Médecins de la Grande Guerre
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Lettres écrites par Jules de Suraÿ
en 1915 Qui
est, Jules de Suraÿ Médecin de Houtain-st-Siméon, né en 1866, il habitait rue de l’Eglise. En 1914, il se sauve avec ses 5 enfants et les autres habitants du
village à Maastricht. Là, il ne peut pas professer. Il s’engage en passant par l’Angleterre et est envoyé à Calais, à
l’hôpital militaire belge. Il s’occupe alors du transport des malades et des blessés par le train
sanitaire allant de La Panne à Calais. Après la guerre, il reprend son travail de médecin généraliste. C’est sa fille Blanche qui épouse Fortuna Troquet, fils de Gustave
Troquet. Ses lettres
Tout d’abord, je demande des nouvelles de votre santé à tous. Maintenant
que vous connaissez mon adresse, vous pourrez m’écrire de suite et me direz ce
que tu fais, ce que font les enfants, comment va Mathieu et tous, et Gustave,
etc, etc. Quant à moi, je me porte très bien et vais vous narrer par le menu
mon existence jusqu’à ce jour. Comme cette narration sera longue, je vous prie
de la montrer à ceux que cela pourrait intéresser. Lundi 19-07-15. Tu sais bien comment, après avoir embrassé les enfants
endormi, je t’ai embrassée et quittée rapidement sans me retourner. Albert et
Mouise m’accompagnent, le camarade Mathieu porte ma valise. A la gare, je
retrouve le vétérinaire Melon qui rejoint l’armée. Il est accompagné de sa
femme et de sa belle-sœur. J’embrasse Louise et Albert et Mathieu qui pleurent.
Le train part à sept heures. A Beeck sur le quai l'express passe en
vitesse : Pierre et Ninie sont là. Je ne puis
que les entrevoir, ils agitent leurs mouchoirs. Je ne sais pourquoi je suis si
ému, ce sont les dernières connaissances qui me saluent, je suis maintenant
lancé seul dans l’inconnu. Tout me repasse à l’esprit : les amis, la famille,
la maison, la patrie. Je me ressaisis et arrive à Flessingue vers 12 h 30. Nous
nous rendons en ville et dinons paisiblement sur la digue. Quelques Zélandaises sont accoudées,
regardant la mer. Avec leur taille étroite et leurs jupes bouffantes, elles me
font de loin l’effet des petites bergères en bois des troupeaux de Saint
Nicolas. Vous connaissez leur coiffure avec les palettes en cuivre doré au
niveau des tempes. L’après-midi fut tout entier ^ris par les diverses visites aux consulats
belges et anglais. Une dernière promenade sur la digue et nous revenons vers 8
heures du soir à la gare maritime. Nous prenons nos coupons pour Londres, la
douane hollandaise visite nos malles et à 9 heures, prenons place sur le bateau
pour y passer la nuit. Le coupon kilométrique Maastricht - Flessingue m’a coûté 4,50 florins et le
coupon Londres - Flessingue 24,60 florins. Nous logeons avec LM. Melon à deux
dans une belle cabine du steamer Mecklenburg de Mardi Je vous écrirai la suite demain ou après. Je joins ici une carte que
j’ai écrite étant près de Georges. Tu la mettras à la poste. Monsieur Ruland doit être à Carteretsn
j’ai vu un de ses compagnons. Je lui ai écrit. J’ai déjà rencontré jusqu’à présent
Jean Rasquinet, le fils Lhoesr,
Peeters d’Elvaux à Heure, Justin Furnelle,
Gaston, Justin Nivard et Henri Pourmé,
tous biens portants. Je t’embrasse ainsi que tous Jules Chère Marie et enfants bien aimés, Continuant ma narration, me voici donc arrivé en gare de Tilbury à 17
heures. C’est seulement vers 19 heures que la visite et la vérification des
passeports est terminée. Je prends le train pour Londres où j’arrive à la gare
de … vers 20 heures. Je suis obligé de prendre un cab qui me conduit au Saint Ermius Hôtel, rue Caxton près de Mercredi 21 juillet 1914 ; Fête nationale belge. A sept heures je
