Médecins de la Grande Guerre
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(*) : Tirées du livre « La rééducation professionnelle des soldats mutilés et estropiés. » par Léon de Paeuw, 1917, Librairie militaire Berger-Levrault, Paris et Nancy : Imprimerie de l’Ecole Nationale Belge des Mutilés de la Guerre.Port-Villez. A ma chère fille Sabrina institutrice à Bamako L’Ecole
nationale belge des mutilés de guerre à Port-Villez Introduction : La
plupart des informations citées proviennent du livre de Léon de Paeuw ,
« La rééducation professionnelle des soldats mutilés et estropiés »,
Imprimerie de l’Ecole Nationale belges des Mutilés de Guerre, 1917. Je remercie chaleureusement mon correspondant de Vernon, Monsieur Jean
Baboux, membre du Cercle d’Etudes vernonnais qui par sa passion de
l’histoire à redécouvrir l’histoire des
Belges de Port-Villez La nécessite de la rééducation professionnelle
des soldats mutilés ne faisait aucun doute. Après la campagne de l’Yser, alors
que les ambulances du front étaient encombrées, et que notre Service de Santé
n’avait pas eu encore la possibilité d’aménager des hôpitaux à l’arrière, un
grand nombre de soldats estropiés et mutilés ont été licenciés par l’armée.
Ceux qui étaient suffisamment valides et courageux trouvèrent à se faire
embaucher mais les autres errèrent à travers L’Ecole de Port-Villez est située sur un
plateau qui domine Le 12 juillet 1915, le terrain est
débroussaillé par un détachement du génie belge et le 21 août alors qu’un dixième
d e l’institution était debout, le premier contingent d’élèves arrivait. En 1917,
l’école comptera 1.200 élèves ! Pendant encore une année, la construction
continua pour parachever l’école. L’extension de l’école et l’installation de nouveaux
ateliers fut souvent inspirée par les élèves eux-mêmes. L’école fut
véritablement créée sur mesure ! Au départ l’école n’enseignant qu’une formation
technique. L’école des Métiers de Port-Villez se vit adjoindre plus tard
l’école des Auxiliaires (Ecole des auxiliaires du commerce, de l’industrie et
de l’administration). Cette école des Auxiliaires avait débuté ses cours le 7
février 1916 dans la très belle abbaye blanche de Mortain. Les cours étaient
destinées aux soldats mutilés qui se destinaient avant la guerre à une carrière
administrative. Fin septembre 1916, le Service de Santé de l’armée belge obtint
la disposition pour ses malades de l’abbaye. L’école des Auxiliaires de Mortain
déménagea alors à Port-Villez. L’école des Auxiliaires comprend la section
primaire, la section administrative, la section comptabilité et la section
normale pour la formation d’instituteurs.
Au début de sa création l’école de Port-Villez fut dirigée par le directeur médical, le Dr
Lejeune. Par après l’école fut placée sous l’autorité d’un colonel qui veille à
la bonne marche administrative et disciplinaire de l’école qui est divisée en
trois départements ayant chacun à leur
tête un directeur. Le directeur pédagogique est monsieur Alleman qui était
auparavant directeur dans une école de pupilles de l’armée belge. Il, est
secondé dans son travail par M. Honhon, adjudant du corps des
brancardiers-infirmiers qui dans le civil était inspecteur cantonal de notre
enseignement primaire. Les fonctions de sous-directeur de l’école des Auxiliaires
ont été dévolues à M. Verheylezoon, docteur en sciences physiques et mathématiques
et professeur à l’athénée de Bruges. Le service pédagogique s’occupe de
l’enseignement général et de l’enseignement technique Pour ce qui est de
l’enseignement prodigué à l’école des Métiers,
les élèves sont groupés en 28 classes :
11 pour les wallons et 17 pour les flamands. Les classes sont réparties en
trois catégories : les analphabètes, les primaires élémentaires et les
primaires complets. Une section supérieure spéciale permet de donner des cours
de langues et de comptabilité. A l’enseignement général se rattache le cours
d’orthophonie. Sur sa propre initiative, un blessé (qui a perdu l’usage du bras
droit et qui se trouve là comme élève) a entrepris la rééducation de la parole
chez ses camarades. Il s’est souvenu du cours de diction qu’il a suivi au
Conservatoire de Gand : il a dessiné et fait exécuté par les apprentis-ajusteurs
des barres et des billes en acier qui servent à mettre en jeu ou à immobiliser
tels muscles de la bouche devant ou ne devant pas intervenir dans la
prononciation de telle ou de telle syllabe. Les résultats sont remarquables. Les cours de technologie propres à chaque
