Médecins de la Grande Guerre

L’Ecole nationale belge des mutilés de guerre à Port-Villez

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L'Ecole nationale belge de Port-Villez.

Port-Villez – Institut Militaire Belge de Rééducation Professionnelle des Grands Blessés de Guerre. Entrée principale.

Port-Villez – Institut Militaire Belge de Rééducation Professionnelle des Grands Blessés de Guerre. Fêtes Nationales 1916 – Concours de décoration de lazarets.(CARTE Jozef Deruyck)

Port-Villez – Institut Militaire Belge de Rééducation Professionnelle des Grands Blessés de Guerre. Fêtes Nationales 1916 – Les grands blessés dansent.(CARTE Jozef Deruyck)

Port-Villez – Institut Militaire Belge de Rééducation Professionnelle des Grands Blessés de Guerre. Fêtes Nationales 1916 – Repas de corps de 1350 couverts dans le mess réfectoire : vue prise de la scène. (CARTE Jozef Deruyck)

Port-Villez – Institut Militaire Belge de Rééducation Professionnelle des Grands Blessés de Guerre. Fêtes Nationales 1916 – Concours de décoration de lazarets.(CARTE Jozef Deruyck)

Port-Villez – Institut Militaire Belge de Rééducation Professionnelle des Grands Blessés de Guerre. Fêtes Nationales 1916 – Concours de décoration de lazarets.(CARTE Jozef Deruyck)

Port-Villez – Institut Militaire Belge de Rééducation Professionnelle des Grands Blessés de Guerre. Fêtes Nationales 1916 – Les grands blessés se rendent au TE DEUM. (CARTE Jozef Deruyck)

Port-Villez – Institut Militaire Belge de Rééducation Professionnelle des Grands Blessés de Guerre. Fêtes Nationales 1916 – Vue panoramique des installations. (CARTE Jozef Deruyck)

Courrier envoyé de Port-Villez au Sous-lieutenant payeur du camp d’Auvours. (document Jozef Deruyck)

Port-Villez – Les écuries.

Verrière décorant l'église de Bonnecourt.

Verrière décorant l'église de Bonnecourt.

Louis Piret le créateur de la société métallurgique de Saint Eloi à Thy-le-Château près de Charleroi.

L’usine de Saint Eloi à Bonnières-sur-Seine. (collection Jean Baboux)

Un groupe de baraques conçues par la major Walens, directeur technique. (Collection Jean Baboux)

Une photo personnelle d'un blessé devant une baraque le jour de la fête nationale en juillet 1916.(Collection Jean Baboux)

Un groupe de soldats descend la côte venant de Notre-Dame de la Mer pour aller à Vernon distant environ de 3 kilomètres à pied. (Collection Jean Baboux)

Le puits artésien Albert 1er au bord de la route Bonnières - Vernon. (Collection Jean Baboux)

Le puits artésien Albert 1er au bord de la route Bonnières - Vernon. (Collection Jean Baboux)

Le petit cimetière communal de Port-Villez, à flanc de coteau au bord de la Seine. De l'autre côté du fleuve est enterré Claude Monet et on aperçoit les jardins du maître à Giverny. Dans ce cimetière étaient enterrés 17 soldats belges dans des tombes individuelles. La commune a procédé il y a quelques années à une réduction et les 17 soldats reposent désormais sous un monument en granit sur lequel sont inscrits les 17 noms. (Collection Jean Baboux)

Le monument en granit. Il est régulièrement fleuri par les autorités belges ! En cette fin de novembre 2007, une gerbe aux couleurs de la Belgique avait été placée là. (Collection Jean Baboux)

Les 5 tombes belges du carré militaire. (Collection Jean Baboux)

Le carré militaire dans le cimetière communal de Vernon (celui de la plaine de Bizy, Vernon ayant deux cimetières). Ce carré militaire rassemble aussi bien des soldats tués pendant la guerre de 1870, que pendant la Grande-Guerre ou en 1939-45, ainsi que les conflits extérieurs. Là reposent des Allemands, des Anglais, des Belges... (Collection Jean Baboux)

La plaque de la rue des Belges à Vernon, dans un très beau quartier résidentiel. Vernon est à 45 mm de la gare Saint-Lazare. (Collection Jean Baboux)

Statue du Roi Albert 1er dans le parc de la propriété Baeyens

Les rectangles noirs représentent les constructions et baraquements existants ; les rectangles hachurés les baraquements encore à ériger. (*)

Vue panoramique de la Seine. (*)

Salle des fêtes. (*)

Fête du 21 juillet 1916. (*)

Gymnastique médicale. (*)

Un dortoir. (*)

Une séance d’orientation professionnelle. (*)

Premier travaux d’appropriation du terrain. (*)

Le fleuve coule à pleins bords au bas de la côte et la forte courbe qu’il y décrit semble dire que ce n’est qu’à regret qu’il quitte ces lieux enchanteurs. (*)

Cours de gymnastique pédagogique. (*)

Cours généraux : une classe d’arithmétique. (*)

Atelier de menuiserie manuelle. (*)

Atelier de menuiserie mécanique. (*)

Atelier de menuiserie : le modelage. (*)

Atelier des sabotiers. (*)

Atelier d’ajustage. (*)

Atelier de polissage. (*)

Atelier des réparations automobiles. (*)

Atelier d’horlogerie. (*)

Cours pratique d’électricité. (*)

Atelier des cordonniers. (*)

Atelier des tailleurs. (*)

Atelier des fourreurs et mégissiers. (*)

Atelier de vannerie. (*)

Atelier d’imprimerie : les presses. (*)

Atelier d’imprimerie : les linotypes. (*)

Atelier de lithographie et gravure. (*)

Atelier des posticheurs. (*)

Atelier de reliure. (*)

Cours de constructions civiles. (*)

Atelier de brosserie. (*)

Cours de dessin industriel. (*)

Atelier de sculpture et modelage. (*)

Atelier de peinture : imitation de bois et marbre. (*)

Atelier de peinture sur faïence. (*)

Atelier de peinture sur verre. (*)

Atelier de peinture décorative. (*)

Atelier d’ajustage : le banc des amputés. (*)

Atelier d’orthopédie. (*)

Table et siège spéciaux pour tailleur grièvement atteint aux jambes et à la colonne vertébrale. (*)

Appareil pour cordonnier amputé d’une jambe. (*)

Jardin – école : section d’horticulture. (*)

Ferme – école d’Arconville. (*)

Cours de chimie agricole. (*)

Section d’aviculture : préparation de la nourriture. (*)

Cours de sténo-dactylographie. (*)

Cours de télégraphie sans fil. (*)

Journal des Métallurgistes Belges de Bonnières et Environs.