suis sur pied et bientôt prêt. Un peut déjeuner rapide et en route vers
l’adresse que m’a donnée huer le docteur Jodts, c’est
à dire le quartier général belge près du Tower
Bridge. Je m’informe vingt fois. Les Anglais me comprennent très mal je les comprends encore moins et me contente
d’une direction générale. C’est qu’il ne s’agit pas d’aller au sud quand l’on
doit se rendre au nord. J’ai trouvé. Ma secrétaire me fait un bon de voyage
gratuit pour Wednesbury, me renseigne à Londres la
gare de Paddington comme point de départ à 14 h 30,
mon arrivée à 14 h 15 et pour le retour du lendemain départ à 11 heures pour
rentrer à Londres à 14 h 15. Je profite de l’autobus qui amène les militaires à
l’église de Westminster pour le Te Deum à 10 h 30. La cathédrale est comble. On
chante le Gloria, messe de Finch. Ces chants sont
admirables. N’ayant guère de temps, je rentre à l’hôtel où je laisse mes
bagages et renonce à la chambre. On m’oriente vers la gare et je traverse le
joli quartier du Parlement. J’ai vu deux dragons vêtus de blanc, montés sur de
superbes chevaux que j’admire, montant la garde aux deux côtés de l’entrée d’un
parc. Une musique s’amène. Ce sont des militaires anglais, une vingtaine,
précédés d’une banderole portée par deux hommes. Ils jouent le pas redoublé
l’Entre Sambre et Meuse et des gamins les escortent. C’est avec cette musique
qu’on invite à l’enrôlement. Cela me rappelle les musiques de l’armée du salut
jadis à Bruxelles. Je donne un penny (deux sous) à un gamin de 6 à 7 ans, roux et dépenaillé. Il le prend tout étonné, le
met en poche et rejoint ses autres camarades sans rien leur dire. On m’indique
le métro. Je descends par ascenseur et suis tôt débarqué à Paddington . Il est midi. Je
prends mon billet, m’informe bien de l’heure et de la voie et vais télégraphier
à Blanche ces 16 mots : « Deleuze, Belgian Refugess Home, Wolseley House, Wednesbury.
Arrive 5 h 15, viens station, ton frère Jules » Coût 8 penny ou 80
centiles donc 2 mots par penny. Deux heures trente, me voilà parti. Le train
roule pendant deux heures sans arrêt jusque Birmingham. Pas un seul passage à
niveau ; prairies et cultures magnifiques mais pas d’arbres fruitiers.
Changé de train à Birmingham. Ici, c’est le pays industriel des environs de
Liège et de Charleroi. Suis-je arrivé à Wednesbury ?
Non, c’est Weinsbury me répond-on. Je descends quand
même car c’est l’heure de l’arrivée. Un
homme me crie de l’autre côté de la voie : C’est vous Monsieur Suray ? Je traverse sur un pont et Blanche est là qui m’attend avec Monsieur Halloy. Tout doucement, nous allons à la maison où logent 4 ménages, 4 enfants et 2 hommes. Blanche me dit son
étonnement à la réception de mon télégramme. Je m’en doutais un peu et c’est
pourquoi j’avais bien signé : ton frère Jules qui fut transcrit : ton
frère Iule. Elle l’avait reçu à 14 heures. Jules était rentré à la maison à
notre arrivée. Il avait cru à une farce lorsque les dames du logis lui avaient
annoncé mon arrivée, mais il a bien dû se rendre à l’évidence. Jules, Blanche, Halloy et moi allons au devant de Julien et de Mr Rouvay qui quittait l’usine à 18 heures. L’usine n’est
guère distante que d’un quart de lieue de la maison. Nous les rencontrons
bientôt et Julien l’a déjà reconnu de loin. Il gagne bien sa vie, fait souvent
des heures supplémentaires bien payées et ils paraissent heureux. Nous avons
passé la soirée ensemble jusque onze heures en dégustant un verre de bonne
bière anglaise. La suite au prochain numéro. Mille et mille baisers à tous Jules Je joins à ma lettre une feuille supplémentaire et une carte postale.
