Médecins de la Grande Guerre
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Dédicace: à Francine Georges, femme volontaire, courageuse et aussi passionnée par la vie que le fut son papa. En souvenir de notre rencontre !
Résumé et extraits des "Mémoires de jeunesse et de guerre"
Dr Paul Georges (1895- 1983)
Voici ce qu'écrivait le Dr Georges en avant-propos de ses mémoires que nous voulons résumer ici :"Les hivers passent, mes possibilités physiques diminuent ; à 87 ans, je ne connais plus le plaisir des marches sur la digue de Wimereux et de la contemplation de la mer, et des magnifiques couchers de soleil. De plus, la perte progressive de la vue m'a à peu près privé de la détente procurée par la lecture et les autres loisirs tels que travaux photographiques, recherche numismatique, philatélie. Seule la radio avec France Musique meuble ma solitude; par contre, il m'est encore possible de noter d'anciens souvenirs, ma mémoire ne me faisant pas défaut.» Paul Georges est issu d'une famille de musiciens. Son père, organiste de la paroisse de Saint-Pierre à Calais et professeur de piano, se maria en secondes noces (sa première épouse décéda de tuberculose en 1890 après lui avoir donné deux enfants: Alexandre et Eugénie) en 1894. Une enfance à Calais au début du siècle. La petite enfance de Paul se déroula dans une maison qui donnait directement sur la place Crève-Coeur dont il garda des souvenirs précis: Lorsque j'étais malade et pour cette raison, couché dans la chambre de mes parents, ma grande distraction était d'observer, dans la journée, les mouvements qui régnaient sur cette place; de rares voitures ou plutôt des carrioles aux roues cerclées de fer, des voitures de commerçants, boulangers, laitiers et autres roulant bruyamment sur les pavés en tête de chat. Si dans le voisinage se trouvait un mourant, de la paille était éparpillée sur la chaussée pour étouffer tous ces bruits. Les mariages comme les enterrements étaient précédés et suivis des sonneries de cloches de l'église, mises en branle par Jacob. Jacob le sonneur avait aussi pour charge d'animer la soufflerie de l'orgue. Malgré l'installation plus tard d'un moteur électrique, il garda cette activité particulière, toujours prêt à remplacer le courant, lors des pannes alors fréquentes. La vie à cette époque était émaillée d'événements qui restèrent gravés dans la mémoire de Paul. Quel souvenir que la venue du fameux cirque Bouglione à Calais! Le cirque qui vint un jour faire une représentation sur la place d'Armes ne comptait à cette époque que deux roulottes dont une occupée par les fauves! Il y avait aussi d'autres petits « riens » qu'offrait la vie et qui étaient si distrayants comme par exemple les excursions d'un jour vers Saint Tricat dont son grand-oncle l'abbé Louis Gontier était le curé. Quelle personnalité que cet abbé poète à ses heures et sans aucun doute très original: ne venait-il pas à Calais presque chaque mois pour se rendre notamment à la plage afin de faire "un plein d'eau de mer, son laxatif préféré! De Saint Tricat, la famille Georges revenait à pied jusqu'à la gare de Frethun où une cloche annonçait l'arrivée des trains. Un jour, au cours d'un de ces trajets, elle fut arrêtée par un fermier dont le fils venait de mourir. L'événement impressionna le Petit Paul: Mon père entra suivant l'usage "bénir le mort", et nous rejoignit dehors, accompagné du fermier qui lui disait: -Venez à l'enterrement, avec Madame, vous verrez, on s'amusera bien! Il faut dire pour comprendre le sens de ces paroles qu'à l'époque, au cours du repas funèbre était servie une "tête de veau" égayée d'une fleur de papier à l'oreille et les naseaux garnis de persil! Il arrivait parfois que l'on fasse une excursion plus lointaine. Un jour ce fut Paris et la découverte pour le petit Calaisien du métro qui permettait pour 15 centimes de faire sur une ligne à la fois souterraine et aérienne le tour de la capitale. Paul allait vivre tout au long de sa jeunesse un monde en profonde transformation. C'est ainsi qu'il se rappelle avoir vu disparaître le tramway hippomobile avec étage qui conduisait les voyageurs de la place d'Armes de Calais jusqu’à Guines. C'en était ainsi fini d'un tableau qui devait être très pittoresque, celui du cheval de renfort, qui cent fois par jour aidait le vieux tram à gravir la montée vers la gare. La vieille marchande d'allumettes aussi disparut bientôt du paysage urbain. Elle venait de Guines, à pied, une fois par semaine, ployant sous un énorme sac rempli de 50 brins aux extrémités trempées de soufre fondu. Elle confectionnait elle-même ces allumettes, avec les tiges de joncs récoltés dans le marais avoisinant. Et que dire du marchand de sable avec son tombereau, qui livrait sa marchandise aux cafés! Après chaque lavage, le sol carrelé de ces endroits fréquentés par de nombreux fumeurs était recouvert d'une mince couche de sable, éparpillé en faisant de jolis entrelacs bien éphémères, qui suppléait alors à l'insuffisance ou à l'absence de crachoirs! Quant aux marchandes de poissons courguinoises qui vendaient à domicile, le spectacle qu'elles donnaient aux Calaisiens était haut en couleurs et en odeurs surtout lorsqu’elles procédaient l'été d'une manière économique au rafraîchissement de leur marchandise sous les pompes publiques, et éventuellement dans le caniveau... Vers 1903, mes parents furent gratifiés d'une carte d'abonnement aux séances de cinéma, rue de la Pomme d'or, dans un ancien cirque dénommé hippodrome. Tous les dimanches, nous assistions en famille à ces projections. Le programme était très riche, trois parties de six films, au son d'un piano, plus ou moins bien accordé, tenu par un spécialiste, lequel modulait son improvisation en suivant le rythme de l'action en cours. (....) Dans la salle de spectacle, sans issue de secours, la consommation des oranges allait bon train...Sans complexe, la clientèle en semait les pelures et les pépins qui rendaient le sol glissant...Personne ne pensait à l'insécurité en cas d'incendie (les films étaient dangereusement inflammables; en 1919, un incendie dans un cinéma de Valence fera 300 morts). Le papa de Paul, ne pouvant vivre uniquement de sa fonction d'organiste à Saint-Pierre, donnait des cours particuliers de piano puis entreprit un jour de transformer le rez-de-chaussée de sa maison en magasin. Une douzaine de pianos étaient entreposés en permanence auxquels vinrent s'ajouter des pianos automatiques et mécaniques. Ces derniers furent dans certain cas d'un excellent rapport puisque l'un deux installé aux baraques (Blériot Plage) en juillet 1909 lors des tentatives de traversée de la Manche en aéroplane de Latham et de Blériot, battra tous les records en récoltant 105 francs en 24 heures, soit le huitième de son prix d'achat. La maman de Paul était fort occupée avec le magasin et il lui arrivait de conduire ses enfants chez leurs cousins Henry qui habitaient à l'imprimerie du journal "l'avenir de Calais" situé rue de Vic. C'était pour Paul l'occasion de découvrir un nouveau progrès technique: Ce qui m'intéressait le plus c'était le téléphone. (...) La sonnerie du téléphone retentissait vers 15h 30, l'oncle Léon arrivait, prenait solennellement l'écouteur, recevait et sténographiait aussitôt les dernières nouvelles de l'agence Havas. Il était facile d'insérer dans l'édition de 17 heures ces informations de « dernière heure», en général moins de dix lignes, qui remplaçaient illico un chien écrasé ou une chute de bicyclette. Il ne faut évidemment pas idéaliser ce début de siècle qui n'était en rien facile. Pour un étudiant, il y avait déjà l'angoisse du "bac" à passer même si on était issu d'une famille provenant d'un milieu intellectuel. Paul se rappela toute sa vie la réflexion très méchante d'un de ses enseignants. Au mois de juin, le professeur me pose la question suivante, sans doute pour m'empoisonner: -Georges, voulez vous gagner 50 Frs, je vous passe un bon tuyau? -Lequel, Monsieur? -Ne pas vous présenter. Cet avertissement désagréable ne m'impressionne absolument pas. L'année préparatoire et la première année de médecine. En novembre 1912, Paul commença l'année du P.C.N (Physique, Chimie, sciences Naturelles) à Lille. Le directeur de l'établissement a du mal à empêcher les blagues que se font entre eux ses étudiants: des sacs de papier remplis d'eau tombent du quatrième étage sur la tête de ceux qui veulent partir après le souper. Les pots à eau de terre cuite servent à rafraîchir ceux qui remontent dans leurs chambres: la fragilité de leurs anses est une source d'ennuis, car de temps à autre, un pot s'écrase avec fracas sur le palier inférieur, ou même au sous-sol, causant des frayeurs inutiles aux bonnes soeurs occupées aux cuisines. Le soir, je tombe entre les mains de victimes rancunières. Maintenu par les pieds la tête en bas, je reçois un broc d'eau dans chaque jambe de pantalon, l'épreuve est rude pour mon amour- propre. En juillet 1913, Paul décide de ne pas passer ses épreuves de P.C.N à Lille car le professeur de botanique, Bertrand, élimine systématiquement ceux qu'il n'a pas vus à ses cours. C'est donc à Paris qu'il décide de tenter sa chance. Paul garda de mauvais souvenirs de l'hôtel "Fénelon" recommandé par l'université et dans lequel il loge le temps des épreuves. Les repas sont pris à table d'hôte dans une salle à manger, au sol recouvert de carrelages rouges, fendus, usés, et creusés par les ans. Les chambres sont mal tenues, le tiroir de la table de nuit, ouvert pour y ranger ma montre, témoigne des précautions d'un couple qui y a trouvé un bien triste abri! Bien entendu, l'eau courante n'existe pas et les commodités sont celles du grand siècle: tôt le matin, une voiture spéciale vient remplacer sans perdre de temps les tinettes des "sanitaires" après les avoir recouvertes d'un sac mouillé et ce, à la vue et au dam de l'odorat de ceux qui prennent leur petit déjeuner, leur coupant net l'appétit. Paul passa ses épreuves avec succès et en novembre 1913, il est à Lille pour commencer sa première année de médecine. Les travaux de dissection se passent à l'hôpital de la Charité jusqu'à midi. En sortant de la salle, les vêtements sont imprégnés de l'odeur d'acide phénique qu'aucun lavage ne parviendra à éliminer complètement. Paul a l'odorat sensible ce qui est évidemment une source de mésaventure en même temps qu'un handicap lorsque l'on est étudiant en médecine: Un jour, en chirurgie, notre professeur Delassus incise triomphalement un phlegmon du périnée, je me tiens en retrait, en raison d'allergie olfactive; il