Médecins de la Grande Guerre

Le docteur Brassine, médecin du Corps des Auto-Canons en Russie

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Le docteur Brassine, médecin du Corps des Auto-Canons en Russie.

point  [article]
Couverture du livre « Ma Campagne de Russie ». Le dessin représente la « Charge du Cosaque ».

Les médecins Biquet et Brassine, du Fort de Lierre.

Les fondateurs du Corps des A.C.M. Au centre, le Major Collon.

Première page du programme de la séance A.C.M. organisée au Châtelet au profit des réfugiés.

Les exercices quotidiens au Camp de Satory ou de Vincennes.

J’ai pris possession de mon ambulance aux Usines Peugeot.

Yser 1914 – Taube abattu par les autos-canons belges

Inspection à Longchamps par des Généraux français.

Ma salle de visite aux Moëres.

Captain Rowland, Commandant du Wray Castle.

Mitrailleurs A.C.M. et barques de sauvetage à bord du Wray Castle.

Mitrailleur A.C.M. à Péterhof, en tenue hivernale.

C’est tout éberlués que nous contemplons le bristol impérial.

6 décembre 1915. Nos cyclistes vont défiler devant le Tsar à Tsarskoïe-Selo.

Sbaraz, une ville triste, sans âme…

Notre infirmerie à Sbaraz.

Le Major Semet, Commandant le Corps A.C.M.

Blindée belge au repos, printemps 1915.

La chasse aux poux, préoccupation capitale.

Des murs de neige, qui par endroits, atteignent cinq mètres de hauteur.

Un océan de boue, jaune et poisseuse…

Le R.P. Bonne, Rédemptoriste à Tarnopol et notre Aumônier, l’abbé Lens.

Notre auto-atelier.

Un avion ennemi abattu à Tarnopol.

Les premiers blessés russes affluent.

Les Autrichiens se rendent en masse.

Reconnaissance belge aux tranchées.

C’est fini… Degreppe est mort !

Le Brigadier Georges est tombé près de cette chapelle de Tsebrov.

Le brave Général Goutor, l’amant des Belges.

Une tranchée autrichienne franchie à Tsebrov.

Notre poste de secours à Sborof, dans les ruines.

Le service auxiliaire dans l’attente : Aumônier et Médecin.

Train blindé de l’armée russe.

Poste de secours russe de 2ème ligne.

Un enterrement orthodoxe, cercueil ouvert.

Notre Lazaret dans la synagogue, à Ezerna.

Ezerna. Ici campe le 1ère Batterie.

Ezerna. Les réseaux de barbelés pendant l’hiver 1916-1917.

Toutes ces photos, telle celle-ci m’associant à un rabbin de Sbaraz, ont été prises, de 1915 à 1918, par des Officiers ou Soldats A.C.M. Qu’ils trouvent tous, ici, les Lens, Van der Donck, Gueur, Bertin, Peten, Collin, Van Cutsem, Polchet, Floor et tant d’autres encore, l’expression d’une gratitude que je prends grand plaisir à leur réitérer, quarante ans après coup.

V. Brassine en 1957.

Groupe d’officiers et soldats belges qui prirent une part glorieuse à l’offensive Broussiloff.

Les 300 volontaires du corps des Auto-canons en Russie. – Photo prise lors de la réception du corps à San Francisco.

A Kharbine, en Mandchourie, la population se montre empressée autour de nos héroïques compatriotes.

Nos auto-canons au front russe de Galicie, prêts à entrer en action lors de la victorieuse offensive de Broussloff.

Couverture du livre de Constant Stiers.

Constant le Marin mis à l’honneur par Lambert Grailet.

Couverture du livre de Marcel Thiry

Nos auto-canons. (collection du Musée Royal de l’Armée et de l’A.S.B.L. Tank Museum)

Nos auto-canons. (collection du Musée Royal de l’Armée et de l’A.S.B.L. Tank Museum)

Nos auto-canons. (collection du Musée Royal de l’Armée et de l’A.S.B.L. Tank Museum)

Nos auto-canons. (collection du Musée Royal de l’Armée et de l’A.S.B.L. Tank Museum)

Nos auto-canons. (collection du Musée Royal de l’Armée et de l’A.S.B.L. Tank Museum)

Nos auto-canons. (collection du Musée Royal de l’Armée et de l’A.S.B.L. Tank Museum)

Nos auto-canons. (collection du Musée Royal de l’Armée et de l’A.S.B.L. Tank Museum)

Nos auto-canons. (collection du Musée Royal de l’Armée et de l’A.S.B.L. Tank Museum)

Nos auto-canons. (collection du Musée Royal de l’Armée et de l’A.S.B.L. Tank Museum)

Nos auto-canons. (collection du Musée Royal de l’Armée et de l’A.S.B.L. Tank Museum)

Nos auto-canons. (collection du Musée Royal de l’Armée et de l’A.S.B.L. Tank Museum)

Nos auto-canons. (collection du Musée Royal de l’Armée et de l’A.S.B.L. Tank Museum)

Bas-Relief – Sculp. M. Wolfers. Corps Expéditionnaire Belge en Russie. (collection du Musée Royal de l’Armée et de l’A.S.B.L. Tank Museum)

Faisait partie de l'armée française dans les Autos-Mitrailleuses et les Autos-Canons.

Le docteur Brassine, médecin du Corps des Auto-Canons en Russie

 


V. Brassine en 1957.

Médecin au fort de Lierre

 

Le docteur Brassine  est né le 7 juin 1883 à Ransart. En 1905, alors qu’il était étudiant en médecine, il est convoqué au tirage au sort en vue du service militaire  et malheureusement, il tire un mauvais numéro, le 62.  Interrompant ses études, l’étudiant en médecine va porter l’uniforme d’aspirant-officier du Service de santé pendant deux ans ! Libéré en 1907, il poursuit ses études de médecine  et décroche son diplôme en  juillet1911. Le jeune docteur s’installe à La Buissière,  se marie l’année suivante et rapidement, un petit Valery vient agrandir l’heureux foyer. Mais le bonheur du jeune couple va  être brutalement interrompu le 31 juillet 1914 par le garde-champêtre qui  apporte au docteur   un ordre de marche ! Le lendemain, à 16h heures, le voilà déjà à son poste dans l’infirmerie du  le fort de Lierre. Il fait connaissance de ses camarades, 115 soldats sous les ordres du commandant Termina.  Parmi ces soldats, Victor Godefroid  sera son fidèle  porte-sac. Le 21 août, le docteur Biquet  lui est attribué  en renfort. La Belgique résiste à l’ennemi mais les forts de Liège et de Namur  ont cédé, obligeant   l’armée belge à trouver refuge  le 26 août dans la position fortifiée d’Anvers. L’attente pour les hommes de la ceinture des forts d’Anvers est difficile à supporter et se traduit par une certaine  nervosité. Ainsi, le 27 août, le fort de Lierre connaît un début de mutinerie parce qu’un  sous-officier est puni pour avoir laissé sortir quelques soldats désireux de se rendre  en ville. Tout se heureusement  car le colonel Doneux, tout en maintenant  la punition,  a  su paisiblement mais fermement  envoyer les mutins… au lit !  Le 28 septembre, les postes d’observation du fort de Lierre signalent l’ennemi et les coupoles de 15 cm déclenchent leurs premiers tirs. Les occupants du fort sont enthousiastes car la longue période d’inaction s’est enfin terminée. A partir de ce jour, les officiers dorment dans le petit local leur servant de mess car le massif central n’a pas été jugé assez sûr.


Les médecins Biquet et Brassine, du Fort de Lierre.

