Médecins de la Grande Guerre
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L'étrange vie d'une demi-stèle russe. Texte et photos de Jacques De Ceuninck. Trois septembre 1928. Transformation d’une maison au village de Saint-Maur près de la Place de la localité. Septembre-octobre
2002. Appel téléphonique de l’occupant actuel de la dite maison. Les faits : La réparation d’une fenêtre a nécessité le descellement de la tablette de fenêtre en pierre bleue. La face – longueur – scellée dans l’épaisseur d’un mur, présente des rugosités sur toute l’épaisseur, résultant d’un travail de taille d’une pierre initialement de surface double. Où se cache la partie gauche ? La réponse ne pourra être trouvée que sur place lors de ma prochaine visite ; aucun doute cet appui de fenêtre, d’après la description téléphonique faite par mon interlocuteur, en est la partie droite. Le motif de l’appel téléphonique ? Découverte d’inscriptions gravées sur la face inférieure de cette tablette de fenêtre. La demi stèle. (Photo Jacques De Ceuninck) A partir du haut de la pierre : les inscriptions gravées suivantes : SOLDAT – En dessous de « soldat » : OWSKI – Ensuite Rgt.54 – Et toujours en continuant vers le bas, respectivement : 1-1917 – un trait horizontal – SOLDAT – ETZKI – Rgt.115 – 1 – 1917. Au pied de la pierre : le chiffre 2 Ayant déjà effectué des recherches concernant des militaires russes enterrés dans nos cimetières locaux[1] et ayant aussi photographié leur stèle blanche[2], des éléments de comparaison peuvent être trouvés avec des militaires de la Première guerre mondiale, de même nationalité et enterrés à Tournai. Ces Russes ne sont pas mentionnés dans les actes de décès de l’état-civil de Saint-Maur. Seraient-ils parmi ceux de Tournai ? Dans le livre de la C.W.G.C.[3], document à la disposition des visiteurs de la partie militaire du « Cimetière du Sud » et mentionnant tous les morts des deux guerres y inhumés, figure aussi la liste des victimes russes ; seuls, le nom et le prénom, le grade, la date de décès et l’emplacement de la tombe sont indiqués. Les défunts « …OWSKI – 1.1917 » sont au nombre de quatre : BINKOVSKI Vladislav – Carré VII – Rangée H – Tombe 6 – DC : 23/7/17 PLESSOWSKI Flor – Carré VII – Rangée D – Tombe 3 – DC : 13/11/17 KASTILOWSKI Petr – Carré VII – Rangée H – Tombe 18 – DC : 3/11/17 SOSNOWSKI Mikhaïl – Carré VII – Rangée H – Tombe 21 – DC : 18/2/18 Les défunts « …ETZKI – 1.1917 » sont au nombre de deux : KORETSKI Stefan – Carré VII – Rangée H – Tombe 19 – DC : 24/12/17 SUCETSKI Iosif – Carré VII – Rangée H – Tombe 11 – DC : 12/11/17 Des dates de décès de ces militaires, seules peuvent être conservées celles comportant un chiffre « 1 » dans le mois et l’année « 1917 » d’où : PLESSOWSKI Flor, KASTILOWSKI Petr et SUCHETSKI Iosif. L’autorisation de consulter les archives communales « Cimetières » que me donna, en date du 19 avril 2002, le Collège des Bourgmestres et Echevins de la Ville de Tournai me permit de découvrir un registre des inhumations de militaires belges et étrangers pendant la guerre 1914 – 1918 au « Cimetière du Sud ». J’eus la chance de retrouver une liste de soldats russes, allemands, français et anglais, inhumés dans ce cimetière[4] ; en plus de l’identité avait été inscrite, peut-être par l’employé communal de l’époque, vraisemblablement à partir de pièces d’identité recueillies par les Allemands, le nom de l’unité à laquelle appartenait la malheureuse victime. Le 11 octobre 2002, je reçus cette fameuse tablette de fenêtre, déjà devenue pour moi une…demie-stèle militaire russe dont le mystère s’éclaircissait petit à petit. Sur place, je pus constater que c’était bien la partie droite d’une stèle ancienne, en belle pierre bleue, dont la face avant avait fait l’objet d’un fin travail de la part du tailleur de pierre, presque certainement un artisan de Tournai ou de la région toute proche. Les dimensions sont : Hauteur : 1, 10 m – Largeur : 23 cm – Epaisseur : 8 cm. Où se cachait l’autre moitié, la partie gauche ? L’idée me vint de regarder le dessous des deux autres tablettes des fenêtres. L’enlèvement de quelques vieux morceaux de ciment et un dépoussiérage sommaire à la fenêtre à l’extrême-gauche de la façade me permit de découvrir