Médecins de la Grande Guerre
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Le Dr Cushing, le pionnier
américain de la neurochirurgie, en Belgique et en France. Le Dr Cushing Harvey Cushing fut un des médecins les plus remarquables de notre XXème siècle. Son nom est associé au célèbre trouble endocrinien « syndrome de Cushing » (1) que les médecins du monde entier se doivent de connaître ! Paradoxe de l’histoire, peu de médecins associent son nom à la neurochirurgie alors que Cushing fut le créateur de cette spécialité. Quant à la personnalité de cet homme remarquable, le temps faisant son œuvre, elle est aujourd’hui malheureusement oubliée alors qu’elle pourrait encore nous donner encore tant d’enseignements ! Harvey Cushing naît le 8 avril 1869 sur la côte Est des Etats-Unis. Etudiant la médecine à Harvard, il va rapidement se faire remarquer pour la précision avec laquelle il dissèque les moindres nerfs et vaisseaux sanguins. Méticuleux Harvey, mais aussi méthodique comme le prouve l’anecdote suivante. Durant sa seconde année à Harvard, un patient qu’il est chargé d’anesthésier décède puis encore un autre un mois après. Avec la coopération de son ami Copan, Cushing va alors rédiger un protocole d’anesthésie pour mieux surveiller les patients opérés. Ce protocole comprenait la mesure régulière du pouls et de la fréquence respiratoire. Tout cela était très simple à réaliser, mais il fallut quelqu’un comme Cushing pour systématiser ces mesures…Après un an comme interne au service de médecine du Massachussetts General Hospital , Harvey quitte Boston en 1896 et devient assistant de William Halsted (2) à Baltimore. Il entreprend alors un voyage d’étude en Europe et, à Liverpool, travaillera avec Sherrington pour réaliser des craniotomies expérimentales sur des singes anthropoïdes. En 1900, il met au point une technique opératoire pour traiter la névralgie du trijumeau et toujours dans le service du Dr Halsted continue ses expérimentations en neurochirurgie. A cette époque les interventions sur le cerveau sont greffées d’une mortalité considérable mais en 1910, Cushing réussit une opération qui le rend renommé : il réussit l’ablation d’une énorme tumeur crânienne, un méningiome occipital, chez le général-major Leonard Wood, le chef d’Etat-Major de l’armée américaine ! Dès lors il va développer à Boston un service de neurochirurgie qui prendra une extension exceptionnelle ! Quand la guerre 14 éclate, les Etats-Unis sous l’égide de son président Wilson, tentèrent dans un premier temps de rester neutre mais Cushing clairvoyant, entrevit très rapidement que les Etats-Unis ne pourraient pas garder longtemps pareille attitude ! Pour soutenir A l’ambulance américaine, Cushing découvre la pathologie des soldats hospitalisés. Son journal (8) raconte les histoires des blessés qui l’impressionnent par leurs blessures ou par leurs exploits ! En voici deux ! A Neuilly, écrit Cushing, était hospitalisé un soldat qui brandissait fièrement à chaque visiteur son trophée, la balle que le chirurgien avait extraite de son péricarde alors qu’elle n’avait entraîné aucun dommage et que l’intervention lui avait valut le collapsus du poumon gauche et une pneumonie à droite qui devint un empyème ! Un autre soldat, écrit Cushing avait été laissé pour mort le 7 septembre à Croult. L’ennemi revint sur le lieu de la bataille le lendemain, le découvrit et voulut l’achever d’un coup de crosse. Sa mâchoire fut brisée, il fut laissé pour mort mais survécut. Ce vaillant soldat fut finalement découvert par les siens lors d’une contre-attaque. Ayant développé un érysipèle et une otite purulente, le soldat attendait depuis