Le lendemain, on apprend que l’hôpital de Lierre  a été touché par un obus ennemi provoquant 8 morts. Le fort encaisse à son tour  des obus de 135 qui labourent sans arrêt le massif de la caserne. Le soir, autour du colonel Doneux,  les officiers font  le bilan : 64 obus  ont atteint le fort et les autres nouvelles ne sont pas réjouissantes, le fort de Wavre-Sainte-Catherine  a été évacué et le fort de Waelhem ne répond plus ! Le lendemain vers 12h 20 éclate pour la première fois un obus de 420 : un sifflement sinistre suivi d’un grondement de plus en plus violent comme celui d’un  express en marche et, pour terminer, une détonation de fin de monde… Ce jour là, le fort recevra 56 obus …56 fois, le fort recevra une blessure béante. Pas un mètre carré qui n’ai reçu la griffe des monstres et la cuirasse de  57 mm du saillant 1 a été projetée comme un fétu de paille à 20 mètres de la tour…Des  blessés arrivent à l’infirmerie, trois  hommes se retrouvent ensevelis sous les décombres du mess troupe.. Un aviateur a pu repérer les terribles pièces de 420 qui sèment la désolation. Elles sont embusquées à Boort-Meerbeek à 15 km du fort alors que les canons belges tirent au maximum à 8.400 mètres ! La situation commence à apparaître désespérée !

La nuit suivante est assourdissante. Toutes les coupoles grondent  et inondent de leurs obus les routes. Le matin, les trois soldats tués sont enterrés dans les quelques mètres carrés du glacis recouverts de terre. Le bombardement des 420 recommence vers 10h15 soufflant  les coupoles  l’une après l’autre. Le Commandant Termonia est amené à l’infirmerie après être tombé au fond d’un cratère. A la fin de la journée, le bila est effroyable car le fort a tremblé 60 fois ! Le colonel Doneux  ranime le courage des hommes, juste à temps pour repousser une attaque de l’infanterie allemande. A 23 heures, le téléphone grésille et demande au fort de résister encore 12 heures !  La nuit, l’infanterie ennemie tente un deuxième assaut et celui-ci  est à nouveau repoussé ! Le lendemain matin, les 420 reviennent  mais cette fois avec une précision diabolique. A 18h 20, le colonel Doneux donne finalement l’autorisation de  quitter le fort pour rejoindre les lignes belges, le fort a résisté 100 heures !

La fuite en France

Le docteur Brassine a rejoint l’Inspection Générale du service de santé de la place fortifiée d’Anvers. On lui demande de partir pour  Ostende. Là, pendant dix jours, le docteur patiente en attendant les ordres. Le 10 octobre, date de la chute d’Anvers, le docteur quitte Ostende pour la France où les troupes de forteresse vont se reconstituer en divisions. Après ordres et contre-ordres les soldats survivants des forteresses sont embarqués à Dunkerque, le 16 octobre, sur le « Trafford Hall »  mais devant le Calais le navire est immobilisé et les soldats ne reçoivent pas l’autorisation de débarquer ! Trois jours, deux nuits sans vivres et dans le froid et l’humidité ! Finalement un remorqueur amène du ravitaillement : 200 gr de viande et 2 tranches de pain par homme. Le « Trafford Hall » lève enfin  l’ancre pour Boulogne-sur-mer ! Mais, là encore, le bateau doit rester en rade jusqu’au 20 octobre…Quand les hommes  débarquent après quatre jours d’enfermement, ils se répandent en injures et en imprécations ! On les comprend !  La colonne repart ensuite à pied vers Ardres où un cantonnement est enfin établi. Le Dr Brassine note dans ses mémoires qu’il faudra des jours pour « retaper » les troupes épuisées !

A Ardres

Les troupes de forteresse resteront 40 jours à Ardres. Les officiers sont hébergés chez l’habitant et le Dr Brassine et son adjoint Biquet bénéficient de l’hospitalité d’un huissier. Le matin, c’est la visite médicale. La file des malades est impressionnante les premiers jours : jusqu’à 250 à 300 soldats à voir en une matinée. L’après-midi le service reprend à l’hôpital ou en séances de conseil de révision. Le soir ce sont les parties de domino ou d’échecs qui distraient les médecins. Le docteur Brassine reste sans nouvelles de sa famille et  rédige pourtant  lettre sur lettre à sa chère Maria et à son jeune fils Valéry. La routine de l’arrière est interrompue le 29 novembre quand il reçoit son ordre de marche pour rejoindre les « compagnies de travailleurs » à La Clytte.

A La Clytte

Dans ce petit bourg au sud-ouest d’Ypres, notre docteur est hébergé à la cure. Les compagnies de travailleurs appartiennent aux troupes du génie et sont affectés à des tâches harassantes. A la tombée de la nuit, les soldats partent creuser les boyaux à 800 mètres des lignes ennemies. Pendant 8 heures ils creusent pour revenir exténués au cantonnement vers 2 heures du matin.  L’infirmerie est installée dans l’école des garçons de Reningelst. Les 13 et 14 décembre, des blessés français requièrent les soins du docteur. Parmi ces blessés se trouvent cinq médecins français dont trois succombent aussitôt. Les deux autres sont touchés au ventre  et leurs jours sont sans doute comptés à moins d’un miracle. Le père d’un des médecins tués était colonel  et assista à l’enterrement de son fils. Il raconta au docteur Brassine :

Voilà mon dernier fils. J’avais cinq garçons. Ils sont tous morts à la guerre. Je reste seul, les yeux secs, car, voyez-vous docteur, je ne sais plus pleurer.

Il est dommage que le Dr Brassine ne nous ait pas laissé le nom de ce colonel et de ces fils.

Les premiers jours de 1915, le docteur transportera ses pénates à Eesken, puis à Poperinghe où il arrive le 12 janvier avec comme mission de vacciner 5.200 hommes contre la typhoïde. Le 12 février, la routine du docteur est à nouveau interrompue par un télégramme venant de Paris : le commandant Delporte lui propose de le rejoindre au corps des Autos-Canons-Mitrailleuses.  Après un jour de réflexion, le docteur accepte l’offre et le voilà parti pour Paris en compagnie de son fidèle porte-sac Godefroid qu’il a pu garder auprès de lui. Les deux hommes arrivent à Paris et rejoignent un hôtel. Godefroid est ébahi de se retrouver sur un bon lit  et signale à son docteur qu’il y a près de trois mois qu’il n’a pu enlever ses pantalons pour dormir !

Dans le corps des A. C. M.


Les 300 volontaires du corps des Auto-canons en Russie. – Photo prise lors de la réception du corps à San Francisco.

Dix auto-canons-mitrailleuses, des motos, des vélos, des camions et 300 volontaires belges dont beaucoup n’avaient pas vingt ans, tels étaient les composants du corps formé en France par le major Colon en 1915. Le corps des A. C. M. était la réplique exacte des « Armoured Cars anglais »   et sa mission était de foncer dans les brèches des lignes ennemies. Le docteur de Neef  que remplace le docteur Brassine met son confrère en garde : il y a beaucoup d’indiscipline dans cette unité débutante. La première consultation amène 47 patients au docteur mais celui-ci se montre sévère. Le lendemain, le nombre de consultants tombe à 28 ! Aucun critère spécifique n’a été retenu pour le recrutement des soldats de l’A. C. M. mais le caractère  sportif du corps a attiré de nombreux représentants de la noblesse éprise de sport automobile. On trouve les Aspremont, de Montpellier, de Vedrin, de Liedekerke, de Crawhez, d’Outremont, de Caters, de Ribeaucourt, de BerckerRemy. Il y a aussi des sportmen de haut niveau comme les Moens, Boin, Constant le Marin. Le cadre officier supérieur ne possède quant à lui que très peu de  notions de mécanique comme le fait remarquer avec humour le docteur Brassine dans ses souvenirs :

J’entends encore ce Colonel répondre ex cathédral, à son chauffeur qui lui fait part de la nécessité d’acheter un nouveau carburateur :

-Un carburateur ? Pour que faire, décidément ? Vous pourriez, il me semble, garder votre carbure dans des boîtes à conserves.

Le major Collon lui-même s’emporte contre son ordonnance, qui se plaint de ne pouvoir arrêter son moteur emballé par un court-circuit :

-Eteignez donc ces bougies, espèce de cruches !

