Médecins de la Grande Guerre
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Le dépôt de
convalescents de St-Jacut-de-la-Mer Yohann Abiven La Belgique en guerre Malgré la
résistance inespérée de sa maigre mais
héroïque armée, dès les premières offensives, la Belgique est réduite à un isolat
derrière l’Yser. Le Gouvernement français
décrète la mobilisation générale le 1er août 1914. Le lendemain,
l’Allemagne, en application du plan Schlieffen d’invasion éclair de la France
par le Nord-Est, adresse un ultimatum à la Belgique
afin d’obtenir des autorités de Bruxelles la liberté de passage pour ses
troupes. Albert Ier, roi des Belges, refuse
l’ultimatum et dirige la résistance à l’offensive allemande à la tête d’une modeste
armée déployée en seulement sept divisions. La traversée de la Belgique par l’armée
allemande sera néanmoins retardée, même si une bonne partie du territoire
subira une occupation très éprouvante. La Belgique en retire
l’image d’Etat martyr de la Première Guerre mondiale La Belgique devait son
existence à deux traités internationaux, en 1831 et 1839, qui faisaient des
États européens, dont la Prusse, les garants de sa neutralité. LE ROI CHEVALIER Le Roi Albert I avec ses troupes Successeur de Léopold II,
son oncle, couronné en 1909, Albert Ier s’en tient dans un premier temps
strictement à ses attributions constitutionnelles. Populaire, il s’entoure de
personnalités libérales. En août 1913, il impose avec l’aide du Premier
ministre Charles de Broqueville le service militaire obligatoire pour tous.
Cette mesure porte le contingent de l’armée de 180 000 à 340 000 hommes. Un an plus tard, il convainc le
gouvernement de résister à l’invasion allemande et prend le commandement
effectif de l’armée. Dès le début de la Première Guerre mondiale, se développe une identification
entre le peuple belge et son souverain, qui aboutit à une sorte de culte de la
personnalité. Il sera, entre autres glorieux qualificatifs, le « roi
chevalier ». Après guerre, il approuve le suffrage universel, le
syndicalisme et déploie toute son énergie à l’effort de reconstruction et aux
réformes économiques et sociales. Albert Ier prend une part de
plus en plus grandissante dans la vie politique belge et tente aussi, mais en
vain, de s’opposer à la politique d’humiliation excessive de l’Allemagne. Féru d’alpinisme, le roi
meurt à la suite d’une chute dans les rochers de Marche-les-Dames, dans la
vallée de la Meuse, le 17 février 1934. L'YSER L'Yser est un petit fleuve côtier long
de 78 km qui prend sa source en France puis entre en Belgique après quelque 30
km. Il y décrit un arc de cercle avant de se jeter dans la mer du Nord à Nieuport. Cette région faite de polders se
présente comme une plaine irriguée de canaux, protégée par une longue digue.
Car à marée haute, la plaine de l'Yser se situe en dessous du niveau de la mer. Ainsi, à Nieuport, un
système complexe d'écluses et de déversoirs sert à réguler les niveaux des eaux
intérieures. Il permettra également de déclencher l'inondation salvatrice. Système complexe d’écluses à Nieuport LA BELGIQUE EN EXIL Le
gouvernement se replie en Normandie, les réfugiés
s'installent sur les côtes épargnées de la Manche. Le 18 octobre 1914, débute
la bataille de l'Yser, à la suite d'un assaut de l'armée allemande contre les
régiments belges et français. Les troupes allemandes parviennent à passer
l'Yser, repoussant les armées alliées derrière la ligne de chemin de fer
Nieuport-Dixmude. Français et Belges échappent à la défaite grâce à
l'inondation programmée de la plaine de l'Yser. Le tracé du front se stabilise,
ce sera bientôt la ligne des tranchées. La petite armée belge tiendra héroïquement
l'Yser de Nieuport à Steenstraat. Le gouvernement belge prend
le chemin de l'exil et s'installe à Sainte-Adresse, dans la banlieue du Havre.
