Médecins de la Grande Guerre
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Emilie Dardenne voyagea de juillet 1920 à Juillet 1921 pour fonder la
Croix-Rouge du Congo D’Elisabethville, Emilie
va remonter en train jusqu’à Bukama. A partir de
cette localité commence la partie la plus pittoresque de son parcours :
elle va suivre en caravane, voyageant à pied et en tipoie
la piste 183 (aujourd’hui la nationale 33) qui longe le Parc national de L’Upemba (en passant par Kayombo,
Kalu, Kakama, N’gubulé, Massanga, Kilomboie, Kilumbo, Kamanganga, Kikondja) pour rejoindre au-delà de Mwanza le fleuve
Lualaba à Kamunkusi. De là elle s’embarque en pirogue
jusque Maymba (sur la carte Muyumba).
Elle ira ensuite en voiture jusque Manono, reviendra à Maymba
puis s’embarquera sur une baleinière jusque Kabalo où
elle retrouve le train qui l’emmènera vers le lac Tanganyka. Elisabethville :
des hôpitaux qui laissent à désirer ! Mardi 17 août Arrivée à 10 heures du soir à Elisabethville. Jacques et Sirtaine sont à la gare. Huit premiers jours passés en famille. Entendu quelques conversations. Beaucoup de choses ne vont qu'à moitié, en général le mécontentement règne partout. La vie est difficile, trop chère et les appointements sont insuffisants. Le service de santé laisse à désirer. Cas de la petite fille blanche qui est morte du croup, pas de sérum. Le Dr télégraphie au Cap, le télégramme reste en souffrance à la poste. Le père l'y retrouve, télégraphie à son tour, le sérum arrive trop tard, la petite fille meurt. 26 août Visite à l'hôpital noir, malpropre, pas de tenue, manque d'eau et de lumière. Les lits sont bien, mais ni matelas ni oreiller, une couverture ! Les salles sont insuffisantes, mal aérées et mal protégées· de la pluie, place absolument insuffisante, pas de clôture. Deux religieuses dont l'une était cuisinière à l'hôpital des Blancs. Pendant l'épidémie de grippe, en 1918, de nombreux indigènes sont morts à l'hôpital de faim et de soif. 2 salles dans le bâtiment principal, petits pavillons isolés de 3 lits, une salle pour les prisonniers. Pour réorganiser cet hôpital, si mal établi actuellement, il faudrait commencer par clôturer, les malades peuvent s'échapper et contaminer les camps voisins etc. Il faudrait y faire des travaux d'assainissement, latrines, eau, nettoyage, peinture, blanchissage à la chaux etc. Un personnel plus nombreux et une équipe d'infirmières connaissant bien l'affaire, mettraient en peu de temps l'hôpital en bonne voie, dressant un personnel subalterne et après quelque temps, trois bonnes infirmières suffiraient pour maintenir l'hôpital en bon ordre. Les indigènes qui sortent actuellement de l'hôpital n'auront certes jamais la moindre conception de l'hygiène ni une bien haute idée de la protection des Blancs. Lundi 30 août 20 « Goutte de Lait », consultation des nourrissons. Mlle Sirtaine, infirmière envoyée par le Gouvernement à Eville, est préposée à la consultation, seulement, là encore, les Sœurs veulent conserver leur suprématie et tout faire elles-mêmes. Mlle Sirtaine a obtenu un joli résultat en allant dans les camps engager les femmes à venir à la consultation. Avant son arrivée, les Sœurs avaient de 30 à 32 femmes, maintenant il y en a 81. Les Sœurs considèrent Mlle Sirtaine en sous-ordre et n'en font qu'à leur tête. Il y a lieu de le regretter car entre une infirmière et une religieuse, pleine de bonne volonté et de pratique routinière, il y a un monde pour l'aseptie, la propreté etc .... On semble oublier ici qu'une bonne hygiène et la santé des femmes et des enfants noirs sont non seulement nécessaires pour la conservation de la race, mais qu'en dépendent la santé des colons blancs. La moindre épidémie au camp indigène est un danger pour chaque famille de Blancs, les boys de maison étant en rapport presque journalier avec le camp. La grande faute commise au début fut de laisser toute initiative à un petit groupe de religieuses pas spécialement éduquées. On n'a pas eu recours au véritable nursing et après des années, nous en sommes encore à l'âge préhistorique de l'hygiène. Lubumbashi : un
camp et un hôpital modèle de l’Union Minière Le 2 septembre Caractéristiques de l'hôpital: la propreté et l'ordre, tout le contraire de ce que je vis à Eville à l'hôpital des Noirs. Visite des camps de travailleurs, 1er groupe de maisons indigènes en pisé, habitées par 118 travailleurs, tous à l'usine depuis 4, 5 ou 6 ans. Femmes et enfants. Ce camp constitue l'embryon du futur village ou cité industrielle que nous devons arriver à créer dans les régions minières. Malgré ces habitations en pisé, qui ont mauvaise réputation, il n'y a pas de malades dans le camp. 2ème groupe, des huttes en paille que l'on brûle tous les ans, système trop coûteux pour être continué. 3ème groupe, maisons en tôle ondulée, mauvais système, trop froid et trop chaud, les Rhodésiens l'exigent, on maintient donc ce système pour cette catégorie de travailleurs. 4ème groupe, on construit de nouvelles maisons en briques de 2m x 4m. Les lits sont des claies en bois posées sur 4 piliers en briques ou bien fixées au mur et pouvant se relever. 5ème groupe, grandes maisons avec des salles pour 14 boys, les couchettes sont placées, non pas le long des murs, mais perpendiculairement au mur vers la salle, les claies sont mobiles. Ces maisons sont exclusivement réservées aux nouveaux recrutés qui ne peuvent prendre du travail qu'après un mois de surveillance, pendant lequel ils sont vaccinés, suralimentés et doivent se reposer des fatigues de la route. Les chambres sont nettoyées et blanchies après chaque renouvellement des habitants. Des douches et des bains existent pour les hommes et pour les femmes. Lorsque j'y fus, des femmes lavaient des pagnes au lavoir, personne aux douches, deux femmes se baignaient dans la piscine en s'aspergeant d'eau sous les robinets. Ces installations sont à ciel ouvert avec des séparations en tôle ondulée, blanchies à la chaux. Les WC sont du système à tinettes, on verse de la sciure de bois constamment sur les matières ce qui assure une propreté méticuleuse, attrapes mouches, pas de mouches ni d'odeur. Dans le camp, de grandes boîtes en métal avec couvercles, pour les ordures ménagères. Entretien parfait. La cité indigène et le
camp militaire d’Elisabethville Mardi 7 septembre M. Nauwelaers est appelé inopinément à Kambove, à cause des grèves. Je décide d'aller avec Sirtaine visiter la cité indigène et le camp militaire. Nous partons à 2 1/2 h, la route est assez longue à faire à pied par le soleil et la poussière. M le Vice-gouverneur ne l'a certes jamais faite dans ces conditions ! La cité indigène, très étendue, commence par l'un des camps du C.F.K. Le modèle d'habitation adopté est le bâtiment unique divisé en cases formant le logement de chaque ménage. Chaque bâtiment comprend l1 ou 12 habitations. L'aspect de ces maisons n'est pas spécialement propre, je préfère les huttes séparées les unes des autres. Une promiscuité trop grande règne et une population trop nombreuse est ainsi obligée de vivre sur un espace fort restreint. Je ne comprends pas cette différence entre un camp du C.F.K. et un camp de l'Union Minière. Les coloniaux
découragés ! On prévoit leur révolte ! 7 septembre Visite à M Paté, Directeur de la Sté du Katanga. Toujours même avis que partout : on a négligé l'éducation de la main d'œuvre noire. L'œuvre coloniale fut entreprise sans programme. Le Katanga est paralysé par le Gouvernement de Boma. Nécessité d'une municipalité à Eville. La vie de la femme célibataire est très difficile, presque impossible, ses moindres faits et gestes sont colportés avec malveillance. Malaria si néfaste, le Gouvernement ne fait rien pour enrayer le mal. M Paté connaît bien le Katanga mais fut absent durant la guerre. Il a trouvé en rentrant l'esprit changé ! Il considère qu'avant six ans, si le Gouvernement ne gère pas la Colonie avec plus de compétence et un plus grand souci des besoins, il y aura une révolte des Coloniaux qui voudront diriger leurs affaires sur place et non plus de la rue de Namur, par des gens qui ne sont jamais venus au Congo. Il y a urgence de s'occuper de l'éducation de la main d'œuvre noire pour éloigner autant que possible les Sud-Africains. Des Belges d'élite comme chefs, comme ingénieurs etc... et pas toujours des Anglais ou des Américains, des ouvriers d'élite belges comme cadres pour mener les indigènes et les spécialiser. La question est plus grave qu'on ne veut le croire. Les grèves actuelles sont pourtant un avertissement sérieux. Les Coloniaux ne sont pas assez consultés et écoutés au Ministère. Ceux qui rentrent ne sont point invités à fournir des renseignements. C'est une erreur, même les petits fonctionnaires peuvent souvent fournir des indications précieuses souvent empreintes d'un grand bon sens. Moins de paperasseries et plus de travail actif et surtout des rapports plus fréquents entre Bruxelles et la Colonie. Il faut que les hauts fonctionnaires y viennent, non en grande cérémonie, mais en tournée d'études. Il faut voir pour comprendre. Madame Delmée ancienne infirmière à l’Océan. Samedi 11 septembre Visite à Mme Delmée qui fut infirmière au Front durant la guerre. Elle a épousé le Dr Delmée et en 1918, ils sont venus à Eville pour l'Union Minière. Pour diverses raisons, ils quittent l'UM et le Dr Delmée fait construire une clinique privée dont je parlerai après l'avoir visitée. Mme Delmée critique sévèrement les logements des ouvriers blancs de l'UM, je n'ai point vu ces locaux et ne puis rien dire. Le Dr Van Nitsen, venu de Belgique, est moins sévère et fait remarquer que les années de guerre ont paralysé bien des travaux. Madame Wulff (Marthe Delvigne) ancienne infirmière à l’Océan. Mardi 14 septembre Mme de Wulff et Sirtaine viennent nous voir. Mme de Wulff est une ancienne infirmière de La Panne et Cabour (Marthe Delvigne). Son mari est lieutenant au camp de N'Gulé. Je compte aller le voir, ce camp m'intéresse car il y aurait là, paraît-il, ce qu'il faut pour créer sans trop de frais, l'école professionnelle au camp militaire. L’hôpital pour Blancs
d’Elisabethville et l’école :mal tenus par des religieuses qui ne veulent
pas entendre parler d’infirmières laïques ! Samedi 18 septembre Je vais visiter l'hôpital et l'école, après avoir pris rendez-vous avec la Supérieure et le Dr Valcke. J'arrive à 10 heures précises, personne, on cherche partout la Supérieure sans la trouver, finalement, elle arrive et le Dr est parti, petit incident que je tiens à acter. L'hôpital se compose de deux baraquements en tôle, longs et étroits. Le premier divisé en chambres à 1 ou 2 lits, une chambre pour les Sœurs de garde, une petite salle pour la pharmacie, la réserve etc... invraisemblablement trop petite, une petite salle dans une annexe en tôle sert de lingerie, cuisine, office, etc... On ne peut imaginer ce local exigu où l'on transporte le linge sale, le linge propre, la vaisselle des malades, le fourneau à pétrole, la baignoire, les filtres, l'armoire à provisions, l'armoire à linge, tout cela est casé dans un très petit espace, et malgré les soins mis à l'entretien, cet ensemble ne manque pas d'être lamentable. Le deuxième baraquement sert de salle commune, les lits sont séparés par des draps tendus ce qui a permis d'arranger pour chaque malade un semblant de chambrette. Au milieu de la salle, la table où l'on sert le dîner! Voyez l'agrément si dans la salle, il y a quelques patients atteints de dysenterie, même encombrement pour la cuisine des malades, etc ... WC !!!! Système à tinettes très près de la salle, 2 seulement dont l'un est condamné ne servant qu'aux malades atteints de maladies spécifiques, reste un WC pour 17 malades. Heureusement, je n'ai à noter ce triste état de choses que pour faire remarquer l'incurie des autorités pour la santé des colons! Bientôt, un nouvel hôpital sera ouvert aux malades, on y travaille activement et ce sera bien, je ne puis dire très bien. On a fait trop d'architecture alors que le prix des constructions est tellement élevé et je crois que l'on aura dépensé beaucoup plus de 750.000 fr pour un hôpital de 26 lits, sans avoir prévu un pavillon d'infectieux, une chambre spéciale pour aliénés, une maternité, une salle pour les enfants... Cependant, en ville beaucoup de parents travaillant tous deux ne peuvent soigner leurs enfants, au pensionnat de l'école il n’y a pas d'infirmerie ! La supérieure est une personne intelligente mais qui fut des débuts d'Eville et n'est plus rentrée en Belgique depuis 10 ans.