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(*) : Tirées du livre « La rééducation professionnelle des soldats mutilés et estropiés. » par Léon de Paeuw, 1917, Librairie militaire Berger-Levrault, Paris et Nancy : Imprimerie de l’Ecole Nationale Belge des Mutilés de la Guerre.Port-Villez.









A ma chère  fille Sabrina institutrice à Bamako

L’Ecole nationale belge des mutilés de guerre à Port-Villez

Introduction : La plupart des informations citées proviennent du livre de Léon de Paeuw , « La rééducation professionnelle des soldats mutilés et estropiés », Imprimerie de l’Ecole Nationale belges des Mutilés de Guerre, 1917.  Je remercie chaleureusement  mon correspondant de Vernon, Monsieur Jean Baboux, membre du Cercle d’Etudes vernonnais qui par sa passion de l’histoire  à redécouvrir l’histoire des Belges de Port-Villez     

La nécessite de la rééducation professionnelle des soldats mutilés ne faisait aucun doute. Après la campagne de l’Yser, alors que les ambulances du front étaient encombrées, et que notre Service de Santé n’avait pas eu encore la possibilité d’aménager des hôpitaux à l’arrière, un grand nombre de soldats estropiés et mutilés ont été licenciés par l’armée. Ceux qui étaient suffisamment valides et courageux trouvèrent à se faire embaucher mais les autres errèrent à travers la France et l’Angleterre, loqueteux et misérables, tendant la main pour se nourrir et se vêtir ! Cette situation ne pouvait perdurer et dès le mois de novembre 1914, M. de Broqueville décida que les soldats devenus inaptes à exercer leur métier d’avant la guerre ne seraient plus réformés et démobilisés mais simplement déclarés « candidats à la réforme » et  versés dans une école de rééducation.  En France furent  créées deux écoles de rééducation. La première, le Dépôt des Invalides de Sainte-Adresse, fut une œuvre privée fondée par M..Schollaert, président de la Chambre des Représentants de Belgique. La deuxième, l’école de Port-Villez, près de Vernon fut créée directement par le Département de la Guerre.

L’Ecole de Port-Villez est située sur un plateau qui domine la Seine, à une altitude d’environ 120 mètres au-dessus du niveau de ce fleuve, à mi chemin environ entre Rouen et Paris. Port-Villez fait partie du département de Seine-et-Oise (alors que la petite ville de Vernon où se trouve la gare de chemin de fer qui dessert l’école, est comprise dans le département de l’Eure). Le site choisi est idéal. Du bord du plateau où les constructeurs de l’école ont élevé une grande salle de fêtes, bordée d’une terrasse, on découvre un paysage de toute beauté. Le fleuve coule à pleins bords au bas de la côte et la forte courbe qu’il y décrit semble dire que ce n’est qu’à regret qu’il quitte ces lieux enchanteurs.  L’emplacement de l’école fait partie du domaine d’un belge, le baron Baeyens[1] et fut mis à notre disposition à titre gracieux. Il a fallut déboiser d’abord, dessoucher ensuite. Pour donner une idée de ce travail, près de 25.000  souches ont été extraites ! L’école a l’aspect d’un vaste camp, composé de 92 baraques de bois. Ces baraques sont du type de nos lazarets de campagne, construits par la firme belge Hamon Frères, de Paris. Les baraques sont groupées sur trois rangées et séparées les unes des autres par de pelouses verdoyantes parsemées de parterres de fleurs. De larges avenues macadamisées bordent les rangées de baraques. A gauche des baraquements, on aperçoit la grande salle de récréation puis le quartier des officiers et l’infirmerie tenue par des religieuses qui en temps normal travaillaient dans nos hôpitaux militaires en Belgique. Entre l’infirmerie et la grande salle se dressera plus tard  l’Ecole des auxiliaires de commerce, de l’industrie et de l’administration, qui constituait naguère l’Institut belge d’instruction des grands blessés de guerre de Mortain.  A droite de la propriété s’élève un grand hangar qui a été transformé en atelier de menuiserie manuelle. Une annexe abrite une scierie débitant les grumes de la forêt et une menuiserie mécanique qui existait déjà avant la création de l’école. A côté du hangar on remarque un garage pour les camions et voitures avec atelier de réparations et fosses de visite. Tout à fait derrière se trouvent des écuries et derrière celle-ci l’école du petit élevage. Devant l’institut s’étend un grand jardin. Un puit artésien fut creusé d’une profondeur de 153 mètres ; il est au bas de la côte et son débit est de 100 mètres cubes à l’heure. Il jaillit jusqu’à 8 mètres au-dessus du niveau de la route, ce qui permettra d’installer une roue  hydraulique qui actionnera un moteur électrique capable d’élever l’eau jusque dans les réservoirs de distribution établis sur le plateau.

Le 12 juillet 1915, le terrain est débroussaillé par un détachement du génie belge et le 21 août alors qu’un dixième d e l’institution était debout, le premier contingent d’élèves arrivait. En 1917, l’école comptera 1.200 élèves ! Pendant encore une année, la construction continua pour parachever l’école. L’extension de l’école et l’installation de nouveaux ateliers fut souvent inspirée par les élèves eux-mêmes. L’école fut véritablement créée sur mesure !

