Médecins de la Grande Guerre

Le drame d'août 1914 à Heure le Romain.

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Le drame d’Août 1914 à Heure le Romain.

point  [article]
L’intérieur de l’église d’Heure le Romain juste avant la guerre. (Collection Flore L’Hoest)

L’harmonie d’Heure le Romain, sous le patronage de Monsieur le curé François Janssen, peu avant le conflit. (Collection Flore L’Hoest)

En 1995, Madame Ermine Stockis 90 ans, un des témoins des atrocités de 1914. (Collection Jeannine Lavet)

En 2001, Madame Yvonne Troquet 98 ans, un des témoins des atrocités de 1914. (Collection Myriam Daniels)

Le curé François Janssen qui subit sévices et brutalités avant d’être fusillé. (Collection de l’Eglise d’Heure le Romain)

Antoine Léonard, le frère du bourgmestre, qui subit sévices et brutalités avant d’être fusillé. (Collection J. Jamar)

A la pieuse et vénérée mémoire de Monsieur l’abbé François Janssen. (Collection Flore L’Hoest)

La prière se trouvant au verso du souvenir mortuaire. (Collection Flore L’Hoest)

L’église d’Heure le Romain avec sa rampe.

La chapelle où repose Antoine Léonard fusillé à la place de son frère. (photo F. De Look)

« La Jambe de Bois », une rue d’Heure le Romain, où l’on voit derrière les maisons une carrière d’extraction de craie.

Ermine est âgée de 9 ans en 1914. (Collection Jeannine Lavet)

Cette poupée a été offerte, par l’école de Paisley, à Ermine en 1915. (Collection Jeannine Lavet, photo de F. De Look)

Le bulletin scolaire d’Ermine Stockis à l’école de Paisley en Ecosse, année scolaire 1915 – 16. (Collection Jeannine Lavet)

Le bulletin scolaire d’Ermine Stockis à l’école de Paisley en Ecosse, année scolaire 1916 – 17. (Collection Jeannine Lavet)

Le bulletin scolaire d’Ermine Stockis à l’école de Paisley en Ecosse, année scolaire 1917 – 18. (Collection Jeannine Lavet)

Une vue de Paisley. (Collection Jeannine Lavet)

Correspondance échangée à l’époque. (Collection Jeannine Lavet)

Correspondance échangée à l’époque. (Collection Jeannine Lavet)

Correspondance échangée à l’époque. (Collection Jeannine Lavet)

Correspondance échangée à l’époque. (Collection Jeannine Lavet)

Correspondance échangée à l’époque. (Collection Jeannine Lavet)

Correspondance échangée à l’époque. (Collection Jeannine Lavet)

Armistice de 1979. Dépôt de fleurs par l’échevin Abel Kénis.

Armistice de 1979. Discours du président Robert Bodson.

Armistice de 1979. Photo de groupe devant l’entrée de l’administration communale.


Le monument aux morts de la commune d’Heure le Romain. (Photo F. De Look)

Les noms des victimes d’Heure le Romain. (Photo F. De Look)

Les noms des victimes d’Heure le Romain. (Photo F. De Look)

Commémoration de l’armistice 2005 à Heure le Romain. (Photo F. De Look)

Jean Wauters, combattant 1914-1918, d’Heure le Romain.

Jean Radoux, combattant 1914-1918, d’Heure le Romain.

Jacques Frenay, combattant 1914-1918, d’Heure le Romain.

Le soldat de gauche est Henri Frère d'Heure le Romain. (collection Lily Bodson)

A l’occasion du 90ème anniversaire de l’envahissement de la Belgique par l’Allemagne, Jean-Marie Defraigne du Cercle culturel « lès Crôy’tîs[1] d’Heure le Romain » raconte :

Le drame d’Août 1914 à Heure le Romain.

   Ce mois d’août 2004, un triste anniversaire passa pratiquement inaperçu pour la population de notre village. Il s’agissait bien sûr des événements du mois d’août 1914 qui terrorisèrent et endeuillèrent de nombreuses familles de chez nous. Aussi, nous nous devions d’évoquer cette période dramatique pour rendre témoignage à la mémoire de nos martyrs dont certains descendants sont toujours parmi nous.

   Nous nous limiterons dans cette évocation à ce qui s’est réellement produit dans le cadre de notre village. Grâce aux dépositions écrites, recueillies par M. Bertho, instituteur à l’époque, et aux témoignages précis de Mmes Ermine Stockis et Yvonne Troquet, respectivement 9 et 13 ans à l’époque des faits et qui, presque centenaires l’une et l’autre, en tremblaient encore ; grâce à ces éléments, nous pouvons relater assez fidèlement le drame d’août 1914 à Heure le Romain.

   Les troupes allemandes qui pénétrèrent le 4 août à l’aube dans notre pays par la région de visé, furent accueillies par le feu nourri des éléments de notre armée les empêchant de franchir la Meuse. Nos soldats étaient aidés dans cette lourde tâche par les redoutables forts de Barchon et de Pontisse qui tinrent en échec pendant plusieurs jours toute une division ennemie en lui infligeant de lourdes pertes. Or, les Allemands, convaincus par leurs chefs que notre Armée n’était constituée que de « paysans illettrés » sans grands moyens, et que la conquête ressemblerait plus à une promenade de santé qu’à une véritable guerre, furent donc très surpris de rencontrer une résistance acharnée et très vite utilisèrent l’arme des lâches ; se venger sur les populations civiles, innocentes et sans défense. Les officiers qui commandaient ces troupes de soudards n’intervenaient que mollement, voire même encourageaient discrètement ces atrocités.

   Nous sommes donc à Heure le Romain, le dimanche 16 août 1914. Vers cinq heures du matin, la population est brutalement sortie d’un mauvais sommeil par une compagnie de Teutons de la 93ème d’infanterie qui, sous le prétexte que des « francs-tireurs » se cachent dans les maisons, en expulsent brutalement les habitants. Ceux qui tentent de s’échapper par les ruelles, nombreuses à cette époque, sont abattus ou massacrés à la baïonnette, même le petit Jean Borguet (3 ans), tenant sa mère par la main, n’est pas épargné[2]. Rassemblée ensuite dans les rues, la population est dirigée vers l’église, le triste cortège est encadré par des soldats armés de longues baïonnettes luisantes. Certains sont ivres et n’écoutent plus qu’eux-mêmes, les gestes menaçants se multiplient tout au long du trajet. Lors de leur entrée dans l’édifice, les malheureux constatent la présence dans le parvis d’une lourde mitrailleuse, chargée et braquée sur la nef centrale.

L’assistance est constituée principalement de femmes, de personnes âgées et de nombreux enfants dont nos deux fillettes, témoins des faits. Les hommes en âge de combattre sont soit mobilisés, soit occupés à rejoindre l’armée par la Hollande qui a pu préserver sa neutralité et dont la frontière est toujours ouverte.

   Dans l’église encombrée, on s’installe tant bien que mal, on se groupe par familles, les mères serrant les plus jeunes dans leurs bras ; les heures passent dans un silence inquiétant, interdit de parler, de se déplacer…Chacun prie silencieusement dans sa détresse, en ce dimanche sans messe et sans pasteur.