a vite fait de me repérer et avec un rire cynique me confie le soin de faire le pansement. Heureusement, un ami, Jules Bué, a vu le désarroi de Paul et lui dit "Fous le camp dîner, je ferai le pansement". Des années après, en 1962, lors d'une réunion d'anciens, Paul revit jules Bué et lui témoigna sa réelle reconnaissance pour l'avoir tiré de ce mauvais pas qui aurait pu lui valoir un changement forcé d'orientation professionnelle!. La guerre éclate. En juin 1914, la première année de médecine réussie, Paul regagne Calais pour des vacances bien méritées mais le 2 août la mobilisation générale est déclarée. Chacun doit mettre une parenthèse dans sa vie, dans ses projets...Les événements vont vite s'enchaîner. En octobre 14, la ville de Calais est littéralement envahie par les réfugiés belges. Les blessés de même origine affluent aussi et le Collège Saint-Pierre en est rempli. Paul passe avec la classe 15 devant le conseil de révision puis est emporté par le train le 14 décembre loin de chez lui. Il a reçu l'ordre de gagner Magnac-Laval où se trouve la Première Section d'Infirmiers Militaires. L'instruction militaire est rude. Le sergent Raux (l'abbé Raux avant la guerre!) rêve de faire baver les recrues, il emploie même l'expression "pisser le sang". En janvier 1915, Paul a la douleur de perdre son ami Crève-Coeur et en février c'est son demi-frère Alexandre qui décède de tuberculose. Les soirées moroses se passent au café du village. Anesthésiste à l'âge de 20 ans. Enfin en juin 1915, le départ pour le front est prévu mais Paul y échappe par hasard et est envoyé comme infirmier dans sa propre ville de Calais pour y assister le chirurgien Cohen. Il apprend à donner le chloroforme à la compresse et est promu "anesthésiste" et chargé des pansements. Il connut là la plus longue et pénible anesthésie de sa carrière sur un nommé Baquerau atteint de paralysie complète du bras droit suite à la section du plexus brachial par une balle. L'anesthésie du sujet, couché sur le ventre, la tête tournée de côté, dura près de deux heures. Avec une lampe de poche, je surveillais les pupilles et les menaces de réveil en lui touchant le blanc de l'oeil. Plus anecdotique, un soldat blessé sur le front de l'Yser, sautera le mur, la nuit précédant l'intervention, rentrera bien bourré au petit jour, et réveillera la chambrée, en sonnant au clairon un réveil de fantaisie. Trois flacons de chloroforme seront nécessaires pour le tenir à peu près tranquille, sinon endormi une demi-heure. Mi-août, Paul est muté à Paris pour faire partie de la 15ème Unité d'Ambulance Automobile Chirurgicale. Il y a là une douzaine d'étudiants de toute la France ayant accompli leur première année de médecine, quelques infirmiers et des automobilistes pour conduire les camions. L'unité en ordre de marche va, le 22 septembre 1915, accueillir en gare de La Chapelle les blessés revenant de l'offensive de Champagne. Chaque nuit, il arrive une dizaine de trains, à peine un train déchargé, un autre le suit. A l'aube toute cette activité cesse, car, elle doit être exercée avec le maximum de discrétion, pour ne pas entamer le moral... Les blessés arrivent, couverts de boue blanche, les pans de capote durcis. Ils ont les orbites creusées; le visage non rasé depuis cinq à dix jours, les mains sales, et sont marqués par ce qu'ils ont vu autant que par ce qu'ils ont subi. Ingénieux soldat anesthésiste à Belfort. A la mi-octobre, l'unité prend la route pour Remireront (département des Vosges) puis gagne Belfort, le lycée transformé en hôpital. Paul est maintenu au poste d'anesthésiste. La ville n'offre aucune distraction à l'ambulance. Paul montre son ingéniosité: pour le service nous découpons des bandes de gaze; comme la place ne nous manque pas, je propose pour gagner du temps un système: plier la pièce dans le sens de la largeur en 4, 8, ou 12 épaisseurs et, avec une lame Gillette tenue à 30 degrés d'inclinaison, tailler les bandes d'un seul trait sur près de quatre mètres de long. Je mets aussi au point, un moyen pour chauffer, à la demande, notre petit "Eleska" instantané, du matin, j'adjoins au petit robinet supérieur de notre radiateur, un drain stérilisé permettant de récupérer la vapeur à 130°. La neige continue de tomber en abondance; ah! Si l’on pouvait y glisser avec une luge, et pourquoi pas en construire une ? Sans complexe, on décroche deux casiers muraux à livres, on les jumelle, les ajuste, les parties avant sont taillées à l'arrondi. L'engin ainsi improvisé, à l'air parfaitement adéquat...sans perdre une minute, il est testé sur la neige fraîche ... La mort du général Serret. Vers le 15 décembre, c'est un départ en coup de vent qui surprend les gars de l'Ambulance. Les camions se mettent en route et franchissent le ballon d'Alsace pour rejoindre l'Alsace à Urbès. L'ambulance se met alors au travail suivant les mêmes règles qu'à Belfort : quelques blessés et quelques interventions. Le soir, tous les membres se retrouvent au chaud dans un café garni de bancs, et pendant qu'on consomme, des gars de diverses unités distraient l'assemblée par des chants patriotiques et sentimentaux. Le 28 décembre, il se produit une grande attaque sur l'Hartmannswillerkopf et le jour suivant l'ambulance accueille le Général Serret blessé au genou. Un chirurgien de l'ambulance pratique l'amputation mais celle-ci ne semble pas faite assez haut car la gangrène continue à progresser. Il faudrait réopérer mais il est déjà trop tard et le Général décédera le 6 janvier 1916. Il repose au cimetière de Moosch. Brancardier aux Chasseurs Alpins. Paul passera le réveillon de Noël à l'ambulance, mais quelques jours après, le 8 janvier, il apprend sa mutation au 115° bataillon de Chasseurs Alpins qui ne se trouve pas très loin de là, à Gérardmer. Dans sa nouvelle unité, on le met de suite au parfum! D'abord quelques mots de vocabulaire à ingurgiter: ici aux Chasseurs Alpins, il n'y a pas de soldats mais rien que des chasseurs; il n'y a pas de musique mais bien une fanfare avec trompe de chasse; ensuite le nouvel uniforme: une pèlerine magnifique dont la circonférence vu la taille de Paul (1,88m) dépasse 4,50m, un béret, une vareuse, une culotte avec passepoil jonquille et pour compléter le tout un casque orné d'un cor de chasse! Le 10 janvier, Paul quitte Gérardmer pour le camp du Sattel situé non loin du tunnel de la Schlucht. Le médecin Chef est là pour l'accueillir et lui offrir l'hospitalité d'une nuit dans sa cagna. Paul raconte combien il y faisait froid: Mon patron m'offre également la possibilité de dormir dans sa cagna, à peine chauffée. C'est un frileux, il a répondu à son ordonnance lui annonçant dix couvertures: "bigre, je n'aurai pas bien chaud! (Les couchettes sont des cadres de grillage garnis de paille). Je partage son avis, car je dors proche du sol, ma pèlerine plus mes deux couvertures ne me semblent pas abusives par ce temps. Le 11 janvier 1916, Paul quitte le camp pour rejoindre son poste dans un boyau sur le flanc sud du Reichackerkopf dans le Secteur "Fortin Haas" appelé ainsi en souvenir d'un officier tombé là en brave. Un an auparavant, ce secteur avait expérimenté un essai d'attaque au lance-flammes et on avait requis curieusement pour cela le déplacement des Pompiers de Paris! Ce fut un échec catastrophique soldé par la grillade quasi générale des malheureux embarqués dans cette opération. (En quête d'informations plus précises sur cette attaque, Paul après la guerre entreprit de lire l'histoire des pompiers de Paris sur cette participation à une action offensive en 1915 et n'y trouva qu'une pudique allusion dépourvue de tous détails). Un peu plus loin que le poste de secours se trouvait un petit poste allemand situé à peine à 1 m 50 des tranchées des Chasseurs. Ce voisinage servait de centre de trafic de pain français contre des cigares. Il y eut même un brancardier qui fit passer par l'intermédiaire du soldat allemand de garde une lettre pour un ancien camarade allemand qui avait été séminariste avec lui en Suisse...Plus grave, Domergue de la 5°compagnie, vrai maboul dangereux, pour ne pas dire plus, va prendre le café chez les voisins d'en face, essaye sans succès de rapporter le calot à petit écusson de celui qui l'a invité. Une autre fois, il demande à un guetteur allemand de lui faire signe quand l'officier allemand sera là pour le voir, sitôt informé de cette présence, il fera sauter la tête de l'officier, en lui tirant une balle à moins de deux mètres...Tout commentaire est superflu... Paul échappe à la mort une première fois. Le poste de secours des brancardiers est un abri de 9 mètres carrés fait de rondins de bois et on y accède par un escalier creusé dans la terre et la pierre et descendant à près de deux mètres. Dans cet abri, Paul va échapper deux fois à la mort. Une première fois lorsqu'un vaguemestre apporta un colis pour un des brancardiers. Voici comment Paul raconte dans ses Mémoires l'événement: Contrairement aux usages du fameux écrivain Henri Barbusse (cela fut signalé par le Dr Prélot de Marquise qui était Médecin auxiliaire dans son régiment), il annonce au moment de l'ouvrir "on va se le partager". Je lui réponds: soit mais en attendant je m'excuse, je vais aux commodités. Il insiste:" vous irez après"; et je reste! A peine dix secondes, le paquet n'est pas encore ouvert, une torpille tombe en plein sur le poste de secours, faisant sauter la fenêtre ainsi que les rondins qui servaient de toiture. -Vous voyez que vous avez bien fait d'attendre! Je constate que mon envie si pressante est passée d'un seul coup. Paul échappe à la mort une seconde fois. Mon deuxième coup de chance survint alors qu'un jour, certainement en vue d'un coup de main et histoire de faire quelques prisonniers, les voisins d'en face avaient installé de nuit des pétards dans nos barbelés; ce dispositif ayant été détecté, le maximum de ces pétards fut récupéré et entreposé devant la fenêtre du poste de commandement de la Première Compagnie, à proximité du poste de secours. Cédant à la curiosité, je vais voir ces pétards, les tripote et devant leur apparence de potage salé de Maggi, j'en goûte un morceau, à la saveur décevante, et regagne le Poste de secours. Dix minutes plus tard, "un gros noir" de 210 tombe à proximité du Poste de Commandement ; à cet instant un Chasseur, comme je venais de le faire, tripotait lui aussi ces pétards qui tous éclatèrent. Du malheureux, on ne retrouva en vue de l’inhumation qu'une veste transformée en écumoire, des débris de corps, et 3 cm de lèvre supérieure avec un peu de moustache!