La famille royale demeure quant à elle dans un réduit côtier encore sous
souveraineté belge, à La Panne, tout près de Dunkerque. De
véritables « colonies » belges s'installent dans l'Ouest de la France. La bataille de l'Yser
entraîne l'évacuation massive de militaires, de civils, de blessés vers
Dunkerque et Calais. C'est le grand exode belge de la Première Guerre mondiale,
d'abord vers le Nord de la France et, face à l'insuffisance des infrastructures
d'accueil et de soin, et aussi en raison d'une épidémie de typhus, vers
l'Angleterre et la Bretagne, « facilement » atteignables par train ou en
bateau. Un groupe de réfugiés belges à Calais Les troupes belges ne
combattirent jamais en France mais y disposèrent de camps d'entraînement et
d'instruction, d'usines d'armement, de trains... Plusieurs régions de l'Ouest
de France virent s'installer de véritables « colonies » belges de réfugiés
civils dont le souvenir demeure encore. A DINARD, L'ACCUEIL DES PREMIERS
BLESSÉS. Le Maire a
ouvert la séance par l’allocution suivante : Je tiens d'abord à adresser
un cordial salut aux blessés belges qui viennent d'arriver à Dinard. Je ne trouve pas de mots
assez expressifs pour traduire les sentiments de gratitude et d'admiration dont
nous sommes animés envers la noble et héroïque Belgique qui nous couvrit de son
corps à l'heure tragique du premier choc. Grâce au temps d'arrêt
qu'elle imposa à la marche des Allemands sur Paris, la Grande-Bretagne put
nous-envoyer à temps l'intrépide armée dont le concours nous fut si précieux lors de
la retraite de Charleroi, où elle se fit décimer sans sourcille et qui, à
l'heure actuelle, vient encore de repousser victorieusement les plus furieux
assauts des masses allemandes. Sous le commandement d'un
chef éminent, notre armée rivalise de bravoure et d'endurance avec nos alliés et des plaines d'Alsace aux côtes de la mer
du Nord, oppose à l'ennemi un rempart d'une fermeté inébranlable. Mitrailleuses belges emmenées par des chiens L'indépendance, la vie même
de notre pays, sont l'enjeu de cette lutte gigantesque, la plus formidable que
l'histoire ait jamais enregistrée, et qui va, nous en avons le ferme espoir,
libérer à jamais l'Europe
de l'odieux despotisme sous lequel le militarisme prussien voulait l'asservir. À tous les soldats qui combattent
pour cette noble couse, nous adressons l'hommage de notre vive admiration. Le Maire ajoute que dans la crise actuelle Dinard a largement fait son
devoir et il se plait à constater que la population n'a cessé de répondre avec le
plus grand empressement à tous les appels qui lui ont été adressés en faveur des
réfugiés et des blessés. Discours de M. Crolard, Maire de Dinard, 7 novembre 1914. Registre des délibérations du conseil
municipal de Dinard NEUTRE
DANS UN CONFLIT MONDIAL A la soupe ! Durant
tout le conflit, Albert 1er a défendu un statut particulier pour la Belgique
vis-à-vis des Alliés : selon lui, le pays n'était pas un Allié en tant que tel,
mais un Etat neutre secouru par ses garants à la suite de l'agression
allemande. Dès lors, l'armée belge n'était pas appelée à se battre ailleurs que
sur le sol national. Solidaires de la France et de la
Grande-Bretagne, les soldats de l'armée belge soutiendront cependant leurs
alliés dès 1914 depuis le Congo belge, contre les troupes coloniales allemandes
installées dans leur protectorat du Togo. Les premiers combats révèlent l'obsolescence des théories sanitaires françaises
en temps de guerre. La guerre ne sera ni fraîche ni joyeuse. Au
contraire, il faut s'attendre à un nombre considérable de blessés, pris en
charge par un service de santé des armées à l'organisation désuète et aux
infrastructures nettement insuffisantes. La retraite des troupes belges et
françaises implique de replier également les blessés auxquels les ambulances,
bientôt hypo et automobiles, auront porté les premiers secours directement sur
le front. La mécanisation des hostilités, l'usage d'armes inédites, et en
premier lieu les gaz, obligent à faire face à des pathologies alors encore inhabituelles.
Désormais, ce sont les éclats d'obus et non les fusillades par balles qui
occasionnent les plus graves blessures. Les soldats souffrent aussi des
conséquences du souffle des explosions qui occasionnent des surdités et
des « ébranlements » (maladie des nerfs). L'hiver, la guerre de position dans les
tranchées apporte les « gélations » des membres. La
recherche médicale connaît un approfondissement sans précédent, des spécialités
nouvelles s'inventent, la neurologie par exemple. L'orthopédie et l'industrie de
la prothèse se développent, ainsi que les établissements de rééducation
fonctionnelle et professionnelle. L'armée française inaugure ses laboratoires de
recherche. Mais
la guerre moderne met aussi en évidence l'obsolescence du « Règlement français
sur le service de santé en campagne » qui ne date pourtant que de
1910 et pose le primat de l'évacuation sur le traitement, au risque d'accroître
encore ainsi la mortalité. En salle d’opérations Le service de santé relève de la compétence de
l'armée et se déploie en un « service de l'avant », attaché au corps d'armée ou
à la division de cavalerie, et en un « service de l'arrière » chargé d'apporter
les soins de suite, préparer le retour au front ou la retraite du soldat
blessé. En pratique, les établissements de santé de l'arrière seront bien
souvent, au moins jusqu'en 1918, les antichambres de la mort. Du Front
au dépôt... L'évacuation du soldat blessé au Front sollicite une chaîne
d'intervenants bien difficile à coordonner. Chiens sanitaires, ambulances et
postes de secours Durant la Grande Guerre, une ambulance est un
poste de secours avancé au plus près du Front et capable d'accueillir des
soldats blessés pour les premiers soins évacuation. Par extension, on appelle «
ambulance » l’attelage chargé du transport de ces blessés. Le Service des chiens de guerre est créé en
