Médecins de la Grande Guerre
Accueil - Intro - Conférences - Articles
Photos - M'écrire - Livre d'Or - Liens - Mises à jour - Statistiques
Au cours de deux
grandes guerres PRESENCE DE LA REINE dont l’activité
créatrice vainc tous les obstacles[1] Les personnalités bruxelloises, auteurs des trois articles suivants,
n’ont pas voulu, par un sentiment de délicatesse que nos lecteurs apprécieront,
signer leurs articles. Elles se refusent à les individualiser, estimant
qu’elles ne sont que le porte-parole d’une époque et d’un moment. I. – 1914-1918 la Reine
se penche sur toutes les souffrances La Reine et le docteur
Depage Aux assauts de l'ennemi, les Belges et une poignée de Français opposent, sur l'Yser, une résistance qui faiblit chaque jour, mais qui remplira le monde d'étonnement et d'admiration. De violents combats sont engagés dans la plaine des Flandres, les hommes remplissent en hâte des sacs qu'ils entassent et derrière lesquels ils rampent. C'est là plus atroce des guerres, la plus déshonorante pour l'humanité qui n'a pu ni l'éviter ni la prévoir. On évacue les blessés couverts de boue, pratiquement sans pansement, on les achemine vers les arrières d'où on les embarque comme on peut vers les gares où règne le plus grand désarroi. On manque de tout, le matériel médico-chirurgical le plus élémentaire est inexistant. Les épidémies font leur apparition ; à Calais des milliers de typhiques sont étendus tout habillés sur la paille. L'Etat-Major de la santé militaire est là bras ballants, sans moyens, sans argent, sans matériel, sans espoir, ligoté par la routine et les règlements désuets. Le professeur Depage rôde parmi le désordre, la misère, le désespoir, la mort, la saleté. Une sourde révolte gronde en lui ; il bande ses forces, il va forcer le destin ; il ne porte aucun uniforme, mais il est président de la Croix Rouge; ses collaborateurs, ceux qui ont fait la guerre des Balkans avec lui, trépignent ; il faut en sortir, il faut trouver un moyen, peu importe lequel, légal ou révolutionnaire, mais il faut enrayer l'épidémie, il faut panser les plaies, il faut laver les blessés, il faut improviser des ambulances, des hôpitaux, il faut sortir ces malheureux de l'enfer où on les a jetés. La reine Elisabeth se penche sur les blessés. Le Dr Depage se redresse et fonce, il se prépare à briser tous les obstacles, à renverser les routines, à pulvériser les règlements qui lui barrent la route. Il se procure, Dieu sait comment, couchettes, lits, draps, pansements, médicaments, appareils et instruments médico-chirurgicaux, mobiliers, baignoires et locaux. La Reine et lui ont choisi l'Institution Jeanne d'Arc, pensionnat d'où les sœurs et les jeunes filles ont fui devant la menace d'invasion. En un tournemain, l'Institut Jeanne d'Arc, nettoyé, repeint, se transforme en hôpital chirurgical. Cela tient du miracle, le Dr Depage et le Dr Neuman opèrent et les blessés et les malades sont dans des draps blancs. Cependant rien n'aurait pu se faire si la Reine n'avait couvert courageusement, révolutionnairement ces acquisitions. Le patron gronde de nouveau, car on le contre-attaque : on lui oppose non seulement les règlements, mais sa façon de se procurer le matériel malgré le manque d'argent ; on lui reproche de n'être qu'un civil ; en un mot on tente de l'empêcher de monter à la place prépondérante qu'il veut occuper ; de nouveau on lui barre la route. Encore une fois la Reine apparaît, active, légère, infatigable ; Elle est partout à la fois ; si on lit sur son visage la souffrance du monde on y lit également l'espoir qui brille dans son regard ; son apparition fait disparaître toutes les difficultés. M. le professeur Antoine Depage devient le colonel Depage et les vieux chevronnés du Service de Santé qui naguère brandissaient encore des règlements désuets, s'inclinent devant tant de force et tant de douceur, tant de courage déployé par cette Reine qui, d'un geste plein de tendresse et d'espoir, écarte l'opposition absurde et impose le silence aux timorés. La gare de triage de Calais où règne le plus grand désarroi, est encombrée de blessés arrivant du front, et de soldats allant vers les combats ; un homme énergique connu de tous pour son sang-froid, sa haute mentalité, son courage au combat, sa force morale alliée à un don d'organisation de premier ordre commande. C'est le major Bremer ; il est là et essaie de mettre de l'ordre, mais son cœur saigne de voir ces blessés sans soins, ces mourants sans secours, ces hommes couverts d'uniformes en loques encroûtés de boue, rongés par la vermine ; il organise un poste de secours, s'empare contrairement à tous les règlements de baignoires et décide que la chaudière d'une vieille locomotive distribuera de l'eau chaude. Les blessés sont lavés et rendus à la vie. Mais le major des