Médecins de la Grande Guerre

Le dépôt de convalescents de St-Jacut-de-la-Mer.

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Le dépôt de convalescents de St-Jacut-de-la-Mer.

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Des officiers belges

La Famille Royale de Belgique

Les premières troupes allemandes en Belgique

Le Roi Albert I avec ses troupes

Système complexe d’écluses à Nieuport

Ste-Adresse – Le siège du Gouvernement belge

Un groupe de réfugiés belges à Calais

Préparation de l’armée belge au camp d’Auvours (Sarthe)

Mitrailleuses belges emmenées par des chiens

A la soupe !

En salle d’opérations

Un peu d’humour de la part de notre chien ambulacier

La Panne – La Reine accompagnée du Dr Depage rend à « ses » blessés et alliés sa visite journalière

La Reine et le Dr Depage

La Roi et le Dr Depage

Transport d’un blessé du front

Le magasin de l’hôpital

Le grand hôtel de L’Océan

Le Dr Depage

La pension de famille de l’Abbaye au début du XXe siècle

St Jacut – la Communauté et l’Eglise

St Jacut – la Communauté

La nouvelle école libre Ste Anne

La communauté dans l’entre deux guerres, mademoiselle Abily est au centre au deuxième rang

Melle Abily ici à gauche, encadrant avec sœur Hélène, madame Gauthier qui avait donné ses biens à la communauté

La communauté prise de la ferme de la Guérinais

L’Abbaye peut avant la première guerre mondiale

St Jacut-de-la-Mer – La plage de Rougerais à l’heure du bain

St Jacut-de-la-Mer – La plage de Rougerais – Isle des Esbiens

Baigneuse anglaise

Baigneuse anglaise

Touristes anglais en 1910

La moisson

Pêcheurs attendant la marée

Le bas de la Grand’ Rue, avec l’hôtel des Dunes

La fête Dieux

La Villa Les Ecluses, Edouard Vuillard, détrempe sur papier fixé sur toile, 1909, Higt Museum of Art, Atlanta

Défilé patriotique spontané le 3 août 1914

Beaucoup de mobilisés rejoindront les rangs de la Marine

Ordre de Mobilisation Générale

La timonerie du Transatlantique « France »

Monsieur Hita de Nercy, maire de Saint-Jacut pendant la guerre

L’hôtel Royal de Dinard, réquisitionné comme hôpital en 1914

Thérèse de Broqueville

La villa Nahant, à Dinard, lieu de résidence à la famille de Broqueville

L’œuvre des Belges

Le Capitaine-commandant, Cauterman

La fiche de l’état de santé du Capitaine-commandant, Cauterman

Auguste Lemasson

Ces dames comme il faut dans la salle à manger de l’Abbaye, un souvenir désormais…

Ecole Sainte-Anne, 1912, la classe des « grandes »

Saint-Jacut – La plage de la Pissotte

L’Abbaye, vue intérieure

Tableau des Entrées et Sorties de l’hôpital

Tableau des Entrées et Sorties de l’hôpital

Le Dépôt

Remerciement du Capitaine-commandant Cauterman, directeur de l’hôpital militaire

Un seul décès

Les Parisiens font un triomphe au couple royal belge

Les troupes allemandes en retraite

Le général Nudant installé à la table du Kaiser, à Spa

Acte de décès de Georges Emile Broucke

Le dépôt de convalescents de St-Jacut-de-la-Mer

Yohann Abiven

La Belgique en guerre

Malgré la résistance inespérée de sa maigre

mais héroïque armée, dès les premières offensives,

la Belgique est réduite à un isolat derrière l’Yser.

       Le Gouvernement français décrète la mobilisation générale le 1er août 1914. Le lendemain, l’Allemagne, en application du plan Schlieffen d’invasion éclair de la France par le Nord-Est, adresse un ultimatum à la Belgique afin d’obtenir des autorités de Bruxelles la liberté de passage pour ses troupes.

       Albert Ier, roi des Belges, refuse l’ultimatum et dirige la résistance à l’offensive allemande à la tête d’une modeste armée déployée en seulement sept divisions.

       La traversée de la Belgique par l’armée allemande sera néanmoins retardée, même si une bonne partie du territoire subira une occupation très éprouvante.

       La Belgique en retire l’image d’Etat martyr de la Première Guerre mondiale

       La Belgique devait son existence à deux traités internationaux, en 1831 et 1839, qui faisaient des États européens, dont la Prusse, les garants de sa neutralité.

LE ROI CHEVALIER


Le Roi Albert I avec ses troupes

       Successeur de Léopold II, son oncle, couronné en 1909, Albert Ier s’en tient dans un premier temps strictement à ses attributions constitutionnelles. Populaire, il s’entoure de personnalités libérales. En août 1913, il impose avec l’aide du Premier ministre Charles de Broqueville le service militaire obligatoire pour tous. Cette mesure porte le contingent de l’armée de 180 000 à 340 000 hommes.

       Un an plus tard, il convainc le gouvernement de résister à l’invasion allemande et prend le commandement effectif de l’armée.

Dès le début de la Première Guerre mondiale, se développe une identification entre le peuple belge et son souverain, qui aboutit à une sorte de culte de la personnalité. Il sera, entre autres glorieux qualificatifs, le « roi chevalier ». Après guerre, il approuve le suffrage universel, le syndicalisme et déploie toute son énergie à l’effort de reconstruction et aux réformes économiques et sociales.

       Albert Ier prend une part de plus en plus grandissante dans la vie politique belge et tente aussi, mais en vain, de s’opposer à la politique d’humiliation excessive de l’Allemagne.

       Féru d’alpinisme, le roi meurt à la suite d’une chute dans les rochers de Marche-les-Dames, dans la vallée de la Meuse, le 17 février 1934.

L'YSER

       L'Yser est un petit fleuve côtier long de 78 km qui prend sa source en France puis entre en Belgique après quelque 30 km. Il y décrit un arc de cercle avant de se jeter dans la mer du Nord à Nieuport.