Elle se donne beaucoup de mal pour faire
ce qu'elle croit le mieux, mais pas dirigée, abandonnée à elle-même, elle fait
preuve d'un petit esprit en voulant tout faire pour conserver sa prépondérance.
Qu'elle tienne à la Direction Générale, soit ... elle devrait avoir une
sous-directrice pour l'école, idem pour l'hôpital et elle de haut dirigerait
tout. Alors seulement, une extension sera donnée à ces établissements qui ne
peuvent actuellement progresser. La Supérieure, lorsque furent annoncées les deux infirmières laïques, a déclaré : « si elles entrent à l'hôpital, toutes les Sœurs quitteront ». Le chef du service eut dû lui montrer l'enfantillage de ce langage et, à l'exemple de tant d'établissements chez nous, montrer l'utilité des éléments laïcs qui ne pouvaient qu'être très utiles, par leur expérience plus moderne, à toutes ces religieuses, ici depuis 10 ou 12 ans, et infirmières d'expérience plutôt modeste. Avec du tact, on serait arrivé à un résultat, mais ici, c'est l'esprit de village qui règne, pourvu que « Ma Mère » soit satisfaite, qu'importe le reste. Qu'importe cet hôpital des Noirs mal tenu, cette consultation des nourrissons noirs qui se fait à l'hôpital des Blancs et accaparée par la « Mère » et l'une des Sœurs, qui après avoir manipulé ces gosses souvent galeux et malades, retournent dans la salle des Blancs ou à l'école... Si des nurses anglaises ou américaines devaient assister au nursing exécuté par les religieuses d'ici, elles seraient épouvantées... les moindres notions d'aseptie sont ignorées. Ce qui me semble indispensable ici, à installer vers la cité indigène, c'est le refuge où seraient accueillis les enfants indigènes orphelins ou dont la mère est à l'hôpital. Les cas sont fréquents de ces petits malheureux qu'on ne sait où mettre, tout cela émigre à l'hôpital des Blancs. Pour la santé générale, il serait indispensable d'organiser à Eville des services de voirie, égouts, eau, une seule pompe existe actuellement pour toute la ville, elle est en réparation pour le moment et la population est privée d'eau pour plusieurs jours !!! L'hôpital des Noirs doit être agrandi, nettoyé, pourvu d'un personnel suffisant. Une école ménagère doit être créée pour les filles afin de lutter contre la prostitution et répandre quelques notions d'hygiène et de propreté. Il faudrait une maternité pour femmes noires et un orphelinat. Au dispensaire, joindre la consultation des nourrissons et celle des femmes. Le Dr Valcke qui a fait la campagne militaire vers Tabora est
découragé : il doit quitter Eville 27 septembre Visite du Dr Valcke. Le Dr Valcke, déjà 9 ans d'Afrique, il était à Eville avant la guerre, fit la campagne. Au retour, reprend sa place à Eville, au bout d'un an, on le déplace parce que ses rapports comme président de la commission d'hygiène sont trop nettement l'expression de la vérité. Il proteste aussi contre la consultation des enfants noirs, établie à l'hôpital des Blancs, alors qu'il ya le dispensaire du côté de la cité indigène. Il a aussi protesté contre les plans adoptés pour le nouvel hôpital qui est tout ce qu'on veut, hôtel, pensionnat, que sais-je, mais pas un hôpital. On a dépensé 900.000 Fr pour un bâtiment où l'on pourra loger 26 malades, pas de pavillon pour les infectieux, pas de maternité, pas de salle pour les enfants (et les deux pensionnats ne possèdent pas d'infirmerie), pas de salle pour les aliénés, pas de morgue. Finalement, on devra dépenser presque autant qu'on l'a déjà fait pour avoir presque un hôpital. Le Dr Valcke sera remplacé par un Dr italien, Zerbini, qui fut déjà déplacé d'Eville et de Boma, est un bon chirurgien. Tant de médecins belges firent courageusement la campagne et on ne tient aucun compte de leur valeur ! Pour accompagner le Ministre, Zerbini fut désigné ! Le mécontentement est général parmi les Belges, on dirait que tout est fait pour les décourager et pourtant, que de qualités, quel attachement pour la Colonie, que de bons sentiments, méconnus par le Gouvernement. Les coloniaux
voudraient plus de contrôle gouvernemental sur les missions 28 septembre Presque tous les Coloniaux semblent convaincus de l'échec d'un essai d'hôpitaux et d'écoles laïcs, mais reconnaissent l'urgente nécessité de ces organismes sous le contrôle du Gouvernement, si on ne veut pas voir dans l'avenir, la Colonie devenir la Terre Promise des Missions y installées en maîtresses du pays. Les exemples sont sans nombre de leur autocratie. Le Dr Trouville au dispensaire d’Elisabethville est découragé Lundi 4 octobre Visite au Dr Trouville au dispensaire des indigènes, intelligent, travailleur, un des nombreux découragés dont on n'a pas pu utiliser les capacités. On lui reproche d'employer trop de médicaments alors qu'il fait au moins 250 opérations par an et est le médecin d'une population de 7000 noirs. Le prédécesseur faisait 15 opérations par an et le 55 ne tient aucun compte de cette différence. Au sujet, prostitution, maladies vénériennes etc. Utilité d'avoir un gestionnaire pour l'hôpital des noirs, insuffisance des locaux, manque de clôture etc. Il faudrait des
infirmières visiteuses dans les camps ! Le camp CFK est déplorable ! 13 octobre Visite avec Sirtaine dans quelques camps aux environs de la Ville : camp de briquetiers, camp de l'abattoir. En général mieux entretenus qu'on eût pu le croire mais aucune mesure d'hygiène n'est prise. dépôts d'immondices au milieu du camp, pas de WC, bêtes et gens grouillent ensemble. Camp de l'abattoir, traînant ça et là des pieds fraîchement coupés de bœuf, des os, crânes et mâchoires, des peaux sèchent au soleil. Odeurs, mouches, heureusement que le soleil, grand purificateur est là pour remédier un peu à l'incurie des autorités. A remarquer l'accueil confiant des femmes qui viennent vers nous et ont toute confiance en Mlle Sirtaine qui soigne leurs enfants à la consultation. Je suis convaincue que trois femmes bien décidées à obtenir un résultat, y arriveraient en remplissant un rôle d'infirmières visiteuses pendant quelques mois. Lamentable, le spectacle de tous ces enfants qui s'élèvent là sans qu'on s'en occupe. Leur éducation serait si facile à faire et en principe, le noir n'est pas rebelle à l'école. Le camp du CFK est tout à fait défectueux et mal entretenu. Le déplorable système des maisons divisées en cases y est adopté et c'est infiniment sale. L’utilité de créer des
écoles professionnelles partout au Congo Samedi 23.10.20 Visite à M Cousin, directeur général intérimaire CFK, directeur Union Minière. Tout à fait d'accord de la nécessité d'avoir de la main d'œuvre indigène: un ouvrier noir coûte 7 Fr par jour, un blanc 100 Fr ! (…) Hostilité des Anglais contre l'utilisation de la main d'œuvre noire dans les métiers nobles, métallurgie, charpenterie etc. La Belgique ne peut pas adopter la politique de l'Angleterre. Le peuple belge, moins nombreux, doit utiliser partout de la main d'œuvre indigène. Difficulté du recrutement, hostilité des commissaires de district qui s'opposent à l'exode des indigènes des régions agricoles. Urgence d'avoir une population indigène ouvrière industrielle stable qui se fixerait et se multiplierait aux environs de la région minière. Utilité des écoles professionnelles si bien reconnue que le CFK en a une où l'on forme des ouvriers spécialisés. L'école sera agrandie et 37 élèves y seront formés en même temps. Le camp de la mine de
la Luisha : un hôpital modèle tenu par le remarquable
Dr Mohamed 2 novembre 20 L'hôpital est le dernier crée et semble bien le type définitivement adopté. Le Dr Mohamed est un hindou très aimé de tous et qui rend des services très appréciables, étudie et s'intéresse à l'indigène. Ce petit hôpital serait un type à adopter dans les centres indigènes où la Croix-Rouge voudrait installer un poste (Coût 110.000 Fr, on peut faire pour moins cher – suit une description des lieux). Le Dr Mohamed se contente de 2.500 Fr par mois. Camp de la mission de sondage, idem camp de la mine, pas de bains puisque installé pour peu de mois. Nous déjeunons au mess, très bonne nourriture, local et service simples, rustiques et propres. Le chef du camp est un anglais du sud (boer), s'entend à la culture et a un potager magnifique. Visitons une grotte de malachite. Nous continuons notre route vers Likasi, traversons la Lufira, Likasi ou du moins la Panda, installation colossale des usines de l'UM. Machines, cheminées, activité extraordinaire, on installe un concentrateur formidable, jamais on ne peut s'imaginer être en Afrique à des centaines de km de tout cent civilisé. La ville en gradins sur la colline, habitations coquettes, jardins clôturés, rues sanitaires parfaitement entretenues, tout blanchi à la chaux. (rien du service d'Eville) ; l'UM prend à sa charge le service des vidanges. Distribution d'eau partout, électricité. Trop d'anglais mais aussi leur présence a fait l'aspect confortable de toutes choses. On retrouve la courtoisie et la vie des petites villes anglaises où la simplicité n'exclut pas le confort. Quand aurons-nous des femmes belges comprenant de même façon la vie coloniale. Nous nous arrêtons à la guesthouse de l'UM, confortablement installée. Les hôtes de passage peuvent s'y arrêter et sont bien logés (bains, douches, eau chaude et froide). On prend ses repas au mess des employés et fonctionnaires ; local très bien aménagé et géré par une commission de membres. L’hôpital de Likasi
très bien tenu Mercredi 3–11–20 Visite de l'hôpital des noirs, situation magnifique tout en haut d'une colline, vue sur Likasi. 1er bâtiment, bureau du Dr, salle de pansements, pharmacie, salle de stérilisation, tout au bout bains et douches, salle d'opérations. Grandes salles, bâtiments reliés par des galeries système 1/2 murs en briques et toiles métalliques. Salle pour infectieux qui sera divisée en plusieurs chambrettes. Salles d'isolement. A remarquer propreté absolue, nettoyage régulier au crésol. Dr Bertrand, infirmiers noirs. Bukama : Un Hôpital désastreux 10-11-20 Hôpital des noirs!! pharmacie! bureau et logement de l'administrateur !! bureau du percepteur des postes !! La situation est un véritable scandale qui entraîne la démoralisation certaine des hommes. Rien ne peut donner une idée de l'hôpital, de la pharmacie et de la salle de consultations. Les Noirs n'ont pas de lit. Le médecin, marié, est logé atrocement. L'administrateur a dû prêter son lit au percepteur, ils n'ont ni armoire, ni table, rien, même pas de cantine pour l'administrateur en tournée. On veut lui faire acheter une machine à écrire à ses frais. Pas un artisan indigène, menuisier ou charpentier, d'où l'utilité des écoles professionnelles. Emilie loge sous tente
au village de Kayombo Nous bavardons et nous couchons de bonne heure. Il faut se lever à 5 heures demain matin. Je passe une bonne nuit, ma tente est spacieuse mais il y fait chaud. Vers 3 heures je suis réveillée par des porteurs qui partent en chantant. Vers 6 heures nous déjeunons et à 6 3/4 en route. Le Colonel Ermens n'est pas très content de l'organisation du Cdt Harmel qui a dispersé les porteurs (petit détail puisque tout finit bien). Ce n'est pas si simple d'organiser une caravane et la question des porteurs est difficile. Ces gens doivent être tenus sévèrement, il faut parler leur langue pour traiter du ravitaillement et de la paie. La colonne se remet en