Au départ l’école n’enseignant qu’une formation technique. L’école des Métiers de Port-Villez se vit adjoindre plus tard l’école des Auxiliaires (Ecole des auxiliaires du commerce, de l’industrie et de l’administration). Cette école des Auxiliaires avait débuté ses cours le 7 février 1916 dans la très belle abbaye blanche de Mortain. Les cours étaient destinées aux soldats mutilés qui se destinaient avant la guerre à une carrière administrative. Fin septembre 1916, le Service de Santé de l’armée belge obtint la disposition pour ses malades de l’abbaye. L’école des Auxiliaires de Mortain déménagea alors à Port-Villez. L’école des Auxiliaires comprend la section primaire, la section administrative, la section comptabilité et la section normale pour la formation d’instituteurs. 

Au début de sa création l’école  de Port-Villez  fut dirigée par le directeur médical, le Dr Lejeune. Par après l’école fut placée sous l’autorité d’un colonel qui veille à la bonne marche administrative et disciplinaire de l’école qui est divisée en trois départements ayant chacun  à leur tête un directeur.

Le  directeur pédagogique est monsieur Alleman qui était auparavant directeur dans une école de pupilles de l’armée belge. Il, est secondé dans son travail par M. Honhon, adjudant du corps des brancardiers-infirmiers qui dans le civil était inspecteur cantonal de notre enseignement primaire. Les fonctions de sous-directeur de l’école des Auxiliaires ont été dévolues à M. Verheylezoon, docteur en sciences physiques et mathématiques et professeur à l’athénée de Bruges.

Le service pédagogique s’occupe de l’enseignement général et de l’enseignement technique Pour ce qui est de l’enseignement prodigué  à l’école des Métiers, les élèves  sont groupés en 28 classes : 11 pour les wallons et 17 pour les flamands. Les classes sont réparties en trois catégories : les analphabètes, les primaires élémentaires et les primaires complets. Une section supérieure spéciale permet de donner des cours de langues et de comptabilité. A l’enseignement général se rattache le cours d’orthophonie. Sur sa propre initiative, un blessé (qui a perdu l’usage du bras droit et qui se trouve là comme élève) a entrepris la rééducation de la parole chez ses camarades. Il s’est souvenu du cours de diction qu’il a suivi au Conservatoire de Gand : il a dessiné et fait exécuté par les apprentis-ajusteurs des barres et des billes en acier qui servent à mettre en jeu ou à immobiliser tels muscles de la bouche devant ou ne devant pas intervenir dans la prononciation de telle ou de telle syllabe. Les résultats sont remarquables.

Les cours de technologie propres à chaque atelier comprennent l’étude des machines-outils, l’étude des matières premières, les procédés de travail et l’établissement des prix de revient.

Le directeur technique est le capitaine de réserve du génie Haccour. Avant les hostilités il occupait le poste d’adjoint principal du génie au camp de Beverloo. Son adjoint est le lieutenant de réserve du génie Doutrepont. Le service technique est responsable des nombreux  ateliers de l’école.

Le travail du bois.

Un atelier de menuiserie mécanique de 5 apprentis, un atelier de menuiserie manuelle de 18 apprentis, une section de modeleurs de 3 élèves, un atelier de bimbeloterie de 10 apprentis et enfin une section de sculpture sur bois de deux élèves. L’atelier de saboterie héberge 3 élèves, la section des polisseurs compte 24 élèves qui apprennent en même temps   la pyrogravure et le repoussage de cuirs et de métaux.

Le travail des métaux.

L’atelier d’ajustage comprend 45 élèves.  La soudure autogène  est enseignée à une section. Une bonne cinquantaine d’élèves suivent les cours de chauffeurs-mécaniciens d’automobiles.. A noter aussi la section des plombiers-zingueurs, la section d’horlogerie et celle des électriciens qui compte 16 élèves. Une équipe d’élèves dirigés  par un seul moniteur a installé l’électricité dans le nouvel hôpital belge de Bon-Secours qui comprend 1.200lits !

Le travail du cuir comporte une section de cordonnerie très importante puisqu’elle compte 114 apprentis.

Le travail des tissus.

La section des tailleurs compte 52 apprentis

Les travaux divers.

On note aussi une section de tapissier-garnisseur, une section de vannerie, un atelier d’imprimerie de gravure et de lithographie, de reliure, de photogravure, de photographie. La profession d’opérateur de cinéma a tenté cinq hommes. Le métier de coiffeur- posticheur est aussi enseigné de même que la fabrication de brosses (cet atelier est réservé en priorité aux aveugles).

Les constructions ne sont pas négligées : on possède une formation pour des dessinateurs-calqueurs, des dessinateurs d’ameublement et même une section préparant à devenir « surveillant des travaux à l’administration des Travaux publics ». Dessin industriel, sculpture et modelage, peinture décorative sur verres, sur faïences, de lettres et d’étiquettes complètent les formations.

Les métiers alimentaires enseignés concernent la boulangerie et la charcuterie. Une boulangerie moderne avec trois fours maçonnés, deux pétrins mécaniques actionnés par moteurs électriques fut inaugurée le 10 novembre 1916 et pour la fête du Roi le 15 novembre tous les élèves et tous les officiers ont reçu leur « kramick » d’une livre (les mariés en ont reçu deux)!

Port-Villez essaie d’être pionnier dans l’usage de petits moteurs électriques. Une quinzaine de ceux-ci sont répartis dans les ateliers et peuvent ainsi suppléer à la déperdition des forces musculaires des mutilés.

Un centre de rééducation professionnelle agricole fut aussi installé grâce à la location de terres et de fermes. Ce centre  se compose :

- de la ferme d’Arconville petite mais qui se prête admirablement à la pisciculture : tout un peuple de canards et d’oies y prend ses ébats. Les caves ont été aménagées en laiterie et M. Mélotte l’a équipée avec une écrémeuse perfectionnée. Les 12 hectares de la ferme ont été affectés à la culture maraîchère. Le personnel de la ferme permanent se compose de 7 soldats.