La mort du soldat surpris au moment où il lisait la lettre de sa bien-aimée. Le travail ne manque pas pour les infirmiers dans les tranchées du Reichacker. : Les premiers soins à donner aux blessés, et les pansements occupent la plus grande partie de mon temps ; de plus il faut établir des appareils d'immobilisation pour les blessés graves, s'occuper ensuite de l’évacuation des blessés et des morts vers le camp du Sattel. Un soir, m'éclairant d'une lampe de poche, je fais une ultime piqûre de morphine à un pauvre bougre. Dans la tranchée, il déchiffrait à la lueur d'une bougie, une lettre de sa femme. Une grenade à main reçue sur son casque ne lui permit, ni d'en finir la lecture, ni d'écrire la réponse; le crâne enfoncé, il expirera avant d'atteindre Sattel. Paul devient médecin auxiliaire. Bientôt pour Paul s'offre la possibilité de passer au grade de médecin auxiliaire (ce grade équivaut au grade d'adjudant).Il quitte alors les tranchées pour suivre un stage à l'arrière à l'hôpital installé à l'hôtel du lac à Gérardmer. C'est au cours de cette période que son père lui fait parvenir un "West-pocket", l’appareil photo qui va permettre au fils d'envoyer quelques photos du front. Le soir du 21 février, tous les stagiaires sont surpris par le bruit intense d'un bombardement lointain qui n'en finit pas. Paul pense à son unité de Chasseurs Alpins mais il apprendra le lendemain que ce bombardement marque en fait les préludes à l'attaque massive allemande sur Verdun. Le premier mars, le stage terminé, Paul remonte vers son bataillon qui est à présent à Metzeral. L'ambition d'un insupportable médecin-chef et l'amitié des
brancardiers Vi et Va. Il fait connaissance du nouveau médecin-chef qui lui fait part de ses intentions: "Je veux ma rosette d'Officier de la Légion d'honneur et s'il faut que deux ou trois de vous y laissent leur peau, ça m'est égal" . A partir de ce moment Paul prendra son chef en aversion. Il quittera plus tard les Chasseurs Alpins en partie à cause du mauvais caractère de ce médecin. A Metzeral, Paul occupe pendant un mois un poste de secours dans la cave d’une maison à tourelle partiellement détruite. Les lignes les plus proches ne sont qu'à 150 mètres et la consigne est de ne pas sortir la journée car ici il n'y a pas de boyaux et les déplacements se font en sautant d'une ruine à l'autre. Paul a sous ses ordres deux séminaristes qu’il surnomme Vi et Va (Vialaret et Vaysset). Ce sont de jeunes hommes qui montrent une abnégation totale mais qui ne s'entendent pas très bien entre eux au point qu'un jour Paul dut les séparer de force alors qu'ils en étaient venu à vouloir se battre avec chaise et tisonnier! Plus tard Paul gardera une inflexible amitié aux deux hommes. Avec Vialaret (qui se maria) jusqu'à sa mort et avec Vaysset qui devint curé de campagne à Arques dans l'Aveyron. Le séjour dans ce poste de secours fut relativement calme et se termina par le départ en congé de Paul qui n'avait plus eu de permission depuis 16 mois! Heureusement que, malgré la distance, il s'était toujours senti très en relation avec les siens et son terroir grâce à l'abondant courrier et aux colis qu'il recevait. Il pouvait ainsi se livrer à la lecture quasi quotidienne de "L'avenir" que depuis son départ sa grand-mère n'avait cessé de lui faire parvenir. Quand Paul retrouva Calais, il "fit un tabac" avec sa nouvelle tenue de Chasseur Alpin qui impressionna ses proches. Des pianos pour les tranchées et une glissade d'urine gelée dans le train. Le magasin familial de pianos, pendant toute son absence, n'avait pas arrêté ses activités malgré les difficultés et cela en grande partie grâce aux soldats anglais, grands consommateurs d’instruments de musique...et qui n'hésitaient pas à acheter des pianos pour les emporter dans leurs tranchées de la Somme ou de l'Yser. Le 7 avril, la permission prend hélas fin et Paul se retrouve dans le train qui le ramène au front. Il fait ce jour un froid glacial: moins dix à douze degrés et dans le wagon de seconde classe, les toilettes sont gelées, ce qui n'empêche pas qu'il faut bien uriner quelque part pendant un trajet durant 13 heures. Dans ces conditions, le couloir est vite transformé en patinoire dont la fâcheuse tendance est de dégeler à l'entrée des couloirs! Une formidable fanfare militaire grâce au Commandant Touchon. Le bataillon est dans la vallée de la Thur. Paul fait connaissance du nouveau commandant de Bataillon, le Commandant Touchon qui parviendra à être estimé par tous ses hommes. Dès son arrivée au bataillon, il sera reconnu pour sa générosité; il dotera sa fanfare de quantité d'instruments de musique, même non prévus: tels que 16 trompes de chasse ; il en fera la plus belle, et certainement une des meilleures de toute l'armée. Paul va maintenant découvrir son nouveau poste de secours sur le front au nord de la chaîne de montagnes l'Hilsen: une cahute en rondins à demi enterrée avec deux couchettes superposées couvertes de pailles défraîchie, culture idéale pour la prolifération des poux du corps. Le poste de secours est à 20 mètres de la première ligne occupée par des territoriaux peu combatifs qui passent une bonne partie de leur temps à fabriquer des bagues. Pour cela on dévissait la queue de bombes à ailettes de 2 kg, qui n'avaient pas toujours éclaté. Une fois la queue enlevée, on l'écartait, car même sans explosif elle pouvait être dangereuse, et on grattait, surtout pas avec un métal, la poudre qui en garnissait l'intérieur, après, c'était la phase de fabrication. L'existence au front était monotone et lorsqu'une distraction survenait, elle n'était pas heureuse, que ce soit en raison des bombardements ou tout simplement de la visite au poste de secours du médecin-chef. Touchon veut faire payer la mort de son frère aîné au champ d'Honneur en 1915; il décide de faire chaque après-midi une séance de crapouillotage ;, les artilleurs des canons de 58, installés dans nos tranchées, enverront donc, chaque fois que le ravitaillement en munitions le permettra, 300 à 500 torpilles de 60 kgs. Inutile de dire que la monnaie de nos pièces nous est rendue intégralement, ce qui nous permet de voir, presque chaque jour, notre secteur plus ou moins retourné; sentant la poudre et la terre morte, et de-ci de-là un abri mal traité(...). Notre cher médecin-chef vient nous visiter, de préférence les jours de brouillard, pour nous obliger à ramasser, dans les barbelés en avant des lignes, des croûtes, des demi boules de pain moisies, et autres cochonneries, par crainte des rats: - De l'hygiène Messieurs! Il me reproche d'avoir évacué un chasseur, qui aurait pu être soigné à l'infirmerie du Camp (...) Sa popularité est telle, qu'un jour, il m'arrive d'assister à un tir au fusil sur sa tête, qui dépassait le boyau. A 100 mètres on reconnaissait son casque avec protège nuque, fabriqué sur commande, tel qu'en portaient les reîtres sur les eaux-fortes d'Albert Dürer. Bien sûr, s'il avait été touché, j'aurais préféré n'importe quoi plutôt que de dénoncer un de mes brancardiers, Atrazic (ce dernier perdra un bras en 1917). Des gestes qui coûtent: fouiller les portefeuilles des soldats tués. Presque chaque jour il y a des blessés, parfois un tué. Les blessés sont emportés sur un brancard par le boyau qui mène au camp, les morts font l'objet d'autres soins, avant qu'ils ne sortent de la compagnie pour être ensevelis. Il faut trier les objets à conserver pour les remettre à leurs familles, évidemment les objets matériels sans signification sont de ceux-là, mais parfois les portefeuilles contiennent des lettres, papiers, photos qu'il vaut mieux détruire ; un de leurs camarades, un pays de préférence dira: "Brûlons cette lettre, cette photo, sa famille n'a aucun besoin de trouver ça". Malheureusement, ils ne sont pas tombés leur portefeuille à la main, il faut chercher, au milieu du sang et des chairs déchiquetées, toutes espèces de papiers dans les poches de leurs pauvres dépouilles, et supprimer tout ce qui pourrait nuire à leurs mémoires. Je ressens encore maintenant combien ces gestes m'ont coûté. La tragédie de la famille Vuillard dans le village de Saint-Amarin. Après près de deux mois au front, le bataillon est enfin relevé et rejoint un cantonnement dans l'accueillant village de Saint-Amarin Du secteur que nous venons de quitter, nous avons eu le temps pendant 50 jours d'épuiser les joies et les peines...sans eau et bois accessibles. C'était l'été, et nous ne le savions pas... C'est le maire du village, monsieur Vuillard qui héberge Paul, deux de ses collègues et l'aumônier Naudin. Toute la famille se met en quatre pour nous aider et rendre le séjour agréable. Madame Vuillard transforme rapidement son salon en dortoir: sommiers, matelas, draps, cuvettes sur trépieds arrivent miraculeusement dans cette vaste pièce aux tapis magnifiques et aux meubles cossus. La soirée se passe à converser agréablement avec la famille Vuillard. Un de leurs deux fils, Charles faisait à la déclaration de guerre par obligation son service dans l'armée allemande; l'autre, non encore appelé s'est engagé dans l'armée française, il sera tué par un Allemand en 1917, car il refusait de se rendre: pris vivant il aurait été fusillé comme déserteur! Sa mère me montrera son casque percé par la balle fatale, lors d'une visite amicale en 1926. Le patriotisme des Vuillard leur coûtera un lourd tribut: à la guerre 40, Charles qui avait survécu à la guerre 14, mourra au camp de Zwickau. Quant à ses deux fils: Pierre ne reviendra pas du front de Russie et au cours de la guerre d'Indochine Joseph sera tué au combat. Compromis franco-allemand sur l'Hartmannswillerkopf. Le séjour au cantonnement n'est pas éternel: le 1er juillet, Paul est à nouveau avec son unité au front et ce dans un endroit particulièrement disputé dans le secteur de l'Hartmannswillerkopf. Le poste de secours est à proximité d'une source qui curieusement est utilisée par les deux camps. Pour s'y alimenter, un impératif s'impose ici, aux combattants des deux côtés, les obligeant à des concessions, et à certaines précautions: telles que ne pas porter d'arme, et tenir son bidon en vue. Je suis bien heureux de la proximité de cette source dont l'eau sera fort utile à mon poste de secours et me servira à développer et à laver mes clichés. (...) Quatre compagnies et deux de mitrailleuses sont sur l'Hartmannswillerkopf, deux autres en réserve au camp relié à nos positions par un seul boyau seulement protégé par deux batteries de 105. Si des renforts étaient appelés d'urgence, ils laisseraient des plumes. Fort heureusement ce ne sera pas nécessaire. Verdun va se calmer, la Somme vient de s'allumer. Néanmoins, pendant ce temps de repos à l'Hartmann, les pertes sont d'environ dix hommes chaque jour: un à deux tués, les autres blessés. L'aumônier Naudin reçoit des missels, le Père Vuillermet est un grand orateur... Le 24 juillet, Paul peut à nouveau redescendre à Saint Amarin chez les Vuillard. Pendant trois jours, il aura près de lui le Père Vuillermet et le Père Naudin pour partager la popote. A ce propos, une anecdote comique, le Père Naudin devant le Père Vuillermet déballe avec satisfaction un volumineux colis provenant d'une généreuse correspondante: Madame Lebaudy (des "Sucres Lebaudy") et découvre avec surprise qu’il est plein de petits missels. Il n'a pas le temps de contenir la réaction du Dominicain, qui fait valser le tout en s'exclamant: " du tabac et des pipes feraient plus plaisir à nos chasseurs".