route pour Kakama : pauvres porteurs ! 11 novembre A remarquer que la plupart des indigènes semblent misérables de santé, ils toussent presque tous. Parmi nos porteurs, l'un tombe accablé par la fièvre, sur le bord de la route. Je trouve le portage cruel. Ces hommes ont parcouru environ 25 km avec ces charges. Je fis la moitié du chemin en hamac, mes porteurs sont des types costauds, spécialistes en ce genre, n'empêche que je suis lourde, des ronces déchirent ma blouse et me griffent les bras. 12 novembre Je gravis une côte pas trop raide. Puis sentier sous-bois, presque tout le temps du sous-bois, le sentier est tracé mais autour de nous les fourrés sont épais. La végétation change, peu de fleurs. Nous gravissons une montagne toute de roches, l'ascension est pénible, le temps est lourd et orageux et il faut s'agripper pour ne pas glisser. J'ai chaud !!!! Les malheureux porteurs peinent. Après au moins une heure d'ascension, il faut redescendre. J'oublie de signaler la traversée d'une rivière sur un tronc d'arbre (je m'en tire bien). Deux montées encore, moins dures. Je profite du hamac entre chacune. Il pleut, j'ai chaud. Dans une descente à pic, un noir de mes porteurs m'aide de son bras, idem pour la traversée d'une rivière. Il pleut ! Nous arrivons au village de Kakama vers midi. Un vieux chef me dit « Bonjour Madame ». Beau village, des abris existent pour les Européens de passage. Maisons en pisé, toit de chaume, barza tout autour. On y entasse nos bagages et on dresse nos tentes. Le Colonel très obligeamment surveille la construction de la mienne. Avec joie je prends mon bain et change de vêtements. Le chef réquisitionne de la farine pour nous, très joli spectacle du défilé des chefs et notables ouvrant la marche, derrière des enfants, des fillettes portant des corbeilles sur la tête viennent déverser le contenu sur une toile étendue à terre. Le Cdt surveille. Les femmes curieuses assistent au spectacle. Après la réception des vivres, il y a la distribution aux porteurs. Tout se passe dans le plus grand ordre, les soldats et le sergent major s'occupent de l'opération, sous la surveillance du Cdt. Tout cela est plein d'intérêt. Ce qui me frappe le plus c'est de trouver de nombreux enfants ici, très peu différents des nôtres, ils jouent, rient, s'amusent de tout, comme les gosses de chez nous. Ils ont des physionomies éveillées, les mères semblent traiter tendrement les tout-petits. Les femmes portent un très petit pagne, de nombreux colliers de perles (bleues et blanches, mode du jour), un rang de perles passe sous les bras et supporte les seins, poitrines tombantes. Coiffures diverses, cheveux rasés sauf sur le dessus de la tête, il reste un chapeau de cheveux. Il me paraît invraisemblable que les enfants ne puissent s'améliorer si on s'occupe d'eux. Quel regret de ne pas parler leur langue, je pourrais les questionner un peu. Vers 4 1/2 h je me promène dans le village, les femmes et les enfants viennent vers moi, me disent bonjour, mille frayeurs, si je pouvais dire quelques mots ce serait l'apprivoisement immédiat. La race est saine et forte. Ce village est riche et les huttes plus grandes et mieux construites le prouvent. Six porteurs ont
fui ! Dimanche 14.11.20 Branle-bas habituel le matin à 5 heures, nous déjeunons à 6 heures, le vieux chef et un vieux bossu viennent nous faire leurs adieux. Il manque six porteurs malades et fuyards. Le Cdt doit retourner au village précédent, les hommes ont fui, il réquisitionne des femmes. Nous partons sans attendre. Très joli pays accidenté, plaine et bois, un petit bois particulièrement joli, palmiers, bananiers etc. Les porteurs me font traverser les rivières en hamac. Je gravis une côte moins rude que celle de l'autre jour mais suffisante. En terrain plat je me fais porter. Nous arrivons au village de Massanga très peuplé, assez bien d'enfants tous robustes. Les femmes et les enfants viennent à moi, me disent bonjour et ne sont pas du tout farouches. Beau village très étendu, les huttes dispersées sous les arbres. Comment organiser une
caravane. 14/11/20 Plus je vais plus se fortifie ma conviction que l'école professionnelle doit être la base de l'éducation des Noirs. Tous les hommes qui ont un métier sont supérieurs aux autres, physionomies plus intelligentes, ils ont une supériorité indiscutable. Si on encourageait le travail indigène, les progrès seraient rapides. Les femmes font de très jolies vanneries, nattes en paille, corbeilles et poteries, ces objets se vendraient facilement à Eville et dans les divers centres. Le principe de l'école professionnelle devrait être appliqué. Dans tous les camps militaires et dans les missions avec un contrôle sur le rendement de ces institutions subsidiées. L'indigène n'est pas du tout rebelle à une formation professionnelle. Difficultés et façon d'organiser une caravane : 1° Le ravitaillement, si on emporte des conserves, épiceries, vins, liqueurs, il faut toujours compter un peu plus, il y a de l'imprévu, ne pas oublier le pétrole, emporter quelques vivres frais, des œufs, poulets vivants, légumes, oranges, citrons etc. 2° Les porteurs
Prévenir l’administrateur que l’on a besoin de x porteurs, bien régler toutes questions du salaire, de la ration etc... ne pas les payer d'avance, sinon ils fuient. Les charges maxima 25 kg,(parfois 30-35), si plus il faut deux porteurs. Lorsqu'on arrive dans un village, immédiatement exiger du chef qu'il donne des vivres, farine, bananes etc, faire la distribution. Acheter pour soi-même œufs, poulets etc. Les porteurs sont volontiers malades, voir si c'est réel ou simulé, donner un remède s'il le faut. Si des porteurs fuient, s'en prendre au capita, en réquisitionner d'autres, sinon prendre des femmes pour porter. Ce n'est pas aisé de mener une caravane, surtout nombreuse. Emilie en tipoie 21 novembre Quittons Kikondja avec de nouveaux porteurs. M Faultner me prête son tipoie, plus confortable que mon hamac que je renvoie à Bukama. Mes nouveaux porteurs courent comme des zèbres en poussant des cris et en dansant. Le jeune fonctionnaire Dupont ne vient pas nous saluer au départ, mais le chef Kikondja nous attendait à la limite de son territoire. Le jeune Dupont sera bien noté pour un début de carrière, le Colonel était peu satisfait. En route un orage avec pluie formidable, je suis trempée. Avant le passage de la Lovoie, je rejoins le Cdt qui se sèche dans une toute petite hutte indigène où l'on entre presque en rampant, il y a là dedans 8 noirs et nous deux !! Gare aux totos. Enfin la pluie cesse et je traverse en pirogue une toute petite rivière. C'est L'Etat qui assure ce service ! J'arrive à l'autre rive sans accident et je reprends ma course en tipoie, transie et trempée. Arrivée bruyante au village de Bunta, mes porteurs crient et cabriolent, un vieux vient me saluer, puis le chef. Je me réfugie sous l'abri public et demande du feu. Le vieux me conduit à l'école, m'apporte un fauteuil pliant, fait un bon feu, me sert des fruits, de la canne à sucre, des œufs durs. Cette réception prouve les possibilités d'éducation des indigènes, le voisinage de la mission protestante se fait sentir. Le chef nous fait porter des vivres, on peut ravitailler copieusement les porteurs. Le camp militaire de Kamunkusi et le brave lieutenant Buelens. 24–11–20 Etape très courte jusque Kamunkusi, jolie route, montagnes à notre gauche, descendons vers le fleuve. Arrivée au camp militaire, le Lt Buelens (18 ans d'Afrique) reçoit le Colonel. Les troupes sont rangées sur la plaine d'exercice. Alignement parfait, mouvements précis et avec ensemble. La rangée des fez fait un long ruban rouge à l'horizon. Le camp est sur le flanc d'une colline allant jusqu'au fleuve. Larges et belles routes bien faites avec tranchées profondes pour l'écoulement des eaux (Eville ferait bien de s'en inspirer). La route principale va du débarcadère du fleuve jusqu'à la plaine, de chaque côté près du fleuve, des plantations, des potagers, tout cela bien entretenu, des magasins, l'école à l'entrée du camp proprement dit, le drapeau, le corps de garde, la maison du Cdt. Dans cet immense parc sont disséminées çà et là les maisons des Européens. En avril 1919, il n'y avait rien ici, l'emplacement était choisi et 35 hommes travaillaient. Il est vraiment surprenant de voir le résultat obtenu en si peu de temps. Ceci prouve ce que peuvent l'énergie et la volonté, car il n'y a pas eu de subsides spéciaux pour les travaux. Le camp comportait il y a peu de temps 1000 hommes, actuellement il en reste 600 et 4 Européens qui sont évidemment surchargés de besogne. Hier nous avons déjeuné chez le Lt Buelens, ancien sous-officier que la guerre fit lieutenant. Brave homme, énergique, le plus pur accent belge, santé parfaite et 50 ans déjà. Mme Buelens, bonne grosse de 54 ans qui fait son 1er terme en Afrique, se porte très bien et vit très heureuse, s'occupant de son ménage, de ses poules et de ses chèvres. Dîner plantureux, desserts nombreux, œufs à la neige, deux tartes crème au beurre. Mme Buelens ne parle presque pas le français et s'exprime dans un langage nègre des plus savoureux. A la fin du dîner, un clairon puis un sifflet, c'est le bateau la « Marie José » qui s'annonce !! Impossible pour nous de prendre place, nous allons au débarcadère. M Penninckx de la TSF a lâché son poste et s'est mis en route pour l'hôpital de Kongolo. Mme Baltus et son fils toujours ravis de leur voyage ont quitté sans trop de regret Bukama. Le Docteur Nothomb à Kutotolo Mercredi 1er décembre Partons dès l'aurore, 6 1/4 pour Manono, 21 km et l'auto vient nous chercher. Déjeuner chez le Dr Nothomb à Kutotolo, charmant, habitation tout à fait agréable, sans rien de luxueux, petite ferme. Très bonne cuisine, je mange avec plaisir, on bavarde, puis continuons jusque Manono. Accueil fort gentil de M et Mme Ignès, directeur de la mine. Magnifique installation, grande maison simple, confortable, vraiment le home. Mme jeune, gaie, active, aimant son ménage et parfaite maîtresse de maison. Mr la simplicité même, mais aussi je crois fort capable, mène sans grande aide une vaste affaire. Atmosphère générale bien différente de celle de l'Union Minière. Rien que des Belges. Dîner épatant, bonne soirée, on joue chasse-cœur. Sur la baleinière de la
Géomine Vendredi 10 décembre Nous quittons enfin Mayumba en baleinière, nous avons enfin trouvé les pagayeurs indispensables. L'embarquement prend un certain temps et il est bien près de 9 heures quand nous quittons le port. La baleinière de la Géomine est une grande barque en fer, à l'avant un petit toit de paille protège du soleil et de la pluie nos trois sièges et une petite table, tous les bagages s'accumulent au milieu sur toute la longueur et à droite et à gauche, au-dessus se placent les pagayeurs, les soldats et les boys, le mouton, la chèvre, les poulets, tout ce que nous traînons avec nous. Les pagayeurs chantent, crient tout en ramant, un homme tape inlassablement sur son tambour, un autre frappe lourdement avec un bâton sur le fer, tout cela fait un bruit assourdissant, le soleil chauffe terriblement. Sans arrêt aucun, nous faisons halte vers 5 h du soir en un point où vit un noir isolé l'endroit s'appelle du reste « l'homme qui vit seul » Détestable endroit humide terriblement ! On ne décharge que quelques bagages, il n'y a rien pour loger les hommes, on patauge dans le potopote. Bataille de mes boys dans la nuit noire. Honoré (mon boy qui reçoit par ailleurs régulièrement des avances de 10 Fr) attrape une pile. Le soir coup de feu tiré avec ma carabine par un des boys. Pourquoi ? Poste médical primitif
à Kongolo pour le docteur Liebrecht 16–12–20 Kongolo Visite au Dr Liebrecht, poste médical primitif, salle d'opérations et laboratoire absolument insuffisants sous tous les rapports : lumière, possibilité d'aseptie etc... l'hôpital se compose de pavillons en pisé avec lits indigènes, c'est propre. Le véritable hôpital est au « kilomètre 300 » et appartient aux Grands Lacs. Le confort et la
nourriture des agents sont déficients 17–12 Kongolo La question du logement et du confort des agents mérite d'être examinée. La misère des installations actuelles ne peut être qu'un facteur de démoralisation de l'individu. Privation de distractions, de lectures, société, inconfort, le terme est trop doux, il ne reste que le whisky qui plonge dans le pays du rêve et fait oublier ... Pour les femmes, question plus grave encore, la femme étant toute la journée chez elle. La vie durant 3 années au milieu des caisses et des malles sans possibilité de s'installer est au-dessus des forces humaines et très rapidement c'est la neurasthénie ou la vie à l'extérieur s'exposant à toutes les tentations et permettant toutes les médisances. Vie chère. Partout les prix augmentent et les vivres sont raflés sans prévoir la reproduction. L’hôpital modèle du KM
