Médecins de la Grande Guerre
Accueil - Intro - Conférences - Articles
Photos - M'écrire - Livre d'Or - Liens - Mises à jour - Statistiques
Marie-Louise Dromart, l’infirmière-poète, raconta le martyr de son
village d’Haybes Marie-Louise
Grès naquit le 29 juillet 1880 à Haybes, petit
village connu pour ses ardoisières et situé au nord de Fumay sur la Meuse. Elle
suivit une formation d’infirmière et épousa, à 19 ans, François Joseph Dromart qui était sous-directeur de l’usine des pyroligneux
appartenant à sa famille (cette usine extrayait différents produits chimiques contenus dans le bois). Elle se
fait rapidement connaître comme poétesse puisqu’en 1912 et 1913 paraissent en
librairie sa première œuvre en deux volumes. Le 24 août
1914, au matin arrive un fugitif de Willerzie
(village belge) racontant que son
village est en feu et que son père avait été fusillé par l’ennemi. Aussitôt
cette nouvelle propagée, les habitants de Haybes
décident de quitter le village. Ils se dirigent vers la Meuse pour s’embarquer
dans des barques afin de traverser le fleuve et d’atteindre ainsi la gare
située sur la rive gauche. Marie-Louise est dans la masse des fugitifs mais
aucun d’entre eux n’eut la possibilité de franchir le fleuve car des hussards
pénètrent dans le village. Les candidats à la fuite n’ont le temps que de se
rentrer dans les caves des maisons proche de la Meuse. Quand Marie-Louise sort
de la cave où elle s’est abritée avec ses deux enfants et ses parents, elle
aperçoit des maisons qui flambent. Que s’est-il passé. Un des hussards a été
tué d’une balle et les Allemands vont rapidement considérer Haybes
comme un village de francs-tireurs. Les hussards partis en reconnaissance dans
le village retournent en effet vers l’avant-garde de l’armée qui descend de Hargnies vers Haybes et rendent
compte de leur officier tué. Aussitôt le village est bombardé en représailles
avant que les colonnes de fantassin envahissent le village et obligent les
habitants de sortir des maisons pour les mettre en colonne. Les maisons sont
ensuite enflammées. Marie-Louise et sa famille sont obligées de rejoindre la
colonne des habitants faits prisonniers qui sert de boucler vivant à
l’infanterie allemande pour progresser dans Haybes et
qui, ensuite, est dirigée vers le château de Moraypré
au nord du village pour y être séquestrée. Qui a tué le
hussard ? En vérité, nous ne le saurons pas. Mais il faut avouer que dans
le village se trouvaient des douaniers et gardes forestiers qui en temps de
guerre devaient être considérés comme « militarisés ». Peut-être
qu’un de ceux-ci commit cet attentat avant de rejoindre à la nage ou en barque
l’autre rive de la Meuse. Sur cette rive opposée au village, se trouvait
d’ailleurs caché derrière les remblais du chemin de fer et dans les taillis et
bois de la colline la surplombant tout un régiment français, le 148ème
de ligne secondé par un détachement du 18ème chasseur dont la
présence était méconnue des Allemands. Le coup de feu qui abattit l’officier
hussard pouvait donc aussi provenir d’un de ces soldats français qui
possédaient une position idéale pour tirer sur Haybes.
De nombreux habitants purent échapper aux Allemands et allèrent se cacher dans
une des nombreuses ardoisières qui entouraient le village. Les forces
principales allemandes, ayant investi Haybes, se
dirigèrent alors vers le rivage pour essayer de traverser la Meuse à tout prix.
Ils envoyèrent leurs équipes de pontonniers afin de réaliser un pont de
barques. Bientôt le rivage et les rues avoisinantes furent couverts de troupes
allemandes et c’est à ce moment que les soldats français cachés sur l’autre
rive et ses hauteurs commencèrent à actionner leurs fusils et mitrailleuses.
D’après certains témoignages, ce fut un vrai carnage dans les rangs allemands.
