Médecins de la Grande Guerre
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Le Dr
Dogniaux soigna à Jumet de nombreux soldats allemands Introduction Mon confrère médecin de Jumet, le Dr Franz Mariscal m’a transmis en ce mois d’août 2014 les lettres émouvantes de remerciements de soldats allemands soignés par le Dr Louis Dogniaux pendant la Grande Guerre. Je le remercie de tout cœur. Ces lettres constituent un témoignage peu commun. En effet, si nous possédons de nombreux témoignages de remerciements de la part de soldats blessés, il faut bien avouer qu’ils s’adressent pour la plupart aux infirmières. Ces lettres de reconnaissance à un médecin et de surcroît écrites par des soldats ennemis sont donc exceptionnelles. Mais qui donc est ce Dr Dogniaux pour s’être attiré tant de sympathie de ses opérés ? Le Dr Louis Dogniaux est né à Roux le 10 avril 1867. A l’université de Bruxelles, il est un des élève préféré du Dr Jules Thiriar (1846-1913), véritable pionnier de la chirurgie belge. Après ses études, il visite les hôpitaux les plus modernes d'Allemagne avant de se lancer dans le traitement des fractures, hernies et autres difformités comme le pied bot. Il opère depuis 1892 dans la clinique qu’il a fait construire sur les terrain de l’ancienne chaîneterie Baudoux. Doté des derniers perfectionnements de l’hygiène et de l’aseptie, son établissement est muni de chauffage central, de toilettes à chasse d’eau et est annexé d’un solarium. Les sœurs de charité de Bonne-Espérance en sont les infirmières. La capacité de la clinique est de 42 chambres particulières à un ou deux lits et de deux salles communes de chacune 14 lits pour les indigents. Le cabinet de consultation du docteur se trouve dans un vieux moulin dont les murs sont garnis de nombreuses cages de canaris dont le docteur est grand amateur. D’une grande dextérité comme son maître Thiriar, le docteur Dogniaux se fait vite une grande réputation. Opérateur minutieux, il met au point un procédé de renforcement de la paroi abdominale au moyen d’une greffe tendineuse. En 1900, puis une deuxième fois vers 1911, la clinique déménage pour « cause d’agrandissement ». Le petit institut s’est transformé au fil du temps en un imposant bâtiment qui assure aussi une fonction de sanatorium. Le Dr Dogniaux tient le record du plus grand nombre d’opération en 1908 : 1.143 interventions ! On vient de plus en plus loin pour se faire opérer chez lui. Pendant la première guerre mondiale l’institut situé à la rue Hubert Bastin est réquisitionné pour servir d’hôpital militaire. Le docteur Dogniaux veut soigner les soldats des deux camps. Les soldats français y côtoient les soldats allemands unis dans la souffrance sous le drapeau belge qui continue à flotter fièrement sur le bâtiment. Après la guerre, le docteur continua son inlassable activité. En 1922, il compte à son actif 37.925 interventions ! Il décéda à Jumet le 12 octobre 1937 dans l’ancien château du maître verrier Houtart qu’il avait acquis en 1902[1]. Le Dr Dogniaux est certes un médecin dont on peut s’enorgueillir. Par son abnégation et sa gentillesse envers tous les soldats, il nous rappelle qu’un blessé ou un malade doit être soigné sans jamais tenir compte de sa nationalité ou de son passé. Dr P. Loodts Lettres de
reconnaissance de blessés allemands au Dr Dogniaux Lettre de Reinhard Pott, sous-officier entré à l’institut le
24 août et sorti le 4 septembre 1914, écrite le 22 décembre 1914. Très honoré Monsieur le Docteur, Vous avez été étonné sans doute dé n'avoir pas encore reçu de mes
nouvelles; mais j'avais l'intention d'aller vous remercier personnellement pour
toute votre bonté et votre dévouement. Comme je suis chargé pour la seconde
fois, jusqu'à' nouvel ordre, de l'instruction des recrues, près de Cologne, il n'y
a aucun espoir pour moi de faire à Jumet
un séjour volontaire ou involontaire. Depuis mon départ de là-bas, je suis
resté dans mon pays jusqu'à la mi-octobre et depuis lors, je suis occupé ici. Dans
l'entre-temps, j'ai rencontré les camarades Hraft et le
"grand ours" de Minden à la main mutilée. Vous avez dû recevoir des
nouvelles de la blessure de M. Nadmeyer près d'Ypres.