300 tenu par les religieuses de Liège 22–12 Kongolo Au km 300, il y a deux hôpitaux de la Cie des Grands Lacs, un pour Européens, un pour Noirs. La Mission des Pères du St Esprit, l'orphelinat, l'hospice des « Filles de la Croix » de Liège même ordre qui est à l'hôpital. Dr de l'hôpital, M Russo, italien très original. L'hôpital situé assez près de la gare est un modèle du genre, baraquements en planches surélevés du sol, barzas très larges, tout peint en blanc, stores en toile verte, parc admirablement planté, allées de lauriers en fleurs (quand j 'y passai), allées de palmiers, parterres de fleurs, rosiers grimpants. Cet hôpital est un lieu de repos enchanteur et riant. Chambres des malades blanches et propres, matelas, moustiquaires, tout est impeccable, les Sœurs portent des vêtements de toile blanche. Pavillons danois pour les ménages ou les malades à isoler. Bâtiment en briques pour le cabinet du Dr, salle d'opération, pharmacie, chambre noire. Vu le nombre toujours croissant d'Européens l'hôpital devrait être agrandi, un pavillon pour les dames devient indispensable. Des dames viennent d'Albertville, de Kindu et toute la région pour s'accoucher et se faire soigner. Les cuisines, basse-cour, bergerie, clapier, etc. sont méticuleusement propres et parfaitement entretenus. Les malades ne tarissent pas d'éloges, la Mère Supérieure et la Sœur infirmière sont tout à fait merveilleuses de dévouement et d'aptitude dans leurs fonctions et un parfait exemple de ce que peut être une bonne administration. La Supérieure est là depuis dix ans et a veillé u bon entretien des bâtiments, encore en parfait état pour cette raison, c'est elle qui a tracé le parc, fait les plantations etc et ce domaine magnifique n'a pas coûté tellement cher d'entretien. Si les administrateurs en faisaient autant dans leur poste comme tout changerait d'aspect. De belles avenues conduisent à la Mission toutes bordées de manguiers. Les Pères instruisent les garçons, leur apprennent la menuiserie et la maçonnerie. Les Sœurs ont un orphelinat parfaitement organisé, il y a entre 30 et 40 fillettes. Fausse alerte sur le
fleuve 26–12–20 Je m'éveille de bonne heure, peu de monde pour ce départ matinal. Embarquement pittoresque de nombreux indigènes ! Quelques passagers blancs. Nous partons par un temps beau et pas trop chaud. Le Capitaine Ceulemans, sa femme, son gosse (7 mois) sont installés sur le bateau et semblent heureux de cette vie. A bord le mécanicien de la Géomine, M Lenoir, deux Anglais des Grands Lacs, l'un est déjà pochard à midi, quelques mécaniciens, un recruteur de la B.T.K. J'ignorais qu'il y eut une table d'hôte à bord, je suis servie par mon boy et Honoré prépare mes mets. Temps superbe, tout va bien jusqu'à trois heures. Une tornade nous surprend, une baleinière coule, le Capitaine s'en tire fort mal pour le renflouement, au grand désespoir de l'Anglais des Grands Lacs. Je peste à l'idée de ne pas arriver le soir à Kabalo et de rater le lendemain le train pour la Niemba). Enfin, vers 6 heures on repart. On est à peine en route, il fait nuit, des cris perçants, un homme à l'eau. On stoppe, une baleinière, des pagayeurs et l'Anglais armé d'un photophore partent en quelques minutes. Le courant est fort, il fait nuit, on a peu d'espoir. Le noyé est le boy de M Ceulemnas. Enfin, au bout d'une demi-heure, on revient, le boy est retrouvé, il avait nagé résistant au courant très violent et on le retrouve à la rive. Enfin, on repart vers 10 heures et nous sommes à Kabalo. M l'administrateur Larmoyer vient au bateau. Vu l'heure tardive, je passe la nuit sur le bateau, tout s'arrange, j'aurai mon train. Le camp de Niemba : un ensemble magnifique La Niemba 1er janvier 1921 Le camp de la Niemba est ce que j'ai vu de mieux dans le genre. Situé dans un pays accidenté et boisé, arrosé par la Niemba et la Lukuga, on a réalisé là un ensemble magnifique. Un énorme parc d'un kilomètre carré sillonné d'avenues larges, ci et là les habitations des Européens, jolies maisons en briques, barzas et hall. Les constructions sont particulièrement soignées. Le camp des soldats est encore fait de maisons en pisé assez vastes, ensemble très propre bien entretenu. Nous faisons la visite à 8 h du matin et tout est parfaitement en ordre et nettoyé. Un transport insolite
par lorries vers un médecin original tout aussi insolite ! Dimanche 2–1–21 Je fus à la Niemba Hôpital en ce qu'on appelle un « lorries », une planche sur 4 roues, un frein, le tout mis sur les rails du chemin de fer, 4 noirs poussent et on va en vitesse. Aux descentes, les noirs sautent sur le « lorries » et sont voiturés. Me voici donc installée sur une caisse (je me croyais sur les montagnes russes). Après 40 minutes on arrive chez le Dr Daniel, vieil original assez savant mais pas assez médecin. Son habitation est une maison danoise en piteux état. Barza, magasin, salle à manger et chambre à coucher. Le Dr Daniel vit au milieu de ses flacons, de ses filtres etc. Il fabrique du sirop de mûres, boit toute la journée de l'eau colorée de bleu de méthylène, s'occupe de la cuisine, enfin le vrai type de l'original, très bon et aimé, je crois, de son personnel et des indigènes. Les Européens lui en veulent : beaucoup de son manque de zèle à les soigner, de sa crasse etc. On ne lui confie pas volontiers sa santé. Tout cela est en partie justifié mais il faut tenir compte de la part d'exagération. L'hôpital des Blancs est représenté par deux petites maisons danoises délabrées, sales et sans meubles. Le calvaire de Mme
Courcelles 8–1–21 Vu au passage du train venant d'Albertville la famille de l'administrateur Courcelles rentrant en Europe. L'autorisation de rentrer par Dar es Salam leur fut refusée par le ff Vice-gouverneur et voilà Mme Courcelles obligée de faire le terriblement long voyage par Borna. Souffrante, fatiguée, elle ramène deux enfants, l'un de 18 mois, l'autre de 5 mois, tous deux frêles et délicats, l'aîné ayant été récemment encore fort malade. Par Dar es Salam, en trois semaines cette famille était en Europe. Par Boma, il faudra 3 mois et dans quelles conditions ! Multiples transbordements, inconfort, chaleur etc ... Si un accident arrivait aux enfants quelle responsabilité pour le Gouvernement qui n'a pas pu faire une exception au règlement qui oblige les fonctionnaires à rentrer par Borna. Toujours le
mécontentement des colons ! 13–1–21 Le mécontentement est général, quel que soit le fonctionnaire avec qui l'on cause. Ils ont tous l'impression qu'on va liquider la Colonie. Le voyage du Ministre a laissé une mauvaise impression partout. Tous sont découragés. La question de la pension les préoccupe, les logements, la vie matérielle. Ils ne viennent pas en Afrique uniquement pour vivoter, ils veulent vivre et économiser puisqu'ils risquent tout, santé et avenir et se privent de tout. Visite des dames
d’Albertville 13–1–21 Albertville Visite à Mme Renson qui est très contente mais souffre aussi de la vie chère, nourrit son bébé, ne peut prendre elle-même ce qui est nécessaire, a dû supprimer le vin, ne fait aucune économie me dit-on. Mme Vandenbroeck, femme d'un ébéniste malinois, fourvoyé ici au C.F.L. où il fait de la grosse besogne de charpentier, se plaint des difficultés de ravitaillement, n'est pas heureuse, la vie est trop chère, on ne peut économiser. J'aurai donc visité toutes les dames d'Albertville qui ne se voient jamais entre elles. Toutes se plaignent du manque de vivres. Monseigneur Birau à Karema 16 janvier 21 Nous naviguons toute la nuit, je dors bien, arrivons à Karema de l'autre côté du lac vers 5 heures. Karema premier poste belge où furent Stanley, Storm etc. Le capitaine va à la côte le premier et annonce ma visite. Grand émoi du Père qui fait prévenir Mgr Birau. Je débarque à mon tour et m'engage dans l'avenue qui conduit à la Mission, je rencontre Monseigneur et sa suite. Salutations et nous montons ensemble à la Mission, suivis d'une foule hurlante en délire de voir une dame blanche. Dîner chez les Pères, je loge chez les Sœurs. Région à l'abandon en attendant l'arrivée des Anglais, meurtres et poison d'épreuve. Visite de l'école et de l'hospice des noirs. Karema possède un médecin indigène « Adrien » que je ne vis pas malheureusement et des lépreux dont les sœurs ne m'ont pas parlé. Le bateau « Le
Vengeur », rescapé de la Grande Guerre sur le Tanganyka Dimanche 23 janvier Un temps froid et pluvieux, j'écris des lettres, ne vais pas à la messe, j'oubliai d'en demander l'heure. Je ne sais rien encore de la fin de la journée. Mon voyage (mouvementé) sur le lac se fit sur le « Vengeur » petit bateau qui fit vaillamment la guerre et que l'ennemi comme les noirs appelaient le « Plongeur ». Toujours on tirait dessus, on annonçait sa perte et il réapparaissait sur le lac. Un jour, les Boches annonçaient triomphalement sa perte et le lendemain les Noirs venaient prévenir les Pères que le « Plongeur » passait au large. Impossible dit le Père, les Allemands l'ont coulé. Oui disent les noirs, ils l'ont coulé mais le bateau est là. Blessé plusieurs fois le Vengeur a résisté toujours et nous ne l'avons pas même décoré. Il vogue sur le lac sans même un drapeau belge !!! L'indifférence, l'oubli et que nous importent les souvenirs de la campagne d'Afrique ! Ici pourtant tous vibrent encore en rappelant des épisodes nombreux et le courage de nos soldats noirs fut exemplaire et les porteurs !... pauvres martyrs inconnus tombés plus nombreux qu'on ne croit. Il faut passer dans les Missions, entendre les Pères, entendre les Officiers qui en furent et l'on comprendra l'émotion générale au moment où il faut céder aux Anglais Kigoma, qui pour nous était la porte ouverte vers l'Est, Tabora, Karema, Karema où furent les premiers explorateurs belges ! Les derniers moments de
la tutelle belge sur Kigoma Mardi 25 Kigoma L'aspect des rives du lac est fort différent de celui du sud, en arrivant vers Kigoma on est un peu déçu de n'apercevoir qu'une colline verdoyante et une rive où se dresse le grand bâtiment du « Kaiserhof » qui fut l'hôpital jusqu'à ces derniers jours. En dépassant la presqu'île qui cache la baie de Kigoma, on découvre tout à coup une ville, les quais, la gare, des ateliers, des bateaux, des voiliers. C'est une autre colonie, nous ne sommes plus au Congo ! Les Allemands ne construisaient pas uniquement du provisoire ! La gare est un grand et beau bâtiment, la Résidence une demeure ayant belle allure, perron, hall, salon, salle à manger, les bureaux, jardin, une auto au service de la Résidence. Sur les collines s'étagent les divers quartiers de la ville hindoue, etc. Lorsque nous abordons, le capitaine Pothiez qui se conduit ma foi très chiquement avec moi (voyez accueil Elisabethville) m'annonce au commandant de la place. Un lieutenant me conduit à la Résidence et je suis magnifiquement reçue par le Commissaire Royal, M Marzorati, homme charmant, tout à fait gentleman, sachant recevoir. Il me fait installer au Kaiserhof et je prends mes repas à la Résidence. Un personnel bien dressé assure le service, Noirs portant la longue robe blanche, un fez blanc en broderie anglaise. Tout cela a de l'allure et est autrement digne et représentatif que ce que je vis à Elisabethville. M Bergerem et le Lt de Radiguès déjeunent avec nous, au dîner M Haenen directeur des Finances. Dans l'après-midi je reçois la visite du Dr Trolly. Nous causons longuement et il est fort découragé. La dislocation de son hôpital et le peu d'espoir qu'il a de le voir se réorganiser à Albertville comme il le désire. L’excellent Dr Bruneel fit la guerre en Macédoine avec les Anglais Mercredi 26 janvier Visite chez les Sœurs Blanches. La Supérieure est une personne charmante, jeune encore et heureuse de causer, réceptive à toutes idées nouvelles. Elle est souffrante immobilisée par une petite opération subie au pied. Les Srs Henriette et St Savinien toutes deux très gentilles. La conversation se prolonge et je n'ai que le temps de rentrer chez moi me rafraichir pour le diner. Les Srs m'accompagnent jusqu'à l'auto. Après le déjeuner, je rentre chez moi et vais à 4 visiter l'hôpital
des Noirs. Le Dr Bruneel, très intéressant fut en Perse,
fit la guerre avec les Anglais en Macédoine, vint au Congo. Chirurgien dont la
réputation s'étend jusqu'à Bombay. Il est des Asiatiques qui viennent de
partout pour se faire soigner. Cet hôpital tout provisoire se compose de
bâtiments en pisé qui actuellement ne peuvent être appréciés, étant sur le point