(...) Le Père Vuillermet est un aumônier militaire remarquable par son courage. C'est un orateur exceptionnel ; chaque soir, près d'une centaine de personnes assistent au salut qu'il a organisé. Touchon, bien que protestant, prend plaisir à venir l'écouter, devançant ainsi d'une cinquantaine d'années l'oecuménisme. Après la guerre, l'auditoire de ses sermons des dimanches de Carême à l'église Saint-Maurice de Lille, emplissait entièrement la grande et les petites nefs. Manoeuvre au camp d'Arches pour y apprendre la progression par vagues. Le 27 juillet, les Chasseurs quittent Saint Amarin pour le camp de manoeuvre d'Arches à Hadol qu'ils atteignent à raison de plus ou moins 25 Km par jour en 4 jours. Dans ce camp boueux, les divisions se succèdent avec terreur pour un programme surchargé d'exercices. Les chasseurs apprennent la nouvelle tactique de progression en ligne d'escouade par vagues successives: tous les 10 mètres, sur la largeur du front d'attaque de l'unité, 5 à 6 hommes l'un derrière l'autre. Les vagues se suivent de 100 à 200 mètres au nombre de 4 ou 5. Les deux premières vagues ne comprennent que des grenadiers tandis que la troisième contient les fusils mitrailleurs et quelques mitrailleuses. Quant aux deux dernières vagues, la quatrième contient le reste des mitrailleurs, le service de santé et la cinquième les agents de liaisons, les téléphonistes, les coureurs et les brancardiers qui n'ont pas trouvé place dans la vague précédente. Sur la Somme, avant de partir au combat l'Absolution donnée par l'aumônier. Le 21 août, Paul bénéficie d'une permission chez ses parents à Calais. Après quelques jours passés en famille, il retrouve son unité, cette fois à Bray-sur-Somme, le 3 septembre. J'atteins dans une rue à gravir, l'échelon du bataillon. On m'informe que le 115° Bataillon de chasseurs alpins doit passer à l'attaque vers 17 heures. Il est actuellement un peu en arrière du "chemin Creux de Maurepas" où se maintient depuis 6 semaines malgré des attaques successives une forte résistance allemande. A peine le temps de serrer quelques mains, de me restaurer dans une cantine accueillante (je mourrais de faim), de siffler un café, et je pars aussitôt faire mon paquetage de combat: une toile de tente, une couverture, deux boîtes de singe, du biscuit, un bidon de deux litres de vin et en complément un bidon d'un demi-litre de gnôle.(...) Après une longue marche en passant par Maricourt, l'endroit du front où les lignes françaises touchent aux lignes anglaises, Paul retrouve son bataillon au lieu dit "Ravin de la Pestilence" qui se prépare à l' attaque. Le Père Naudin annonce qu'il va donner une absolution générale et collective pour tous ceux qui le désirent. Un grand nombre de Chasseurs chargés et casqués s'agenouillent et font le signe de la croix au moment où le prêtre donne cette absolution. La cérémonie terminée, on se relève; il y avait peu d'indifférents. Tous ces soldats savent que leurs jours sont comptés à une horloge invisible, mais tous ont accepté ce qui peut leur arriver. (...) La mort du plus jeune capitaine de France (21 ans). Alors que nous progressons dans le boyau, nous voyons exposé sur le parapet de droite, le cadavre d'un très jeune capitaine ; chacun le regarde en passant, le reconnaissent et saluent. C'était le plus jeune capitaine de France: 21 ans, classe 15, Médaille Militaire, Légion d'Honneur, et un grand nombre de citations. Il y a peine un mois, sa photo était parue, avec quelques lignes élogieuses, dans l'Illustration. Sic transit gloria mundi... Vision d'horreur au chemin creux de Maurepas. Après un parcours d'environ 1.200 mètres en 25 minutes, nous arrivons à la ligne de départ de l'attaque commencée à midi par le 24° bataillon de chasseurs Alpins .Ce bataillon vient de réussir un coup formidable, enlever "le chemin creux de Maurepas" réputé inexpugnable et cause déjà de tant de pertes.(...) Quand Paul atteint finalement le chemin creux c'est une vision d'horreur qui l'attend. Devant nous des centaines de cadavres allemands (Ce sont 300 soldats du Régiment Elisabeth), les uns contre les autres gisent figés dans les poses où la mort les a surpris. (...) Sitôt les soins reçus au Poste de secours, nos blessés refluent immédiatement vers l'arrière, transportés par des prisonniers, accompagnés de brancardiers armés. Le 24ème Bataillon n'a pas eu de pertes, grâce aux mitrailleurs, le Chemin creux étant en fait le seul obstacle véritable, et la seule défense solide du coin. Le bataillon va poursuivre sa marche vers Le Foret. Pendant que Paul occupe un poste de secours à proximité du village dans une carrière, les compagnies vont poursuivre de nuit leur avance et cette fois au prix de pertes. Dans les vagues moins avancées, les pertes seront dues à des tirs de barrage trop courts de l'artillerie française. En première vague, les mitrailleurs allemands venus en renfort vont faire des ravages. Les corps des chasseurs ne seront découverts que le mois suivant jusqu'aux abords de Saint Pierre Vaast. Le 5 septembre, Paul quitte son poste de secours pour visiter les compagnies qui ne sont pas très loin en direction de Combles. Dès que nous sortons de la carrière, les balles de mitrailleuses sifflent, tirées depuis plus de 600 mètres et leur précision s'en ressent. Un brancardier de secours, d'ordinaire fanfariste, horloger à Marseille, au bout de 100 mètres décide de ne pas aller plus loin ; il me propose alors si je le laisse rester là où nous sommes, une belle montre en or. Je lui réponds que j'en ai déjà une achetée par mon père 3 Frs 50 à un Tiouktiouk, ainsi appelait t-on ce genre de commerçant ambulant et qu'elle me suffit amplement pour gérer l'importance présente de mes horaires! Cette réponse ne lui suffisant pas, je renforce mon argumentation, lui mets sous le nez le 7,65, tout neuf, trouvé la veille, lui conseillant de me suivre sans insister, ce qu'il fait. Cent mètres après, nous commençons à ramasser des blessés. Un chasseur gémit couché dans un trou d'obus, une jambe en bien mauvais état; je m'accroupis au dessus de lui en tournant le dos et lui dis: " Prends-moi par les épaules et tiens-toi ferme", ce qu'il fait. Je me redresse et j'emporte mon bonhomme. J'arrive au poste de secours en même temps que mes équipes, qui ont fait elles aussi de leur mieux pour ramener ceux qui ne pouvaient se traîner. Paul échappe une troisième fois à la mort en donnant des soins à un blessé. Le lendemain de ce jour fort occupé , Paul échappa une nouvelle fois à la mort de façon extraordinaire alors qu'il était à l'extérieur de son poste de secours pour donner des soins à un blessé qui n'avait, faute de place, pu y rentrer. Installé debout, un pied de chaque côté du brancard où gît le blessé, je commence à lui enlever les vêtements gênants quand un premier fusant arriva et le toucha au bras d'un éclat. Sa veste n'était pas encore enlevée qu'un second fusant, à 15 mètres juste derrière moi l'atteint et puis qu'un troisième lui envoie d'autres éclats. En quelques minutes, le pauvre rendra son dernier soupir. Le tir s'était arrêté, je suppose qu'il s'agissait d'un réglage de batterie. J'ai gardé un souvenir vivace de ces instants n'ayant pas encore compris qu'il ne me soit rien arrivé ; pour moi ce fut un miracle. Ma molletière droite était percée latéralement sur cinq épaisseurs; si j'avais eu des mollets plus gros, je me serais retrouvé pour le mieux, en ambulance le soir. Séjour au camp Gressaire: le traitement des victimes de Vénus et une partie de natation qui faillit se terminer mal. La nuit tombée le Bataillon, relevé par le 3ème Régiment mixte de Zouaves et de Tirailleurs, rejoint le camp Gressaire. Le séjour en ce lieu est triste car il n'y a aucun village à proximité pour égayer la vie des soldats. Dans la baraque Adrien qui sert à la fois d'infirmerie et de logement pour les médecins, l'activité suit un cours tout à fait monotone: visite le matin, soins aux blessés non évacués, et pour clôturer le tout, traitement par injection de permanganate aux victimes de Vénus. Nous appelons cette cérémonie "le Quadrille des Lanciers". L'après-midi se passe en balades et un jour Paul découvre au cours d'une d'entre elles un des innombrables marais de la Somme dans lequel il ne résiste pas à aller faire quelques brasses. Je goûte avec délices, la solitude d'un coin tranquille et silencieux, tire des brasses en appréciant le calme...Le plaisir est de courte durée: une explosion soudaine secoue l'eau du marais. Je me retrouve tout estourbi comme si j'avais subi une bastonnade. J'étais venu me baigner, un autre Chasseur, amateur d'autres loisirs, était venu, lui, pêcher à la grenade...Je remonte en vitesse, me rhabille, jurant un peu tard qu'on ne m'y prendra plus!