Dis-moi si tu as bien reçu le tout. 3. Phrase illisible Chère Marie Jeudi 22-7-15 Julien et Jules ne vont pas travailler. Monsieur Rouday
de Verviers qui a une angine le remet des instructions que tu dois avoir
reçues. Nous partons tout doucement vers la gare et je les quitte à AA h ½. Un
quart d’heure d’arrêt à Birmingham pour prendre l’express et j’en profite pour
envoyer de la gare une carte au petit Jean Werleman.
Arrivé à Londres à 14 h 1/2. Je me rends par le métro au Farmer
Street pour y prendre mon ordre de marche et les pièces nécessaires pour passer
en France. De là, tout doucement, à pied (il pleut !) je retourne au Saint
Ermius Hôtel retrouver mes bagages. Je transporte
ceux-ci à Vendredi 29-7-1915 A 6 h ½, je suis sur pied. C’est de l’Imperial Hôtel que je t’écris une
lettre que je n’ai pu mettre à la poste qu’en France à Dieppe. Le train part à
8 heures, file d’un trait jusque Folkestone où il stoppe à 10 h ½. Le bateau
Folkestone - Calais est .supprimé, celui de Boulogne est réservé aux soldats
(je suis toujours civil). Force m’est de faire la traversée de Dieppe. Calais
exige 1 h 30, Boulogne 2 heures, mais Dieppe dimanche 4 heures de bateau. Après avoir fait viser mes pièces
au bureau de la place en ville. Je m’embarque à 13 heures. Je suis ici dans
l’océan, il règne un vent violent, les vagues se poursuivent, hautes et
rapides. Le navire se ressent de leurs ondulations. Quelle différence avec la
traversée de Flessingue. Le balancement m’amuse, je reste deux heures sur le
pont, mais enfin, plus moyen d’y tenir : le vent amène des rafales d’eau
qui vous mouillent complètement. Il faut rentrer. Mais à l’intérieur, le
mouvement paraît bien plus intense, désordonné. Les boiseries craquent, on
oscille de droite à gauche de travers, un vertige me prend, j’ai le mal de mer,
je me couche sur un canapé. Peu de chose cependant, mais je dois tenir la position
horizontale, le vertige me reprenant si je me lève. Un saut plus brusque
culbute ma valise et fait rouler mon chapeau. Je les contemple sans les
ramener. Tout le monde est malade ; beaucoup vomissent. Il semble que la
banquette sur laquelle je suis couché m’abandonne puis elle me reprend, me
soulève violemment comme pour me jeter bas. Je m’habitue peu à peu mais tout en
restant prudemment couché et enfin, vers 5 heures, on entre dans le port de Dieppe. Je te joins une cinquième page où je puis parler de toi et des enfants.
A bientôt Jules, le 23-8 4. Trains sanitaires belges
Calais. Chère Marie, Je mets le pied sur le sol français. Par conséquent, douane et police
française. On ne se montre pas bien difficile et je suis bientôt libre. Je
soupe et me dirige vers la plage. Ce sont des falaises qui bordent la mer,
sortes de montagnes de craie en bancs ordinairement horizontaux comparables à
ceux qui se trouvent à Wonck au début de la montée de
Hallembaye. J’ai devant moi l’océan à marée haute dont les vagues puissantes
viennent rouler et se briser sur la plage en flots d’écume avec un bruit
assourdissant et continuel de tempête.