   Il se produit alors un fait qui restera gravé à jamais dans la mémoire collective : l’intervention énergique du Curé François Janssens et d’Antoine Léonard, qui représente son frère le Bourgmestre, malade. Quand ils comprennent ce qui se prépare, ils s’interposent énergiquement, l’abbé Janssens, originaire du Limbourg, comprend et se débrouille en allemand, il parlemente et proteste contre le sort prévu pour les paroissiens et son église. Un moment surpris, les bourreaux paraissent fléchir, puis, réagissant brutalement, traînent les deux hommes dehors, on entend leurs cris tout au long de la rampe d’accès qui longeait le mur du cimetière à l’époque. Après avoir subi sévices et brutalités, des coups de feu claquent, les deux martyrs s’écroulent…on ne retrouva la dépouille affreusement mutilée de l’abbé François Janssens, que plusieurs jours plus tard, hâtivement enfouie dans un trou de la prairie Souris actuellement Wéra. Quel merveilleux témoignage de courage et de générosité ils nous ont laissé !

   A l’intérieur de l’église, la panique et le tumulte s’installent, aussitôt réprimés par un grand sous-officier roux qui donne l’ordre de pointer la mitrailleuse sur la foule…Comme l’atmosphère et la chaleur deviennent vite insupportables – le mois d’août 1914 est particulièrement chaud – les soudards fracassent le bas des vitraux à coups de crosse, permettant ainsi le passage de l’air, mais aussitôt une inquiétude se transmet, incontrôlable, encore renforcée quand des hommes réquisitionnés et encadrés répandent une épaisse couche de paille sur le dallage de l’église. Une rumeur se propage instantanément : « après le mitraillage, on boutera le feu à l’église ». Certaines de ces brutes, faussement attendries par les enfants, vont jusqu’à les rassurer, en faisant le geste : « pour bien dormir ». Mais personne n’est dupe, on s’attend à mourir de façon atroce. Le manque d’eau et de nourriture commencent à se faire sentir, mais aussi le manque de toilettes ; un « petit coin » est improvisé près des fonts baptismaux, heureusement la paille arrange bien les choses…mais beaucoup se contiennent, ce qui entraîne malaises et vomissements. Puis la peur, la faim et les sanglots ont raison de la résistance de ces malheureux ; quelques enfants s’étendent même dans la paille pour s’assoupir un instant et tout oublier. Le soir, deux soldats présentent un seau d’une mauvaise soupe brûlante, personne n’y touche, on craint l’empoisonnement…ce qui grandit encore la colère des gardiens. La nuit se traîne interminable et angoissante, par les fenêtres éventrées, on entend des chants d’ivrognes et des coups de feu. Peu parviennent à somnoler, aux abois, assis inconfortablement sur leur banc.

   Vers 7 heures du matin, ne voyant aucun mouvement du côté du parvis (la mitrailleuse ayant été enlevée), un téméraire s’enhardit à gagner prudemment la sortie, plus de monstres en vue, la voie est libre, mon Dieu est-ce possible ? Une rumeur provenant du village, fait comprendre à chacun que les mains noires des assassins sont à présent occupées à piller et à saccager toutes les habitations avant d’y mettre le feu, déjà des colonnes de fumée s’élèvent ça et là. La mort dans l’âme, mais profitant de cette diversion providentielle, la foule pitoyable gagne les campagnes toutes proches, en évitant chemins et sentiers, pour s’y cacher. Certains erreront dans les champs et les bosquets durant deux jours, d’autres gagneront la Hollande toute proche, après un regard pathétique jeté des hauteurs des « macrales[3] » sur la cuvette du village d’où s’élève la fumée noire des incendies. Mais Visé et les autres villages de la Basse-Meuse brûlent également, c’est donc perdus dans une masse de réfugiés, les larmes aux yeux et la rage au cœur, que nos villageois feront leur entrée à Maastricht. Quelques-uns d’entre eux ont cependant eu le réflexe d’emporter dans leurs vêtements argent et bijoux, aussi, sans s’attarder, ils gagneront Rotterdam et s’embarqueront pour l’Angleterre…Ils ne reviendront qu’à regret cinq ans plus tard, en 1919, ce fut le cas d’Ermine Stockis qui, scolarisée en langue anglaise et parfaitement intégrée, dut reprendre courageusement à 14 ans l’apprentissage de sa langue maternelle…dans un village toujours en ruines.

   Durant ces terribles journées d’août 1914, on releva vingt-sept tués, tous parfaitement innocents, on dénombra plusieurs dizaines de blessés dont certains resteront impotents. Et puis le village était ruiné, toutes les habitations avaient été pillées et saccagées, 84 maisons incendiées et les trois-quarts des habitants avaient fui. Combien parmi les plus jeunes savent encore aujourd’hui ce que représentent les noms des rues François Janssens et Antoine Léonard, ces véritables héros !

   A présent à l’heure européenne, pour certains il n’est plus très indiqué de ressusciter ce passé déjà lointain, or plus jamais ça ! avait dit la « Société des Nations » (SDN) créée en 1920. On sait hélas ce qu’il est advenu, une seconde guerre nous frappait à nouveau vingt ans plus tard, plus épouvantable encore que la première parce que doublée d’un génocide à l’encontre de certains groupes humains. Et on peut poursuivre en rappelant les guerres fratricides et génocidaires : Cambodge, Yougoslovie, Ruanda…et cela malgré la présence de troupes et d’observateurs de l’ONU (Organisation des Nations Unies), autre idée courageuse des citoyens du monde pour contrer la haine et la guerre. Il est donc très important pour les jeunes de se rappeler sans cesse que la paix se construit tous les jours par la culture de la mémoire et l’exercice de la démocratie, celui-ci commençant d’abord modestement par…le devoir électoral, beaucoup sont morts pour que nous puissions l’accomplir. Et si l’on veut relativiser les errements de l’Histoire, par contre on ne pourra jamais oublier les multitudes de victimes qu’Elle a provoquées.   

[1]  Crôy'tîs : terme wallon désignant les travailleurs occupés à l'extraction de la craie ( la marne abonde dans le sous-sol de Heure le Romain ) et dès 1700, l'appellation fut étendue à tous les habitants du village.

[2]  Il survivra cependant, touché gravement au bras et perdant beaucoup de sang, il est sauvé paradoxalement par …ses bourreaux qui fournissent au malheureux père dont l’épouse vient d’agoniser, des pansements et de la gaze. Quelques instants plus tard, le petit Jean est transporté à l’hôpital de Herstal par …une voiture allemande.

[3]  Macrales : mot wallon signifiant sorcières , le lieu-dit évoqué dans le texte désigne aussi l'endroit où selon la légende, se réunissaient les sorcières pour leur « sabbat.  »






Un document exceptionnel à été confié, par deux personnes d'Heure le Romain, à la « Maison du Souvenir » Monsieur Jean-Marie Defraigne pour la 1ère partie et Madame Louise Bodson pour la 2ème et 3ème partie. Il s’agit d’un travail pédagogique effectué par l’équipe éducative de l’école communale d’Heure le Romain pour une conférence pédagogique en 1920.

 

 

Historique de la commune d’Heure-le-Romain

Travail préparatoire conférence pédagogique 1920

1ère partie

            Depuis la conquête de notre indépendance en 1830, trois générations avaient vécu dans la paix et la prospérité. Notre confiance en la foi des traités s’était affermie et à la nouvelle de la, déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, on espérait encore que la neutralité de la Belgique serait respectée comme elle l’avait été en 1870. Aussi, la consternation fut générale lorsque le 4 août 1914, on apprit que la Belgique allait être entraînée dans cette guerre qui s’annonçait comme la plus formidable de l’Histoire.

            Dès le 1er août, l’administration communale fait placarder un avis invitant les habitants à ne pas manifester des sympathies ou des antipathies pour l’un ou l’autre de nos voisins.  Le 3 août, elle invite la population à ne pas s’alarmer et deux groupes d’administrateurs, M. Léonard, M. Gehasse et Peters d’une part, M. Bertho, M. Delwaide et M. Jackers ( ?) de l’autre, réquisitionnent pour l’armée belge. Et le 5 août, un télégramme de M. le Gouverneur annonce que l’état de siège est proclamé pour toute la province.

