Médecins de la Grande Guerre

Le Dr Cushing, le pionnier américain de la neurochirurgie, en Belgique et en France.

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Le Dr Cushing, le pionnier américain de la neurochirurgie, en Belgique et en France.

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Le Dr Cushing

La technique de l'électro-aimant dessinée par Cushing lui-même

Sir Keogh, médecin chef du RAMC

Marie Depage

Le lieutenant médecin William T. Fitzsimons

Le professeur Osler, son épouse Grace et leur garçon Reverse

Edward Revere Osler en 1915 (source : the library of Medicine McGill University, Montréal , Canada)

Sir Beachcroft revêtu de son magnifique uniforme de Gordon Highlanders

« The life of Sir William Osler »

Hommage aux mères américaines

Situation du monument en Bretagne

Hommage aux soldats américains de la guerre 1914-1918 et 1940-1945

Le Dr Cushing, le pionnier américain de la neurochirurgie, en Belgique et en France.

 


Le Dr Cushing

Harvey Cushing fut un des médecins les plus remarquables de notre XXème siècle. Son nom est associé au célèbre trouble endocrinien  « syndrome de Cushing » (1) que les médecins du monde entier se doivent de connaître ! Paradoxe de l’histoire, peu de médecins   associent son nom à la neurochirurgie alors que Cushing fut  le créateur de cette spécialité. Quant à la personnalité de cet homme remarquable, le temps faisant son œuvre, elle est aujourd’hui  malheureusement  oubliée alors qu’elle pourrait encore nous donner encore tant d’enseignements ! Harvey Cushing naît le 8 avril 1869 sur la côte Est des Etats-Unis. Etudiant la médecine à Harvard, il va rapidement se faire remarquer pour la précision avec laquelle il dissèque les moindres nerfs et vaisseaux sanguins. Méticuleux Harvey, mais aussi méthodique comme le prouve l’anecdote suivante. Durant sa seconde année à Harvard, un patient qu’il est chargé d’anesthésier décède puis encore un autre un mois après. Avec la coopération de son ami Copan, Cushing va alors rédiger un protocole d’anesthésie pour mieux surveiller les patients opérés. Ce protocole  comprenait la mesure régulière du pouls et  de la fréquence respiratoire.

Tout cela était très simple à réaliser, mais il fallut quelqu’un comme Cushing pour systématiser ces mesures…Après un an comme interne au service de médecine du Massachussetts General Hospital , Harvey quitte Boston en 1896 et devient assistant de William Halsted (2) à Baltimore. Il entreprend alors un voyage d’étude en Europe et, à Liverpool, travaillera avec Sherrington pour réaliser des craniotomies expérimentales sur des singes anthropoïdes. En 1900, il met au point une technique opératoire pour traiter la névralgie du trijumeau et toujours dans le service du Dr Halsted continue ses expérimentations en neurochirurgie. A cette époque les interventions sur le cerveau sont greffées d’une mortalité considérable mais en 1910, Cushing réussit une opération qui le rend renommé : il réussit l’ablation  d’une énorme tumeur crânienne, un  méningiome  occipital, chez le général-major Leonard Wood, le chef d’Etat-Major de l’armée américaine ! Dès lors il va développer à Boston un  service de neurochirurgie  qui prendra une extension exceptionnelle !

Quand la guerre 14 éclate, les Etats-Unis sous l’égide de son président Wilson, tentèrent dans un premier temps de rester neutre mais Cushing clairvoyant, entrevit très rapidement que les Etats-Unis ne pourraient pas garder longtemps pareille attitude !

Pour soutenir la France et ses alliés, l’hôpital américain de Neuilly (3) sous l’égide de l’ambassadeur américain Robert Bacon  décida de se transformer en une véritable ambulance. Le Lycée Pasteur qui pouvait héberger 600 patients fut mis à la disposition de l’hôpital américain et l’on  fit appel aux médecins, ambulanciers, infirmières des Etats-Unis à qui l’on proposait de  venir  trois mois  soigner les courageux « Poilus ». L’ambulance américaine, financée largement par madame Harry Payne Whitney (4) reçut son premier patient le 7 septembre 1914. L’université de Harvard par l’intermédiaire du Dr Crile (5), pionnier de la transfusion sanguine, accepta de créer une équipe de volontaires qui devait œuvrer trois mois à Paris. Cushing demanda d’y être incorporé. Le 18 mars, l’équipe s’embarqua sur le vieux bateau « Canopic ». Pour meubler la traversée, le Dr Strong (6) jouait de la Mandoline tandis que le Dr Osgood (7) avait transformé une barrique en tambour et que Cushing dessinait son entourage. L’équipe débarqua à Algeciras et rejoignit   à Madrid, où Cushing, passionné par l’histoire de la médecine, acheta une version du livre de Vésale « Valverde Vesalius » datant de 1556 !  Deux jours de train les amenèrent ensuite à Paris.  

 A l’ambulance américaine, Cushing découvre la pathologie des soldats hospitalisés. Son journal (8) raconte  les histoires des blessés qui l’impressionnent par leurs blessures ou par leurs exploits ! En voici deux ! A Neuilly, écrit Cushing, était hospitalisé un soldat qui brandissait fièrement à chaque visiteur son trophée, la balle que le chirurgien avait extraite de son péricarde alors qu’elle n’avait entraîné aucun dommage  et que l’intervention  lui avait valut le collapsus du poumon gauche et une pneumonie à droite  qui devint un  empyème !  Un autre soldat, écrit  Cushing avait été  laissé pour mort le 7 septembre à Croult. L’ennemi revint sur le lieu de la bataille le lendemain, le découvrit et  voulut  l’achever d’un coup de crosse. Sa mâchoire fut brisée, il fut laissé pour mort mais survécut. Ce vaillant soldat  fut finalement découvert  par les siens lors d’une contre-attaque. Ayant développé un érysipèle et une otite purulente, le soldat attendait depuis sept mois une suture nerveuse de son nerf facial !