- de la  ferme de la Mare de Boinville  est réservée à l’élevage et aux grandes cultures. Un soldat du service auxiliaire, cultivateur de métier et exploitant une grande ferme en Belgique a été nommé conducteur des travaux. Il vit dans la ferme avec sa femme et ses cinq enfants

- des jardins de l’établissement servent de terrain aux futurs horticulteurs mais la culture maraîchère y est aussi représentée. Le 21 juillet sur le jardin d’agrément français a été installé les bustes du Roi Albert et de la Reine Elisabeth et une statue représentant la Belgique. Ces trois œuvres sortaient des ateliers de l’Institut

- de la section du petit élevage. Le petit élevage occupe u vaste carré derrière les écuries. On notait en 1917 que plus de 2.135 éclosions avaient déjà eu lieu. 500 lapins dont plus de 400 femelles à pelage pouvant servir dans l’industrie de la fourrure. Le professeur technique de cette section est un brave instituteur des Flandres, M. De Cooman qui est aimé de ses  élèves  comme un père ! Le cours théorique ne prend que trois heures par semaine, le reste du temps est consacré à la pratique !

Le directeur médical est le docteur Lejeune assisté par le médecin-adjoint Govaerts qui a en charge la physiothérapie divisée en plusieurs départements :

- la mécanothérapie qui comprend la série à peu près complète des appareils en usage et qui ont été fabriqués par les ateliers de l’hôpital Albert 1 à Rouen.

- l’électrothérapie

- les bains d’air chaud

- La gymnastique médicale, le massage, la rééducation motrice

- la gymnastique éducative, l’escrime, les jeux et le sport.

Le sous-lieutenant Ryon, élève de l’école de gymnastique et d’escrime de Bruxelles a organisé de façon modèle la gymnastique à Port-Villez.

Les cours d’escrime sont donnés à une cinquantaine d’élèves de l’école d’Auxiliaires. Seuls les élèves blessés aux bras sont admis aux exercices. Les amputés du bras droit ont ainsi augmenté la puissance et la souplesse du bras gauche en acquérant beaucoup de dextérité dans le mouvement des doigts. D’autres ont sensiblement récupéré l’usage d’un bras gravement estropié. Signalons que plusieurs élèves qui ne parvenaient pas à garder la plume plus que quelques minutes peuvent après trois mois d’escrime écrire sans fatigue pendant les cinq heures de classes auxquels ils sont astreints.

Les séances de gymnastiques comprennent aussi des séances de boxe ou d’escrime à la canne. Ces exercices sont enseignés dans un triple but : amuser les élèves, rendre la confiance en eux-mêmes et permettre à ceux qui sont destinés à occuper des emplois de facteurs, encaisseurs de pouvoir tenir tête à un malintentionné avant l’arrivée de secours. Les mutilés d’un membre supérieur reçoivent des notions de boxe française, ceux d’un membre inférieur de boxe anglaise !

Les nouveaux arrivés à Port-Villez passent d’abord un examen médical approfondi qui permet de voir quels soins physiothérapiques sont encore nécessaires. Le médecin se fait aussi une opinion sur les impossibilités et, partant sur les possibilités de réapprentissage. Ensuite, les nouveaux arrivés passent au service pédagogique qui s’enquiert de leur état d’instruction. Cet examen s’impose pour grouper les hommes en classes mais aussi pour guider leur apprentissage car certains métiers exigent un niveau d’instruction assez élevé. Enfin les candidats apprentis sont examinés par le directeur technique, le capitaine Haccour, qui les promène dans les ateliers, où s’enseignent 48 métiers différents. La visite des ateliers dure parfois quelques jours. Les candidats se mêlent aux travailleurs, causent entre eux, s’informent, puis ils comparaissent un à un devant la commission des chefs des trois services de l’Institut : du médecin-directeur, du directeur pédagogique et du directeur technique. Ces messieurs décident alors, d’accord avec l’intéressé, l’endroit où l’essai d’apprentissage se fera. Après huit jours d’essais, s’il apparaît que le sujet n’a pas les aptitudes voulues, on se met en campagne pour lui trouver un autre apprentissage.    

Très rapidement, l’école obtint des résultats remarquables dont certains furent détaillés par Léon de Paeuw dans son livre écrit en 1917,

Un garçon de café estropié de la main droite, ce qui l’a rendu absolument inapte à manier verres, bouteilles et vaisselles et qui avait une détestable écriture s’est senti attiré vers la peinture de lettres pour enseignes. Il avait le sens des couleurs et des formes élégantes ; aussi bien, après six mois de travail assidu est-il devenu un ouvrier de premier ordre, et un patron de Rouen l’a embauché récemment pour un salaire initial de 65 centimes l’heure !

Un clown de cirque qui n’avait jamais tenu un pinceau, si ce n’est pour se barbouiller la face, est devenu peintre ornemaniste ; et ses frises et ses motifs décoratifs, parfois un peu bizarres-on dirait vraiment que son art garde quelque chose de burlesque- dénotent chez lui un sens  profond de l’harmonie. Chose étrange, il commence un dessin dans un certain style, il l’achève dans ce style et, cependant il n’a pas la moindre notion de l’histoire de l’art.

Un camionneur fortement abîmé du coude a fait des progrès étonnants dans l’art du posticheur ; un tailleur de pierres devient calligraphe et a commencé l’apprentissage de la lithographie, et son maître lui trouve un talent réel.

Un terrassier ayant perdu l’usage du bras gauche montre des dispositions toutes particulières pour l’imitation du bois et des marbres ; en trois mois il est parvenu à un degré d’habileté qui lui permettrait dès maintenant de gagner largement sa vie.

Un ancien ouvrier télégraphiste s’applique avec tant d’ardeur à la couture et à la coupe qu’il prépare et achève de grandes pièces.

Un coureur cycliste qu’une balle dans le poumon condamne à renoncer « aux trains d’enfer », se met à la bimbeloterie. Il ne lui a fallu que deux mois pour apprendre à fabriquer des brouettes d’enfants, des cages d’oiseaux, des articles de bazar. A la cordonnerie, tous les visiteurs s’émerveillent devant le travail d’un amputé de la jambe, forgeron avant la guerre, qui , en trois mois et demi d’apprentissage, en est arrivé à faire des bottines de travail aussi bien et aussi vite qu’un ouvrier moyen.

Un apprenti fourreur qu’une grave blessure au bras gauche empêche de continuer le métier d’ébéniste, parvient, après cinq mois, à monter et coudre cravates, étoles, manchons, e dès maintenant il est apte à gagner de sept à huit francs par jour.

