur un pont de bateaux et prennent position devant le village de Pressowce tenu par l’ennemi. Toute la nuit du 13 au 14 août, le combat fait rage et les blessés russes affluent à l’ambulance du docteur Brassine : J’avais cru, écrivit-il, pouvoir ouvrir mon poste de secours à Zborof
même, mais le bombardement, depuis le soir, y sévit avec tant d’intensité que
j’ai dû ramener le service hors de la ville. Heureuse inspiration car les
blessés affluent pendant cette nuit de bataille, les médecins russes se
cantonnant trop loin à l’arrière que pour intervenir avec efficacité. Aussi, la
reconnaissance des cosaques et des fantassins russes pour le docteur belgiski
est-elle infinie Notre poste de secours à Sborof, dans les ruines. Les combats autour de Zborof vont durer quatre jours. Les batteries blindées belges sont mises à contribution pour protéger des relèves d’infanterie et pour réduire des nids d’artillerie tandis que la batterie cycliste ronge son frein en attendant qu’une nouvelle percée ramènera la guerre de mouvement dans laquelle elle peut prendre part. La quatrième et la première batterie sont envoyées à Kossowa mais, le 31 août, les blindés reprennent l’offensive. Le maréchal des logis Lesoil, les soldats Debaude, Guillot et Godefroid sont blessés. Le 1er septembre, un avant-poste russe attaqué demande un soutien à la 2ème batterie blindée. Les blindés du capitaine Oudenne se déploient au moment même où les Autrichiens commencent l’assaut .En quelques minutes les autos-canons ont arrêté l’offensive. Les soldats russes embrassent les blindages belges en signe de remerciement. Le corps des A. C. M a sans doute vécu en ce 1er septembre 1916 l’une de ses plus glorieuses journées. Hélas l’action a coûté la vie du soldat Gomez et du maréchal des logis Bodson. L’ennemi rejeté à vingt
km de Zborof, les Belges rejoignent leur casernement d’Ezerna où le 4
septembre, 104 médailles de Saint-Georges sont remises aux hommes qui se sont distingués. Le général
Goutor, fervent admirateur des Belges (il se disait « l’amant des
Belges » !) préside la cérémonie et fait les adieux aux Belges qui
doivent quitter le 6ème Corps
de Le 4 septembre, ils
arrivent à Tarnopol pour quatre jours de repos avant de rejoindre Butchach à La bataille s’achève après trois jours sans qu’aucun avantage ne récompense l’un des adversaires. Informé de la perte d’une de nos voitures blindées, le Tsar a promis de la remplacer par une voiture russe. Il tint parole et c’est au volant de ce cadeau impérial que Constant le Marin acheva la campagne. En réserve dans la ville de Tcherkoff Le corps des A.C.M. est placé maintenant en réserve dans la ville de Tcherkoff. Les officiers logent dans le château de Kossov tandis que les hommes sont hébergés chez les paysans. Le 2 octobre, le soldat Floquet décède à l’hôpital de Kiev. C’est le septième volontaire belge qui repose en terre russe. C’est le moment d’un éventuel congé pour les hommes. Un problème, écrit le docteur Brassine, agite
violemment les réunions du soir dans les maisons paysannes de Kossov. Nos
hommes se plaignent de n’avoir plus bénéficié du moindre congé depuis un an. Le
major Semet se rend bien évidemment à leur vœu : à tour de rôle, officiers
et soldats profitent d’un jour de repos qu’ils consacrent à la petite ville
voisine de Czortkow. Le docteur Brassine est parfois sollicité pour aller soigner un paysan du domaine de la comtesse Tytzkiewickz. Il raconte dans ses souvenirs ce qu’il vit à l’occasion de ces visites : L’accueil que me font ces pauvres gens échappe à la description.
Ils veulent à tout prix s’acquitter du prix de mes prestations et, sur mon
refus, me poussent entre les mains les plus touchants dons de la nature. (…) Chaque village appartient à un châtelain. Pense à un parc immense au centre duquel se dressent
le château et la ferme. Entourant ces deux bâtisses, des maisonnettes en terre,
recouvertes de chaume abritent les moujiks, inféodés au maître de l’endroit. Un
maître qu’ils craignent plus qu’ils ne l’aiment et qu’ils ne puissent approcher
sans lui témoigner les marques du plus profond respect .Ils s’inclinent devant
lui, s’emparent de sa main et la baisent ! Jamais je n’ai pu assister à ce
spectacle sans en ressentir une gêne profonde. Tant d’asservissement en notre
siècle de liberté ! (…) En été les moustiques règnent par myriades dans le pays
tout entier. Aussi le typhus exanthématique y sévit-il à l’état endémique. Je
soigne pour l’instant à Kossov quatre pauvres gosses atteints de la terrible
maladie. Que deviendront-ils si nous devons quitter la région comme il en est
question depuis quelques jours ? Il y a tant à faire a commencer par
l’assainissement des eaux stagnantes et des marais…Mais ce n’est qu’avec
l’éducation de tout ce peuple ignare que l’on trouvera le remède à cette
angoissante situation. Il faut dire au paysan combien est dangereuse la
promiscuité dans laquelle il vit avec ses animaux, sa volaille surtout !