1915 et compte 3000 bêtes dotées, comme le soldat, d'un état-civil, d'un livret
militaire, d'une plaque d'identité et d'un équipement. Les chiens de garde
surveillent les bâtiments militaires, les chiens estafette transmettent les
messages, les chiens de trait tirent les canons et les charrettes, les chiens
sanitaires – les plus nombreux – sont chargés de retrouver les blessés sur la
ligne de Front. Hôpital d'évacuation Situé à une quinzaine de kilomètres du Front, il
« trie et hospitalise ». Il hospitalise les malades et blessés légers dans
un « dépôt d'éclopés » et évacue les cas plus sérieux vers les hôpitaux de
l'arrière. Gare régulatrice L'évacuation
se réalise le plus souvent au moyen de trains permanents, improvisés ou
partagés avec les rames des voyageurs ordinaires. Mais la route et la mer sont
également employées. Les gares régulatrices aiguillent les
trains sanitaires et stockent le matériel médical. Saint-Brieuc Gares de
répartition et infirmeries de gare Les
gares de répartition desservent les hôpitaux de l'intérieur. Les infirmeries de gare sont confiées à
la Société de secours aux blessés militaires et sont chargées de l'alimentation
des blessés. Hôpitaux
temporaires et centres hospitaliers de l'armée : Hôpitaux
complémentaires Ils dépendent directement de l'autorité
militaire et emploient du personnel militaire. Hôpitaux
auxiliaires Ils sont créés par les sociétés d'assistance
aux blessés et malades militaires, principalement les 3 sections de la
Croix-Rouge française (Société de secours aux blessés militaires ; Union des
femmes de France ; association des dames de France). Hôpitaux
bénévoles Ils sont créés par des institutions privées ou
publiques ou même des particuliers. Hôpitaux
civils et privés Hôpitaux publics et cliniques. Hôpitaux
et hospices mixte Les établissements civil accueillent souvent des
salles réservées aux militaires. Hôpitaux des armées alliées Dépôts de
convalescents des armées française et alliées Dirigés
par un commandant militaire, ce sont les lieux de sélection où se décident la
nouvelle affectation ou la réforme du soldat. Les dépôts promeuvent la détente
physique et morale. Ce sera, par exemple, l'Abbaye de Saint-Jacut de la Mer. La pension de famille de l’Abbaye au début du XXe siècle Le service
belge de santé aux armées Le gouvernement
belge en exil en Normandie met en place son réseau d'hôpitaux militaires. Le service de santé de l'armée belge a été
créé ex-nihilo, ou presque, dès après le déclenchement du conflit, quand les
autorités conviennent de l'incurie et de l'impréparation de la Croix-Rouge
belge. Paradoxalement, la mise en place dans
l'urgence d'un service de santé au sein de l'armée belge sera exemplaire, en
dépit du manque de matériel, de personnel soignant et infirmier. Le roi Albert 1er confie au
chirurgien Antoine Depage, qui préside également la Croix-Rouge belge, et à son
épouse Marie, le soin de réorganiser les secours aux malades et aux blessés.
Les congrégations religieuses belges y collaboreront grandement, non sans susciter
au passage méfiances et rivalités avec les consœurs laïques. On citera en
premier lieu les sœurs hospitalières de Saint-Augustin, infirmières certes non
officiellement diplômées, mais très présentes dans les hôpitaux belges qui
seront finalement installés en France. La Roi et le Dr Depage La grande réalisation du Dr Depage sera
l'hôpital de l'Océan, installé dans un hôtel à La Panne qui accueille toutes
les spécialités. L'établissement fera école. Le Dr Depage encouragera également
les loisirs des hospitalisés par l'organisation de concerts, pièces de théâtre,
conférences. Ce dont ne se priveront pas les convalescents belges de l'Abbaye,
nous allons le voir plus loin. LE DOCTEUR
DEPAGE RÉORGANISE MORTAIN Le voyage se poursuit vers la Normandie de
longues heures durant. Le train nous dépose enfin à la gare de Grandville où
une voiture nous attend pour nous conduire au centre hospitalier belge de
l'abbaye blanche de Mortain. Je
dors bizarrement la première nuit. Ce
calme, ce silence, je ne l'avais plus ressenti depuis près de quatre ans : pas
de bruit d'armement, pas d'éclair de bombe, une sérénité totale ! On se sent vraiment dans un monastère voué à
la loi du silence... Depuis les étages supérieurs de l'abbaye, je peux
observer, dès le lendemain, le Mont-Saint-Michel à l'horizon (il est à environ 50
km d'ici, mais nous n'aurons jamais l'occasion de nous y rendre). Ce
centre hospitalier belge est, comme les hôpitaux de Petit Fort Philippe à
Gravelines et Virval à Calais, sous l'autorité
médicale du docteur Depage. Mortain (installé dès le 28 octobre 1916) était,
aux dires du docteur lorsqu'il en a été nommé responsable en mars 1918, «
l'exemple quasi-parfait de ce qu'un hôpital ne doit pas être ». Il y
faisait sale, l'hygiène laissait à désirer et il fallait tout refaire :
distribution d'eau, éclairage, cuisines, réseau d'égout... Pas de réelle salle d'opération et aucun équipement
de stérilisation ! Depage
écrit ceci, en parlant de Mortain : « Les
hôpitaux de l'arrière sont dans un état lamentable qui fait honte à l'armée
belge et il est temps qu'on les mette en état ». Le Dr Depage Il prend alors l’initiative d'y effectuer les
travaux nécessaires sans l'accord du Ministère de la guerre, ni du Service de
santé de l'armée. Quatre-vingts prisonniers allemands sont réquisitionnés et
transportés en une nuit en camions depuis La Panne pour transformer le
séminaire de Mortain en un hôpital digne de ce nom. En
moins de trois semaines, le 14 avril 1918, Depage, malgré l'opposition du
directeur en place (un vieux médecin militaire de carrière), métamorphose les
dépendances de l'abbaye, vire ce directeur et nomme à sa place comme médecin-chef,
un de ses collaborateurs de l'Océan, le docteur Van De Velde. A
Mortain, tout a dû être transformé depuis la cuisine jusqu'aux combles ! [...]
