Médecins de la Grande Guerre
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Le général Leman, commandant de la
Place Forte de Liège, fit gagner un temps précieux aux Alliés Le 10 janvier 1914, Le Premier Ministre le comte de Broqueville faisait savoir au général Leman qu'il avait songe a lui pour remplir les fonctions de commandant de la 3e Division d'Armée et de la position fortifiée de Liège. Le 17 janvier, le général Leman remet au ministre un résume de ses réflexions personnelles. Après avoir, avec une conscience scrupuleuse, examine le rôle que devraient lui assigner en temps de guerre ses aptitudes particulières, il conclut : « A mon avis, ma désignation pour la 3e Division d'Armée serait une faute au point de vue de la défense nationale. » Le 21 janvier, le ministre lui répond : « Il me peine beaucoup, mon cher Leman, de devoir vous imposer pareil sacrifice ; mais vous avez le cœur trop haut « place pour ne pas comprendre que, surtout pour un a ministre, la voix du devoir doive faire taire celle de l'amitié, si pénible soit-il. Vous êtes en ce moment le seul homme qui puissiez occuper cette haute situation avec l'ensemble des qualités requises, qui y sont absolument nécessaires. » Désigne définitivement pour prendre le commandement de la 3e Division d'Armée et de la position fortifiée de Liège, le général Leman quitte l'Ecole militaire le 31 janvier 1914. Depuis de longues années, Leman avait prédit le danger venant de l'Est. Il était convaincu que ce danger devenait chaque jour de plus en plus menaçant. Aussi, des son arrivée à Liège, il ne perd pas un instant. Il se met avant tout en devoir de renforcer l'instruction de ses troupes et d'exiger une discipline plus stricte ; il impose et surveille la parfaite mise en état des forts. Il infuse à sa division un esprit nouveau. Tout, ou presque tout, est à faire quand le général Leman arrive à Liège ; la préparation de la place était absolument insuffisante. A l'indigence des moyens matériels il supplée par les ressources inépuisables de son activité. Sa mission est rendue très difficile par le fait qu'il commande une position construite d'âpres une conception qu'il condamne : parlant, en effet, des idées de Brialmont sur la défense de la Belgique, Leman, malgré son admiration pour son grand maitre dit : « Je suis l'adversaire résolu du système qui consiste à fortifier un point stratégique par un chapelet de forts isoles ; adversaire aussi du système consistant à garnir les forts de grosse artillerie. J'en ai fait la déclaration formelle à Brialmont lui-même, et quand j'ai pris la « direction des études à l'Ecole Militaire, j'ai combattu outrance ces systèmes vicieux. Pour Leman, l'artillerie doit être mobile et être placée en arrière de tranchées continues dans les intervalles des forts. Ceux-ci munis d'armes automatiques, doivent jouer le rôle d'ouvrages d'infanterie particulièrement puissants. Les événements de 1914, la défense de Verdun, l'expérience de toute la guerre lui ont donné raison. Pareille transformation de la place ne pouvait être faite en quelques mois ; elle aurait constitué une véritable révolution de notre système de défense ; or, il fallait aller au plus pressé. Tout en s'occupant activement de renforcer la défense de la place il veille à ce que sa garnison soit constamment en manœuvres. Un jour qu'il galopait sur la crête de Sart-Tilman, crête dominant à la fois la vallée de la Meuse et celle de l'Ourthe : « C'est par là qu'ils nous attaqueront » dit-il à son état-major. Quelques semaines plus tard, c'était par là qu'ils nous attaquaient. Dès l'attentat de Sarajevo, il est convaincu de l'attaque imminente. Il redouble d'activité et, mettant à contribution les talents et l'initiative de chacun, se sert de toutes les bonnes volontés que groupe autour de lui son puissant ascendant. Il réquisitionne des ouvriers civils. Il se plaisait à répéter avec quel patriotisme la population de Liège et des faubourgs lui avait été dévouée. Cependant devant toutes les mesures nouvelles et catégoriques qu'il prend, des objections administratives lui sont adressées ; il les néglige, tant il a conscience de sa mission, et il va de l'avant. Il avait fait miner les ponts, les tunnels et les routes. Les moissons qui étaient dans le champ d'observation de l'artillerie furent détruites, les bois et les maisons rasés. Voici