Médecins de la Grande Guerre
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Le Docteur Depoorter. Pendant la grande guerre, 58 médecins belges sont tombés au champ d'honneur. Dans ce chiffre sont compris de nombreux élèves médecins versés dans l'armée en août 1914 comme médecins auxiliaires. L'étudiant en médecine Depoorter ne figure pas dans ce nombre. Contre toute attente, il survécut à la guerre en donnant une leçon de courage et d'espoir à des milliers d'autres blessés. Son histoire vraiment exceptionnelle renforça aussi la conviction de ses confrères qu'il ne fallait jamais laisser un blessé à son sort même si son état paraissait désespéré et les moyens de le soigner dérisoires. Auguste Depoorter est né le 12 novembre 1892 à Iseghem où son père était médecin. La guerre le surprit alors qu'il suivait les cours de médecine à l'université de Louvain. Il rejoignit alors, comme soldat le 22° régiment de ligne. C'est avec cette unité que, le 18 août 1914, en qualité de brancardier il reçut à Hauthem Ste Marguerite le baptême de feu. Au cours de cette bataille son régiment perdit 1250 hommes sur 2100 et 23 officiers sur 40. Parmi les tués se trouvait son ami le soldat Ickx de Courtrai. Après cette première épreuve, Depoorter fut versé en qualité d'adjudant élève-médecin à la colonne d'ambulances de la 3° division d'armée avec laquelle il prit part aux sorties d'Anvers et participa aux combats de Haecht et de Boortmeerbeek. En octobre 14, on le retrouve à Dixmude avec les fantassins du général Jacques. Quelques mois plus tard, il accomplit un geste héroïque en s'offrant d'aller sous la mitraille, porter secours à des blessés se trouvant en avant du célèbre « boyau de la mort ». Encore plus tard, il vivra avec ses camarades retranchés en face de Dixmude, la journée du 12 mai 1916 réputée comme une des plus terribles. Durant trois heures, une pluie de balles, une cascade de shrapnels et d'obus, une avalanche de grenades et de torpilles labourent les tranchées semant l'épouvante et la mort à l'endroit où se trouve actuellement la « tour de l'Yser ». Dans le poste de secours, vulgaire abri fait de quelques madriers et sacs de terre, Depoorter soigne, panse et donne des ordres pour évacuer les blessés. Quand enfin la tragédie se termine, le Dr Depoorter ( malgré ses études interrompues, Depoorter est appelé par tous « docteur ») est heureux de pouvoir sortir, indemne et le travail accompli, de l'abri sanglant. Hélas aussitôt, on le réclame pour porter secours à un blessé qui gît sous les décombres d'un abri effondré. Le docteur veut partir lorsque tout à coup une torpille s'abat à côté de lui. L'engin meurtrier lui arrache le talon du pied gauche, lui déchire le membre inférieur droit, lui sectionne l'artère radiale de l'avant-bras droit. Son fidèle brancardier porte-sac Verhelst[1] le suit heureusement indemne et porte immédiatement secours à son chef. En quelques instants il place trois garrots, les serrent et traverse le feu le docteur dans ses bras. A l'arrière, le Dr Sterckmans panse le grand blessé et assure son transport à l'hôpital de l'Océan à La Panne. A l'Ambulance de la Reine, devant la gravité de son état, on pronostique sa mort prochaine. La Reine Élisabeth s'émeut du sort du jeune Depoorter et penchée à son chevet lui demande s'il n'a pas avant de mourir une faveur à lui demander. Le jeune médecin prie la Souveraine de se rendre à la fin des hostilités auprès de ses parents pour témoigner de ses derniers moments. La Reine apprend aussi que sa fiancée est réfugiée au pays de Galles et veille sur sa sœur Olga Huybrecht ébranlée par le choc et les explosions subis alors qu'elle était au service de la Croix-Rouge sous les ordres de la Comtesse van de Steen de Jehay à l'hôpital civil de Poperinghe. La Reine fait alors envoyer aux deux demoiselles une lettre pleine de sollicitude les autorisant de venir assister aux derniers moments de Depoorter. Les deux jeunes filles arrivèrent à bon port et assistèrent nuit et jour le héros avec un tel dévouement et une telle affection que le spectre de la mort commença doucement à s'éloigner. Carte de feu du Dr Depoorter Le Dr Depoorter resta en traitement à « l'Océan », jusqu'à l'été 1917. Pendant des mois, il dut lutter contre la septicémie et c'est sur sa personne que le Dr Nolf, expérimenta pour la première fois un traitement anti-streptoccique consistant en des injections de peptones[2]. Il y subit d'innombrables interventions chirurgicales dont 13 opérations avec anesthésie générale. Il eut la chance de supporter à chaque fois le chloroforme souvent