Médecins de la Grande Guerre

Louise de Bettignies

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Louise de Bettignies.

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Louise de Bettignies

Louise de Bettignies

L’estaminet où Louise de Bettignies fut arrêtée. (Photo du livre d’Hélène D’Argoeuves, Paris – Librairie Plon, 1938)

Sa tombe à Cologne. (Photo du livre d’Hélène D’Argoeuves, Paris – Librairie Plon, 1938)

Le monument érigé à Lille en honneur à Louise de Bettignies

Dans le cimetière de Saint Amand les Eaux (Nord), le caveau de la famille Bettignies où repose Louise de Bettignies. (coll. Rue-des-Archives)

Première page du livre offert à Madame la Générale Weygand en souvenir de l’inauguration du monument à Louise de Bettignies. (document offert par J. Osmont)

La messe en l’Eglise Saint Maurice à Lille. (1)

La messe en l’Eglise Saint Maurice à Lille.(2)

La messe en l’Eglise Saint Maurice à Lille.(3)

La messe en l’Eglise Saint Maurice à Lille.(4)

Discours de Madame la Générale Weygand. (1)

Discours de Madame la Générale Weygand. (2)

Discours de Madame la Générale Weygand. (3)

Discours de Monsieur Salengro, maire de Lille. (1)

Discours de Monsieur Salengro, maire de Lille. (2)

Discours de Monsieur Salengro, maire de Lille. (3)

Discours de Monsieur Antoine Redier l’historien de Louise de Bettignies. (1)

Discours de Monsieur Antoine Redier l’historien de Louise de Bettignies. (2)

Discours de Monsieur René Wihaux au nom de l’Association des Anciens Prisonniers Politiques de la Grande Guerre. (1)

Discours de Monsieur René Wihaux au nom de l’Association des Anciens Prisonniers Politiques de la Grande Guerre. (2)

Discours de Monsieur René Wihaux au nom de l’Association des Anciens Prisonniers Politiques de la Grande Guerre. (3)

Discours de Mademoiselle Louise Thulliez au nom de ses compagnes de captivité. (1)

Discours de Mademoiselle Louise Thulliez au nom de ses compagnes de captivité. (2)

Discours de Mademoiselle Louise Thulliez au nom de ses compagnes de captivité. (3)

Discours de Monsieur l’Abbé de Bettignies, aumônier à Flines-lez-Raches.(1)

Discours de Monsieur l’Abbé de Bettignies, aumônier à Flines-lez-Raches. (2)

Discours de Monsieur Louis Marin, ministre des Pensions. (1)

Discours de Monsieur Louis Marin, ministre des Pensions. (2)

Discours de Monsieur Louis Marin, ministre des Pensions. (3)

Discours de Monsieur Louis Marin, ministre des Pensions. (4)

Le Banquet. (1)

Le Banquet. (2)

Le Banquet. (3)

Le Banquet. (4)

Le Banquet. (5)

Le Banquet. (6)

Le Banquet. (7)

Le Banquet. (8)

La troupe rendant les honneurs au maréchal Foch.

La minute de silence vis-à-vis du monument aux Morts.

Le monument à Louise de Bettignies.

Les drapeaux entourant le monument Louise de Bettignies.

Madame de Bettignies mère de l’héroïne et son fils l’Abbé de Bettignies.

Madame le Générale Weygand prononçant son discours.

Monsieur Marin, ministre des pensions, prononçant son discours.

La foule entourant le monument.

Le monument Louise de Bettignies dû au ciseau du sculpteur Maxime Réal del Sarte.

Ode à Louise de Bettignies.

Croix de bois placée par les Allemands, à Cologne, sur la tombe de Louise de Bettignies. Photo d’un cadre se trouvant dans la Basilique de Notre Dame de Lorette à Ablain Saint-Nazaire.