le soldat rendu tout entier à sa vocation première par l'imminence de l'agression. L'atavisme avait mis en lui un cœur de guerrier, sa longue vie d'enseignement a développé ses aptitudes de conducteur d'hommes. Il va donner la mesure de sa valeur. Il faut citer ici, à l'éternelle louange du défenseur de Liège, les justes paroles d'un journaliste belge: « Leman a été l'organisateur et le préparateur. C'est son titre de gloire. Personne ne le lui ravira. Il aimait passionnément son métier de soldat et de chef. Toute sa vie, par l'étude, les exercices physiques, la méditation solitaire, il s'était préparé en vue de l’heure formidable où il pourrait être appelé à défendre une place forte ou à commander une armée. Rien ne s'improvise en ce bas monde, la part du hasard est infiniment moins grande que le vulgaire ne le croit. La défense de Liège a été la résultante de quarante ans d'étude, de discipline, d'un constant et énergique effort. Quand vint le moment de faire ses preuves et de donner sa mesure, Leman, esprit ouvert et cultivé, ardent soldat, chef rigoureux et autoritaire, se trouva prêt (M. Fernand Neuray, La Nation belge du 22 octobre 1921). Avec la 3e Division, la 15e brigade et la garnison de la place et des forts, il arrêtera la puissante armée de von Emmich. Avec quatre escadrons de lanciers de 90 chevaux chacun, il surveillera 35 kilomètres de frontières. Le 2 août au soir, l'ultimatum de l'Allemagne est remis au ministre des Affaires étrangères de Belgique. Dans la même nuit parvient au ministre d'Allemagne la fière réponse du gouvernement belge. Le 4 août les Allemands passent la frontière. Le général Leman ne dispose que d'une trentaine de mille hommes pour couvrir la place. Les colonnes d'assaut tentent immédiatement de franchir les intervalles des forts. Avec des forces infiniment inferieures, les détachements belges les arrêtent, et le général-major Bertrand, exécutant les ordres de son chef, repousse les Allemands dans le sanglant combat de Rabosée. Les Allemands se retirent avec des pertes importantes. Ce fut l'éternel regret du général Leman de n'avoir pu disposer à ce moment des réserves nécessaires pour poursuivre l'ennemi et tirer ainsi parti de ce splendide succès. Il frémissait encore de colère en disant la rage qui s'empare d'un chef devant une impuissance aussi cruelle. Des bureaux de l'état-major, établis rue Sainte-Foy, le général Leman avec une promptitude stupéfiante, règle tous les détails de la défense et au milieu de difficultés simultanées, donne des milliers d'ordres. On lui communique téléphoniquement des renseignements qu'il devine faux ; une intuition certaine l'avertit de la présence au téléphone d'espions allemands. Il lui faut déjouer les manœuvres de cette troupe clandestine d'espions qui se terre autour de lui, découvrir instantanément le faux du vrai, agir avec obstination dans cette lutte sans espoir. Leman est réellement l'âme de la défense ; ses forces vives rayonnent ; on sent partout sa volonté. Les Allemands connaissent si bien la valeur de ce chef, qu'ils vont tenter de s'emparer de lui. Le 6 août a lieu l'attentat de la rue Sainte-Foy ; quelques heures après le général Leman fixe au fort de Loncin son poste de commandement. Au lieu de se retirer de Liège en prenant le commandement de sa division, il estime que son devoir est de conserver le gouvernement militaire de la place, afin de coordonner la défense et d'exercer une action morale sur les garnisons des forts. Sa présence dans le fort de Loncin a une portée dépassant de beaucoup celle que l'on serait tenté d'abord de lui attribuer. Le fait de s'y enfermer implique, en effet, pour tous les forts, l'ordre immuable de tenir et de résister jusqu'à l'ultime limite. Il y a quelques mois, le Roi, dans un discours à l'Ecole militaire, a jugé en ces nobles termes, l'héroïque sacrifice de Leman : « En s'enfermant dans le fort de Loncin, le « général Leman a donné un exemple de résolution et de sacrifice que la postérité retiendra comme un acte de « pur héroïsme. » Cependant les troupes fraiches allemandes, grâce à leur supériorité numérique, menacent de déborder la position à la fois par le nord et par le sud. Le 6 août dans la journée, la 3e division et la 15e brigade après s'être battues avec acharnement sur la ligne des forts les 4 et 5 août, et le 6 au matin, sont obligées de