Un spectacle dantesque: l'assaut du mont Saint Quentin. Le séjour au camp ne fut évidemment qu'une parenthèse dans la vie du bataillon. Le 12 septembre, les soldats rejoignent le front à Biaches. Le 17 septembre, ils assistent de leurs tranchées à l'échec de l'assaut donné par leurs frères d'armes à 3 km de là aux positions ennemies installées sur le Mont Saint Quentin. De petites vagues de fantassins bleu horizon, sur une largeur de 1 km, essayent de gravir le Mont Saint Quentin, les moyens défensifs ne font pas défaut et si l'artillerie ne tire pas, les mitrailleuses des ouvrages doivent chauffer, car on voit les petites vagues s'amenuiser successivement et se réduire à rien...Après une heure de ce jeu, tout cesse, laissant sur le terrain des quantités de pauvres bougres...Il y aura bien du travail cette nuit pour les brancardiers entre le Canal du Nord (en chantier) et la mi-hauteur du Mont Saint Quentin!. Paul échappe une quatrième fois à la mort en rejoignant le dépôt de la 47ème Division d'infanterie. Paul ne restera pas longtemps dans cet enfer qui se rapproche. Un ordre tombe, il doit rejoindre le dépôt de la 47ème Division d'infanterie pour y travailler en renfort. En quittant ses lignes, Paul échappe à nouveau de peu à la mort car il est pris dans un soudain duel d'artillerie. Un obus tombe et éclate près du boyau, faisant dégringoler sur moi plus de terre qu'il ne m'en faudra un jour...Je suis coincé, jusqu'à mi-cuisses, cela me donne des forces insoupçonnées, je me débats furieusement, j'arrive à m'en sortir avant la salve suivante. Pour gagner du temps, je préfère courir en dehors du boyau, et m'exposer à d'autres risques que celui d'être enterré vivant. Le destin tragique des auxiliaires, véritables esclaves des tranchées? Finalement, Paul arrivera indemne après une marche de 15 km au Dépôt Divisionnaire de Cappy. L'endroit est curieux: La zone où je suis n'est ni le front, ni l'arrière. Les hommes qui travaillent au dépôt ont été pour raisons médicales réformés et sont devenus des "Auxiliaires". Ces hommes n'ont pas droit au casque, ils sont vêtus de costumes semi civils, semi militaires et d'une pèlerine courte. Nous savons qu'on les transporte en camion la nuit, jusqu'où c'est possible, à 1 ou 2 km de la ligne de feu. Ils passent leurs nuits à poser des barbelés, reviennent trempés s'il a plu, frigorifiés si le temps est sec. On approche d'octobre, en moins d'un mois, la moitié de ces malheureux, déjà fragilisés, ira encombrer les hôpitaux à mission spéciale; beaucoup décéderont de complications pulmonaires. Le dépôt Divisionnaire ne restera pas à Cappy. Le 2 octobre, le voilà qui déménage à Rouvrel. Dans cette commune, le cadre peut loger chez l'habitant et c'est très appréciable. Je suis hébergé pour la nuit dans le couloir passager d'un bistrot et un brancard de l'infirmerie me tient lieu de couchette. Les deux filles du café pour s'amuser attrapent mon brancard chacune par un bout et m'en vident en le basculant. En liquette, je ne peux tirer vengeance de ce chahutage et elles s'esquivent en courant dans les escaliers et en me laissant espérer enfin un sommeil tranquille. Le Dépôt divisionnaire se déplacera encore une fois cette fois pour Villers-Bretonneux où il est en repos. C'est dans ce cantonnement que Paul est mis au courant d'une nouvelle effroyable. Paul a sans doute échappé une cinquième fois à la mort en ayant été désigné pour renforcer le dépôt divisionnaire: le 115ème a été anéanti. J'apprends le sacrifice de mon bataillon, à peu près anéanti devant Rancourt pour un gain de terrain dérisoire. Une fois de plus je remercie la Providence de m'avoir épargné. Je souffre encore à la pensée de tous les bons camarades, brancardiers et autres, qui y ont laissé leurs vies! Après Villers, le Dépôt Divisionnaire remonte le 12 octobre vers le nord, à Vaux sur la Somme. Les abris sont médiocres: taillés dans la craie sans boisage ni coffrage. Les malheureux auxiliaires continuent à attraper la crève au cours de leurs corvées de nuit. La longueur réglementaire des capotes permettant de retenir plusieurs kilos de boue qu'il est impossible de faire sécher, on constate que celles-ci ont tendance à raccourcir de plus en plus et on s'habitue donc rapidement à les voir arriver à mi-cuisses, certaines même en rase-pets. Bientôt l'hiver fera réfléchir à l'opportunité de ces raccourcissements. Le 115ème se reconstitue, Paul le rejoint. Finalement, le 6 novembre, Paul achève son séjour au dépôt et rejoint son unité d'origine, le 115ème à Etueffont-Haut où son bataillon essaie de se reconstituer après avoir été anéanti entre Rancourt et Saint Pierre Vaast. Il n'y a plus un officier et à peine 10 à 15 hommes par compagnie! Le bataillon se renforce progressivement et doucement se remet en marche pour à nouveau rejoindre les lignes près de Celles sur Plaine. Paul aménage, dans un bois, à l'arrière des premières lignes une infirmerie en rondins. Un évènement surprenant interrompt les travaux. Les Eaux et Forêts viennent, jusque chez nous pour nous interdire de couper des arbres. Qu’à cela ne tienne, à nous les grands moyens, plus de haches, plus de scies; en amorçant une grenade ficelée au pied d'un arbre, on s'éloigne à temps et dix secondes plus tard, elle éclate; l'arbre tombe sans avoir été coupé; ce qui résout parfaitement le problème, du moins sur le plan de la rhétorique. Le secteur est calme, une grande partie du mois de janvier se passe pour Paul à superviser la construction d'un poste de secours digne de ce nom et creusé dans le grès rouge des Vosges. Le 22 janvier 1917, il part en permission et retrouve sa famille à Calais quelques jours. Le Premier février, il retrouve son bataillon qui cette fois est en manœuvre à Pouxeux. Les deux médecins sont chanceux, ils peuvent dormir chez l'habitant. Les soirées sont longues, et conviviales, nos brancardiers viennent partager notre confort; ils tapent le carton en consommant moult bouteilles de bière, entretiennent le feu, pendant que nous bouquinons, jusqu'au moment où nous manifestons le désir de trouver le sommeil. Le 28 février c'est à nouveau une marche pour le bataillon qui après six jours et 150 km atteint un petit village alsacien devant Altkirch. Le bataillon s'occupe alors de poser des câbles téléphoniques à 1 mètre de profondeur. Paul soutient les hommes grâce aux soins qu'il leur délivre mais ce ne sera plus pour longtemps. Ayant appris que les médecins auxiliaires ayant passé plus d'un an dans une unité d'infanterie peuvent être mutés dans une autre arme, il décide de saisir cette chance et fait sa demande de mutation. Le fait qu'il a du mal à supporter le médecin-chef n'est pas étranger à sa décision. Bientôt, lui parvient l'ordre du médecin divisionnaire le versant dans l'artillerie de Montagne de la 47ème Division d'Infanterie, au 256ème Groupe de Perpignan. Il quitte non sans regrets le 115ème Chasseurs Alpins: De cette unité, il nous sera impossible d'oublier, la tenue magnifique au feu, la solidarité fraternelle totale des hommes et de leurs officiers, ainsi que l'abnégation complète de tous devant l'ennemi. Seuls les morts devraient se rebeller. Voilà donc Paul dans sa nouvelle unité. Après avoir fait connaissance avec celle-ci, il repart fin avril en congé pour quelques jours à Calais. Durant cette permission, Paul embrassera pour la dernière fois son père qui décèdera quelques mois plus tard. Comme il devient dans l'artillerie un officier qui n’a plus le droit d'avoir un cheval, Paul a la bonne idée d'emporter un vélo pour rejoindre son unité se trouvant en repos à Champvoisy. Nous sommes à l'époque des mutineries à l'armée française et Paul s'interroge sur leur absence dans les Chasseurs Alpins: Dans les divisions de Chasseurs Alpins, il n'y a eu ni mot, ni manifestations de rébellion. Qui avait vraiment le droit de se plaindre? Réflexion faite, à mon avis, les morts seulement, tous les autres étant des gagnants en puissance, ayant surtout le devoir de le rester! Paul dans un maillot fait avec un pansement provoque le scandale en prenant un bain de rivière. Pendant que son unité est toujours en repos, à Villeneuve sur Bellot, les hommes prennent des bains dans la rivière "le petit Morin" et il arrive une aventure à Paul qui nous fait souvenir de la pudibonderie de l'époque. Ne pouvant résister aux plaisirs d'un bain prolongé, je me laisse entraîner, nageant sans efforts tout en suivant le courant, pour en fin de compte, atterrir au lavoir municipal, sur la rive droite. Impossible de remonter avant, ni apparemment après, sinon en allant trop loin avec l'obligation de traverser au retour toute l'agglomération en tenue de bain! La mienne est assez sommaire. Je suis en train de sortir après le lavoir, offusquant la vue de lavandières en pleine activité. Sans perdre une minute, une de ces dames va se plaindre au commandant de mon équipement jugé indécent par elle et ses consoeurs. Il faut le reconnaître, je portais pour ce bain un triangle d’étoffe imprimée plutôt transparent une fois mouillé; c'était le pansement individuel type trousse de secours des soldats britanniques, illustré avec son mode d'utilisation (à savoir: comment faire un pansement, une attelle, une écharpe, etc.) L'enquête du commandant aboutit à la conclusion suivante: -Comment savoir si le coupable fait partie de notre unité, sans possibilité de déterminer le grade, pas plus que le numéro de son régiment! Suite à cet incident, je me suis vite procuré un maillot de bain digne de ce nom.