carabiniers est sorti de ses attributions ; « quel crime ! le Service de Santé ne le lui pardonnera pas ». Le major Bremer traîne la jambe car il a été blessé devant Anvers ; on menace de l'envoyer en congé pour invalidité. Encore une fois la Reine apparaît et avec le courage des grandes âmes Elle se dresse entré le major Bremer et les règlements, et félicite, devant le Service de Santé réuni, le major d'infanterie d'avoir montré tant d'initiative charitable. Encore une fois la victoire est du bon côté, elle a été gagnée sans secousse, sans éclat ; quelques mots murmurés, un sourire, sur Son visage illuminé par l'espoir, on lit la volonté de fer, la certitude d'être dans le vrai. Bientôt les armées ennemies se terrent en Flandre, les combats deviennent moins âpres : on espère tenir sur l'Yser. « L'Océan » l'hôpital aux fleurs La reine Elisabeth et le professeur Depage méditent d'organiser un hôpital moderne et muni d'un équipement irréprochable, possédant son service propre d'ambulances automobiles assurant ainsi les évacuations et les transports. Le Dr Depage connaît tous les défauts des hôpitaux situés loin du front, il les a vus là-bas au cours des guerres balkaniques ; il sait que beaucoup de blessés y arrivent mourants, inopérables, tant ils ont subi de longs transports, cahotés sur les routes défoncées ; les statistiques montrent l'énorme mortalité de ces pauvres gens. Pour les plaies abdominales et pulmonaires, pour les grands hémorragiques, il faut un hôpital situé le plus près possible de la zone d'opérations militaires ; il faut réduire au minimum le temps qui sépare le moment de la blessure de celui de l'arrivée sur la table d'opération. Mais là encore, les règlements sont formels ; jamais le Service de Santé n'autorisera l'installation d'un hôpital à moins de dix kilomètres des lignes de feu. Le professeur Depage engage le fer, son titre de président de la Croix Rouge ne suffit pas ; il jette dans la balance son autorité incontestée, son prestige qui va grandissant, son expérience que personne n'ose mettre en doute : il exige, sa volonté sera inébranlable, il veut un hôpital équipé d'une façon impeccable, ayant ses auto-ambulances. Il s'installe à La Panne, dans un hôtel ; bientôt surgira le plus moderne des hôpitaux de tous les fronts ; les soldats de l'Yser qui ont rempli le monde d'admiration et de respect ont droit aux meilleurs soins. C'est la reine Elisabeth qui a déjà choisi l'emplacement, et sans attendre la réponse des autorités, on adapte l'Hôtel de l'Océan à son nouvel emploi. L'ambulance de la Reine est née, l'hôpital de la Croix Rouge, 1'« Océan », est créé ; les aides de toutes sortes affluent, argent, personnel, matériel, etc. ; des infirmières belges, anglaises, scandinaves, américaines, demandent à venir servir sous les ordres du professeur Depage à l'Ambulance de la Reine. On construit, on organise, on fait appel aux professeurs des universités qui ont suivi les armées : le docteur Neuman qui est là depuis le début et dirigea l'hôpital Jeanne d'Arc aux heures tragiques ; les professeurs Delrez et Weeckers de Liège, De Baisieux de Louvain, Dustin, Govaerts et Delporte de Bruxelles, et se mêlant à eux, le docteur Levaditi de l'Institut Pasteur de Paris. Les baraquements sortent de terre et entourent bientôt l'Hôtel de l'Océan transformé en Centre Chirurgical le mieux équipé de toutes les armées alliées. Le monde entier applaudit : chirurgiens, savants, arrivent des pays les plus éloignés sollicitant l'honneur de le visiter, de voir le miracle, d'approcher cette Reine qui, à côté du roi Albert, reste accrochée à ce lambeau de Patrie, créant l'impossible. « Docteur, fais un papier pour qu'on m'envoie à
l'hôpital de la Reine » Chaque soldat dans les
tranchées connaît le rôle de la Reine et sait l'effort de Depage et de son
équipe. Les médecins de bataillons, sur les champs de bataille, se penchant sur
les blessés, scrutant les visages où se lit l'angoisse, ont entendu avec un choc
au cœur, une phrase qui, à notre avis, est un suprême hommage : « Docteur, fais
un papier pour qu'on m'envoie à l'hôpital de la Reine. » Bien sûr, ils savent que partout
ailleurs ils seront bien soignés, correctement opérés, mais ils n'ignorent pas
qu'à l'Hôpital de l'Océan, ils trouveront en plus des soins, une atmosphère
d'amour et de bonté ; ils savent que la Reine, l'infatigable infirmière, se
glisse entre les lits et que d'une main douce, Elle fera un jour peut-être leur
pansement et que cette même main, d'un geste délicieux, déposera à côté d'eux,
sur la table de nuit, dans un verre d'eau, une rose ; l'homme qui vient de
sortir de l'enfer de cette guerre, reprend dès lors l'espoir et recouvre sa
personnalité en contemplant cette fleur qui brille dans la demi-obscurité de la
salle d'hôpital. La Reine à l'Hôpital de l'Océan est