       Cette région faite de polders se présente comme une plaine irriguée de canaux, protégée par une longue digue. Car à marée haute, la plaine de l'Yser se situe en dessous du niveau de la mer.

       Ainsi, à Nieuport, un système complexe d'écluses et de déversoirs sert à réguler les niveaux des eaux intérieures. Il permettra également de déclencher l'inondation salvatrice.


Système complexe d’écluses à Nieuport

LA BELGIQUE EN EXIL

Le gouvernement se replie en Normandie,

les réfugiés s'installent

sur les côtes épargnées de la Manche.

       Le 18 octobre 1914, débute la bataille de l'Yser, à la suite d'un assaut de l'armée allemande contre les régiments belges et français. Les troupes allemandes parviennent à passer l'Yser, repoussant les armées alliées derrière la ligne de chemin de fer Nieuport-Dixmude. Français et Belges échappent à la défaite grâce à l'inondation programmée de la plaine de l'Yser. Le tracé du front se stabilise, ce sera bientôt la ligne des tranchées. La petite armée belge tiendra héroïquement l'Yser de Nieuport à Steenstraat.

       Le gouvernement belge prend le chemin de l'exil et s'installe à Sainte-Adresse, dans la banlieue du Havre. La famille royale demeure quant à elle dans un réduit côtier encore sous souveraineté belge, à La Panne, tout près de Dunkerque.

De véritables « colonies » belges

s'installent dans l'Ouest de la France.

       La bataille de l'Yser entraîne l'évacuation massive de militaires, de civils, de blessés vers Dunkerque et Calais. C'est le grand exode belge de la Première Guerre mondiale, d'abord vers le Nord de la France et, face à l'insuffisance des infrastructures d'accueil et de soin, et aussi en raison d'une épidémie de typhus, vers l'Angleterre et la Bretagne, « facilement » atteignables par train ou en bateau.



Un groupe de réfugiés belges à Calais

       Les troupes belges ne combattirent jamais en France mais y disposèrent de camps d'entraînement et d'instruction, d'usines d'armement, de trains...

       Plusieurs régions de l'Ouest de France virent s'installer de véritables « colonies » belges de réfugiés civils dont le souvenir demeure encore.

A DINARD, L'ACCUEIL DES PREMIERS BLESSÉS.

Le Maire a ouvert la séance par l’allocution suivante :

Je tiens d'abord à adresser un cordial salut aux blessés belges qui viennent d'arriver à Dinard.

Je ne trouve pas de mots assez expressifs pour traduire les sentiments de gratitude et d'admiration dont nous sommes animés envers la noble et héroïque Belgique qui nous couvrit de son corps à l'heure tragique du premier choc.

Grâce au temps d'arrêt qu'elle imposa à la marche des Allemands sur Paris, la Grande-Bretagne put nous-envoyer à temps l'intrépide armée dont le concours nous fut si précieux lors de la retraite de Charleroi, où elle se fit décimer sans sourcille et qui, à l'heure actuelle, vient encore de repousser victorieusement les plus furieux assauts des masses allemandes.

Sous le commandement d'un chef éminent, notre armée rivalise de bravoure et d'endurance avec nos alliés et des plaines d'Alsace aux côtes de la mer du Nord, oppose à l'ennemi un rempart d'une fermeté inébranlable.



Mitrailleuses belges emmenées par des chiens

L'indépendance, la vie même de notre pays, sont l'enjeu de cette lutte gigantesque, la plus formidable que l'histoire ait jamais enregistrée, et qui va, nous en avons le ferme espoir, libérer à jamais l'Europe de l'odieux despotisme sous lequel le militarisme prussien voulait l'asservir.

À tous les soldats qui combattent pour cette noble couse, nous adressons l'hommage de notre vive admiration.

Le Maire ajoute que dans la crise actuelle Dinard a largement fait son devoir et il se plait à constater que la population n'a cessé de répondre avec le plus grand empressement à tous les appels qui lui ont été adressés en faveur des réfugiés et des blessés.

Discours de M. Crolard,

Maire de Dinard, 7 novembre 1914.

 

Registre des délibérations du

 conseil municipal de Dinard

NEUTRE DANS UN CONFLIT MONDIAL



A la soupe !

Durant tout le conflit, Albert 1er a défendu un statut particulier pour la Belgique vis-à-vis des Alliés : selon lui, le pays n'était pas un Allié en tant que tel, mais un Etat neutre secouru par ses garants à la suite de l'agression allemande. Dès lors, l'armée belge n'était pas appelée à se battre ailleurs que sur le sol national.

Solidaires de la France et de la Grande-Bretagne, les soldats de l'armée belge soutiendront cependant leurs alliés dès 1914 depuis le Congo belge, contre les troupes coloniales allemandes installées dans leur protectorat du Togo.

Les premiers combats révèlent

l'obsolescence des théories sanitaires

françaises en temps de guerre.

La guerre ne sera ni fraîche ni joyeuse. Au contraire, il faut s'attendre à un nombre considérable de blessés, pris en charge par un service de santé des armées à l'organisation désuète et aux infrastructures nettement insuffisantes. La retraite des troupes belges et françaises implique de replier également les blessés auxquels les ambulances, bientôt hypo et automobiles, auront porté les premiers secours directement sur le front. La mécanisation des hostilités, l'usage d'armes inédites, et en premier lieu les gaz, obligent à faire face à des pathologies alors encore inhabituelles. Désormais, ce sont les éclats d'obus et non les fusillades par balles qui occasionnent les plus graves blessures. Les soldats souffrent aussi des conséquences du souffle des explosions qui occasionnent des surdités et des « ébranlements » (maladie des nerfs). L'hiver, la guerre de position dans les tranchées apporte les « gélations » des membres.

La recherche médicale connaît un approfondissement sans précédent, des spécialités nouvelles s'inventent, la neurologie par exemple. L'orthopédie et l'industrie de la prothèse se développent, ainsi que les établissements de rééducation fonctionnelle et professionnelle.