un chiffre « 3 » qui montrait les mêmes caractéristiques scripturales que les autres signes ; il était inscrit sur la partie gauche d’une pierre bleue identique. Ce chiffre était gravé à la même distance du sommet que les mentions « Régiment » et « date de décès » de SUCHETSKI Iosif. Très vraisemblablement, ce « 3 » correspondait au numéro de bataillon du régiment du militaire. J’en étais maintenant certain ; l’autre moitié de la stèle remplissait toujours son rôle qui lui fut dévolu le 3 septembre 1928. Bien scellée sous la fenêtre, elle ne reprendrait jamais son premier rôle de 1917 : les deux « sœurs » resteront séparées à jamais. Reste maintenant une des ultimes recherches à effectuer : l’histoire du transfert vers le Front occidental des unités auxquelles appartenaient ces soldats de l’armée du Tsar PLESSOWSKI Flor et SUCHETSKI Iosif. Pourquoi des troupes russes sur le front occidental ? Lors de son voyage en Russie en décembre 1915, lors de contacts avec le Tsar, Paul Doumer[5] souhaite l’envoi de 300.000 hommes en France ; du matériel de guerre français, dont la Russie a besoin, sera envoyé en échange. Nicolas II accepte et, à titre d’essai, le général Akexeiev, chef d’Etat-major propose d’envoyer des militaires russes en unités constituées, encadrées par des officiers russes et mises à la disposition de l’Etat-major français. Leur matériel de guerre sera français et elles seront transportées par les bâtiments de la Marine française. Le souhait de Doumer est que 40.000 hommes soient envoyés mensuellement. En janvier 1916, une première brigade spéciale, composée de deux régiments est constituée. Le premier régiment est formé à Moscou, le second à Samara, localité sur la Volga. Les unités sont formées principalement de bataillons de réserve dont les hommes n’ont pas encore subi le baptême du feu. Le premier régiment se compose principalement d’ouvriers d’usines, le deuxième, de gens de la campagne. Cela aura de l’importance lorsque Lénine apparaîtra sur la scène politique des Soviets. Le premier contingent part le 3 février 1916 par chemin de fer. Il traverse la Sibérie et la Mandchourie. Ensuite, il atteint Marseille par mer. Il arrive dans cette ville, après 60 jours de mer, le 26 avril 1916. Ce débarquement à Marseille, Brest et La Rochelle a une grande influence sur l’opinion française : c’est encore une preuve de bonnes relations interalliées. Les trois autres brigades russes sont formées progressivement. La deuxième passe à Salonique tandis que la troisième, formée notamment à Ekaterinbourg, est envoyée en France en août 1916. Cette année 1916 est l’année de Verdun donc une année difficile pour les Alliés et spécialement pour les Français[6]. Les Russes passent au Camp de Mailly, non loin de Châlons-sur-Marne. En 1917, les Alliés apprécient la conduite au feu des deux brigades russes. En avril de cette même année, dans le cadre de la 5e Armée française, la 1e Brigade prend Courcy. Les pertes russes sont 70 officiers et plus de 4.400 soldats tués, blessés et disparus. La renommée des militaires russes est reconnue partout chez les Alliés. Ils interviennent lors de l’offensive allemande de fin mars 1918 et la percée du front allié non loin d’Amiens alors qu’ils sont versés dans la division marocaine. Leur capitaine Loupanoff est décoré de la Légion d’Honneur ; les pertes sont importantes. En mai 1918, nouvelle percée des Allemands qui enfoncent les lignes françaises. La route de Paris paraît toute tracée, Soissons vient de tomber. Les Russes interviennent à nouveau, bloquent les Allemands en y laissant plus de 80 pour cent de leurs effectifs. En septembre, nouvelles victoires. Le Maréchal Foch, Commandant en chef des Armées Alliées, décore le bataillon russe de la Fourragère d’Or avec Croix de Guerre et une Croix de Guerre à deux palmes à son drapeau. Au début de novembre 1918, malgré les pertes, le bataillon comprend plus de 560 hommes, constituant ainsi trois compagnies de combat et une compagnie de mitrailleuses. Contestations et refus d’obéissance suite aux boucheries, souvent évitables. Il faut rappeler que d’avril à juin 1917, un certain nombre de régiments français furent frappés par une sorte de refus d’obéissance et de consternation. La