toujours présente ; Elle s'astreint chaque jour à ce devoir, donnant à tous
l'exemple étonnant, comme le dit si bien Henri Depage, « de sa ponctualité et
de son humilité ». En 1918 les combats les plus violents
ont repris. Cette recrudescence d'activité fait craindre aux états-majors une
offensive ennemie de grand style, grâce à la libération de leurs troupes du
front russe. Des règlements exigent qu'en prévision de
cette offensive on diminue à deux cents le nombre des lits des hôpitaux
militaires situés près du front et par conséquent menacés à brève échéance
d'une destruction. Le chef de l'Ambulance de l'Océan reçoit cet ordre mais il
est absolument convaincu que cet ordre est absurde ; il trichera, cachera les
lits et fera semblant de diminuer la capacité de son hôpital en supprimant les
baraquements des services qui n'avaient plus de raison d'être ; il sait que
l'Océan est un hôpital de Croix Rouge militarisé jouissant d'une sorte
d'indépendance, ce qui permet d'échapper jusqu'à un certain point à la surveillance
du Service de Santé. C'est la contre-offensive des Alliés qui
se déclenche. Aux premières heures du 4 septembre les blessés arrivent en foule
et quelques heures après les trois mille lits de l'Ambulance de la Reine sont occupés
; et même les couloirs de l'Hôpital de l'Océan et de l'Hôpital de Vinckhem regorgent de blessés ; les salles d'opération
fonctionnent jour et nuit ; malgré l'horreur de la situation et pendant une seconde
seulement, la reine Elisabeth et le professeur Depage se jettent un regard
complice ; ils ont eu raison envers et contre tous ; les moteurs des auto-ambulances
ronflent (ces auto-ambulances que S. M. la Reine et le Dr. Depage ont voulu et
réussi à garder malgré les vetos répétés) et déchargent leur sanglante
cargaison ; le travail continue. La reine Elisabeth part immédiatement sur les routes
défoncées, sa voiture est fortement cahotée sur les ponts de fortune faits en
rondins ; rien ne L'arrête, Elle va porter le réconfort de sa présence aux «
postes chirurgicaux avancés » ; on est si près de la ligne de combat et des
batteries que les chirurgiens parfois sont forcés d'interrompre leurs
interventions tant la terre tremble par l'effet des déflagrations et des
départs d'artillerie. L'œuvre de la Croix Rouge au cours de la
guerre 1914-18 a été magnifiée récemment à l'occasion du 40ème
anniversaire de la création, de l'Ambulance de l'Océan. M. Henri Depage s'adressant
à S. M. la Reine dit magnifiquement : « On dit de mon père que grâce à lui nos
soldats ont été assurés des meilleurs soins et que, le sachant, ils ont été
plus vaillants. » Que Sa Majesté me permette de dire, au
nom de mon père et aussi au nom de tous ceux qui sont ici, que cette louange la
Reine l'a méritée plus que tout autre. » Dans ce pays où tout le monde Vous
aime, Vous êtes, comme le soulignait récemment M. Achille Van Acker, pour tous
et surtout pour les humbles, pour les affligés du sort : la « bonne reine
Elisabeth ». » Cet amour, cette dévotion unanime vous
viennent en grande partie de ce que dans chaque famille on sait qu'un fils, un
père ou un frère, ont été rendus aux leurs, grâce aux soins reçus à votre
intervention. » Les
femmes et les enfants Pendant quatre ans l'activité de .la
reine Elisabeth ne s'est pas limitée aux hôpitaux chirurgicaux du front. Il y
avait des milliers de malades, la Reine fera appel au professeur Nolf ; son influence fera admettre l'idée d'un grand
hôpital de médecine à proximité du front ; l'organisation et la direction
seront confiées au professeur Nolf. On verra à
Cabourg surgir de terre un hôpital modèle avec ses laboratoires les plus modernes
et son personnel d'élite. Sans surveillance, sans soins, sans enseignement
; des enfants s'entassaient dans les fermes à proximité de la ligne de feu,
parmi les troupes qui y cantonnaient, au milieu des batteries, dans une hygiène
des plus précaire. La reine Elisabeth en est avisée ; et bientôt s'élève dans
la plaine des Flandres, à quelques kilomètres du front, des baraquements qui
serviront de dortoirs, d'école, de salle de jeux, de locaux de Croix-Rouge ; les
enfants y trouvent des lits blancs, la plus stricte des hygiènes, les soins les
plus avisés, un peu de tendresse et un enseignement répondant à toutes les
exigences. Il 'y eut aussi cette œuvre splendide où
Elle mit tout son cœur : la maternité de Roosbrugge
où d'innombrables femmes purent accoucher dans des conditions de confort parfait,
d'hygiène et d'asepsie. Le professeur Schockaert leur
prodigua les soins les plus éclairés et les plus attentifs. Tandis que chacun se demandait comment
Elle pouvait faire face à tant de tâches sans être terrassée par la fatigue, on
ignorait encore qu'Elle méditait de créer l'œuvre la plus étonnante de la
guerre. II.