battre en retraite. Le général Leman a confié le commandement de la retraite au général Bertrand, le vainqueur de Rabosée (La bataille de Rabosée en Belgique fut la première bataille où les troupes belges entrèrent en contact avec les forces allemandes durant la Première Guerre mondiale). Les forts continuent à tenir, paralysant la marche du gros de l'armée ennemie ; l'Allemand pour les réduire amène son artillerie de siège, et, les uns après les autres, ils sont démolis après une héroïque résistance. Toutefois Loncin résiste encore. Le fort, qui est placé sous les ordres du commandant d'artillerie Naessens, bat de ses feux la route et la voie ferrée de Bruxelles ; il est le principal obstacle qui s'oppose encore à l'avance des armées de l'envahisseur. Le 15 août, un choc effroyable secoue le fort. Le général Leman monte sur le glacis, ramasse un morceau de projectile et reconnaît un éclat d'obus de 42. Il savait que nos forts n'avaient pas été construits pour résister à des projectiles de cette puissance ; il n'y avait plus d'illusions à se faire. Peu après, d'autres obus de même calibre tombent sur le fort ; le dernier met le feu au magasin aux poudres ; le fort saute, et on ramasse Leman évanoui, gravement blessé, et le corps couvert de brûlures. Le général Leman, lorsqu'il évoquait ces heures tragiques, contait avec une émotion profonde l'enthousiasme qui avait enflammé les artilleurs pendant cette lutte acharnée ; leurs cris de « Vive le Roi » à chaque coup de canon qui portait. « La veille du 15 août, écrit Leman, la mort était proche, les hommes le savaient. Les misérables paroles humaines devenaient impuissantes. Il fallait à ceux qui allaient mourir un plus haut aliment : ceux qui croyaient en Dieu reçurent leur pain de vie dans un recueillement grave qui me saisit de respect : chacun de nous éleva son âme vers un espoir éternel. L'être humain altéré de lumière sent, aux heures tragiques, l'impérieux besoin de quelque haut et possible idéal. » Une énergie surhumaine, nourrie par l'exaltation patriotique soutenait les hommes dans cet antre obscur, par une écrasante chaleur, dans cet enfer où les gaz de la poudre serraient la gorge, où un tonnerre indescriptible ébranlait les murailles. Dans une lettre du 14 mai 1918, adressée à un ami, le général Leman dit : « La mort était là certaine ; je « pensai à ma mère, à mes enfants ; ensuite je pus intégralement m'abstraire. La sérénité absolue entra en « moi et y demeura. Qu'un homme est fort quand il « domine la mort. » Lorsqu'on releva Leman et qu'il reprit connaissance, s'avança vers lui un officier allemand qui lui donna à boire. Prenons ici son carnet de notes écrit en captivité. « Le Capitaine Grüson, du 163e régiment d'infanterie allemande, m'a porté secours au fort de Loncin et m'a ensuite fait prisonnier. » La première parole du blessé, en reprenant connaissance, fut pour demander que le rapport relatant sa captivité mentionnait qu'il avait été fait prisonnier hors d'état de combattre. Le général Leman fut conduit au Palais des Princes-Evêques de Liège. C'est là que le commandant de l'armée allemande de la Meuse, le général von Emmich, lui adressa ses félicitations pour la belle défense de la place. C'est là aussi que le gouverneur militaire de Liège, le général von Kolewe, lui remit, sur l'ordre de son empereur, un sabre en témoignage d'admiration. Le rapport de l'état-major allemand dit : « Il est juste, il est équitable que l'on ne refuse pas au courageux adversaire qu'est le général Leman, de reconnaitre ses mérites. » Ce double hommage de l'ennemi est la reconnaissance de la valeur supérieure d'un chef et le plus noble éloge qu'on puisse en faire. « Fait prisonnier à Loncin, écrit le général Leman, et amené blessé au Palais des Princes-Evêques, je vis par la fenêtre défiler sur la place Saint-Lambert de nombreuses divisions allemandes en un admirable état d'équipement, et je songeai au nombre restreint d'hommes que nous avions à opposer à ces troupes fraîches et nombreuses. » Imaginons la douleur qui devait étreindre le cœur du guerrier. Sa résistance opiniâtre n'a pu empêcher l'ennemi de pénétrer dans le pays. Ces légions de soldats vont se répandre sur la terre belge, y apporter partout la ruine et la mort. Il songe au passé. Toute sa vie a été consacrée, dans le travail ardent, à la préparation de cette poignée