Immédiatement, le Ministre de la guerre demande des explications à Depage qui
rétorque, avec sa verve habituelle : « En
période de crise, les hôpitaux, situés en Belgique étant directement menacés
par l'avancée brusque de l'armée allemande sur Amiens, risquaient d'être
perdus. Mortain est prêt à recevoir jusqu'à mille blessés et la Croix-Rouge n'a
d'autorisation à ne demander à personne. Le ministre de la guerre n'a qu'un
seul droit : celui de refuser d'envoyer des blessés dans des hôpitaux s'il juge
que ces établissements n'offrent pas le confort, la propreté et la salubrité
que sont en droit d'exiger des soldats victimes de la guerre. » Transport d’un blessé du front Le
patron a toujours le dernier mot ! Extrait des Carnets du sergent Gustave Groleau L'hospitalisation des soldats belges en
compagnie de leurs alliés français révèle cependant bien vite un certain nombre
de complications pratiques, tenant notamment aux différences d'habitudes
alimentaires. (Les
Belges se plaignent en particulier d'une insuffisance de pommes de terre dans
les menus français). De même, parfois, la coexistence avec les populations
locales ne va pas de soi. Le
ministre français de la Guerre autorise finalement le gouvernement belge en
exil à créer dans l'Hexagone des hôpitaux et dépôts de convalescents à
administration exclusivement belge dont la direction générale est confiée à
l'hôpital militaire installé dans l'Abbaye Blanche à Mortain (Manche). La
Bretagne et la Normandie comptèrent une douzaine d'établissements de ce type,
certains spécialisés et notamment pour les affections nerveuses et mentales ou
les sanatoria de tuberculeux, cette fois sur la côte méditerranéenne ou dans
les Alpes. Les guéris et convalescents transitaient enfin
par le camp d'Auvours, près de Champegné dans la Sarthe. L'abbaye à
la veille de la guerre Quelques
demoiselles trop tranquilles... La
congrégation de l'Immaculée-Conception de Saint-Méen-le-Grand achète ce qu'il
reste de l'ancien monastère bénédictin en 1875. Les sœurs y ouvrent immédiatement
une école gratuite pour les jeunes filles de Saint-Jacut
de la Mer et y reçoivent aussi quelques estivants l'été afin de financer
l'œuvre scolaire. St Jacut – la Communauté Bientôt, ces derniers affluent. l'Abbaye
devient ainsi pension de famille durant les mois d'été, activité interrompue en
1914. Les baigneurs sont nombreux et certains apprécient particulièrement les
bains d'eau de mer qui se prennent alors dans « la maison des bains », près de
la plage. Il faut y apporter l'eau de mer et la chauffer dans une grande
chaudière... L'Abbaye
ce fut une école L'école,
sécularisée en 1904, doit quitter les lieux. C'est qu'entre 1901 et 1906, l'Abbaye
eut à faire face aux épreuves déclenchées par les lois et décrets hostiles aux
congrégations, ces textes qui privent les religieuses, notamment, du droit
d'enseigner. Toute la Communauté abandonne alors le costume
religieux et seules les activités estivales continuent. Quelques sœurs s'associeront
néanmoins à la scolarisation des enfants de Saint-Jacut
à la nouvelle école libre Sainte-Anne, ouverte en 1905, non loin de
l'Abbaye. A partir de cette époque et jusqu'à la fin de
la Première Guerre mondiale, la Communauté est constituée de 7 religieuses en
habit séculier. Quelques-unes ont ainsi repris leur prénom d'état-civil. La communauté dans l’entre deux guerres, mademoiselle Abily est au centre au deuxième rang Ce sont :
Arrivée en 1904, Sœur Sainte Apolline est
directrice de la Pension de famille ; elle est connue sous le nom laïc de Melle
Abily. Sœur Sainte Marthe assure la cuisine depuis
son arrivée en 1877. Sœur Sainte Colette, arrivée en juillet 1887, règne en
maîtresse à la salle à manger. POUR ENCORE, CE NE SONT QUE BRUITS DE...
BOTTINES !! Une jeune anglaise, en résidence à l’Abbaye dans
l'entre-deux-guerres, se souvient d'une demoiselle bien chaussée : « Mademoiselle Abily,
comme toutes les autres sœurs, portait un corsage et une jupe noirs, la jupe
bien ample et jusqu'aux pieds, un chapelet et des bottines noires. J'ai bien
remarqué ces bottines quand j'étais petite parce que toutes les autres sœurs
portaient des pantoufles, puis des sabots pour sortir. En plus, je voyais les
bottines avant elle quand elle descendait pour nous accueillir. Elles étaient boutonnées
par des boutons noirs et brillants ; je pense que j'ai estimé ces bottines
comme une marque de grande distinction à elle ! Malgré sa personnalité
sympathique, Melle Abily dirigeait l'Abbaye bien
strictement à certains égards. Et on devait obéir à ses règles. » Si les estivants redoutaient l'inflexible
Mademoiselle Abily, il en ira tout autrement des
courageux mais dissipés convalescents de Belgique ... L'Abbaye,
ce fut aussi une ferme En
dehors des mois d'été, le travail ne manque pas à la petite communauté des
sœurs. Sans compter l'entretien de la maison, il ya la basse-cour, la ferme, le
potager et le verger, le parc... Le moment venu, la récolte de fruits est rangée
soigneusement dans le « pavillon » qui se trouve à l'entrée de la propriété. Les
travaux des champs s'échelonnent au long de l'année avec l'aide de quelques
ouvriers agricoles. Ainsi,
Sœur Saint Léonard, arrivée en 1893, a entre autres fonctions, de veiller sur
le vin à la cave. Le
verger de l'Abbaye produit des pommes à cidre, qui sont transformées sur place. Sœur
Saint Samson est à l'Abbaye depuis 1901, spécialement préposée à la culture des
fleurs et à l'entretien des parterres du parc. Sœur Saint Laurent veille sur la basse-cour et
la ferme, garde les vaches, s'occupe de la laiterie, fait le beurre. Le travail de Sœur Saint Maur se partage entre
le jardin et la cave, elle doit veiller sur les boissons. Il reste aussi à
assurer la lessive, le travail de lingerie, l'entretien des chambres, bref
toutes les conséquences de l'hospitalité. Saint–Jacut–de–la–Mer
en 1914 St Jacut-de-la-Mer – La plage de Rougerais à l’heure du bain Quelques pêcheurs trop tranquilles ... Un village
à l'aube du XXe siècle En
1914, Saint-Jacut est un petit bourg, l'Isle comme on
l'appelait, une commune pauvre de 1120 habitants aux activités principalement
tournées vers la mer. L'école
et l'aide aux plus démunis représentent les deux questions municipales les plus
importantes, en plus de l'entretien de la fragile digue de la Banche. L'activité
économique principale du village se partage entre la pêche et l'agriculture.