La vie généreuse de Louise de Bettignies

 

Louise de Bettignies était née le 15 juillet 1880. Sa mère était une Mabille de Poncheville. Originaire du Hainaut, les seigneurs de Bettignies avaient longtemps dépendu de la couronne de Charlemagne. Le bisaïeul de Louise, Léon-Maximilien de Bettignies, avait épousé la fille de François-Joseph Peterink de la Gohelle, fabricant de porcelaine à Tournai. En 1815, à la séparation de la France de la Belgique, la manufacture était dirigée par les deux frères de Bettignies et l'un d'eux Maximilien Joseph, l'aïeul de Louise fonda une succursale à Saint-Amand. Il réalisa de nombreuses œuvres d'art qui lui plusieurs  succès à l'Exposition de Paris et à celle de Londres en 1862. La reine Victoria en acquit plusieurs. Le père de Louise reprit la manufacture mais en 1877 mais hélas, trois ans avant sa naissance, il fallut la vendre! La famille désargentée rencontra de nombreuses difficultés et Louise perdit son père alors qu'elle était encore jeune. Elle était la septième de neuf enfants !  Courageuse et ayant une grande soif d'apprendre, elle trouva une alternative aux études qui lui étaient refusées, celle d'élargir sa culture générale grâce aux séjours à l'étranger  effectués en tant que gouvernante dans des familles fortunées!  

A la déclaration de la guerre Louise était à nouveau en France et habitait Lille. Elle envisageait à cette époque de devenir carmélite mais l’invasion l’obligea à surseoir à  ses projets. L’heure nécessitait en effet une autre sorte de dévouement et Louise  s'engagea  comme volontaire  dans l'hôpital créé par Mme Féron-Vrau à Lille. Elle y soigna de nombreux Allemands  qui louèrent ses bons soins ! Il faut dire  que Louise était avantagée par rapport aux autres volontaires par  son aisance à parler  la langue germanique. En fait, Louise était  polyglotte. Elle  avait appris l'anglais au Girton College d'Oxford  en 1906 à l'âge de 26 ans. Ensuite, elle étudia l'italien en séjournant près de Milan chez les Visconti. Sa connaissance de l'allemand  provenait d'un séjour  de  quelques semaines à Cologne puis à Lemberg chez le comte Mickiewicz. Plus tard encore, elle acquit de bonnes connaissances du tchèque en  Bohême chez le prince Carl Schwarzenberg-Worletz. Pour terminer son apprentissage, elle séjourna  au château d'Holeschau, en Autriche chez la princesse Elvira de Bavière.  C'est à cet endroit qu'elle eut l'occasion de s'entretenir  avec l'archiduc François-Ferdinand qui lui proposa de devenir l'éducatrice de ses enfants à condition de renoncer  à sa nationalité française. C'était évidemment trop demander à une patriote comme Louise ! Toujours dans ce même château, elle eut l'honneur de jouer aux échecs avec le Kromprinz Rupprecht de Bavière. Cette rencontre  lui sera très utile un peu plus tard comme nous le verrons dans les lignes qui suivent! Louise était une jeune femme de petite taille mais d’une énergie peu courante. Sportive, elle était bonne cavalière, vaillante au golf, excellente nageuse et endurante à la marche. Elle était sûre d’elle-même ; ses yeux pétillaient de malice et sa  belle chevelure opulente et brune  rajoutait à son très fin visage  un charme très particulier.   

Quand Lille fut occupé par les Allemands, Louise arrêta son travail d'infirmière pour se consacrer à une tâche tout aussi importante: aider les habitants de Lille à communiquer avec leurs parents et soldats se trouvant dans la France non occupée. Louise   quitta la ville le 11 janvier 1914 avec 300 lettres  écrites au jus de citron sur son jupon. Arrêtée par un soldat à la gare de Péronne, elle  vit un groupe d'officiers d'etat-major et, parmi eux, elle reconnut le  Kromprinz Ruprecht de Bavière!  Rusée, elle vit alors dans l’illustre personnage la solution à sa situation et s’adressa à lui à propos de sa partie d'échec! Le prince reconnut Louise (elle ne passait pas inaperçue!) et la  gronda  de se trouver  dans la  zone des armées ! Sous l’influence du charme de Louise, il lui  procura cependant  un précieux laissez-passer qui lui permit de poursuivre son voyage en  toute sécurité ! L'intrépide Louise, ayant obtenu ce quelle voulait, traversa alors avec facilité  la Belgique pour rejoindre  la Hollande. De là, elle s’embarqua pour l'Angleterre puis traversa à nouveau la Manche pour revenir derrière les lignes françaises. A Amiens, elle apprit d'un ami de la famille, la mort de sa sœur Marie à Lourdes et la présence de sa maman à Lille! A Saint-Omer, elle posta son  courrier ! Ce n’était pas une tâche facile : il fallait, après avoir repassé au fer chaud l’étoffe de la robe pour faire  réapparaître les textes, la découper ensuite puis recopier les 300 messages sur trois cents lettres !  C’est durant ce travail qu’elle fut  contactée par un officier anglais du deuxième bureau le 1  février 1915. Cet officier, qui  avait  appris le dévouement et la débrouillardise dont Louise avait fait preuve pour ramener du  courrier de Lille, lui demanda de retourner espionner l'ennemi dans la France occupée et cela au profit de l’armée anglaise. Louise, perturbée par cette demande, prit alors conseil auprès de son confident le Père Jésuite Boulengé  et finalement accepta la dangereuse  mission ! Rejoignant Boulogne, elle embarqua  pour Londres où elle  reçut formation et instructions !