            Déjà, le matin du 4 août, des lanciers de l’armée belge en patrouille passent au galop devant l’école ; ils se rendent à la frontière du côté de Lanaeken où les Allemands pénètrent dans notre pays. Leurs chevaux sont ensanglantés, ils les font soigner chez le médecin vétérinaire de la commune. Un de ces braves, surpris du rire intempestif et déplacé d’une vieille demoiselle ignorante des choses les plus graves, la regarda, lui dit : « Riez, riez, Madame, vous ne rirez plus dans quelques jours ! » Hélas, ce fut vrai deux jours plus tard ! Le village entier apprenait la nouvelle possible du massacre des civils de Hermée. Dans l’après-midi du même jour, on aperçoit sur la route de Visé un escadron d’uhlans envoyés en éclaireurs. M. Bertho les suivit à vélo jusqu’à Fexhe-Slins. Partout on les prenait pour des Anglais. Ceux qui tâchaient de démontrer à la foule que ces casques à pointe n’étaient que des Germains étaient taxés d’ignorance. Que voulaient-ils ? Reconnaître l’endroit exact de nos forts ? Le soir, vers 20 h 30, l’armée allemande traverse la commune pour attaquer le fort de Pontisse. Ils viennent par la route de Visé à Tongres, par les Macrales. Leurs chevaux sont bottés, sans doute pour assourdir le bruit de leur passage. Les chefs révolver au poing, ils poussent devant eux les quelques personnes qui n’ont pas eu le temps de rentrer chez elles, ils obligent un vieillard de 80 ans à les conduire à Hermée. Les forts de Pontisse et de Liers fouillent l’obscurité de leur phare électrique. Comme à l’approche de l’orage, le calme se fait dans la nature ; ainsi dans ce moment d’attente anxieuse, le moindre bruit avait cessé. Vers minuit, on entend une fusillade terrible et le « tac-tac » des mitrailleuses dans la campagne de Hermée, le canon tonne. Comme des poussins cachés sous l’aile maternelle à l’approche de l’épervier, la famille se tenait serrée dans la cave ou la cuisine autour des chefs de la famille. L’Allemand était là, tout était à craindre.

            Le lendemain, on apprend que les troupes allemandes ont beaucoup de blessés et qu’ils ont tué 11 civils de Hermée.

            Les jours suivants, les habitants de Hermée pris de panique arrivent à Heure et viennent loger, quelques-uns à l’école, d’autres chez des connaissances de la commune.

            A partir du 10 août, les troupes allemandes passent sans discontinuer sur la route de Tongres à Visé, de 3 h de l’après-midi jusqu’une heure du matin. D’autres troupes venant d’Oupeye traversent la commune ; les officiers obligent les habitants à leur porter de l’eau et, de crainte que les sources soient empoisonnées, ils forcent les porteurs à boire avant eux. Le pays est réellement inondé d’Allemands, ils sont paisibles dans la commune, cependant les atrocités qu’ils ont commises dans les autres villages mettent les habitants en défiance.

            Le 15 août dans l’après-midi, un roulement de tambour nous annonce que les troupes allemandes cantonnent à Heure. Vers 3 heures, un soldat, revolver au poing, pénètre dans les habitations et demande dans un mauvais français : « Avez-vous des armes ? » Et sans attendre de réponse, il visite les maisons jusqu’au grenier, retient les chambres pour les officiers et de la place pour les soldats. Ceux-ci arrivent bientôt, ils s’installent partout en maîtres grossiers, certains dans la classe des filles, d’autres prennent place dans la classe des garçons. Monsieur Biertho étant absent, ils s’introduisent dans sa demeure et s’emparent de tout ce qui leur convient, brisent le mobilier, compulsent les papiers et les éparpillent. Partout, ils occupent les lits des membres de la famille et ceux-ci peuvent passer la nuit sur leur chaise alors que depuis 10 jours déjà, on logeait dans les caves et que l’on était harassé de fatigue. Vers 9 h ¼, sur les paroles rassurantes du lieutenant qui logeait chez nous, nous nous mettons au lit. Vers 10 heures, quelques coups d’armes à feu sont tirés dans la classe des filles ; la sentinelle postée dans la cour de devant crie : « Wer is da ? » Immédiatement après, on entend un vacarme épouvantable, ce sont les soldats cantonnés dans les classes qui se rallient à l’appel du tambour ; ils partent au pas de course, se dirigeant du côté de l’église. Quelques instants après, une terrible fusillade éclate dans tous les coins du village. Ils brisent les vitres des maisons, tirent sans pitié comme on le verra plus loin d’après les témoignages de personnes dignes de foi, fusillent deux femmes qui les regardent par la lucarne de leur grenier, poursuivent l’avocat Delwaide, qui ne leur échappe qu’en se sauvant sur le toit de la ferme voisine. Des soldats en furie commandent aux habitants d’éclairer les fenêtres de leur maison.

            Le lendemain matin, vers 6 h 30, hommes, femmes, vieillards, enfants, infirmes, doivent se rendre à l’église à l’entrée de laquelle deux mitrailleuses étaient installées.

            Dans la journée, un de leurs chefs vient nous dire que nous aurions la vie sauve mais qu’ils avaient pris comme otages pour se garantir contre les prétendus attentats des civils. Monsieur l’abbé Janssens, le dévoué curé de la paroisse et Monsieur Léonard, bourgmestre. Nous restons enfermés dans l’église pendant 24 heures ; les soldats brisent les vitres pour renouveler l’air ; ils nous apportent de l’eau et de la nourriture qu’ils prennent dans nos maisons dont ils sont les maîtres.

            Après avoir fusillé aux abords de l’église, Monsieur le curé et Monsieur Antoine Léonard qui s’est substitué à son frère, ils incendient les fermes Delwaide et Souris. Nous voyons les flammes par les fenêtres et nous nous demandons avec effroi si le feu ne se communiquera pas à l’église. Vers 6 h 30 du matin, les mitrailleuses placées à l’entrée de l’église sont enlevées ; nous avons pu sortir et rentrer chez nous où tout avait été saccagé et pillé ! L’armée est partie, bien des personnes alors cherchent à quitter la commune mais peu réussissent car de toutes parts on annonce le passage des troupes allemandes et la terreur qu’elles inspirent est si grande que beaucoup rebroussent chemin et rentrent dans les maisons à l’écart de leur passage.

            Le 18 août, un détachement de soldats allemands (de véritables bêtes féroces) venant d’Oupeye met le village à feu et à sang. On compte en tout 84 bâtiments incendiés et 26 personnes tuées parmi lesquelles des enfants de 15 et 11 ans, de 9 et 3 mois ainsi qu’un vieillard impotent qui fut brûlé vif dans une maison incendiée.

Deuxième partie : l’Occupation

            A la ruée allemande succéda un calme effroyable. Notre malheureux village tout meurtri restait aux trois quarts vide de sa population. Des rues entières étaient désertes, d’autres bordées de ruines fumantes évoquant tristement les torrents de sang versé par les hordes sauvages, les ruisseaux de larmes répandues et les chères espérances anéanties en quelques heures.

            Dans le cimetière, des tombes le nombre s’était accru et les croix mortuaires rigides se dressaient les bras tendus. Vingt-sept victimes, dont nous avons la certitude morale absolue et leur innocence avaient succombé sous l’étreinte sanguinaire de l’aigle teuton ; en voici la liste complète en suivant l’ordre chronologique des faits.