Vers 19 heures, il faut rentrer, c’est la loi et on me conduit dans une petite
chambre obscure et sans fenêtre. Une autre fois, je demanderai à voir la
chambre avant d’accepter logement. J’ai passé cependant une bonne nuit. Aussi, à 6 heures je suis debout et
me dirige vers la place militaire afin d’obtenir un coupon pour Calais, le
train unique partant à 8 heures et demie. Les bureaux ne sont ouverts qu’à neuf
heures, je ne puis donc partir aujourd’hui. Profitons de la journée. Par les
hauteurs de l’intérieur, j’atteins le sommet des falaises que je suis et dont
je sonde les gorges profondes. Vers 10 h ½, je vais à une caserne belge y
chercher mes pièces, c’est là que cantonnent environ mille de nos jeunes
soldats recrutés des pays alliés. J’assiste à une séance de vaccination antityphique et redescend en ville avec le docteur, un
rappelé. Je vais à l’hôtel de Normandie où je transporte ma malle, ne voulant
plus passer la nuit dans le trou où j’ai dû passer la dernière. Je dîne et
parcours la ville. C’est une cité agréable et gentille. La mer, le port et vers
l’intérieur les collines boisées et fertiles. J’entre à l’église Saint-Jacques.
Dieu ! Quelle saleté et quelle négligence et abandon et quel contraste
pour moi qui ai encore la vision des intérieurs parfaits et brillants des
églises de Maastricht. Vers 18 h, j’étais à la plage assis sur une barre de
pierre lorsqu’un soldat belge s’approche. « Je crois que c’est le
docteur ! » dit-il. C’était Jean Rasquinet
gros et gras et souriant. Il me raconte que je suis la première personne du
pays qu’il rencontre depuis la guerre, qu’il travaille aux armes, est bien payé
et est relativement heureux. En tous cas, il est loin à l’arrière et ne court
aucun danger. Je le reconduis un bout de chemin car il doit rentrer à la
caserne là-haut pour 20 h ½. Je lui paie une limonade (l’alcool étant interdit
aux soldats) et je rentre souper. Je fais après cela le tour de quelques rues et de la digue. Le matin, j’ai
ramassé un galet pour en faire un presse-papier. Le rapporterai-je à la
maison ? Il est si lourd dans ma malle, pesant peut-être bien un kilo.
C’est un souvenir de Dieppe. Dimanche 25-7-15 Je traîne ma valise jusqu’à la gare. C’est dur de la porter pendant un
bon kilomètre. Je me suis levé tard et dois me presser pour avoir mon unique
train de 8 h ½. Je ne pourrai assister aujourd’hui à la messe. Le train arrive
vers 11 heures au Tréport et là, je dois attendre 11 h ½. Mille baisers Jules (Reçu le 23-8) 5. Chère Marie, Le Tréport où je suis descendu pour quelques heures est une charmante
petite ville au bord de la mer. Son port n’est guère accessible qu’aux barques
de pêche. Mais ici, les falaises sont admirables et l’on jouit de vues
splendides. Mais il est 11 heures et je dois remonter dans le train qui
m’amènera à Calais à 21 heures. Je suis un commis voyageur en vins qui me
conduit à un hôtel très chic : l’hôtel du Sauvage. Ici, l’on soupe et se
couche à la chandelle car le soir, toute lumière doit disparaître. On n’y voit
guère da ns ces vastes salles de
restaurant quand on n’a devant soi qu’une bougie pour tout éclairage. Lundi 26-7-15 Je dois me mettre à la recherche des autorités compétentes de mon
service. Dans les bureaux on me remet ma nomination signée du ministre de la
guerre en date du 14 juillet dernier. On m’y apprend (…) sanitaire. Je m’en
réjouis car ainsi je pourrai voyager et rendre visite à tous nos petits soldats
du pays qui seront si heureux de retrouver une connaissance qui leur parlera du
pays et de leurs parents. Je me rends qu stationnement et là, en attendant
qu’un train me soit spécialement affecté, on me loge dans un wagon qui ne
quitte pas la gare. Je dors sur un brancard élevé sur des barres partant de la
paroi latérale du wagon. On n’y est pas trop mal mais je n’ai pas de draps de
lit et les couvertures de laine vous chatouillent partout. Mardi 27-7-15 Je vais visiter la ville de Calais. Que de bateaux, que de marchandises
dans le port ! Je comprends maintenant pourquoi les Allemands voudraient
arriver ici. On tire le canon de tous (…) qui évolue là-bas bien haut. Il a tôt
fait de disparaître. J’ai assisté ici à l’atterrissage (dans l’eau) et au
départ d’un hydravion. Mercredi 28-7-15 Je vais à l’hôtel de ville prendre l’adresse de Monsieur Herman-Nivard. Après bien des recherches, on me dit qu’il habite
rue Berthois, 23. Je vais leur dire bonjour et suis
très bien accueilli. Tout en me promenant dans la rue, je reconnais le petit Lhoest Peters d’Heure-le-Romain. Il revient de congé en
compagnie d’un camarade verviétois. Pendant que je
causais avec eux, une dame s’arrête et vient à moi. C’est Madame Etienne Lepot-Deboire, Hubertine Deboire, la sœur de
Joseph Demolin à Wonck.