– Sous l’impulsion de la Reine, les Arts renaissent près de la ligne de feu La Reine savait que les hommes s'ennuyaient
dans les cantonnements et que pendant les repos l'ennui rongeait les âmes les
mieux trempées : Il fallait les distraire, les prendre par la main, occuper
dignement leurs loisirs, leur donner des spectacles qui élèvent l'esprit :
Quelques livres étaient trimballés d'un cantonnement à l'autre sur les cuisines
roulantes et les affûts de canons. C'était bien pauvre. Quelques soldats musiciens encouragés souvent
par leurs officiers ; heureux d'apporter quelques distractions à leurs hommes,
se groupèrent ; ils se réunissaient dans des locaux de fortune à Furnes ou à La
Panne, dans des arrière-boutiques dont les survivants se souviennent encore
avec un sourire plein de nostalgie, et là, sur d'incroyables pianos qui
résistaient à toutes les tentatives d'accordages, ils s'escrimaient ; un
violon, un violoncelle, venant de Dieu sait où, apparurent, et ainsi naquit
contre toute vraisemblance un quatuor ; on joue du classique bien sûr, mais
surtout une musique presque inconnue jusqu'à cette époque : la musique française
récente ; on voit les visages s'éclairer en écoutant cet art si sensible, si
raffiné. Comment la Reine l'apprend-elle ? Elle veut connaître ces artistes,
elle veut les retirer de cette existence misérable qu'ils mènent chaque jour;
il y a autre chose que les combats, la haine, le sang, les cendres, les ruines,
les corvées, la mort ; ces quelques artistes montrèrent que la flamme n'était
pas éteinte ; ils jouaient devant leurs compagnons, leurs amis ; seuls ceux qui
ont vécu ces heures se rendent compte du réconfort apporté par la musique ; la
souffrance des hommes dans l'armée au cours de cette garde tragique sur l'Yser
n'est pas faite de l'inconfort, des corvées, de la discipline, des intempéries,
des combats rares et brefs, du reste, la vraie souffrance est la promiscuité ;
impossibilité de l'évasion, impossibilité de s'isoler et de méditer ; le grand
mime Charlot l'a symbolisée dans le geste du soldat dans les tranchées lisant ardemment
par dessus l'épaule d'un camarade, une lettre que l'autre lit un peu
distraitement ; de même Léon Werth décrit un humble
soldat à peu près illettré étendu sur sa couchette dans un abri en Champagne lisant
sans arrêt, l'Ethique de Spinoza qu'il venait d'emprunter à Clavel soldat,
licencié en philosophie ; c'était sa façon de s'isoler ; les soldats essayaient
de s'enfermer dans des automatismes ; on en voyait qui limaient à longueur de
journée et souvent pendant les marches, des bagues et des objets avec
l'aluminium des têtes d'obus ou le bronze presque blanc des cloches tombées des
beffrois mutilés. S'isoler, fuir les réalités obsédantes, voilà la
signification de ces gestes et de ces attitudes. La musique rendit la paix des cœurs, le
calme intérieur, l'évasion dans le monde des rêves et de la fantaisie. La Reine convoque ces artistes, et un
quatuor est créé, il portera bientôt le nom de « Quatuor à cordes de l'armée de
campagne » ; il est composé de : premier violon Henry Gadeyne,
actuellement professeur au Conservatoire Royal de Gand, deuxième violon
Félicien Meurice, actuellement à Paris, alto Germain Prévost
qui sera de la fondation du quatuor « Pro Arte », actuellement aux Etats-Unis,
le violoncelle, Jules Nizet, décédé à Paris. Donnons ici, pour en souligner la qualité,
un programme parmi bien d'autres ; à la Panne, dans la Salle Marie-José, 1er
mars 1918 : quatuor 79 de Haydn, Sonate pour violoncelle de Haydn, Quatuor en
ré majeur de César Franck. Plus
tard, après la guerre, fut constitué un quatuor à cordes au Régiment des Guides
dont Germain Prévost était toujours l'altiste, où le même esprit régna et qui
deviendra bientôt le célèbre quatuor « Pro Arte » qui fera jusqu'aux confins des
peuples civilisés, entendre la musique classique et moderne ; ces Belges
continueront la tradition née au cours de la guerre 1914-1918. Grâce à la
Reine Elisabeth, La Panne devint ainsi un centre de culture et d'art qui, à
partir de 1915, n'a fait qu'accroître son prestige. Plusieurs années plus tard,
Germain Prévost, l'altiste du quatuor se trouvait au Texas, dans une petite
ville ; au moment où le concert allait commencer, il vit s'avancer vers lui un homme
d'une soixantaine d'années, tenant à la main un papier : « Monsieur Germain
Prévost, voici un programme que j'ai conservé religieusement d'un concert à La
Panne auquel vous participiez déjà » ; cet homme très ému avilit les yeux
pleins de larmes à l'évocation de cet événement ; Germain Prévost l'embrassa devant
toute l'assemblée à laquelle il dut expliquer le hasard de cette rencontre et
l'émotion qu'elle avait suscitée. La Reine était de tous les concerts, elle
invitait, pour y participer, de jeunes artistes français, c'est ainsi qu'on
entendit Figon, le charmant virtuose, cantonné à
quelques kilomètres, tué hélas à la fin des hostilités en Champagne, Hekking, le grand violoncelliste. Mais Elle méditait sa grande
idée ; Elle charge Corneil de Thoran
de prospecter les régiments, les musiques militaires, afin d'y découvrir les