 

Civils morts

  1. Janssen François, curé de la paroisse, 47 ans
  2. Léonard Antoine, rentier, frère du bourgmestre
  3. Verjus-Neufcourt Hadelin, Joseph
  4. Verjus-Hardy Jean Joseph
  5. Verjus-Bertholet François-Joseph, fils du précédent
  6. Henry Ernest, Joseph, 17 ans
  7. Brunne Anne-Joseph, épouse de J.-F. Delfontaine
  8. Poncelet Marie-Elise, épouse de J. Westphall
  9. Valoir Joseph, époux de A.-M. Verjus, 72 ans
  10. Britte Joseph Emile, fils de Britte Alexandre, 15 ans
  11. Malpas Henri L. célibataire
  12. Pousset Jean, époux de M. Tasset
  13. Pousset Jean-Eustache, 23 ans, fils du précédent
  14. Frère Gérard, époux de M. Colson, 71 ans
  15. Frère J. Henri-Joseph, 32 ans, fils du précédent
  16. Dozin Marie, Catherine, épouse de J. Spelte, 63 ans
  17. Frère Jean-François et
  18. Lhoest Marie, son épouse
  19. Simenon Marie, épouse de Louis Borguet
  20. Tasset Jean-Philippe, fils de Tasset-Bosch
  21. Chapelier A. M. D. son épouse
  22. Tasset Jean, leur enfant, 3 mois
  23. Frénay Jean, Alexandre, 11 ans, fils de Frénay-Onclin
  24. Rossay dit Rousseau, Jean-Jacques
  25. Lhoest Anne-Marie, son épouse
  26. Hoho Paul-Joseph, 9 mois
  27. Gaty Pierre, infirme, 67 ans, brûlé vif.

 

Soldats qui ont contribué à la défense du pays

            L’Allemand souillait notre sol natal, répandant dans le monde entier par la voix des journaux les mensonges diaboliques des yeux crevés, des francs-tireurs et autres vilenies inventées pour donner un semblant de justification à son agressions scandaleuse.

            Les vaillants défenseurs de Liège avaient dû céder sous le nombre. Ils reculaient, mais pas à pas, harcelant l’hydre aux serres germaines.

            Le manque de communication, l’arrêt de la publication des journaux n’empêchaient pas les bruits des faits d’armes de nos soldats d’arriver jusqu’à nous.

            Notre pensée suivait les enfants de la commune dans leur retraite sur Anvers et l’Yser.

            Nous citerons ici tous ceux qui, le cœur plein de vaillance, contribuèrent à la défense du pays et revinrent aux jours de la victoire, passer sous les arcs de triomphe dressés en leur honneur.

  1. Antoine Jacques, interné en Hollande après la prise d’Anvers
  2. Bodson Louis, interné en Allemagne après la prise du fort de Pontisse
  3. Britte Pierre, interné en Allemagne après la prise du fort de Hollogne
  4. Bertho Jean, au 3ème Régiment de Ligne de 1915 à 1918
  5. Bertho Nicolas, interné en Allemagne après la prise du fort de Pontisse
  6. Bertho Marcel, au 3ème Régiment d’artillerie lourde de 1915 à 1918
  7. Bonhomme Achille, de 1914 à 1918, a combattu en Russie
  8. Bonhomme Joseph, blessé lors de l’offensive de 1918 à Morsleed. Invalide
  9. Borianne Guillaume, interné en Hollande après la prise d’Anvers
  10. Colson Michel, chauffeur d’auto à Port Villez
  11. Colleye Henri, interné en Hollande après la prise d’Anvers
  12. Charpentier Henri, artilleur de forteresse, proposé pour la réforme
  13. Gilles Henri, mitrailleur de 1914 à 1918
  14. Delissé Joseph, interné en Allemagne après la prise du fort de Boncelles
  15. Dehan Gérard, 1915 à 1918, Yser
  16. Delwaide Henri, volontaire de 1916 à 1918 ; a passé les fils
  17. Delincé Laurent, interné en Allemagne après la prise du fort de Pontisse
  18. Frère Denis, interné en Allemagne, voir cas particulier
  19. Frénay Nicolas, 1915 à 1918, 13ème Régiment de Ligne
  20. Hubens Lambert, interné en Allemagne
  21. Gehasse Jules, 1915 à 1918, troupes d’administration
  22. Keyeux Joseph, 1914 à 1918, campagne de Russie
  23. Liesen Corneille, interné en Allemagne
  24. Mordant Jacques, 1914 Yser, proposé pour la réforme
  25. Nélissen Mathieu, interné en Allemagne
  26. Navette Louis, 1916 à 1918, volontaire
  27. Neufcourt François, 1916 à 1918, service de santé
  28. Pâques Hubert, décembre 1914 à 1918, blessé
  29. Palmaers Arnold, interné en Allemagne
  30. Spelte Toussaint, interné en Hollande après la prise d’Anvers
  31. Stokis Jacques, novembre 1914, volontaire
  32. Stokis François, novembre 1914, volontaire
  33. Stokis Théophile, volontaire, a passé les fils
  34. Scaff Nicolas, troupes d’administration de 1915 à 1918
  35. Thonet Jacques, interné en Hollande après la prise d’Anvers
  36. Verjus Oscar, de 1914 à 1918
  37. Wauters Jean, de 1914 à 1918
  38. Botty Pierre, civil militarisé
  39. Verjus Joseph, civil militarisé

      A la liste de ceux qui revinrent, il en est une malheureusement qui doit ici trouver une place plus grande encore. Nous voulons parler des braves gars partis ayant au cœur une espérance, celle de revoir le toit familial. Leur espoir fut déçu, la terrible mitraille un jour les a fauchés là-bas dans la tourmente.

            Oui, héros sans peur, avant de clore vos paupières, vous revîtes en esprit près du foyer lointain une mère anxieuse, un père résigné, des frères, des sœurs ayant sur leurs lèvres votre nom vénéré. Ils ont attendu en vain votre retour.

            Vous êtes morts pour nous, vous êtes morts en braves. Votre sang fut versé pour briser nos entraves. Toujours nos cœurs vous seront reconnaissants. Nous ferons au village revivre votre mémoire. Nous graverons vos noms aux frontispices de nos monuments.

 

Soldats morts pour la patrie

  1. François Hardy, né le 12 juillet 1895, tombé le 20 septembre 1917
  2. Pierre-Joseph Tasset, né le 11 février 1894, tombé le 29 septembre 1918
  3. Jean Spelte, né le 29 juin 1898, tombé le 15 octobre 1918
  4. Jean-François Philippet, né le 25 novembre 1892, tombé le 3 novembre 1918
  5. J. Coenegracht, né le 23 août 1893, disparu au fort Sainte Catherine en septembre 1914
  6. Henri Verdin, né le 8 novembre 1892.

 

Aventures des soldats et des prisonniers

            A part quelques cas traités plus loin et se rapportant au passage des fils, nos soldats et prisonniers n’ont guère eu d’aventures extraordinaires.

            Nous savons tous que leur vie au front était toute d’héroïsme et d’abnégation. Ils couraient tous les mêmes dangers.

            Nos prisonniers en Allemagne furent tous très mal nourris et très mal logés. Joseph Delissé revint atteint de tuberculose et mourut le 15 novembre 1919. Pierre Britte souffrant de rhumatisme aigu dut garder longtemps le lit.