L'armée française inaugure ses laboratoires de recherche.

Mais la guerre moderne met aussi en évidence l'obsolescence du « Règlement français sur le service de santé en campagne » qui ne date pourtant que de 1910 et pose le primat de l'évacuation sur le traitement, au risque d'accroître encore ainsi la mortalité.



En salle d’opérations

Le service de santé relève de la compétence de l'armée et se déploie en un « service de l'avant », attaché au corps d'armée ou à la division de cavalerie, et en un « service de l'arrière » chargé d'apporter les soins de suite, préparer le retour au front ou la retraite du soldat blessé. En pratique, les établissements de santé de l'arrière seront bien souvent, au moins jusqu'en 1918, les antichambres de la mort.

Du Front au dépôt...

L'évacuation du soldat blessé au Front sollicite

une chaîne d'intervenants bien difficile à coordonner.

Chiens sanitaires, ambulances et postes de secours

Durant la Grande Guerre, une ambulance est un poste de secours avancé au plus près du Front et capable d'accueillir des soldats blessés pour les premiers soins évacuation. Par extension, on appelle « ambulance » l’attelage chargé du transport de ces blessés.

Le Service des chiens de guerre est créé en 1915 et compte 3000 bêtes dotées, comme le soldat, d'un état-civil, d'un livret militaire, d'une plaque d'identité et d'un équipement. Les chiens de garde surveillent les bâtiments militaires, les chiens estafette transmettent les messages, les chiens de trait tirent les canons et les charrettes, les chiens sanitaires – les plus nombreux – sont chargés de retrouver les blessés sur la ligne de Front.

Hôpital d'évacuation

Situé à une quinzaine de kilomètres du Front, il « trie et hospitalise ». Il hospitalise les malades et blessés légers dans un « dépôt d'éclopés » et évacue les cas plus sérieux vers les hôpitaux de l'arrière.

Gare régulatrice

L'évacuation se réalise le plus souvent au moyen de trains permanents, improvisés ou partagés avec les rames des voyageurs ordinaires. Mais la route et la mer sont également employées.

Les gares régulatrices aiguillent les trains sanitaires et stockent le matériel médical.

Saint-Brieuc

Gares de répartition et infirmeries de gare

Les gares de répartition desservent les hôpitaux de l'intérieur.

Les infirmeries de gare sont confiées à la Société de secours aux blessés militaires et sont chargées de l'alimentation des blessés.

Hôpitaux temporaires et centres hospitaliers de l'armée :

Hôpitaux complémentaires

Ils dépendent directement de l'autorité militaire et emploient du personnel militaire.

Hôpitaux auxiliaires

Ils sont créés par les sociétés d'assistance aux blessés et malades militaires, principalement les 3 sections de la Croix-Rouge française (Société de secours aux blessés militaires ; Union des femmes de France ; association des dames de France).

Hôpitaux bénévoles

Ils sont créés par des institutions privées ou publiques ou même des particuliers.

Hôpitaux civils et privés

Hôpitaux publics et cliniques.

Hôpitaux et hospices mixte

Les établissements civil accueillent souvent des salles réservées aux militaires.

Hôpitaux des armées alliées

Dépôts de convalescents des armées française et alliées

Dirigés par un commandant militaire, ce sont les lieux de sélection où se décident la nouvelle affectation ou la réforme du soldat. Les dépôts promeuvent la détente physique et morale.

Ce sera, par exemple, l'Abbaye de Saint-Jacut de la Mer.



La pension de famille de l’Abbaye au début du XXe siècle

Le service belge de santé aux armées

Le gouvernement belge en exil en Normandie met en place son réseau d'hôpitaux militaires.

Le service de santé de l'armée belge a été créé ex-nihilo, ou presque, dès après le déclenchement du conflit, quand les autorités conviennent de l'incurie et de l'impréparation de la Croix-Rouge belge.

Paradoxalement, la mise en place dans l'urgence d'un service de santé au sein de l'armée belge sera exemplaire, en dépit du manque de matériel, de personnel soignant et infirmier.

Le roi Albert 1er confie au chirurgien Antoine Depage, qui préside également la Croix-Rouge belge, et à son épouse Marie, le soin de réorganiser les secours aux malades et aux blessés. Les congrégations religieuses belges y collaboreront grandement, non sans susciter au passage méfiances et rivalités avec les consœurs laïques. On citera en premier lieu les sœurs hospitalières de Saint-Augustin, infirmières certes non officiellement diplômées, mais très présentes dans les hôpitaux belges qui seront finalement installés en France.



La Roi et le Dr Depage

La grande réalisation du Dr Depage sera l'hôpital de l'Océan, installé dans un hôtel à La Panne qui accueille toutes les spécialités. L'établissement fera école. Le Dr Depage encouragera également les loisirs des hospitalisés par l'organisation de concerts, pièces de théâtre, conférences. Ce dont ne se priveront pas les convalescents belges de l'Abbaye, nous allons le voir plus loin.

LE DOCTEUR DEPAGE RÉORGANISE MORTAIN

Le voyage se poursuit vers la Normandie de longues heures durant. Le train nous dépose enfin à la gare de Grandville où une voiture nous attend pour nous conduire au centre hospitalier belge de l'abbaye blanche de Mortain.

Je dors bizarrement la première nuit.

Ce calme, ce silence, je ne l'avais plus ressenti depuis près de quatre ans : pas de bruit d'armement, pas d'éclair de bombe, une sérénité totale !

On se sent vraiment dans un monastère voué à la loi du silence... Depuis les étages supérieurs de l'abbaye, je peux observer, dès le lendemain, le Mont-Saint-Michel à l'horizon (il est à environ 50 km d'ici, mais nous n'aurons jamais l'occasion de nous y rendre).