Après ce séjour en Angleterre, elle reprit le bateau pour la  Hollande et traversa à nouveau la Belgique  pour finalement  rejoindre, à une heure de marche de la frontière belge,  son frère Henri qui était  prêtre à Orsinval près du Quesnoy. Ce dernier  obtint  des Allemands pour sa sœur   un laisser- passer  pour Lille au nom d'Alice Dubois, réfugiée de Neuve-Eglise, village situé alors dans une zone occupée par les Anglais, ce qui évitait les chances d’une enquête valable. Ce nom d’emprunt donnera naissance au "service Alice" que Louise, dès son retour à Lille, parvint à organiser  en un temps record… de deux semaines!  Parmi les collaborateurs précieux  qu'elle recruta, comment ne pas mentionner  monsieur et madame de Geyter à Mouscron! Monsieur de Geyter, ingénieur chevronné, constitua un véritable laboratoire chez lui pour aider le réseau Alice à miniaturiser les messages à transmettre aux Anglais! Un autre collaborateur de valeur fut  M. Willot, professeur à la Faculté catholique de médecine de Lille. Ce dernier donna à Louise des informations très précises  sur le dépôt de munitions de Tourcoing. Avant de poursuivre sa collaboration avec Louise, il demanda à ce que Louise prouve l'efficacité de son réseau en demandant aux  anglais de bombarder ce dépôt à l'heure et au jour propice qu'il avait  indiqués dans son rapport. Aussi incroyable que vrai, les Anglais donnèrent suite à cette demande de preuve!  Au jour et à l'heure fixés, le dépôt fut bombardé et explosa! Le major Cameron avait voulu offrir  cette preuve de confiance envers le "service Alice"!

Beaucoup d'autres collaborateurs furent d'un courage à tout épreuve, il y  eut par exemple le chef électricien Marsille qui tenta de rétablir la liaison téléphonique souterraine entre Lille et Armentières où se trouvaient les alliés. Marsille  se fit désigner pour travailler dans une brasserie proche de l'endroit où avait été coupé le câble. Bien que surpris deux fois par l'ennemi, il renoua le fil mais celui-ci ne put hélas servir longtemps. L'abbé Pinte quant à lui consentit à rétablir le poste TSF de l'institut technique de Roubaix avec le matériel que Louise alla chercher  en Angleterre! Et puis il y avait aussi les dizaines d'observateurs du trafic ferroviaire. A Roubaix, Madame Levengle logeait dans une maison qui dominait la cour de chargement des voies. A l'étage en-dessous, ses deux fils notaient les coups frappés suivant un code convenu. A Haubourdin, gare qui commandait le front de l'Artois, Mlle L'Hermite à la tête d'un groupe que dirigeait l'abbé Chavatte, rendit  d'énormes services.

Parmi les femmes qui l'entouraient, Léonie Vanhoutte tint une place prépondérante. Cette jeune femme lui sera  d’une aide précieuse  pour porter d’innombrables courriers.  Louise avait aussi organisé à Lille un bureau pour ceux qui désiraient rentrer en France libre. Il en fut ainsi du capitaine de Marguerie qui, par après, avec le grade de commandant gagna la Légion d'honneur. 