            Un seul cas pourrait être signalé, c’est celui de Frère Denis mitrailleur au 12ème de Ligne. Il fut blessé le 5 août 1914 près du fort de Boncelles et transporté à Bruxelles où il fut fait prisonnier le 20 août. Il s’évada en 1915, revint dans la commune et y resta plusieurs mois. L’administration communale ayant reçu l’ordre de l’autorité occupante de signaler les soldats belges habitant la commune prévint Frère Denis et lui communiqua l’ordre reçu. Il se détermina à se rendre de nouveau et fut conduit en Allemagne à Sennelager. Il dut forcément travailler à la culture, puis à titre de représailles pour prétendu sabotage, les Allemands l’employèrent dans une mine.

 

Moyens de coercition de l’occupant

            Pendant l’occupation, l’ennemi ne cessa de vexer la population par ses mesures restrictives et prohibitives. L’emploi des différents produits de l’agriculture, du commerce et de l’industrie était déterminé par des arrêtés qui menaçaient les contrevenants de peines de prison et d’amendes considérables. De là, multiples condamnations infligées aux fermiers et aux personnes qui ne suivaient pas les prescriptions édictées par le pouvoir occupant. Ces condamnations se chiffraient par des milliers de marks, car il apparaissait clairement que l’ennemi visait surtout à s’approprier beaucoup de marks là où il savait qu’il y en avait.

            Dès 1916, les jeunes gens âgés de 20 à 30 ans furent contraints à passer une fois par mois devant une commission de contrôle, dont le but était d’empêcher ces hommes de passer la frontière pour rejoindre l’armée belge. Plus tard, cette mesure fut étendue aux hommes de 17 à 40 ans.

            En 1917, le bourgmestre fut requis de fournir à l’autorité occupante la liste des chômeurs, mais le comité de secours et d’alimentation refusa de fournir cette liste, ce qui eut pour résultat qu’aucun des chômeurs d’Heure-le-Romain ne fut emmené en Allemagne.

            Plus tard, devant les protestations indignées du monde civilisé, les Allemands cessèrent de déporter en Allemagne les chômeurs belges. Néanmoins, tous les hommes âgés de 17 à 55 ans durent passer devant une commission spéciale qui avait pour but de dénombrer les chômeurs véritables.

            A partir de 1916, les cartes d’identité furent de rigueur et tous ceux qui étaient trouvés non munis de ces cartes étaient punis.

            En 1918, un passeport était nécessaire pour aller dans un autre arrondissement.

            Les Allemands réquisitionnèrent le cuivre dans toutes les maisons. Ils n’en trouvèrent pas beaucoup, on avait eu le temps de le cacher.

 

Affiches

Une des caractéristiques du régime d’occupation fut l’abondance des affiches placardées dans toutes les localités. Il est vrai que l’autorité occupante n’avait pour ainsi dire que ce moyen de correspondre avec la population belge. Malgré ce renouvellement continu d’affiches, malgré les mois et les années de prison qu’elles promettaient aux contrevenants, malgré les milliers de marks qu’elles enviaient aux bourses belges, ces affiches étaient peu lues. Bien des habitants n’en connaissaient le contenu que lorsque les soldats allemands entraient chez eux pour réquisitionner.

Qui a pu lire sans indignation ces affiches aux ouvriers et aux chômeurs qui étaient somme toute des appels à la trahison ? Hélas ! quelques ouvriers, alléchés par l’appât de gros salaires et d’autres privilèges, lassés des privations trop longues et trop dures, allèrent enn petit nombre travailler en Allemagne et à la ligne internationale.

 Fin 1914 et en 1915, apparurent ces longues affiches rédigées en trois langues (en allemand, en flamand et en français) qui célébrèrent les succès des armées allemandes, dénigrèrent les alliés, annoncèrent et justifièrent les condamnations à mort d’Edith Cavell et de ces ardents patriotes qui tombèrent sous les balles allemandes. Ces ignobles affiches signées « Freiherr von Rissing » n’avaient d’éloges que pour tout ce qui était allemand.

Dès le début de l’occupation, on vit placardées partout ces menaces de mort ou de peines d’emprisonnement de 10, 15 ou 20 ans de travaux forcés, à l’adresse de quiconque oserait attenter à la sécurité des troupes allemandes, de quiconque aurait lancé ou fait circuler de faux bruits sur de prétendues victoires des alliés.

Dès 1916 parurent les arrêtés concernant la saisi des objets en cuivre, étain, nickel, laiton, bronze, la saisie et le relevé des bandages pneumatiques de bicyclettes, la saisie des laines, des troncs d’ormes, de frênes et de peupliers, du tabac, de certains chiens, de l’orge, de l’escourgeon, de l’avoine, des pommes de terre, etc. On vit également une multitude d’affiches réglementant le commerce de certains produits, fixant les prix maxima du beurre, des céréales, etc.

 

Arrêt de l’industrie.

Beaucoup d’ouvriers d’Heure-le-Romain étaient armuriers lors de la déclaration de guerre. Tous ces hommes durent chômer pendant l’occupation ou vaquer à d’autres travaux.

 

Déportations

La commune compta deux déportés : Jacques Frénay et Henri Bourse.

Jacques Frénay, né le 25 mai 1901, était garçon de courses à l’hôtel Michaux à Visé. Il fut déporté en Allemagne avec les habitants de Visé le 18 août 1914. Emmenées dans des wagons à bestiaux, ces personnes durent descendre en cours de route. Les Allemands les rassemblèrent sur une place, firent le simulacre de les fusiller, puis leur donnèrent à manger des mannes de pommes qu’ils avaient volées. Jacques Frénay fut frappé à coups de crosses de fusil pendant le parcours. Il reçut un coup de crosse formidable près de l’oreille droite. L’os de la mâchoire supérieure fut brisé en partie. Il se forma à cet endroit un abcès dont la victime souffrit longtemps. Elle a dû être opérée récemment en France où elle travaille comme apprenti menuisier. Le chirurgien a extrait trois esquilles de cet abcès. Jacques Frénay fut très mal soigné en Allemagne, au camp de Munster. On ne leur donnait presque rien à manger. Ce qui revenait le plus souvent dans les repas, c’était une espèce de soupe faite avec des débris de poissons. Frénay est resté trois mois seulement en Allemagne. On l’a relâché parce qu’il était trop jeune. Lors de sa déportation, il n’avait que treize ans. Il est revenu d’Allemagne au train jusqu’à Hasselt. Il se rendit à Maastricht, puis à Zwolle en Hollande, où habitaient ses parents. (Déclaration de Mme Frénay, mère de Jacques Frénay)