Le même encore –excusez-moi mon Major- n’hésite pas, dans une discussion à prendre parti en faveur du châssis Peugeot au détriment du châssis Mors, parce que dit-il :

-Les chevaux Peugeot sont plus puissants que les chevaux Mors ! » 

Les Belges se vont connaître à Paris. Le 4 mars, ils organisent au Châtelet une soirée de gala au profil des réfugiés belges et de la Croix-rouge. Quelques jours plus tard, c’est monsieur Carton de Wiart qui donne une conférence patriotique au Palais du Trocadéro. Il y a aussi quelques privilèges pour les officiers  des A. C. M. comme celui de bénéficier d’une première loge gratuite au Ciné Gaumont !  Les Belges n’ont vraiment pas à se plaindre car ils sont invités partout : apéritifs concerts au Kursaal, défilés à Longchamps, séances au Grand Guignol,  visites au Louvre…

Entre sorties et manœuvres  qui se déroulent au camp de Satory ou de Vincennes, le temps s’écoule paisiblement ! Il reste cependant la grande souffrance de rester sans nouvelles de ceux qui sont restés en Belgique occupée ! La dernière lettre de Maria jaunit depuis sept mois dans le portefeuille du docteur Brassine ! 

Le 9 avril, le docteur va prendre possession de son ambulance aux usines Peugeot à Levallois. Le 14 avril, enfin, une lettre de Maria, la première depuis le 12 août !

Le 17 avril le Corps des A.C.M. défile le 17 à Longchamps et reçoit son drapeau des mains du général français Clergerie. « Le journal » du lendemain nota que « le défilé a été impressionnant. Ouvert par les cyclistes, suivis des motocyclistes, il s’est terminé par les auto-mitrailleuses et les auto-caissons roulant à 25 km à l’heure !  »   

Le 21 avril c’est le départ pour l’Yser. Après cinq jours de voyage la frontière est atteinte puis Adinkerke et enfin Les Moëres où le cantonnement est établi !

Mais les A.C.M ne trouvent pas à s’occuper dans la guerre statique des tranchées. Dans l’inaction le moral de la troupe va baisser considérablement malgré la pêche à l’anguille dans les canaux environnants et malgré la distraction des visites officielles. Il n’est pas un général, pas un personnage  de marque en visite sur le front belge auquel on inflige l’inspection de l’A. C. M… Enfin le 20 juillet, une nouvelle éclate comme une bombe dans le cantonnement : la collaboration des A. C. M. est demandée sur le front russe. Dès lors, c’est une nouvelle attente qui commence ! Le 15 août, les véhicules rejoignent Paris pour une dernière révision des moteurs. Des instructions suivent : le médecin, l’aumônier et trois autres officiers accompagneront la troupe par mer. Le restant du cadre fera le voyage par la Norvège et la Suède ou rejoindront l’empire des Tsars par la Roumanie. Le 18 septembre, le docteur arrive à Brest. Le 20, le Corps des A. C. M. défile dans les rues, ce dont rend compte la dépêche de Brest :

« Nos concitoyens ont été agréablement surpris, hier matin, vers 8h30 de voir défiler, par la rue de la Mairie, les vaillants soldats belges casernés à Brest depuis deux jours. Précédés de clairons et de la musique du 2è Régiment d’Infanterie coloniale, ils marchaient crânement, soulevant sur leur passage l’admiration et les bravos. Le bataillon fit halte à l’hôtel Continental ; un officier monta dans les appartements du Major Collon, prit le drapeau, et le portant sur l’épaule comme un fusil- alla reprendre place dans les rangs. Le sonnerie « au drapeau «  retentit, les nombreuses personnes présentes saluèrent et la colonne se remit en marche aux accents d’un entraînant pas redoublé vers la caserne Fautras. Quelques instants plus tard, Monsieur le Vice-amiral Moreau, commandant en chef, Préfet Maritime, entrait dans la cour de la caserne du 2è Régiment d’Infanterie coloniale, accompagné du Lieutenant-colonel Morache, Chef d’Etat-Major de la place-forte, du chef d’escadron d’Argentré et du lieutenant de vaisseau Delaby. Le Gouverneur, reçu par plusieurs officiers étrangers, passa sur le front des troupes, qui lui furent présentées par le Major Collon. La musique de la flotte exécuta les hymnes des Nations alliées puis le vice-amiral Moreau se retira, après avoir félicité le commandant pour la belle tenue de ses braves soldats. Pendant la revue, la foule s’était massée devant les grilles de la Caserne Fautras. Le bataillon, musique en tête repassa dans la rue de la Mairie avec son drapeau et défila entre une double haie de bons patriotes, qui acclamèrent l’emblème et les braves défenseurs de l’héroïque Belgique. La foule augmenta de minute en minute, se massa sur les trottoirs, battit des mains et, lorsque quelques minutes après, nos hôtes, regagnant leurs cantonnements, arrivèrent à la hauteur des halles, ils furent accueillis par de joyeux vivats et une pluie de fleurs.  « Vivent les Belges ! »

Les Belges s’embarquent le 21 sur le « Wray Castle ».  Sur le pont 19 boeufs vivants et gras à souhait attendent le coup de grâce des cuistots. Ils ne seront pas de trop pour nourrir les 700 hommes pendant les deux semaines du voyage. Outre les soldats belges, le navire emmène aussi 250 ouvriers belges volontaires pour aider les usines d’armement russes.


Mitrailleurs A.C.M. et barques de sauvetage à bord du Wray Castle.

Le septième jour du voyage, la glace apparaît sur le pont, le cercle polaire est tout proche. Le 1er octobre, il neige et une baleine montre le chemin au navire. Le soir, les soldats s’attardent sure le pont malgré le froid pour admirer la splendeur des lueurs boréales. Le 5 octobre, le navire jette l’ancre dans la baie de Svyatoï Nos et attend le remorqueur russe. Une violente tempête secouera le navire toute la nuit. Le lendemain, le remorqueur russe n’est toujours pas au rendez-vous  et l’équipage est forcé de passer une deuxième nuit dans le navire immobilisé. Il pleut, il vente et la tempête continue. Le capitaine, pour éviter de toucher un récif côtier,  décide de  rejoindre la haute mer pour passer la nuit…Il faudra finalement sept jours pour que les navires d’escorte arrivent. Le 13 octobre c’est enfin l’arrivée à  Arkhangel. Une péniche accoste le navire, ce sont les officiers belges qu ont fait le voyage par terre via Stockhom qui viennent accueillir leurs compatriotes. Arkhangel compte à peine 30.000 habitants C’est une ville sans confort. Une rue large et mal pavée comprend un son milieu un trottoir de bois que l’on ne peut quitter sous peine de patauger dans la boue. Les maisons sont en bois et l’atmosphère de la ville est pesante. Les soldats de l’A. C. M.  y resteront trois jours avant de s’embarquer en train pour un voyage de plus de1000 km. Le 18 octobre c’est l’arrivée en gare de Saint-Petersbourg. Les soldats partent à la découverte du domaine de Peterhof, propriété des Tsars aussi impressionnante que Versailles. Dans la cathédrale, le docteur Brasseur découvre un spectacle émouvant, celui d’une jeune femme agenouillé devant le cercueil d’un  jeune homme  décédé au cours de la dernière offensive allemande. On lui raconte l’histoire de la malheureuse qui passe là toutes ses après-midi depuis deux mois penchée sur le cercueil qu’elle ouvre de temps à autre pour  glisser sur le corps de son bien aimé des lettres d’amour pliées en quatre.

Le major Collon rejoint enfin ses hommes et, avec ses officiers, il est reçu par les officiers de Pétrograd au Grand Hotel Astoria. Le Général-Médecin Klimovitch recevra le docteur Brassine chez lui avec un menu on ne peut plus symbolique comprenant un cochon « à la russe » et des asperges « à la Belgique » !