atelier comprennent l’étude des machines-outils, l’étude des matières
premières, les procédés de travail et l’établissement des prix de revient. Le directeur technique est le capitaine de réserve du
génie Haccour. Avant les hostilités il occupait le poste d’adjoint principal du
génie au camp de Beverloo. Son adjoint est le lieutenant de réserve du génie
Doutrepont. Le service technique est responsable des nombreux ateliers de l’école. Le travail du bois. Un atelier de menuiserie mécanique de 5
apprentis, un atelier de menuiserie manuelle de 18 apprentis, une section de
modeleurs de 3 élèves, un atelier de bimbeloterie de 10 apprentis et enfin une
section de sculpture sur bois de deux élèves. L’atelier de saboterie héberge 3
élèves, la section des polisseurs compte 24 élèves qui apprennent en même
temps la pyrogravure et le repoussage
de cuirs et de métaux. Le travail des métaux. L’atelier d’ajustage comprend 45 élèves. La soudure autogène est enseignée à une section. Une bonne
cinquantaine d’élèves suivent les cours de chauffeurs-mécaniciens
d’automobiles.. A noter aussi la section des plombiers-zingueurs, la section
d’horlogerie et celle des électriciens qui compte 16 élèves. Une équipe
d’élèves dirigés par un seul moniteur a
installé l’électricité dans le nouvel hôpital belge de Bon-Secours qui comprend
1.200lits ! Le travail du cuir comporte une section de cordonnerie
très importante puisqu’elle compte 114 apprentis. Le travail des tissus. La section des tailleurs compte 52 apprentis Les travaux divers. On note aussi une section de
tapissier-garnisseur, une section de vannerie, un atelier d’imprimerie de
gravure et de lithographie, de reliure, de photogravure, de photographie. La
profession d’opérateur de cinéma a tenté cinq hommes. Le métier de coiffeur-
posticheur est aussi enseigné de même que la fabrication de brosses (cet
atelier est réservé en priorité aux aveugles). Les constructions ne sont pas négligées : on
possède une formation pour des dessinateurs-calqueurs, des dessinateurs
d’ameublement et même une section préparant à devenir « surveillant des
travaux à l’administration des Travaux publics ». Dessin industriel, sculpture
et modelage, peinture décorative sur verres, sur faïences, de lettres et
d’étiquettes complètent les formations. Les métiers
alimentaires
enseignés concernent la boulangerie et la charcuterie. Une boulangerie moderne
avec trois fours maçonnés, deux pétrins mécaniques actionnés par moteurs
électriques fut inaugurée le 10 novembre 1916 et pour la fête du Roi le 15
novembre tous les élèves et tous les officiers ont reçu leur
« kramick » d’une livre (les mariés en ont reçu deux)! Port-Villez essaie d’être pionnier dans l’usage
de petits moteurs électriques. Une quinzaine de ceux-ci sont répartis dans les
ateliers et peuvent ainsi suppléer à la déperdition des forces musculaires des
mutilés. Un centre de rééducation professionnelle
agricole fut aussi installé grâce à la location de terres et de fermes. Ce
centre se compose : - de la ferme d’Arconville petite mais qui se
prête admirablement à la pisciculture : tout un peuple de canards et
d’oies y prend ses ébats. Les caves ont été aménagées en laiterie et M. Mélotte
l’a équipée avec une écrémeuse perfectionnée. Les - de la ferme de - des jardins de l’établissement servent
de terrain aux futurs horticulteurs mais la culture maraîchère y est aussi
représentée. Le 21 juillet sur le jardin d’agrément français a été installé les
bustes du Roi Albert et de - de la section du petit élevage. Le petit
élevage occupe u vaste carré derrière les écuries. On notait en 1917 que plus
de 2.135 éclosions avaient déjà eu lieu. 500 lapins dont plus de 400 femelles à
pelage pouvant servir dans l’industrie de la fourrure. Le professeur technique
de cette section est un brave instituteur des Flandres, M. De Cooman qui est
aimé de ses élèves comme un père ! Le cours théorique ne
prend que trois heures par semaine, le reste du temps est consacré à la
pratique ! Le directeur médical est le docteur Lejeune
assisté par le médecin-adjoint Govaerts qui a en charge la physiothérapie
divisée en plusieurs départements : - la mécanothérapie qui comprend la série à peu
près complète des appareils en usage et qui ont été fabriqués par les ateliers
de l’hôpital Albert 1 à Rouen. - l’électrothérapie - les bains d’air chaud - La gymnastique médicale, le massage, la rééducation