On dit qu'il a. reçu une balle
dans le ventre, mais la blessure n'est pas dangereuse. Il a en outre été décoré
de la Cr o ix de Fer peu de temps après son retour au feu. C’étaient tout de même
des jours inoubliables que ceux que nous avons vécus chez vous, et dont nous
avons éprouvé le bienfait avec une reconnaissance d'autant plus profonde que les
temps précédents avaient été plus durs. C'est pourquoi, chaque fois que la
chose me fut possible, j'ai toujours dit tout le bien que j'ai pu du service
sanitaire belge, et j'espère avoir ainsi contribué pour ma part à mettre au
point la situation qui était alors celle de la Belgique. En tout cas, je vous
remercie encore une fois très cordialement de tout le dévouement et de toute la bonté dont moi
et tous mes camarades nous avons été l’objet de votre part, et je vous prie de
vouloir bien accepter, comme un petit souvenir, la boite de cigarettes
ci-jointe. Si je survis à la guerre, je me rendrai encore une fois en personne
à Jumet pour vous témoigner ma reconnaissance et vous raconter mes expériences
ultérieures après mon retour en Allemagne. Pour aujourd’hui recevez, vous et
tout votre personnel, mon salut le plus cordial. Votre dévoué Reinhard Pott. Voici deux lettres très intéressantes, écrites par un simple
soldat, Karl Rôsemeier, entré à l'Institut du Dr Dogniaux le 4 août et sorti le 12 novembre 1914 : il avait
la main gauche mutilée par arrachement ; c'est probablement le "grand
ours" de la lettre précédente : Stadthagen, le 16 novembre 1914. Honoré Monsieur le Docteur, Je vous annonce que je
suis arrivé à bon port dans ma patrie. Je
me trouve ici à l'ambulance. Ma main va
tout à fait bien. Ici
à l'ambulance tout le monde se demande comment vous avez pu remettre la main
avec tant de succès. Je vous remercie beaucoup de tout le bien que vous m'avez
fait, et je remercie aussi beaucoup les Sœurs de leurs bons soins. Je garderai de l'Institut un souvenir d'honneur. Recevez tous les respects de Votre reconnaissant, Karl Rôsemeir. Stadthagen, 1er décembre 1914. Honoré Monsieur le Docteur, J'ai bien reçu votre aimable
carte: j'ai éprouvé un plaisir extraordinaire à recevoir de vos nouvelles. J’ai
déjà eu l'occasion de regretter beaucoup d'avoir quitté votre institut: il faisait
meilleur chez vous. Ici, on est comme dans une prison.
Personne ne peut quitter l'ambulance et on ne donne pas la permission de le
faire. Ma sœur habitant à deux minutes de l'ambulance, je ne puis pas même
aller la voir: c’est ainsi qu'il en va dans
l'ambulance allemande. Chez vous, il faisait meilleur. Ma main n'est pas encore
complètement guérie, mais elle est en bonne voie. J'irai prochainement dans un
institut orthopédique pour rétablir la souplesse des doigts, et alors je
recevrai mon congé définitif. Ici en Allemagne on ne remarque pas beaucoup les
traces de la guerre ; il y a ici encore beaucoup de farine et de vivres : si la
Belgique en avait une partie ! Espérons
que cette guerre finira bientôt, ce serait mieux pour tous. La semaine dernière, notre général maréchal de camp von
Hindenburg a de nouveau capturé 60.000 Russes, 100 canons et 157 mitrailleuses.
Il y a beaucoup de prisonniers en Allemagne, ils sont bien traités, ils reçoivent
de la très bonne nourriture et doivent peu ou pas travailler. S'il y avait
encore des camarades allemands en traitement chez vous, je vous serais
reconnaissant de les saluer de ma part.
J'envoie aussi un salut amical aux blessés français et leur souhaite un prompt
rétablissement. Saluez aussi de ma part, je vous prie, les Sœurs, surtout les Sœurs
Mechtilde, Carits, Isabell, Anne Marie et Célina, et
je leur envoie à toutes encore une fois tous mes remerciements pour leurs bon soins. Recevez mes meilleurs
sentiments. Votre reconnaissant, 1 Compo Inf.Regt.15. Le soldat Julius Weinberg, 2è Gross.Herz. Inf. Rgt II6, 6è comp,
n°71, fils du Docteur Weinberg de Herborn, a été
blessé au crâne le 6 ou 7 octobre 1914 d'une balle de shrapnell. Il est entré à
l'institut le 10 octobre. Son père écrit, entre autres lettres, à la date du 12
novembre : Très Honoré Collègue, Je ne puis assez vous remercier de l'excellent
traitement réservé à mon fils et des renseignements instructifs et sympathiques
que vous m'avez communiqués. Je serais très heureux de trouver une occasion de
vous prouver ma reconnaissance. Puis-je
encore une fois vous imposer la peine de répondre à la question suivante ? La sara est-elle intacte, ou bien la cervelle est-elle à découvert ? Où faut-il exactement placer le siège de la fièvre
? Votre lettre du 1er