Cushing note toutes ses constations et cela va jusqu’aux  pieds des poilus ! Beaucoup de poilus , écrit-il ont leurs orteils déformés par les sabots qu’ils portaient avant la guerre ou par chaussures militaires. Beaucoup d’entre eux souffrent en plus d’une pathologie spécifique à cette guerre « le pied des tranchées ».  Chaque hospitalisé est pour lui une source d’information unique ! En se portant volontaire pour trois mois dans l’ambulance  américaine, Cushing avait un objectif précis. Il s’agissait d’étudier de près les besoins de la chirurgie de temps de guerre afin de préparer les services médicaux de l’armée des Etats-Unis à  ceux-ci. Consciencieusement, il note absolument tout ce qu’il voit et  entend et en retire de nombreuses leçons. Une de celles-ci est l’inefficacité des procédures d’acheminement des blessés vers l’arrière. Tous les blessés admis à Neuilly  toussent ! Pourquoi ? Les blessés, constate-t-il,  rassemblés dans les gares  en attendant le train qui les ramènerait vers l’arrière, doivent rester sur les quais de longues heures sans aucune protection contre la pluie et sans couverture. Et Cushing cite l’exemple d’un officier anglais arrivant à Neuilly en état de delirium  parce qu’il était resté, sans nourriture et boissons, six jours  sur son brancard avec un fusil comme attelle  pour immobiliser sa  fracture compliquée du fémur. Cet homme, conclut Cushing, ne dut son salut que  parce qu’il était jeune et en excellente condition au moment où la balle ennemie le surprit ! Cushing est aussi impressionné par les histoires extraordinaires concernant des soldats sauvés de justesse par un hasard extraordinaire alors que  tous leurs compagnons succombaient autour d’eux la vie. Il découvre de même le « shell shock » que commencent à bien décrire les médecins militaires anglais.

Après avoir appris tout ce qu’il pouvait dans l’ambulance de Neuilly, Cushing désire maintenant visiter d'autres formations médicales ! Il visite le 13 et le 14 avril l’hôpital du Dr Carrel dans la forêt de Compiègne et apprend de lui  la méthode d’irrigation des plaies par le liquide de Dakin. Le 19, il est de retour à Neuilly où il opère jusqu’au 24, date à laquelle il  découvre à la station de triage de La Chapelle à Paris la pathologie  des soldats gazés qui reviennent du front des Flandres. Le 25, il opère le lieutenant Daumale qui a reçu une balle dans l’œil à travers le verre de ses jumelles. Le médecin de bataillon a énucléé l’orbite mais Cushing remarque par une radiographie des fragments métalliques jusque dans la base du crâne. Toute la région orbitale est infectée et Cushing doit inciser l’antre pour y placer des drains ! Il fait connaissance de l’extraction magnétique des fragments de shrapnell au moyen d’une aiguille aimantée. La description  qu’il fit  de cette technique lorsqu’il l’employa pour la première fois vaut la peine d’être mentionnée :

Plusieurs essais infructueux, ce matin, pour extraire le fragment d'obus, à l'aide de l'aimant, du cerveau du pauvre Lafourcode. J'avais peur d'utiliser la sonde énorme qu'ils disposaient. Nous avons essayé tout ce qui était possible  dans mon cabinet… Enfin, alors que j'étais en train de déjeuner, Bloothby, mit la main  sur ce qui était nécessaire, précisément sous la forme d'un clou  d'environ six pouces de long avec une extrémité qu’il  avait soigneusement arrondie. Eh bien, il y avait la foule habituelle dans la salle de radiographie et de son corridor et une grande excitation quand nous avons  laissé glisser le clou  par gravité dans le crâne de  Lafourcode. A aucun moment il n'y eut de symptômes d’hypertension malgré que  l'absence d’anesthésie. Pendant que l’on développait la plaque radiographique pour déterminer si la tige était bien arrivée au contact du fragment d’obus, Albert Kocher en profita pour  me présenter à un ami de Berne, Salomon Reinach, Membre de l'Institut, auteur de «l'histoire des religions»…Finalement nous rejoignîmes la salle d’opération du premier étage où Cutler après avoir  mis en contact l’aimant de la tige  retira  lentement  cette dernière pour s’apercevoir qu’il n’y avait hélas rien au bout de la tige ! Pas de soupirs de soulagement mais bien des grincements dans l’assemblée ! Je tente un nouvel essai  très attentivement mais avec le même résultat ! Nombre de spectateurs  commencent à sortir de la salle d’opération. Troisième tentative et un nouvel échec ! J'ai commencé alors à murmurer: « Je n’ai  jamais rien vu de ce genre, il y a erreur depuis le début, il aurait fallu faire   une radiographie de suite à son entrée à l’hôpital ».

J'avais ôté mes gants et retiré la tige quand je me dis  « essayons juste  une dernière fois »! Donc, j'ai glissé  la tige à nouveau à  3 1/2 pouces de la base du cerveau. Cutler baissa délicatement le gros aimant vers le bas et  établit le contact avec la tige métallique. Le courant fut  branché et la tige retirée lentement ! Il  était là, le petit fragment d'acier brut accroché à sa pointe! Beaucoup d'émotion partout  surtout de la part de A. Kocher et Salomon Reinach….(8)


La technique de l'électro-aimant dessinée par Cushing lui-même

 

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Le 3 mai, Cushing  rend visite à Boulogne à ses collègues anglais Holmes et Sargent. Holmes commençait à cette époque une importante étude sur les blessures cérébrales et spinales. A l’hôpital N°13 à cause de la guerre étaient réunis un nombre extraordinaire de ce genre de blessés et c’était l’occasion unique d’avancer dans la connaissance de ces traumas. Les discussions entre les neurochirurgiens anglais et Cushing furent passionnantes et amicales ce qui n’empêcha pas Cushing de critiquer  dans son journal l’hôpital N°13 (8) :