sept mois une suture nerveuse de son nerf facial ! Cushing note toutes ses constations et cela va jusqu’aux pieds des poilus ! Beaucoup de poilus , écrit-il ont leurs orteils déformés par les sabots qu’ils portaient avant la guerre ou par chaussures militaires. Beaucoup d’entre eux souffrent en plus d’une pathologie spécifique à cette guerre « le pied des tranchées ». Chaque hospitalisé est pour lui une source d’information unique ! En se portant volontaire pour trois mois dans l’ambulance américaine, Cushing avait un objectif précis. Il s’agissait d’étudier de près les besoins de la chirurgie de temps de guerre afin de préparer les services médicaux de l’armée des Etats-Unis à ceux-ci. Consciencieusement, il note absolument tout ce qu’il voit et entend et en retire de nombreuses leçons. Une de celles-ci est l’inefficacité des procédures d’acheminement des blessés vers l’arrière. Tous les blessés admis à Neuilly toussent ! Pourquoi ? Les blessés, constate-t-il, rassemblés dans les gares en attendant le train qui les ramènerait vers l’arrière, doivent rester sur les quais de longues heures sans aucune protection contre la pluie et sans couverture. Et Cushing cite l’exemple d’un officier anglais arrivant à Neuilly en état de delirium parce qu’il était resté, sans nourriture et boissons, six jours sur son brancard avec un fusil comme attelle pour immobiliser sa fracture compliquée du fémur. Cet homme, conclut Cushing, ne dut son salut que parce qu’il était jeune et en excellente condition au moment où la balle ennemie le surprit ! Cushing est aussi impressionné par les histoires extraordinaires concernant des soldats sauvés de justesse par un hasard extraordinaire alors que tous leurs compagnons succombaient autour d’eux la vie. Il découvre de même le « shell shock » que commencent à bien décrire les médecins militaires anglais. Après avoir appris
tout ce qu’il pouvait dans l’ambulance de Neuilly, Cushing désire maintenant
visiter d'autres formations médicales ! Il visite le 13 et le 14 avril l’hôpital du Dr
Carrel dans la forêt de Compiègne et apprend de lui la méthode d’irrigation des plaies par le
liquide de Dakin. Le 19, il est de retour à Neuilly où il opère jusqu’au 24,
date à laquelle il découvre à la station
de triage de Plusieurs essais infructueux, ce matin, pour extraire le
fragment d'obus, à l'aide de l'aimant, du cerveau du pauvre Lafourcode.
J'avais peur d'utiliser la sonde énorme qu'ils disposaient. Nous avons essayé
tout ce qui était possible dans mon
cabinet… Enfin, alors que j'étais en train de déjeuner, Bloothby,
mit la main sur ce qui était nécessaire,
précisément sous la forme d'un clou
d'environ six pouces de long avec une extrémité qu’il avait soigneusement arrondie. Eh bien, il y
avait la foule habituelle dans la salle de radiographie et de son corridor et
une grande excitation quand nous avons laissé glisser le clou par gravité dans le crâne de Lafourcode. A aucun
moment il n'y eut de symptômes d’hypertension malgré que l'absence d’anesthésie. Pendant que l’on
développait la plaque radiographique pour déterminer si la tige était bien
arrivée au contact du fragment d’obus, Albert Kocher en profita pour me présenter à un ami de Berne, Salomon
Reinach, Membre de l'Institut, auteur de «l'histoire des religions»…Finalement
nous rejoignîmes la salle d’opération du premier étage où Cutler
après avoir mis en contact l’aimant de
la tige retira lentement cette dernière pour s’apercevoir qu’il n’y
avait hélas rien au bout de la tige ! Pas de soupirs de soulagement mais
bien des grincements dans l’assemblée ! Je tente un nouvel essai très attentivement mais avec le même résultat !