d'être abandonnés. Une partie du mobilier a déjà été transportée à Usumbura. Les malades sont nombreux et presque Le Dr Bruneel est à la fois un chirurgien et un oculiste de talent et un dentiste. Nous causons assez longuement et il semble peu convaincu de l'utilité de l'assistance médicale indigène comme le proposent les médecins déjà vus. Nous en causerons. Tempête sur le lac Tanganyka 3–2–21 Les Swahilis vivaient un peu partout dans la région échappant à la surveillance et exploitant les indigènes. L'administrateur est parvenu à les rassembler dans un village très grand, où les habitations sont nombreuses et vastes. J'ai visité ce village à la tombée du jour, accompagnée de MM Vandewiele et Céos. Il faisait nuit au retour et nous avons pris des sentiers à travers brousse pour rentrer au poste. L'administrateur trop souffrant, j'accepte à dîner chez le commerçant portugais qui voyage avec nous. A la fin du dîner le vent se lève, un orage menace. Le Capitaine décide de rejoindre immédiatement le bateau, je le suis. Le vent violent nous couvre de sable, la lanterne s'éteint et nous allons vite dans l'obscurité, buttant contre les pierres, descendant dans le fossé. Arrivés à la rive, le lac est démonté, les vagues sont énormes. Nous sommes dans la barque qui s'enfonce et remonte à des hauteurs qui paraissent énormes. L'eau nous couvre complètement, je suis ruisselante, l'effort des rameurs est fantastique. Je me hisse assez facilement à bord et m'empresse de me sécher. A peine déshabillée, le Capitaine ouvre la porte de la cabine et me dit « Venez sur le pont, nous allons couler, nous sommes sur un rocher ». Je le suis un peu étonnée de la rapidité de l'accident. On réveille les passagers. Heureusement, un formidable éclair nous permet de constater que nous sommes sur la rive et qu'un accident désastreux n'est pas à craindre. 10–3–21 Dès le 15 mars, arrivent M et Mme Bagenal (Commissaire de district) et quelques autres. Dîner à la Résidence, je suis mal disposée, la vue de ces futurs occupants à qui nous devrons céder la place m'irrite, je ne desserre pas les dents, prétextant mon ignorance de l'anglais. Après le départ, discussion avec le Commissaire Royal, il est fort ennuyé de mon attitude et craint mon humeur pour la réception du Gouverneur anglais. Enfin la paix est faite, j'irai promener Mme Bagenal et je parlerai anglais. Je fis comme je le dis. Discussion pour le logement du Gouverneur et de sa sœur. Ils désirent s'installer au Kaiserhof, malgré la proposition de M Marzorrati de les mettre à la Résidence. Difficulté de meubler le Kaiserhof. M Marzorrati voudrait que je m'occupe de cela mais les Bagenal désirent le taire et cela se conçoit. Je me contente d'acheter et de placer les rideaux dans les appartements de Miss Byatt. 19 mars Nous arrivent le Capitaine Macmaster et son épouse et le Dr et sa femme. Arrivée du gouverneur
anglais Byatt à Kigoma Dimanche 20 mars. Le Gouverneur doit arriver. Dès le matin 9 heures le train est annoncé et on l'attend à la gare. Les troupes sont à la gare, le personnel, puis il y a contrordre, ce sera pour 11 heures. Le Gouverneur déjeune et le train est arrêté, puis ce sera pour 10 heures. On s'énerve à cette attente. J'avais cru devoir si m'abstenir à cette réception, mais M Bagenal s'en est montré désappointé que je craignis qu'il ne le prit pour un signe d'hostilité. Les Anglais considèrent que je dois recevoir comme faisant partie des hautes autorités et presque en maîtresse de maison puisqu'il n'y a pas de dame à la Résidence. Je suis donc à la gare avec Mme Bagenal, les dames anglaises, Mme Keyser, femme du Lt ff aide de camp du Commissaire Royal et les Sœurs de la Mission pour recevoir Miss Byatt. Le train arrive, le Commissaire Royal s'avance avec son Etat-Major (M Bergerem, Lt Keyzer), congratulations. Les fonctionnaires belges sont rangés sur le quai, on les présente au Gouverneur, pendant ce temps nous saluons Miss Byatt. Présentation au Gouverneur, le cortège se forme et on sort de la gare, les gouverneurs suivis des aides de camp et des secrétaires, puis les dames. Devant la gare, les troupes rendent les honneurs royaux. On entre à la Résidence, rafraîchissements puis le Gouverneur est conduit au Kaiserhof par M Marzorrati. Déjeuner intime à la Résidence avec les Anglais. L'après-midi, il faut tout organiser pour le banquet du soir. A 4 1/2 h Miss Byatt vient me chercher pour une promenade à Udjiji. Au retour, je m'habille vivement, tout est en ordre. A 7 heures, les invités arrivent, le banquet est de 30 couverts en 3 tables. Moi à la droite du Gouverneur anglais, à sa gauche M Macmaster, en face M Marzorrati, à sa droite Miss Byatt, à sa gauche Mme Bagenal. Le gouverneur cause longuement avec moi, nous abordons les sujets les plus divers, envisageons les questions de civilisation, utilité d'une entente entre les pays colonisateurs sur le programme à suivre. Impossibilité de ne pas se rendre à l'évidence des progrès rapides et inévitables des Noirs. Utilité de rester les protecteurs, les instructeurs, de sauvegarder nos intérêts économiques. La soirée est calme, les dames sont réunies au salon, les messieurs dans le hall, les deux gouverneurs au fumoir. Soirée D’adieu à Kigoma
remis par les Belges aux Anglais Lundi 21 mars Le Gouverneur anglais vient à la Résidence et conférencie longuement avec le Commissaire Royal, je crois qu'il insiste pour racheter les maisons que les Belges se réservent, les concessions minières sont aussi l'objet de discussions. Le déménagement continue, on emballe tout le matériel des bureaux, tout se vide, des caisses partout. A midi déjeuner comme la veille en petit comité. Tout de suite après le déjeuner, M Keyser et moi faisons l'inventaire de la vaisselle et des verres et envoyons tout au Kaiserhof pour le banquet qu'offre Sir Horace. A la Résidence, on emballe. M Begerem est furieux, il doit faire à la machine de nombreuses pièces qui manquent. Le hall est parfaitement arrangé au Kaiserhof, guirlandes de bougainvillier, des branches de palmiers couvrent les piliers, trois tables traversent le hall en biais, celle du milieu une énorme table ronde, éclairage de bougies, quelques lanternes, effet très joli. Je suis à la droite du Gouverneur. Miss Byatt voulait danser, nous en avions été prévenus de la journée et avions chargé M Keyser de prévenir M Tremellen de ne point donner suite à ce projet. Les Belges eussent été assez froissés de ce bal au moment où ils n'avaient pas le cœur en fête. Miss Byatt n'est pas contente, je lui fais comprendre que ceux qui quittent Kigoma y laissent des souvenirs, des amitiés de la guerre, des camarades morts ... et qu'ils n'ont point la joie dans le cœur et qu'ils ne songent pas à danser. Elle comprend et la soirée finit très agréablement en causant sur la barza d'où on a une vue splendide sur le lac. Assez tôt je demande à me retirer et la séance est levée pour tous. Cérémonie d’Adieu.
C’est fini, les Belges quittent Kigoma Mardi 22–3–21 Les derniers préparatifs s'achèvent, on embarque meubles et caisses, la Résidence se vide, tout le protocole de la cérémonie est fixé. M Marzorrati et moi déjeunons au Kaiserhof. A 1 1/2 h nous rentrons à la Résidence. Les fonctionnaires sont tous réunis, Le Gouverneur anglais les salue et à 2 h tout le monde est réuni sur la place face à la gare, autour du drapeau belge qui flotte pour quelques instants encore. Les soldats anglais sont rangés dos à la Résidence en face des belges. Dos à la gare, le public, puis les fonctionnaires, puis les deux gouverneurs, face à la gare la musique anglaise. Salut, Aux Armes, une Brabançonne, le drapeau belge descend lentement
dans un silence émouvant, tout le monde a les larmes aux yeux. C'est fini! On
hisse le drapeau anglais, un léger accroc empêche une manœuvre rapide. Aux Armes,
God save the King, dislocation, tout a duré 17
minutes. Le bateau attend, les fonctionnaires embarquent. M Marzorrati rentre à la Résidence avec le Gouverneur. On vient avertir quand tout est prêt pour le départ. Miss Byatt et moi partons en auto pour le quai. Le Gouverneur anglais et le Commissaire Royal vont à pied. Les troupes anglaises rendent les honneurs, Brabançonne, on se dit au revoir. M Marzorrati, M Bergerem le Cdt Hoyer montent sur la passerelle ! (pont supérieur). On salue et le Vengeur s'éloigne emmenant les Belges et traînant une barge chargée de façon bien inquiétante où sont entassés soldats, femmes, enfants, boys, animaux, caisses, meubles etc. C’est effrayant et un frisson vous glace en songeant à la catastrophe si une tempête trouble le voyage. Ces minutes de départ sont infiniment tristes... on croirait voir s'éloigner des proscrits. Sir Horace et Miss Byatt se montrent tout à fait aimables pour moi, ils m'invitent à prendre tous mes repas chez eux. Après le départ, on retourne donc en auto au Kaiserhof, nous y prenons le thé, puis je vais à Udjiji avec Miss Byatt. Le soir dîner en petit comité chez le Gouverneur au Kaiserhof, je me retire de bonne heure et rentre à la Résidence déserte, si animée il y a quelques jours à peine. Une garde militaire veille sur moi. Le Tanganika part le mercredi 23 pour Albertville mais n'ira pas plus loin. Je demande au Gouverneur anglais d'arranger le voyage du Fifi de façon à ce qu'il me conduise à Baudouinville. Baudouinville : éloges sur la mission des
Pères et des Sœurs. Il faut une université pour les Congolais ! 26–3–21 Dès le matin, Mgr vient me chercher et nous visitons le séminaire, les jardins, la bibliothèque etc. Les séminaristes ont chacun leur chambrette dans laquelle il y a un lit, une toilette, une table de travail, une étagère avec des livres. Bien la chambre d'un étudiant ! Une salle pour les cours, un réfectoire qui est en même temps la salle de récréation. Ces jeunes gens ont un harmonium, des musiques, des jeux. Ils font des études complètes recevant des notions de botanique, de chimie, de toutes les sciences. En philosophie et en métaphysique, on les pousse très loin. Beaucoup de jeunes gens se préparent à ces études, bien peu continuent, soit que les études soient trop fortes pour eux, soit qu'ils ne se sentent pas la force d'accepter la vie de prêtre. Le premier abbé noir, Stéphane, est un modèle de modestie, de tact et de bon sens, son influence sera bienfaisante sur ses frères indigènes. Je l'ai mieux jugé qu'à notre première entrevue. Je ne crois pas que le séminariste Joseph, qui recevra bientôt la première ordination, sera aussi facile à manier que Stéphane. Il semble d'une intelligence plus vive et plus près de la terre que Stéphane qui est rentré d'Europe sans être grisé par son succès. Les missionnaires ont créé le séminaire parce que pour eux, l'Evangélisation est le but réel de leur rôle en Afrique. Si on leur avait demandé une école de droit ou une école de médecine, ils l'eussent fait, évidemment sous forme d'écoles subsidiées. Ils eussent obtenu des résultats car la grande difficulté qui existe pour la prêtrise n'existe pas pour les autres carrières: le célibat. Il faut que dans un avenir prochain, on songe à l'Université pour les Noirs, nous devons aller au-devant de toutes leurs aspirations, si nous ne voulons pas qu'ils deviennent des mécontents. Plus nous les élèverons, plus ils seront nos collaborateurs conscients, si nous les maintenons dans l'état d'infériorité, ils seront des révoltés. N'oublions pas l'éducation de la femme, il faut que le Noir instruit trouve une femme à son niveau sinon tout le travail de civilisation des années d'étude sera perdu. L'influence de la femme est ici comme en Europe très importante et considérable. Malgré ce qu'en pensent quelques Européens amateurs de « ménagères », la femme noire n'est pas seulement un animal de plaisir. Elle est parfaitement susceptible d'être éduquée et instruite. Voir à Baudouinville, la classe des postulantes et des novices et le travail intellectuel de ces jeunes filles, toutes si simples, vêtues d'un pagne bleu, conservant leurs habitudes indigènes pour la nourriture, les jeux et tout le matériel de la vie courante, le tout perfectionné, amélioré mais pas européanisé. C'est un grand principe de la Mission, marcher dans la voie du progrès en se servant de tout ce qui appartient à la vie du Noir en l'européanisant le moins possible. Les Srs ne veulent pour leurs élèves que le pagne et elles ne sont pas hostiles aux colliers et aux bracelets. Baudouinville : éloge du Père Verstraeten Mais revenons à la Mission des Pères, je visite l'église qui est fort belle et grande, tout en briques. Construite par des Noirs avec des matériaux du pays exclusivement. Tous les travaux de menuiserie sont exécutés comme par des ouvriers de chez nous. Confessionnaux finement sculptés, autels ! bancs, prie-Dieu, tout est soigné et de bon goût. De grandes nattes sur le sol pavé. Les noirs s'y agenouillent, certains apportent avec eux des petits bancs ou des sièges indigènes. Les femmes viennent avec leurs enfants, les petits sur le dos retenus dans une étoffe nouée sur la poitrine. Tout se passe dans la plus grande simplicité et ces mères allaitant leurs enfants, les gosses grouil1ant nus sur le sol, tout cela ne diminue en rien la majesté des offices. Tous