L’hôpital N°13 est représentatif des hôpitaux d’outre mer de l’armée anglaise. Les commodités sont légères, l’intendance insuffisante, le travail, malgré qu’il soit varié, est  trop volumineux à accomplir car il y a en un jour autant d’admission qu’en un mois à Neuilly.(…) Les blessés aujourd’hui sont dans le Casino au nombre de 520 sans compter les 200 qui sont sous tentes ! Occasionnellement en cas de bataille, le nombre de blessés peut atteindre 900. Il n’y avait seulement que des hommes très malades tous devant garder le lit et dans l’énorme restaurant du casino qui contenait 200 lits il pouvait y avoir seulement trois ou quatre infirmières et autant de brancardiers. Comparé à notre hôpital de Neuilly  avec 162 patients subaigus ou chroniques  nous avons une infirmière ou un brancardier pour 10 à 12 lits ! (8)

Le 5 mai  nous retrouvons Cushing une nouvelle fois en route. Il est  accompagné   de l’ambassadeur américain et du colonel Atkins et se rend sur le front des Flandres  pour observer  l’effroyable spectacle du  bombardement d’ Ypres  depuis le point de vue du « Scherpenberg ». Sur les pentes du mont, Cushing visite le Field ambulance N°8 réfugié  dans une maison abandonnée  à « La Clytte » et tenu en charge par le courageux Dr Bazett. Cushing  y voit le spectacle désolant d'un grand nombre de blessés graves intransportables car blessés à la tête ou à l’abdomen. Les visiteurs ne s’attardent pas et continuent leur chemin pour atteindre atteignent le sommet du Scherpenberg. La vue sur Ypres qui brûle fait dire à Cushing que ce  spectacle est sans doute, jusqu’à présent, le plus désespéré de cette guerre. Le colonel Atkins raconta à Cushing que le Roi George lui-même était venu récemment pour regarder le bombardement d’Ypres en ayant émis l’espoir d’une journée sans nuages !

Les visiteurs retournent à temps à Boulogne pour assister le Dr Sargent qui  opère le sergent Percy d’un gros shrapnell  reçu dans le lobe pariétal droit. L’opération est un succès.

Cushing décide d’abréger son séjour en France. Il en sait assez sur cette guerre et ce qu’il a vu le pousse à rentrer au plus vite aux Etats-Unis pour convaincre les autorités médicales militaires de préparer leur service médical aux nouveaux défis de la guerre européenne. La  première étape de son voyage de retour est Londres. Le 6 mai Cushing traverse le Channel et rend d’abord visite à son maître à penser le Dr Osler. Il visite ensuite à Londres le War Office où il rencontre Sir Alfred Keogh (9), médecin et chef du RAMC  (Royal Army Medical Corps), avec qui il a une longue conversation. Au cours de celle-ci, Cushing démontre l’insuffisance des renseignements cliniques accrochés à un bouton de l’uniforme des blessés que l’on évacue. Sir Keogh lui montre alors une nouvelle manière de conserver ces renseignements médicaux et qui consiste en une fiche à glisser dans une enveloppe mais ce modèle suscite tout autant la critique de Cushing. Le jour même de l’entrevue, Sir Keogh  a reçu la date à laquelle l’offensive de la Somme (10) doit avoir lieu  et il la confie à Cushing: ce sera le premier juillet 16.  33 chirurgiens et 75 infirmières seront mis à la disposition de l’armée note Cushing dans son journal !     


Sir Keogh, médecin chef du RAMC

Après cette entrevue, Cushing fait quelques courses quand il entend  les vendeurs de journaux crier la nouvelle   que les Allemands viennent de couler le Lusitania dans lequel se trouvent plus d’une centaine de voyageurs américains. Il rejoint aussitôt Liverpool où il s’embarque le 8 mai pour les Etats-Unis. Le 9 mai, son navire traverse la zone où le Lusitania a été torpillé. La mer est couverte d’épaves diverses et Cushing aperçoit plus de cinquante corps qui flottent !  Parmi eux, peut-être le corps de Marie Depage, l’épouse du célèbre médecin belge Antoine Depage (11) qui dirige l’hôpital l’Océan !


Marie Depage

Arrivé aux Etats-Unis, Cushing, rapidement, il va trouver un allié considérable en la personne du chirurgien Général  Gorgas qui  faute de pouvoir créer au sein de l’armée un  service de santé militaire apte à supporter une guerre moderne, encourageait toutes les initiatives privées pour préparer le corps médical  de son pays  à la survenue d’un  conflit  extrêmement meurtrier. Le 18 septembre 1915, connaissant l’expérience de Cushing en France, il lui  confie la préparation au sein de son université d’une   unité  hospitalière pour le temps de guerre. Gorgas lui demande de rédiger une liste de volontaires qu’il s’arrangera pour faire passer sur une liste d’un Medical Reserve Corps. Le projet de Gorgas accepté par Cushing trouva  de suite des détracteurs importants comme la Croix-Rouge qui considérait que l’on marchait sur ses plates-bandes où comme  Lowell qui  président d’une université américaine, jalousait Cushing d’avoir été choisi par Gorgas. La lutte  contre le projet des unités médicales de réserve trouva son apogée quand Cushing demanda à se que l’on entraîne les unités médicales de réserve dans un véritable hôpital de campagne  identique à  une « ambulance » de  l’armée française. Cushing voulait dresser cette ambulance de baraques et de tentes en plein Boston, dans le parc du  « Boston Common ». D’après lui, pareil camp en plein centre de la ville universitaire était nécessaire non seulement comme camp d’entraînement pour les unités médicales de réserve qu’ils voulaient former mais aussi pour réveiller la fibre patriotique de ses concitoyens face au péril allemand. Le projet de l’établissement de l’ambulance expérimentale  entraîna  de tels remous dans la presse et  le monde politique que Cushing lui-même parla dans ses mémoires de la « bataille du Boston Common » !  Si beaucoup d’Américains trouvaient le projet fondé, ils le rejetèrent massivement parce qu’ils trouvaient inconcevables de sacrifier, même pour quelques semaines, un  espace vert si précieux pour les Bostoniens aisés qui s’y promenaient ou qui l’observaient de leurs maisons riveraines ! Cushing fut profondément déçu et humilié de l’issue de son combat mais son amertume considérable, si elle dura longtemps, fut rapidement  ramenée à de plus justes proportions  quand le 29 avril 1917, il reçut la nouvelle de la mobilisation officielle  de  son unité médicale  de réserve en vue de former  le « Base Hospital N°5 » (12). Le 11 mai  s’embarquèrent donc  pour la France sur le SS.Saxonia, 26 officiers, 185 volontaires (brancardiers etc…) 81 infirmières, un diététicien et 3 secrétaires… Le chef d’unité est le docteur  Patterson. Les Américains arrivent sur la côte d’Opale à Camiers le 31 mai. Ils doivent prendre la gestion de l’hôpital militaire anglais  « N° 11 General » dans lequel se trouvent 600 patients ! Chaque médecin aura donc 100 patients à s’occuper. Comment dans ces conditions les suivre journellement, écrit Cushing dans son journal ! Les débuts de l’hôpital sont pénibles pour le personnel  et Cushing  déplore  que son hôpital a perdu ses caractéristiques américaines pour ne devenir  qu’un maillon du service de santé anglais ! Tout devient compliqué, écrit-il, à tel point que pour envoyer un télégramme aux E-U, il faut d’abord obtenir l’aval des autorités anglaises ! Le comble survient le 5 juin quand Patterson reçoit des Anglais l’ordre de détacher son chirurgien  Cushing dans un  hôpital anglais près d’Ypres en vue de la bataille qui s’annonce  pour conquérir Paschendaele. Patterson est obligé d’obtempérer et Cushing est donc  transféré  en Flandres au moyen d’un véhicule ambulance anglais qui, note t-il étonné, est conduit par deux femmes !    