Il faut lui expliquer que le sol de la maisonnette a besoin de temps en temps
d’un nettoyage à grandes eaux. Il faut, le convaincre de la nécessité d’enfouir
les animaux crevés au lieu d’abandonner à portée de son foyer des carcasses en
putréfaction dont corbeaux et chiens errants font leur ordinaire .Il faut
surtout l’empêcher de boire n’importe quelle eau dans n’importe quel récipient.
Quant aux funérailles ! Sais-tu que l’on transporte encore des cercueils
ouverts jusqu’au cimetière et que c’est au moment de la mise en terre
seulement, après les ultimes oraisons, que le couvercle de la bière dissimule
le mort aux vivants…auparavant tous les membres de la famille, tous les amis se
sont précipités sur le cadavre pour l’embrasser une dernière fois au beau
milieu d’un concert de lamentations. Le 21 octobre les Belges quittent Kossov pour rejoindre Ezerna. La comtesse remercie le docteur Brassine par une lettre. Monsieur le Docteur, Permettez-moi de vous exprimer au nom des habitants de
Bierkowce, ma plus chaude reconnaissance pour les soins parfaitement
désintéressés que vous avez eu la bonté de donner dans bien des cas, dont plusieurs
très graves, soins donnés avec une telle bonne volonté, un tel cœur, que nous en garderons longtemps le
souvenir très ému. Merci docteur, que le bon Dieu vous le rende, à vous et à
votre cher pays qui donne des gens de votre trempe. J’espère que ce n’est pas un
adieu mais bien un au revoir que je vous dis et écris votre bien reconnaissante J. Cielecka née comtesse Tytzkiewicz. Hivernage à Ezerna Les Belges hivernent à Ezerna dans des conditions très dures. Une synagogue abrite l’infirmerie, les hommes de la deuxième batterie sont dans un pavillon en bois tellement froid qu’ils l’abandonnent pour construire une Zimlanka, chaumière souterraine. C’est une habitation en planches enfouie dans le sol jusqu’au toit, un toit entièrement couvert de terre et ne laissant pénétrer qu’un timide rai de lumière par un orifice prévu à chaque extrémité. L’expérience n’aboutit qu’à la pire des désillusions et les Belges retournèrent finalement dans leur maison de torchis. En plus des mauvaises conditions de logement, les vivres sont rares et la flambée est limitée à sept bûches par feu et par jour ! Le 5 novembre le Lieutenant Général Baron de Rijkel vient encourager les Belges. Mais à par cette visite, l’hiver se déroule morne et triste. Notre Lazaret dans la synagogue, à Ezerna. L’exercice du matin achevé dans la bise glaciale, le
soldat regagne son cantonnement humide et mal chauffé. Il s’y terre pour la
journée entière sentant peser sur ses épaules l’éloignement, l’ostracisme m^me
dont l’accable le monde. Dehors, sans cesse prévalent la plie, la bise, la neige,
la boue .Sous les toits de chaume, c’est l’éternel concert des rouspétances :
le soldat se plaint à l’officier ; l’officier invoque l’appui du médecin,
le médecin alerte le Chef de Corps, le chef de Corps attend les ordres. Pour remonter le moral de ses malades le docteur Brassine organise une fête à l’infirmerie. J’ai conservé le programme de cette première séance,
dessiné par le talentueux Ray Bernar. Il annonçait notamment -« Le comte de Luxembourg » à -« La méditation de Thaïs » au violon par I. Pols -« Le dernier carré de Waterloo » déclamation
par Custor -« Cavaleria Rusticana » chanté par Leyx La fête obtient tant de succès que le major Semet décide de continuer l’initiative pour tout le Corps. Une fanfare est créée et la colonie belge de Moscou dans un geste généreux décide de couvrir les frais d’achat des instruments. Bientôt Noël est fêté à la cantine avec une revue d’ombres de Raymond Bernard et d’Oscar Thiry présentée sous le titre d’ « auto-canonnade ». Beaucoup de Belges avaient des talents artistiques et un de ceux-ci fut le sous-officier cycliste Julien Lahaut qui devint après la guerre leader du parti communiste et député au parlement belge avant d’être assassiné. Julien soulevait la salle quand il chantait « Marie Clape-sabots » et peut-être d’autres refrains comme celui-ci qui fut retranscrit par Marcel Thiry dans ses souvenirs : Rousski, rousska, C’est au pays d’la vodka Que va le major collon Avec ses auto-canons. Sur mla vistule