Cependant, de nombreux marins vont périodiquement naviguer au long cours ou à
la pêche hauturière, pour ensuite acheter un bateau et se livrer alors à la
pêche locale. D'autres font aussi carrière dans la Marine nationale. Les
services publics comprenaient, outre l'école et la mairie, un bureau de poste
et du télégraphe, qui servira bientôt à annoncer les tragédies du front. Il n'y avait ni médecin, encore moins de
pharmacien. La vie religieuse se donne à voir dans une vieille église qui
menace ruine, ainsi que dans les rues, théâtres des Fête-Dieu et autres
processions. De
nouveaux venus L'essentiel
de la population se concentrait de part et d'autre de la grande rue, en rangées
de maisons toutes orientées au midi. De grosses demeures construites par des
notables « hors-venus » commencent à transformer le paysage traditionnel.
Aux alentours du bourg historique, ces quelques constructions récentes à
lucarnes, témoignaient déjà de l'apparition récente d'une nouvelle activité. La
presqu'île s'ouvrait progressivement aux « bains de mer ». Touristes anglais en 1910 D'abord
à visée thérapeutique, la pratique se fit rapidement plaisir. La capacité hôtelière se déployait entre
l'Abbaye, pension de famille, l'hôtel des Dunes, l'hôtel des Bains et, en
complément, la location de meublés directement auprès des particuliers. DES NOTABLES BÂTISSEURS Médecins
en villégiature, députés, magistrats, capitaines au long cours, fonctionnaires
d'Etat, avocats de Rennes, négociants de Paris constituent ces notables
bâtisseurs de villas. A l'exemple de Jules Blanchet-Magon qui fit édifier la
maison des Ecluses, moderne au point d'abriter un château d'eau dans ses
combles, et qui inspira bientôt le pinceau du nabi Edouard Vuillard. jules
Blanchet passait pour un personnage original qui introduisit notamment le
cyprès de Lambert dans les parcs jaguens et mit
finalement ses biens à la location. A en croire le Guide des bains de mer de
1896, la villa des Ecluses est « la mieux située, la plus confortable
de la station. Panorama exceptionnel ; vaste enclos bordant la grève.
Dix pièces, onze lits, eau à l'étage ; lavoir intérieur. Ecurie, remise
à volonté. S'adresser à madame Amanda Hesry, gardienne » Un calme
bouleversé L'annonce
de la déclaration de guerre, le 3 août 1914, se fit par télégraphe. Défilé patriotique spontané le 3 août 1914 330
Jaguens de 18 à 48 ans furent mobilisés, y compris le
vicaire, et la plupart dans la marine. L'événement
réveilla l'enthousiasme patriotique chez les uns, l'inquiétude chez d'autres. Le 4 août 1914, le maire Henri Hita de Nercy regrette dans ses
cahiers l'attitude « des braillards [qui] avaient fait le potin »
et relève combien les « esprits sont surexcités et énervés ». Plus lucide, le
secrétaire de mairie, Louis-Thomas Guillard, tombé au champ d'honneur le 29 mai
1918, consigne dans ses mémoires de guerre au moment de la nouvelle du
déclenchement de la guerre : « Depuis quelques jours, je prévoyais
ce malheur. [...] Certains avaient le cœur gai, d'autres au
contraire, ne disaient rien, cherchaient à se consoler en
buvant plus que leur habitude. » Beaucoup de mobilisés rejoindront les rangs de la Marine La guerre
s'installe Les
pénuries de guerre frappent rapidement la presqu'île. Dès le 3 août 1914, les
chevaux sont réquisitionnés, dont la jument de l'attelage du maire. Fin
août, l'autorité militaire commence à saisir une part des récoltes. Les
premiers réfugiés atteignent Saint-Jacut dès
septembre, trente-cinq Belges, déjà, répartis dans les familles locales. La population en exil augmente régulièrement
tout au long du conflit. Le
bois de chauffage fait partie des produits qui manquent le plus, « même
pas de quoi chauffer une soupe, ni même un petit café », note
le maire. En l'absence des boulangers mobilisés, on songe à recourir aux
services d'un prisonnier allemand. Mais en 1916, on manque de blé
et quelques communes voisines partagent, heureusement. Le
pétrole, si utile pour les lampes, est strictement rationné. En 1918, la municipalité met en place les
cartes d'alimentation et subit encore l'afflux de réfugiés. La situation
devient pathétique. « Je n'ai rien pour eux », se désole M. Hita de Nercy qui se sera constamment
employé à soulager la misère des ses administrés. Monsieur Hita de Nercy, maire de Saint-Jacut pendant la guerre Trente-neuf Jaguens
ne reviendront pas. L'Abbaye finalement
au service de l'Armée belge L'intervention de la fondation de
Broqueville permet l'ouverture d'une trentaine de lits pour des soldats belges
convalescents. La villa Nahant, à Dinard, lieu de résidence à la famille de Broqueville Sur tout le territoire, dès la déclaration de