responsable d'hépatite toxique mortelle. L'opération la plus importante fut l'amputation de la jambe droite faite le 13 juin 1916 par le docteur Depage assisté de Sa Majesté la Reine Élisabeth. Pour son héroïsme, le docteur Depoorter fut décoré de la Croix de guerre et fait unique, sans doute, dans les annales de la guerre, sa citation fut inscrite en signe d'admiration profonde, par le Roi Albert lui-même dans le carnet de route appartenant au docteur. A la date de 12 juillet 1916, Sa Majesté la Reine Élisabeth faisait suivre cette citation des mots suivants : « Diep getroffen door uw schrikkelijke wonden, ben ik hartelijk verheugd u dagelijks te zien verbeteren » Pendant toute la durée de son séjour à l'hôpital de l'Océan, le Dr Depoorter fut de la part du couple royal l'objet d'une sollicitude toute filiale. Il n'en est de meilleure preuve que son carnet de chevet, dans lequel nous trouvons maintes fois la signature de la Reine et, sous cette même signature, aux dates ci-après, les annotations suivantes : 22 mai 1916 : « A pu manger quelques
fraises que je lui ai apportées ». Le Roi-soldat a lui aussi plus d'une fois signé le journal d'hôpital du vaillant médecin. Sous sa signature nous lisons à la date du 22 mai 1916 : « J'ai donné une fraise à Mr. le docteur Depoorter qu'il a mangée avec plaisir » puis à la date du 28 : « Fait visite au Dr Depoorter que j'ai trouvé comme toujours bien courageux ». Le carnet d'hôpital, où les visiteurs inscrivaient leurs communications, car le docteur Depoorter fut des mois sans pouvoir parler, montre combien le jeune médecin était aimé. Ce livre, se remplit, en effet, en un mois de plus de deux cents vœux de guérison. A sa sortie d'hôpital, le docteur Depoorter se maria et fut attaché à l'Institut national des mutilés invalides et orphelins de guerre à Port-Villiez. Là, tandis qu'il accomplit sa tâche avec générosité, sa femme, qui a pris le voile bleu des infirmières, se pencha avec lui et avec la même sollicitude sur la douleur de ceux que la mitraille avait défigurés ou meurtris. Ensuite, jusqu'à l'armistice, le jeune médecin professa à un hôpital militaire belge à Paris. Après l'armistice, fin 1918, la Reine Élisabeth se rendit à Iseghem pour, comme elle l'avait jadis promis, rencontrer les parents du docteur Depoorter. Le journal « La Libre Belgique » rendit compte de l'événement. En 1919, Elle dût à nouveau se pencher sur le sort de son protégé. Voici en quelles circonstances. Après sa démobilisation en 1919, reconnu invalide, Auguste Depoorter s'était vu déclaré inapte par les autorités militaires. Cela signifiait pour lui une nouvelle catastrophe : l'impossibilité de continuer ses études de médecine! Notre héros n'accepta pas le verdict injuste et écrivit une requête au Ministre tout en demandant à la Reine son intervention[3]. La Reine, par son influence réussit un nouveau coup de force : on fit exception pour l'invalide Depoorter qui put continuer ses études tout en restant militaire. Diplômé médecin, il quittera cependant l'armée comme pensionné invalide, le 29 septembre 1922. Malgré ses membres absents et des séquelles graves à ceux qui lui restaient, il trouva la force de se spécialiser en dermatologie et physiothérapie et dirigea par la suite la clinique de la Sainte Famille à Bruges. Il devint aussi le père comblé de huit enfants. La Reine ne l'oublia jamais. Le 15 mars 1931 elle visita son hôpital[4], passa une heure entière à entendre les explications que lui donnait le docteur Depoorter sur son travail et en particuliers sur le traitement physiothérapique par diathermie qu'il avait lui-même conçu. La Reine lui demanda aussi des renseignements sur les médicaments qui avaient guéri son amie la Princesse Marie de Croy. L'histoire du Dr Depoorter, mérité d'être complétée. La visite de la Reine est le dernier événement de sa vie dont j'ai connaissance. Mais n'est-ce pas une belle fin pour mon récit ? Dr Loodts P Source :
[1] Né le 4 mars 1894 à Oostkamp près de Brugge. Menuisier. Incorporé dans la levée 1914 au 14ème de Ligne, numéro de matricule 114/28602, 9ème Cie, III bataillon. Fut brancardier « porte-sac » du docteur Depoorter. [2] I