Ce centre hospitalier belge est, comme les hôpitaux de Petit Fort Philippe à Gravelines et Virval à Calais, sous l'autorité médicale du docteur Depage. Mortain (installé dès le 28 octobre 1916) était, aux dires du docteur lorsqu'il en a été nommé responsable en mars 1918, « l'exemple quasi-parfait de ce qu'un hôpital ne doit pas être ». Il y faisait sale, l'hygiène laissait à désirer et il fallait tout refaire : distribution d'eau, éclairage, cuisines, réseau d'égout...

Pas de réelle salle d'opération et aucun équipement de stérilisation !

Depage écrit ceci, en parlant de Mortain :

« Les hôpitaux de l'arrière sont dans un état lamentable qui fait honte à l'armée belge et il est temps qu'on les mette en état ».



Le Dr Depage

Il prend alors l’initiative d'y effectuer les travaux nécessaires sans l'accord du Ministère de la guerre, ni du Service de santé de l'armée. Quatre-vingts prisonniers allemands sont réquisitionnés et transportés en une nuit en camions depuis La Panne pour transformer le séminaire de Mortain en un hôpital digne de ce nom.

En moins de trois semaines, le 14 avril 1918, Depage, malgré l'opposition du directeur en place (un vieux médecin militaire de carrière), métamorphose les dépendances de l'abbaye, vire ce directeur et nomme à sa place comme médecin-chef, un de ses collaborateurs de l'Océan, le docteur Van De Velde.

A Mortain, tout a dû être transformé depuis la cuisine jusqu'aux combles ! [...] Immédiatement, le Ministre de la guerre demande des explications à Depage qui rétorque, avec sa verve habituelle :

« En période de crise, les hôpitaux, situés en Belgique étant directement menacés par l'avancée brusque de l'armée allemande sur Amiens, risquaient d'être perdus. Mortain est prêt à recevoir jusqu'à mille blessés et la Croix-Rouge n'a d'autorisation à ne demander à personne. Le ministre de la guerre n'a qu'un seul droit : celui de refuser d'envoyer des blessés dans des hôpitaux s'il juge que ces établissements n'offrent pas le confort, la propreté et la salubrité que sont en droit d'exiger des soldats victimes de la guerre. »



Transport d’un blessé du front

Le patron a toujours le dernier mot !

Extrait des Carnets du sergent Gustave Groleau

L'hospitalisation des soldats belges en compagnie de leurs alliés français révèle cependant bien vite un certain nombre de complications pratiques, tenant notamment aux différences d'habitudes alimentaires.

(Les Belges se plaignent en particulier d'une insuffisance de pommes de terre dans les menus français). De même, parfois, la coexistence avec les populations locales ne va pas de soi.

Le ministre français de la Guerre autorise finalement le gouvernement belge en exil à créer dans l'Hexagone des hôpitaux et dépôts de convalescents à administration exclusivement belge dont la direction générale est confiée à l'hôpital militaire installé dans l'Abbaye Blanche à Mortain (Manche).

La Bretagne et la Normandie comptèrent une douzaine d'établissements de ce type, certains spécialisés et notamment pour les affections nerveuses et mentales ou les sanatoria de tuberculeux, cette fois sur la côte méditerranéenne ou dans les Alpes.

Les guéris et convalescents transitaient enfin par le camp d'Auvours, près de Champegné dans la Sarthe.

L'abbaye à la veille de la guerre

Quelques demoiselles trop tranquilles...

La congrégation de l'Immaculée-Conception de Saint-Méen-le-Grand achète ce qu'il reste de l'ancien monastère bénédictin en 1875. Les sœurs y ouvrent immédiatement une école gratuite pour les jeunes filles de Saint-Jacut de la Mer et y reçoivent aussi quelques estivants l'été afin de financer l'œuvre scolaire.



St Jacut – la Communauté

Bientôt, ces derniers affluent. l'Abbaye devient ainsi pension de famille durant les mois d'été, activité interrompue en 1914. Les baigneurs sont nombreux et certains apprécient particulièrement les bains d'eau de mer qui se prennent alors dans « la maison des bains », près de la plage. Il faut y apporter l'eau de mer et la chauffer dans une grande chaudière...

L'Abbaye ce fut une école

L'école, sécularisée en 1904, doit quitter les lieux. C'est qu'entre 1901 et 1906, l'Abbaye eut à faire face aux épreuves déclenchées par les lois et décrets hostiles aux congrégations, ces textes qui privent les religieuses, notamment, du droit d'enseigner.

Toute la Communauté abandonne alors le costume religieux et seules les activités estivales continuent. Quelques sœurs s'associeront néanmoins à la scolarisation des enfants de Saint-Jacut à la nouvelle école libre Sainte-Anne, ouverte en 1905, non loin de l'Abbaye.

A partir de cette époque et jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale, la Communauté est constituée de 7 religieuses en habit séculier. Quelques-unes ont ainsi repris leur prénom d'état-civil.



La communauté dans l’entre deux guerres, mademoiselle Abily est au centre au deuxième rang

Ce sont :

  • Sœur Sainte Apolline : Marie-Anne Abily (1864-1951)
  • Sœur Sainte Marthe : Marie Besseiche (1855-1947)
  • Sœur Saint Laurent : Eugénie Kerboul (1861-1940)
  • Sœur Saint Maur : Marie-louise Gastard (1849-1929)
  • Sœur Sainte Colette : Françoise Guéguen (1865-1930)
  • Sœur Saint Léonard : Mauricette Rosee (1869-1949)
  • Sœur Saint Samson : Rosalie Désille (1882-1963)

 

Arrivée en 1904, Sœur Sainte Apolline est directrice de la Pension de famille ; elle est connue sous le nom laïc de Melle Abily. Sœur Sainte Marthe assure la cuisine depuis son arrivée en 1877. Sœur Sainte Colette, arrivée en juillet 1887, règne en maîtresse à la salle à manger.

POUR ENCORE, CE NE SONT QUE BRUITS DE... BOTTINES !!