Louise effectuait un voyage chaque mois à Folkestone. Elle se servait pour ses messages d'un papier de soie format papier à cigarette et avec une plume fine on parvenait à y écrire plus de deux mille mots dans un alphabet spécial. Ces messages étaient ensuite cousus dans l'ourlet d'un sac à main ou d'un vêtement, roulés autour d'une baleine de corset, glissés dans des cheveux, mêlés au tabac d'une cigarette, mis dans le creux d'un bouton ou d'un talon de soulier. Quand le rapport était court, Louise mouillait et retirait l'étiquette d'une boîte d'allumettes, posait le pli et la recollait, mais un policier garda  un jour le tout  pour allumer sa pipe. Le service Alice parvenait aussi à écrire des centaines de mots avec une encre sympathique  sur des cellophanes transparents collés sur les verres d'une paire de lunettes!  Sa ruse la plus curieuse fut de reproduire un plan sur la partie non imprimée d'un vieux journal allemand, brûlé au milieu et tâché de graisse. Pour décourager tout fouilleur, elle enveloppa dans ce journal  une vieille paire de chaussures à l'aspect peu appétissant!

Entre Lille et  Bruxelles, Louise circulait comme professeur de littérature  munie d'un passeport spécial et d'un gros dictionnaire franco-allemand dans lequel étaient souvent glissés quelques fins papiers. Elle se fit aussi vendeuse de lapins ou de fromages mais c'était sans compter sans sa distinction naturelle qui risquait de la faire trahir. Un jour une brave femme lui dit " C'est bien facile de voir, qu'avant la guerre Mademoiselle ne vendait pas de fromages". Cette phrase fit réfléchir Louise qui abandonna les déguisements trop peu en accord avec sa nature profonde!

L'efficacité de Louise était tout simplement surprenante car les renseignements parvenaient aux alliés en 24 heures. Quand elle apprit par un de ses agents  la venue de l'empereur Guillaume à Lille, elle fit savoir aussitôt le jour, l'heure, le numéro du quai où s'engagerait le train. Celui-ci, entré en gare de Fives, fut bombardé par quatre avions anglais qui malheureusement ratèrent leur cible.

Pour se rendre en Angleterre et remettre ses précieux renseignements, Louise traversait la Belgique puis franchissait la frontière hollandaise avec un passeur. Elle employa surtout les passages au nord de Turnhout et de Gand. De Gand elle marchait 9 km jusqu'à Bouchaute    habitaient  de nombreux patriotes comme  Emma la passeuse, Léonie Rameloo, les frères Dhollander. (Léonie Rameloo et Hubert Dhollander furent d’ailleurs fusillés par l'ennemi !)

Bouchaute, le dernier village avant la frontière était bien gardé. Avant d’arriver au bourg, la route était coupée par la voie ferrée et ne pouvait franchir celle-ci au passage à niveau que les habitants du village. A quelques mètres de la barrière, il fallait dételer les véhicules devant l’estaminet d’Edmond Hollander. Les passagers étaient ensuite cachés dans la paille jusqu’en pleine nuit. Durant la relève nocturne de la garde, toutes les deux heures, la garde descendante  s’en va réveiller la garde montante dans le poste et cela dure quelques minutes. Toutes les deux heures le passage à niveau reste quelques instants sans surveillance et c’est à ce moment qu’il faut passer ! Le passage reste cependant très dangereux surtout lorsque la lune est pleine !

Le chemin de fer franchi, avec son passeur, Louise traversait alors le village puis  les polders pour atteindre Philippine en Hollande et son auberge "An der Swan" où elle pouvait prendre quelques heures de repos avant de continuer son voyage.

 Plus tard ce fut Alphonse Verstappen qui devint son passeur favori. Le chemin vers la hollande emprunta alors un autre chemin.  Alphonse fit franchir la frontière à plus de 450 soldats français, belges  et Anglais. En 1915, il passa de Bruxelles en Angleterre des fonds russes destinés à établir une fabrique de munitions. Arrêté par les hollandais qui ne badinait pas avec leur neutralité, il choisit de se réfugier en Angleterre et s'engagea dans l'aviation jusqu'à la fin de la guerre. Après la guerre il devint mineur près de Charleroi. Il habitait à Beersse sur les bords du canal d'Anvers à Turnhout.