musiciens exécutants ; elle voulait organiser en s'aidant des conseils du
sergent du génie de Thoran, 1er chef
d'orchestre de la Monnaie, l'Orchestre symphonique de l'armée en
campagne. Cet orchestre fut réuni tambour battant ; dans le cœur de tous il
n'a jamais porté que le titre d' « Orchestre symphonique de la Reine ». Certes Corneil de Thoran avait dépisté
les artistes, rassemblé les instruments et les partitions, mais la tâche de la
Reine avait été des plus délicates : il s'agissait de retirer des unités de
campagne les musiciens épars dans la troupe et qui maniaient depuis plus d'un an
la pelle, la pioche et servaient dans les batteries. Tous ceux qui ont vécu la
guerre 1914-1918 savent combien il est difficile de faire sortir des hommes des
cadres et de la troupe et de les verser dans des formations spéciales.
L'administration militaire opposait une résistance farouche à ce genre
d'initiative. Son autorité royale faisait une aimable mais énergique pression
sur les services administratifs. Elle obtint tout ce qu'Elle désirait. Rien ne fut plus émouvant que de voir
ces jeunes gens recevant des mains de Sa Majesté la Reine ou de Corneil de Thoran des instruments
et des partitions ; ils ne pouvaient croire au miracle et versaient des larmes
de bonheur; montrant leurs mains calleuses, ils disaient : « je ne pourrai plus
jamais manier l'archet ». Les premières répétitions eurent lieu dans l'église
en ruine de Loo. La création de l'Orchestre symphonique a
été un événement considérable ; des musiciens groupés autour de l'infatigable Corneil de Thoran créèrent
rapidement dans la ferveur et l’ enthousiasme un répertoire ; les programmes
montrent l'étendue de celui-ci ; prenons au hasard le Cinquième programme : Symphonie
n° 104 de Haydn, Fantaisie sur les airs populaires angevins
de Lekeu, Messidor de Bruneau, Mélodies écossaises de Paul
Gilson, Danses flamandes de Jan Blockx, Le Carnaval Romain de
Berlioz, etc. ; au sixième concert : Lalo, César Franck (Le Chasseur maudit), Prélude et Déluge de Saint-Saëns
; violon-solo : Henry Gadeyne, les Danses persanes
de Moussorgsky, etc. ; le succès de ces concerts
fut très vif, l'orchestre joua dans les salles de fortune, dans les hôpitaux
belges, français et anglais, dans les cantonnements, à Calais et autres villes
de France ; cet orchestre couronna sa carrière en donnant un prestigieux
concert à Londres, le 10 juillet 1918, à la veille de la victoire. Nous l'avons
entendu dans l'Eglise Saint-Sauveur à Bruges, jouant une vibrante Brabançonne
le jour de l'Armistice devant la
population en larmes. On entendit se produire à La Panne, invités
par la Reine, de grands virtuoses. Le plus populaire d'entre eux, Eugène Ysaye,
y donna des concerts avec Paul Collaer, Théo Ysaye, Doehaerd, Tertis (le prestigieux
altiste anglais) et les Français Figon et Hekking ; on l'entendit au cantonnement des sapeurs
mariniers chez Robert Thys, leur commandant, où fut organisé
un concert exquis : Paul Collaer au piano, Ysaye et
Mme Croiza qui chanta pour la joie de tous ; il joua du Mozart, du Beethoven, du
Debussy devant un bataillon d'infanterie dans une prairie à Eggewaartscappelle,
à trois kilomètres de la première ligne. La reine Elisabeth voulut étendre sa
protection à tous les artistes. Le roi Albert et la reine Elisabeth convoquèrent
à maintes reprises Alfred Bastien qui peignait des écluses à Nieuport, les
canaux et les ciels de Flandre, car il vivait parmi les troupes françaises dans
les ruines de cette ville ; les Sénégalais gris de froid, emmitouflés et
toussant balayaient la neige, tandis que Bastien notait les aspects émouvants
de la vie obscure des soldats français dans ce décor de misère. Beaucoup
d'artistes, d'amis, et d'amateurs, vinrent faire visite au peintre Bastien dans
sa cave-atelier. A Loo s'organisait peu à peu la «
Section artistique » qui fit pas mal parler d'elle ; il y eut quelques
expositions organisées à la diable où chacun apportait sa production : on vit arriver,
souriante, enthousiaste, la Reine providentielle qui achetait les dessins, les
toiles, les esquisses, les statuettes ; ces œuvres forment encore une sorte de
petit musée émouvant au Palais de Laeken ; sans compter les aquarelles et les
toiles d'Alfred Bastien on y voit les lithographies de J.-B. Meunier, les
pochades de Wagemans, les croquis de Médard Martens, les
petites toiles de chevalet d'Henri Anspach, les
maquettes de Jules Berchmans, les dessins rehaussés de
Jean Lemayeur (actuellement à Bali) les savantes
compositions d'Allard l'Ollivier, les toiles bien équilibrées de Houben, d'Huygens, de Massonet,
les marines et les dunes d'André Lynen, les tableaux
de Pierre Paulus, les maquettes de James Thiriar, les
dessins rehaussés de Verdeghem, les délicates
esquisses d'Ivan Cerf, etc... Par un après-midi ensoleillé le peintre Wagemans et le sculpteur Berchmans,
intrigués, s'approchèrent d'un monsieur imposant, vêtu d'un immense manteau à pèlerine
qui, assis sur un banc de la digue, regardait mélancoliquement la mer ; c'était
le peintre français Albert Besnard ; il venait de perdre son fils à la guerre.