motrice - la gymnastique éducative, l’escrime, les jeux
et le sport. Le sous-lieutenant Ryon, élève de l’école de
gymnastique et d’escrime de Bruxelles a organisé de façon modèle la gymnastique
à Port-Villez. Les cours d’escrime sont donnés à une cinquantaine
d’élèves de l’école d’Auxiliaires. Seuls les élèves blessés aux bras sont admis
aux exercices. Les amputés du bras droit ont ainsi augmenté la puissance et la
souplesse du bras gauche en acquérant beaucoup de dextérité dans le mouvement
des doigts. D’autres ont sensiblement récupéré l’usage d’un bras gravement
estropié. Signalons que plusieurs élèves qui ne parvenaient pas à garder la
plume plus que quelques minutes peuvent après trois mois d’escrime écrire sans
fatigue pendant les cinq heures de classes auxquels ils sont astreints. Les séances de gymnastiques comprennent aussi
des séances de boxe ou d’escrime à la canne. Ces exercices sont enseignés dans
un triple but : amuser les élèves, rendre la confiance en eux-mêmes et
permettre à ceux qui sont destinés à occuper des emplois de facteurs,
encaisseurs de pouvoir tenir tête à un malintentionné avant l’arrivée de
secours. Les mutilés d’un membre supérieur reçoivent des notions de boxe
française, ceux d’un membre inférieur de boxe anglaise ! Les nouveaux arrivés à Port-Villez passent
d’abord un examen médical approfondi qui permet de voir quels soins
physiothérapiques sont encore nécessaires. Le médecin se fait aussi une opinion
sur les impossibilités et, partant sur les possibilités de réapprentissage.
Ensuite, les nouveaux arrivés passent au service pédagogique qui s’enquiert de
leur état d’instruction. Cet examen s’impose pour grouper les hommes en classes
mais aussi pour guider leur apprentissage car certains métiers exigent un
niveau d’instruction assez élevé. Enfin les candidats apprentis sont examinés
par le directeur technique, le capitaine Haccour, qui les promène dans les
ateliers, où s’enseignent 48 métiers différents. La visite des ateliers dure
parfois quelques jours. Les candidats se mêlent aux travailleurs, causent entre
eux, s’informent, puis ils comparaissent un à un devant la commission des chefs
des trois services de l’Institut : du médecin-directeur, du directeur
pédagogique et du directeur technique. Ces messieurs décident alors, d’accord
avec l’intéressé, l’endroit où l’essai d’apprentissage se fera. Après huit
jours d’essais, s’il apparaît que le sujet n’a pas les aptitudes voulues, on se
met en campagne pour lui trouver un autre apprentissage. Très rapidement,
l’école obtint des résultats remarquables dont certains furent détaillés par
Léon de Paeuw dans son livre écrit en 1917, Un garçon de café
estropié de la main droite, ce qui l’a rendu absolument inapte à manier verres,
bouteilles et vaisselles et qui avait une détestable écriture s’est senti
attiré vers la peinture de lettres pour enseignes. Il avait le sens des
couleurs et des formes élégantes ; aussi bien, après six mois de travail
assidu est-il devenu un ouvrier de premier ordre, et un patron de Rouen l’a
embauché récemment pour un salaire initial de 65 centimes l’heure ! Un clown de cirque qui
n’avait jamais tenu un pinceau, si ce n’est pour se barbouiller la face, est
devenu peintre ornemaniste ; et ses frises et ses motifs décoratifs,
parfois un peu bizarres-on dirait vraiment que son art garde quelque chose de
burlesque- dénotent chez lui un sens profond
de l’harmonie. Chose étrange, il commence un dessin dans un certain style, il
l’achève dans ce style et, cependant il n’a pas la moindre notion de l’histoire
de l’art. Un camionneur
fortement abîmé du coude a fait des progrès étonnants dans l’art du
posticheur ; un tailleur de pierres devient calligraphe et a commencé
l’apprentissage de la lithographie, et son maître lui trouve un talent réel. Un terrassier ayant
perdu l’usage du bras gauche montre des dispositions toutes particulières pour
l’imitation du bois et des marbres ; en trois mois il est parvenu à un
degré d’habileté qui lui permettrait dès maintenant de gagner largement sa vie. Un ancien ouvrier
télégraphiste s’applique avec tant d’ardeur à la couture et à la coupe qu’il
prépare et achève de grandes pièces. Un coureur cycliste
qu’une balle dans le poumon condamne à renoncer « aux trains d’enfer »,
se met à la bimbeloterie. Il ne lui a fallu que deux mois pour apprendre à
fabriquer des brouettes d’enfants, des cages d’oiseaux, des articles de bazar.