Le troisième mardi de chaque mois, venant de Lille elle montait à Bruxelles dans la carriole à bâche du boulanger Auguste Heylin. Près de Vorsselaer, elle retrouvait Alphonse. Par les bois, ils rejoignaient ensuite le canal qu'il traversait puis arrivaient à Beersse où il fallait traverser le pont gardé par deux sentinelles. Madame Verstappen allait à leur rencontre et revêtait Louise d'une longue blouse de couleur comme en portaient les ménagères. Elle roulait alors ses cheveux en chignon serré et  mettait dans un panier à lessive sa jaquette et son chapeau. Les deux femmes passaient alors le pont, chacune tenant une poignée du panier. En cas de surveillance accrue,  Alphonse faisait passer le canal à Louise grâce à deux barques improvisées avec des baquets à lessive dirigés par une perche. Dans des circonstances exceptionnelles, Alphonse pouvait aussi faire  traverser le canal par un  boyau souterrain rempli de détritus et de rats. A Den Hout, de l’autre côté du canal, Louise pouvait se reposer et se sécher dans le petit estaminet que tenait Alphonse.  Louise dans toutes ses pérégrinations avait l'habitude de ralentir Alphonse car à chaque fois qu'elle rencontrait sur son chemin  une chapelle ou une croix, elle s'y arrêtait toujours pour s'y recueillir quelques instants. "C'est plus  fort que moi dit-elle un jour à Alphonse, quand même je serais tuée, il faut que je fasse un bout de prières."

Le soir Alphonse et Louise reprenaient la route et passaient devant la colonie pénitentiaire de Merkplas  transformée en caserne où logeaient les troupes allemandes chargées de la surveillance  de la frontière. Trois cents mètres plus loin, il restait à franchir  la frontière que l'on franchissait en sautant fossés et haies touffues.  Une fois la patrouille rodait dans les parages et ils durent faire un détour et passer un  gué, Alphonse portant Louise sur ses épaules!  Vers juillet 1915, les Allemands installèrent le fil électrique et Louise le passa à cet endroit deux ou trois fois avec un cadre en bois isolé électriquement grâce au pneu de bicyclette qui le recouvrait. De l'autre côté des fils il fallait  encore faire cinq kilomètres à pied en Hollande pour atteindre Baarle. A cet endroit Louise prenait le train pour Rotterdam, La Haye ou Flessingue où  elle s’embarquait vers 3 heures dans un navire. A minuit, elle était à Folkestone et le samedi elle était déjà  de retour à Baarle-Nassau où l'attendait Alphonse. Louise revenait chaque fois avec les instructions de service et une somme oscillant entre 10.000 et 50.000 francs!

La courageuse espionne  vécut des quantités de situations qui pouvaient la faire jeter en prison. Son assurance naturelle exceptionnelle, son audace lui permettait de se tirer d'affaires sans trop de difficultés  Un jour  qu’elle était descendue à une gare précédant la frontière franco-belge, des soldats allemands  rassemblèrent tous les voyageurs  pour un contrôle d'identité. Louise avait le manchon de son parapluie rempli de plis. On lui demande de passer dans la pièce à côté pour y être fouillée. Elle s'adressa à la femme qui allait la fouiller. "Madame je voudrais passer à côté, mais c'est très sale, pourriez-vous me garder un instant ce manchon? La femme le prit sans méfiance et le posa à côté d'elle sur une table. Quand Louise revint de la fouille, elle la remercia avec effusion…reprit son manchon et sortit!

Une autre fois elle est arrêtée par un espion allemand à Lille et conduite au poste de police.