chantent â l'église. Le noir adore le chant et accompagne tout de chants. Les ateliers de menuiserie, forge, cordonnerie, une brasserie, une tannerie, briqueterie, tuilerie etc. Une ferme, de nombreux troupeaux, vaches, bœufs, ânes, chèvres ! moutons, porcs, lapins, volailles, tout est parfaitement tenu et florissant. Les jardins, des merveilles, des roses par centaine, tous les fruits, orangers et citronniers surtout, splendides avenues bordées de palmiers, palmeraies, bananeraies, champs de tabac, café etc. Le Père Verstraeten supérieur de la Mission, toujours disposé à créer de nouvelles institutions a fondé une Caisse d'Epargne qui réussit fort bien et est un remarquable progrès. Voilà le Noir qui comprend le travail et l'économie. Il y a une caisse de secours mutuel pour les hommes et les femmes, donc assistance en cas de maladie. Une assistance aux cultivateurs à qui on prête la charrue et que l'on aide lorsqu'on peut avoir confiance en leur constance. S'il désire faire de l'élevage, il reçoit quelques vaches et lorsqu'il a un troupeau d'une certaine importance, il restitue les vaches fournies par la Mission qui peut ainsi aider d'autres fermiers. La Mission a demandé depuis très longtemps un taureau au Gt pour améliorer la race, on n'a même jamais répondu. On a crée une société de tir à l'arc, nautique, pêcheurs etc fanfare. Le lundi de Pâques concours de bétail, après-midi tir à l'arc avec prix. Mgr, les Pères et les Noirs tous prennent part au tir. Le dimanche de Pâques, j'ai dîné à la Mission des Pères. Je préside en face de Mgr, je dois découper le gâteau. Ecoles des Sœurs. Mère Jérôme ,supérieure Mère régionale, fait le catéchisme des grandes, dirige et organise les fêtes. Femme énergique, large d'idées, gaie, intelligente. Sr St François, dispensaire deux fois par jour et classe des grandes. Sr Adrienne noviciat et travaux aiguille ; Mère Raphaële basse-cour et couture, très âgée, 25 ans d'Afrique. Adrien le seul médecin
africain de la colonie ? 13–4–21 Vu à Karema,
le Dr Adrien, un noir formé à l'Université de Malte. Il pratique depuis 30 ans
environ et est très apprécié. Il cause parfaitement le français, m'a dit que l'état
sanitaire était satisfaisant, tout en déplorant la pénurie de médicaments,
l'impossibilité de faire les injections A Kongolo :
pénurie de vivres pour tous 18–4–21 Arrivée à 8 heures à Kongolo, tout le monde officiel est à la gare pour le départ du Cdt Leleu, voyagent aussi avec nous, le Cdt Fossa (un italien), M Couseman. Le Commissaire de District me demande mes impressions. Les dames sont-elles satisfaites. Je réponds non et insiste sur la question du ravitaillement. Dans les territoires occupés, on mange bien et tout le monde est content. Au Congo, on manque de tout, c'est la lutte pour les vivres et on se chamaille, tout le monde est mécontent ! Il faut ravitailler et il faut envoyer au Congo des femmes convenables et éduquées. Là où tout va mal c'est qu'il y a l'une ou l'autre darne qui n'a jamais rien eu ou rien vu, sortie de je ne sais où, et qui se montre insupportable là où son passé ne lui est pas rappelé et qui occupe un rang qu'elle n'eut jamais pu espérer en Europe. Au Km 300 considération
du Dr Russo sur les villages des
« licenciés » 22–4–21 Conversation avec le Dr Russo à propos des villages de licenciés organisés en chefferies. Ils ne peuvent rentrer chez eux. Ce sont en général des travailleurs volontaires (amenés la chaîne au cou) il y a plusieurs années des régions lointaines. Ils se sont mariés ici, les femmes ne peuvent ou ne veulent les suivre dans le pays d'origine du mari, celui-ci ne pourrait plus s'habituer à son ancien milieu. Donc les licenciés se groupent et se choisissent un chef, ils travaillent et ont des plantations considérables. Cependant, le Dr Russo dit avec raison que le chef de poste européen devrait s'intéresser à eux autrement que pour percevoir l'impôt ! Il faut aller chez eux, leur accorder le transport à l'hôpital en cas de maladie, s'intéresser aux femmes, aux enfants, les faire instruire, intervenir si la Mission sort de son rôle en disloquant le village et en diminuant l'autorité du chef. Cette question doit être examinée de près : les licenciés ont déjà acquis trop de civilisation pour être dupes et ne pas protester quand il faut payer l'impôt à l'Etat sans en rien recevoir ! Ce sont des sujets qui peuvent nous aider utilement ou devenir très aisément des révoltés prêts à entraîner les populations à la révolte comme le cas se présente actuellement dans le Sankuru. Promenade avec le Dr Russo au village des licenciés, en lorries le long de la voie, cultures, peu d'enfants, maisons convenables. Palabres avec le chef Mubanga Lundi 24 avril Dans l'après-midi, allons avec les Sœurs visiter le village Mubanga, à 4 km d'ici. Mubanga est un vieux chef qui fit la guerre autrefois avec les Arabes contre les Blancs. Actuellement, il n'est plus hostile mais assez opposé à l'influence de la Mission qui lutte contre la polygamie. La Sr Henriette de l'hôpital m'accompagne, ainsi que la Sr Adélaïde qui va faire le catéchisme. Nous arrivons, il y a bien une vingtaine d'élèves mâles mais pas de filles. Le catéchiste nous dit que toutes ont fui en apprenant notre venue, on leur avait dit que nous allions les prendre et les emmener à Kindu ou Kongolo. Le village semble désert, à notre passage, quelques portes s'ouvrent, quelques têtes curieuses apparaissent. Nous arrivons sur la place où se trouve le Lupanga du Chef et là nous voyons des hommes assemblés, nous nous approchons et dans la grande salle du conseil il y a réunion plénière des autorités. Le Père Missionnaire venait réclamer la liberté d'une jeune fille chrétienne fiancée à un jeune garçon des environs que son père avait vendue malgré elle à un vieux polygame. La palabre est sérieuse, la question est plus étendue qu'on ne pense. Le missionnaire a soulevé la question du catéchisme pour les hommes. On s'informe, on veut savoir à quoi on s'engage. Les fl11es qui portent la Croix ne peuvent-elles plus revenir au village ? Oui mais elles doivent vivre avec leur mari et avoir des enfants. Un homme chrétien ne peut donc prendre plusieurs femmes ? « Non ». « Eh bien que toutes viennent jeter leur croix à tes pieds, nous voulons plusieurs femmes. » La discussion continue. Le chef parle avec volubilité et d'abondance. Les vieux de l'assemblée répondent parfois par un simple « Hum hum » ou « Dio dia », parfois la discussion est énergique. Le missionnaire parle à son tour, on l'applaudit même. Moi-même je demande si on peut dire au Boula Matari que chez Mubango on désire s’instruire, tous répondent affirmativement. Finalement, nous proposons de lever la séance, la question demande réflexion et ne peut être liquidée sur place. Cette séance très intéressante a beaucoup de caractère, beaucoup de dignité. Le chef est seul dans un coin de la salle sur une petit estrade où il y a des nattes et un coussin, derrière les trois femmes qui ont voix au chapitre et participent à la discussion (elles sont plus avancées que nous qui n'avons pas accès au Parlement !) Dans le reste de la salle, tous les notables et les vieux, les uns drapés dans des étoffes (un très remarquable et digne drapé dans du velours bleu), d'autres ont des vêtements usés, d'autres sont nus. Nous reconduites à la limite du village, le Chef me met sa visite pour demain à l'hôpital, il promet de ne plus être hostile à l'envoi des enfants à l'école. Parties de la Mission vers 2 1/2, par un chemin à travers la brousse, les herbes plus hautes que nous, le soleil est dur ! Au passage d'un ruisseau un peu d'ombre et de fraîcheur. C'est là que nous arrêtons au retour pour goûter au bord de l'eau. La Sr Pelagie nous avait préparé un goûter de choix : gaufres, fruits, café au lait. Tableau Pittoresque, les deux Sœurs en blanc avec le casque par-dessus le voile, moi en blanc et le casque : la brousse, le ruisseau, le calme infini de cette immensité si peuplée cependant ! Léopards, lions, hyènes etc. Rien ne manque dans cette région. Vers le soir, feu de brousse. Le courage des Sœurs à
l’hôpital des Noirs du km 300 28–4–21 Visite à l'hôpital des Noirs où les malades sont si nombreux qu'on manque de lits, ils sont couchés par terre et le Dr Russo se désole de ne pas avoir de médicaments. Que faire pour tous ces boubas, pians, maladies du sommeil, fièvres, sans le moindre sérum, sans un gramme de quinine, sans une goutte d'alcool et d'iode. La situation est inouïe, ce pays laissé sans médicaments, les Blancs comme les Noirs ne peuvent être soignés. Il faut voir à côté de ce qui est à l'hôpital, la foule qui se présente tous les matins au dispensaire!! Et trois Sœurs doivent assurer tous les services. Ici comme à Baudouinville, j'admire le courage et la résistance de ces femmes qui travaillent au-delà de ce qu'on peut demander à une femme et on les laisse sans quinine, on insinue qu'il faudrait supprimer la minime ration de vin à laquelle leur contrat leur donne droit. Maladies vénériennes très répandues. Un asile de femmes dépend de la Mission, il abrite des créatures couvertes de plaies syphilitiques horribles, le visage est parfois complètement rongé par le mal. Le mal est répandu dans tout le pays et on ne fait rien pour l'enrayer. La prostitution des femmes de soldats, des femmes de licenciés, des femmes des travailleurs est l'agent principal de transmission. Les soldats passent la visite médicale, les femmes pas. Des dispensaires !!, des médicaments utiles, la plainte est générale, on manque de tout ! Kindu et les pensions
pour les petits mulâtres Jeudi 5 mai (Ascension) Messe à la Mission, j'y vais le matin à 7 heures, départ en lorries, tous les moyens de locomotion auront été utilisés. Déjeuner chez M Camus, MM Gilson et Bernard viennent nous rejoindre. A 8 1/2 heures, le bateau « Baron Van Eetevelde » part, les autorités sont là pour me saluer. Kindu est un joli poste, la rive, la gare, le quai, les ateliers, les bureaux, quelques habitations toutes très bien, le kraal, les pâturages pour le troupeau bien soigné, les bêtes ont bon poil, en haut dans les avenues de palmiers, les habitations. Mission des Pères du St Esprit. Je n'apprécie pas beaucoup ces Pères comme missionnaires. C'est cependant leur seul but à Kindu. L'internat pour enfants mulâtres (mâles) est mal tenu. C'est sale. Ne touchant pas d'indemnités, les Pères ne peuvent pas bien les nourrir et les enfants sont chétifs et couverts de plaies. Environ 50 petits mulâtres, élèves externes indigènes, population flottante. Mission des Sœurs « Filles de la Croix », internat pour les mulâtresses, très propre, bien tenu, les enfants sont soignées. Les dortoirs aérés, petits lits indigènes, un coussin, une commode. Elles apprennent à coudre, lessiver, repasser etc. La grande difficulté est de caser ces filles lorsqu'elles sont en âge de se marier. Arrivant à la Mission elles sont déjà initiées à toutes les pratiques des femmes noires étant restées trop longtemps chez leurs mères qui en vue de les exploiter dans l'avenir les éduquent dès l'enfance. L'internat les a privées de toute affection tendre et dès qu'elles peuvent se libérer elles sont plus exposées que d'autres aux tentations. (…) Ponthierville Samedi 8 mai Nous arrivons à Ponthierville à 9 1/2 heures du matin. Le train est parti. On prévient en hâte le Commissaire de District, M Bureau, de mon arrivée. Il vient me recevoir avec M Leyen Procureur du Roi (frère de Mme Baltus voir Eville). Au débarcadère, le Chef de gare, le Commissaire de police etc. On me loge très bien dans une jolie maison des Grands Lacs. Vue sur le fleuve. Ponthierville est un poste charmant, allées de palmiers, maisons en briques et un commissaire de police épatant qui s'occupe du ravitaillement. Les vivres sont abondants et pas chers. On reçoit régulièrement sa part du ravitaillement. Tout le monde est content et entente cordiale sur toute la ligne. Samedi après-midi, après bain, repas, sieste, je vais à la Mission, misérable. Maison danoise pour les Pères, un hangar comme église, même genre pour l'école et le dispensaire. Le Père Surry est absent. Je rencontre un Père français terriblement prolixe en paroles, un peu spécial. Cet ordre du Saint-Cœur me semble travailler sans programme et sans résultats, à classer avec les St Esprit. Le Camp de l’artillerie
de Ponthierville Lundi 11 mai A 7 1/4 h, le Cdt Fossae vient me chercher, nous allons au camp de l'Artillerie, le Capitaine De Brie commande les deux batteries. Nous arrivons sur la plaine, les troupes sont rangées, il y a remise