Henri Bourse, né le 18 avril 1895, a été déporté en Allemagne le 14 août 1914. Il se dirigeait vers la Hollande, dans le dessein de se mettre en sécurité. Il fut arrêté près du canal à Haccourt. Conduit à Liège, il fut condamné à la déportation par le conseil de guerre siégeant au Palais de justice. On ne lui fit nullement part des motifs de cette condamnation. Il fut emmené dans un wagon à bestiaux avec d’autres condamnés. Pendant le trajet, les civils allemands jetaient des pierres dans les wagons et blessèrent plusieurs déportés. Henri Bourse passa huit jours dans une caserne à Aix-la-Chapelle. De là, il fut transféré au camp de Munster (Hanovre) où il séjourna quatre mois. Après ce terme, il fut conduit à Sennelager où il demeura quatre mois également. Il fut contraint ensuite à travailler dans une houillère pendant cinq mois. Dans les camps, surtout au début, on était fort mal nourri. Un pain de soldat était partagé entre dix déportés pour une journée. Le matin, chacun avait droit à un demi-litre de thé ou de café. A midi, un litre de soupe leur était accordé. Cette soupe n’était pour ainsi dire que de l’eau bouillie où nageaient quelques morceaux de pommes de terre, de betteraves ou de rutabagas. Le soir, ils recevaient trois quarts de litre de soupe où entrait du poisson ou du gruau de maïs ou de la fécule de pommes de terre. Les déportés n’étaient pas mieux logés que nourris. Henri Bourse a été obligé de dormir pendant six mois sur la litière des animaux, avec une couverture pour trois même en hiver. Pendant six mois, il est resté vêtu, le jour et la nuit, d’un pantalon, d’une chemise et chaussé d’une paire de vieilles pantoufles. Pendant six mois, il fut sans argent. Après ce temps, il fit deux jours de cachot à la place d’un étudiant russe qui lui donna deux marks. Avec cet argent, il put acheter des cartes et de quoi écrire à sa famille. Jusqu’à ce moment, on l’avait cru mort. Quand il a travaillé, Bourse a été mieux traité. Il gagnait trente pfennigs par jour. Après quatre mois, le 15 octobre 1915, il fut libéré. Il a été ramené en Belgique, au train, jusqu’aux Guillemins à Liège. (Déclaration de Henri Bourse)

 

Condamnations

La commune d’Heure-le-Romain fut condamnée plusieurs fois par les Allemands. Elle fut d’abord condamnée le 23-07-1917 à une amende de 1 500 marks pour refus de démolir les maisons incendiées par les Allemands en 1914. On lui faisait savoir que cette somme devait être payée pour le 28 juillet 1917, sinon, on prendrait des otages que l’on garderait jusqu’à paiement complet.

Les Allemands firent eux-mêmes démolir les maisons incendiées et exigèrent de la commune, le 17 janvier 1918, une somme de 17 719 marks 60 pour frais de démolition. Heureusement, cette somme n’a pas été payée, parce que le secrétaire communal sut faire traîner la chose en longueur.

La commune fut encore frappée d’une amende de 3 000 marks, le 4 juin 1918, parce que les fils téléphoniques et télégraphiques avaient été arrachés et emportés par deux fois le long du chemin d’Heure à Houtain. Cette somme dut être versée avant le 22 juin.

 

Actes de dévouement et de patriotisme.

Parmi les valeureux jeunes gens de la commune qui se distinguèrent par leur bravoure, il en est un appelé Louis Navette dont l’ardeur patriotique est digne de tout éloge.

Ce jeune homme âgé de 20 ans lors de la déclaration de guerre était l’aîné d’une famille de 9 enfants. Il avait été exempté définitivement avant la guerre par le Conseil de Milice de Liège pour cause physique. Il était employé au vicinal de la ligne Tongres Lanaeken. Là, il s’occupa de la fraude des lettres et du passage de nombreux documents de l’armée. Voulant se rendre plus utile encore à sa patrie, il se présenta au Consulat à chaque appel de jeunes gens réfugiés en Hollande, mais on ne voulut pas examiner son cas vu qu’il était exempté définitivement.

En juin 1915 cependant, il rejoignit l’armée où il fut examiné et trouvé inapte au service pour hernie inguinale droite caractérisée et on ne voulait pas l’accepter. Il revint alors à Maastricht réoccuper son emploi. Dans l’entretemps, il apprit que les opérés d’une hernie étaient admis comme militaires ; alors il se décida à subir l’opération qui réussit complètement. Il put ainsi accomplir un grand désir : servir sa patrie et se rendit à Folkestone (Angleterre) où il fut enrôlé dans l’armée belge.

 

Passage des fils

Les faits suivants nous rapportés par Monsieur Théophile Stokis lui-même qui passa la frontière prouvent également l’ardeur du patriotisme dont ce jeune homme était animé. La commune doit se glorifier d’avoir vu naître de tels héros.

« Vers la mi-novembre 1916, dit-il, d’accord avec un ami de Tongres que je rencontrai à Liège, nous décidâmes de passer la frontière dans le but de rejoindre l’armée ; nous convînmes de nous retrouver chez lui le surlendemain où un guide sûr nous renseignerait sur les moyens à employer et les routes à suivre.

Sans permis de circulation, je partis donc un jeudi matin pour Tongres où j’arrivai vers quatre heures, après m’être caché dans l’église de Sluse et derrière les haies avoisinant Tongres pour échapper aux patrouilles.

Le soir, nous nous rendîmes à Hessel, zone défendue, en contournant les postes allemands. Après avoir retrouvé notre guide au lieu désigné, nous partîmes pleins d’ardeur. Malheureusement, notre guide se perdit dans l’obscurité et nous conduisit près d’une sentinelle qui donna l’alarme. Nous fûmes reçus à coups de fusils. Nous rampâmes pendant des heures dans les terres détrempées. Par un heureux hasard, nous arrivâmes chez les paysans où nous nous cachâmes jusqu’à la nuit suivante. Vers 9 heures du soir, le 24 novembre 1916, nous repartîmes munis d’une petite échelle et bravant le danger qui nous menaçait,, nous sautâmes au-delà des fils électrisés. Nous étions en terre neutre et nous nous dirigeâmes vers Maastricht. Quelques jours après, je pris du service dans l’armée. »

Un autre jeune homme non moins courageux, Monsieur Henri Delwaide, qui lui aussi a passé les fils électriques pour rejoindre l’armée nous fait le récit ci-après :

« Monsieur Emile Fortemps, jeune homme de notre localité, me mit en relation avec Monsieur Moors de Kessel qui s’occupait de faire passer la frontière aux jeunes gens.

Le dimanche 24 novembre 1916, je partis pour Vlytingen avec M. Emile Fortemps. Arrivés chez M. Moors à Kessel, je trouvai hébergés chez lui cinq autres jeunes gens étrangers qui désiraient également rejoindre l’armée. Là, nous observâmes tous les mouvements des sentinelles allemandes et attendîmes le moment propice pour passer la frontière.

Le lundi 25 novembre, vers 5 heures du matin, la sentinelle allemande, que j’étais parvenu à corrompre en lui versant la somme de 1 000 francs nous attendait quand tout à coup la sentinelle de gauche vint lui parler et nous dûmes à regret rebrousser chemin.

Les fils électriques étaient superposés horizontalement à intervalle de 30 cm. De chaque côté de la clôture se trouvait une ligne de fils inoffensifs destinés à empêcher les animaux, les véhicules, etc d’approcher. De distance en distance, les fils électrisés étaient reliés entre eux par des poteaux semblables à ceux du téléphone.

Nous passâmes encore deux jours à observer les mouvements des sentinelles et attendîmes avec impatience le moment propice, car nous brûlions de désir de nous rendre utiles à notre patrie si éprouvée. Enfin, le mercredi 27 novembre vers 7 h ½ du soir, nous nous rendîmes à Veltwezelt, village aux environs de Kesselt où se trouvait la sentinelle qui devait nous donner le signal. Nous profitâmes d’un temps brumeux et d’une profonde obscurité pour nous acheminer sans bruit vers le lieu désigné. Nous fûmes avertis par un signal convenu que le passage était libre, qu’il n’y avait à ce moment ni patrouille ni officier de ronde. Nous passâmes sans difficulté la première rangée ; nous adossâmes alors une échelle au poteau téléphonique. M. Moors passa le premier en nous disant de l’imiter, mais ayant mal pris son élan, il fit un faux mouvement, tomba sur le fil électrisé et fut tué net.