L'espion affirme avoir aperçu Louise dans le bateau de Douvres à Rotterdam! Louise va sans doute être arrêtée quand elle  décide alors de s'adresser directement à un officier:

- Je suppose que l'on ne va pas me laisser ici toute la nuit! J'ai été arrêtée par un inconnu parce que prétend-il je ressemble à une personne qu'il a vue su un bateau, je n'y peux rien et c'est bien désagréable pour moi!  L'officier réfléchit et finalement  l'autorisa à quitter le poste pour  loger chez une Française qu'il connaissait.  Le lendemain, l'officier, encore sous le charme de Louise, lui proposa  même de la conduire  en véhicule à Gand où il devait se rendre! Louise accepta  de tenir compagnie à l’officier et  prit même  soin de remettre deux cent francs à son sauveur avant de continuer sa route vers la Hollande!

Le réseau Alice permit plusieurs fois la destruction des canons qui tenait le secteur de Lille. Quand French hésita d'attaquer la position des Aubers, Louise pu rencontrer un soldat sous l'uniforme ennemi qui était Alsacien. Ce dernier  parvint à lui livrer  l'ordre de bataille de la Vème et VIème  armées allemandes ! French put s'apercevoir grâce à ces renseignements qu'il avait une chance de remporter la position d'Aubers et il en ordonna l'attaque.  

Au début septembre, le major Cameroun prévint Louise d'être sur ses gardes: des bruits de trahison circulaient. Elle accepta le conseil du major d'aller se reposer quelques jours en France libre, au Touquet, chez belle-sœur. C’est là qu’elle ressentit la prémonition de sa capture ; en  quittant sa famille, elle leur dit "Embrassons nous bien, j'ai fait le sacrifice de ma vie, nous ne nous reverrons plus! »

 Quelques jours après, Louise apprit l'arrestation de sa compagne Léonie Vanhoute mais néanmoins, elle  continua  ses activités habituelles. Après avoir pris réception du courrier pour l'Angleterre, elle se mit en route  pour passer le poste frontière de Froyennes. Tournai n'était  pas loin mais il fallait franchir le poste frontière à hauteur du café du "Canon d'or" qui servait de bureau pour les sentinelles allemandes. Cette fois là, un ordre vint bouleverser les plans de Louise  « Aujourd'hui, on ne passe pas, il faut rentrer là pour la fouille » ordonna la sentinelle!   Dans l'estaminet  se trouvait "La Grenouille", policière allemande surnommée ainsi par ce qu’elle était toujours vêtue de vert. Louise ne put échapper à la fouille et commença à dégrafer sa robe dans le dos, ce qui lui permit de faire glisser sa bague, d'en retirer un pli et de le porter à la bouche d'un geste naturel! Hélas un soldat qui s'essuyait les mains dans une annexe donnant sur l'estaminet par une porte vitrée, cria: « Ach! Gott! Cette femme est une espionne: elle avale quelque chose! » Un policier aussitôt  lui donna à boire un vomitif mais Louise  lui cracha la première gorgée! Furieux, un soldat lui asséna  un coup de crosse dans la poitrine! 

On enferma ensuite Louise à la prison de Tournai puis dans celle  où se trouvait déjà Léonie Vanhoutte. L'instruction commença.  Les Allemands firent un rapprochement entre le réseau de  Louise et celui de Léonie inculpée pour passage d'hommes et de lettres car ils avaient trouvé dans les papiers des deux femmes une adresse identique : 64 rue des Aduatiques, à Bruxelles. Evidemment les deux femmes, chacune dans leur cellule, prétendirent ne pas se connaître mais l'ennemi rusa en  introduisant dans la cellule de Louise une détenue qui se nommait dit-on Ladrière et qui, en réalité, avait été achetée par les Allemands. Ladrière se fit passer aux yeux de Louise pour une prisonnière ayant fait partie du réseau d’Edith Cavell. Elle se vanta de pouvoir délivrer un message de Louise  à un autre détenu. Louise tomba dans le piège en lui remettant  un message  qu’elle rédigea pour  Léonie !  Ladrière  remit alors  le pli aux autorités de la prison, ce qui permit de prouver le lien  incontestable entre Louise et Léonie!  Léonie fut alors réinterrogée. Ayant passé six mois de privation en prison, elle avoua finalement toutes les activités du réseau  Alice, persuadée que Louise ne se taisait plus!  Le 16 mars 1916, les deux amies furent jugées et condamnées à mort.  Après la séance où la sentence fut prononcée, Léonie et Louise purent  enfin s'embrasser et parler librement quelques instants. Pour prolonger la conversation, Louise, en parlant allemand, pria  le chauffeur qui devait les reconduire à la prison de  faire un détour pour donner à leur conversation un peu plus de temps: "Ne rentrez pas trop vite, il ya six mois que nous sommes en prison!" Le chauffeur  se montra bon pour les deux condamnées à mort  et obtempéra au souhait de Louise. Le 23 mars, la peine de mort fut commuée par Von Bissing en détention perpétuelle, sans doute parce que le meurtre de Miss Cavell était trop récent pour rééditer pareille forfaiture!  Louise  séjourna encore un mois à Saint-Gilles avant de rejoindre la prison de femmes de Siegburg non loin de Cologne.