Nombre de spectateurs commencent à
sortir de la salle d’opération. Troisième tentative et un nouvel échec ! J'ai
commencé alors à murmurer: « Je n’ai jamais rien vu de ce genre, il y a erreur depuis
le début, il aurait fallu faire une
radiographie de suite à son entrée à l’hôpital ». J'avais ôté mes gants et retiré la tige quand je me dis « essayons juste une dernière fois »! Donc, j'ai glissé la tige à nouveau à 3 1/2 pouces de la base du cerveau. Cutler baissa délicatement le gros aimant vers le bas
et établit le contact avec la tige
métallique. Le courant fut branché et la
tige retirée lentement ! Il était
là, le petit fragment d'acier brut accroché à sa pointe! Beaucoup d'émotion partout
surtout de la part de A. Kocher et
Salomon Reinach….(8) La technique de l'électro-aimant dessinée par Cushing lui-même
Le 3 mai, Cushing rend visite à Boulogne à ses collègues anglais Holmes et Sargent. Holmes commençait à cette époque une importante étude sur les blessures cérébrales et spinales. A l’hôpital N°13 à cause de la guerre étaient réunis un nombre extraordinaire de ce genre de blessés et c’était l’occasion unique d’avancer dans la connaissance de ces traumas. Les discussions entre les neurochirurgiens anglais et Cushing furent passionnantes et amicales ce qui n’empêcha pas Cushing de critiquer dans son journal l’hôpital N°13 (8) : L’hôpital N°13 est représentatif des hôpitaux d’outre mer
de l’armée anglaise. Les commodités sont légères, l’intendance insuffisante, le
travail, malgré qu’il soit varié, est
trop volumineux à accomplir car il y a en un jour autant d’admission
qu’en un mois à Neuilly.(…) Les blessés aujourd’hui
sont dans le Casino au nombre de 520 sans compter les 200 qui sont sous
tentes ! Occasionnellement en cas de bataille, le nombre de blessés peut
atteindre 900. Il n’y avait seulement que des hommes très malades tous devant
garder le lit et dans l’énorme restaurant du casino qui contenait 200 lits il
pouvait y avoir seulement trois ou quatre infirmières et autant de
brancardiers. Comparé à notre hôpital de Neuilly avec 162 patients subaigus ou chroniques nous avons une infirmière ou un brancardier
pour 10 à 12 lits ! (8) Le 5 mai nous retrouvons Cushing une nouvelle fois en
route. Il est accompagné de l’ambassadeur américain et du colonel
Atkins et se rend sur le front des Flandres pour observer l’effroyable spectacle du bombardement d’ Ypres depuis le point de vue du « Scherpenberg ». Sur les pentes du mont, Cushing visite
le Field ambulance N°8 réfugié dans une
maison abandonnée à « Les visiteurs retournent à temps à Boulogne pour assister le Dr Sargent qui opère le sergent Percy d’un gros shrapnell reçu dans le lobe pariétal droit. L’opération est un succès. Cushing décide
d’abréger son séjour en France. Il en sait assez sur cette guerre et ce qu’il a
vu le pousse à rentrer au plus vite aux Etats-Unis
pour convaincre les autorités médicales militaires de préparer leur service
médical aux nouveaux défis de la guerre européenne. La première étape de son voyage de retour est
Londres. Le 6 Sir Keogh, médecin chef du RAMC Après cette entrevue, Cushing fait quelques courses quand il entend les vendeurs de journaux crier la nouvelle que les Allemands viennent de couler le Lusitania dans lequel se trouvent plus d’une centaine de voyageurs américains. Il rejoint aussitôt Liverpool où il s’embarque le 8 mai pour les Etats-Unis. Le 9 mai, son navire traverse la zone où le Lusitania a été torpillé. La mer est couverte d’épaves diverses et Cushing aperçoit plus de cinquante corps qui flottent ! Parmi eux, peut-être le corps de Marie Depage, l’épouse du célèbre médecin belge Antoine Depage (11) qui dirige l’hôpital l’Océan ! Marie Depage Arrivé aux
Etats-Unis, Cushing, rapidement, il va trouver un allié considérable en la
personne du chirurgien Général Gorgas qui faute de
pouvoir créer au sein de l’armée un
service de santé militaire apte à supporter une guerre moderne,
encourageait toutes les initiatives privées pour préparer le corps médical de son pays
à la survenue d’un conflit extrêmement meurtrier. Le 18 septembre
1915, connaissant l’expérience de Cushing en France, il lui confie la préparation au sein de son
université d’une unité hospitalière pour le temps de guerre. Gorgas lui demande de rédiger une liste de volontaires qu’il