et peut’êt’jusqu’aux Carpathes Les autos-canons se carapatent. Amis, c’est pour nous une occasion vraiment unique De voir de tout près la steppe et les moujiks, Les cloch’s d milliers d’kilos et le Kremlin, Puisque nous n’pouvons pas voir Belin… Officiers, soldats, brigadiers et sous-offs, Allons à lamer d’Azov Voir un peu ce qu’on nous off Grand cadeau, le Major
Semet accorde un congé de plusieurs
jours aux hommes. Le docteur Brassine parviendra à
s’échapper 22 jours à travers l’empire des Tsars. Parti le 9 décembre, il
rentra le 30 après avoir vécu à Kiev, à Odessa et au château de Kossov. C’est
peu après son retour que débarqua à Ezerna un nouveau contingent de volontaires
venant de Belgique. Ils sont 80 commandés par le capitaine Bridoux et le
lieutenant Dufosset. Parmi eux Constant Stiers qui raconte dans ses souvenirs
comment il occupait son temps à Ezerna : Les soirées se passaient en réceptions de cagna en
cagna ; un groupe invitait un autre groupe à venir prendre une tasse de
thé ; de la journée nous nous entraînions à la lute avec notre cher
Constant le Marin comme moniteur, à la boxe avec Anegraeve, champion anversois,
à l’escrime, etc. ; nous avions des as de tous les sports .a la bonne
saison, le football était en vogue et nous avions alors comme moniteurs, certains
internationaux comme Fichlin etc. Lorsque le temps était maussade nous faisions de l’art
culinaire : omelettes soufflées, omelettes à la confiture ; parce
qu’il faut avouer que, si notre nourriture était très appétissante et
suffisante, elle ne contenait cependant pas le nombre de vitamines nécessaires
à la conduite peu rangée de la plupart des hommes de l’A.C.M. Dans ses souvenirs écrits Stiers raconte aussi avec humour comment 150 Belges furent envoyés sur le front pour occuper pendant quatre jours l’emplacement d’un bataillon russe. De nombreux soldats des positions proches vinrent nous
visite par curiosité ; il fallait voir ces malheureux ouvrir des yeux
comme des lanternes à constater notre genre de vie : 1. notre équipement impeccable de
propreté et de qualité 2. notre nourriture pain blanc,
viande deux fois par jour 3. la quantité de friandises dont
nous étions munis et produits de fumage de bonne qualité Tout cela fut sujet à questions
multiples dont la principale était : Qu’est-ce que vous êtes ? Officiers
ou soldats ? Parce que naturellement nous vivions sur le même pied que nos
gradés sous tous les rapports et surtout relations de langage très amical. Ces
gens là ne pouvaient se faire à l’idée qu’il puisse y avoir une aussi grande
différence de régime entre soldats belges et soldats russes ; la
différence, il faut le reconnaître, était comme du jour à la nuit. Les soldats
russes étaient traités, surtout par les gradés subalternes comme de vraies
bêtes de somme, mal nourris, presque pas armés, maltraités et battus. J’ai vu à
Kiev des soldats russes à qui l’on faisait marquer le pas comme à la parade
pendant une demi-heure ; le praporchik (adjudant) se promenant devant les
hommes, distribuait des coups de cravache en pleine face à ceux qui présentaient
des signes de fatigue. Il est aisé de se
rendre compte de l’effet désastreux sur ces hommes traités en esclaves, alors
qu’ils voyaient que nous, soldats comme eux, avions un régime de liberté des
plus enviables. En plus de cela, pour ce qui concerne les quelques jours passés aux tranchées, vu
la situation des positions, nous considérions cela comme une partie sportive et
étions décidés à fouiller les parapets ennemis à coups de fusil, pour forcer