 L’enfermement ne lui avait pas enlevé  son âme rebelle et elle se fit vite remarquer en  protestant  de la coexistence des prisonnières politiques avec celles  de droit commun ! Elle obtint  gain  de cause dans cette affaire !   Le régime de prison était extrêmement dur à Siegburg. Louise raconta avoir vu  une jeune femme contrainte, malgré les températures très basses de l’hiver,  de répandre avec un seau tout un tonneau de vidange sur le jardin. Elle succomba peu après. Une autre qui vomissait du sang était obligée à travailler à la briqueterie. Quand une prisonnière tombait malade, le médecin se contentait de prendre son nom et lui disait "sortez" après avoir parfois prescrit ses uniques remèdes qui  consistaient en aspirine ou en éther.  Louise fit un nouveau  scandale dans la prison quand elle refusa de travailler à assembler des munitions. On l'enferma  alors au cachot 48 heures puis on lui supprima toute correspondance, livres, journaux. Louise ne changea pas pour autant  d'opinion. On lui retira alors ses habits civils pour la vêtir du costume de prisonnières : une robe de coton brun clair et un fichu. On la jeta ensuite  dans une cellule glacée ou pendant deux jours elle grelotta de froid. Finalement les autorités renoncèrent à faire fabriquer par les prisonniers politiques des munitions mais la santé de Louise ne se remit jamais de cette victoire chèrement acquise. Pour aggraver le tout, peu de temps après,  le typhus fit ses ravages dans la prison et Louise fut contaminée. Léonie Vanhoutte la  soigna avec dévouement. Le calvaire de Louise, hélas, ne s’arrêta pas là car bientôt apparut  un abcès entre deux côtes, à l'endroit où elle avait reçu le coup de crosse au « Canon d'Or ». Il fallait une intervention. Le 15 avril un jeune chirurgien l'opéra dans l'infirmerie qui venait de servir aux typhiques, un local sans lumière et sans feu! La plaie opératoire ne voulut pas guérir et, le 25 juillet, Louise fut transférée à Cologne au "Marien-Hospital" tenu par les sœurs de Saint-François. Sur sa demande elle reçoit la visite d’un père Jésuite, le Père Cadow qui obtint avec peine de la voir sans témoin. Dans une petite chambre, Louis montre au prêtre sur la table ce qu’elle a aimé : une photographie de sa mère, son chapelet, au-dessus un petit drapeau français, une image pieuse sur laquelle son confident, le père Boulengé avait écrit « Aimer dieu c’est bien, travailler pour lui c’est mieux, souffrir pour sa cause, c’est la perfection ». Louise aime converser avec le Père Cadow et lui dira au sujet de ses juges : « Ils n’étaient pour moi que des malheureux, obligés d’exécuter une consigne qui était leur devoir. »