Cet accident épouvantable nous avait consternés, cependant nous ne nous décourageâmes pas et nous passâmes tous les six à tour de rôle sans qu’aucun incident ne se produisît. Nous nous traînâmes alors sur le sol dans des chemins inconnus. Nous découvrîmes enfin un petit sentier qui conduisait à une vallée où nous restâmes couchés jusque 3 heures du matin. Nous aperçûmes alors des lueurs dans le lointain et découvrîmes la ville de Maastricht vers laquelle nous nous dirigeâmes sans difficulté.

 

Occupation des bâtiments scolaires, déprédations et vols.

Pendant les années de guerre, les bâtiments scolaires n’ont pas été occupés par les armées allemandes, celles-ci n’ont pas commis des déprédations ou des vols saillants dans la commune.

 

Fait à Heure-le-Romain le 23 juin 1920

Le personnel enseignant

 

M. Gehasse                                                                           F. Valoir

Troisième partie : La délivrance.

Plan

1.      Introduction. Rappel des autres parties

2.      Retraite allemande :         a. Les bruits. Le moral des troupes

b. La grande bataille. L’espoir.

c. Le dernier coup de canon. L’armistice.

d. La retraite.

3. L’arrivée des Alliés :          a. L’attente. Préparatifs.

                                               b. Les voilà !

                                               c. L’accueil.

4. Retour des soldats             a. Ceux qui étaient partis. Ceux qui sont revenus.

                                               b. Scènes du retour.

                                               c. Fêtes.

5. Conclusion.

 

                        =========================================

 

Introduction.

Pour la première partie du travail, nous avions essayé de décrire les atrocités du début de la guerre, les fusillades, les crimes, les incendies. Nous avons été en dessous de la vérité. La réalité dépasse en horreur tout ce que l’imagination peut concevoir.

Dans la seconde, nous avons voulu dépeindre notre commune durant le séjour des bourreaux en Belgique, le lent martyr de beaucoup et la conduite admirable de la grande majorité des habitants. Cette fois, c’est la

 

Retraite allemande.

qu’il s’agit de décrire, la victoire, la fuite éperdue du Boche détesté, le retour de nos valeureux défenseurs. C’est la tâche la plus agréable et la plus facile.

 

Les bruits. Le moral des troupes.

Depuis le mois de juillet 1918, le canon tonnait sans interruption de la Mer aux Vosges. L’infernal concert arrivait jusqu’à nous et l’on se disait : « Il se passe quelque chose. » Des bruits d’ailleurs circulaient avec persistance. Les alliés ne cessaient d’attaquer, leurs attaques coûtaient des milliers d’hommes à l’ennemi et libéraient presque régulièrement de vastes territoires. La chance avait tourné. Le Droit jusque là opprimé avait enfin le dessus. Et chacun espérait prochaine la fin du cauchemar. Les jours et les nuits se passaient dans la fièvre. Qu’importaient les privations, le pain rare et infect, les prix exorbitants de toutes les choses de première nécessité. Là-bas, derrière cet horizon que nous avions si souvent scruté depuis quatre ans, des batailles décisives se livraient, la retraite fauchait des vies par milliers. Le sang abreuvait la terre, terrible rançon du triomphe qui se préparait.

Dans les tranchées boueuses de l’Yser, de cet Yser que nous connaissions à peine et qui devait devenir immortel, accroupis sur leur banquette ou debout à leur créneau, nos soldats attendaient le mot magique, le mot tant espéré : En avant !

Les journaux censurés s’appliquaient de leur mieux à déguiser la vérité mais l’attitude des soldats ennemis, leur abattement, la répugnance visible qu’ils mettaient à partir pour le front de bataille, des mots vagues lâchés par des officiers nous disaient assez que les choses se gâtaient et que le soleil des Hohenzollern achevait de pâlir. La victoire définitive devait l’éteindre.

Puis les nouvelles se firent plus précises. C’était bien

 

La grande bataille.

Tous les alliés sous la conduite de Foch étaient bien décidés à en finir, à vaincre. Le front allemand craquait de toutes parts. La débâcle était proche.

L’offensive belge des Flandres retentit chez nous comme un coup de tonnerre. Dès lors, ce fut plus que

 

L’espoir,

            Ce fut la certitude… Le coup était donné. La grande guerre touchait à sa fin.

            Qui dira jamais les journées enfiévrées que tous les Belges opprimés depuis plus de quatre ans vécurent en ces dernières semaines de la guerre ? Comme en secret, on préparait les drapeaux ! …Comme on regardait d’un air narquois les Boches affolés ! …

            Alors ce fut la révolution allemande. Le drapeau rouge remplaça la sinistre loque noire, blanche et rouge… Le châtiment commençait.

            On apprit coup sur coup les nouvelles attendues depuis longtemps mais qu’on ne croyait pas si proches. Les Allemands demandaient

 

Un armistice.

            Ils acceptaient toutes les conditions des vainqueurs.

 

Le dernier coup de canon.

            Le 11 novembre 1918, le dernier coup de canon, le dernier coup de fusil étaient tirés … La grande guerre venait d’entrer dans l’histoire …

            Et nous qui avions assisté, terrifiés, à l’invasion de 1914, qui avions pleuré et souffert cinquante-deux mois, nous eûmes la consolation de voir

 

Leur retraite

            Leur retraite … Elle fut chez nous ce qu’elle fut partout. Le flot ininterrompu de hordes indisciplinées, démoralisées, sans chefs, abandonnant un peu partout matériel, munitions, armes…

            Nous vîmes ces fiers soldats du sinistre Guillaume II vendre leurs chevaux et laisser là leurs canons, leurs caissons, leurs fourgons.

            Les conquérants du monde, ceux qui voulaient placer leur Kaiser sur le trône de l’humanité s’en retournaient vaincus, écœurés, las. Les régiments succédaient aux régiments. Ce n’étaient plus des troupes, ce n’étaient plus des armées, c’était la cohue, la confusion, le désastre !

            Quelle vision lamentable sans doute pour les populations d’Outre-Rhin ! Quelle sévère mais juste leçon !

            A leur passage, la population cependant resta calme et digne. Ils s’en allaient enfin… Bon voyage ! On ricanait bien un peu aux seuils des maisons. Les murs calcinés des demeures brûlées nous semblaient s’incliner en guise de malédiction et des ruines où du sang innocent avait coulé, il nous semblait que des voix s’élevaient et proféraient vengeance !

            Le dernier uniforme gris disparut enfin au détour du chemin. Le dernier fourgon s’en alla cahin-caha et ce furent

 

L’attente et les préparatifs.

            Dans la joie et la fièvre, on préparait la réception des premiers soldats de la victoire. Les drapeaux avaient fait leur apparition à toutes les fenêtres et claquaient gaiement au vent de novembre. Toutes les maisons étaient pavoisées et tous les foyers ornés.

            Comme dans l’attente le temps semblait long !

Petit à petit, venant de l’Ouest, un murmure d’abord indistinct et confus se leva, grandit, devint rumeur puis vacarme. Les armées qui venaient de gagner la grande guerre s’avançaient et allaient là-bas, monter la garde au Rhin.

 

Les voilà ! L’accueil.

            Les voilà ! Les voilà ! Bravo ! Vivent les Belges ! Vive l’armée ! A bas les Boches ! Oh ! Les beaux soldats ! Les fiers gars de chez nous ! Nul ne peindra jamais l’enthousiasme de cette première réception.

            Casque en tête, le visage énergique où luisaient les yeux, le fusil à l’épaule, ils allaient de leur pas élastique et souple.

            Ce fut une marche triomphale. Des fleurs sur le parcours des régiments, des fleurs aux canons, des fleurs à la poignée des baïonnettes, des fleurs aux casques bronzés, des fleurs et des larmes de joie.