Une jeune anglaise, en résidence à l’Abbaye dans l'entre-deux-guerres, se souvient d'une demoiselle bien chaussée :

«  Mademoiselle Abily, comme toutes les autres sœurs, portait un corsage et une jupe noirs, la jupe bien ample et jusqu'aux pieds, un chapelet et des bottines noires. J'ai bien remarqué ces bottines quand j'étais petite parce que toutes les autres sœurs portaient des pantoufles, puis des sabots pour sortir. En plus, je voyais les bottines avant elle quand elle descendait pour nous accueillir. Elles étaient boutonnées par des boutons noirs et brillants ; je pense que j'ai estimé ces bottines comme une marque de grande distinction à elle ! Malgré sa personnalité sympathique, Melle Abily dirigeait l'Abbaye bien strictement à certains égards. Et on devait obéir à ses règles. »

Si les estivants redoutaient l'inflexible Mademoiselle Abily, il en ira tout autrement des courageux mais dissipés convalescents de Belgique ...

L'Abbaye, ce fut aussi une ferme

En dehors des mois d'été, le travail ne manque pas à la petite communauté des sœurs. Sans compter l'entretien de la maison, il ya la basse-cour, la ferme, le potager et le verger, le parc... Le moment venu, la récolte de fruits est rangée soigneusement dans le « pavillon » qui se trouve à l'entrée de la propriété.

Les travaux des champs s'échelonnent au long de l'année avec l'aide de quelques ouvriers agricoles.

Ainsi, Sœur Saint Léonard, arrivée en 1893, a entre autres fonctions, de veiller sur le vin à la cave.

Le verger de l'Abbaye produit des pommes à cidre, qui sont transformées sur place.

Sœur Saint Samson est à l'Abbaye depuis 1901, spécialement préposée à la culture des fleurs et à l'entretien des parterres du parc.

Sœur Saint Laurent veille sur la basse-cour et la ferme, garde les vaches, s'occupe de la laiterie, fait le beurre.

Le travail de Sœur Saint Maur se partage entre le jardin et la cave, elle doit veiller sur les boissons. Il reste aussi à assurer la lessive, le travail de lingerie, l'entretien des chambres, bref toutes les conséquences de l'hospitalité.

Saint–Jacut–de–la–Mer en 1914



St Jacut-de-la-Mer – La plage de Rougerais à l’heure du bain

Quelques pêcheurs trop tranquilles ...

Un village à l'aube du XXe siècle

En 1914, Saint-Jacut est un petit bourg, l'Isle comme on l'appelait, une commune pauvre de 1120 habitants aux activités principalement tournées vers la mer.

L'école et l'aide aux plus démunis représentent les deux questions municipales les plus importantes, en plus de l'entretien de la fragile digue de la Banche.

L'activité économique principale du village se partage entre la pêche et l'agriculture. Cependant, de nombreux marins vont périodiquement naviguer au long cours ou à la pêche hauturière, pour ensuite acheter un bateau et se livrer alors à la pêche locale. D'autres font aussi carrière dans la Marine nationale.

Les services publics comprenaient, outre l'école et la mairie, un bureau de poste et du télégraphe, qui servira bientôt à annoncer les tragédies du front.

Il n'y avait ni médecin, encore moins de pharmacien. La vie religieuse se donne à voir dans une vieille église qui menace ruine, ainsi que dans les rues, théâtres des Fête-Dieu et autres processions.

De nouveaux venus

L'essentiel de la population se concentrait de part et d'autre de la grande rue, en rangées de maisons toutes orientées au midi. De grosses demeures construites par des notables « hors-venus » commencent à transformer le paysage traditionnel. Aux alentours du bourg historique, ces quelques constructions récentes à lucarnes, témoignaient déjà de l'apparition récente d'une nouvelle activité. La presqu'île s'ouvrait progressivement aux « bains de mer ».



Touristes anglais en 1910

D'abord à visée thérapeutique, la pratique se fit rapidement plaisir.

La capacité hôtelière se déployait entre l'Abbaye, pension de famille, l'hôtel des Dunes, l'hôtel des Bains et, en complément, la location de meublés directement auprès des particuliers.

DES NOTABLES BÂTISSEURS

Médecins en villégiature, députés, magistrats, capitaines au long cours, fonctionnaires d'Etat, avocats de Rennes, négociants de Paris constituent ces notables bâtisseurs de villas. A l'exemple de Jules Blanchet-Magon qui fit édifier la maison des Ecluses, moderne au point d'abriter un château d'eau dans ses combles, et qui inspira bientôt le pinceau du nabi Edouard Vuillard. jules Blanchet passait pour un personnage original qui introduisit notamment le cyprès de Lambert dans les parcs jaguens et mit finalement ses biens à la location. A en croire le Guide des bains de mer de 1896, la villa des Ecluses est « la mieux située, la plus confortable de la station. Panorama exceptionnel ; vaste enclos bordant la grève. Dix pièces, onze lits, eau à l'étage ; lavoir intérieur. Ecurie, remise à volonté.

S'adresser à madame Amanda Hesry, gardienne »

Un calme bouleversé

L'annonce de la déclaration de guerre, le 3 août 1914, se fit par télégraphe.



Défilé patriotique spontané le 3 août 1914

330 Jaguens de 18 à 48 ans furent mobilisés, y compris le vicaire, et la plupart dans la marine.

L'événement réveilla l'enthousiasme patriotique chez les uns, l'inquiétude chez d'autres.

Le 4 août 1914, le maire Henri Hita de Nercy regrette dans ses cahiers l'attitude « des braillards [qui] avaient fait le potin » et relève combien les « esprits sont surexcités et énervés ». Plus lucide, le secrétaire de mairie, Louis-Thomas Guillard, tombé au champ d'honneur le 29 mai 1918, consigne dans ses mémoires de guerre au moment de la nouvelle du déclenchement de la guerre : « Depuis quelques jours, je prévoyais ce malheur. [...] Certains avaient le cœur gai, d'autres au contraire, ne disaient rien, cherchaient à se consoler en buvant plus que leur habitude. »



Beaucoup de mobilisés rejoindront les rangs de la Marine

La guerre s'installe

Les pénuries de guerre frappent rapidement la presqu'île. Dès le 3 août 1914, les chevaux sont réquisitionnés, dont la jument de l'attelage du maire.