s’arrangera pour faire passer sur une liste d’un Medical
Reserve Corps. Le projet de Gorgas accepté par
Cushing trouva de suite des détracteurs
importants comme Le 4 septembre 17, l’hôpital américain à Camiers subit un terrible bombardement alors que Cushing est dans les Flandres (à l’hôpital N°46 C.C.S, près de Poperinghe). Sept bombes furent lâchées par un Gotha dont cinq atteignirent l’hôpital N°5. Le docteur Fitzsimons était juste devant sa tente lorsqu’une bombe pile au-dessus de lui tomba et le pulvérisa littéralement. Le premier officier américain tué en France fut un médecin ! Le lieutenant médecin William T. Fitzsimons
(1889-1917) fut le premier officier américain tué dans Le lieutenant médecin William T. Fitzsimons Le soldat Turgo fut tué alors qu’il était de garde. 22 patients furent blessés au lit. La dernière bombe tua les soldats Rudolph Rubino et Leslie Woods. McLeod dut être amputés des deux jambes. Le 8 septembre les quatre tués furent enterrés dans le grand cimetière militaire entre Camiers et Etaples. Cushing fut donc envoyé en Flandres pour assurer le renfort chirurgical nécessaire pendant la bataille de Paschendaele. Méticuleux, il tenait merveilleusement à jour les fiches de ses opérés quelque soient les conditions dans lesquels il se trouvait. Ces fiches étaient extrêmement complètes et Cushing y détaillait aussi les circonstances dans lesquelles les soldats avaient été atteints. Il était aidé dans cette tâche par sa secrétaire, Miss Julia Shepley qui était attachée au Base Hospital N°5. En mai 1942, le Brigadier Hugh Cairns qui avait en charge la chirurgie neurologique de l’armée anglaise durant la seconde guerre mondiale voulut connaître ce qu’il était advenu des patients opérés par Cushing pendant la première guerre mondiale. Miss Shepley réussit l’exploit de retrouva les noms, adresses, régiments des 119 soldats opérés ce qui permit au Ministère des Pensions anglais de retrouver leurs traces et pour la plupart de les faire examiner. Cairns fut étonné de la bonne survie de la plupart des opérés. Voici une phrase extraite d’une lettre émouvante écrite par le H.A. Killick et que reçut la veuve de Cushing lors du décès de son mari. 22 années ont passé depuis qu’il sauva ma vie et
maintenant j’ai un fils qui est pilote dans L’expérience chirurgicale de Cushing dans les Flandres fut considérable mais que dire de son expérience morale ? L’événement le plus dur pour lui fut sans doute la mort de Reverse Osler, fils de son meilleur ami, le docteur Osler, qui était aussi son maître à penser… Mais disons d’abord un mot sur ce docteur Osler que tous les médecins du monde connaissent encore aujourd’hui par le nom d’une maladie, la maladie d’Osler (contamination microbienne des valvules cardiaques par le streptocoque) Le chagrin du Dr Osler ! Sir William Osler (1849-1919) est sans doute une des
personnalités ayant le plus influencé la
médecine à la fin du 19ème siècle. Il termina ses études de médecine en 1872 et après avoir voyagé deux ans en Europe, devint professeur de pathologie à l’université
McGill de Montréal où rapidement il va connaître une grande popularité auprès de ses étudiants et patients. En 1884,
il accepte un poste dans la plus importante école de médecine des E-U,
l’université de Pennsylvanie. Cinq ans plus tard il est choisi pour exercer
dans la nouvelle université Johns-Hopkins à Baltimore. L’étudiant Cushing comme
beaucoup d’autres, se prendra d’amitié pour lui à cette époque ! Il faut
dire que le Dr Osler a une personnalité peu banale. A l’Université
Johns-Hopkins, Osler opère une véritable révolution car il enseigne à ses
étudiants la médecine au chevet de ses patients plutôt qu’à travers cours
magistraux et livres. La méthode est
déjà utilisée en Europe mais il s’agit là d’une méthode encore inconnue en
Amérique. C’est au cours de la même
période qu’il écrivit « The principles and practice of Medicine : designed for the use of practioners
and students of medicine ». Ce livre publié en 1892
fit de lui une autorité en matière de médecine moderne. Osler écrivit aussi un
essai célèbre qui portait comme titre Aequanimitas. Le titre de cet essai rappelait l’importance
de la sérénité qui fut la devise de la famille Osler et qui figure encore aujourd’hui imprimée sur les
cravates et foulards portés par les étudiants de l’Université Johns-Hopkins.