Le 17 septembre, on rappelle le prêtre.  Louise lui dit « Mon Père, je sens que c’est la fin ». Elle meurt après avoir reçu l'extrême –onction. Ses beaux cheveux furent coupés pour être envoyés à sa mère. Les sœurs l'ensevelirent au petit cimetière de Westfriedhof. Après l'armistice les vainqueurs occupèrent les rives du Rhin et le 20 février 20, en grande pompe son corps fut extrait de la terre allemande. Les troupes font la haie, un cortège se forme à la porte de Venloer avec en tête la musique du 19ème régiment du Midlesex. Des soldats portent des grandes couronnes de fleur. La famille est représentée par son frère l'abbé de Bettignies. Des généraux suivent le cercueil: le général Desgouttes, commandant en chef des armées du Rhin, le général anglais Fuller, le général belge Michel. Dans l'église Saint Géréon, l'aumônier  français évoque ses vertus puis ce sont les discours devant le wagon funéraire. Le 16 mars, la cérémonie s'achève à Lille avant le transfert à Saint-Amand ou une foule immense s'est donnée rendez-vous au seuil de l'église Saint-Maurice. Dix ans plus tard, en novembre 1927, c'est l'inauguration du monument érigé sous la présidence de la générale Weygand, face aux remparts de Lille.

Qu’est devenue Léonie Vanhoutte : quelques semaines après la mort de Louise, elle rentra libérée en France et fut décorée de la croix de guerre en 1919. Un journaliste, Antoine Rédier mena une enquête pour reconstituer la vie du réseau Alice. Léonie fut interrogée et accompagna Antoine Rédier durant son investigation. Le livre D’antoine Redier « La guerre des femmes »  d’armes » fut édité en 1924 et Léonie se maria finalement avec son biographe en juillet 1934.  A la fin des années trente, un film « Sœur d’armes » de Léon Poirier, basé  sur le livre d’Antoine Rédier, rappellera l’aventure patriotique de Louise et de Léonie.         

 

Dr Loodts Patrick

 

 

 

Biographie

-          Hélène d’Argoeuves, Louise de Bettignies, Editions Plon Paris, 1938

-          Antoine Redier, La guerre des femmes, Editions de la vraie France, Paris, 1924

-          Léon Poirier, « Sœurs d’armes » Photographies du film, Tours Maison Mame, Paris, 1938

-          Jean-Marc Binot, Héroïnes de la grande Guerre, Fayard, 2008





Monsieur Pierre Coulon raconte :


Il y a deux ans, je suis allé interviewer un vieux monsieur dont la mère a été emprisonnée à Siegburg pour avoir caché des soldats français se trouvant derrière les lignes allemandes.
Voici un extrait de cette interview.


"Ma mère est partie en train en Allemagne accompagnée par deux soldats allemands. Elle est arrivée à la prison de Siegburg. La directrice de la prison où il n'y avait que des femmes dont beaucoup de Belges l'a accueillie. Qu'est-ce que vous avez fait pour arriver ici ? J'ai caché des soldats français pris derrière les lignes. Madame, je vous félicite, à votre place, j'en aurais fait autant. En allant à sa cellule, elle a vu des prisonnières qui allaient et venaient car elles travaillaient ; certaines faisaient le service, s'occupaient de la nourriture. Elle s'est mise à pleurer. Les autres détenues lui ont remonté le moral. Deux jours après, on vient la chercher pour empiler des briques chaudes, quasi brûlantes, qui sortaient de la fabrique pour les mettre en tas. Elle a fait ça pendant plusieurs mois et en a attrapé des varices et un ulcère dont elle a souffert toute sa vie. Ils ont estimé qu'elle ne pouvait plus faire ça. Elle s'est retrouvée à vider les pots de chambre de toutes les cellules. Elle ne pouvait pas causer aux prisonnières. Tous les mois, les prisonnières recevaient un colis américain de 5 kilos. Elle a ainsi eu accès au cachot de Louise de Bettignies, la grande héroïne française. Elle avait fait de l'espionnage. Elle était au cachot, au pain et à l'eau et dans un sous-sol pas chauffé. Elle était dans une misère effroyable, mais ne voulait pas céder aux Allemands. Elle ne voulait ni travailler, ni leur obéir. Vous allez vous faire mourir, lui disait ma mère. Ayant accès à toutes les cellules, avec les colis américains (il y avait sinon tout juste de quoi survivre) ça les aidait. Elle a demandé aux détenues, un sucre, un morceau de chocolat, un petit gâteau. Elle mettait ça dans sa poche. Tous les jours, elle cachait cette nourriture dans le papier toilette. Louise de Bettignies est quand même morte là-bas, de froid."

© P.Loodts Medecins de la grande guerre. 2000-2020. Tout droit réservé. ©