Elle nous ramène tous chez elle, 10 rue de La nuit, vers minuit, des détonations retentissent. Nous avons vu le
matin que c’était l’effet de bombes lancées sur la ville par un avion. Jeudi 29-7-15 Je n’ai pas encore d’occupation fixée. Aussi, je sors en ville et vais
voir le dégât des bombes. Je renonce à vous dénombrer le nombre de carreaux
cassés, d’autant plus que juste aux environs se trouvait une grande fabrique de
tulle à trois étages, dans le genre de la linière à Liège. Il n’y a pas eu
heureusement d’accident de personnes et les marchands de journaux crient :
« Lisez le Petit Calaisien, des bombes sur Calais, deux lapins et un chat
tués ! » Il paraît que c’est vrai, mais en tous cas c’est miracle
qu’il n’y ait pas eu mort d’homme quand on voit les portes et les fenêtres des
petites maisons voisines transpercées et hachées. Mille baisers Jules Je joins une feuille et une carte pour Hasselt. 6. Chère Marie, chers enfants, Le vendredi 30 juillet, j’ai fait visite à l’hôpital Jeanne d’Arc à
Calais et l’après-midi au cimetière du nord, là où se trouvent enterrés
beaucoup de soldats belges blessés à l’Yser l’an dernier et morts à l’hôpital.
Une petite croix de bois porte un nom ou bien un nom et un prénom, et
quelquefois cette simple mention : soldat belge. Qui dort là ? On ne
le saura peut-être jamais. Le lendemain samedi, j’ai pris livraison de mon
costume. Me voici maintenant un militaire. Aussi, le dimanche 1 août, je me
pavane dans les rues de Calais. J’ai beau faire le fringant, on ne fait pas
attention à ma personne. C’est vexant ! Pardon, les pauvres petits simples
militaires doivent me saluer et ne manquent pas de le faire. Naturellement, je
réponds à leur salut. Mais comme la chose se répète un millier de fois
peut-être, je trouve la corvée un peu lourde et je me sauve chez Monsieur
Etienne Lepot. C’est là que je dîne, je soupe et
passe agréablement ma journée. Le lendemain, on me désigne mon poste. Je suis attaché au T.C.M.5,
c'est-à-dire Train d’évacuation mixte avec malades ou blessés assis et couchés.
Je dois partir le soir même à 10 h pour arriver à destination à 2 h du matin. Ce voyage s’est passé agréablement ayant réuni nombreuse et charmante
compagnie dans notre voiture. Comme les affaires sont calmes sur le front,
notre train attendra quelques jours avant d’avoir son plein chargement. En
attendant, le mardi 3 août, je vais à Mercredi 4 août 1915 Puisque mes petits soldats ne sont pas au repos à Mais on ne peut s’arrêter, l’auto file en grande vitesse sur la route
déserte, régulièrement bombardée chaque jour.