C’est aussi à Baltimore que William
Osler âgé de 42 ans rencontrera sa future femme, Grace Revere,
l’arrière-petite-fille d’un grand patriote américain, Paul Revere.
Le couple aura deux enfants mais le premier ne survivra pas. Edwar Revere Osler, né en 1895,
fait le bonheur de son vieux père. En
1905, Osler accepte un des postes les plus prestigieux du monde
anglo-saxon : professeur de médecine à l’université d’Oxford. La famille
part en Angleterre et William continue là une carrière brillante de professeur,
de chercheur et de collectionneur (il possédait une gigantesque bibliothèque de
livres ayant trait à l’histoire de la médecine. Quand la guerre éclate, Reverse
Osler leur fils unique et adoré, s’engage dans l’armée anglaise au sein de
l’artillerie de campagne royale. En août 17, Reverse meurt dans les bras de
Cushing et William Osler ne se remettra jamais de la perte de son fils. Il meurt en
1919 de la grippe espagnole. Sa femme lui survivra jusqu’en 1928. Ce grand médecin
marqua des générations d’étudiants. « Je ne désire aucune autre épitaphe
que l’exposé que j’ai enseigné aux étudiants en médecine dans les services puisque
c’est ce que je considère comme le plus important et le plus utile qu’on m’ait
demandé ». Sa bibliothèque consacrée à l’histoire de la médecine, il
la légua à l’université McGill de Toronto. L’université McGill inaugura la
bibliothèque Osler en 1929 au milieu de
laquelle fut déposée l’urne funéraire
qui renferme les cendres du Dr Osler et de son épouse. Le professeur Osler, son épouse Grace et leur garçon Reverse Cushing en
Flandres, reçut le 30 août un message lui demandant de se rendre d’urgence au chevet
de Edward Reverse Osler (14), fils du Dr Osler.
Reverse était blessé gravement à la poitrine et
au ventre par une bombe et reposait dans l’hôpital Edward Revere Osler en 1915 (source : the library of Medicine McGill University, Montréal , Canada) Le 31 août 17, Lady Osler écrivit cette lettre à Harvey Cushing. Cher
Harvey. Ce fut un grand réconfort de penser que vous étiez près
de lui. Personne au monde ne pouvait faire plus pour lui et personne au monde n’aurait eu plus
d’affection pour lui. Je puis seulement penser que vous avez vécu tous ses
derniers instants. Vous nous raconterez tout, je le sais. Mon cher Revere
se réjouissait de nous revoir lors de sa prochaine permission et une lettre
reçue la veille au soir nous demandait ce que nous projetions de faire ensemble.
J’espère qu’il vous a reconnu et qu’il a pu vous parler. C’est terrible pour
nous et nous sommes en une seconde devenus des vieillards. Il y avait un avenir prometteur pour ce garçon
et maintenant il n’existe plus! Je m’attendais depuis toujours à ce qu’une
pareille chose puisse arriver mais jamais je ne pourrais l’accepter ! Tante Grace (13) Durant l’été 17, Cushing
opéra donc à l’hôpital de campagne anglais le Il raconte que ses ancêtres ont toujours cultivé les même
acres et que ses héritiers en feront de même malgré les différents occupants
qui par les guerres arrivent et puis
s’en vont : les Romains, les Espagnols, les Français, les Allemands et
maintenant les Anglais…Et maintenant tout ce qu’il veut c’est se faire un peu
d’argent avec ses cochons qu’il vend au mess officier de l’hôpital… (8) Durant
l’hiver 17-18, Cushing opère à Bologne, dans le Casino, où le Base hospital N° Harvey Cushing
connaissait bien le frère du Dr John McCrae, le
docteur Thomas McCrae, professeur de médecine à
Baltimore et collaborateur de son grand
ami, le professeur Osler ! C’est
donc tout naturellement, qu’il se rend au chevet de John McCrae.