Fin août, l'autorité militaire commence à saisir une part des récoltes.

Les premiers réfugiés atteignent Saint-Jacut dès septembre, trente-cinq Belges, déjà, répartis dans les familles locales.

La population en exil augmente régulièrement tout au long du conflit.

Le bois de chauffage fait partie des produits qui manquent le plus, « même pas de quoi chauffer une soupe, ni même un petit café », note le maire. En l'absence des boulangers mobilisés, on songe à recourir aux services d'un prisonnier allemand. Mais en 1916, on manque de blé et quelques communes voisines partagent, heureusement.

Le pétrole, si utile pour les lampes, est strictement rationné.

En 1918, la municipalité met en place les cartes d'alimentation et subit encore l'afflux de réfugiés. La situation devient pathétique. « Je n'ai rien pour eux », se désole M. Hita de Nercy qui se sera constamment employé à soulager la misère des ses administrés.



Monsieur Hita de Nercy, maire de Saint-Jacut pendant la guerre

Trente-neuf Jaguens ne reviendront pas.

L'Abbaye finalement au service de l'Armée belge

L'intervention de la fondation de Broqueville permet l'ouverture d'une trentaine de lits pour des soldats belges convalescents.



La villa Nahant, à Dinard, lieu de résidence à la famille de Broqueville

Sur tout le territoire, dès la déclaration de guerre, de vastes locaux sont réquisitionnés ou mis volontairement à la disposition des services sanitaires de l'armée française. Ce sera notamment le cas à Dinard, vidé subitement de ses touristes, et dont l'immense capacité hôtelière intéresse particulièrement l'état-major.

L'Abbaye est d'abord hôpital militaire français

Du côté du boulevard des falaises, l'hôtel Royal, l'hôtel des Falaises et le Grand Casino deviennent ainsi l'hôpital complémentaire n° 28 (HC 28) doté de près de 600 lits, sans compter ses annexes : l'hôpital communal de Pleurtuit (25 lits), l'hôpital privé la Providence (40 lits) et l'Abbaye de Saint-Jacut (30 lits). Dans le même temps, l'Abbaye accueille pour la municipalité de Saint-Jacut des réfugiés des territoires du Front.

A Dinard encore, des sociétés philanthropiques s'organisent afin d'améliorer l'ordinaire des blessés. Familière de la cité balnéaire, Thérèse de Broqueville est l'épouse du fils du Premier ministre belge. Avec ses compatriotes, elle met en place une éphémère Fondation de Broqueville, encore appelée « l'Œuvre des Belges de Dinard ».

L'Abbaye devient hôpital militaire belge

La perspective de l'arrivée prochaine à l'Abbaye des Poilus suscite chez les pieuses demoiselles une certaine fièvre.



L’œuvre des Belges

Impatiente, une institutrice de l'école Sainte-Anne, Melle Hunaut, se désole auprès de Melle Abily du peu de succès de l'établissement auprès des glorieux combattants : « ... Il n'y a toujours pas de blessé à l'Abbaye ... »

(Fr. Hunaut, 30 décembre 1914).

Début 1916, un accord entre les gouvernements belge et français autorise l'ouverture d'établissements sanitaires exclusivement réservés aux convalescents belges, en raison d'habitudes de vie quelque peu différentes qui rendaient de fait délicate la cohabitation avec les alliés français.

La Fondation de Broqueville avait repéré à cette fin des locaux encore disponibles dans la région de Dinard. Ainsi, Thérèse de Broqueville convainc l'Abbaye de recevoir des blessés belges.



Thérèse de Broqueville

L'établissement devient dépôt de convalescents dès le 17 mai 1915 et jusqu'au 31 octobre 1917.

Les routines de la tranquille pension de famille en seront profondément ébranlées.

Une administration composée de jeunes gens concurrence désormais les troupes de Melle Abily.

UNE HISTOIRE DE PAIN ET DE PATATES

« ...Mais nos hommes se plaignent du régime alimentaire, non pas parce qu'il n'est pas bon mais parce qu'il est différent du nôtre...

Les Belges mangent plus que les Français, de là l’insuffisance des rations.

Le régime alimentaire est différent du nôtre [le pain des Français est fait au levain et a un goût aigre, le pain belge est fait à la levure].

Les Français consomment beaucoup de pain et peu de pommes de terre et de légumes ; de plus, les cuisiniers français ne parviennent pas à cuire à la mode belge les « précieux tubercules ».

Les Français aiment les pâtes d'Italie, macaroni et nouilles et les semoules.

Nos hommes les délaissent (..) Pour remédier à ces inconvénients et pour nourrir nos soldats blessés et malades à la manière belge, nous voudrions les voir concentrés dans quelques hôpitaux qui seraient gérés complètement par les soins des services administratifs belges. »

Extrait d'une note du ministre belge de la guerre à Justin Godard, sous-secrétaire d'Etat français au service de santé en date du 20 novembre 1915

Un bien joyeux repos, pour le combattant

La communauté de l'Abbaye doublée et dépassée

Une nouvelle administration, belge et laïque, se met en place à l'Abbaye devenue dépôt de convalescents, dès la mi-mai 1915.

Melle Abily ne régente plus que la communauté.

Car la voici doublée par un certain Cauterman,

Capitaine-Commandant, directeur de l'hôpital militaire belge de Saint-Jacut-de-la-Mer. Il ne résidait pas dans l'établissement mais avait pris ses quartiers à l'hôtel des Bains, chez M. et Mme Ruault à qui il témoignera de chaleureux remerciements. Le capitaine Cauterman était lui-même revenu blessé du front.