Certaines sources parlent de plusieurs centaines de tués dans les rangs
allemands et de deux grands feux allumés pour bruler les cadavres en deux
endroits. Cette bataille rendit sans doute encore l’ennemi plus furieux et
toutes les maisons de Haybes furent incendiées. Les
histoires dramatiques se succèdent et ressemblent à celle-ci : Tout près
de l’église, une femme sexagénaire, tombe à l’angle de la ruelle, frappée d’un
shrapnell. La fille de cette infortunée, Mme Vandeven-Colet,
a dû s’enfermer avec son garçon et sa fille et son vieux père dans la cave de
cette maison. Pendant une demi-heure la fumée pénètre dans l’obscur réduit où
les quatre réfugiés n’osent parler. Soudain, la jeune femme prend la main de
son père et s’aperçoit qu’il vient de mourir. A cet instant son garçon
murmure : « Maman, Geneviève ne bouge plus ». Le vieillard et l’enfant
sont morts asphyxiés. Affolée, la maman sort de la cave et là sur le seuil,
elle trouve sa mère étendue dans une mare de sang (et cette femme
apprendra quelques mois plus tard la mort de son mari prisonnier en
Allemagne…) ! Comment survivre à
pareille drame ? Mais
revenons à la colonne de civils emmenés prisonniers au château de Moraypré (château Catoir). Cette
colonne est d’abord emmenée rue du calvaire où elle sert de bouclier vivant à
l’infanterie mais les tirs des Français sont extrêmement précis et sans faire
de victimes civiles, ce sont des soldats allemands qui tombent. L’un d’entre
eux s’écroule d’ailleurs sur le fils de Marie-Louise. Finalement, l’ordre est
donné à tous de se coucher dans les fossés. Les habitants y restent pendant
plusieurs heures ! Et durant cette longue attente, quelques-uns profitent
d’un moment de distraction des gardiens pour fuir. Il en est ainsi de la mère
et de la fille de Marie-Louise qui parviennent à se cacher pendant deux jours
dans les bois ou dans les ardoisières. On imagine l’angoisse de Marie-Louise en
s’apercevant de la disparition de sa fille et de sa mère ! Quand l’ordre
est donné de reprendre le chemin, Marie-Louise porte secours à un soldat ennemi
atteint d’une balle au ventre et délaissé par ses compatriotes. Elle l’aide en
organisant son transport sur une porte. Arrivée enfin au château, son angoisse
fut encore décuplée car elle aperçoit son père ligoté comme étant un dangereux
franc-tireur. Son fils est quant à lui séparé d’elle. C’est le brassard de la
Croix-Rouge qui valut à l’infirmière un sort différent des autres habitants.
Elle ne fut pas enfermée mais affectée à l’infirmerie du château qui était
rempli de blessés. Avec son statut, elle put aussi éviter un sort funeste à son
père. En discutant avec un officier allemand, elle parvint à le convaincre de
l’innocence de son père. Peu après, Marie-Louise obtient la permission de
rechercher des pansements dans la maison de sa mère et retourner à Haybes. Elle y ramène des pansements et se munit de deux
paquets de sublimé de mercure qu’elle décide de garder sur elle, « dans le
cas, écrira-t-elle dans ses mémoires, où elle préférerait mourir que de subir
les pires humiliations ». Toute la nuit, elle donne sans relâche, les
soins aux blessés. La 25 août Au matin,
elle est autorisée à porter secours aux femmes et enfants enfermés dans une
salle. Elle décrit les cris de désespoir de sa voisine, une femme qui désespère
de ne pas avoir de nouvelles de sa fille de 35 ans, Juliette Blondeau, qui est
atteinte de paralysie. (On devait retrouver celle-ci carbonisée devant sa
maison. Jamais, on ne saura si elle fut brûlée vive ou d’abord abattue!) La rage des
Allemands augmente encore dans cette matinée. 20 soldats français ont formé un
commando et traversé la Meuse à l’aube. Ils ont fait le coup de feu dans les
rues et semés à nouveau la désolation dans les rangs allemands. 15 officiers
allemands ont été abattus. Des
habitants retrouvés et fait prisonniers forment deux nouveaux convois qui
arrivent au château, un dans la matinée et encore un autre dans l’après-midi.