Il était l'invité des Souverains dont il avait commencé les portraits ; il y mit
les enchantements de sa palette, où rutilait encore la lumière que son œil
avait captée au cours de son voyage aux Indes ; mais la passion avait déserté son
génie, écrasé de douleur, il avait perdu sa fougue coutumière. Les artistes belges
l'invitèrent à leur repas du soir, le vieil artiste sembla un moment ressuscité
dans cette ambiance de jeunesse turbulente et se leva pour dire son admiration pour
le miracle accompli par cette Reine qui orchestrait avec compétence et élégance
l'élan vers la beauté et l'idéal, en groupant les artistes d'un pays qui, de
tout temps, même aux époques les plus atroces de son histoire, connut des mouvements
artistiques qui ont étonné le monde. Les concerts se donnaient souvent dans une
grande salle construite à dessein au cœur de l'hôpital de l'Océan, qui portait
le nom de salle Emile Verhaeren. C'est là qu'un plateau et des coulisses furent
aménagés ; bientôt on y donna des représentations théâtrales ; aux premiers rangs
il y avait les blessés, étendus sur leurs brancards, sous la surveillance des infirmières,
emmitouflés dans leurs pansements, les jambes emprisonnées dans les gaines de
plâtre, les béquilles croisées à terre devant eux. Les regards tendus, ces hommes
dévoraient le spectacle ; tout à coup ils éclatent de rire, d'un rire solide,
rire qui vient des entrailles du peuple : Cécile May lance la célèbre réplique «
… et s'il me plaît d'être battue ... » pour la joie de tous, des humbles et des
raffinés, l'éternel Molière fait entendre sa voix. La partie est gagnée ; la
troupe théâtrale remporte un vif succès sous la direction du lieutenant Van
Iseghem (tué peu après à la tête de sa compagnie au front). La reine Elisabeth les
applaudit de son fauteuil placé au milieu de ses chers blessés ; les comédiens iront
de succès en succès en jouant Le Médecin
malgré lui, L'Arlésienne, Contes d'Avril, Mon Bébé, Le Cloître, La
Flambée, Mademoiselle Josette ma femme, etc. Cette compagnie théâtrale est formée de
jeunes comédiens recrutés parmi la troupe, dont plusieurs feront une brillante
carrière dans l'avenir : Federicx, qui occupera prestigieusement
plus tard entre les deux guerres les écrans cinématographiques français sous le
nom de Feyder ; Fernand Ledoux, sociétaire de la Comédie Française dont
l'autorité à l'écran est insurpassable ; Dewalde, Henri
Roger, Guidé, Dupré, Hamel, Grégory, Ghislain, Loyens,
Canneel. Bientôt, venant de Saint-Pétersbourg, dont
les représentations du Théâtre Michel avaient été interrompues à cause de la
révolution, Victor Francen, mobilisé aux transports,
apporta son prestigieux concours. Comme Cécile May, d'autres actrices vinrent
de France : Juliette Clarel, Marie Marsilly, Dehelly, Jeanne Delmare, Strazza, Suzanne de Cléry, Mme Lejeune-Gilbert, etc. Après chaque
représentation, et souvent au cours des répétitions, la Reine venait parmi les artistes
pour les féliciter et les encourager. Elle était partout où Sa présence
apportait réconfort et courage. Elle était aussi de toutes les fêtes ; Elle
contemplait avec une satisfaction intérieure bien compréhensible, la réussite
de Ses projets. Elle trouvait Sa récompense en saisissant l'émotion et la joie
apparues un instant sur le visage des blessés. Telles sont les tâches accomplies par
cette Reine qui cache sous une fragilité physique apparente et trompeuse une
volonté de fer dans l'accomplissement de Ses projets ; compagne d'Albert 1er,
Elle vint chez nous autrefois et apparut à ce peuple frondeur,
goguenard, peu enclin à se laisser éblouir par le faste, méfiant instinctivement
à l'égard des grands noms et des grands mots ; Elle enchanta par Sa modestie,
Sa douceur, Sa ponctualité dans l'accomplissement de Ses devoirs et par Son
goût très vif pour les tâches scrupuleusement accomplies. Les Belges furent conquis
et reconnaissants. On apprit bientôt Son rôle dans l'organisation d'œuvres dont
Elle fut la bonne fée et déjà on parlait d'exquises initiatives telles que l'œuvre
de la « Rose de la Reine », créée en 1910. Quelle fut l'émotion des soldats, des
combattants, quand se révéla dès le début de la guerre 1914-1918 la personnalité
exceptionnelle de la première Dame de Belgique ; jamais on n'avait vu tant de
courage, tant de ténacité intelligente, tant d'élan efficace, tant de curiosité
pour les sciences, tant de passion pour les arts et la culture, en un mot tant
de confiance dans le destin du Pays, de son élite et de son peuple. Aussi la
reconnaissance et l'amour du peuple belge tout entier lui sont assurés à jamais.