Il a fallu un courage soutenu à ce pauvre garçon qui eut le bassin traversé par une balle pour surmonter la douleur que provoquait une station debout prolongée ; il voulait néanmoins devenir sabotier-il était mineur avant la guerre- et, après trois mois et demi d’apprentissage, il exécute parfaitement le travail le plus difficile : le planage des sabots. Avant une nouvelle période de deux mois, il sera devenu un sabotier accompli.

Revenons à l’école des Auxiliaires qui forme des mutilés à des travaux intellectuels. La section normale de cette école forme des instituteurs par deux cycles d’études de six mois chacun. Ses 15 élèves sont recrutés parmi les sous-officiers instruits qui aspiraient à la sous-lieutenance. Une école d’application peuplée par des enfants belges réfugiés dans la localité  est annexée à cette section. A midi on servait à ces petits la soupe scolaire gracieusement offerte par le ménage des sous-officiers. Les professeurs de l’école d’auxiliaires proviennent des plus anciennes classes du corps des brancardiers et des services auxiliaires. Plusieurs ont fait vaillamment leur devoir au front et ont dû être renvoyés du front pour blessures graves. Un d’entre eux est amputé du bras gauche. Tous ces excellents éléments enseignaient avant la guerre dans nos écoles ou occupaient des fonctions importantes dans nos administrations publiques[2].

Les loisirs des élèves à Port-Villez n’ont pas été oubliés .L’école possède une fanfare de 50 exécutants qui était dirigée par Noël Hemberg, premier prix du conservatoire Royal de Gand.. (Elle  donna un concert  en avril 1916 à l’hôpital auxiliaire 204 de Vernon). Outre la fanfare, nous avons aussi une symphonie et deux chorales, une flamande et une wallonne ! Tous les dimanches, un spectacle varié réunissait  les élèves. Deux fois par semaine on y fait des représentations cinématographiques grâce à l’agence cinématographiques de Paris qui met ses films gratuitement à la disposition des mutilés. La bibliothèque  de l’école compte plus d’un millier de volume. A l’intervention de M. le Ministre et de Madame Vandervelde, les « British Gifts for Belgian Soldiers » ont doté l’école d’un omnibus automobile pour promener les blessés, estropiés et mutilés des membres inférieurs. Le 21 juillet 1916, la fête nationale se termina par une illumination générale et un feu d’artifice tonitruant.

Aujourd’hui en 2007, à Port-Villez et à Vernon, on se souvient encore des Belges de la grande guerre. Mon cher correspondant de Vernon, Jean Baboux en est la preuve : voici ce qu’il m’écrivit il y a peu : le puit artésien creusé pour l’établissement au borde la route Rouen-Paris existe toujours mais le bâtiment qui le protège est envahi par la végétation. Les archives municipales de Vernon possède encore des documents sur l’atelier que les belges ouvrirent  rue Saint-Louis pour fabriquer des cailleboutis et des baraques destinés à leur école. La rue des cascades de Vernon où se trouvait cet atelier, devint la rue des Belges… Sur certaines cartes postales anciennes de l’époque, on voit des soldats belges valides descendre la côte pour venir à Vernon. Des carrières souterraines sont encore connues pour avoir été exploitées par des Belges pour empierrer les routes de leur école. Et surtout les Belges lassèrent  dans la région en souvenir de leur passage, de magnifiques verrières dans l’église de Bennecourt dans les Yvelines.  Un industriel belge Louis Piret avait créé la société métallurgique de Saint Eloi, à Thy-le-Château, près de Charleroi. Durant la guerre, il vint fonder à Bonnières près de la Seine un laminoire  qui entre 1916 et 1918 employa quelque 200 belges  dont certains provenaient de l’institut de Port-Villez distant seulement de quelques kilomètres. Les bâtiments de cette usine existent encore et  sont encore utilisés par une pépinière d’entreprises qui prirent la succession de l’usine Singer  installée à cet endroit en  1934. Une authentique vie communautaire belge se reconstitua donc pendant la guerre à Bonnières et dans ses environs. Après l’armistice, monsieur et madame Piret offrirent de magnifiques verrières, sans doute crées en Belgique, pour  décorer l’église de Bonnecourt qui, bien que de l’autre côté de la Seine, n’était séparée de l’usine que d’1 km …Ces vitraux créés au début des années vingt annoncent l’art déco des années 1925. On y voit des soldats belges qui rentrent au pays emportant avec eux un drapeau français, la famille royale, Saint Michel, patron de Bruxelles et Jeanne d’Arc symbolisant ensemble l’amitié franco-belge. Une amitié qui ne fut pas vaine : beaucoup de Belges vinrent s’installer dans la région après la guerre pour remplacer les paysans français tués à la guerre. Parmi ceux-ci des Tailleu, Callaens, Drobeck, Dierych… !

17 soldats belges moururent à Port-Villez. 16 d’entre eux moururent en 1918, sans doute de la grippe espagnole.  Ces soldats reposent aujourd’hui sous une belle pyramide dans le cimetière de Port-Villez. Voici la liste de ces soldats relevée par Jean Coulmiers :

Van Esch Jan 1892-1915

Deruddrer Camille 1896-1918

De Rudder Dabiel 1895 -1918

Verween Remingius 1893-1918

Debruyne Gérard 1885-1918

Lauwers Yvo 1888-1918

Gravez Sylva 1893 1918

Rahier Jean 1893-1918

De Cnock Lucien 1883-1918

Quecckers Josef 1888-1918

Dumont Florent 1878-1978

Decooman Hector 1883 -1918

Roucourt Emile 1881-1918

Vincke Constant 1885-1918

Storme Hendrik 1894-1918

Brouckmeersch Julius 1890-1918

Baert Alois 1892-1919         

A cette liste, il faut rajouter les cinq soldats belges qui travaillant à la scierie de la rue des Cascades (devenue rue des Belges depuis les années 1950) et qui moururent à Vernon d’accident ou de maladie et qui reposent aujourd’hui dans le carré militaire du Souvenir Français.

Fol Robrecht 15-2-1919

Van den Hautte Raymond 17-9-1918

Antoin Guillaume 6-8-1918

Thomee Joseph 3-2-1916

Schoenfeld Théodore 9-7 -1916

 Dr P. Loodts.