de deux décorations et des galons de caporal à un soldat. À remarquer qu'on n'a
pas de galon à donner aux hommes, ils s'attachent à la manche un bout d'étoffe
quelconque. Lorsqu'on décore, on envoie le brevet sans la décoration ou bien la
barrette sans la médaille !!! Les officiers sont désolés et les soldats assez
mécontents. Le camp est bien tenu, les officiers mal logés dans des maisons en
pisé assez misérables. Pas de mobilier. On pourrait si facilement le faire sur
place ! à si bon compte .. pas de crédits ... toujours la même réponse. Les soldats ne sont point ravitaillés
en viande ou en poisson et on refuse le permis de chasse… etc. J'admire de plus
en plus l'initiative du Major Soikus qui a découvert
le secret de se tirer d'affaire en toutes circonstances sans attendre les
subsides du Gouvernement. Tout à fait déplorable, pas de barza, tout petit, manque d'air. Stanleyville, avec le docteur Veroni,
conversation sérieuse où cancanage ? 11–5–21 A 3 h Mlle Passau vient me chercher, je vais faire quelques achats
dans le magasin élégant de la ville, je trouve du papier, des enveloppes, des
bas, du beurre etc. De là, je vais voir le Dr Veroni
qui me parle longuement de tout: les infirmières, il en est partisan mais il
faut une sélection sévère. Mlle Passau très bonne note pour la conduite, le
travail et tout. Mlle Simoneau, très mauvaise note, s'est
compromise avec un juge, très potinière. On dit beaucoup de mal de Stoops, Huberland et l'autre qui
est avec elle, on devrait rappeler tout ce monde-là. Les écoles normales pour la formation d'instituteurs et d'institutrices indigènes sont indispensables. Mgr Grison parle un peu comme Mgr Callewaert, avant tout imbus de l'esprit d'évangélisation qui est le vrai but de leurs Missions, ils veulent néanmoins accaparer tout l'enseignement et l'autorité. Il faut doucement ramener ces anciens congolais encore imprégnés de la liberté des premiers temps à une discipline, une méthode d'enseignement et d'éducation adéquates aux circonstances et à l'évolution du pays. Mgr Grison semble avoir un pouvoir assez grand sur les bureaux à Bruxelles. Une fois ou deux je l'ai entendu dire : « J'ai envoyé un Père prévenir à Bruxelles, si tel fait se produit, je préviendrai de suite Bruxelles ». Voilà bien la lutte des partis qui sévit même ici, au lieu d'établir les situations, d’avoir un programme et des règlements, non faits pour mettre les gens en ennemis l’un en face de l’autre mais en collaborateurs d’une même tâche pour un même but à atteindre. Mardi 21 mai Le matin, vers 7 heures, je suis à la rive pour m'embarquer avec les autorités qui vont à la Mission St Gabriel pour la translation des restes des restes du Comte Ferdinand de Grünne, mort en 1914 dans l'Uele Pour sa biographie voir : http://www.kaowarsom.be/documents/bbom/Tome_II/Hemricourt_de_Grunne.Ferdinand_Guillaume_Hubert.pdf ) A l'arrivée, les troupes rendent les honneurs, je suis placée dans le chœur à droite du Commissaire Général, un peu sur le côté. Absoutes, on se rend au cimetière, les troupes rendent les honneurs, c'est très beau et très patriotique, bien peu d'Européens présents sont indifférents, je suis avec les Sœurs, verse ma pelletée de terre sur le cercueil et je reste à la Mission. (ordre des Srs Franciscaines). Je prends du café. Visite à Mme Van Eeck, le mari est aux Finances. Elle a un beau bébé de 9 mois mais semble fort fatiguée et anémiée, pas de lait, pas de nourriture suffisante pour la femme. Ce qu'il y a est affreusement cher. Le mari fit son premier terme dans l'Uele où les vivres sont abondants. Brave femme qui dit : « je veux avoir des enfants et on me met là où il n'y a pas de vivres, j'en vois partir d'autres sans enfants vers les régions riches. » Incurie des autorités, on ne veut pas réparer son toit et le soleil donne dans la maison où il faut vivre en casque ! ! Vers 3 heures, je vais voir le Gouverneur, nous bavardons, son école s'ouvrira en juin. Vers 4 heures, je veux partir mais il me retient jusqu'à 5 heures et me raconte toutes les complications des paperasseries administratives. On refait tous les ans le budget, cela représente pour la Province plus d'un mètre cube de papiers, et quel personnel pour vérifier tout cela une fois au District, une fois à la Province, une fois à Boma. Pourquoi ne pas faire le budget pour cinq ans puisque les chiffres varient si peu ! Paralysie complète des Provinces par la tutelle de Boma. Les religieuses ne
veulent pas assister les médecins dans les accouchements et les consultations
de maladies vénériennes 7 juin 21 à Léopoldville La création d'écoles laïques devient une nécessité dont j'entendis partout proclamer l'urgence, même et surtout par les Vice-gouverneurs. Il faut un programme primaire et d'école normale pour la formation d'instituteurs noirs, comme le faisait les Allemands. On programme pour l'Afrique, pour le Congo, pas un programme fait pour la Belgique. (…)
Le même cas se présente pour les hôpitaux, on dit que les infirmières laïques coûtent cher, pas tant que les religieuses. 1) les religieuses sont rarement des infirmières de profession et elles touchent 11000 Fr par an, 13000 si on ajoute les diverses indemnités. 2) les religieuses doivent toujours être deux en service, donc le moindre hôpital comporte 5 personnes et elles refusent leurs soins aux accouchées pendant l'accouchement, aux malades vénériens etc. Résultat les médecins sont accablés de besogne une besogne qui n'est pas la leur, mais celle d'une infirmière. Loin de ma pensée de critiquer ou de nier le travail des Missions. Certains ordres sont vraiment admirables, mais il faudrait un contrôle, il ne faudrait pas leur réserver le monopole de l'instruction et des hôpitaux et il ne faut pas tromper le monde en disant elles ne coûtent pas cher ! Elles jouissent aussi de certains avantages de transport pour les objets dits de culte. En réclamant contrôle et programme cela s'applique aussi aux missions protestantes, toutes étrangères. Nous voulons diriger un immense pays de plus de 15 ou 20 millions d'habitant et nous ignorons totalement dans quel esprit et de quelles matières on forme le cœur et l'esprit de ces peuples primitifs ! On ne peut parler d'instruction sans aborder la question des langues. Et alors que nos voisins les éduquent en français, leur formant un esprit et un cœur français, nous nous cultivons le « basengi » (basengi veut dire sauvage !) et laissons entrevoir l'introduction de la querelle des langues pour certains ordres religieux (« Scheut »). Conclusion de ma
mission : Parmi les nombreux devoirs d'un peuple colonisateur envers les colonisés, le plus impérieux et le plus délicat semble être celui de l'enseignement, comportant l'instruction l'enseignement professionnel. Jusqu'à présent, des Missions religieuses de toutes nationalités et de toutes confessions ont eu l'entière liberté d'instruire les indigènes du Congo, comme il leur plaisait, dans la langue de leur choix et dans l'esprit de leur ordre. Actuellement, personne ne pourrait dire ce qu'est un noir lettré. Dans nos pays, étant donné la conformité relative des programmes d'étude, il suffit de connaître le degré des études d'un sujet pour savoir ce qu'on peut demander de lui. L'Etat colonisateur ne peut se désintéresser de l'instruction et de la formation de la jeunesse du pays qu'il administre. Après avoir visité les écoles des Missions belges, anglaises, françaises et suédoises, j'ai pu constater, malgré diversité des enseignements, que l'école est un bienfait pour l'indigène. Aidé de l'expérience précieuse de ces maîtres, on pourrait créer un programme d'enseignement primaire, moyen et école normale, adéquat au niveau social actuel de l'indigène. ENSEIGNEMENT En effet, le degré primaire doit évidemment être beaucoup simplifié par rapport à ce qu'il est chez nous et ce sont que les hommes tels que les Pères Blancs (Baudouinville), les Frères Maristes (Stanleyville), les Jésuites (Kisantu), les Frères des Ecoles Chrétiennes (Borna), les Missionnaires de la Baptist'$t Foreign Mission (Matadi) ou de la Baptist Missionary Society (Yakusu, Waika, Bolobo etc), qui peuvent proposer un plan d'études d'après lequel pourrait être établi le programme adopter. Les sujets d'élite des classes primaires seraient dirigés vers l'école normale pour former des instituteurs indigènes qui deviendront nos plus précieux collaborateurs dans la tâche immense à accomplir. Ces sujets pourraient également aller à l'école des clercs, indispensables dans toutes nos administrations publiques ou privées, ou à l'école professionnelle. Deux écoles normales pour la formation des instituteurs suffiraient, l'une à Tumba, comme le propose le Frère Visiteur Provincial des Ecoles Chrétiennes l'autre dans un endroit facilement accessible du Katanga et de la Province orientale. J'insiste sur le soin qu'il faut apporter à l'éducation et à la formation morale des élèves de l'école normale. Ces futurs éducateurs de la jeunesse auront une grande influence et il dépend de nous qu'ils soient des auxiliaires consciencieux et puissants de notre œuvre de colonisation. Il importerait d'étudier de près ce qui s'est fait dans ce sens dans les colonies semblables à la nôtre. Il m'a été donné de connaître à Udjiji quatre instituteurs indigènes formés à l'école allemande de Tanga, j'ai admiré la dignité d'attitude de ces hommes, leur fermeté avec leurs élèves et l'efficacité de leur enseignement. J'aurais voulu rencontrer beaucoup d'écoles semblables à celle d'Udjiji dans notre Congo où hélas, les catéchistes actuels ne répondent pas à ce que nous devons souhaiter. M Wilnine, commissaire de district à Udjiji peut donne son avis sur l'école de ce poste dont il s'occupait de façon suivie. Une école de clercs ou école moyenne avec programme non pas européen mais adapté aux besoins de la Colonie, suffirait par chef-lieu de province. Là encore, à côté de l'enseignement, il faut une éducation morale, car si nous avons des devoirs envers l'indigène, il en a envers nous, envers ses supérieurs, s'il devient commis, employé. L'indigène est comme l'enfant à qui il faut souvent rappeler que le devoir n'est pas toujours facile à accomplir, il se laisse facilement entraîner par son instinct primitif. L'école professionnelle Pour le moment elle est tout à l'ordre du jour, on en voudrait partout. Il en faut certes mais ayons la sagesse de ne pas former des artisans au-delà de nos besoins au détriment de l'agriculture. Actuellement, dans toutes les Missions il y a une école professionnelle qui forme d'excellents artisan que la mission bien souvent garde pour elle. C'est là que git la difficulté. Il faut arriver à ce que les écoles professionnelles subsidiées fournissent régulièrement un nombre d'artisans en rapport avec le nombre d'élèves qui sont à l'école. Très rapidement, dans les centres, l'école professionnelle devient le fournisseur des particuliers, et la clientèle augmentant, elle garde les bons artisans qui permettent d'agrandir les ateliers pour satisfaire aux commandes. Ceci prouve que l'école sort de son rôle et prive l'industrie locale d'une main-d’œuvre qui lui permettrait de satisfaire la clientèle. J'ai pu constater cet état de choses dans plusieurs grands centres pour les ateliers de charpenterie, imprimerie, cordonnerie, tailleur, etc... On m'a fait entendre maintes et maintes fois des plaintes au sujet de la difficulté avec laquelle les missions cédaient parfois un ou deux bons ouvriers après d'instantes sollicitations. Dans les Missions auxquelles j'ai fait part de ces plaintes, on m'a affirmé qu’elles n'étaient point fondées. D'après ce que j'ai pu voir, je crois que les écoles professionnelles subsidiées par l'Etat, c'est le cas des principales d'entre elles, serviront plus avantageusement l'intérêt général lorsqu'elles seront soumises à un contrôle officiel régulier. Les grandes entreprises, telles le C.F.K., la Géomine etc. ont annexé à leurs ateliers une école professionnelle. Ces initiatives devraient être généralisées. L'école du C.F.K fournira aux ateliers du chemin de fer de bons ouvriers qui sous la direction de contremaîtres européens rendent les plus grands services. A Manono, ,lors de mon passager une grève avait privé l'exploitation de presque tous les ouvriers européens restaient 5 ou 6 contremaîtres belges ; toutes les machines et installations