A la cordonnerie, tous les visiteurs s’émerveillent devant le travail d’un
amputé de la jambe, forgeron avant la guerre, qui , en trois mois et demi
d’apprentissage, en est arrivé à faire des bottines de travail aussi bien et
aussi vite qu’un ouvrier moyen. Un apprenti fourreur
qu’une grave blessure au bras gauche empêche de continuer le métier d’ébéniste,
parvient, après cinq mois, à monter et coudre cravates, étoles, manchons, e dès
maintenant il est apte à gagner de sept à huit francs par jour. Il a fallu un courage
soutenu à ce pauvre garçon qui eut le bassin traversé par une balle pour
surmonter la douleur que provoquait une station debout prolongée ; il
voulait néanmoins devenir sabotier-il était mineur avant la guerre- et, après
trois mois et demi d’apprentissage, il exécute parfaitement le travail le plus
difficile : le planage des sabots. Avant une nouvelle période de deux
mois, il sera devenu un sabotier accompli. Revenons à l’école des Auxiliaires qui forme
des mutilés à des travaux intellectuels. La section normale de cette école
forme des instituteurs par deux cycles d’études de six mois chacun. Ses 15
élèves sont recrutés parmi les sous-officiers instruits qui aspiraient à la
sous-lieutenance. Une école d’application peuplée par des enfants belges
réfugiés dans la localité est annexée à
cette section. A midi on servait à ces petits la soupe scolaire gracieusement
offerte par le ménage des sous-officiers. Les professeurs de l’école
d’auxiliaires proviennent des plus anciennes classes du corps des brancardiers
et des services auxiliaires. Plusieurs ont fait vaillamment leur devoir au
front et ont dû être renvoyés du front pour blessures graves. Un d’entre eux
est amputé du bras gauche. Tous ces excellents éléments enseignaient avant la guerre
dans nos écoles ou occupaient des fonctions importantes dans nos
administrations publiques[2]. Les loisirs des élèves à Port-Villez n’ont pas
été oubliés .L’école possède une fanfare de 50 exécutants qui était dirigée par
Noël Hemberg, premier prix du conservatoire Royal de Gand.. (Elle donna un concert en avril 1916 à l’hôpital auxiliaire 204 de
Vernon). Outre la fanfare, nous avons aussi une symphonie et deux chorales, une
flamande et une wallonne ! Tous les dimanches, un spectacle varié réunissait
les élèves. Deux fois par semaine on y
fait des représentations cinématographiques grâce à l’agence cinématographiques
de Paris qui met ses films gratuitement à la disposition des mutilés. La
bibliothèque de l’école compte plus d’un
millier de volume. A l’intervention de M. le Ministre et de Madame Vandervelde,
les « British Gifts for Belgian Soldiers » ont doté l’école d’un
omnibus automobile pour promener les blessés, estropiés et mutilés des membres
inférieurs. Le 21 juillet 1916, la fête nationale se termina par une
illumination générale et un feu d’artifice tonitruant. Aujourd’hui en 2007, à Port-Villez et à Vernon,
on se souvient encore des Belges de la grande guerre. Mon cher correspondant de
Vernon, Jean Baboux en est la preuve : voici ce qu’il m’écrivit il y a
peu : le puit artésien creusé pour l’établissement au borde la route
Rouen-Paris existe toujours mais le bâtiment qui le protège est envahi par la
végétation. Les archives municipales de Vernon possède encore des documents sur
l’atelier que les belges ouvrirent rue
Saint-Louis pour fabriquer des cailleboutis et des baraques destinés à leur
école. La rue des cascades de Vernon où se trouvait cet atelier, devint la rue
des Belges… Sur certaines cartes postales anciennes de l’époque, on voit des
soldats belges valides descendre la côte pour venir à Vernon. Des carrières souterraines
sont encore connues pour avoir été exploitées par des Belges pour empierrer les
routes de leur école. Et surtout les Belges lassèrent dans la région en souvenir de leur passage,
de magnifiques verrières dans l’église de Bennecourt dans les Yvelines. Un industriel belge Louis Piret avait créé la
société métallurgique de Saint Eloi, à Thy-le-Château, près de Charleroi.