Le 4 septembre 17, l’hôpital américain à Camiers subit un terrible bombardement alors que Cushing est dans les Flandres (à l’hôpital N°46 C.C.S, près de Poperinghe). Sept bombes furent lâchées par un Gotha dont cinq atteignirent l’hôpital N°5. Le docteur  Fitzsimons était juste devant sa tente lorsqu’une bombe pile au-dessus de lui tomba et le pulvérisa littéralement.

Le premier officier américain tué en France fut un médecin !

 

Le lieutenant médecin William T. Fitzsimons (1889-1917) fut le premier officier américain tué dans la Grande Guerre. En 1920, l’hôpital militaire d’Aurora dans le Colorado fut appelé en son honneur le « Fitzsimons army Hospital ». Le lieutenant était un ancien élève du St.Mary’scollege et était diplômé de l’université du Kansas. Il avait étudié la chirurgie à l’hôpital Roosvelt à New-York.  Il avait d’abord servi 18 mois en Belgique avec la Croix-Rouge avant de retourner aux E-U puis de s’embarquer une deuxième fois pour l’Europe, cette fois avec l’hôpital N°5. Il avait 28 ans quand il mourut ! En 1920, le St.Mary’s College construisit un mémorial à sa mémoire et à la mémoire des 19 anciens qui donnèrent leur vie pendant la première guerre mondiale !


Le lieutenant médecin William T. Fitzsimons


Le soldat Turgo fut tué alors qu’il était de garde. 22 patients furent blessés au lit. La dernière bombe tua les soldats Rudolph Rubino et Leslie Woods. McLeod dut être amputés des deux jambes. Le 8 septembre les quatre tués furent enterrés dans le grand cimetière militaire entre Camiers et Etaples.

Cushing fut donc envoyé en Flandres pour assurer le renfort chirurgical nécessaire pendant la bataille de Paschendaele. Méticuleux, il tenait merveilleusement  à jour les fiches de ses opérés quelque soient les conditions dans lesquels il se trouvait. Ces fiches étaient extrêmement complètes et Cushing y détaillait aussi les circonstances  dans lesquelles les soldats avaient été atteints. Il était aidé dans cette tâche par sa secrétaire, Miss Julia Shepley qui était attachée au Base Hospital N°5. En mai 1942, le Brigadier  Hugh Cairns qui avait en charge la chirurgie neurologique de l’armée anglaise durant la seconde guerre mondiale voulut connaître ce qu’il était advenu des patients opérés par Cushing pendant la première guerre mondiale.  Miss Shepley réussit l’exploit de  retrouva les noms, adresses, régiments des 119 soldats opérés ce qui permit au Ministère des Pensions anglais de retrouver leurs traces et pour la plupart de les faire examiner. Cairns fut étonné de la bonne survie de la plupart des opérés.

 Voici une phrase extraite d’une  lettre émouvante écrite par le H.A. Killick  et  que reçut la veuve de Cushing lors du décès de son mari.

22 années ont passé depuis qu’il sauva ma vie et maintenant j’ai un fils qui est pilote dans la R.A. F. J’espère que si il devait lui arriver d’être blessé, il puisse arriver dans les mains aussi capables et gentilles que celles de votre mari… (13)

L’expérience chirurgicale  de Cushing dans les Flandres fut considérable mais  que dire de son expérience morale ? L’événement le plus dur pour lui fut sans doute la mort de Reverse Osler, fils de son meilleur ami, le docteur Osler, qui était aussi son maître à penser… 

Mais disons d’abord un mot sur ce docteur Osler que tous les médecins du monde connaissent encore aujourd’hui par le nom d’une maladie, la maladie d’Osler (contamination microbienne des valvules cardiaques par le streptocoque)

Le chagrin du Dr Osler !