Puits Artésien et Camp Militaire Belge de Notre-Dame-de-la-Mer[3]



Couverture du petit fascicule ou se trouvait l’article de Messieurs Jean Coulmiers et Lucien Le Moal

     (N. 15 entre Port-Villez et Jeufosse)

     En 1910, Monsieur le Baron Baeyens[4] achète à Notre-Dame-de-la-Mer, une propriété forestière qui borde sur plus de 1 km le coteau surplombant la rive gauche de la Seine.

     En août 1914, malgré l’héroïque résistance de sa petite armée, la Belgique est envahie et presque tout son territoire est occupé par les Allemands. Dès octobre 1914, le gouvernement français accueille les services royaux belges à Sainte-Adresse (près du Havre) et leur accorde le droit d’extra-territorialité. La Reine Elisabeth s’y installe avec les différents ministères de son pays gardés par un régiment belge. Le Roi Albert 1er, quant à lui, dirige ses troupes qui se sont enterrées dans la boue de la vallée de l’Yser sur un front Nieuport-Ypres-Dixmude, pour défendre jusqu’au dernier, les quelques 500 km² qui leur restent. Jusqu’à l’armistice du 11 novembre 1918, ils s’accrochent à cette infime partie du sol national. Avec l’aide de leurs alliés français et anglais, pendant plus de quatre ans, ils tiennent avec acharnement sous l’avalanche des obus, face à d’incessantes attaques de l’ennemi qui n’a pas renoncé à percer en direction des ports de la Mer du Nord. A partir du 22 avril 1915, s’ajoute la terreur des gaz. Au nord d’Ypres, les Allemands, au mépris de toutes les conventions humanitaires, emploient des obus à l’ypérite, un gaz huileux, vésicant et insidieux qui traverse les vêtements. (Les hommes l’appellent le gaz moutarde à cause de son odeur piquante et de la ... couleur moutarde des obus qui l’expédient).

     Les blessés belges qui affluent doivent être évacués en première urgence vers les hôpitaux de campagne de l’arrière. Dès 1914, Vernon en reçoit quelques-uns. La plupart, soignés et guéris regagnent le front de l’Yser. Mais que faire des autres qui conservent de graves séquelles : mutilations, amputations, invalidités lourdes, bronches et poumons brûlés par l’ypérite ?...

     En juin 1915, M. le Baron Baeyens offre au Roi Albert 1er sa propriété de Notre-Dame-de-la-Mer pour y installer un camp militaire de baraquements destinés à accueillir les grands blessés convalescents du front belge. Dès août 1915, le programme initial de 18 maisons en bois, démontables est réalisé à l’instigation du Major Walens, directeur technique. Un premier contingent de 500 blessés et mutilés les occupe. En octobre 1915, le nombre de baraquements est porté à 55 et c’est environ 1.500 invalides qui y séjournent. Quelques mois plus tard, le camp militaire, dardé par un peloton de gendarmes belges qui veillent au bon ordre et à la bonne tenue en générale, se double d’un Institut Professionnel Militaire. Cet Institut s’équipe de machines permettant l’exercice de certains métiers manuels : tannerie, vannerie, tapisserie, menuiserie, qui procureront aux grands blessés une activité et la possibilité de se réinsérer dans la vie professionnelle au lendemain de la guerre.

     On utilise également la forêt du Baron Baeyens pour fabriquer pieux, traverses, caillebotis, caissons à munitions destinés au front belge.

     Notre-Dame-de-la-Mer connaît alors une animation grandissante. En 1918, on estime à 3.000 le nombre de Belges qui vivent dans la centaine de baraquements (dont certains sont en dur) du camp militaire. L’équipe technique du Camp a aménagé l’espace, dégagé une partie de la forêt. Elle a construit ce puits artésien, baptisé « Puits Albert 1er » pour l’alimentation en eau du camp. Elle a aussi bâti une Salle des Fêtes et un kiosque à musique dont on peut encore voir le soubassement dans le parc de la propriété. De larges allées bordées de platanes ou de tilleuls ont été tracées et à l’extrémité de l’une d’elles, les Belges ont érigé les statues du Roi Albert 1er et de la Reine Elisabeth, encadrées par 2 canons pris aux Allemands sur les champs de batailles de l’Yser : un canon de 155 à fût court et un obusier de 220 (type minenwerfer).

     Pendant quatre ans, les Vernonnais apprennent à côtoyer les Belges de Notre-Dame-de-la-Mer et de Port-Villez. En effet, l’Institut Militaire Belge dispose d’une fanfare qui, sous la direction de M. Noël Hemberg, 1er prix du Conservatoire de Gand, se produit à Vernon, dans tous les spectacles organisés au profit des blessés français. L’Institut se fait aussi apprécier sur le plan sportif puisque son équipe de football, « l’Albert F.C. » dispute des matches de haut niveau sur le terrain qu’on lui a attribué Avenue de l’Ardèche. Enfin, il faut signaler que les soldats belges occupent, pour des besoins professionnels, la Scierie Doremus, rue des Cascades, au carrefour de la rue du Capitaine Rouveure. C’est là que sont amenés les troncs d’arbres coupés en forêt de Port-Villez, pour être débités en planches ou traverses à usage militaire. (Notons qu’en 1956, à l’occasion du 40ème anniversaire de la fondation de l’Institut Militaire Belge de Port-Villez, le Conseil Municipal de Vernon projette de donner à la rue des Cascades, le nom de « Rue des Belges »).

     Certes, cette cohabitation engendre parfois des problèmes. On voit même une pétition circuler dans Vernon à l’encontre de l’attitude de certains militaires belges dans les rues de la ville. Mais dans l’ensemble, les relations avec la population locale sont excellentes. La meilleure preuve en est que nombreux Belges font souche à Vernon et dans les environs en se mariant avec des Françaises.