La visite de Cushing fut une des dernières que reçut le poète car le lendemain
il succomba de son affection. Dans son journal (8), Cushing le décrira comme étant « un soldat de la tête aux pieds » (A soldier from top to toe )
et dira que mourir dans un lit en temps de guerre était sans doute pour ce héros
la fin la plus détestable! Bel hommage à son confrère que cette phrase qu’il écrivit : « Quelqu’un était-il plus respecté et
aimé que lui ? On a dit que les animaux et les enfants le suivaient
exactement comme une ombre suit un homme ». McCrae fut enterré au cimetière militaire de Wimereux au cours d’une émouvante cérémonie. Le cortège funèbre dans lequel se trouvait Cushing était conduit par Bonfire, le cheval de McCrae, avec les bottes de son maître renversées dans les étriers comme le veut la tradition militaire. Les funérailles du Dr Mc Crae. On remarque son cheval « Bonfire » avec les bottes renversées dans les étriers Cushing était un écrivain très doué. Dans son journal très documenté (8) il relate non seulement tout ce qui a trait à la médecine de guerre mais aussi tout ce qu’il apprend au sujet du front. Or les Anglais interdisent formellement à leurs soldats de mentionner dans leurs lettres et carnets des renseignements militaires. Cushing connaîtra de graves ennuis à cause de ses écrits. Les autorités anglaises prirent en effet connaissance d’une lettre adressée à son épouse et dans laquelle il avait repris les propos d’un soldat anglais hospitalisé. Ces propos, Cushing les avaient lus sur une lettre de ce soldat qu’il avait censurée lui-même, étant chargé de cette mission dans son hôpital. Peu de temps après, les autorités anglaises découvrirent dans un autre de ses courriers à son épouse (qui attendait son cinquième enfant) une note concernant les critiques d’un membre de son hôpital vis-à-vis d’un chirurgien anglais. Ce fut la goutte qui fit déborder le vase ! L’état-major anglais menaça tout simplement Cushing du Conseil de Guerre ! L’Oncle Sam heureusement arrangea les choses diplomatiquement en mutant Cushing vers l’état-major de l’armée américaine en France qui sortit ainsi des griffes de la chaîne hiérarchique britannique. Cushing était un
véritable personnage de roman, d’une grande débrouillardise. Le 15 mai 1918, il
se trouvait dans la ville de Tours quand il observa un groupe de pilotes français en attente d’un
véhicule. Il réussit à se mêler à leur groupe et à rentrer avec eux dans leur
base qui était une école de pilotage. Il parvint non seulement à se faire inviter à dîner dans leur mess
mais à s’envoler au-dessus la région de Le 16 mai 18, Cushing assiste à Paris pour une importante réunion médicale concernant l’orthopédie mais aussi les aspects médicaux de l’aviation et le problème de la guerre des gaz. Peu après, et au grand regret des anglais qui voulaient le faire passer en cour martiale, il fut invité à Dublin pour être intronisé le 26 mai comme « Honorary Fellow of the Royal college of Surgeons in Ireland ». Au cours de la cérémonie il rendit un vibrant et courageux hommage aux Irlandais « I think there
are more Irish in Le 2 juin, Cushing
est à Calais pour examiner quelques cas
de blessés de la colonne à Calais. Il passe par Audresselles
et Wissant et décrit les villages qu’il trouve, malgré la guerre, fleuris de
façon extraordinaire pour En juin 18, il est
transféré à l’état-major médical du corps expéditionnaire américain à Neufchâteau
dans les Vosges et est promu lieutenant-Colonel. Il participa alors aux
offensives de Château-Thierry, St-Mihiel et aux combats d’Argonne. Entre les
offensives, on le retrouve visitant les hôpitaux de campagne, participants à