Les réceptions se suivent pour les officiers belges : bal au gymnase d’Alexandre II, spectacles et ballets au Théâtre impérial, séance de musique de chambre chez la princesse Clemboski…. Entre-temps, les hommes reprennent leur entraînement. Le froid est terrible et le thermomètre descend sous les -20 degrés. Les malades sont nombreux à la consultation du docteur : une cinquantaine chaque matin. C’est au cours de cette offensive hivernale que le Tsar lui-même manifeste son désir de  se voir présenter les officiers belges.  La cérémonie a lieu le 26 octobre à Tsarskoïe-Selo, le château du Tsar. Nicolas II s’arrête devant chacun des officiers. Le Major Collon explique au Tsar que les A. C. M.  ont arrêté l’ennemi  sur le front de l’Yser  à Lizerne. C’est un mensonge qui embarrasse le docteur car le Tsar  l’interroge  sur les pertes subies !  Le docteur Brasseur relata plus tard, dans son livre, comment il se tira de cette mauvaise passe :

-Très peu de pertes  Sire !

Comme le Tsar, étonné de ce qu’un assaut aussi meurtrier se soit soldé par si peu de pertes, lève un sourcil interrogateur, je noie le poisson dans quelques généralités :

-Vous savez, la mortalité est en forte régression au front belge depuis que le conflit s’est transformé en guerre de position. Ces tranchées savamment aménagées protègent leurs occupants et ce ne sont pas les quelques opérations locales qui…qui…

Novembre se passe sous un temps de pluie et en répétitions pour la revue du Corps A. C. M. que doit effectuer le Tsar.  Les soldats belges ont l’impression qu’ils ont été formés pour la parade et la frime. Le 6 décembre, le Tsar, le jour de sa fête patronale fait l’honneur aux Belges de les passer en revue. Le 5 janvier, arrive enfin un communiqué du chef de corps : l’unité doit se préparer pour rejoindre la province autrichienne de Galicie conquise par les Russes, reprise par l’Allemand Mackensen et qui fait  maintenant l’objet d’une contre-offensive russe.

L’unité est transportée par train jusqu’à Kiev  puis jusqu’à la frontière. Après un voyage de neuf jours et neuf nuits et de 1.500 km, le matériel est débarqué et le corps des A. C. M. prend la route et pénètre dans Sbaraz  gros bourg de Galicie habité par une importante population  juive. L’ambiance qui règne dans la ville suscite de maussades réflexions au docteur Brassine :

Les séjours des A. C. M. à Sbaraz

C’est une ville triste, sans âme et sans espoir, où les envahisseurs que nous sommes n’ont à espérer  de leurs hôtes que crainte et mépris. Nos villes belges, qu’occupe l’allemand, auraient-elles à ce point perdu le goût de la vie ? Comme je te plains, dans ce cas, ma chère Maria…   


Notre infirmerie à Sbaraz.

Après trois jours de recherche, les Belges parviennent à repérer un local libre pour en faire leur dispensaire. Il s’agit d’un pavillon annexe de l’hôpital Alexandre II. Le docteur, ayant décelé deux cas de variole, décide de faire vacciner tous les soldats de l’A. C. M. Il aménage une petite salle d’opération où il réussit à extraire la balle de révolver de la cuisse du soldat Thélismar. Il opère aussi d’une ostéite de la mâchoire inférieure le maréchal des logis Lienaerts. L’immersion des soldats Belges au cœur de l’armée russe n’est pas facile. Le major Desmet  (bulletin du Touring Club année 1918) décrit très bien  des malentendus fréquents :

C’était surtout le primitif soldat  russe qu’il fallait conquérir et l’on apprendra avec étonnement que les premiers contacts que nous eûmes avec lui dans les tranchées nous valurent quelques coups de fusil.  Dame! Pour l’âme simple du troupier russe, tous ceux qui ne portaient pas le bonnet ou la casquette russe étaient autrichiens, et nous nous présentions devant eux avec la casquette de l’Yser dont la parenté avec la casquette autrichienne est connue ! Plus tard les auto-mitrailleurs reçurent la tenue kaki avec casque. De nouveaux coups de fusils accueillirent cette coiffure qui, dans l’esprit du russe, était la caractéristique de l’Allemand. Notre bonnet de police kaki avait une vague ressemblance avec la coiffure des Turcs, qui, faits prisonniers, passaient dans les cantonnements occupés par les Russes. Il nous fallut abandonner le kaki et ce fut avec l’ancien bonnet de police des artilleurs bleu à bande rouge, que les nôtres se firent reconnaître comme alliés par le soldat russe. Mais ces petits incidents n’avaient pas eu raison de l’âme primitive du combattant moscovite qui demandait, pour se donner complètement, des témoignages plus probants : « Le mariage du sang ». Tant que les combats livrés côte à côte n’eurent pas donné de la valeur au soldat belge, celui-ci, auquel les règlements russes avaient malheureusement été rendus applicables, connut la rigueur de la discipline moscovite qui autorisait un officier des armées impériales à cravacher nos mitrailleurs dans les rues de Tarponol, à les jeter dans des prisons militaires, à leur refuser l’accès de tel café-restaurant ou buffet réservé aux officiers  etc.. L’esprit de liberté que nous avions emporté de Belgique était soumis à des épreuves d’autant plus pénible que l’âme du simple soldat russe se serait mal accommodée d’un régime différentiel en faveur des Belges. Grâce à l’énergie déployée par les officiers belges et aussi au magnifique esprit montré par leurs soldats, le Corps des Auto-Canons-Mitrailleuses finit par bénéficier d’un régime d’exception dans l’appareil disciplinaire russe. Il est néanmoins assez plaisant de rappeler  ici que les premières libertés réclamées par les soldats russes au début de1917 furent précisément celles qui avaient été acquises par les Belges au milieu de la vieille et belle armée russe : le droit de fumer en rue, le droit de prendre place dans tous les restaurants et buffets, dans les wagons de deuxième et de première classe ! »      

L’hiver à Sbaraz  est très monotone ponctué de rares événements comme par exemple le changement du chef de Corps. Le colonel Collon est remplacé par le major Semet. Le célèbre Collon avait eu quelques ennuis avec son supérieur représenté en Russie par le Général Baron de Rijkel. Il avait dû d’abord réintégrer son grade de major dont il s’était prématurément dépouillé pour se faore appeler colonel et  on avait annulé les  nominations de « Praperchiks » belges, grade intermédiaire qu’il avait lui-même créé entre celui d’adjudant et de sous-lieutenant. Un original, ce  Collon qui s’était  permis de nommer lui-même quatre soldats dont son fils  au grade d’officier !  Le 12 février après une dernière revue, il prit congé de ses hommes et fut pensionné d’office le 18 février !

Les poux de Sbaraz vont constituer les seuls ennemis des Belges comme en témoigne le docteur Brassine !   

J’en porte 27 à mon tableau de chasse du 20 février, 32 le lendemain. Je gâche des nuits entières tant je me gratte et je contracte un tel nervosisme que j’utilise pour la désinfection de ma chambre et de mon lit tous les liquides caustiques qui me tombent sous la main. Hélas, pétrole et benzine s’avèrent inopérants et je me vois contrait d’aller frapper à la porte du monastère où mes confrères russes traitent quelques trois cents galeux. J’aurais passé la journée dans le bain si je n’avais craint de me singulariser aux yeux des infirmiers 

Pâques arrive enfin. Le R.P. Bonne, rédemptoriste brugeois séjournant dans la ville voisine de Tarnopol, entend les confessions des Belges avant la cérémonie religieuse. Le printemps inaugure un renouveau pour les Belges. Le lever est repris dès 5 heures du matin tandis que les exercices sont remis au programme et que la discipline  est rétablie. Deux officiers et six hommes indisciplinés sont renvoyés au pays ! 

Le 30 mai, la nouvelle du départ des Belges vers le front est rendue officielle. Le 31 le capitaine Roze parti en reconnaissance dans le hameau d’Iankowce est atteint par une  balle de shrapnell qui le frappe à la tempe droite. Le blessé est ramené la nuit à l’hôpital de Tarnopol.