NJECTIONS DE PEPTONE. Étudiées surtout par NOLF, elles cherchent à réaliser, d'après cet auteur, non le choc, mais l'effet salutaire obtenu par l'administration de peptone inférieure à celle qui produit le shock ; l'effet thérapeutique est optimum dans les cas où l'injection intraveineuse est suivie, après une heure environ, d'un court frisson auquel succède, plus tard, une défervescence accompagnée de transpiration abondante. NOLF a utilisé ces injections avec succès dans la fièvre typhoïde, les septicémies strèptococciques, les staphylococcies, le rhumatisme articulaire aigu et même la tuberculose pulmonaire. Il injecte 5 à 10 c. c. de la solution à 10 % (solution de peptone pure bactériologique, stérilisée un quart d'heure à 120°), très lentement (5 c. c. en une minute), le malade étant à jeun, le matin. Si le pouls dépasse, pendant l'injection, 35 au quart, on arrête l'injection pendant quelques instants. En cas de pression basse inférieure à 7 centimètres de Hg, il convient, avant d'administrer la peptone, de pratiquer des injections sous-cutanées d'adrénaline au millième (quatre fois un demi-milligramme en vingt-quatre heures) ; on peut même ajouter un demi-milligramme d'adrénaline à la solution de peptone. On recommence les injections tous les deux jours, à deux ou trois reprises. Une heure après l'injection, on constate un frisson et une élévation thermique. Ce frisson peut durer entre vingt et trente minutes ; il est suivi d'une période de chaleur, puis de sueurs ; trois ou quatre heures après le début de la transpiration, la température est devenue normale ou presque normale. Dans la tuberculose fébrile, NOLF associe la peptone au vaccin et il procède par petites doses ; il associe également le vaccin au traitement précédent. NOLF pratique toujours des injections intraveineuses, réservent les injections intramusculaires aux cas où il peut agir non pas contre l'infection, mais contre l'hémorragie (solution à 5 % stérilisée à 120°). DUBARD préfère l'injection sous-cutanée ; il additionne la solution de peptone de un centigramme d'allocaïne (ou de stovaïne) ; il estime se mettre ainsi à l'abri des accidents douloureux et inflammatoires. Il utilise des albumines diverses ; pour lui, ce sont les produits les plus riches en albumoses qui sont les plus actifs : plus un polypeptide contient d'azote, précipitable par le sulfate de zinc ou d'ammoniaque (c'est-à-dire dont les noyaux renferment tyrosine, cystine, tryptophane, phényl, alanine), plus il est antigénophile ; les peptones vraies débarrassées des albumoses, paraissent moins actives. (D'après CARNOT et HATHERY) Tiré de : supplément 1923 à la 2ème édition. Formulaire Astier. Librairie du Monde Médical. [3] Voici la correspondance émouvante échangée à cette occasion ( Bibliothèque du Musée de l' Armée, dossier militaire de l'intéressé) Copie de la Lettre adressée par Auguste Depoorter au Ministre de la Guerre (copie sans date dans le dossier) Actuellement je suis comme officier de complément (médecin auxiliaire) et comme mutilé sur le point d'être licencié et réformé. Si je dois quitter l'armée, je serai, avec ma pension, abandonné à moi-même, à ma pénible mutilation et aux vicissitudes de la vie. Comme je suis encore aux études, je tomberais, si je suis licencié et réformé, dans une situation déplorable avec mon jeune ménage qui m'est dans la lourde peine qui m'accable, la plus douce des consolations et le réconfort matériel et moral le plus puissant. Je n'aurais jamais osé me décider au mariage, si je n'avais été toujours convaincu que je resterais officier de santé, jusqu'au moment de pouvoir comme mutilé, gagner convenablement ma vie dans le civil. Les mutilés n'ont-ils pas droit à une rééducation professionnelle pour qu'ils ne soient pas versés dans la vie civile sans autre ressource que leur pension? La continuation de mes études, je ne dirais pas aux frais de l'Etat, mais au moyen de la situation que j'occupe actuellement, en faisant du service, en restant officier de santé ne peut-elle pas être considérée, Monsieur le Ministre, comme éducation professionnelle de mutilé de guerre? Mes études achevées, comment entrer dans le struggle for live? Comme un mutilé! un inférieur vis à vis de mes confrères! si je porte alors le costume civil on me verra passer comme un de ces nombreux malheureux dont on a déjà l'habitude de voir défiler la très triste figure, le trop triste souvenir...et je passerai inaperçu. Si je porte comme mutilé, le costume de médecin militaire, glorieux souvenir, décoration par excellence, je sais qu'on s'intéressera vivement à moi. Je considère comme du plus haut intérêt de porter comme mutilé l'uniforme de médecin militaire et de pratiquer à l'hôpital militaire, dans la ville où je ferai ma carrière médicale, d'abord pour subvenir aux besoins de mon ménage en attendant que j'ai réussi à faire ma clientèle et puis pour faire mon nom et ma réputation. Je dois choisir ce moyen, comme tout indiqué, car je ne pourrai comme mes