     De ce vaste camp militaire qui a été démonté à partir de 1920 et dont le matériel a été réexpédié en Belgique, il ne reste que quelques vestiges : le statue du Roi Albert et les deux canons qui l’encadrent (la statue de la Reine, trop écaillée, a été ôtée), la salle des fêtes, le soubassement du kiosque à musique et un bâtiment en dur qui est de venu la Salle des Fêtes de Jeufosse. Mais les témoignages les plus visibles restent le puits artésien bâti à flanc de coteau, au-dessous du camp militaire, et aussi, dans le petit cimetière de Port-Villez, un monument-ossuaire où ont été rassemblées dans une fosse commune, les dépouilles de 17 militaires belges morts à Notre-Dame-de-la-Mer, des suites de leurs blessures.     

Lettre, écrite par René Glatigny à sa marraine, tirée du « Journal des Métallurgistes Belges de Bonnières et Environs » imprimé à Port-Villez.

Le bombardement de L....

                                     Ma petite Marraine,

     Excusez-moi si ma plume vagabonde vous a oubliée depuis quelques temps.

     Ne croyez pas que le triste cafard des jours pleureurs et maussades m’ait entièrement chloroformé ? Non, loin de là, Pâques a retrouvé un soleil radieux et jeune, perdu dans les glaçons de l’hiver et m’a redonné mes vingt ans.

     Néanmoins, je ne puis chanter la vie avec son insouciance naïve de rêves et de projets. A l’heure où une sève jeune et débrouillarde se plait à métamorphoser les frocs filochés du bonhomme hiver, l’homme, maître de la nature, se sert de cette nouvelle parure pour en faire des linceuls.

     Dans la petite ville des Flandres, jadis si calme dans son aspect monastique un va et vient continuel de troupes, de charrois encombrant les artères si étroites, la fait ressembler à une de nos cités ouvrières. Ce sont des troupes au repos, se promenant avec insouciance devant les étalages assez bien fournis ou cherchant par ci par là un oiseau bleu qui daigne leur sourire. Ce sont des canons, des caissons, des camions pleins de matériels qui montent vers la ligne de feu et à leur retour, un potin infernal fait trembler les vitres et empêche tout dialogue.

     Samedi dernier, un soleil rouge, sorti de derrière la grande forêt, commençait à égayer la nature. Déjà l’alléluia pascal avait mis dans l’âme je ne sais quelle allégresse. Un frou-frou sinistre remplaça la joyeuse sonnerie des cloches. Une explosion, une chute de plâtras, de tuiles, de verres, un second frou-frou, une seconde explosion etc.

     Dans la ville ce fut la panique. Des cris, des clameurs, un sauve qui peut général. Tout ce bruit me tira de ma rêverie et m’amena sur la place pleine de monde affolé s’enfuyant dans toutes les directions : la ville était bombardée.

     Mais voici que des soupirs m’attirent vers une grange démolie. Je vous épargne cette vue ; deux hommes gisaient décapités, un, puis deux, puis trois blessés. Avec deux camarades, nous relevons les plus grièvement atteints et les conduisons à un endroit plus sur car les Boches d’un moment à l’autre vont continuer.

     Après avoir rapidement arrêté l’hémorragie du premier, nous le déposons sur un peu de paille derrière un mur assez épais. Le second blessé n’était plus qu’une loque humaine entièrement déchiquetée ; il n’y avait plus de l’homme que la vie. Il vivait encore, nous pourrons peut-être encore l’arracher à la mort. L’un de mes compagnons tâte le pouls pendant qu’avec l’infirmier nous pansons rapidement ses plaies. Soixante-dix, il y a espoir, le pouls est bon. On lui ranime la figure avec un peu d’eau fraiche. Il veut porter ce qui lui reste de sa main à la figure, on l’empêche et on tâche de la consoler. Les pansements touchent presqu’à leur fin, la douleur le fait reposer la main à la poitrine.

     Mais le pouls diminue. Vingt et un, vingt...s’écrie mon camarade. Deux yeux se fixent dans le vide, on dirait qu’ils cherchent quelque chose : un défenseur pour l’arracher à l’étreinte qui le torture « Ma mère », crie-t-il désespérément avec angoisse... Fini, fini, le bras qu’il voulait tendre vers cette Mère, premier et dernier soutien de l’homme, retombe inerte et froid. La mort avait fauché.

     Dans la ville, les obus continuaient à tomber. Les immeubles dégringolaient les uns après les autres. Parfois les éclats venaient s’éteindre à nos pieds. On n’y pensait guère : les blessés nous faisaient oublier le danger et le cœur, endurci par la guerre, avait je ne sais quelle jouissance à faire disparaître ces plaies béantes sous les bandages.

     Les obus ne tombaient plus que par intervalles assez espacés. Peut-être les Boches voulaient-ils par là, tendre un piège aux plus pressés et avec leur hypocrisie coutumière aligner de nouvelles victimes. Son espoir est-il déçu ? L’espacement devient plus grand, déjà des autos de la Croix-Rouge évacuent nos blessés.

     Mais restent encore nos morts. Ceux de la grange étaient deux bluets de la classe 14. La boue des tranchées n’avait pas souillé leur capote bleue. Pauvre gars, vingt ans et n’avoir pas vu fleurir le printemps ? Dans la succession de notre moribond, nous inventorions deux portraits : une femme jeune et belle semblait sourire à l’absent et une petite fille aux yeux intelligents et éveillés semblait appeler son papa pour le couvrir de baisers. Hélas !...

     Me voilà enfin libre, la nature revient au galop et me fait réfléchir. La compassion gagne le cœur et déjà le regret gonfle les paupières ; quand on y est, la bête travaille et éteint les sentiments, mais une fois sorti, sous le costume de soldat, renait l’homme qui sent et pleure.

     Et c’est pourquoi je vous ai oubliée pendant quelques jours. Pardonnez-moi petite lointaine, mais c’était plus fort que moi. A l’heure où la vie chante de tous les côtés sa résurrection, les cloches sonnent le glas au lieu de l’Alléluia.

     Ne restez pas trop longtemps sans m’écrire, vos lettres sont un baume et à l’heure qu’il est, malgré que je sois soldat, mon cœur est bien malade. C’est dans cette attente que je vais retremper mon courage et tâcher d’oublier.

     Mes salutations les plus respectueuses.

René Glatigny.