Le Capitaine-commandant, Cauterman

Le directeur de l'hôpital était en charge du maintien, manifestement délicat, de la discipline. Fidèle aux conseils prodigués par le Dr Depage à l'hôpital de l'Océan, l'Abbaye pratique le loisir comme accélérateur de convalescence. les soldats belges se donnent ainsi à voir sur scène, par plusieurs spectacles de théâtre et de chansons, mais aussi dans les cafés de Saint-Jacut où, semble-t-il, le cognac coule à flot.

Un aumônier arrivera l'été 1916, on pense qu'il pourra tempérer les festivités. L'établissement doit également s'adapter aux habitudes alimentaires de ces hommes d'au-delà la frontière française. Régimes et rations alimentaires sont prévus avec une extrême méticulosité au moyen de grands tableaux récapitulatifs actualisés à la main au jour le jour.

Au plan sanitaire, l'hôpital militaire belge de Saint-Jacut dépendait du grand hôpital belge installé à l'Abbaye blanche de Mortain, dans la Manche. On sait qu'un médecin-chef belge exerçait à l'Abbaye, le Dr Vermeulen, ainsi que du personnel infirmier. Sans oublier les aides-soignantes, françaises et charmantes, à en croire les souvenirs d'un convalescent.

Quelques-uns de ces soldats épouseront des jeunes femmes de Saint-Jacut et prendront ainsi souche sur la presqu'île. Mais un convalescent, Georges-Emile Broucke, décédera à l'Abbaye et sera inhumé dans un premier temps au cimetière communal. A la fin des hostilités, son corps sera transporté à Courtrai, auprès des siens.

Une coexistence pas toujours pacifique

Melle Abily, droite dans ses bottines, met l'Abbaye sur le pied de guerre

La vie commune entre religieuses et soldats convalescents constitue, outre le barrage linguistique et de possibles différences de religion, un réel choc au sein d'un établissement catholique si rodé à ses routines et tellement fier de son exemplarité.

Au-delà, c'est tout le village qui semble mis sens dessus-dessous.

L'arrivée des Belges à l'Abbaye fut un véritable bouleversement que Melle Abily, responsable de la communauté de l'Abbaye, relate à l'abbé Lemasson :



Auguste Lemasson

L'abbé Auguste lemasson (1878-1946) fut vicaire à Saint-jacut-de-la-Mer de 1911 à 1914. C'est à lui que l'on doit la création du bulletin paroissial.

En 1914, il fut mobilisé comme aumônier militaire et prit part à plusieurs offensives, dont la bataille très meurtrière de Charleroi.

Après guerre, il se retira à Lancieux où il se consacra à l'étude,  spécialement de l'histoire régionale, et à la constitution d'une bibliothèque de près de 6 000 volumes.

En vue d'assurer la conservation de ce remarquable ensemble, l'abbé Lemasson en fit don à la Ville et à la Bibliothèque de Dinan, le 10 mars 1934.

« Savez-vous que l'abbaye depuis le 15 mai se remplit de soldats belges convalescents ! Quelle transformation ! Si vous voyiez cela ! La salle à manger si propre et si coquette ! Les escaliers les couloirs ! Je dis que lorsque tout sera fini, je devrai mobiliser toutes les femmes de St-Jacut pendant une dizaine de jours pour tout nettoyer et remettre en place. On nous dit que ce sera notre contribution à la guerre ; Je crois qu'en vérité on pourra appeler cela une contribution. Pourtant nous ne pouvons pas dire que les hommes soient désagréables mais ils sont tellement paresseux et par suite sales !! »

L'avis et les inquiétudes de Melle Abily semblent partagés par les Jaguens, comme le montre cet extrait d'une lettre de Mme Coudray, institutrice à l'école Sainte Anne, qui craint, elle, un autre genre de tracasseries :



Ecole Sainte-Anne, 1912, la classe des « grandes »

« Savez-vous que l'Abbaye est transformée en hôpital militaire belge ? j'aime bien les soldats

et j'ai fait mon possible pour les secourir mais je vous avoue que je ne suis pas ravie de voir tout ce monde à Saint-Jacut et je crains bien pour mes étourdies de grandes filles qui engagent trop facilement la conversation avec le premier venu. »

(F_Coudray, St-jacut le 19 mai 1915)

Melle Abily dresse le tableau d'une Abbaye dévastée. Mais la communauté demeure néanmoins au service de ces gaillards remuants, mais braves : « Le chahut des soldats convalescents ! Oui nous avons toujours nos Belges ! Si vous étiez ici en ce moment vous entendriez le vacarme qu'ils font. C'est le dimanche soir, ils ont été dans les cabarets et donc on n'y va pas pour boire de l'eau.

Quand donc cela finira-t-il ? Ils veulent tous faire du feu dans leurs chambres : chaises, tables, échelles, nos rames de pois, tout y passe malgré nous, malgré le commandant. Ils n'ont pas beaucoup de respect de l'Autorité ... »

RAPPEL À l'ORDRE

Monsieur le Maire,

J'ai eu, hier, à faire face à une situation trouble, provenant de ce que cinq homme s'étaient enivrés. Ce matin, ayant cuvé leur boisson, ils ont avoué que moyennant finances, on leur vendait de l'alcool dons tous les débits. Un militaire, à sa rentrée, était porteur d'un litre de cognac !

Ne pensez-vous pas qu'il serait désirable de voir cesser cette vente de boissons fortes, tout ou moins dans de pareilles proportions et ce dans l'intérêt de la tranquillité de la commune que dans le but de sauvegarder la bonne réputation de mes sous ordres.

Ne pourrait-on discrètement rappeler ces débitants à une plus saine compréhension des arrêtés ?

Vous laissant juge de l'opportunité d'une intervention, je vous prie de croire, Monsieur le Maire, à ma considération très distinguée.