Le Corps comprend 350 hommes répartis en cinq batteries. Il y a deux batteries blindées ayant chacune cinq véhicules blindés. Chaque batterie blindée est suivie d’un caisson à munitions, de caissons à vivres d’un atelier roulant et d’une auto ambulance.  Il y a une batterie de parc chargée du ravitaillement. La quatrième batterie est composée de 120 cyclistes et d’un groupe de motocyclistes. La 5ème batterie de dépôt est quant à elle laissée à l’arrière à Kiev et  elle s’occupe des pièces de rechange, de l’habillement, des archives…

Les A.C.CM dans le secteur de Tarnopol

Les batteries prennent position dans le secteur de Tarnopol. Devant eux les Autrichiens sont retranchés dans d’inextricables boyaux. La première batterie a son poste d’attente à l’orée du  bois de Czikari tandis que la seconde batterie démonte des véhicules deux canons et les mitrailleuses pour les installer dans les tranchées. Le 4 juin, l’assaut est donné par les Russes. Les moujiks avant d’enjamber le parapet se tournent vers l’orient, se signent trois fois, puis s’en vont vers leur objectif, le village d’Iankowe. La riposte est immédiate. Pour la plupart des Belges c’est le baptême de feu. L’attaque a échoué, le poste de secours du docteur Brassine se remplit de blessés. Le docteur  sera cité à l’Ordre du jour pour son dévouement. Les Belges qui ont appuyé les Russes  avec efficacité reçoivent les félicitations du Général Maymajeroski.  Le 6 juin les canons et mitrailleuses sont réinstallés sur les blindés en prévision d’une poursuite de l’ennemi. Le 9 juin, la 4ème batterie cycliste est mise à la disposition du 22ème Régiment de Cosaque tandis que la 1ère se dirige vers Vorobiefka pour se préparer l’attaque des positions ennemies en la canonnant.


Le R.P. Bonne, Rédemptoriste à Tarnopol et notre Aumônier, l’abbé Lens.

A tour de rôle les véhicules quittent l’ultime abri des postes avancés et foncent vers les nids de mitrailleuse qu’il faut anéantir. Aussitôt repérés par l’artillerie autrichienne, ils doivent manœuvrer habilement pour éviter les bourrasques de mitraille qui les enveloppent et porter néanmoins à l’adversaire des coups efficaces. Mais voici que la voiture du maréchal des logis Bodson atteint le parapet d’une tranchée avancée, à l’instant même où une fusillade partant d’un petit bois laboure son flanc droit .Le chauffeur Dewever et son adjoint charnel sont blessés. Bodson s’écroule, la cuisse traversée par une balle. Magnifique d’énergie, l’équipage réussit son repli sans interrompre son tir un seul instant. Un autre drame se joue plus loin. Un second véhicule gît immobilisé dans un trou d’obus, le pont arrière cassé, et réclame un dépannage immédiat. On appelle une voiture de réserve à la rescousse. Elle accourt, s’arrête à la hauteur de l’invalide. L’aide-chaufeur de Becker se précipite, installe le câble remorqueur et va regagner l’abri de son blindé, lorsqu’il s’effondre la tête fracassée par une balle. Voyant tomber leur ami, de Liedekerke et Demeuse sautent à leur tour sur la route et malgré le tir meurtrier, hissent le cadavre à bord de leur voiture. Pour sortir le véhicule de son piège il faudra attendre la nuit et l’aide d’une auto-canon russe plus puissante.

Le 11 juin, les funérailles de Jacques De Becker ont lieu à Tarnapol. Le major Semet a pris la place de la famille derrière le cercueil. Adieu Jacques !

Juin s’achève dans un calme qui a succédé aux débauches d’efforts des premiers jours du mois. Le major Semet garde le plus étroit contact avec sa troupe qu’il motive sans arrêt. Le 21 juin, il punit un soldat de deux ans de prison pour vol au profil d’une Autrichienne en compagnie de laquelle il oubliait da femme restée au pays. Le 22, c’est un maréchal des logis qui est dégradé et est renvoyé en Belgique.

Le 29 juillet les Autrichiens entament un mouvement de repli et le lieutenant Oudenne en prévision d’une prochaine progression accompagne les patrouilles russes à travers le no man’s land. Le 30, l’ordre est donné à la batterie cycliste de rejoindre le 22ème Cosaque. Le 11 août l’ordre de poursuite est enfin donné. Le lieutenant Oudenne en compagnie d’une estafette motocycliste a pris les devants à travers les boyaux désertés à la recherche d’un passage pour les voitures blindées mais l’énorme parapet barrant le chemin de Tsebrow est un obstacle infranchissable pour les blindés. Toute la journée les hommes construisent un plan incliné tandis que les cyclistes en avant attendaient impatiemment le concours des blindés. Un concours qu’ils auront trop tard car le lieutenant Andrieux a reçu l’ordre à 13h 30 de faire occuper Tsebrow par ses soldats. C’est le troisième peloton commandé par le premier-chef Degreppe que l’on désigne comme avant-garde. Le peloton  rencontre à 14h 15 un feu nourri provenant d’une tranchée ennemie et Degreppe révolver au poing entraîne ses hommes à l’attaque en escomptant la protection d’une haie qui peut en partie couvrir sa progression. Mais hélas à 50 mètres de la tranchée, il s’écroule en même temps que le soldat Doms. Le soldat Keiffer  a rejoint les deux  hommes, il est rejoint par l’infirmier Derdeyne. Doms est mort tandis que  Degreppe  touché à la poitrine  est paralysé (sans doute par une atteinte de la colonne par la balle). Il commande à Keiffer et Derdeyne de s’en aller mais ceux-ci ne veulent pas abandonner leur chef. Quelques instants après avoir donné cet ordre, Derdeyne rend son dernier soupir. Les deux hommes négligeant le danger décident de ramener le corps dans leur ligne. Keiffer parvient à le hisser sur son dos mais après  quelques mètres, épuisé, il  s’étale sans connaissance. Impuissant, Derdeyne rejoint seul les lignes où  il trouve les hommes du premier peloton  qui  vient de perdre  le brigadier Georges et le soldat Detournay  fauchés mortellement  par des éclats d’obus. Ah si les blindés avaient pu  prêter main forte aux cyclistes !    Nuit blanche ensuite puis, le  lendemain, départ pour Ezerna abandonné des Autrichiens et que les Belges doivent occuper. Les Belges traversent la ville et découvrent à son extrémité une tranchée ennemie menaçante qu’il faut éliminer !  Le docteur Brassine décrit dans son livre l’assaut :   

Nos véhicules démarrent d’abord, devançant les vagues d’assaut russes. A portée de l’ennemi, nos canons et nos mitrailleuses crachent le feu, balayant les parapets et contraignant l’Autrichien à se blottir à l’abri de sa tranchée. Pendant ce temps, l’infanterie amie, assurée de l’impunité, progresse rapidement et atteint dans perte le couvert de nos blindés. Le bond terminé, nos véhicules repartent à leur tour jusqu’à proximité des barbelés. Nouveau tir, nouvelle avance russe…Et la manœuvre parfaitement combinée se termine par l’assaut final que le 13ème R.I lance avec une fougue irrésistible. L’ennemi succombe ; sa tranchée tombe entre nos mains. Et s’ébranle à nouveau la retraite autrichienne pendant que nos troupes impatiemment attendent l’aube pour la poursuite.

L’occupation de Zborof

Aux premières lueurs de l’aube, les troupes belges quittent Ezerna pour occuper la ville de Zborof.  Au-delà de la ville ils  traversent le fleuve sur un pont de bateaux et prennent position devant le village de Pressowce tenu par l’ennemi. Toute la nuit du 13 au 14 août, le combat fait rage et les blessés russes affluent à l’ambulance du docteur Brassine :

J’avais cru, écrivit-il,  pouvoir ouvrir mon poste de secours à Zborof même, mais le bombardement, depuis le soir, y sévit avec tant d’intensité que j’ai dû ramener le service hors de la ville. Heureuse inspiration car les blessés affluent pendant cette nuit de bataille, les médecins russes se cantonnant trop loin à l’arrière que pour intervenir avec efficacité. Aussi, la reconnaissance des cosaques et des fantassins russes pour le docteur belgiski est-elle infinie


Notre poste de secours à Sborof, dans les ruines.