Sir William Osler (1849-1919) est sans doute une des personnalités ayant  le plus influencé la médecine à la fin du 19ème siècle. Il termina  ses études de médecine en  1872 et après avoir voyagé deux ans en Europe,  devint professeur de pathologie à l’université McGill de Montréal où rapidement il va connaître une grande popularité  auprès de ses étudiants et patients. En 1884, il accepte un poste dans la plus importante école de médecine des E-U, l’université de Pennsylvanie. Cinq ans plus tard il est choisi pour exercer dans la nouvelle université Johns-Hopkins à Baltimore. L’étudiant Cushing comme beaucoup d’autres, se prendra d’amitié pour lui à cette époque ! Il faut dire que le Dr Osler a une personnalité peu banale. A l’Université Johns-Hopkins, Osler opère une véritable révolution car il enseigne à ses étudiants la médecine au chevet de ses patients plutôt qu’à travers cours magistraux et livres.  La méthode est déjà utilisée en Europe mais il s’agit là d’une méthode encore inconnue en Amérique. C’est au cours de la même période qu’il écrivit « The principles and practice of Medicine : designed for the use of practioners and students of medicine ». Ce livre publié en 1892 fit de lui une autorité en matière de médecine moderne. Osler écrivit aussi un essai célèbre qui portait comme titre  Aequanimitas. Le titre de cet essai rappelait l’importance de la sérénité qui fut la devise de la famille Osler et qui  figure encore aujourd’hui imprimée sur les cravates et foulards portés par les étudiants de l’Université Johns-Hopkins. C’est aussi à Baltimore que  William Osler âgé de 42 ans rencontrera sa future femme, Grace Revere, l’arrière-petite-fille d’un grand patriote américain, Paul Revere. Le couple aura deux enfants mais le premier ne survivra pas. Edwar Revere Osler, né en 1895, fait le bonheur de son vieux  père. En 1905, Osler accepte un des postes les plus prestigieux du monde anglo-saxon : professeur de médecine à l’université d’Oxford. La famille part en Angleterre et William continue là une carrière brillante de professeur, de chercheur et de collectionneur (il possédait une gigantesque bibliothèque de livres ayant trait à l’histoire de la médecine. Quand la guerre éclate, Reverse Osler leur fils unique et adoré, s’engage dans l’armée anglaise au sein de l’artillerie de campagne royale. En août 17, Reverse meurt dans les bras de Cushing et William Osler ne se remettra jamais de la perte de son fils. Il meurt en 1919 de la grippe espagnole. Sa femme lui survivra jusqu’en 1928. Ce grand médecin marqua des générations d’étudiants. « Je ne désire aucune autre épitaphe que l’exposé que j’ai enseigné aux étudiants en médecine dans les services puisque c’est ce que je considère comme le plus important et le plus utile qu’on m’ait demandé ».

Sa bibliothèque consacrée à l’histoire de la médecine, il la légua à l’université McGill de Toronto. L’université McGill inaugura la bibliothèque Osler en 1929  au milieu de laquelle fut déposée  l’urne funéraire qui renferme les cendres du Dr Osler et de son épouse.


Le professeur Osler, son épouse Grace et leur garçon Reverse

        

Cushing en Flandres, reçut le 30 août un  message  lui demandant de se rendre d’urgence au chevet de Edward Reverse Osler (14), fils du Dr Osler. Reverse était blessé gravement à la poitrine et  au ventre  par une bombe  et reposait dans l’hôpital 47 C.C.S. à Dosinghem. A 23 h 00, après un trajet d’une demi-heure, Cushing est au chevet du fils de son ami qui est dans un état désespéré. On avait aussi fait venir le Dr Crile, confrère américain de Cushing qui était spécialisé dans la transfusion sanguine. Crile perfusa Reverse Osler puis Darrach et Brewer opérèrent l’abdomen  de Reverse atteint en deux endroits. Trop affaibli, Reverse succomba  le lendemain matin malgré une deuxième transfusion.


Edward Revere Osler en 1915 (source : the library of Medicine McGill University, Montréal , Canada)

Le 31 août 17, Lady Osler écrivit cette lettre à Harvey Cushing.

Cher Harvey.

Ce fut un grand réconfort de penser que vous étiez près de lui. Personne au monde ne pouvait faire plus pour lui  et personne au monde n’aurait eu plus d’affection pour lui. Je puis seulement penser que vous avez vécu tous ses derniers instants. Vous nous raconterez tout, je le  sais. Mon cher Revere se réjouissait de nous revoir lors de sa prochaine permission et une lettre reçue la veille au soir nous demandait ce que nous projetions de faire ensemble. J’espère qu’il vous a reconnu et qu’il a pu vous parler. C’est terrible pour nous et nous sommes en une seconde  devenus des vieillards.  Il y avait un avenir prometteur pour ce garçon et maintenant il n’existe plus! Je m’attendais depuis toujours à ce qu’une pareille chose puisse arriver mais jamais je ne pourrais l’accepter !

 Tante Grace (13) 

Durant l’été 17, Cushing opéra donc à l’hôpital de campagne anglais le 46 C.C.C  de Mendighem situé de part et d’autre de la voie ferrée menant à Proven situé près de Poperinghe. Harvey Cushing détaille avec amusement l’origine du nom Mendighem dans son journal. A l’origine l’endroit s’appelait Endighem mais les l’unité médicale anglaise transforma ce nom en Mendighem car « to mend » signifie réparer et « on the mend »  en voie de guérison ». Rapidement ce nom figura dans les cartes anglaises aux côtés de « Bandagehem » (the bandage : la bandage) et Dosinghem » (To dose : administrer un médicament). Cushing  apprend  à opérer d’une façon plus rapide. Comme il le signale dans ses notes, à Boston une opération crânienne prenant toute une journée tandis qu’en Flandres il ne fallait que deux heures ! Le 14 novembre 17, il prend le temps de décrire avec humour  dans ses notes la mentalité du paysan flamand  qui à côté de son hôpital ne veut pas abandonner sa ferme :

Il raconte que ses ancêtres ont toujours cultivé les même acres et que ses héritiers en feront de même malgré les différents occupants qui  par les guerres arrivent et puis s’en vont : les Romains, les Espagnols, les Français, les Allemands et maintenant les Anglais…Et maintenant tout ce qu’il veut c’est se faire un peu d’argent avec ses cochons qu’il vend au mess officier de l’hôpital… (8)

 Durant l’hiver 17-18, Cushing opère à Bologne, dans le Casino, où le Base hospital5 a été muté. Le 28 janvier 18, il rend visite au Dr McCrae (15), hospitalisé à l’hôpital pour officiers N°14 de Wimereux pour une grave pneumonie.  Ce médecin militaire canadien était devenu célèbre par son  poème écrit à Ypres et intitulé « In Flanders Fields ». Le coquelicot cité  dans ses strophes  fut adopté comme la fleur symbolisant le sacrifice des combattants du Commonwealth. Après avoir vécu la deuxième bataille d’Ypres en avril 1915, le docteur McCrae fut muté en France pour commander l’hôpital  général canadien n°3. Là, sur la côte d’Opale, McCrae avait insisté pour vivre dans une tente toute l’année comme ses camarades de front, plutôt que de loger dans les quartiers réservés aux officiers. Cette décision entraîna sans doute sa  maladie pulmonaire !