vue des centaines de milliers de morts, blessés, estropiés à vie avait fait réfléchir les autres combattants sur les conséquences de cette folie. L’armée allemande avait, elle aussi, dû faire face à ce genre de contestation. Ce fut aussi le cas pour les Russes, envoyés en Champagne et sous-équipés en masques à gaz et qui y subirent de très lourdes pertes. A la mi-mars 17, les premières frictions entre officiers et autres militaires apparurent après l’abdication di Tsar Nicolas et la nomination de Kerenski en tant que premier ministre russe. Les idées bolcheviques faisaient leur chemin. Les ouvriers de Moscou, sous l’uniforme, voulaient aussi participer à la révolution bolchevique[7]. Une importante mutinerie au camp de La Courtine déclenche l’intervention de troupes russes, restées fidèles, et aussi de troupes françaises[8]. A partir d’octobre 18, les Allemands abandonnent la ligne Hindenburg et se replient vers la Belgique, notamment. A la fin de 1918, les Russes sont démobilisés. Les différents combats auxquels ont pris part ces hommes du Tsar ont entraîné aussi la perte d’hommes, faits prisonniers par les Allemands. La même conséquence apparaît aussi entre toutes les armées du monde dans des situations de conflit. Ces prisonniers
russes ont été utilisés dans les zones occupées par l’envahisseur allemand à
toutes sortes de travaux pénibles dans des conditions humaines très difficiles.
Beaucoup d’entre eux n’ont pas résisté aux privations et sont décédés loin de
leurs familles. Seules, les croix et stèles rappèleront dans les futures
années, leur souvenir. [1] Au cimetière du Sud à Tournai, chée de
Willemeau sont enterrés plus de 110 militaires russes, tous décédés comme
prisonniers de guerre des Allemands pendant la guerre de 1914-1918, à partir de
1917. Ils se trouvent dans le cimetière militaire du Commonwealth, à côtés des
militaires de Grande-Bretagne. [2] Ces stèles de militaires russes ont l’aspect et
les dimensions des tombes du Commonwealth, excepté leur partie supérieure qui
est horizontale. [3] C.W.G.C :
Commonwaelth War Graves Commission : son centre est en Angleterre et a une
antenne à Ypres (Ieper), Beaurains (France) etc…- s’occupe de l’entretien de
toutes les tombes des militaires du Commonwealth, tués pendant les conflits
depuis la première guerre. [4] Vu les dates des inhumations, ces formalités
avaient été faites par l’occupant allemand – Voir aussi le monument allemand du
Cimetière du Sud – côté entrée chaussée de Douai, maintenant démonté et disparu
et qui rendait hommage, naturellement aux soldats allemands mais aussi aux
militaires français et anglais. [5] Paul Doumer – Homme d’état français né à
Aurillac en 1857 ; il décède en 1932. Il fut Gouverneur général de
l’Indochine de 1897 à 1902 et plusieurs fois Ministre des Finances. Il devint
Président du Sénat en 1927 et Président de la république en 1931. Il fut
assassiné à paris. [6] Verdun : environ ¼ des pertes françaises
de cette Grande Guerre : 350.000 Français ! [7] Cela aboutit au traité de Brest-Litovsk, signé
entre le Kaiser et Lénine. Les troupes allemandes, de par cette cessation des
hostilités sur le front oriental, furent ramenées rapidement sur le front
occidental. Un problème très important surgissait ainsi pour les Alliés. Lénine
avait fait le jeu des troupes allemandes, tactique qui allait se répéter au
début de la guerre 40-45, lorsque Staline signa une paix séparée avec Hitler,
soulageant momentanément ce dernier de tout souci à l’égard du grand voisin
soviétique. [8] Le 3 août 17, le Ministre de la Guerre français
Painlevé décide d’aider « le gouvernement russe dans la répression de la
mutinerie » ; il ne l’appuiera de troupes françaises que, seulement
dans le cas, où les Russes auraient été insuffisantes pour rétablir l’ordre et
à la demande du représentant du gouvernement russe. Le 16 septembre, les obus
de 75 tombent sur le camp de La Courtine. Le chef des mutins, qui parle bien le
français, Globa est désigné comme chef des insurgés. Le 19 septembre, Globa se
rend. Il est emmené à Bordeaux avec 80 représentants des Soviets de militaires
où ils passeront devant le tribunal militaire ; ils travailleront dans des
usines pour remplacer des ouvriers partis au Front. |