Les alertes chimiques dans le bois de Beaumarais. Le 8 juin, l'unité monte au front après avoir traversé l'Aisne pour atteindre la partie sud-ouest de la grande clairière du bois de Beaumarais. Pour Paul c'est la véritable découverte de l'Artillerie. Il a l'occasion de se familiariser avec les angles de site, la petite veilleuse allumée à 50 mètres derrière les pièces et qui sert à régler la visée dite indirecte, les obus fusants, explosifs, à gaz, les fusées etc... A l'endroit où il campe, les conditions de vie sont dures. A six ou sept nous partageons les nuits couchés en sardines dans une tranchée de faible longueur sous un camouflage de branches et de toile. De jour les avions allemands nous repèrent facilement et signalent nos semblants d'abris; de nuit on essuie des tirs surprises d'obus à gaz et on se trouve obligé de porter le masque. Quant au sommeil, parlons-en! Arriver à dormir dans ces conditions n'est pas facile, on s'arrange au mieux! Tout est bon pour éviter le masque: par exemple l'entrée de notre soi-disant abri est fermée avec des toiles de tente, la clôture complétée par le bourrage des interstices avec des bouchons de paille que chacun se doit d'arroser avec ses propres, disons plutôt, ses malpropres moyens. Confinés ainsi, je vous laisse à penser l'odeur du réveil. Heureusement, nous mangeons en plein air, malgré les risques inhérents. Pour exemple, un jour, à l'heure du déjeuner, notre cuisinier arrive, poêle en main prêt à servir des biftecks, un obus tombe près de lui (il en a vu d'autres, au 152ème d'Infanterie, blessé une fois, puis requinqué, il s'est vu convertir en artilleur de raccroc); il est indemne et ahuri, sa poêle qu'il n'a pas lâchée est percée de trous, le contenu bon à jeter. On ouvrira une boîte de singe. Finalement, de nouveaux abris seront construits car le front, qui n'était pas fait pour durer, se stabilise. Pourquoi construire des abris au début de la préparation de l'offensive du 16 avril puisqu'elle devait nous mener à Laon en 24 heures? Tout arrive.., maintenant devant l'échec total de l'offensive, on y pense et un P.C. capable d'encaisser un 77 est enfin en construction devant la nécessité de tenir ferme dans ce secteur(...). La mort du lieutenant Mériadec et comment Paul échappa une sixième fois à la mort. La vie dans une unité d'artillerie est certes moins dangereuse qu'à l'infanterie mais il arrive fréquemment des événements dramatiques. Dans le nouveau P.C nous prenons notre repas depuis deux jours en compagnie du Commandant quand nous entendons un tir de 105 bien réglé qui honore une de nos batteries: la 247ème commandée par le Lieutenant Mériadec, à 100 mètres du Poste. Soudain après la chute de trois obus, nous percevons comme un croassement de grenouille, rien d'humain. Tout d'abord, je ne pense pas que ce soit un blessé, ayant déjà entendu assez de cris et de plaintes pour les reconnaître, et pourtant...aussitôt le Commandant Marmion et moi, partons tous les deux, explorer le territoire de la batterie intéressée. Les obus sifflent et tombent autour de nous. Une fois, deux fois, trois fois, à chaque salve, nous nous couchons, chacun dans le trou le plus proche, puis nous avons 20 secondes de répit pour avancer. Le premier je découvre Méraidec geignant, affalé dans un trou. J'appelle le commandant Marmion, et sans perdre une seconde et comme c'est l'usage, nous le prenons l'un par les épaules, l'autre par les jambes pour le descendre par l'étroit boyau sur un plan incliné à deux mètres sous terre. Méraidec a une plaie pénétrante au dessus de la fesse droite, due à un éclat assez important, qui a fait de gros dégâts, mésentères ou veine iliaque. Il n'y a pas de plaie de sortie et le trajet est donc imprécis. L'aumônier qui était dans l'abri voisin vient lui donner les derniers secours, plus que je n'ai pu faire. Le lieutenant Mériadec expirera une demi-heure plus tard. Pauvre Mériadec, si heureux à Romain en nous parlant des jumeaux que sa femme attendait! Le bombardement continue, en regagnant notre abri, nous en découvrons l'entrée complètement obstruée, par l'éboulement de la tranchée, là où le boyau a près de 4 mètres, n'eut été cette opération de secours, nous aurions été enterrés vivants. Merci mon Dieu! A la nuit tombée, les tirs s'arrêteront. En discutant sur la perte de notre camarade, nous apprenons que Mériadec se promenait autour de ses pièces, en se donnant des petits coups de cravaches sur les guêtres, en pensant à quoi? Nous l'enterrerons le lendemain matin au cimetière de Pontavert (tombe n° 2.103) La mort d'un papa. Le 30 juin 17, Paul apprend par télégramme que son père vient de décéder. Débordant de chagrin, Paul, avec une permission de 48 heures, se met en route la nuit pour rejoindre la gare de Fismes en ayant les yeux embués de larmes et en se guidant tant bien que mal dans l'obscurité d'une nuit sans lune mais cependant étoilée. Quand il atteint Calais le 1 juillet, il est trop tard pour voir son père qui a été mis en bière la veille. On avait caché à Paul que, frappé de congestion trois semaines auparavant, son père était depuis resté paralysé. Paul n'a juste que le temps d'assister aux funérailles et le 3 juillet il rejoint dans la soirée son bataillon au bois de Beaumarais Le 14 juillet, le bataillon atteint son cantonnement de repos à Oey (Meuse) et le 23 juillet, Paul qui rentre dans sa 25ème année est décoré de la Croix de Guerre. Le 24 juillet, il retourne à Calais pour une véritable permission. Il découvre la triste atmosphère qui règne chez lui. Le deuil récent pèse sur tous, chacun doit souffrir autant que moi de l'absence de Père; tout ici le rappelle, on ressent sa présence comme s'il était encore là. Mon cher Père ne reviendra plus, comme chaque après-midi, après avoir donné quelques leçons de musique, embrasser notre mère en lui disant: "Jeannot, fais-nous une bonne tasse de café". Tous deux nous fumions alors une pipe de plus, et tout en devisant, sirotions notre café, puis Père retournait à ses élèves ou à ses clients. La séparation due à la guerre et la disparition de mon frère aîné Alexandre, avait resserré plus encore les liens qui nous unissaient. Les Américains arrivent. Quand Paul rejoint ensuite son unité, celle-ci se trouve maintenant à Vaux la Grande (Meuse). Les premiers soldats américains apparaissent en France et donnent l'espoir de la victoire; ils sont d'abord drillés au combat par les unités françaises. La réputation des Régiments Alpins,"les Diables Bleus" a valu à plusieurs de nos compagnies réputées pour leur bravoure et leur tenue au feu, d'être choisies et momentanément retirées du front pour la formation et l'instruction des unités américaines. Quand nous partons en manoeuvres vers Marson avec les Américains, nous passons devant une de leurs accueillantes cantines, où chacun suivant son désir déguste au choix café, chocolat, bonne confiture, marmelade d'orange, golden sirup ou autre. Après nous gagnons le champ de tir où nos batteries font devant les artilleurs américains qui vont être équipés de canons de 75 des exercices de tirs variés. Hommage à Notre-Dame de l'Epine. Après cette période d'instruction avec les Américains, le bataillon se met en route vers Suippes en passant par l'Epine à 9 km au N.O de Chalons sur Marne. En arrivant au lieu dit l'Epine, nous avons la surprise de voir surgir une magnifique église édifiée en pleine campagne, au milieu des prés et des maigres cultures, avec la proximité de quelques misérables boutiques et de maisons ruinées par le passage des Allemands en 1915 Ce monument gothique flamboyant a statut de basilique. Il sert d'écrin à une statue miraculeuse de la vierge découverte par un berger, dans un buisson d'épines il y a plus de 700 ans. Notre Dame de l'Epine fut jadis un lieu de pèlerinage très fréquenté. Nous aurons le temps de nous y recueillir et d'implorer Notre-Dame pour lui demander sa protection pour les jours à venir. Personnellement, je porte depuis le début de la guerre la "Médaille Miraculeuse", et si ce n'était la protection de la sainte Vierge, les coups de chance à répétition, dont je fais mention dans ce récit sembleraient bien singuliers. Le camp "D". Le bataillon séjournera près de Suippes du 5 au 16 septembre au camp "D" à 10 km du front de Champagne. Le camp est composé de baraques Adrian et de nombreux "Territoriaux" y séjournent souvent à telle enseigne qu'ils ont arrangé autour des logements des jardinets dans lesquels ils cultivent du tabac. Le séjour est reposant et Paul y retrouve un de ses confrères qui avait quitté les Chasseurs Alpins en même temps que lui. Les deux médecins auxiliaires décident de meubler leurs loisirs en jouant de la flûte. L'enfer du "Trou Bricot". C'est avec regret que le Groupe remonte en ligne en direction du nord le 17 septembre pour y être affecté dans une zone très tourmentée, dite "trou Bricot", par les combats qui s'y étaient déroulés deux ans auparavant. Le Poste de secours, sis près de nos batteries est à une profondeur de 8 mètres.(...) C'est une cellule de 3 mètres sur trois mètres et de 3 mètres de haut, sans aucun jour (...). Coincé dans cette cellule pendant un bombardement est pire que d'être planqué dans un trou d'obus, où on court moins de risques. La claustrophobie n'est pas un vain mot, la lueur d'une chandelle, d'ailleurs soufflée à chaque explosion, ne la dissipe pas. J'ai vécu mes plus mauvais instants de la guerre dans ce cachot, qui sensé me donner un supplément de sécurité, n'a fait qu'amplifier mon anxiété et ma nervosité. A moi le bromure et les douleurs d'estomac, à se rouler par terre, pour l'avoir avalé comme de l'aspirine; une seule expérience de ce genre m'a suffi.