guerre, de vastes locaux sont réquisitionnés ou mis volontairement à la
disposition des services sanitaires de l'armée française. Ce sera notamment le
cas à Dinard, vidé subitement de ses touristes, et dont l'immense capacité
hôtelière intéresse particulièrement l'état-major. L'Abbaye est d'abord hôpital militaire
français Du
côté du boulevard des falaises, l'hôtel Royal, l'hôtel des Falaises et le Grand
Casino deviennent ainsi l'hôpital complémentaire n° 28 (HC 28) doté de près de
600 lits, sans compter ses annexes : l'hôpital communal de Pleurtuit (25 lits),
l'hôpital privé la Providence (40 lits) et l'Abbaye de Saint-Jacut (30 lits). Dans le même temps, l'Abbaye accueille
pour la municipalité de Saint-Jacut des réfugiés des
territoires du Front. A Dinard encore, des sociétés philanthropiques
s'organisent afin d'améliorer l'ordinaire des blessés. Familière de la cité
balnéaire, Thérèse de Broqueville est l'épouse du fils du Premier ministre
belge. Avec ses compatriotes, elle met en place une éphémère Fondation de
Broqueville, encore appelée « l'Œuvre des Belges de Dinard ». L'Abbaye devient hôpital militaire belge La
perspective de l'arrivée prochaine à l'Abbaye des Poilus suscite chez les
pieuses demoiselles une certaine fièvre. L’œuvre des Belges Impatiente,
une institutrice de l'école Sainte-Anne, Melle Hunaut,
se désole auprès de Melle Abily du peu de succès de
l'établissement auprès des glorieux combattants : « ... Il n'y a toujours
pas de blessé à l'Abbaye ... » (Fr. Hunaut, 30
décembre 1914). Début
1916, un accord entre les gouvernements belge et français autorise l'ouverture
d'établissements sanitaires exclusivement réservés aux convalescents belges, en
raison d'habitudes de vie quelque peu différentes qui rendaient de fait
délicate la cohabitation avec les alliés français. La
Fondation de Broqueville avait repéré à cette fin des locaux encore disponibles
dans la région de Dinard. Ainsi, Thérèse de Broqueville convainc l'Abbaye de
recevoir des blessés belges. Thérèse de Broqueville L'établissement
devient dépôt de convalescents dès le 17 mai 1915 et jusqu'au 31 octobre 1917. Les
routines de la tranquille pension de famille en seront profondément ébranlées. Une administration composée de jeunes gens concurrence
désormais les troupes de Melle Abily. UNE HISTOIRE DE PAIN ET DE PATATES « ...Mais nos hommes
se plaignent du régime alimentaire, non pas parce qu'il n'est pas bon mais
parce qu'il est différent du nôtre... Les Belges mangent plus que
les Français, de là l’insuffisance des rations. Le régime alimentaire est
différent du nôtre [le pain des Français est fait au levain et a un
goût aigre, le pain belge est fait à la levure]. Les Français consomment
beaucoup de pain et peu de pommes de terre et de légumes ; de plus, les
cuisiniers français ne parviennent pas à cuire à la mode belge les « précieux
tubercules ». Les Français aiment les pâtes
d'Italie, macaroni et nouilles et les semoules. Nos hommes les délaissent (..) Pour remédier à ces inconvénients et
pour nourrir nos soldats blessés et malades à la manière belge, nous
voudrions les voir concentrés dans quelques hôpitaux qui seraient gérés
complètement par les soins des services administratifs belges. » Extrait d'une note du ministre belge de la
guerre à Justin Godard, sous-secrétaire d'Etat français au service de santé en
date du 20 novembre 1915 Un bien
joyeux repos, pour le combattant La
communauté de l'Abbaye doublée et dépassée Une
nouvelle administration, belge et laïque, se met en place à l'Abbaye devenue
dépôt de convalescents, dès la mi-mai 1915. Melle
Abily ne régente plus que la communauté. Car
la voici doublée par un certain Cauterman, Capitaine-Commandant, directeur de l'hôpital
militaire belge de Saint-Jacut-de-la-Mer. Il ne résidait pas dans
l'établissement mais avait pris ses quartiers à l'hôtel des Bains, chez M. et
Mme Ruault à qui il témoignera de chaleureux
remerciements. Le capitaine Cauterman était lui-même
revenu blessé du front. Le Capitaine-commandant, Cauterman Le directeur de l'hôpital était en charge du
maintien, manifestement délicat, de la discipline. Fidèle aux conseils
prodigués par le Dr Depage à l'hôpital de l'Océan, l'Abbaye pratique le loisir
comme accélérateur de convalescence. les soldats belges se donnent ainsi à voir
sur scène, par plusieurs spectacles de théâtre et de chansons, mais aussi dans
les cafés de Saint-Jacut où, semble-t-il, le cognac
coule à flot. Un aumônier arrivera l'été 1916, on pense
qu'il pourra tempérer les festivités. L'établissement doit également s'adapter
aux habitudes alimentaires de ces hommes d'au-delà la frontière française.