Le ciel est embrasé, Haybes n’est plus qu’un
gigantesque foyer. Le curé Hubert héberge, dans sa cave, 17 personnes dont un
seul homme blessé gravement aux deux mains. Sa cave est visitée par un officier
allemand et tout ce monde doit rejoindre Moraypré. On
accuse le curé d’avoir hébergé un franc-tireur et sa vie est menacée. Il dort
dans la grange où sont enfermés les hommes. Le 26 août Les hommes
(53) sont transférés dans une cave du château. Le curé Hubert passe devant une
cour martiale installée à l’extérieur dans le parc du château. Il obtint de
garder la vie mais il doit aller placarder dans sa ville des affiches appelant
les civils à ne pas résister. En plein travail, il est à nouveau arrêté car les
affiches ne sont pas signées par le général ! Il doit alors retourner au château et
comparaître une nouvelle fois devant l’officier supérieur qui signera les
affiches. Mais juste avant cette entrevue, on le prie de venir assister un pauvre
habitant Benjamin Ferauge qui paraît à l’instant
devant quelques officiers pour y être jugé. Benjamin est un colosse maintenu
avec difficultés par une dizaine de soldats. Cet hercule avait été réformé à
cause d’un accident. Le curé Hubert prend sa défense mais rien n’y fait,
Benjamin Ferauge est condamné à être fusillé. Le curé
le voit être emmené malgré ses vives protestations et quelques instants après
il entend les coups de feu de la salve. Presqu’au même moment seront aussi
fusillés le brasseur Gustave Méau, Fréderic Servais,
Jules Côme accusés aussi d’être des francs-tireurs. Beaucoup
d’habitants cachés dans les ardoisières se risquent à l’extérieur car affamés,
ils doivent chercher à se nourrir. Beaucoup sont arrêtés par les soldats. Ceux
qui ne s’arrêtent pas sont tirés comme des lapins. Plus de trente personnes
périssent de cette façon. Ainsi le secrétaire communal, Mr Lambert, âgé de 26
ans, ses quatre enfants, sa femme et ses beaux-parents ainsi que monsieur et
madame Simon au moment où ils sortaient de l’ardoisière Belle-Rose. Les
Allemands entasseront eux-mêmes plus tard dans une fosse profonde les huit
cadavres superposés. Au total, une cinquantaine (le monument aux morts
mentionne 58 noms) de civils perdront la vie dans la tragédie de Haybes. Marie-Louise
porte des soins attentifs à une jeune fille tandis que l’on fusille trois
hommes dans le parc du château. Dans ces heures dramatiques, elle voit soudain
sa mère et sa fille, qui ont été retrouvées dans un bois et qui arrivent au
château. Quel soulagement ! Les soldats Français ont quitté la rive nord
de la Meuse et les Allemands peuvent enfin franchir la Meuse ce qui vaut un
assouplissement des mesures prises à l’égard des prisonniers. Les femmes et
enfants sont libérés. Elles éclatent de pleurs en revoyant leurs maisons.
Certaines ne les reverront jamais : Jeanne Hamaide,
la couturière et cousine de Marie-Louise, Maria Pecheux,
Geneviève Vandeven (6 ans), Madame Hamaide-Jeronne tuée d’émotion en
étant libérée, Philomène Gosset dont l’enfant d’un an à qui elle tenait la
main, est tué d’une balle explosive au crâne et qui suppliera les soldats
d’être aussi tuée. Beaucoup de civils doivent être soignés et Marie-Louise
obtient des Allemands un médecin et deux brancardiers pour aller faire une
tournée dans les caves de Haybes. Dans une de
celle-ci, elle y découvre une vielle femme transpercée par une lance, il s’agit
d’Agnes Hamaide… De retour au
château, Marie-Louise porte ses soins à un officier français blessé qui avait
été fait prisonnier en Belgique à Willerzie. Il
s’agit de Jean Ternyckx, célibataire de 27 ans. Elle
se prend d’affection pour cet officier courageux mais malheureusement celui-ci
ne va pas survivre. Transporté à Fumay, il y mourra deux jours plus tard.