(...) Ayant vu passer des Chasseurs portant l'écusson du 115ème, j'apprends que mon ancien bataillon est en ligne à la côte 193, c'est à dire au nord, très légèrement ouest. Je décide d'y aller. (...) La côte 193 semble dominer de moins de dix mètres le terrain avoisinant. C'est à peine si je retrouve par-ci, par-là au long de la tranchée principale une bonne tête de chasseur. Plus un seul officier, ni même un sous-officier de connaissance. Ceux qui avaient échappé à Rancourt ont à peu près complètement disparu au "Chemin des Dames" à Craonne.(...) Je bavarde avec quelques anciens; on parle des uns et des autres, celui-ci tué, celui-là blessé mais pas encore revenu. C'est attristant et sur le chemin de retour je me sens complètement démoralisé. Destination l'Italie. Enfin le Groupe d'Artillerie (trois batteries) est relevé de cette zone dévastée qu'est le trou Bricot. Tout l'unité est transportée par train pour une destination inconnue : voyage de 24 heures en tortillard pour arriver en gare de Valence puis à nouveau le train pour arriver à Briançon le 7 novembre. Le convoi d'artillerie se reforme et cette fois il n'y a plus aucun doute, c'est vers l’Italie que les artilleurs sont dirigés avec leurs véhicules, leurs canons et leurs canassons! Le col du Mont Genèvre est franchi le lendemain. Paul trouve sa bicyclette encombrante en montagne. Sans espoir d'utiliser ma bicyclette après l'avoir poussée pendant 2 kms, je m'en débarrasse en la jetant dans la voiture médicale; la voilà cachée sous la bâche qui protège à la fois les cantines à médicaments, les brancards, les sacs à masques, les seaux de désinfectants etc. ainsi que les cantines du personnel. Le placide canasson qui tire cette voiture ne connaît qu'une allure: le paresseux. Vaille que vaille le convoi traverse la montagne par étapes: Césana, puis Oux, ensuite Suze où l'on reprend le train pour Chiari. La région est calme et Paul s'étonne de ne ressentir ici aucun signe des désastres occupés de se produire sur l'ensemble du front italien. Devant la gravité de la situation, Foch s'était pourtant rendu lui-même à Rome pour discuter des mesures à prendre avec l'Etat-Major italien. Le Groupe d'Artillerie entre ensuite en convoi à Brescia où il reprend à nouveau le train pour Tavernelle. Finalement après de multiples étapes, le groupe atteint Ca Dolfin di Rosa. Paul après avoir passé 8 mois au 256ème, reçoit un ordre de mutation vers le Premier d'Artillerie de Montagne, 3ème Groupe, cantonné à Ativole où il va découvrir des nouveaux compagnons d'armes aux traits athlétiques. Dans les batteries, les gars tous sympathiques et braves sont des savoyards, aucun en-dessous d'1m75, grande taille pour l'époque, capables de porter sur leurs épaules un canon de 80 pesant 335 kgs. Enfin, le 3 décembre, le front est atteint et les batteries installées non loin du village de Possagno (commune dans laquelle est érigé un gypso thèque qui regroupe tous les moulages du célèbre sculpteur Canova, enfant du pays) dans la montagne au "Col di Draga". Le P.C est situé dans une petite construction de pierre, reste d'une dépendance de ferme. Dans le galetas qui sert de P.C., nous dormons à 8, alignés comme des sardines .Une fois que nous sommes étendus, l'ordonnance du Commandant vient étaler sur nous, nos seize couvertures et nos capotes. Pas de bougies, une fois couchés tout le monde dort "dur dur", et comment! Le matin: cérémonie inverse, l'ordonnance apporte le café, annonce le temps, beau ou mauvais, replie les couvertures, ce qui nous fait lever. Il ne faut guère de temps pour s'habiller: remettre sa capote et se chausser. Dans le "Col di Draga" Paul échappe à la mort une septième fois. Après une semaine de ce train-train, l'ordonnance amenant le café matinal, pousse la porte sans serrure, nous réveille et demande si personne n'est blessé! Chacun le rassure! A son arrivée, il s'est aperçu qu'un obus venant de l'est a traversé notre baraque de part en part et il nous montre les trous percés dans les murs, notre couchage recouvert de cailloux, d'éclats de pierres et de beaucoup de poussière. Personne n'a été réveillé! On cherchera en vain la trace laissée par cet obus, vraisemblablement un 88 autrichien, un de ceux qu'on n'entend pas arriver. Il n'a pas éclaté et a du filer droit vers le ravin. Je crois au miracle, pense même que c'en est un! Quoiqu'il en soit, nous dormirons désormais à la fortune du pot, c'est à dire en plein air, dans un défilement en attendant la construction d'abris sérieux! La neige tombe en tourmente, un vent aigre souffle; il gèle dur et nous sommes pourvus de crampons "grapettes" et de sacs en peaux de moutons doublés d'une enveloppe imperméable. Paul et ses brancardiers construisent un abri destiné à être un solide poste de secours en dessous d'un gros bloc de rocher. Nous pensons y dormir dans moins d'une semaine. Le confort pour la toilette n'est pas scandaleux. Pas de source, comment faire fondre la neige? Le bois est plus que rare. Pour l'éclairage, grâce à Dieu, les cierges surélevés à l'église de Possagno nous fourniront leurs lumières. Le 15 décembre Paul est à Nice. Il a pu bénéficier d'une permission qui le ramène le 17 décembre à Calais. Il a la joie de pouvoir passer les réveillons de fin d'année chez lui et c'est par la presse qu'il apprend que le 30 décembre, les troupes françaises d'Italie ont attaqué le mont Tomba et délogé l'ennemi qui se tenait à son sommet .Cette bataille a malheureusement causé de graves pertes notamment dans les troupes du 115ème Chasseurs Alpins qui avaient déjà été décimées à deux reprises auparavant à Rancourt et Le Forest. Quand Paul retrouve à nouveau son unité le 15 janvier, il découvre que le poste de secours peut maintenant abriter une bonne dizaine d'hommes. L'éclairage est toujours assuré par le prélèvement, sur le stock conséquent de l'église de Possagno, de cierges d'autel de 5 cm de diamètre et de 24 cm de hauteur. Borgho Giara: une drôle de messe. En mars 18, tout le groupe d'artillerie obtient un repos à Villaverla et puis est désigné pour stationner à Borgho Giara, faubourg de Marostica, vieille ville fortifiée où tous les deux ans est disputée sur la grand-place une partie de jeux d'échec dont les habitants en costume moyenâgeux tiennent lieu de pièces. Au cours d'une messe dominicale à Borgho, Paul a la surprise d'entendre lire par le curé la liste des condamnations à mort pour désertion de soldats et gradés passés en jugement depuis la retraite d'octobre. Ce dimanche, l'annonce de peines capitales dans un lieu de culte, m'a bouleversé. La Messe entendue, je reste accablé par toutes ces tristesses, ne pouvant m'empêcher de compatir à la détresse des familles de ces malheureux, sur lesquels la foudre vient de tomber. Une ordonnance qui lave les pieds de son Capitaine. Bientôt, deux batteries italiennes doivent être relevées dans la montagne au Col del Rosso à 6oo mètres du mont Sasso. Paul découvre le poste de commandement où il trouve assis autour d'un bon poêle à bois les officiers du Groupe italien qui attendent les officiers français pour leur remettre les consignes. Smaltino, un Napolitain, le médecin auxiliaire italien que je relève, m'abandonne sa tente installée dans le voisinage pour y dormir. Cette tente est mieux conçue contre le froid que les nôtres avec un petit plancher de 2x2 mètres. Smaltino avant son départ me montre le carnet d'infirmerie de son unité. Stupéfait devant le nombre d'hommes perdus par ce Groupe d'Artillerie de Campagne pendant les combats du Carso, je marque mon étonnement. Il m'explique que la nature rocheuse du terrain, sans la moindre trace de terre, rend tous les éclats d'acier, ou débris de roches aussi meurtriers les uns que les autres. Jamais, je n'ai connu jusqu'ici un tel secteur: il est impossible pour les artilleurs et fantassins d'y réaliser un système quelconque de tranchées. De ces quelques heures passées ensemble, je noterai, non sans étonnement, les possibilités de services qu'un Officier Italien peut obtenir de ses subordonnés: Smaltino se fait laver les pieds par son ordonnance! Jamais il ne viendrait à l'idée d'un officier français, quelque soit son grade d'exiger une telle chose. Il ne trouverait d'ailleurs aucun soldat pour s'abaisser à une telle servilité! Baptême de l'air. Le secteur s'avèrera cependant calme et début avril, le Poste de Commandement se déplace au Col del Vento. Le dégel survient, la vue est magnifique sur la vallée de la Brenta. Paul tombe malade. Relevé, il doit parcourir, fiévreux, plus de35 km à pied pour rejoindre l'infirmerie de l'arrière à Borgho-Giara. Quand il y arrive, un brancardier l'ausculte et "entend beaucoup de choses". En fait, Paul souffre d'une congestion pulmonaire. En cinq jours, grâce au repos et à la quinine, la température va tomber. Paul va passer sa convalescence à assurer le service dans cette infirmerie et le travail ne manque pas car la grippe espagnole a fait son apparition. Il remonte ensuite auprès des batteries jusqu'au jour du départ en permission qu'il passe à Venise. C'est ensuite à nouveau la routine mais un dimanche, il a l'occasion de pouvoir passer son baptême de l'air grâce à l'invitation des aviateurs de l'escadrille de Nove. Pour l'occasion, chacun notre tour, nous avons revêtu la tenue classique: bonnet de cuir, pelisse de fourrure et lunettes spéciales. Je craignais d'étouffer dans cette pelisse, mais sans elle en plein vent à 1.100 mètres d'altitude et 160 kms à l'heure, j'aurais été complètement gelé. Assis derrière le pilote à la place de l'opérateur, les pieds bien écartés, pour voir la terre filer sous l'appareil photo de grande taille installé entre mes jambes, je ressens