Régimes et rations alimentaires sont prévus avec une extrême méticulosité au
moyen de grands tableaux récapitulatifs actualisés à la main au jour le jour. Au plan sanitaire, l'hôpital militaire belge de
Saint-Jacut dépendait du grand hôpital belge installé
à l'Abbaye blanche de Mortain, dans la Manche. On sait qu'un médecin-chef belge
exerçait à l'Abbaye, le Dr Vermeulen, ainsi que du personnel infirmier. Sans
oublier les aides-soignantes, françaises et charmantes, à en croire les
souvenirs d'un convalescent. Quelques-uns de ces soldats épouseront des
jeunes femmes de Saint-Jacut et prendront ainsi
souche sur la presqu'île. Mais un convalescent, Georges-Emile Broucke, décédera à l'Abbaye et sera inhumé dans un premier
temps au cimetière communal. A la fin des hostilités, son corps sera transporté
à Courtrai, auprès des siens. Une
coexistence pas toujours pacifique Melle Abily, droite dans ses bottines, met l'Abbaye sur le pied
de guerre La
vie commune entre religieuses et soldats convalescents constitue, outre le
barrage linguistique et de possibles différences de religion, un réel choc au
sein d'un établissement catholique si rodé à ses routines et tellement fier de
son exemplarité. Au-delà,
c'est tout le village qui semble mis sens dessus-dessous. L'arrivée des Belges à l'Abbaye fut un
véritable bouleversement que Melle Abily, responsable
de la communauté de l'Abbaye, relate à l'abbé Lemasson
: Auguste Lemasson L'abbé
Auguste lemasson (1878-1946) fut vicaire à Saint-jacut-de-la-Mer de 1911 à 1914. C'est à lui que l'on doit
la création du bulletin paroissial. En
1914, il fut mobilisé comme aumônier militaire et prit part à plusieurs
offensives, dont la bataille très meurtrière de Charleroi. Après
guerre, il se retira à Lancieux où il se consacra à
l'étude, spécialement de l'histoire
régionale, et à la constitution d'une bibliothèque de près de 6 000 volumes. En vue d'assurer la conservation de ce
remarquable ensemble, l'abbé Lemasson en fit don à la
Ville et à la Bibliothèque de Dinan, le 10 mars 1934. « Savez-vous que l'abbaye depuis le 15 mai se remplit de soldats belges
convalescents ! Quelle transformation ! Si vous voyiez cela ! La salle à manger
si propre et si coquette ! Les escaliers les couloirs ! Je dis que lorsque tout
sera fini, je devrai mobiliser toutes les femmes de St-Jacut
pendant une dizaine de jours pour tout nettoyer et remettre en place. On nous
dit que ce sera notre contribution à la guerre ; Je crois qu'en vérité on
pourra appeler cela une contribution. Pourtant nous ne pouvons pas dire que les
hommes soient désagréables mais ils sont tellement paresseux et par suite sales
!! » L'avis et les inquiétudes de Melle Abily semblent partagés par les Jaguens,
comme le montre cet extrait d'une lettre de Mme Coudray,
institutrice à l'école Sainte Anne, qui craint, elle, un autre genre de
tracasseries : Ecole Sainte-Anne, 1912, la classe des « grandes » « Savez-vous que
l'Abbaye est transformée en hôpital militaire belge ? j'aime bien les soldats et j'ai fait mon possible
pour les secourir mais je vous avoue que je ne suis pas ravie de voir tout ce
monde à Saint-Jacut et je crains bien pour mes
étourdies de grandes filles qui engagent trop facilement la conversation avec
le premier venu. » (F_Coudray, St-jacut le 19 mai 1915) Melle
Abily dresse le tableau d'une Abbaye dévastée. Mais
la communauté demeure néanmoins au service de ces gaillards remuants, mais
braves : « Le chahut des soldats convalescents ! Oui nous avons
toujours nos Belges ! Si vous étiez ici en ce moment vous entendriez le vacarme
qu'ils font. C'est le dimanche soir, ils ont été dans les cabarets et donc on
n'y va pas pour boire de l'eau. Quand donc cela finira-t-il ? Ils veulent tous faire du feu dans leurs
chambres : chaises, tables, échelles, nos rames de pois, tout y passe malgré
nous, malgré le commandant. Ils n'ont pas beaucoup de respect de l'Autorité ... » RAPPEL À l'ORDRE Monsieur le Maire, J'ai eu, hier, à faire face
à une situation trouble, provenant de ce que cinq homme s'étaient enivrés. Ce
matin, ayant cuvé leur boisson, ils ont avoué que moyennant finances, on leur
vendait de l'alcool dons tous les débits. Un militaire, à sa rentrée, était
porteur d'un litre de cognac ! Ne pensez-vous pas qu'il
serait désirable de voir cesser cette vente de boissons fortes, tout ou moins
dans de pareilles proportions et ce dans l'intérêt de la tranquillité de la
commune que dans le but de sauvegarder la bonne réputation de mes sous ordres. Ne pourrait-on discrètement
rappeler ces débitants à une plus saine compréhension des arrêtés ? Vous laissant juge de l'opportunité d'une intervention, je vous prie de
croire, Monsieur le Maire, à ma considération très distinguée. Courrier du Capitaine Commandant Cauterman au Maire de Saint-Jacut,
le 6 juin 1916 La
rotation continuelle des convalescents ne facilite pas la maîtrise des
comportements et le temps se fait long : « Hier, 35 hommes sont
partis mais aujourd'hui ou demain ils seront sans doute
remplacés ; vous voyez c'est toujours la même chose à St-Jacut... » (Mlle Abily,
Saint-Jacut, 30 juillet
1916) L'espoir