l’adversaire à sortir de sa léthargie. Nous devions avoir affaire à des
Autrichiens au tempérament super-calme, parce que nous avions beau les
canarder, nos plis recommandés restaient sans réponse. Mais ce qu’il y eut de rigolo,
c’est que le second jour, fort vers la droite, nous vîmes un autrichien
s’avancer vers les positions russes en brandissant un drapeau blanc. Nous nous
renseignons sur le motif de cette visite anormale et nous apprîmes avec
surprise que cet Autrichien était venu demander aux russes quel genre de troupe
nous étions, le changement du bruit des coups de feu et puis notre manière
agressive pour désirer le contact. Les Russes fournirent à cet envoyé
extraordinaire tous les renseignements demandés. Celui-là peut bien toucher du
bois, parce qu’il eut une fière chance que nous ne savions pas ce qu’il venait
chercher dans les lignes russes. Ce fut une leçon pour les russes, car
l’autorité militaire autrichienne amena, en face de nous, une troupe d’élite,
de l’artillerie supplémentaire, enfin, tout un matériel digne pour faire face
au mordant belge. Et lorsque tout fut prêt, les autrichiens firent un arrosage
ne règle de nos positions, mais …ce furent les Russes qui encaissèrent à notre
place parce que nous étions déjà revenus à Ezerna, lorsque l’ennemi se décida à
nous faire subir ce petit dressage. Les derniers combats des Belges à Koniouki Le printemps arriva et avec lui une nouvelle offensive. Les Belges quittent Ezerna laissant derrière eux quantité de mécontents si bien décrits par Stiers Il nous fallu donner congé à nos domestiques en herbe en
donnant un bon salaire d’adieu, en reconnaissance des bons et loyaux services
rendus ; cette domesticité était composée de malchikis, gamins de la
localité, à raison de un ou deux par cagna A. C. M. C’était pour les parents un honneur et surtout
une source de profits, que de servir les hommes A.C.M.. Ces gosses allaient
chercher notre bouffe, nos petites commissions, ciraient nos bottes etc. et
comme tous les hommes du corps A.C.M. avaient bon cœur, tous les enfants des
contrées russes et autres où nous sommes passés se souviendront certainement encore
longtemps que c’est aux soldats belges qu’ils doivent d’avoir au moins pendant
une trop courte période de leur vie, le ventre bien garni. A Ezerna notre
départ fut un désastre pour tous els enfants et nous dûmes les chasser de force
pour les empêcher de nous suivre. . Les multiples déplacements des Belges amenèrent ceux-ci au mois de juin à Koniouki où le Corps A.C.M. combat à nouveau. L’auto-canon de Gossens est détruit par un obus qui éclate en dessous d’elle en faisant deux tués, Leuchter et Roselt. L’adjudant Courcelles, debout en plein champ et agitant sa cravache, est atteint d’une balle qui lui traverse la figure d’une joue à l’autre. Il essayait de faire avancer l’infanterie russe derrière les voitures blindées ! Toujours à Koniouki, Constant le Marin va connaître de grandes émotions ! Avec sa voiture blindée russe qu’il avait reçue du tsar en remplacement de celle qu’il avait perdue à Sviselbiki, il attaque un poste de mitrailleuse. Le véhicule se fait immobilisé par le réseau de fils barbelés. Des fusils antitanks en profitent pour faire leur œuvre et bientôt le blindage est percé. Le chauffeur Godefroid s’affaise mortellement blessé, le servant Guillot est blessé. Vallée aussi et Constant est frappé de trois balles .Les trois hommes parviennent cependant à sortir de la voiture et à se jeter dans un trou d’obus puis à se traîner vers l’arrière. La voiture perdue est devenue la tombe de Godefroid. Par après, les Belges assistent à la lente et démoralisante retraite russe conséquence de la révolution et de l’échec du gouvernement de Kerenski à rétablir un minimum de discipline au front. Les Belges à Kiev montent une distillerie clandestine
pour survivre Les A. C. M.