Harvey Cushing connaissait bien le frère du Dr John McCrae, le docteur Thomas McCrae, professeur de médecine à Baltimore et  collaborateur de son grand ami, le professeur Osler !  C’est donc tout naturellement, qu’il se rend au chevet de John McCrae. La visite de Cushing fut une des dernières que reçut le poète car le lendemain il succomba de son affection. Dans son journal (8), Cushing  le décrira comme  étant   « un soldat de la tête aux pieds »  (A soldier from top to toe ) et dira que mourir dans un lit en temps de guerre était sans doute pour ce héros  la fin la  plus détestable! Bel hommage à son confrère  que cette phrase qu’il écrivit : « Quelqu’un était-il plus respecté et aimé que lui ? On a dit que les animaux et les enfants le suivaient exactement comme une ombre suit un homme ».

McCrae fut enterré au cimetière militaire de Wimereux au cours d’une émouvante cérémonie.   Le cortège funèbre dans lequel se trouvait Cushing était  conduit par Bonfire, le cheval de McCrae, avec les bottes de son maître renversées dans les étriers comme le veut la tradition militaire.


Les funérailles du Dr Mc Crae. On remarque son cheval « Bonfire » avec les bottes renversées dans les étriers

Cushing était un écrivain très doué. Dans son  journal  très documenté (8) il relate non seulement tout ce qui a trait à la médecine de guerre mais aussi tout ce qu’il apprend au sujet du front. Or les Anglais interdisent formellement à leurs soldats de mentionner dans leurs lettres et carnets des renseignements militaires. Cushing connaîtra de graves ennuis à cause de ses écrits. Les  autorités anglaises prirent en effet connaissance d’une lettre adressée  à son épouse et  dans laquelle il avait repris les propos d’un soldat anglais hospitalisé. Ces propos, Cushing les avaient lus sur une lettre   de ce soldat qu’il avait censurée lui-même, étant chargé de cette mission dans son hôpital. Peu de temps après, les autorités anglaises  découvrirent dans un autre  de ses courriers à son épouse (qui attendait son cinquième enfant) une note concernant les critiques d’un membre de son hôpital vis-à-vis d’un chirurgien anglais. Ce fut la goutte qui fit déborder le vase !  L’état-major anglais menaça tout simplement Cushing du Conseil de Guerre ! L’Oncle Sam heureusement  arrangea les choses diplomatiquement en mutant Cushing vers l’état-major de l’armée américaine en France qui sortit ainsi des griffes de la chaîne hiérarchique britannique.

Cushing était un véritable personnage de roman, d’une grande débrouillardise. Le 15 mai 1918, il se trouvait dans la ville de Tours quand il observa un  groupe de pilotes français en attente d’un véhicule. Il réussit à se mêler à leur groupe et à rentrer avec eux dans leur base qui était une école de pilotage. Il parvint non seulement  à se faire inviter à dîner dans leur mess mais à s’envoler au-dessus  la région de la Loire avec le pilote Raymond Noyes dans son Sopworth Type 1 A2 !

Le 16 mai 18, Cushing assiste à Paris  pour une importante réunion médicale concernant l’orthopédie mais aussi les aspects médicaux de l’aviation et le problème de la guerre des gaz.

Peu après, et au grand regret des anglais qui voulaient le faire passer en cour martiale,  il fut invité à Dublin pour être intronisé le 26 mai comme « Honorary Fellow of the Royal college of Surgeons in Ireland ».  Au cours de la cérémonie il rendit un vibrant et courageux hommage aux Irlandais

« I think there are more Irish in Boston than in Ireland, and the Irish everywhere are usually on top. Someone has made the amusing statement that Ireland is the only place in the world that is governed by Irishmen; bit if there is any trouble, if anyone needs support or counsel, or to be aided in a good cause, you are pretty sure to find an Irishman at your left and at your right hand” (13)

Le 2 juin, Cushing est à Calais pour examiner quelques cas  de blessés de la colonne à Calais. Il passe par Audresselles et Wissant et décrit les villages qu’il trouve, malgré la guerre, fleuris de façon extraordinaire pour la Fête-Dieu !

En juin 18, il est transféré à l’état-major médical du corps expéditionnaire américain à Neufchâteau dans les Vosges et est promu lieutenant-Colonel. Il participa alors aux offensives de Château-Thierry, St-Mihiel et aux combats d’Argonne. Entre les offensives, on le retrouve visitant les hôpitaux de campagne, participants à des réunions médicales à Oxford et Londres ! Cushing est infatigable et durant les batailles opère jusqu’à 16 à 18 heures d’affilée. Malgré son emploi surchargé il trouvera toujours le temps de rédiger son volumineux journalier et de le remplir avec tous les événements du jour  même anecdotiques. Avec le calme détachement d’un véritable historien, mais aussi avec la sensibilité d’un artiste (il aimait réaliser des croquis) il décrivit toutes les facettes de la guerre ! Le 4 juin 1917, se trouvant à Wimereux il  put rencontrer dans le mess des officiers un personnage tout à fait « british » et hors du commun, Sir Beachcroft. Ce gentleman anglais, avec quelques soldats  avait pu résister héroïquement  à une attaque d’un ennemi en nombre  lors de la guerre des boers ! Cela lui avait coûté la vue mais il y gagna la Victoria Cross ! Quand la Grande Guerre éclata, il voulut rester utile à son armée. Aveugle, toujours  revêtu de son magnifique  uniforme de Gordon Highlanders, il se dévouait dans les hôpitaux militaires anglais de la côte d’Opale en visitant  les blessés et en leur proposant de multiples petits services comme les aider à rédiger  les missives  adressées à leurs proches.