d'une vie plus catholique vient d'un aumônier belge tout juste arrivé à
l'Abbaye : « Les belges ont maintenant un aumônier, je ne sais s'ils seront
plus sages. » (F. Hunaut, Saint-Jacut, 31 juillet 1916) L'abbé
Léon Dumoulin, puisque tel est son nom, rassure sans doute, mais rend les voies
de Dieu, alors latines, encore plus impénétrables. « Nous avons en
effet un aumônier pour nos bons soldats depuis 3 semaines ; il est fort aimable
et je crois qu'il aura une forte influence sur les hommes. Le dimanche il dit
une messe spéciale pour eux à 9 heures, les soldats y chantent ; l'Aumônier
prêche en flamand ce qui va bien un peu déconcerter les Français qui y
assistent et qui peut être seraient curieux de savoir ce qui est dit aux soldats!!! » (Mlle Abily, Saint-Jacut,
11 août 1916) L'Abbaye
qui en temps de paix avait su développer ses ressources en transformant ses
locaux en pension de famille, tirait maintenant ses revenus des allocations
pour soigner les soldats, mais rien n'est simple et les soucis sont évidemment
aussi là. Là est tout le paradoxe : nombreux, les
soldats belges inquiètent ; rares, ils manquent... « Depuis quelques
mois nous avons moins d'hommes ce qui n'est pas un avantage pour la maison, car
il ya des frais généraux qui sont toujours les mêmes : éclairage, chauffage... »
(Melle Abily Saint-Jacut,
30 décembre 1916) La paix
revenue L'Armistice
de novembre 1918 signifie également la libération de l'Abbaye. Les troupes allemandes en retraite Dans sa correspondance, Melle Abily se montrait... mesurée à l'égard des convalescents de
l'armée belge. Au contraire, la rédactrice de la Chronique de
l'Abbaye (recension annuelle des événements marquants de la vie de
l'établissement, tenue par une sœur de la Communauté) préfère taire toutes ces
petites histoires. Reviennent les sempiternelles tracasseries domestiques d'une
maison redevenue pension de famille. Relecture
de l'épisode de la Grande Guerre « Mais voici que,
bientôt, surgit à l'horizon le spectre menaçant de la guerre, d'une guerre
mondiale ! Et le sinistre conflit éclate le 2 août 1914... » Ainsi s'ouvre la page 1914 d'une Chronique qui
considère néanmoins ces convalescents indisciplinés en héros de la grande
histoire. ... 1914 : L'Abbaye ne tarde pas à évacuer ses pensionnaires,
lesquels d'ailleurs, n'ont qu'un désir : rentrer chez eux le plus tôt et le
plus rapidement possible... la maison reçoit d'abord un assez grand nombre de
familles de réfugiés du Nord de la France, fuyant devant l'envahisseur, puis
ces pauvres malheureux sont dirigés peu à peu, chez l'habitant, par les soins
de la municipalité afin de mettre l'Abbaye à la disposition de l'Armée, comme
Hôpital militaire temporaire. Ce sont des soldats belges qui forment le premier
contingent. Des convalescents surtout qui, une fois convenablement remis,
doivent reprendre le chemin du Front. Ces
militaires de l'armée belge étaient très édifiants... Catholiques
pour la plupart, ils avaient un aumônier et, chaque dimanche, ils emplissaient
presque la petite église toute proche, assistant pieusement au saint sacrifice
de la messe, priant et chantant de tout leur cœur. Et cette situation dure quatre années pendant lesquelles
Mademoiselle Abily et sa Communauté entourèrent ces
pauvres blessés des meilleurs soins et de beaucoup de sympathie. N'étaient-ils
pas les auxiliaires de nos petits soldats français dans la défense de la France
contre l'envahissement et la libération de leur propre Patrie ! 1918 : A la fin des hostilités, novembre 1918, et
la Victoire de la France, si durement achetée par tant de victimes, l'Abbaye jaguenne reprend peu à peu sa vie normale ; mais, avant de
reprendre des pensionnaires pour la saison des bains de mer, il faut d'abord procéder
au nettoyage, rafraîchissement et réaménagement des locaux, refaire matelas oreillers,
réviser en somme, toute la literie. Chronique de l’Abbaye L'Abbaye aura accueilli 2459 convalescents de
l'armée belge. On ne déplorera qu'un seul décès, Georges-Emile Broucke, qui repose aujourd'hui à Courtrai, après avoir été
d'abord inhumé au cimetière communal de Saint-Jacut. Le général Nudant installé à la table du Kaiser, à Spa DE LA CÔTE-D'OR AUX CÔTES-DU-NORD Alphonse
Pierre Nudant était né à Serrigny
(Côte-d'Or) en 1861. Promu colonel en juin 1914, à la veille de la guerre, il
prend le 2 août 1914 1es fonctions de chef d'état-major de la IV Armée. Il
est rapidement nommé général de brigade à titre temporaire, puis confirmé dans
cette fonction en 1917. D'abord aide-major général, il commande ensuite la 70e
Division d'Infanterie, puis le 33e et le 34e Corps
d'Armée. Il
est ensuite placé à la tête du 7e Corps d'Armée. En
1919, il est le chef de la Commission d'armistice interalliée à Spa au sein de
laquelle il conduit les représentations alliées avec, à en croire Paul Desgrées du Loû, « autorité
et distinction ». Après
guerre, le Général devient le voisin immédiat de l'Abbaye où sa famille avait déjà
ses habitudes estivales. Il
passe toute sa retraite de soldat à Saint-Jacut. Ce « beau vieillard aimable, dont la
silhouette toujours élégante était une des gloires du petit pays » s'éteint
le 17 janvier 1952 dans sa villa Marguerite... |