Durant la guerre, il vint fonder à Bonnières près de 17 soldats belges moururent à Port-Villez. 16
d’entre eux moururent en 1918, sans doute de la grippe espagnole. Ces soldats reposent aujourd’hui sous une
belle pyramide dans le cimetière de Port-Villez. Voici la liste de ces soldats
relevée par Jean Coulmiers : Van Esch Jan 1892-1915 Deruddrer Camille 1896-1918 De Rudder Dabiel 1895 -1918 Verween Remingius 1893-1918 Debruyne Gérard 1885-1918 Lauwers Yvo 1888-1918 Gravez Sylva 1893 1918 Rahier Jean 1893-1918 De Cnock Lucien 1883-1918 Quecckers Josef 1888-1918 Decooman Hector 1883 -1918 Roucourt Emile 1881-1918 Vincke Constant 1885-1918 Storme Hendrik 1894-1918 Brouckmeersch Julius 1890-1918 Baert Alois 1892-1919 A cette liste, il faut rajouter les cinq soldats belges qui travaillant à la scierie de la rue des Cascades (devenue rue des Belges depuis les années 1950) et qui moururent à Vernon d’accident ou de maladie et qui reposent aujourd’hui dans le carré militaire du Souvenir Français. Fol Robrecht 15-2-1919 Van den Hautte Raymond 17-9-1918 Antoin Guillaume 6-8-1918 Thomee Joseph 3-2-1916 Schoenfeld Théodore 9-7 -1916 Dr P. Loodts. Puits
Artésien et Camp Militaire Belge de Notre-Dame-de-la-Mer[3] Couverture du petit fascicule ou se trouvait l’article de Messieurs Jean Coulmiers et Lucien Le Moal (N. 15 entre Port-Villez et Jeufosse) En
1910, Monsieur le Baron Baeyens[4]
achète à Notre-Dame-de-la-Mer, une propriété forestière qui borde sur plus de 1
km le coteau surplombant la rive gauche de la Seine.
En août 1914, malgré l’héroïque résistance de sa petite armée, la Belgique
est envahie et presque tout son territoire est occupé par les Allemands. Dès
octobre 1914, le gouvernement français accueille les services royaux belges à
Sainte-Adresse (près du Havre) et leur accorde le droit d’extra-territorialité.
La Reine Elisabeth s’y installe avec les différents ministères de son pays
gardés par un régiment belge. Le Roi Albert 1er, quant à lui, dirige
ses troupes qui se sont enterrées dans la boue de la vallée de l’Yser sur un
front Nieuport-Ypres-Dixmude, pour défendre jusqu’au dernier, les quelques 500
km² qui leur restent. Jusqu’à l’armistice du 11 novembre 1918, ils s’accrochent
à cette infime partie du sol national. Avec l’aide de leurs alliés français et
anglais, pendant plus de quatre ans, ils tiennent avec acharnement sous l’avalanche
des obus, face à d’incessantes attaques de l’ennemi qui n’a pas renoncé à
percer en direction des ports de la Mer du Nord. A partir du 22 avril 1915, s’ajoute
la terreur des gaz. Au nord d’Ypres, les Allemands, au mépris de toutes les
conventions humanitaires, emploient des obus à l’ypérite, un gaz huileux,
vésicant et insidieux qui traverse les vêtements. (Les hommes l’appellent le
gaz moutarde à cause de son odeur piquante et de la ... couleur moutarde des
obus qui l’expédient).
Les blessés belges qui affluent doivent être évacués en première urgence
vers les hôpitaux de campagne de l’arrière. Dès 1914, Vernon en reçoit
quelques-uns. La plupart, soignés et guéris regagnent le front de l’Yser. Mais
que faire des autres qui conservent de graves séquelles : mutilations,
amputations, invalidités lourdes, bronches et poumons brûlés par l’ypérite ?...
En juin 1915, M. le Baron Baeyens offre au Roi Albert 1er sa
propriété de Notre-Dame-de-la-Mer pour y installer un camp militaire de
baraquements destinés à accueillir les grands blessés convalescents du front
belge. Dès août 1915, le programme initial de 18 maisons en bois, démontables
est réalisé à l’instigation du Major Walens, directeur technique. Un premier
contingent de 500 blessés et mutilés les occupe. En octobre 1915, le nombre de
baraquements est porté à 55 et c’est environ 1.500 invalides qui y séjournent.
Quelques mois plus tard, le camp militaire, dardé par un peloton de gendarmes
belges qui veillent au bon ordre et à la bonne tenue en générale, se double d’un
Institut Professionnel Militaire. Cet Institut s’équipe de machines permettant
l’exercice de certains métiers manuels : tannerie, vannerie, tapisserie,
menuiserie, qui procureront aux grands blessés une activité et la possibilité
de se réinsérer dans la vie professionnelle au lendemain de la guerre.
On utilise également la forêt du Baron Baeyens pour fabriquer pieux,
traverses, caillebotis, caissons à munitions destinés au front belge.