    

L'institut de Port- Villez doit beaucoup au Génie belge

       Le Courrier de l’Armée consacra dans son numéro du 18 décembre 1915 un long article à la célébration de la fête de Sainte Barbe et au travail remarquable d’un détachement du Génie à Port-Villez, une localité située à une soixantaine de km au nord-ouest de Versailles. Mais que pouvait bien y faire à l’époque le Génie belge dans ce coin de France ?

       Au terme d’une première année de guerre, de nombreux soldats invalides étaient livrés à eux-mêmes et cette situation avait ému plusieurs personnalités du monde politique ou du monde des affaires en exil en France. Dans ce cadre, le Baron Baeyens, fils du gouverneur honoraire de la Société Générale, mit à la disposition des autorités belges son vaste domaine boisé de Port-Villez. A Léon De Paeuw, chef de cabinet civil du Ministre de la Guerre de Broqueville, incomba la tâche d’y créer un Institut consacré à la rééducation professionnelle des invalides de guerre. En fonction de leur handicap, ils auraient ainsi le choix de réapprendre leur ancien métier ou de choisir parmi une quarantaine d’options, un nouveau métier manuel.

       Les travaux débutèrent en juillet 1915 sous la direction du Service Technique du Génie en la personne du Major du Génie Edmond Walens et du Capitaine de réserve du Génie François Haccour. Ils furent menés à un rythme d’enfer grâce aux Troupes Auxiliaires du Génie.

       Les pensionnaires arrivèrent au gré de l’achèvement des blocs logements et des ateliers. En octobre, alors qu’une soixantaine de bâtiments étaient achevés, la construction d’un vaste bâtiment devant servir de salle de fête et de réfectoire est décidée. Le défi que se lance alors le détachement génie est de la terminer pour le 4 décembre, fête de sa sainte patronne et de l’inaugurer le dimanche 5 décembre.

       Serait-elle prête ? écrivait le rédacteur du Courrier de l’Armée. Tout le monde se le demandait. C’était un travail formidable : une salle de 83 m de long sur 16 m de large, entourée d’une terrasse de 4 m ! Le 15 octobre, il y avait encore sur l’emplacement 578 chênes et 94 sapins.

       Après 51 jours de travail, se dressait un bâtiment léger et agréable, sorti du sol comme par enchantement à l’endroit où des centaines de troncs, 561 m³ de terre et 98 m³ de sable avaient été dégagés pour aplanir le site. Et le personnel de l’Institut y était réuni dans une ambiance festive.


Salle des fêtes. (*)

       Ci-après quelques données chiffrées concernant la réalisation de la salle des fêtes par 62 ouvriers (soldats du génie et invalides) :

321 m3 de maçonnerie
19 fermes assemblées et dressées
400 longerons équarris et placés en 15 jours
782 chevrons recouverts de 1872 m² de carton goudronné, malgré une pluie persistante
1300 m2 de planches clouées
18 portes vitrées, placées et peintes
872 m2 de cloison
159 lampes électriques

       La journée du 5 décembre débuta à 9 heures par une sonnerie de clairons et le lever des couleurs nationales sous un soleil radieux. Les soldats étaient rangés, une larme brillant dans les yeux de beaucoup, le cœur battant et tremblant d’émotion patriotique tandis que la fanfare créée trois jours plus tôt jouait la Brabançonne. Les 1.500 soldats répondirent d’un seul homme aux cris de « Vive le Roi ! Vive la famille royale ! Vive la Belgique » lancés par le Major Lejeune, président de la cérémonie.

       A l’issue de la messe célébrée dans la nouvelle salle pavoisée pour l’occasion, les soldats entonnèrent à plein poumon la Brabançonne, Vers l’Avenir et le Vlaamse Leeuw. Ce fut ensuite l’occasion pour le Capitaine Haccour de passer en revue le travail titanesque réalisé depuis le mois de juillet, de féliciter et remercier le personnel qui avait réalisé autant de prouesses en aussi peu de temps. L’adjudant Ryon, porte-parole des travailleurs, loua à son tour les mérites du Capitaine Haccour, chef exemplaire qui avait su insuffler l’énergie à ses hommes. Ce dernier se vit offrir, en signe de sympathie, une aquarelle représentant le camp.

       La journée se poursuivit par un récital de chants populaires et patriotiques. Le rédacteur ne spécifie pas si un repas spécial a été organisé pour l’occasion. Mais gageons que ce fut le cas, puisqu’au front en Belgique, la fête de Sainte Barbe était l’occasion d’améliorer l’ordinaire…

Vincent Scarniet

(Article paru dans le Genie Museum News 89 -IV/2015 (trimestriel du Musée du Génie)



[1] D’après Monsieur Baboux, le baron Marcel Bayens aurait été pendant la guerre le chauffeur du ministre Broqueville. Ces renseignements sont mentionnés  dans une  lettre de Patrick Bayens, petit-fils de Marcel adressée à Monsieur Baboux)

[2] A noter que le ministre de la Guerre créa à Paris un home universitaire pour les soldats mutilés se livrant à des études supérieures. Ce home a été installé dans un immeuble de l’avenue de Saint-Mandé. Fin novembre 1916, on y comptait 22 soldats mutilés.

[3] Ces recherches avaient  été effectuées par Lucien Le Moal et Jean Coulmiers, deux Vernonnais membres alors du Souvenir français. (Jean Coulmiers était alors président, Lucien Le Moal était secrétaire général du comité local).

[4] En 1922, M. le Baron Baeyens se réinstalle dans la propriété et y fait bâtir 2 rangées parallèles d’écuries.
A la veille de la guerre 1939-1945, l’actuel propriétaire, M. le Baron Baeyens, fils du précédent, qui a opté pour la nationalité française et est devenu ambassadeur de son pays, réunit les 2 extrémités-nord des écuries par un corps de logis devenu maison d’habitation. En fait, ce sont les Allemands qui, en juin 1940, y pendent la crémaillère et l’occupent jusqu’en Août 1944 pour y loger des officiers.
Son Excellence y revient en 1947 et fait à Notre-Dame-de-la-Mer, entre ses ambassades, de fréquents séjours, avant de s’y fixer définitivement en 1970.



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