Les combats autour de Zborof vont durer quatre jours. Les batteries blindées belges sont mises à contribution pour protéger des relèves d’infanterie et pour réduire des nids d’artillerie tandis que la batterie cycliste ronge son frein en attendant qu’une nouvelle percée ramènera la guerre de mouvement dans laquelle elle peut prendre part.  La quatrième et la première batterie sont envoyées à Kossowa mais, le 31 août, les blindés reprennent l’offensive. Le maréchal des logis Lesoil, les soldats Debaude, Guillot et Godefroid sont blessés. Le 1er septembre,  un avant-poste russe attaqué demande un soutien à la 2ème batterie blindée. Les blindés du capitaine Oudenne se déploient au moment même où les Autrichiens commencent l’assaut .En quelques minutes les autos-canons ont arrêté l’offensive. Les soldats russes embrassent les blindages belges en signe de remerciement. Le corps des A. C. M a sans doute vécu en ce 1er septembre 1916 l’une de ses plus glorieuses journées. Hélas l’action a coûté la vie du soldat Gomez et du maréchal des logis Bodson.

L’ennemi rejeté à vingt km de Zborof, les Belges rejoignent leur casernement d’Ezerna où le 4 septembre, 104 médailles de Saint-Georges sont remises aux  hommes qui se sont distingués. Le général Goutor, fervent admirateur des Belges (il se disait « l’amant des Belges » !) préside la cérémonie et fait les adieux aux Belges qui doivent  quitter le 6ème Corps de la XI armée pour rejoindre la ligne Brjénani-Butchaf où on prépare une offensive.

Le 4 septembre, ils arrivent à Tarnopol pour quatre jours de repos avant de rejoindre Butchach à 80 km au sud d’Ezerna. Le 33ème Corps avec lequel les Belges vont coopérer est une unité sibérienne. Les Belges de la première batterie  attaquent le 16 à Svistelniki. Au cours de l’action la blindée du maréchal des logis Van Esch est prise à revers et une balle frappe le chef de la pièce et le tue. Pendant ce temps la deuxième batterie du côté de Pehoumanié est aux prises avec l’ennemi. Au cours du combat  deux de nos voitures subissent un tir rasant de l’ennemi. L’une d’elles, conduite par Constant le Marin encaisse un obus à l’avant et verse dans le fossé où l’équipage la désarme aussitôt.

La bataille s’achève après trois jours sans qu’aucun avantage ne récompense l’un des adversaires.

Informé de la perte d’une de nos voitures blindées, le Tsar a promis de la remplacer par une voiture russe. Il tint parole et c’est au volant de ce cadeau impérial que Constant le Marin acheva la campagne.

En réserve dans la ville de Tcherkoff

Le corps des A.C.M. est placé maintenant en réserve dans la ville de Tcherkoff. Les officiers logent dans le château de Kossov tandis que les hommes sont hébergés chez les paysans. Le 2 octobre, le soldat Floquet décède à l’hôpital de Kiev. C’est le septième volontaire belge qui repose en terre russe.

C’est le moment d’un éventuel congé pour les hommes. 

Un problème, écrit le docteur Brassine, agite violemment les réunions du soir dans les maisons paysannes de Kossov. Nos hommes se plaignent de n’avoir plus bénéficié du moindre congé depuis un an. Le major Semet se rend bien évidemment à leur vœu : à tour de rôle, officiers et soldats profitent d’un jour de repos qu’ils consacrent à la petite ville voisine de Czortkow.

Le docteur Brassine est parfois sollicité pour aller soigner un paysan du domaine de la comtesse Tytzkiewickz. Il raconte dans ses souvenirs  ce qu’il vit à l’occasion de ces visites :

L’accueil que me font ces pauvres gens échappe à la description. Ils veulent à tout prix s’acquitter du prix de mes prestations et, sur mon refus, me poussent entre les mains les plus touchants dons de la nature. (…)

Chaque village appartient à un châtelain. Pense  à un parc immense au centre duquel se dressent le château et la ferme. Entourant ces deux bâtisses, des maisonnettes en terre, recouvertes de chaume abritent les moujiks, inféodés au maître de l’endroit. Un maître qu’ils craignent plus qu’ils ne l’aiment et qu’ils ne puissent approcher sans lui témoigner les marques du plus profond respect .Ils s’inclinent devant lui, s’emparent de sa main et la baisent ! Jamais je n’ai pu assister à ce spectacle sans en ressentir une gêne profonde. Tant d’asservissement en notre siècle de liberté ! (…)

En été les moustiques règnent par myriades dans le pays tout entier. Aussi le typhus exanthématique y sévit-il à l’état endémique. Je soigne pour l’instant à Kossov quatre pauvres gosses atteints de la terrible maladie. Que deviendront-ils si nous devons quitter la région comme il en est question depuis quelques jours ? Il y a tant à faire  a commencer par l’assainissement des eaux stagnantes et des marais…Mais ce n’est qu’avec l’éducation de tout ce peuple ignare que l’on trouvera le remède à cette angoissante situation. Il faut dire au paysan combien est dangereuse la promiscuité dans laquelle il vit avec ses animaux, sa volaille surtout ! Il faut lui expliquer que le sol de la maisonnette a besoin de temps en temps d’un nettoyage à grandes eaux. Il faut, le convaincre de la nécessité d’enfouir les animaux crevés au lieu d’abandonner à portée de son foyer des carcasses en putréfaction dont corbeaux et chiens errants font leur ordinaire .Il faut surtout l’empêcher de boire n’importe quelle eau dans n’importe quel récipient. Quant aux funérailles ! Sais-tu que l’on transporte encore des cercueils ouverts jusqu’au cimetière et que c’est au moment de la mise en terre seulement, après les ultimes oraisons, que le couvercle de la bière dissimule le mort aux vivants…auparavant tous les membres de la famille, tous les amis se sont précipités sur le cadavre pour l’embrasser une dernière fois au beau milieu d’un concert de lamentations.

Le 21 octobre les Belges quittent Kossov pour rejoindre Ezerna. La comtesse remercie le docteur Brassine par une lettre.

Monsieur le Docteur,

Permettez-moi de vous exprimer au nom des habitants de Bierkowce, ma plus chaude reconnaissance pour les soins parfaitement désintéressés que vous avez eu la bonté de donner dans bien des cas, dont plusieurs très graves, soins donnés avec une telle bonne volonté, un  tel cœur, que nous en garderons longtemps le souvenir très ému. Merci docteur, que le bon Dieu vous le rende, à vous et à votre cher pays qui donne des gens de votre trempe. J’espère que ce n’est pas un adieu mais bien un au revoir que je vous dis et écris votre bien reconnaissante

J. Cielecka née comtesse Tytzkiewicz.   

Hivernage à Ezerna

Les Belges hivernent à Ezerna  dans des conditions très dures. Une synagogue abrite l’infirmerie, les hommes de la deuxième batterie sont dans un pavillon en bois tellement froid qu’ils l’abandonnent pour construire une Zimlanka, chaumière souterraine. C’est une habitation en planches enfouie dans le sol jusqu’au toit, un toit entièrement couvert de terre et ne laissant pénétrer qu’un  timide rai de lumière par un orifice prévu à chaque extrémité. L’expérience n’aboutit qu’à la pire des désillusions et les Belges retournèrent finalement dans leur maison de torchis. En plus des mauvaises conditions de logement, les vivres sont rares et la flambée est limitée à sept bûches par feu et par jour !  Le 5 novembre le Lieutenant Général Baron de Rijkel vient encourager les Belges. Mais à par cette visite, l’hiver se déroule morne et triste.


Notre Lazaret dans la synagogue, à Ezerna.

L’exercice du matin achevé dans la bise glaciale, le soldat regagne son cantonnement humide et mal chauffé. Il s’y terre pour la journée entière sentant peser sur ses épaules l’éloignement, l’ostracisme m^me dont l’accable le monde. Dehors, sans cesse prévalent la plie, la bise, la neige, la boue .Sous les toits de chaume, c’est l’éternel concert des rouspétances : le soldat se plaint à l’officier ; l’officier invoque l’appui du médecin, le médecin alerte le Chef de Corps, le chef de Corps attend les ordres.