Notre-Dame-de-la-Mer connaît alors une animation grandissante. En 1918,
on estime à 3.000 le nombre de Belges qui vivent dans la centaine de
baraquements (dont certains sont en dur) du camp militaire. L’équipe technique
du Camp a aménagé l’espace, dégagé une partie de la forêt. Elle a construit ce
puits artésien, baptisé « Puits Albert 1er » pour l’alimentation
en eau du camp. Elle a aussi bâti une Salle des Fêtes et un kiosque à musique
dont on peut encore voir le soubassement dans le parc de la propriété. De
larges allées bordées de platanes ou de tilleuls ont été tracées et à l’extrémité
de l’une d’elles, les Belges ont érigé les statues du Roi Albert 1er
et de la Reine Elisabeth, encadrées par 2 canons pris aux Allemands sur les
champs de batailles de l’Yser : un canon de 155 à fût court et un obusier
de 220 (type minenwerfer).
Pendant quatre ans, les Vernonnais apprennent à côtoyer les Belges de Notre-Dame-de-la-Mer
et de Port-Villez. En effet, l’Institut Militaire Belge dispose d’une fanfare
qui, sous la direction de M. Noël Hemberg, 1er prix du Conservatoire
de Gand, se produit à Vernon, dans tous les spectacles organisés au profit des
blessés français. L’Institut se fait aussi apprécier sur le plan sportif
puisque son équipe de football, « l’Albert F.C. » dispute des matches
de haut niveau sur le terrain qu’on lui a attribué Avenue de l’Ardèche. Enfin,
il faut signaler que les soldats belges occupent, pour des besoins professionnels,
la Scierie Doremus, rue des Cascades, au carrefour de la rue du Capitaine
Rouveure. C’est là que sont amenés les troncs d’arbres coupés en forêt de
Port-Villez, pour être débités en planches ou traverses à usage militaire.
(Notons qu’en 1956, à l’occasion du 40ème anniversaire de la
fondation de l’Institut Militaire Belge de Port-Villez, le Conseil Municipal de
Vernon projette de donner à la rue des Cascades, le nom de « Rue des Belges »).
Certes, cette cohabitation engendre parfois des problèmes. On voit même
une pétition circuler dans Vernon à l’encontre de l’attitude de certains
militaires belges dans les rues de la ville. Mais dans l’ensemble, les
relations avec la population locale sont excellentes. La meilleure preuve en
est que nombreux Belges font souche à Vernon et dans les environs en se mariant
avec des Françaises.
De ce vaste camp militaire qui a été démonté à partir de 1920 et dont le
matériel a été réexpédié en Belgique, il ne reste que quelques vestiges :
le statue du Roi Albert et les deux canons qui l’encadrent (la statue de la
Reine, trop écaillée, a été ôtée), la salle des fêtes, le soubassement du
kiosque à musique et un bâtiment en dur qui est de venu la Salle des Fêtes de
Jeufosse. Mais les témoignages les plus visibles restent le puits artésien bâti
à flanc de coteau, au-dessous du camp militaire, et aussi, dans le petit cimetière
de Port-Villez, un monument-ossuaire où ont été rassemblées dans une fosse
commune, les dépouilles de 17 militaires belges morts à Notre-Dame-de-la-Mer,
des suites de leurs blessures. Lettre, écrite par René
Glatigny
à sa marraine, tirée du « Journal des Métallurgistes Belges de Bonnières et Environs » imprimé à Port-Villez. Le
bombardement de L.... Ma petite
Marraine, Excusez-moi si ma plume vagabonde vous a
oubliée depuis quelques temps. Ne croyez pas que le triste cafard des
jours pleureurs et maussades m’ait entièrement chloroformé ? Non, loin de
là, Pâques a retrouvé un soleil radieux et jeune, perdu dans les glaçons de
l’hiver et m’a redonné mes vingt ans. Néanmoins, je ne puis chanter la vie avec
son insouciance naïve de rêves et de projets. A l’heure où une sève jeune et
débrouillarde se plait à métamorphoser les frocs filochés du bonhomme hiver,
l’homme, maître de la nature, se sert de cette nouvelle parure pour en faire
des linceuls. Dans la petite ville des Flandres, jadis
si calme dans son aspect monastique un va et vient continuel de troupes, de
charrois encombrant les artères si étroites, la fait ressembler à une de nos
cités ouvrières. Ce sont des troupes au repos, se promenant avec insouciance
devant les étalages assez bien fournis ou cherchant par ci par là un oiseau
bleu qui daigne leur sourire. Ce sont des canons, des caissons, des camions
pleins de matériels qui montent vers la ligne de feu et à leur retour, un potin
infernal fait trembler les vitres et empêche tout dialogue. Samedi dernier, un soleil rouge, sorti de
derrière la grande forêt, commençait à égayer la nature. Déjà l’alléluia pascal
avait mis dans l’âme je ne sais quelle allégresse. Un frou-frou sinistre
remplaça la joyeuse sonnerie des cloches. Une explosion, une chute de plâtras,
de tuiles, de verres, un second frou-frou, une seconde explosion etc. Dans la ville ce fut la panique. Des cris,
des clameurs, un sauve qui peut général. Tout ce bruit me tira de ma rêverie et
m’amena sur la place pleine de monde affolé s’enfuyant dans toutes les
directions : la ville était bombardée. Mais voici que des soupirs m’attirent vers
une grange démolie. Je vous épargne cette vue ; deux hommes gisaient
décapités, un, puis deux, puis trois blessés. Avec deux camarades, nous
relevons les plus grièvement atteints et les conduisons à un endroit plus sur
car les Boches d’un moment à l’autre vont continuer. Après avoir rapidement arrêté l’hémorragie
du premier, nous le déposons sur un peu de paille derrière un mur assez épais.