Mais le ciel est nuageux, un brouillard voile l’horizon et un obus est peu à
craindre à cette heure. N’empêche que je me promets bien de ne pas repasser par
là si possible. N’y est pas : il est parti aux tranchées avancées et ne rentrera
que la nuit. Je suis reçu royalement par son compagnon, un Liégeois, qui me
conduit dans une cabane de paysan et de ses mains me confectionne une omelette
et me fait d’excellent café. Je reviendrai demain et me voilà sur le chemin du
retour. Une auto me ramène à Furnes et me dépose au milieu de la place déserte
aux maisons meurtries par les obus. Une dame se montre sur le pas d’une porte.
« Un de mes amis perdu depuis 20 ans habitait Furnes. Qu’est-il
devenu ? » « Monsieur, il est mort depuis trois ans. »
« Et sa dame ? » « Morte aussi. » Je ne connais pas
les enfants et je m’éloigne attristé. -
Docteur,
docteur ! Ce sont deux hommes à cheval dont
l’un m’a interpellé. Justin Furnelle ! Quelle
rencontre ! Il est heureux de me rencontrer car je lui parle de sa
Jeannette et du pays. Mais il est en corvée et ne peut s’attarder. De mon côté,
je dois songer au retour car la nuit approche. Un autre complaisant me ramène. Jules 7. Chère Marie, Jeudi 5 août 15 Je n’ai pu voir Georges hier et je me remets aujourd’hui en route pour
le trouver. Je sais où il est cantonné. J’ai trouvé une auto qui me conduit
jusque là. Je le trouve bien portant et assez joyeux. Il n’est plus cuisinier
et a été hier soir aux tranchées. Il doit retourner aujourd’hui même en 2e
ligne. Il a fait sa demande pur entrer à l’école des
sous-officiers et c’est pour cela qu’il n’est plus cuisinier. Il n’a besoin de
rien et a encore de l’argent. Je le force à accepter 25 francs et je lui donne
mon briquet que j’ai acheté en Angleterre. Je vois que cet objet lui fait grand
plaisir. Sur ces entrefaites arrive une auto. C’est Gaston Furnelle
qui la conduit, gros et souriant. Jugez aussi de sa surprise. C’est lui qui
avec sa voiture de l’armée conduit et distribue aux divers cantonnements les
colis de Jules 8. Calais, le 30 août 1915 Chère Marie, Le vendredi 6 août très tôt le matin, je croise les soldats du 8e
de ligne. C’est le régiment de Mathieu Thonet ( ?). Je m’informe et
j’apprends qu’il est parti en congé à Paris probablement. Ce soir nous partons
pour Calais avec notre chargement de blessés et
de malades au nombre d’environ 150. C’est mon jour de besogne. Dans le
train, je retrouve un jeune homme de Mortier, le fils de Monami.
Lieutenant. Ayant été pris sous un éboulement provoqué par une grosse marmite,
il est contusionné vaguement par tout le corps. Il sera tôt rétabli. C’est la
seule connaissance que je rencontre dans notre chargement. Le samedi 7,
dimanche 8 et lundi 9 sont remplis par diverses besognes et sorties à Calais. C’est le mardi 10 août que nous repartons avec notre train pour le front
où nous séjournons deux ou trois jours suivant la quantité de malades ou
blessés à transporter. Cette nuit, le grondement du canon m’a tenu éveillé et
je me rappelle Houtain en août 1914 lorsque tous les canons de Liège me
faisaient sauter du lit et sortir dans les champs d’où je découvrais les
incendies lointains de la rive droite et alors que nous avions encore la ferme
conviction que les forts suffiraient à tenir longtemps, bien longtemps, en
respect les soldats gris d’Allemagne. Mercredi 11 août. Je vais jusque Le jeudi, je cherche à Bray-Dunes le fils Lottin
( ?) des grenadiers. Il est également parti pour Paris. Ce Paris, c’est
actuellement le rêve de nos petits soldats. Ils y sont choyés, dorlotés. Tous
les jours ils y sont pleins comme des Polonais, puis ils nous reviennent
vannés, la bourse plate, mais contents et pleins d’espoir d’y retourner encore