Pour remonter le moral de ses malades le docteur Brassine organise une fête à l’infirmerie.

J’ai conservé le programme de cette première séance, dessiné par le talentueux Ray Bernar. Il annonçait notamment

-« Le comte de Luxembourg » à la Mendoline par A. Troosters

-« La méditation de Thaïs » au violon par I. Pols

-« Le dernier carré de Waterloo » déclamation par Custor

-« Cavaleria Rusticana »  chanté par Leyx

La fête obtient tant de succès que le major Semet décide de continuer l’initiative pour tout le Corps. Une fanfare est créée et la colonie belge de Moscou dans un geste généreux décide de couvrir les frais  d’achat des instruments. Bientôt Noël est fêté à la cantine avec une revue d’ombres de Raymond Bernard et d’Oscar Thiry présentée sous le titre d’ « auto-canonnade ».

Beaucoup de Belges avaient des talents artistiques et un de ceux-ci fut le sous-officier cycliste Julien Lahaut qui  devint après la guerre leader du parti communiste et député au parlement belge avant d’être assassiné. Julien soulevait la salle quand il chantait « Marie Clape-sabots » et peut-être d’autres refrains comme celui-ci qui fut retranscrit  par Marcel Thiry dans ses souvenirs :

Rousski, rousska,

C’est au pays d’la vodka

Que va le major collon

Avec ses auto-canons.

Sur mla vistule et peut’êt’jusqu’aux Carpathes

Les autos-canons se carapatent.

Amis, c’est pour nous une occasion vraiment unique

De voir de tout près la steppe et les moujiks,

Les cloch’s d milliers d’kilos et le Kremlin,

Puisque nous n’pouvons pas voir Belin…

Officiers, soldats, brigadiers et sous-offs,

Allons à lamer d’Azov

Voir un peu ce qu’on nous off

Grand cadeau, le Major Semet accorde  un congé de plusieurs jours aux hommes. Le docteur Brassine parviendra à s’échapper 22 jours à travers l’empire des Tsars. Parti le 9 décembre, il rentra le 30 après avoir vécu à Kiev, à Odessa et au château de Kossov. C’est peu après son retour que débarqua à Ezerna un nouveau contingent de volontaires venant de Belgique. Ils sont 80 commandés par le capitaine Bridoux et le lieutenant Dufosset. Parmi eux Constant Stiers qui raconte dans ses souvenirs comment  il occupait son temps  à Ezerna :

Les soirées se passaient en réceptions de cagna en cagna ; un groupe invitait un autre groupe à venir prendre une tasse de thé ; de la journée nous nous entraînions à la lute avec notre cher Constant le Marin comme moniteur, à la boxe avec Anegraeve, champion anversois, à l’escrime, etc. ; nous avions des as de tous les sports .a la bonne saison, le football était en vogue et nous avions alors comme moniteurs, certains internationaux comme Fichlin etc.

Lorsque le temps était maussade nous faisions de l’art culinaire : omelettes soufflées, omelettes à la confiture ; parce qu’il faut avouer que, si notre nourriture était très appétissante et suffisante, elle ne contenait cependant pas le nombre de vitamines nécessaires à la conduite peu rangée de la plupart des hommes de l’A.C.M.

Dans ses souvenirs écrits Stiers raconte  aussi avec humour comment 150 Belges furent envoyés  sur le front pour occuper pendant quatre jours l’emplacement d’un bataillon russe.

De nombreux soldats des positions proches vinrent nous visite par curiosité ; il fallait voir ces malheureux ouvrir des yeux comme des lanternes à constater notre genre de vie :

1.      notre équipement impeccable de propreté et de qualité

2.      notre nourriture pain blanc, viande deux fois par jour

3.      la quantité de friandises dont nous étions munis et produits de fumage de bonne qualité

Tout cela fut sujet à questions multiples dont la principale était : Qu’est-ce que vous êtes ? Officiers ou soldats ? Parce que naturellement nous vivions sur le même pied que nos gradés sous tous les rapports et surtout relations de langage très amical. Ces gens là ne pouvaient se faire à l’idée qu’il puisse y avoir une aussi grande différence de régime entre soldats belges et soldats russes ; la différence, il faut le reconnaître, était comme du jour à la nuit. Les soldats russes étaient traités, surtout par les gradés subalternes comme de vraies bêtes de somme, mal nourris, presque pas armés, maltraités et battus. J’ai vu à Kiev des soldats russes à qui l’on faisait marquer le pas comme à la parade pendant une demi-heure ; le praporchik (adjudant) se promenant devant les hommes, distribuait des coups de cravache en pleine face à ceux qui présentaient des signes  de fatigue. Il est aisé de se rendre compte de l’effet désastreux sur ces hommes traités en esclaves, alors qu’ils voyaient que nous, soldats comme eux, avions un régime de liberté des plus enviables. En plus de cela, pour ce qui concerne  les quelques jours passés aux tranchées, vu la situation des positions, nous considérions cela comme une partie sportive et étions décidés à fouiller les parapets ennemis à coups de fusil, pour forcer l’adversaire à sortir de sa léthargie. Nous devions avoir affaire à des Autrichiens au tempérament super-calme, parce que nous avions beau les canarder, nos plis recommandés restaient sans réponse. Mais ce qu’il y eut de rigolo, c’est que le second jour, fort vers la droite, nous vîmes un autrichien s’avancer vers les positions russes en brandissant un drapeau blanc. Nous nous renseignons sur le motif de cette visite anormale et nous apprîmes avec surprise que cet Autrichien était venu demander aux russes quel genre de troupe nous étions, le changement du bruit des coups de feu et puis notre manière agressive pour désirer le contact. Les Russes fournirent à cet envoyé extraordinaire tous les renseignements demandés. Celui-là peut bien toucher du bois, parce qu’il eut une fière chance que nous ne savions pas ce qu’il venait chercher dans les lignes russes. Ce fut une leçon pour les russes, car l’autorité militaire autrichienne amena, en face de nous, une troupe d’élite, de l’artillerie supplémentaire, enfin, tout un matériel digne pour faire face au mordant belge. Et lorsque tout fut prêt, les autrichiens firent un arrosage ne règle de nos positions, mais …ce furent les Russes qui encaissèrent à notre place parce que nous étions déjà revenus à Ezerna, lorsque l’ennemi se décida à nous faire subir ce petit dressage.  

Les derniers combats des Belges à Koniouki

Le printemps arriva et avec lui une nouvelle offensive. Les Belges quittent Ezerna laissant derrière eux quantité de mécontents si bien décrits par Stiers

Il nous fallu donner congé à nos domestiques en herbe en donnant un bon salaire d’adieu, en reconnaissance des bons et loyaux services rendus ; cette domesticité était composée de malchikis, gamins de la localité, à raison de un ou deux par cagna A. C. M.  C’était pour les parents un honneur et surtout une source de profits, que de servir les hommes A.C.M.. Ces gosses allaient chercher notre bouffe, nos petites commissions, ciraient nos bottes etc. et comme tous les hommes du corps A.C.M. avaient bon cœur, tous les enfants des contrées russes et autres où nous sommes passés se souviendront certainement encore longtemps que c’est aux soldats belges qu’ils doivent d’avoir au moins pendant une trop courte période de leur vie, le ventre bien garni. A Ezerna notre départ fut un désastre pour tous els enfants et nous dûmes les chasser de force pour les empêcher de nous suivre. .