une réelle angoisse lorsque passant au-dessus de la Brenta, le biplan fait une chute d'une dizaine de mètres...Le vol, avec ce genre d'appareils volants primitifs, prévus pour des missions d'observations n'entraîne pas une confiance aveugle dans le plus lourd que l'air. Nous apprendrons plus tard, que l'un après l'autre, tous les biplans de cette escadrille ont pris feu en vol, ce qui n'a pas suscité chez nous un enthousiasme débordant pour l'aviation. Tout l'été se passera pour Paul entre les batteries et l'infirmerie de Borgho-Giara. Ses loisirs lui permettent de faire de nombreuses excursions et de découvrir la vie des paysans italiens de la région. La vie était dure, tout était primitif: l'éclairage au pétrole, le chauffage au bois coûtait cher, aussi la cuisine était faite dans l'âtre le plus souvent avec des épis de maïs débarrassés de leurs grains. Rien n'était gaspillé. L'eau était tirée du puits ou de la citerne et ramené à l'aide du "bancello", sorte d'arc de deux mètres, porté sur une seule épaule .Ce système en raison de sa souplesse devait être moins pénible à supporter que le joug en bois sur les deux épaules utilisé encore à cette époque dans le Calaisis et sa région. L'offensive finale d'octobre 18: la traversée du Piave. En octobre 18, l'offensive finale se prépare. Le Groupe quitte le 14 octobre Borgho-Giara pour San Zenon. C’est à cet endroit que les troupes d'artillerie vont camper avant de franchir le 25 octobre le fleuve "Piave" qui forme la frontière naturelle derrière laquelle se tient retranchée l'armée autrichienne. Le Génie italien a établi un pont de bateaux sur le bras principal mais pas sur le bras secondaire qu'il faudra traverser à pied...C'est le 107e R.I d'Angoulême qui a mené l'attaque la veille et qui a réussi à s'établir sur l'autre rive. Nous voyons aussi en aval, échoués sur les deux rives, les débris d'une trentaine de bateaux du Génie, plus ou moins percés de part et d'autre. Ce sont les restes des ponts ayant permis hier à l'infanterie de traverser le fleuve. Aujourd'hui un seul pont refait est praticable, et les pontonniers du Génie italien s'activent encore. Passant près des ruines de la gare, nous sommes amenés à saluer l'héroïsme, le courage et la volonté admirable d'un capitaine du Génie italien. Allongé livide dans un trou d'obus, cet officier qui vient d'avoir le bras arraché n'a pas voulu abandonner le commandement de ses pontonniers, et l'a repris sitôt les soins d'urgence et les pansements terminés. Ce spectacle restera à jamais gravé dans nos mémoires. Le Lieutenant Rouget à la tête de la 8ème batterie commande en s'arrêtant devant cet officier "Présentez armes". Maintenant, tout notre groupe se dirige vers le pont distant d'une trentaine de mètres. Je le devance avec mon équipe. Je resterai en poste à la tête du pont tout le temps que durera la traversée du Groupe. Ainsi que mes compagnons, j'y gagnerai une citation à l'ordre de l'armée. Des torpilles (crapouillots) pleuvent du côté d'une passerelle inutilisable, en voie de destruction, à une centaine de mètres sur notre gauche. Sur le pont, les muletiers pressent les mules, plus vite sera faite la traversée, moins grand le risque sera de voir la batterie coupée en deux. Personne ne traîne, les obus tombent mais ce n'est pas un barrage inquiétant. Ayant atteint la terre ferme, tout n'est pas gagné pour autant, les mitrailleuses d'en face tirent sur nous, mais sans conviction. 700 mètres réduisent leur efficacité. Encore un bras à traverser, là où la profondeur n'a pas justifié l'établissement d'un pont. Avec mes 1m88, j'ai de l'eau jusqu'à la ceinture. (...). Hommage à deux soldats tués: le médecin-chef du 107 R.I, le jeune soldat italien au visage d’adolescent. Sur les 600 mètres nous séparant encore des lignes adverses, gisent les corps de ceux qui sont tombés hier matin. Le médecin-chef du 107ème fait partie des tués de la veille. En évoquant cette journée, je revois encore, comme s'il était devant moi, ce jeune soldat italien dont le corps a, littéralement été coupé en deux, à la ceinture, par un obus autrichien éclaté plus loin. Le bassin et les jambes sont restés sur place; le haut du corps à vingt-cinq mètres de là, sans aucune trace de blessure apparente. Le beau visage de l'adolescent est serein, il n'a certainement pas souffert. Jamais, on ne s'habituera à voir ainsi brisées toutes ces jeunes vies pleines de promesses, plus encore en ces jours, où la fin de la guerre paraît si proche. Dramatique histoire pour sept Chasseurs Alpins atteints de grippe. Le lendemain de cette traversée mémorable, le Groupe installe ses batteries et est prêt à faire feu. Ce sera inutile. L'infanterie ne demande plus rien car l'ennemi se replie. Les prisonniers commencent à défiler nombreux. Paul doit soigner les grippés, les soldats qui se sont refroidis en traversant le bras du fleuve qui n'était pas ponté. Il les réunit dans une masure où au moins ils pourront s'étendre sur un sol sec. Mais un groupe de six à sept Chasseurs rêvant sans doute d'un hôpital confortable décide de rejoindre l'arrière. Paul essaie de les en dissuader de risquer dans leur état une deuxième traversée dans l'eau glacée du fleuve. Mais ces hommes ne veulent rien entendre. Ils partent, malheureusement pour eux, la suite me donnera raison: tous mourront dans les quatre jours qui suivront dans les ambulances où on les aura recueillis (...) trempés jusqu'aux os et grelottants de fièvre après une dernière baignade. Il fait nuit noire, dans l'obscurité, avec des lampes de poches vacillantes pour seul éclairage, les infirmiers, brancardiers, et moi-même installons les autres pour le mieux. Ils sont en tout une dizaine, couchés sur des toiles de tentes, avec le maximum de couvertures. Ne pouvant faire mieux, nous leur donnons du thé chaud et de la gnôle à volonté, et bien sûr de l'aspirine. Après quoi, cette journée abrutissante enfin terminée, nous nous couchons à leur côté et le sommeil nous abat rapidement. Le transport des canons par les mules. L'infanterie française avance vite, le groupe d'artillerie fait tout son possible pour la suivre au plus vite sur des sentiers très difficiles. Montant et descendant pour remonter, jour et nuit, c'est abrutissant! On s'arrête, on repart, après avoir attendu, quoi? La nuit! Le sentier muletier est tellement étroit (45cm) qu'il n'est praticable que par les mulets non bâtés. Le mulet ayant sur le dos un tube de canon de 65 (105kg) et son bât normal passe facilement mais les autres, qui en plus des caisses de munitions portent des ballots ou sont trop lourdement chargés, accrochent aux saillies des parois et déséquilibrés pirouettent en bas invariablement. Il faut alors les décharger très rapidement avant qu'ils ne tentent de se relever, sinon ils risqueraient de se briser les reins, et les ramener là où la piste redevient praticable, et seulement là, puis remettre en place leurs chargements. La confession d'un homme de bien. Le 2 novembre, arrive au Groupe qui faisait halte pour le repas un blessé autrichien qui traîne la patte. Il a dû recevoir une balle perdue dans le pied et porte un petit pansement de la veille ou de l'avant-veille? Le capitaine de la batterie, à laquelle je suis affecté, me fait appeler pour m'en occuper. J'ai honte à l'écrire, mais je le confesse ici, j'ai refusé, je n'ai même pas voulu voir ce qu'il avait. Le souvenir que j'avais conservé de la Somme, et les tombes françaises vues récemment, m'empêchaient de faire autrement. Heureusement, pour ce soldat, Fischer s'en est occupé. Avec le recul du temps, je considère mon attitude d'alors effarante. L'expérience m'apprendra, que d'années en années, on devient un homme différent, sur bien des points de vue, et sur les options et les décisions à prendre. Il est des attitudes que l'on peut pardonner, mais la mienne reste là, je ne peux malheureusement d'une phrase légère, la considérer comme lavée. Le retour en France. Le groupe d'artillerie à laquelle appartient Paul rejoint un cantonnement à Gavrera. Le lendemain de leur arrivée, le 3 novembre, la nouvelle de la capitulation de l'Autriche est devenue officielle. Les unités peu à peu vont rentrer en France. Paul qui n'a pas eu d'ennuis de santé durant toute la guerre doit être hospitalisé à l'hôpital Borgognone à Milan pour un refroidissement. Le 20 décembre, il quitte l'hôpital et l'Italie muni d'une permission de convalescence. Le voilà de retour à Calais où il retrouve les siens. Le 15 janvier, son congé terminé, il rejoint l'Etat-Major du Groupe à Seyssins près de Grenoble. La présence de Paul sous les armes se prolonge: en avril, parce qu'il rentre de permission avec deux jours de retard, il est puni de 15 jours d'arrêt de rigueur dans une cellule infestée de punaises. Fin mai, la classe de Paul est toujours sous les drapeaux. Vers la mi-juin, il est dirigé sur Brignoud en tant que médecin d'un détachement de détenus militaires (anciennement Batterie d'Af.), c'est à dire condamnés par les Conseils de Guerre à plus de cinq ans de prison. Enfin la démobilisation après cinq ans sous les drapeaux. Enfin le 17 septembre 1919, il est libéré de ses obligations militaires "ayant perçu la somme de 6 francs pour frais de route "ainsi que l'atteste son livret militaire. Le 5 novembre 15, l'ancien médecin militaire Paul Georges reprenait ses cours en deuxième année de médecine...il s'agissait cette fois de devenir un médecin civil ...un médecin formé selon les normes de la "Faculté". La guerre n'avait donc servi à rien et à personne... pas même aux jeunes étudiants en médecine qui s'étaient transformés "comme par miracle" en médecins de tranchées!
Fait à Hannut le 20 janvier 2004 |