des réunions médicales à Oxford et Londres ! Cushing est infatigable et
durant les batailles opère jusqu’à 16 à 18 heures d’affilée. Malgré son emploi
surchargé il trouvera toujours le temps de rédiger son volumineux journalier et
de le remplir avec tous les événements du jour
même anecdotiques. Avec le calme détachement d’un véritable historien,
mais aussi avec la sensibilité d’un artiste (il aimait réaliser des croquis) il
décrivit toutes les facettes de la guerre ! Le 4 juin 1917, se trouvant à
Wimereux il put rencontrer dans le mess
des officiers un personnage tout à fait « british » et hors du
commun, Sir Beachcroft. Ce gentleman anglais, avec
quelques soldats avait pu résister
héroïquement à une attaque d’un ennemi
en nombre lors de la guerre des boers ! Cela lui avait coûté la vue mais
il y gagna Sir Beachcroft revêtu de son magnifique uniforme de Gordon Highlanders Le 4 juillet 18,
Cushing a l’honneur de participer à la cérémonie officielle réunissant
autorités françaises et américaines autour de la tombe de Lafayette dans le
cimetière Picpus. En août 18, il tombe malade. Souffrant
d’un syndrome grippal, son état va se détériorer de semaine en semaine.
Engourdissement, faiblesse, perte d’équilibre apparaissent et le conduise à
accepter une hospitalisation dans
l’hôpital de Priez-la-Fauche où son ami Swab le
soigne du mieux qu’il peut d’une « névrite toxique avec leucopénie ».
Pendant trois semaines, il reste au lit mais malgré sa faiblesse continuera à
écrire abondamment dans son journal
personnel. En dépit des idées médicales de l’époque, Swab
et lui convienne d’un traitement de mobilisation très active. Il ne peut fêter
le 11 novembre comme il convient mais
écrit très cynique « Les derniers jours sont
comparables aux dernières minutes d’un match décisif inter- collèges à la fin
de la saison sportive ! » La
première sortie de Cushing a lieu le 15 novembre lorsqu’il se sentit
assez bien pour aller assister à une réunion médicale. Le 28 novembre il fête
le « Thanksgiving Day » à Neufchâteau à l’état-major. Il
découvre dans Cushing mettait dans son mode opératoire le même souci de perfection qu’on retrouve dans ses mémoires. Son journal de guerre (8) reste encore aujourd’hui une somme incroyable de renseignements et cela non seulement pour les médecins mais aussi pour les militaires et historiens ! Chaque fait historique sur les mouvements de troupe, chaque mention d’un nom de soldat étaient accompagnés des noms exacts des unités ainsi que des endroits exacts qu’elles occupaient ! Ses descriptions détaillées et minutieuses reflètent certainement un talent d’écrivain mais aussi un esprit scientifique hors du commun ! Hommage aux premiers
Américains venus libérer l’Europe d’une guerre fratricide ! Il est bon
de souligner que les premiers soldats américains amenés sur le front en France furent en fait
des médecins, des infirmières et des brancardiers de l’hôpital N°5. Cet hôpital
eut aussi le triste privilège de compter par son personnel les premières
victimes américaines de Cushing continua après la guerre, aux Etats-Unis, une carrière brillante. Entre 1920 et 1925, il publia une cinquantaine d’articles qui constitueront la base scientifique de la neurochirurgie moderne. Chaque année il accueille dans son service une dizaine d’assistants bénévoles dont de nombreux étrangers. Parmi eux, les Belges Paul Martin (ULB) et Jean Morelle (UCL). Cushing eut le grand mérite de décrire les différents types histologiques des néoplasmes intracrâniens et intra médullaires. Avec l’aide de son jeune collaborateur Percival Bailey, il procéda à la classification histologique de tous les