Sir Beachcroft revêtu de son magnifique uniforme de Gordon Highlanders

Le 4 juillet 18, Cushing a l’honneur de participer à la cérémonie officielle réunissant autorités françaises et américaines autour de la tombe de Lafayette dans le cimetière Picpus. En août 18, il tombe malade. Souffrant d’un syndrome grippal, son état va se détériorer de semaine en semaine. Engourdissement, faiblesse, perte d’équilibre apparaissent et le conduise à accepter une hospitalisation  dans l’hôpital de Priez-la-Fauche où son ami Swab le soigne du mieux qu’il peut d’une « névrite toxique avec leucopénie ». Pendant trois semaines, il reste au lit mais malgré sa faiblesse continuera à écrire  abondamment dans son journal personnel. En dépit des idées médicales de l’époque, Swab et lui convienne d’un traitement de mobilisation très active. Il ne peut fêter le  11 novembre comme il convient mais écrit très cynique  « Les derniers jours  sont comparables aux dernières minutes d’un match décisif inter- collèges à la fin de la saison sportive ! »  La  première sortie de Cushing a lieu le 15 novembre lorsqu’il se sentit assez bien pour aller assister à une réunion médicale. Le 28 novembre il fête le «  Thanksgiving Day » à Neufchâteau à l’état-major. Il découvre dans la Deutche medicinishe Wochenschrift, 1918, Page 854 la description la maladie qui l’a tenu alité sous la rubrique « polyneuritis ambulatoria » Donc, écrit-il, je ne suis pas le seul à avoir souffert d’une pareille affection ! Cushing essaie sur son journal d’effectuer le bilan de la Grande Guerre. 53.369 Américains décédés et 50.334 Canadiens ! Mais comparativement à l’effectif engagé, calcule Cushing, les Canadiens ont souffert beaucoup plus que les Américains : la moitié de l’effectif canadien a été blessé ou tué contre un tiers de l’effectif américain. La raison en est la participation des Canadiens aux offensives meurtières de la Somme, de Vilmy et de Passchendaele.  Durant ses mois d’état-major à Neufchâteau, Cushing s’est constamment préoccupé d’améliorer le sort des blessés de la tête. Cushing publia quatre articles qui représentent la somme de sa contribution à la chirurgie du temps de guerre. Dans le  premier en 1915 après son retour de Paris, il détailla la technique de l’aiguille aimantée pour l’extraction des fragments métalliques. En févier 18 et en avril 18, il décrivit  les blessures pénétrantes   profondes du cerveau. En Novembre 19, il publia un article sur la neurochirurgie de guerre.  Tout cela malgré de nombreuses critiques car les Britanniques et, même certains de ses supérieurs américains, lui reprochaient de ne pas évacuer les blessés crâniens suffisamment rapidement vers l’arrière et de consacrer  trop de temps à chaque intervention. Durant les grandes batailles beaucoup de blessés crâniens succombaient dans les salles d’attente de Cushing. Cushing opérait  8 à 10 cas d’affilée tandis que ses confrères 15 ou 20 dans le même temps. Cushing cependant par sa méticulosité  et ses protocoles opératoires rigoureux obtenait une bien meilleure survie pour ses patients opérés. Finalement, il  prouva qu’en l’absence  d’une neurochirurgie bien conduite, l’abstention thérapeutique était nettement préférable pour les traumatisés crâniens ! Les  choix  raisonnés de Cushing  pouvaient, on le comprend aisément, choquer certains de ses confrères qui ne connaissaient pas sa conduite extrêmement rationnelle et réfléchie !

Cushing mettait dans son mode opératoire le même souci de perfection qu’on retrouve dans ses mémoires. Son  journal de guerre (8) reste encore aujourd’hui  une somme incroyable de renseignements  et cela non seulement pour  les médecins mais aussi pour les militaires et  historiens !  Chaque fait historique sur les mouvements de troupe, chaque mention d’un nom de soldat étaient accompagnés  des noms exacts des unités ainsi que des endroits exacts qu’elles occupaient ! Ses descriptions détaillées et minutieuses  reflètent  certainement un  talent d’écrivain  mais aussi un esprit scientifique hors du commun !  

Hommage aux premiers Américains venus libérer l’Europe d’une guerre fratricide !

 

Il est bon de souligner que les premiers soldats américains  amenés sur le front en France furent en fait des médecins, des infirmières et des brancardiers de l’hôpital N°5. Cet hôpital eut aussi le triste privilège de compter par son personnel les premières victimes américaines de la Grande Guerre. Rendons donc hommage à ces courageux « médicaux » qui furent les premiers Américains  arrivés en France et soyons  reconnaissance au Dr Cushing et à quelques uns de ses confrères (Gorgas, Crile…) d’avoir été parmi  les premiers à essayer de convaincre leurs compatriotes d’intervenir en Europe. A ce sujet rappelons qu’une fois décidée l’aide militaire américaine représenta un immense défi pour les Etats-Unis. Le congrès vote le 18 mai 1917, la loi de conscription universelle (Selection Service Act) qui va permettre de lever les troupes. Cette loi va permettre de faire passer l’effectif théorique de l’armée américaine de 200.000 hommes à la déclaration de la guerre à plus de 3.700.000 à la fin de la guerre! On imagine l’effort logistique à réaliser  pour armer, entraîner et transporter cette nouvelle armée. Pour ce qui est de l’armement, les américains sont obligés de se tourner vers leurs alliés.  La France lui fournira près de 2000 avions sur les 2.700 utilisés, 3.000 pièces d’artillerie sur les 3.500 utilisées ainsi que la totalité des chars d’assaut. Les armes individuelles sont aussi fournies par la France jusque l’été 18   La première division américaine  forte de 17.700 hommes arrive en France le 26 juin 1917 à Saint-Nazaire. Mais rappelons-le encore une fois, la première unité américaine arrivée en France est l’hôpital N°5 arrivée à Camiers le 31 mai 1917  A la fin de l’année  1917, 183.000 soldats U.S auront rejoint l’Europe. Le plan Pershing initial prévoyait l’acheminement en France de 30 divisions  (1.328.448 hommes). Les divisions américaines comprennent deux fois plus d’hommes qu’une division française ou anglaise. Ces divisions renforcées permettent mieux d’affronter l’intensité et surtout la durée des combats sans fléchir. Ce plan des trente divisions sera amendé en juin  18  pour passer à  66 divisions. In fine, les Etats-Unis organiseront 62 divisions dont 43 seront effectivement transportées en Europe. Les soldats américains libéreront le saillant de Saint-Mihiel et l’Argonne. Du 4 au 20 octobre, dans les combats de l’Argonne qui sont faites de combats à courte distance et de corps à corps l’armée américaine perd 120.000 combattants dont 22.000 morts soit presque la moitié des morts américains de toute la guerre                    