Courrier du Capitaine Commandant Cauterman au Maire de Saint-Jacut, le 6 juin 1916

La rotation continuelle des convalescents ne facilite pas la maîtrise des comportements et le temps se fait long : « Hier, 35 hommes sont partis mais aujourd'hui ou demain ils seront sans doute remplacés ; vous voyez c'est toujours la même chose à St-Jacut... »

 (Mlle Abily, Saint-Jacut, 30 juillet 1916)

L'espoir d'une vie plus catholique vient d'un aumônier belge tout juste arrivé à l'Abbaye : « Les belges ont maintenant un aumônier, je ne sais s'ils seront plus sages. »

(F. Hunaut, Saint-Jacut, 31 juillet 1916)

L'abbé Léon Dumoulin, puisque tel est son nom, rassure sans doute, mais rend les voies de Dieu, alors latines, encore plus impénétrables. « Nous avons en effet un aumônier pour nos bons soldats depuis 3 semaines ; il est fort aimable et je crois qu'il aura une forte influence sur les hommes. Le dimanche il dit une messe spéciale pour eux à 9 heures, les soldats y chantent ; l'Aumônier prêche en flamand ce qui va bien un peu déconcerter les Français qui y assistent et qui peut être seraient curieux de savoir ce qui est dit aux soldats!!! »

(Mlle Abily, Saint-Jacut, 11 août 1916)

L'Abbaye qui en temps de paix avait su développer ses ressources en transformant ses locaux en pension de famille, tirait maintenant ses revenus des allocations pour soigner les soldats, mais rien n'est simple et les soucis sont évidemment aussi là.

Là est tout le paradoxe : nombreux, les soldats belges inquiètent ; rares, ils manquent... « Depuis quelques mois nous avons moins d'hommes ce qui n'est pas un avantage pour la maison, car il ya des frais généraux qui sont toujours les mêmes : éclairage, chauffage... » (Melle Abily Saint-Jacut, 30 décembre 1916)

La paix revenue

L'Armistice de novembre 1918 signifie également la libération de l'Abbaye.



Les troupes allemandes en retraite

Dans sa correspondance, Melle Abily se montrait... mesurée à l'égard des convalescents de l'armée belge. Au contraire, la rédactrice de la Chronique de l'Abbaye (recension annuelle des événements marquants de la vie de l'établissement, tenue par une sœur de la Communauté) préfère taire toutes ces petites histoires. Reviennent les sempiternelles tracasseries domestiques d'une maison redevenue pension de famille.

Relecture de l'épisode de la Grande Guerre

« Mais voici que, bientôt, surgit à l'horizon le spectre menaçant de la guerre, d'une guerre mondiale ! Et le sinistre conflit éclate le 2 août 1914... »

Ainsi s'ouvre la page 1914 d'une Chronique qui considère néanmoins ces convalescents indisciplinés en héros de la grande histoire.

... 1914 : L'Abbaye ne tarde pas à évacuer ses pensionnaires, lesquels d'ailleurs, n'ont qu'un désir : rentrer chez eux le plus tôt et le plus rapidement possible... la maison reçoit d'abord un assez grand nombre de familles de réfugiés du Nord de la France, fuyant devant l'envahisseur, puis ces pauvres malheureux sont dirigés peu à peu, chez l'habitant, par les soins de la municipalité afin de mettre l'Abbaye à la disposition de l'Armée, comme Hôpital militaire temporaire. Ce sont des soldats belges qui forment le premier contingent. Des convalescents surtout qui, une fois convenablement remis, doivent reprendre le chemin du Front.

Ces militaires de l'armée belge étaient très édifiants...

Catholiques pour la plupart, ils avaient un aumônier et, chaque dimanche, ils emplissaient presque la petite église toute proche, assistant pieusement au saint sacrifice de la messe, priant et chantant de tout leur cœur.

Et cette situation dure quatre années pendant lesquelles Mademoiselle Abily et sa Communauté entourèrent ces pauvres blessés des meilleurs soins et de beaucoup de sympathie. N'étaient-ils pas les auxiliaires de nos petits soldats français dans la défense de la France contre l'envahissement et la libération de leur propre Patrie !

1918 : A la fin des hostilités, novembre 1918, et la Victoire de la France, si durement achetée par tant de victimes, l'Abbaye jaguenne reprend peu à peu sa vie normale ; mais, avant de reprendre des pensionnaires pour la saison des bains de mer, il faut d'abord procéder au nettoyage, rafraîchissement et réaménagement des locaux, refaire matelas oreillers, réviser en somme, toute la literie.

Chronique de l’Abbaye

 

L'Abbaye aura accueilli 2459 convalescents de l'armée belge. On ne déplorera qu'un seul décès, Georges-Emile Broucke, qui repose aujourd'hui à Courtrai, après avoir été d'abord inhumé au cimetière communal de Saint-Jacut.



Le général Nudant installé à la table du Kaiser, à Spa

DE LA CÔTE-D'OR AUX CÔTES-DU-NORD

Alphonse Pierre Nudant était né à Serrigny (Côte-d'Or) en 1861. Promu colonel en juin 1914, à la veille de la guerre, il prend le 2 août 1914 1es fonctions de chef d'état-major de la IV Armée.

Il est rapidement nommé général de brigade à titre temporaire, puis confirmé dans cette fonction en 1917. D'abord aide-major général, il commande ensuite la 70e Division d'Infanterie, puis le 33e et le 34e Corps d'Armée.

Il est ensuite placé à la tête du 7e Corps d'Armée.

En 1919, il est le chef de la Commission d'armistice interalliée à Spa au sein de laquelle il conduit les représentations alliées avec, à en croire Paul Desgrées du Loû, « autorité et distinction ».

Après guerre, le Général devient le voisin immédiat de l'Abbaye où sa famille avait déjà ses habitudes estivales.

Il passe toute sa retraite de soldat à Saint-Jacut.

Ce « beau vieillard aimable, dont la silhouette toujours élégante était une des gloires du petit pays » s'éteint le 17 janvier 1952 dans sa villa Marguerite...

 

 

 



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