types de tumeurs qu’il eût l’occasion d’observer. De plus il décrivit leurs évolutions cliniques dans une étude prospective qui concerna 700 des 1.200 patients qu’il avait opérés. Cushing publia de nombreuses monographies sur les tumeurs cérébrales mais c’est son ouvrage sur les méningiomes (785 pages et 685 illustrations) publié en 1938 que l’on considère comme son chef d’œuvre clinique. En 1933, il quitta l’Ecole de médecine de Harvard pour accéder à la chaire de neurologie créée tout spécialement pour lui à Yale et qu’il occupa jusqu’en 1937. Il se retira alors de la médecine clinique tout en acceptant la fonction de directeur des recherches sur l’histoire de la médecine à l’université de Yale. Tout comme son « maître à penser » le professeur Osler, Cushing était passionné par l’histoire de la médecine et il possédait une importante collection d’ouvrages sur l’histoire de la médecine. Il contribua lui-même à l’histoire de la médecine en rédigeant deux ouvrages importants. En 1926, il obtint le prix Pulitzer pour la biographie du professeur Osler, « The life of Sir William Osler ». « The life of Sir William Osler » L’autre ouvrage très célèbre qu’il rédigea fut
consacré à un Belge, le célèbre anatomiste Vésale. Ce fut sa dernière œuvre et
à travers elle, Cushing rendit un
magnifique hommage à Sa « Bibibliographie de Vésale » fut terminée quelques semaines avant sa mort le 7 octobre 1939 et ne paraîtra qu’en décembre 1943. Cushing était convaincu que pour progresser il fallait garder la mémoire et l’exemple des « anciens ». Il convainquit ses amis de créer à Yale une chaire d’histoire de la médecine. Celle-ci vit le jour quatre ans après sa mort.
Dr Loodts, octobre 2010 (1) Dans ses recherches sur les tumeurs, Cushing décrivit en 1932 un syndrome dont les caractéristiques sont une adiposité excessive, une hypertension, une ostéopénie, un virilisme chez la femme et une féminisation chez l’homme. Il attribua ce syndrome à une tumeur du lobe antérieure de l’hypophyse. (2) Sur le Dr Halsted voir http://www.medicalarchives.jhmi.edu/halsted/hbio.htm (3)
Sur l’ambulance américaine de
Neuilly pendant (4) Epouse du célèbre philantrope américain Harry Payne Whitney (1872-1930) (5) Le Dr Crile fut un célèbre chirurgien américain http://www.whonamedit.com/doctor.cfm/1959.html (6) Le Dr Strong était bactériologiste et spécialiste des maladies tropicales. (7) Ce médecin orthopédiste est aussi internationalement connu pour avoir en 1903 avec son collègue Schlatter décrit pour la première fois une maladie du genou typique de l’adolescence et que l’on appela « maladie d'Osgood et Schlatter ». (8) Le journal de Cushing n’a jamais été traduit en français.From a surgeon’s journal, 1914-1918, Harvey Cushing, 535 pages, London, Constable and Co., Ltd.1936. Les extraits de ce journal qui figurent dans l’article en français ont été traduits par l’auteur de l’ article. (9)
Sir Keogh (1857-1936) était chirurgien et
commandait le service médical anglais pendant (10)
La bataille de (11) Sur le Dr Depage : http://www.1914-1918.be/docteur_depage_ocean.php (12) L’histoire de ce premier hôpital militaire de campagne américain en France est relaté dans cet article en anglais : http://www.ourstory.info/library/2-ww1/hospitals/bh5a.html (13)
Harvey Cushing: a biography by John
F. Fulton, Historical library, 1946. Cette biographie
de Cushing est disponible en ligne : http://cushing.med.yale.edu/cushing/ (14) Voir aussi en langue anglaise l’article de PH Starling ‘The Case of Edward Reserve Osler http://www.ramcjournal.com/2003/mar03/starling.pdf (15) Sur le Docteur McCrae : http://www.1914-1918.be/histoire_mc_crae.php |