Le second blessé n’était plus qu’une loque humaine entièrement déchiquetée ;
il n’y avait plus de l’homme que la vie. Il vivait encore, nous pourrons
peut-être encore l’arracher à la mort. L’un de mes compagnons tâte le pouls
pendant qu’avec l’infirmier nous pansons rapidement ses plaies. Soixante-dix,
il y a espoir, le pouls est bon. On lui ranime la figure avec un peu d’eau
fraiche. Il veut porter ce qui lui reste de sa main à la figure, on l’empêche
et on tâche de la consoler. Les pansements touchent presqu’à leur fin, la
douleur le fait reposer la main à la poitrine. Mais le pouls diminue. Vingt et un,
vingt...s’écrie mon camarade. Deux yeux se fixent dans le vide, on dirait
qu’ils cherchent quelque chose : un défenseur pour l’arracher à l’étreinte
qui le torture « Ma mère », crie-t-il désespérément avec angoisse...
Fini, fini, le bras qu’il voulait tendre vers cette Mère, premier et dernier
soutien de l’homme, retombe inerte et froid. La mort avait fauché. Dans la ville, les obus continuaient à
tomber. Les immeubles dégringolaient les uns après les autres. Parfois les
éclats venaient s’éteindre à nos pieds. On n’y pensait guère : les blessés
nous faisaient oublier le danger et le cœur, endurci par la guerre, avait je ne
sais quelle jouissance à faire disparaître ces plaies béantes sous les
bandages. Les obus ne tombaient plus que par
intervalles assez espacés. Peut-être les Boches voulaient-ils par là, tendre un
piège aux plus pressés et avec leur hypocrisie coutumière aligner de nouvelles
victimes. Son espoir est-il déçu ? L’espacement devient plus grand, déjà
des autos de la Croix-Rouge évacuent nos blessés. Mais restent encore nos morts. Ceux de la
grange étaient deux bluets de la classe 14. La boue des tranchées n’avait pas
souillé leur capote bleue. Pauvre gars, vingt ans et n’avoir pas vu fleurir le
printemps ? Dans la succession de notre moribond, nous inventorions deux
portraits : une femme jeune et belle semblait sourire à l’absent et une
petite fille aux yeux intelligents et éveillés semblait appeler son papa pour
le couvrir de baisers. Hélas !... Me voilà enfin libre, la nature revient au
galop et me fait réfléchir. La compassion gagne le cœur et déjà le regret
gonfle les paupières ; quand on y est, la bête travaille et éteint les
sentiments, mais une fois sorti, sous le costume de soldat, renait l’homme qui
sent et pleure. Et c’est pourquoi je vous ai oubliée
pendant quelques jours. Pardonnez-moi petite lointaine, mais c’était plus fort
que moi. A l’heure où la vie chante de tous les côtés sa résurrection, les
cloches sonnent le glas au lieu de l’Alléluia. Ne restez pas trop longtemps sans
m’écrire, vos lettres sont un baume et à l’heure qu’il est, malgré que je sois
soldat, mon cœur est bien malade. C’est dans cette attente que je vais
retremper mon courage et tâcher d’oublier. Mes salutations les plus respectueuses. René Glatigny. L'institut de Port- Villez doit beaucoup au Génie belge Le Courrier de l’Armée consacra dans son numéro du 18 décembre 1915 un long article à la célébration de la fête de Sainte Barbe et au travail remarquable d’un détachement du Génie à Port-Villez, une localité située à une soixantaine de km au nord-ouest de Versailles. Mais que pouvait bien y faire à l’époque le Génie belge dans ce coin de France ? Au terme d’une première année de guerre, de nombreux soldats invalides étaient livrés à eux-mêmes et cette situation avait ému plusieurs personnalités du monde politique ou du monde des affaires en exil en France. Dans ce cadre, le Baron Baeyens, fils du gouverneur honoraire de la Société Générale, mit à la disposition des autorités belges son vaste domaine boisé de Port-Villez. A Léon De Paeuw, chef de cabinet civil du Ministre de la Guerre de Broqueville, incomba la tâche d’y créer un Institut