Les multiples déplacements des Belges amenèrent ceux-ci au mois de juin  à Koniouki où le Corps A.C.M. combat à nouveau. L’auto-canon de Gossens  est détruit par un obus qui éclate en dessous d’elle en faisant deux tués, Leuchter et Roselt. L’adjudant Courcelles, debout en plein champ et agitant sa cravache, est atteint d’une balle qui lui traverse la figure d’une joue à l’autre. Il essayait de faire avancer l’infanterie russe derrière les voitures blindées ! Toujours à Koniouki, Constant le Marin va connaître de grandes émotions ! Avec sa voiture blindée russe  qu’il avait reçue du tsar en remplacement de celle qu’il avait perdue à Sviselbiki, il attaque un poste de mitrailleuse. Le véhicule se fait immobilisé par le réseau de fils barbelés. Des fusils antitanks en profitent pour faire leur œuvre et bientôt le blindage est percé. Le chauffeur Godefroid s’affaise mortellement blessé, le servant Guillot est blessé. Vallée aussi et Constant est frappé de trois balles .Les trois hommes parviennent cependant à sortir de la voiture et à se jeter dans un trou d’obus  puis à se traîner vers l’arrière. La voiture perdue est devenue la tombe de Godefroid. Par après, les Belges assistent à la lente et démoralisante retraite russe  conséquence de  la révolution et de l’échec du gouvernement de Kerenski à rétablir un minimum de discipline au front.

Les Belges à Kiev montent une distillerie clandestine pour survivre

 Les A. C. M.  rejoignent finalement  Kiev  et assistent à la montée en puissance de la guerre civile. La ville est le théâtre d’affrontements sanglants entre bolchéviques et  bataillons ukrainiens qui veulent sortir de l’orbite soviétique. 350 hommes se retrouvent sans vivres coincés dans la révolution russe. Le front russe s’écroule, les Belges veulent quitter le bourbier mais retourner en Belgique demande toute une organisation et des provisions. Afin de s’en procurer, les Belges montent une distillerie clandestine et convertissent la « vodka belge » très appréciée en d’autres vivres.   Incroyable tour de force, les officiers quant à eux, parviennent à obtenir un train pour tout le Corps A.C.M. Il fallait obtenir l’autorisation des Soviets. Ils furent aidés dans cette tâche par l’interprète soldat Polski, engagé volontaire de 1914 et  ingénieur civil issu de l’université de Liège. Par le plus grand des hasards, Polski avait eut comme condisciple et ami pendant ses études universitaires le frère de  Krilenko qui commandait  l’armée rouge ! Cet heureux hasard facilita les négociations ! Les voitures blindées et l’armement lourd sont  remis aux bolchéviques mais les Belges ont pris soin de les rendre inutilisables. On explique qu’on a dû faire sauter tout ce matériel pour qu’il ne tombe pas aux mains des contre-révolutionnaires. Frauduleusement, dans le train, ont été cachées en pièces détachées deux mitrailleuses lourdes et quelques fusils-mitrailleurs Lewis. Le convoi part  de Kiev  le 20 février 18 pour Moscou puis pour la Sibérie. Le convoi arrive  le 10 mars à Omsk après de multiples contrôles du train par les Soviets à qui il faut donner le change comme le raconte Constant Stiers dans ses souvenirs

Et puis nous bourrons copieusement la crâne de tous ces ignorants ; nous leur disons, par exemple, que nos chevrons de front sont des chevrons de blessure ; alors, dans leur esprit assez étroit, ils nous voyaient tous avec trois ou quatre chevrons, donc, nous étions, à leurs yeux, tous des hommes ayant été plusieurs fois blessés, la déduction était simple : il n’y a vraiment pas moyen de tuer ces Belges, ils ont la vie trop dure !

Omsk est quitté le 12 mars. Les monts Ourals sont traversés. Le voyage est monotone seulement coupée par quelques arrêts.

 Lorsque la boustifaille est prête, les cuisiniers font arrêter le train et, le long de la rame nous faisons la file, gamelle en main, et lorsque tout le monde est servi, l’on se remet en route.

Finalement le train arrive à Daourian la dernière ville de Sibérie avant la frontière chinoise.  Il faut négocier avec le soviet mais aussi avec les  Chinois  et avec l’armée blanche du général Sémianoff qui, en Chine à la frontière, a rassemblé une troupe d’officiers et de  soldats russes qui ont fui la révolution. Ces négociations se font avec une locomotive qui arbore un drapeau blanc et qui emporte le capitaine Oudenne, le lieutenant Isaak et l’interprète Birenweik de chaque côté de la frontière. Finalement un accord est trouvé  et le 26 mars le train chinois arrive .Le transbordement de tout le fourbi est effectué et le 27 le train pénètre en Chine. Halte à Kharbine  puis finalement arrivée à Valdivostok en pénétrant à nouveau dans le territoire russe. 9840 km ont été effectués depuis Kiev.  Après quatre jours d’attente, les Belges s’embarquent le 25 avril sur le navire américain « Sheridan ». Ils doivent hélas abandonner leur mascotte, le chien « mitraille » à l’armée blanche. Les Belges ont acheté à Kharbine des instruments de musique pour constituer une fanfare .Tous les jours sur le bateau il y a répétition des musicien amateurs aidés par les deux trompettes de cavalerie et une grosse caisse. Le 12 mai arrivée au port de San-Francisco. L’accueil des Américains est incroyable. Constant  Stiers  a une phrase qui dit tout de ce débarquement belge :

C’est la première fois que l’on voit des soldats belges, et certainement la dernière !   

L’accueil est aussi inattendu qu’exceptionnel !

Après cinq cents mètres de défilé écrit Constant Stiers, nous étions couverts de gerbes de fleurs, des gerbes de roses nous étaient lancées des fenêtres. (…)

A nouveau Constant Stiers trouve la phrase adéquate pour  décrire en quelques mots la situation exceptionnelle des soldats Belges en Amérique :

C’était vraiment du délire, en d’autres termes je dirais : c’est plus ça d’l’amour, c’est d’la rage !

Les Belges sont invités à faire un match de football contre l’équipe de la marine du Pacifique et  la victoire des Belges  augmente encore d’un cran l’enthousiasme des foules. Une centaine d’autos étaient présentes pour emmener les soldats visiter la ville. Pour Constant Stiers, ce fut la voiture du directeur des grands magasins de confection « City of Paris » qui vint le chercher avec comme guide Mademoiselle Flore Thibaut,  une vraie Parisienne, contre-maîtresse de l’atelier de couture !

De toute l’histoire de l’armée belge, c’est sans aucun doute, le Corps des A. C. M. qui a le plus défilé ! L’organisation de ces parades donna quelques soucis aux officiers américains qui trouvèrent l’astuce pour munir les Belges d’une fanfare digne de ce nom ! Les Belges étaient revenus avec une importante réserve d’uniformes. On aurait pu vêtir le Cops pendant trente ans encore ! Un « Band  »  américain fut déguisé en soldats belges et défila en tête des défilés. C’étaient 40 splendides gaillards caractérisés  par une taille moyenne d’1m 80 alors que les troupiers  belges qui suivaient le « band » ne mesuraient  en moyenne qu’ 1M69.  Cette discordance, heureusement, ne suscita pas trop de questions !

Sept jours à San Francisco puis Sacramento avec un défilé sur un tapis de fleurs de10 cm d’épaisseur ! Salt Lake City, Cheyenne, Omaha,  Des Moines accueillent les Belges avec tout autant  de vivats. Le voyage continue via Chicago, Détroit et Niagara avec la visite des célèbres chutes ! Les Belges défileront encore à New-York et se partageront les centaines d’invitations  des particuliers ou des instances officielles avant de s’embarquer sur « La Lorraine », à destination de Bordeaux. Le voyage s’effectue en neuf jours et enfin les hommes débarquent  puis rejoignent Paris. Là on accorde aux hommes deux mois de permission avec solde. Au terme du congé ils devront rejoindre le camp d’Eu pour y recevoir leur nouvelle affectation ! Beaucoup des hommes participèrent encore à l’offensive finale de septembre 18 avant de pouvoir  retrouver leur foyer !

Dr Patrick Loodts.

 

 Sources

    1) Ma campagne de Russie, V. Brassine, Pim-services, Namur 1958

    2) Le tour du monde en guerre des autos-camions, Marcel Thiry, Le grand Miroir, 2003

    3) 80.000 km d’un soldat Belge pendant la guerre, Constant Stiers, Editions Dandoy Châtelet, 1934



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