dans trois ou quatre mois. Cette attente, pour eux plus tangible que celle du
retour au pays, les soutient et les aidera puissamment à passer l’hiver morose
des tranchées. Le vendredi 13 s’est écoulé paisiblement avec ma petite occupation
journalière. Mille et mille baisers Jules Ci-joint une carte pour Hasselt. 9. Bien chère Marie, Samedi 14-8-15 Je suis où cantonne Mathieu Thouet ( ?). C’est pourquoi je suis
parti de grand matin à sa recherche. Je n’ai pas de chance : il est précisément
ce jour-ci dans les tranchées. Tant que je suis sur le front, je tâche de
trouver Beckaert qui doit être dans ces parages. Vers
11 h ½, je le trouve dans une ferme. Il venait des tranchées où ils avaient
travaillé toute la nuit. Je monte avec lui à son logement, tout en haut, tout
en haut au pigeonnier d’une grange que leur génie militaire a aménagée de la façon
la plus pittoresque. Un rez-de-chaussée avec ses auges, ses bacs, un premier
avec des madriers, un second, un grenier d’une architecture et d’un pêle-mêle
indescriptible. Il mange sa soupe assis sur un lit de sangles clouées sur deux
madriers. De longs filets de paille et de toiles d’araignées descendent des
tuiles jusque sur nos têtes et en regardant vers le bas, on découvre toute la
grange avec ses estrades, ses balcons, ses échafaudages étranges, ses chemises, ses
pantalons superbes partout et ressemblant de loin à des défroques ; enfin
un vrai cantonnement de bohémiens. Et les hommes sont là qui mangent, qui
rient, qui dorment. Beckaert m’accompagne un bout et
je profite d’une auto qui me ramène à mon train. Le lendemain dimanche, de
retour à Calais, je fus dîné chez Herman. Fernand Hermans est venu m’y
retrouver et nous sommes sortis en ville. Il est lundi 7 h du matin, quelqu’un
m’appelle. C’est notre Georges qui vient me trouver à ma voiture. Il revient de
Paris où il s’est bien amusé. Il profite de mon cabinet vde toilette et déjeune
avec moi. Nous sortons ensemble et je tâche de lui procurer tout ce qui
peut lui devoir être utile aux tranchées. Après avoir dîné, il reprend le train
pour le front où il arrivera vers dix heures du soir. Nous avons ensemble écrit
une carte à Hasselt en même temps que je t’écrivais une lettre. Le soir j’ai
joui du joli spectacle de nos phares de Calais, tournant, se croisant,
fouillant le ciel dans tous les sens. C’est qu’il ne s’agit pas de se laisser surprendre par les bombes
allemandes. Le mardi 17, pendant mes quelques heures de repos, j’ai rendu
visite à Hermans qui loge dans son train blindé. J’ai pu visiter et admirer
avec lui le train et ses canons puissants. Le samedi suivant, étant revenu au
front, je veux cette fois voir le petit Mathieu Thonet.
Je refais le voyage que j’ai fait la semaine dernière et cette fois je suis
plus heureux. Le lendemain 22 c’est au tour d’Henri Willems que je vais
surprendre. Il dormait sur sa paille lorsque je vais le voir. Il a été bien
surpris et bien heureux. C’est toujours Henri avec sa figure maigre, osseuse et
ses allures vives et son caractère bon enfant. Nous avons passé deux bonnes
heures ensemble. Depuis lors, il m’a encore écrit une carte. Depuis lors, j’ai encore revu Georges le 28 août dernier et Mathieu Thonet le 5 septembre, ainsi que le docteur Bernard
d’Heure-le-Romain qui est attaché à l’hôpital d’Adinkerke. J’ai vu aussi ce
jour un fils Bonhomme d’Heure-le-Romain qui me dit qu’il partira probablement
pour Je ne puis cependant terminer ma relation sans te faire connaître mon
logement et ma façon d’être ici. Mon logement est un wagon, un de ces beaux
wagons de 3e classe dont sont enlevées toutes les couchettes et
cloisons. Je puis faire 21 pas en longueur et 5 en largeur. A chaque extrémité,
nous avons fait une chambre à coucher de Mille baisers Jules |