rejoignent finalement Kiev et assistent à la montée en puissance de la
guerre civile. La ville est le théâtre d’affrontements sanglants entre
bolchéviques et bataillons ukrainiens
qui veulent sortir de l’orbite soviétique. 350 hommes se retrouvent sans vivres
coincés dans la révolution russe. Le front russe s’écroule, les Belges veulent
quitter le bourbier mais retourner en Belgique demande toute une organisation
et des provisions. Afin de s’en procurer, les Belges montent une distillerie
clandestine et convertissent la « vodka belge » très appréciée en
d’autres vivres. Incroyable tour de force, les officiers quant
à eux, parviennent à obtenir un train pour tout le Corps A.C.M. Il fallait
obtenir l’autorisation des Soviets. Ils furent aidés dans cette tâche par
l’interprète soldat Polski, engagé volontaire de 1914 et ingénieur civil issu de l’université de
Liège. Par le plus grand des hasards, Polski avait eut comme condisciple et ami
pendant ses études universitaires le frère de
Krilenko qui commandait l’armée
rouge ! Cet heureux hasard facilita les négociations ! Les voitures
blindées et l’armement lourd sont remis
aux bolchéviques mais les Belges ont pris soin de les rendre inutilisables. On
explique qu’on a dû faire sauter tout ce matériel pour qu’il ne tombe pas aux
mains des contre-révolutionnaires. Frauduleusement, dans le train, ont été cachées
en pièces détachées deux mitrailleuses lourdes et quelques fusils-mitrailleurs
Lewis. Le convoi part de Kiev le 20 février 18 pour Moscou puis pour Et puis nous bourrons copieusement la crâne de tous ces
ignorants ; nous leur disons, par exemple, que nos chevrons de front sont
des chevrons de blessure ; alors, dans leur esprit assez étroit, ils nous
voyaient tous avec trois ou quatre chevrons, donc, nous étions, à leurs yeux,
tous des hommes ayant été plusieurs fois blessés, la déduction était simple :
il n’y a vraiment pas moyen de tuer ces Belges, ils ont la vie trop dure ! Omsk est quitté le
12 mars. Les monts Ourals sont traversés. Le voyage est monotone seulement
coupée par quelques arrêts. Lorsque la
boustifaille est prête, les cuisiniers font arrêter le train et, le long de la
rame nous faisons la file, gamelle en main, et lorsque tout le monde est servi,
l’on se remet en route. Finalement le train
arrive à Daourian la dernière ville de Sibérie avant la frontière
chinoise. Il faut négocier avec le
soviet mais aussi avec les Chinois et avec l’armée blanche du général Sémianoff
qui, en Chine à la frontière, a rassemblé une troupe d’officiers et de soldats russes qui ont fui la révolution. Ces
négociations se font avec une locomotive qui arbore un drapeau blanc et qui
emporte le capitaine Oudenne, le lieutenant Isaak et l’interprète Birenweik de
chaque côté de la frontière. Finalement un accord est trouvé et le 26 mars le train chinois arrive .Le
transbordement de tout le fourbi est effectué et le 27 le train pénètre en
Chine. Halte à Kharbine puis finalement
arrivée à Valdivostok en pénétrant à nouveau dans le territoire russe. C’est la première fois que l’on voit des soldats belges,
et certainement la dernière ! L’accueil est aussi inattendu qu’exceptionnel ! Après cinq cents mètres de défilé écrit Constant Stiers, nous
étions couverts de gerbes de fleurs, des gerbes de roses nous étaient lancées
des fenêtres. (…) A nouveau Constant
Stiers trouve la phrase adéquate pour
décrire en quelques mots la situation exceptionnelle des soldats Belges
en Amérique : C’était vraiment du délire, en d’autres termes je
dirais : c’est plus ça d’l’amour, c’est d’la rage ! Les Belges sont invités à faire un match de football contre l’équipe de la marine du Pacifique et la victoire des Belges augmente encore d’un cran l’enthousiasme des foules. Une centaine d’autos étaient présentes pour emmener les soldats visiter la ville. Pour Constant Stiers, ce fut la voiture du directeur des grands magasins de confection « City of Paris » qui vint le chercher avec comme guide Mademoiselle Flore Thibaut, une vraie Parisienne, contre-maîtresse de l’atelier de couture ! De toute l’histoire de l’armée belge, c’est sans aucun doute, le Corps des A. C. M. qui a le plus défilé ! L’organisation de ces parades donna quelques soucis aux officiers américains qui trouvèrent l’astuce pour munir les Belges d’une fanfare digne de ce nom ! Les Belges étaient revenus avec une importante réserve d’uniformes. On aurait pu vêtir le Cops pendant trente ans encore ! Un « Band » américain fut déguisé en soldats belges et défila en tête des défilés. C’étaient 40 splendides gaillards caractérisés par une taille moyenne d’1m 80 alors que les troupiers belges qui suivaient le « band » ne mesuraient en moyenne qu’ 1M69. Cette discordance, heureusement, ne suscita pas trop de questions ! Sept jours à San
Francisco puis Sacramento avec un défilé sur un tapis de fleurs de10 cm
d’épaisseur ! Salt Lake City, Cheyenne, Omaha, Des Moines accueillent les Belges avec tout
autant de vivats. Le voyage continue via
Chicago, Détroit et Niagara avec la visite des célèbres chutes ! Les
Belges défileront encore à New-York et se partageront les centaines
d’invitations des particuliers ou des
instances officielles avant de s’embarquer sur « Dr Patrick Loodts. Sources 1) Ma campagne de Russie, V. Brassine, Pim-services, Namur 1958 2) Le tour du monde en guerre des
autos-camions, Marcel Thiry, Le grand Miroir, 2003 3) |