d'officiers qui vont aller à la mort. Un groupe de patriotes a vainement essayé de faire comprendre au pays les sacrifices nécessaires à la formation d'une armée nombreuse et bien outillée. Ce petit groupe est resté isolé, séparé de la masse. Le pays va payer aujourd'hui son indifférence. Lui, il va vers la captivité, oublieux de son sort personnel, mais plongé dans la vision douloureuse de sa Patrie ensanglantée. C'est au Palais des Princes-Evêques que Leman écrit au Roi la lettre dont les sublimes paroles ont remué les âmes jusqu'aux confins du monde civilisé. Le 18 août, le général Leman (in carnet de captivité) est dirigé vers l'Allemagne : « Le major Bayer, du 27e régiment d'infanterie allemande, m'a conduit à Cologne. C'est un Badois très gentilhomme. Il était accompagné de son adjoint. On m'avait laissé mon adjoint, le capitaine-commandant Collard, et mon ordonnance Charles Vanden Bossche. A Juliers, « en traversant la ville en auto, je faillis être écharpé par la population. Aux portes de Cologne, où j'arrivai le 19, la même chose recommença, mais plus violemment, et j'aurais certes été écharpé sans la protection du major Bayer. Le 24 arrivaient des ordres formels pour me transporter à la forteresse de Magdebourg. Je partis en chemin de fer pour Magdebourg, accompagné du capitaine-commandant Collard, d'un lieutenant allemand appelé Steins, et de mon ordonnance. » Au mépris de tous les usages de la guerre, le général Leman fut mis au secret pendant des mois. C'est au mois de février 1915 seulement qu'il eut connaissance de la victoire de la Marne. Le 7 avril 1915, il fut transféré de Magdebourg à Blankenbourg, près de Berlin, où il reste jusqu'en décembre 1917. Pendant (trois ans et quatre mois, le général Leman demeura en captivité). Sa santé, ébranlée déjà par le choc de Loncin, est gravement compromise. Le régime des prisonniers n'est guère celui qui lui convient. Les lésions contractées à Loncin s'accentuent. Il souffre, et il sait que sur une simple demande on le remettrait en liberté. Cette demande, il ne la fera pas. Il travaille, lit, fait des cours aux officiers, ses compagnons de captivité, les réunit, relève les courages. Il ne perd pas une occasion de parler du devoir, de la Patrie, du Roi. Ses forces morales rayonnent autour de lui, et il est dans sa cellule l'âme de la résistance passive à l'ennemi, comme il fut à Liège l'âme de la résistance active. Cependant à la fin de novembre 1917, son état donne de sérieuses inquiétudes. Ses geôliers s'alarment, et craignant une fin tragique, d'eux-mêmes lui rendent la liberté le 9 décembre 1917. Leman quitte Blankenbourg, est retenu dix jours à Heidelberg et gagne la Suisse. Grace à la reine Elisabeth, il s'installe à Socx, près de Bergues, pour se soumettre à un traitement rationnel dirigé par le Dr Nolf. Le général Leman y reste six semaines. Le 17 février 1918 le Général Leman arrive à Paris (Le Miroir) Celui qui soutint à Liège le premier grand choc allemand débarque à Paris : La campagne du général Leman fut courte. Elle restera l’une des plus belles de la guerre. C’est lui qui, à Liège, soutint héroïquement la ruée allemande, donnant aux alliés quelques jours de répit pour se préparer. Quarante mille Allemands tombèrent devant Liège et le hasard seul permit aux Allemands de prendre le général Leman vivant, dans les ruines de son fort. Après une pénible captivité, il vient d’arriver en France par la Suisse. Le voici à la gare de Lyon. A sa droite se tient son fils. Le 13 mai le général Leman est à Rouen Pour être opéré à l’hôpital belge de Bonsecours d'une complication de son intervention sur le pied. L'état de santé du général Leman s'améliora suffisamment pour qu'il pût reprendre ses travaux et s'installer à Etretat, où il resta jusqu'au 7 novembre. Le 21 juillet, à Sainte Adresse, la fête nationale Belge 1918 est célébrée en grande pompe. Le gouvernement Belge ayant décidé d'organiser à cette occasion une réception solennelle en l'honneur du lieutenant-généra Leman. Celle-ci correspondait aussi avec la première assemblée plénière de l'Amicale des Parlementaires belges résident de la Belgique envahie. L’arrivée du général Leman devant la villa Louis VI, siège du ministère des affaires étrangères Toutes les autorités des pays alliés en résidence au Havre s'y sont associées. Dr J. Seyer Sources : Le Général Leman |