électriques étaient manœuvrées par des indigènes sous la surveillance des belges. Stanleyville possède une école de menuiserie fondée par le Vice-gouverneur pour suppléer à la production suffisante de celle des Frères Maristes. Le jeune liégeois qui donne enseignement dans cet atelier est un élève d'une de nos écoles industrielles belges et les vingt élèves travaillant sous sa direction donnaient toute satisfaction. Les camps militaires ont tous des ateliers pour tous les métiers. Il suffirait d'un outillage un peu plus complet dans les grands camps pour qu'ils deviennent rapidement des écoles modèles à en juger par les résultats obtenus avec les moyens rudimentaires dont on dispose actuellement. Souvent j'ai entendu des critiques sévères contre les Missions qui enseignent aux filles des travaux tels la dentelle, la broderie etc. S'il y a lieu de regretter que l'école ménagère ne soit pas annexée à ces institutions, il serait injuste de vouloir supprimer cet enseignement professionnel qui devrait être soutenu, encouragé et dirigé. Dans les grands centres, les femmes indigènes n'ont plus l'occasion de se livrer aux travaux des champs. Elles sont exposées à toutes les tentations, luxe de toilette par l'exposition dans de nombreuses factoreries de pagnes aux couleurs chatoyantes, foulards brillants, bijoux de pacotille, parfums etc. Les femmes européennes leur montrent l'exemple des raffinements de la toilette. Nécessairement ces femmes cherchent le moyen de se procurer ces colifichets et leur ignorance à gagner leur vie, leur inactivité est une des causes de la prostitution. Créons des industries féminines, que la femme soit au travail, qu'elle puisse satisfaire ses goûts, ses besoins par les ressources de son métier. A Boma, les Sœurs ont formé d'excellentes ouvrières faisant du Ténériffe. Leur but était d'occuper les grandes élèves sortant de l'école. Les travaux exécutés sont magnifiques et il ne serait pas difficile de créer une industrie locale pour de nombreuses ouvrières. Dans d'autres centres, les élèves font de la dentelle aux fuseaux, ailleurs des travaux en raphia. L'enseignement professionnel féminin, pour la formation d'ouvrières adroites est nécessaire, utile et moral. Le Dr Veroni qui à Stanleyville s'occupe du service de santé et de l'asile des prostituées malades, insiste sur la nécessité de donner du travail aux femmes et me dit que c'est le manque de ressources qui a conduit la plupart des pensionnaires de l'asile vers une vie de débauche. L'école professionnelle ne doit point nous faire perdre de vue l'utilité de la colonie agricole. Il faut former des ouvriers agricoles tout aussi bien que des ouvriers industriels. On semble oublier trop fréquemment cet enseignement. J'ai entendu dire : le Noir s'y connaît mieux que nous pour la culture du manioc, du maïs. S'il est vrai qu'il excelle dans les procédés primitifs de culture qui suffisent à satisfaire ses besoins personnels, il faut que nous l'instruisions pour l'exploitation agricole en grand, pour la culture des plantes qu'il connaît peu ou pas et qui sont indispensables. Il y a dans ce domaine des ressources inestimables dans ce pays de soleil et d'eau, le Colon actuellement n'est point secondé, il manque de main d'œuvre parce que l'indigène n'a pas été intéressé à la production agricole. Dans certaines régions, les fleurs (essences et parfums) et les fruits deviendront une richesse. Actuellement le travail agricole est une corvée pour l’indigène et il essaie de s'y soustraire. Dans les Missions ce sont les enfants qui font ce travail, les adultes s'y refusent puisqu'il ne rapporte rien. Dans les postes de l'Etat, on recrute difficilement de la main d'œuvre agricole. Il faut par un enseignement spécial former des jeunes gens qui aiment la terre, s'intéressent à la production et ceux-là deviendront les éducateurs de leurs congénères. J'ai pu voir à Baudouinville des indigènes cultivateurs, éleveurs pour leur propre compte, anciens élèves de la mission. On ne pourrait trop insister sur l'importance de la production agricole trop négligée jusqu'à présent et dont l'insuffisance crée des situations comme celle que nous connaissons à Kilo par exemple, où malgré la richesse de la terre, on ne peut nourrir suffisamment la population ouvrière minière. Dans les régions de peuplades agricoles, comme le Ruanda, il est réjouissant de voir comme les indigènes ont compris l'intérêt commercial de la culture. Les marchés d'Usumbura, Nianza, sont tout à fait intéressants et les indigènes (Watusi) y apportent d'énormes quantités de farine et autres produits. Du beurre indigène est expédié aux Indes d'où il nous revient comme beurre de table, en tines. Un commerçant m'a dit faire pour environ 1000 frs d'achats journaliers au marché de Nianza. Je suis convaincue pour ma part qu'on ne peut s'opposer en principe à ce que l'indigène apprenne une langue européenne. Il éprouve très vite le besoin de connaître une langue qui lui permette de se faire comprendre en-dehors des limites étroites qui sont celles de l'idiome de sa race. Il serait vain de vouloir s'opposer à cette loi inéluctable. L'Etat colonisateur a pour devoir d'enseigner et de répandre la langue nationale. S'il y manque, l'usage d'une autre langue européenne s'imposera fatalement au Congo, ce sera l'anglais que le Noir Africain apprend avec facilité par son contact avec tous les milieux anglo-saxons, missionnaires, commerçants, industriels répandus sur le territoire de notre Colonie. Au cours de mon voyage, j'ai visité de nombreuses écoles et recueilli partout les avis sur cette grave question. En général dans les missions étrangères, on s'est montré anxieux de voir le Gouvernement prendre une décision au sujet de l'enseignement d'une langue européenne. Dans les Missions belges et dans les autres du reste, on m'a signalé le désir qu'a l'indigène d'apprendre le français. Dans les classes supérieures, à Boma, Lusaka, à Lusambo, à Kisantu on enseigne le français mais c’est insuffisant. Mgr Roelens trouve que le français doit être enseigné dans les villes mais pas dans les petites écoles. L'indigène connaissant le français abandonnerait le village pour émigrer vers les villes se croyant apte à gagner plus aisément sa vie. Ce danger n’existe pas car actuellement les indigènes des villes n’ont pas le droit d’y résider que pour autant qu’ils aient un emploi. Donc on ne peut craindre le danger de présences inutiles dans les villes. Dans l'Est Africain Britannique, les indigènes parlent anglais, car il est rare, en Afrique tout au moins, que l'Anglais n'habitue pas l'indigène à le comprendre en sa langue et prenne la peine de s'initier en langue indigène. Au Congo Français, M Augagueur, le Gouverneur, m'a dit que l'enseignement se faisait entièrement en français. L'indigène n'oublie jamais son dialecte et si on l'instruit en français, il pense en français et devient français de cœur et de pensée. Dans les écoles laïques, l'enseignement se donne en français et seules les missions religieuses qui enseignent le français sont subsidiées. Au moment d'organiser de façon générale l'enseignement à la Colonie, il faut bien examiner le programme à adopter. Si nous pouvons nous inspirer des programmes européens, il faut cependant les adapter judicieusement aux exigences de ces populations primitives. Il serait sage de faire appel à toutes les compétences congolaises, aux hommes et aux femmes qui depuis de longues années étudient le Noir et essaient de le comprendre. Je crois cependant que le début de l'enseignement doit être surtout éducatif puis arriver progressivement à une instruction très simple. Les sujets d'élite seraient dirigés vers les grandes écoles. En parlant d'enseignement, je comprends les écoles de filles au même titre que les écoles de garçons. Jusqu'à présent on a fait un grand pas dans certains centres pour l'instruction des garçons mais on a oublié que ces jeunes gens souhaitent des épouses qui soient leurs égales par l'instruction et l'éducation. Souvent j'ai entendu parler de la femme noire comme un être assez inférieur et peu intéressant, c'est une très grande erreur. Ayant vu de près des centres d'éducation, j'ai pu constater combien ces fillettes et ces jeunes filles étaient vives et intelligentes. Elles s'initient très rapidement aux travaux du jardinage, de la culture, aux travaux ménagers, aux travaux de couture tels la confection de nattes, le tressage des fibres végétales, confection des chapeaux, des tissus, des cordes, ou aux travaux de l'aiguille tels le ténériffe, la dentelle etc. A l'école, elles ne sont pas moins promptes à s’initier aux matières enseignées, lecture, écriture, histoire sont aisément assimilées. Pour tout ce qui dépend de la mémoire leurs aptitudes sont supérieures à celles de nos enfants d'Europe, l'arithmétique et toutes choses raisonnées sont plus difficiles à inculquer à ces intelligences très primitives. J'ai cependant vu des jeunes filles arriver à un très grand développement de raisonnement et dans les classes supérieures on peut voir des esprits très différents traiter avec beaucoup d’'à propos des questions de théologie si souvent abstraites. La fillette et la femme indigènes ont toutes les délicatesses féminines et j'ai remarqué combien ces qualités se développaient vite. Il suffit de comparer la femme qui fut éduquée à la mission à celle qui vit dans la brousse. Des jeunes filles de la brousse demandent souvent à pouvoir passer un temps dans une mission afin d'y acquérir ce qu'elles remarquent parfaitement leur manquer. L'école primaire obligatoire devrait exister dans toutes les villes. Je fus stupéfaite de constater que dans des agglomérations de l'importance d'Elisabethville, Kinshasa, Matadi ou Borna ce service essentiel n'est pas organisé. A Stanleyville les enfants se présentent à l'école si nombreux qu'on ne peut tous les admettre. C'est un devoir d'arracher à l’oisiveté ces jeunes enfants qui traînent dans les cités indigènes, les camps et les rues. Ils y sont à l'école du vice et nous nous étonnons de l'immoralité des populations des villes! Pour ces écoles primaires, il suffirait d'un instituteur e d'une institutrice aidés par des moniteurs noirs. Il est urgent de créer ces écoles. Il faut aussi souhaiter des écoles ménagères pour les villes. Les Missions religieuses près des grandes villes devraient organiser des ateliers où l'on réparerait le linge des Européens, des blanchisseries, des repasseries etc. Les jeunes filles habituées à ces travaux les exécuteraient dans leur ménage lorsqu'elles quittent la Mission pour se marier. Réflexion du chef Lufungala (Maniema) à qui je fais demander « voulez-vous qu'on instruise les enfants de votre chefferie ? » « Oui, les plus intelligents, les autres ne peuvent faire qu'un mauvais emploi de leur savoir ». Lufungula a permis l'installation d'une école dirigée par un catéchiste, dans son village, mais il proteste contre l'exode des élèves instruits vers le village de la Mission où ils échappent à son autorité. Dans de nombreuses écoles, le matériel scolaire est tout à fait insuffisant. L'impression des livres classiques en langue indigène, occasionne de grosses dépenses pour lesquelles toutes les missions ne sont pas aidées. Papier, crayons, ardoises, tout manque. Il est difficile dans ces conditions de mener un enseignement complet aux jeunes élèves. Les Missions anglaises mieux outillées ont un matériel assez complet. Dans les petites classes j'ai vu donner avec succès un enseignement froebélien qui nécessite une grande variété d'accessoires. Presque toutes les missions étrangères ont leur imprimerie à la Mission, ce qui leur permet d'imprimer tous les livres exigés par le nombre d'élèves. En résumé, il est urgent et indispensable : a) de fixer un programme d'étude et d'éducation pour les écoles du Congo; programme adapté aux exigences de la population indigène b) de créer dans les grands centres des écoles primaires pour les filles et les garçons, c) de rendre la fréquentation de ces écoles des grands centres obligatoire, d) de soumettre les écoles subsidiées à un contrôle officiel régulier, e) d'organiser des écoles ménagères pour les jeunes filles et des écoles professionnelles pour les métiers féminins, f) d’organiser un enseignement professionnel et agricole, g) d'enseigner la langue européenne nationale, h) de fournir le matériel scolaire indispensable dans les écoles.
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