III. - Le rôle de la Reine ne fut pas
moins grand en
1940 qu'en 1914 On ne connaît guère l'œuvre que la
reine Elisabeth a réalisée dans les jours les plus angoissés de 1940. La
Souveraine dont la reconnaissance populaire identifie l'image avec celle des
vignettes et des médailles, des billets et des timbres, c'est la Reine Infirmière
des soldats de 1914. C'est Elle pourtant qui dans des jours aussi héroïques et
plus navrants encore a recréé l'œuvre que vingt-deux années de paix avaient
suspendue. En 1940, Elle se trouve à nouveau à La Panne au milieu de l'indescriptible
confusion que provoque le rassemblement en un minuscule territoire non
seulement des troupes épuisées par un combat inégal, mais aussi d'une masse
harassée de réfugiés repoussés de toute part ne sachant comment échapper encore
à l'invasion. Assumant une nouvelle fois la mission de
secours et de dévouement dont Elle demeurera toujours l'incarnation, la Reine
lutte contre l'accablement de la foule désorientée. Elle
fixe un programme qui fut rapidement exécuté : l'Hôtel Continental est
transformé en hôpital civil de cinq cents lits ; on remet fébrilement en état
les hôpitaux de l'Océan et du Casino et pour ces trois établissements, les
cadres sont assurés par un personnel bénévole. La Reine veille en même temps à
la création d'un service de secours aux réfugiés. Un bureau de recensement est établi dans la
cour même de l'hôpital Continental, les réfugiés s'y inscrivent en masse afin
de faciliter les recherches des membres de familles dispersées. Ce bureau
sert en même temps d'office de recrutement pour le personnel des hôpitaux. Une infirmerie centrale est constituée et
cinq nouveaux camps de réfugiés sont installés. Les services s'organisent pour
enlever des camps les malades et les contagieux et les recevoir à l'hôpital
civil de La Panne. Pour les nombreux réfugiés israélites, un
centre hospitalier supplémentaire est créé. Des cantines sont établies ; pour les enfants
et les malades des distributions de lait sont effectuées. Grâce à sa calme autorité, la Reine obtient
en un minimum de temps, la mise sur pied de tous ces services, dont l'utilité
est un peu sortie des mémoires en raison du déroulement fulgurant des opérations
militaires. Il était pourtant d'une importance capitale de prévoir comme Elle
le fit, une organisation capable d'être développée si les circonstances avaient
permis la poursuite des opérations militaires. Pendant que s'échafaudait cette entreprise
d'hospitalisation et de secours aux civils, la Reine rendait inlassablement visite
aux blessés et prodiguait des conseils de calme et de bon sens à la masse
indécise et apeurée de mères, d'enfants et de vieillards, que la fatigue de ces
interminables journées d'angoisse, avait transformée en une horde préparée pour
le massacre. Le 24 mai 1940 et les jours suivants, la
Reine visite les hôpitaux militaires dans la zone de Thourout, pilonnée de
façon incessante par les vagues de bombardiers. Indifférente au danger, Elle
traverse les salles remplies de soldats blessés, s'inquiète du sort de chacun
et apporte à tous le réconfort de sa sollicitude et de sa bonté. C'est avec le même dévouement inlassable
que nous La reverrons après le 28 mai parcourant le pays pour s'enquérir du
sort des sinistrés. Parmi les foyers détruits, la population L'accueille avec
une reconnaissance délirante. Sa voiture se remplit de fleurs, cueillies à la
hâte entre les pierres d'un jardin dévasté. C'est encore avec la même intelligence attentive
qu'Elle poursuit sa mission dans tous les domaines des œuvres et du secours. C'est ainsi que nous L'avons revue au
travail, lisant tous les rapports, cherchant les moyens de résoudre les
problèmes angoissants de la déportation et offrant toujours sa contribution et
son entremise quand il Lui semblait, malgré toutes les difficultés accumulées,
qu'une démarche devrait être tentée, qu'une action pouvait être engagée. Elle oriente et soutient les
négociations de la Croix Rouge de Belgique dans les problèmes complexes des
relations internationales. Nous avons vu avec quelle finesse psychologique Elle
prévoyait la réaction des « hautes instances contractantes »... et contractées.