octobre n'est pas arrivée en ma possession. J'espère pouvoir me rendre chez
vous la semaine prochaine ou la suivante. Avec l'expression de ma plus
haute considération, Votre dévoué S. Weinberg Le sous-officier Herman Koch, entré à l’institut le 26 août
et sorti le 20 décembre 1914 écrit : Hanovre, le 1 d é c e rn b r e 1914. Très honoré Monsieur Dognieux, Il
m'est enfin possible de
vous souhaiter une nouvelle année pleine de bonheur et de santé. Que ce souhait
parte d'un cœur sincère, Monsieur Dogniaux, vous pouvez
en être assuré. C’est que je dois à vos soins attentifs une infinie
reconnaissance. Par vos nobles procédés, vous avez gagné les cœurs de tant de blessés
qui aujourd'hui jettent à flots la louange sur votre tête. Daigne Dieu vous rendre ce
que, dans les circonstances actuelles vous avez fait pour votre prochain de
façon si désintéressée ! C’est dans des sentiments d'éternelle reconnaissance
que nous penserons à vous. Mon retour s'est effectué dans de bonnes conditions. Dès le lundi matin
à 4 h32, j'arrivais à Hanovre, le pionnier Schulz a suivi mon conseil et est
resté id à Hanovre. Nous avons été admis
dans un hôpital nouvellement installé. Comme chez vous, nous s o m rn e ici aussi en bonnes mains. On me rnasse et je travaille tous les jours un quart d'heure avec
la jambe gauche dans une machine le pendule. La blessure du pied droit présente
toujours une petite ouverture. On en attend la guérison complète, avant d'entreprendre
quelque chose au pied. Je danse joyeusement sur les deux béquilles tout autour
de ma chambre, tellement je me sens déjà ferme sur la jambe gauche. Je vous
tiendrai fidèlement au courant de mes progrès et je reste, avec les sentiments les plus cordiaux,
Votre toujours reconnaissant et dévoué, H.Koch Le Lieutenant Max Bôhm, entre à
l'institut le 25 août et sorti le 27 septembre 1915 écrit à son bienfaiteur : Charlottenburg, le 7 octobre 1915. Très honoré Docteur Dogniaux, Je prends la très respectueuse liberté de vous annoncer que je suis
heureusement arrivé à Berlin le lundi 29, à 8h30 du matin, et que j'étais
attendu à la gare par ma chère épouse. Mon pied va tout à fait bien, et je vous remercie
encore une fois de tout cœur pour le traitement si excellent et la magnifique guérison
de mon pied. Tous les jours, je m e reporte par la pensée aux bons moments de Jumet et tout
particulièrement à toute la bonté que
j'ai éprouvée de votre part, très honoré Docteur, dans une si large mesure.
Inoubliable restera dans ma mémoire le
superbe retour en auto jusqu'à Aix-la-Chapelle, et ce fut pour moi un grand
apaisement d'apprendre que vous étiez retourné dans votre chère famille sain et
sauf, cher Monsieur le Docteur, le même soir. Pour ce dévouement si
extraordinaire de votre part, je vous exprime ici ma reconnaissance la plus
dévouée et j'ai très, très hautement apprécié le privilège d'avoir été jusqu'à Aix-la-Chapelle dans votre agréable compagnie. Ma chère épouse aussi vous fait parvenir, très honoré Monsieur le
Docteur, son cordial remerciement pour tout le bien que vous m’avez fait et se permet,
bien qu'inconnue, de présenter ses sentiments les plus dévoués à Madame votre épouse ainsi qu'à vous. En vous témoignant encore une fois de tout cœur ma gratitude pour tout
le bien dont j'ai été l'objet dans votre Institut, je reste, avec les sentiments
les plus dévoués pour vous et Madame votre épouse, Votre toujours reconnaissant, M. Bôhm , Lieutenant, "Garde Reserve Sanitats Compagnie 2,
" Le Lieutenant Hans von Boddien, entré à
l’institut le 25 août et sorti le 19 septembre 1914, écrivit en français
la lettre suivante : Berlin, le 3 octobre 1914. Monsieur le Docteur, Après un séjour d'une quinzaine,
je suis rétabli au point de pouvoir repartir pour rejoindre m'en régiment au
cours de la semaine prochaine. Je ne voudrais pas partir sans vous remercier encore
une fois de tous les soins que vous avez pris de moi et qui ont eu un si bon
résultat. Ma mère aussi est bien heureuse de me trouver si bien portant. Mes
compliments à M. Daubresse, la sœur Celina, M. Cambier, et tous ceux
qui se souviennent de moi, surtout M. Cambier. Si
vous avez encore des blessés allemands, je leur souhaite une guérison aussi complète
que la mienne. Agréez Monsieur, encore une fois l’expression de ma reconnaissance. von Boddien, Lieutenant [1] Je me suis basé pour la biographie du Dr Dogniaux sur « Médecine et société », catalogue de l’exposition organisée par le Musée royal de Mariemont du 27 mars 1987 au 30 août 1987. Les pages 48 à 50 y détaille l’action du Dr Dogniaux. |