Cushing continua après la guerre, aux Etats-Unis, une carrière brillante. Entre 1920 et 1925, il publia une cinquantaine d’articles qui constitueront la base scientifique de la neurochirurgie moderne. Chaque année il accueille dans son service une dizaine d’assistants bénévoles dont de nombreux étrangers. Parmi eux, les Belges Paul Martin (ULB) et Jean Morelle (UCL). Cushing eut le grand mérite de décrire les différents types histologiques des néoplasmes intracrâniens et intra médullaires. Avec l’aide de son jeune collaborateur Percival Bailey, il procéda à la classification histologique de tous les types de tumeurs qu’il eût l’occasion d’observer. De plus il décrivit leurs évolutions cliniques dans une étude prospective qui concerna 700 des 1.200 patients qu’il avait opérés. Cushing publia de nombreuses monographies sur les tumeurs cérébrales mais c’est son ouvrage sur les méningiomes (785 pages et 685 illustrations) publié en 1938 que l’on considère comme son chef d’œuvre clinique. En 1933, il quitta l’Ecole de médecine de Harvard pour accéder à la chaire de neurologie créée tout spécialement pour lui à Yale et qu’il occupa jusqu’en 1937. Il se retira alors de la médecine clinique tout en acceptant la fonction de directeur des recherches sur l’histoire de la médecine à l’université de Yale. Tout comme son «  maître à penser » le professeur  Osler, Cushing était passionné par l’histoire de la médecine et il possédait une importante collection d’ouvrages sur l’histoire de la médecine. Il contribua lui-même à l’histoire de la médecine en rédigeant deux ouvrages importants. En 1926, il obtint le prix Pulitzer pour la biographie du professeur Osler, « The life of Sir William Osler ».


« The life of Sir William Osler »

 L’autre ouvrage très célèbre qu’il rédigea fut consacré à un Belge, le célèbre anatomiste Vésale. Ce fut sa dernière œuvre et à travers elle, Cushing rendit  un magnifique  hommage à la Belgique, cette petite terre sur laquelle il oeuvra pendant la terrible bataille de Passchendaele.    

 Sa « Bibibliographie de Vésale » fut  terminée quelques semaines avant sa mort le 7 octobre 1939 et  ne paraîtra qu’en décembre 1943. Cushing était convaincu que pour progresser il fallait garder la mémoire et l’exemple des « anciens ». Il convainquit ses amis de créer à Yale une chaire d’histoire de la médecine. Celle-ci vit le jour quatre ans après sa mort.

 

 

 Dr Loodts, octobre 2010

 

 

 

(1)   Dans ses recherches sur les tumeurs, Cushing décrivit en 1932 un syndrome dont les caractéristiques sont une adiposité excessive, une hypertension, une ostéopénie, un virilisme chez la femme et une féminisation chez l’homme. Il attribua ce syndrome à une tumeur du lobe antérieure de l’hypophyse.

(2)   Sur le Dr Halsted voir http://www.medicalarchives.jhmi.edu/halsted/hbio.htm

(3)   Sur l’ambulance américaine de Neuilly pendant la Grande Guerre : http://www.ourstory.info/library/2-ww1/Harvard/HGMsep15.html

(4)   Epouse du célèbre philantrope américain Harry Payne Whitney (1872-1930)

(5)   Le Dr Crile fut un célèbre chirurgien américain  http://www.whonamedit.com/doctor.cfm/1959.html

(6)   Le Dr Strong était bactériologiste et spécialiste des maladies tropicales.

(7)   Ce médecin orthopédiste est aussi internationalement connu pour avoir en 1903 avec son collègue  Schlatter décrit pour la première fois une maladie du genou typique de l’adolescence et que l’on appela « maladie d'Osgood et Schlatter ».

(8)    Le journal de Cushing n’a jamais été traduit en français.From a surgeon’s journal, 1914-1918, Harvey Cushing, 535 pages, London, Constable and Co., Ltd.1936. Les extraits de ce journal qui figurent dans l’article en français ont été traduits par l’auteur de l’ article.

(9)    Sir Keogh (1857-1936) était chirurgien et commandait le service médical anglais pendant la Grande guerre. http://en.wikipedia.org/wiki/Alfred_Keogh

(10)   La bataille de la Somme fut la plus grande défaite de l’armée britannique. Son bilan humain fut effroyable. Le premier jour de la bataille le 1er juillet 1916, il y eut plus de 20.000 tués !

(11)   Sur le Dr Depage :  http://www.1914-1918.be/docteur_depage_ocean.php

(12)   L’histoire de ce premier hôpital militaire de campagne américain en France est relaté dans cet article en anglais : http://www.ourstory.info/library/2-ww1/hospitals/bh5a.html  

(13)   Harvey Cushing: a biography by John F. Fulton, Historical library, 1946. Cette biographie de Cushing est disponible en ligne : http://cushing.med.yale.edu/cushing/

(14)   Voir aussi en langue anglaise l’article de PH Starling ‘The Case of Edward Reserve Osler http://www.ramcjournal.com/2003/mar03/starling.pdf

(15)   Sur le Docteur McCrae : http://www.1914-1918.be/histoire_mc_crae.php

 

 



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