confrères sortir quand et comme je voudrai, ni me présenter comme eux en public, ni me faire connaître par les moyens usuels; je dois faire une spécialité sédentaire et recevoir les malades chez moi; pour cela il faut du temps et un nom. Monsieur l'Inspecteur Général du Service de Santé, qui m'a accueilli avec la plus grande bienveillance, a très bien compris ma situation particulière. Dans le Service de Santé, il n'est guère difficile de m'affecter à un service sédentaire et de me laisser pratiquer ma spécialité dans un hôpital. Monsieur l' Inspecteur Général a eu la grande bonté de me promettre de prendre soin de moi, de m'attacher à l'hôpital militaire de la ville que je choisirai dés que j'aurai terminé mes études, d'ici un an j'espère, si Monsieur le Ministre veut bien avoir la bonté d'agréer favorablement ma demande. J'ai l'honneur de solliciter de votre Très haute bienveillance, Monsieur le Ministre, de passer à l'active et de conserver mon grade de sous-lieutenant, grade que je porte depuis quatre ans, grade que je portais quand je fus frappé aux tranchées et que j'ai toujours porté comme mutilé. La décision que Monsieur le Ministre prendra ne peut-elle pas, s'il le faut, être considérée comme une faveur, comme une récompense, une réparation ou comme moyen, pour un mutilé, d'achever son éducation professionnelle et d'entretenir honorablement sa chère épouse et une enfant bien aimé. Veuillez agréer... Lettre adressée par Auguste Depoorter à la Reine Elisabeth Sa Majesté, C'est encore vers Vous que je suis spontanément porté pour implorer aide et protection dans ma nouvelle détresse. J'ai l'honneur de porter à votre connaissance la lettre que je viens d'adresser par voie hiérarchique à Monsieur le Ministre de la Guerre. Sa Majesté mieux que personne comprendra toute la portée de ce qui me menace; c'est aussi en Sa grande bonté, Sa sollicitude maternelle à mon égard et dans l'appui énergique de son intervention toute puissante que je place toute ma confiance, pour plaider avec plein succès la cause de son enfant en péril. Veuillez agréer, Sa Majesté, l'hommage très sincère de mon profond respect et de ma reconnaissance sans cesse avivée par de nouveaux bienfaits. Votre très humble serviteur Auguste Depoorter Lettre de la Maison militaire du Roi au Ministre de la Guerre 29 septembre 1919 Monsieur le Ministre, Conformément aux instructions de S.M. la reine, j'ai l'honneur de vous transmettre respectueusement sous ce pli une requête émanant du Médecin Auxiliaire Auguste Depoorter. La Reine, dont le paraphe figure sur la pièce ci-annexée ( N.D.R.L:la lettre du Dr Depoorter à la Reine), serait très heureuse si la situation intéressante signalée pouvait faire l'objet d'un examen très bienveillant. je vous serais très obligé, Monsieur le Ministre, de bien vouloir me faire connaître la suite qu'il aura été possible de réserver à ce désir, afin de me permettre d'éclairer S.M. à sa rentrée. Veillez agréer, Monsieur le Ministre(...) Ct Delvaux Lettre envoyée au Ministre de la Guerre par le Directeur Général du Ier Bureau du Ministère de la Guerre note pour Monsieur le Ministre datée du 29 novembre 1919 : objet: le médecin auxiliaire Depoorter, A sollicite son admission dans les cadres actifs L'intéressé est amputé de la cuisse droite. Il est porteur du diplôme de premier doctorat. Il sollicite cette faveur en vue de terminer ses études, parce qu'il se trouverait dénué de toutes ressources, s'il devait quitter l'armée .Sa majesté la reine a bien voulu parapher la requête qui lui était adressée. La Ière D.G estime , conformément à la décision prise par le Ministre dans un cas analogue qu'il ne peut être donné suite à la demande de l'intéressé, celui-ci ne pouvant plus faire du service actif et la création d'un cadre d'officiers sédentaires du service de santé ne pouvant être envisagée), le Ministre accorda la permission à Depoorter de continuer ses études en restant officier. Cette dernière lettre dactylographiée est annotée dans son coin inférieur gauche manuellement par le Ministre qui se laisse influencer par la Reine: Cas très intéressant. Il me paraît équitable d'aider de grand blessé de guerre non seulement à conquérir ses diplômes de médecin, mais encore - comme il le demande - à se créer une clientèle civile. Pour cela, il lui faut la possibilité de continuer à porter la tenue d'officier et de faire du service dans un hôpital militaire. [4] Le compte rendu de la visite de la Reine à la clinique du Dr Depoorter parut dans "De Standaard" du 17 mars 1931 et dans "La Flandre Maritime " du 21 mars 31 |