L’infirmière poétesse rédigera ce poème en son honneur. FUNÉRAILLES Il
pleut ! Le vent gémit à travers le feuillage Le 27 août,
Marie-Louise obtint d’un officier allemand la permission de s’installer dans sa
grande chambre avec ses deux enfants. Le 28, elle donne des soins au soldat français
Clin du 245ème qui souffrait d’un œil qui sortait de son
orbite ! Marie-Louise et sa famille sont accueillies dans une famille de
Fumay. A Fumay, le château du Clos-Roland qui avait été transformé en ambulance
a été complètement détruit. Marie-Louise organise le départ des blessés de Moraypré vers l’hospice de Fumay. Mais celui-ci déborde
déjà de blessés. Elle obtient alors de l’instituteur, Mr Siffer
de transformer l’école primaire ses garçons de Fumay en ambulance. De nombreux
habitants d’Haybes y seront soignés : Deux jeunes
filles Berthe Henry et Adèle Adam à la chair criant de souffrance, une enfant
de quatre ans, Raymonde Henry, hurlant d'épouvante à la seule perspective du
pansement de son bras mutilé, une autre petite fille, Yvonne Touain, défendant sa cuisse rose contre notre intervention,
un garçonnet, A .Vaucherot, de treize ans, la jambe
emprisonnée dans une gouttière, sa plaie se compliquant d'une fracture qui le
faisait grimacer au moindre frôlement — une vieille femme, Agnes
Hamaide, enfin, foule ridée, toute tassée et qui
suffoquait d'indignation à la vue de sa hanche lacérée où le pus, faute de
soins immédiats, s'était accumulé. Y meurt, malheureusement la jeune fille,
Berthe Henry qui dans ses dernières paroles pardonne à ses bourreaux. Le médecin
Mangin, lorrain et forcé de servir dans les rangs allemands parvint à faire
libérer Julie Devosse. Julie Devosse
se croyait envoyée par Jeanne D’Arc pour délivrer la France et les Allemands
avaient martyrisé cette pauvre femme délirante en la dénudant et en
l’entrainant sous une pompe où une brosse de chiendent au poing, ils frottent
avec rage son pauvre corps. Le sort des habitants d’Haybes
pendant l’hiver 1914-1915 fut pitoyable. Les quelques personnes qui moururent durant
les premières semaines qui suivirent le désastre furent enterrés sans prêtre et
sans cercueil, enveloppés d’une simple toile. Pendant 46 jours, les habitants
d’Haybes et de Fumay restèrent sans pain. Dans cette
première localité, 43 ménages ne vécurent, jusqu’en janvier 1915 que
d’épluchures de pommes de terre. Les familles qui restèrent dans Haybes vécurent l’hiver sans chauffage dans des huttes,
dans des caves, dans les remises en planches des ardoisières. Marie-Louise
passa le reste de la guerre à Paris. Elle s’y dévoua pour trouver des marraines
de guerre à plus de 400 soldats. Elle connut le grand malheur de perdre son
fils de tuberculose. Quant au sort de son mari, il restera pour nous mystérieux
puisqu’il y est fait nulle part mention. Elle écrivit son témoignage sur ce
qu’avait vécu son village en août 1914 sous le titre « Sur le chemin du
calvaire». Ce livre, le
seul, qu’elle écrivit en prose, fut édité en1920. L’année suivante, en 1921,
elle est nommée, Chevalier de la Légion d’honneur au cours d’une cérémonie à Haybes. Marie-Louise continua son œuvre poétique qui
remporta de nombreux prix et cela jusqu’à son décès survenu en 1937 à l’âge de
57 ans. On peut certainement regretter que son œuvre dont les piliers
concernent l’amour et la nature ne soit plus aujourd’hui accessible. Qui
rééditera la poésie de cette femme sensible au si grand talent et dont la
vie fut loin d’être un fleuve tranquille ? « Lorsque,
le front voilé par le deuil et la peine, N’hésitez
pas à passer par Haybes et à marcher à l’ombre des
pas de Marie-Louise. L’impressionnant monument aux morts sur lequel sont inscrits les noms de 58 civils tués. 58 victimes civiles sont inscrites sur le monument Le village
ardennais garde en mémoire la tragédie de la Grande Guerre mais, dans une
boucle de la Meuse rutilante qui le met en valeur, il offre aussi aux touristes
la possibilité de multiples randonnées avec des points de vue plus beaux les
uns que les autres. Il n’est pas étonnant qu’Haybes eut son poète pour chanter ses beautés consolantes. « Et
qui sait si, plus tard, quand la nuit du Trépas Sources 1 – Sur le
chemin du calvaire, M-L Dromart, La maison d’art et d’éditions,
Paris. 1920 2 – La furie
allemande dans l’Entre-Sambre et Meuse, Joseph Chot,
Imprimerie Hallet, Charleroi, 1919 |