Dans les moments les plus délicats, Elle sut toujours indiquer les voies d'une action
impliquant le tact dans l'audace et nécessitant autant de doigté que d'énergie. Petites
histoires d'une simplicité royale « Un
jour »... C'est toujours ainsi que devraient commencer les anecdotes concernant
la Reine dont les décisions naissent bien souvent de façon inattendue.
Multiple, la Reine met souvent, dans ses gestes et ses réactions, une
imprévisible saveur ! * L'orchestre symphonique de l'Armée de
Campagne 1914-1918 qui fut formé par le Sergent Corneil
de Thoran, sous le Haut Patronage et sous l'impulsion
de la Reine Elisabeth donna un de ses plus beaux concerts le 10 juillet 1918 à
l'Albert Hall à Londres. L'orchestre comptait 119 soldats belges
sortis des tranchées de l'Yser. La Reine Elisabeth voulant se rendre compte
de la valeur artistique de ce concert était venue assister à la dernière
répétition générale, en compagnie du roi Albert. Entre l'exécution de la Symphonie de
César Franck et la Fantaisie sur deux Noëls wallons de Joseph Jongen la
Reine fit appeler Henry Gadeyne. Après l'avoir félicité pour l'exécution des
différentes œuvres inscrites au programme, Elle le pria de bien vouloir dire à ses
camarades de l'orchestre qu'avant leur départ pour Londres, il serait remis à chacun
une Livre sterling pour leur séjour. Inutile de dire que ce geste généreux fut chaleureusement
accueilli par tous les membres de l'orchestre dont la plupart touchaient une
solde d'environ trois francs par semaine. * Durant
« la drôle de guerre », comme disaient les Français, la Reine sillonna en tous
sens la Belgique. Dans les
cantonnements, Elle arrivait chargée de cadeaux et de vitamines morales. Un jour,
ainsi, des soldats déballèrent un « vogel-pik » et se mirent aussitôt à jouer. Au milieu d'eux, la
Reine regardait... jusqu'au moment où Elle demanda la permission de jouer aussi
! Dans un autre cantonnement, Elle arriva
au moment où l'on projetait le film Nitchévo.
A l'insu des soldats, Elle s'installa, en spectatrice, sur le dernier banc
de bois. Le film passionna la Reine. Comme Elle ne put en voir la fin, Elle
exprima le désir de revoir le film à Laeken. La Reine voulait l'histoire
complète ! L'exquis commandant Calberg
organisait les expéditions de la Reine. On La voyait dans les tranchées comme dans
les cantines. Partout, Elle goûtait la soupe des cuisines, roulantes ou fixes,
des compagnies. Un jour, devant une énorme marmite, Elle demanda : « Hoe is de soep
? » et porta à ses lèvres la pleine cuillerée qu'on Lui présenta. Mais la soupe
était bouillante. La Reine se brûla. Stoïque, elle n'en souffla mot, et avala,
avec le sourire, tout le liquide. Partout où ils étaient, la Reine voulait
atteindre les soldats. A Laroche, Elle les trouva cantonnés sur une hauteur !
Qu'à cela ne tienne ! A ceux qui Lui déconseillaient une ascension fatigante ou
périlleuse, Elle répliqua, insistante : « Mais si, je veux aller les voir
là-haut ! » Elle y fut ! * Passant
un jour à Queue-du-Bois, la Reine veut visiter la mine. On s'y oppose. S'il
arrivait un accident ? Mais, d'autorité, la Reine s'installe dans la
benne. On est bien obligé de La descendre, au plus profond du puits ! Avec le
commandant Calberg, Elle va à l'aventure, guidée
seulement, dans le noir de la mine, par un marteau qui frappe au loin. Aux mineurs
qu'Elle trouve, Elle parle avec émotion. Elle les questionne, s'enquiert de
leurs besoins, leur dit les mots de courage. En haut, tout le monde connaît
déjà l'événement. Hurlant de
joie et de stupeur, les femmes, les enfants de mineurs L'accueillent à sa remonte.
Le visage de la Reine est copieusement noir ! Une grosse femme fend la foule.
Elle s'approche de la Reine, et avant que Sa Majesté ait eu le temps d'avoir la
velléité de protester ; « J' va vous renetti » (je
vais vous nettoyer), dit-elle, et elle essuie, d'un coin de son tablier, le
visage de la reine Elisabeth ! [1] Publication hors série du journal « Les Beaux-Arts ». Palais des Beaux-Arts de Bruxelles – 10 Rue Royale. Directeur-Rédacteur en chef, Lionel Giraud-Mangin - 1955 |