consacré à la rééducation professionnelle des invalides de guerre. En fonction de leur handicap, ils auraient ainsi le choix de réapprendre leur ancien métier ou de choisir parmi une quarantaine d’options, un nouveau métier manuel. Les travaux débutèrent en juillet 1915 sous la direction du Service Technique du Génie en la personne du Major du Génie Edmond Walens et du Capitaine de réserve du Génie François Haccour. Ils furent menés à un rythme d’enfer grâce aux Troupes Auxiliaires du Génie. Les pensionnaires arrivèrent au gré de l’achèvement des blocs logements et des ateliers. En octobre, alors qu’une soixantaine de bâtiments étaient achevés, la construction d’un vaste bâtiment devant servir de salle de fête et de réfectoire est décidée. Le défi que se lance alors le détachement génie est de la terminer pour le 4 décembre, fête de sa sainte patronne et de l’inaugurer le dimanche 5 décembre. Serait-elle
prête ? écrivait le rédacteur du Courrier de l’Armée. Tout le monde se le demandait. C’était un
travail formidable : une salle de 83 m de long sur 16 m de large, entourée
d’une terrasse de 4 m ! Le 15 octobre, il y avait encore sur l’emplacement
578 chênes et 94 sapins.
Après 51 jours de travail, se dressait un bâtiment léger et agréable,
sorti du sol comme par enchantement à l’endroit où des centaines de troncs, 561
m³ de terre et 98 m³ de sable avaient été dégagés pour aplanir le site. Et le personnel de l’Institut y était
réuni dans une ambiance festive. Salle des fêtes. (*) Ci-après quelques données chiffrées concernant la réalisation de la salle des fêtes par 62 ouvriers (soldats du génie et invalides) : 321 m3 de maçonnerie La journée du 5 décembre débuta à 9 heures par une sonnerie de clairons et le lever des couleurs nationales sous un soleil radieux. Les soldats étaient rangés, une larme brillant dans les yeux de beaucoup, le cœur battant et tremblant d’émotion patriotique tandis que la fanfare créée trois jours plus tôt jouait la Brabançonne. Les 1.500 soldats répondirent d’un seul homme aux cris de « Vive le Roi ! Vive la famille royale ! Vive la Belgique » lancés par le Major Lejeune, président de la cérémonie. A l’issue de la messe célébrée dans la nouvelle salle pavoisée pour l’occasion, les soldats entonnèrent à plein poumon la Brabançonne, Vers l’Avenir et le Vlaamse Leeuw. Ce fut ensuite l’occasion pour le Capitaine Haccour de passer en revue le travail titanesque réalisé depuis le mois de juillet, de féliciter et remercier le personnel qui avait réalisé autant de prouesses en aussi peu de temps. L’adjudant Ryon, porte-parole des travailleurs, loua à son tour les mérites du Capitaine Haccour, chef exemplaire qui avait su insuffler l’énergie à ses hommes. Ce dernier se vit offrir, en signe de sympathie, une aquarelle représentant le camp. La journée se poursuivit par un récital de chants populaires et patriotiques. Le rédacteur ne spécifie pas si un repas spécial a été organisé pour l’occasion. Mais gageons que ce fut le cas, puisqu’au front en Belgique, la fête de Sainte Barbe était l’occasion d’améliorer l’ordinaire… Vincent Scarniet (Article paru dans le Genie Museum News N° 89 -IV/2015 (trimestriel du Musée du Génie) [1] D’après Monsieur Baboux, le
baron Marcel Bayens aurait été pendant la guerre le chauffeur du ministre
Broqueville. Ces renseignements sont mentionnés
dans une lettre de Patrick
Bayens, petit-fils de Marcel adressée à Monsieur Baboux) [2] A noter que le ministre de [3] Ces
recherches avaient été effectuées par Lucien Le Moal et Jean
Coulmiers, deux Vernonnais membres alors du Souvenir français. (Jean
Coulmiers était alors président, Lucien Le Moal était secrétaire général du
comité local). [4] En 1922, M. le Baron Baeyens se réinstalle dans
la propriété et y fait bâtir 2 rangées parallèles d’écuries. |