            Nul de ceux qui eurent le bonheur d’assister au passage de ces troupes victorieuses n’oubliera jamais ces jours enfiévrés. Les enfants eux-mêmes en ont gardé et en garderont toujours le souvenir…

            Et dans soixante-dix ou quatre-vingts ans, les enfants de 1914 devenus vieux, raconteront encore aux petits d’alors qui écouteront bouche bée et les yeux brillants qu’il y a longtemps, bien longtemps, les beaux et fiers soldats de Belgique, victorieux d’un ennemi maudit passèrent par chez nous suivant sur les talons l’oppresseur qu’ils allaient punir dans son propre pays.

 

Le retour des soldats

Ceux qui étaient partis. Ceux qui sont revenus.

            Le retour de nos soldats, enfants du village et combattants de la grande guerre ne fut pas moins touchant. Notre commune qui pendant toute la durée de cette longue épreuve a envoyé 45 de ses enfants à la défense de notre solo si injustement franchi, pillé et incendié a eu la joie d’en voir revenir 40 … soldats … prisonniers … et militarisés. Notre plume est impuissante à dépeindre

 

Les scènes du retour.

            De ces héros. Les vieux parents retrouvaient leurs fils, les épouses leurs maris, les petits enfants leurs pères.

            Pas de paroles, pas de cris… Une étreinte passionnée et de longs regards… Petit à petit venaient les questions. Qu’avaient-ils vu ? Qu’avaient-ils fait ? Que leur était-il arrivé ?

Mon Dieu ! Rien du tout … On est victorieux de l’ennemi… Voilà ! C’est le plus souvent tout ce qu’on pouvait en tirer…

            Puis quand ils se furent quelque peu ressaisis de leur émotion, ils nous firent le récit des grandes batailles, du passage de l’Yser, etc, et nous racontèrent leur vie de tarnchée…

            Les prisonniers aussi nous donnèrent mille détails sur leur vie en pays ennemi et nous racontèrent mille aventures intéressantes.

 

Fêtes organisées

            Jusque maintenant, notre Commune n’a pas encore fêté ses héros. Elle se prépare certainement à leur prouver toute sa reconnaissance dans un avenir peu éloigné.

            Mais si nous devons éprouver une profonde gratitude et un grand respect pour nos valeureux soldats que nous avons eu le plaisir de voir revenir victorieux parmi nous

 

Ceux qui ne revinrent pas

Et qui ont donné ce qu’ils avaient de plus précieux : leur vie pour la patrie, doivent être continuellement l’objet de nos souvenirs.

Ce sont :        

1.   François Hardy

2.   Pierre Joseph Tasset

3.      Jean Spelte

4.      François Philippet

5.      J. Coenegrachts

 

Ils dorment là-bas dans la terre noire des Flandres du bon sommeil de ceux qui ont fait leur devoir. Alignés aux côtés de leurs frères d’armes tombés comme eux pour la défense des foyers, ils ont accompli le suprême sacrifice.

            Quand nous parlons d’eux et nous voudrions que la sainte habitude se perpétuât, ajoutons toujours : Morts pour la patrie.

 

Conclusion

            Enfants, petits enfants de chez nous, pensez à eux ! Ne les oubliez pas ! Votre souvenir leur rendra la terre moins lourde.

 

            A Heure-le-Romain, ce 1 octobre 1920

                                               Le personnel enseignant

M. Gehasse                                                                                       G. Biertho

F. Valoir                                                                                            H. Malchaire






Témoignages d’habitants d’Heure-le-Romain en 1914

1.     Mort de M. Verjus-Neufcourt Hadelin

Le 15 août 1914, vers 5 heures de l’après-midi, le 93e d’infanterie allemand arrivait à Amry et se logeait chez l’habitant. Ces troupes étaient très fatiguées, les hommes faisaient l’aimable, cherchant à parler avec ceux qui les hébergeaient. Tout allait bien, les armes avaient été immédiatement déposées, les soldats se reposaient, quand, vers neuf heures du soir, une fusillade nourrie crépita. Ordre fut donné d’éteindre les lumières. Lorsque le calme se fit, on ralluma les lampes et l’on fit sortir tous les habitants excepté les enfants et une femme par ménage pour veiller sur ceux-ci. Les malheureux affolés furent rassemblés en un troupeau dans la cour « Grand-Père Amry ». Tout à coup, Hadelin Joseph Verjus s’enfuit de sa demeure. Les soldats tiraient sur lui et dans la demi obscurité, on le vit tomber foudroyé par les balles des assassins. Le feu fut allumé aux maisons de MM Arnold Hoho, Hadelin Verjus, Constant Droogmans et Pierre Gathy et dans la nuit, le brasier formé par ce groupe de maisons acheva de terroriser les malheureux habitants tout à fait innocents. On les enferma ensuite dans la grange de Noël Gathy où ils furent gardés toute la nuit puis transférés dans la maison Verjus Renard pour y passer la journée et la nuit suivante. Durant la journée du 16, quatre hommes furent obligés d’enterrer Hadelin Verjus, parmi ceux-là, il faut citer Valoir Florent, témoin oculaire soussigné.

C’est l’instituteur Biertho qui prit tous ces témoignages.

 

2.     Déposition de M. Noël Valoir

Le 15 août vers 4 heures du soir, je me trouvais chez moi, les troupes du Kaiser avaient franchi la Meuse par le pont de Visé et se déroulaient en une bande grise interminable dans notre rue de la Crayère. Ces premières troupes cantonnèrent dans la prairie Léonard et logèrent chez l’habitant. Le 16 août vers cinq heures du matin, les soldats nous obligèrent de nous rendre à l’église, j’ignore pourquoi ils prenaient cette précaution. Dans le parvis de l’église, ils avaient eu la barbarie de placer une mitrailleuse chargée, et des sentinelles farouches, dont les fusils étaient munis de baïonnettes luisantes, avaient certains gestes meurtriers. Tous les habitants du centre du village «étaient parqués dans le temple comme des bêtes malfaisantes. Ils y restèrent toute la journée du dimanche et la nuit du dimanche au lundi.  C’est pendant cette nuit que furent fusillés M. le curé François Janssen et M. Antoine Léonard.

Je suis sorti de l’église le lundi matin 17 août, ainsi que la population ; ces Allemands étaient partis, ils avaient tout pillé.

La journée du lundi 17 août ne fut marquée d’aucun incident notoire.

Le mardi 18 août, vers 10 heures, un officier vint me demander s’il n’y avait pas de Français dans ma demeure. Je lui fis visiter toutes les places, il s’en alla convaincu. Il pouvait être une heure lorsque de nouvelles troupes arrivèrent qui firent prisonniers ma femme et mes enfants à qui ils déclarèrent que cette rangée de belles maisons allaient être brûlées. Quant à mon beau-père et à moi, nous parvînmes à rester inaperçus derrière le mur qui longe la route. Quelques instants après, les coups de hache de ces bandits brisèrent la porte qui nous séparait du chemin et sans nous laisser voir, nous nous dirigeâmes plus avant dans le jardin. L’incendie commençait, la ferme Sauveur flambait ainsi que les maisons de la Crayère, la mienne y compris. Le jardin étant en gradins, je m’aventurai vers la partie la plus élevée, de laquelle je pouvais apercevoir la ferme Sauveur sans être vu des soldats qui se trouvaient sur le chemin. Malheureusement, du fond des « Croquettes », prairie qui se trouve à gauche du chemin en venant de Haccourt, quatre soldats me tenaient en joue. Je n’eus que le temps de les entrevoir, je me retournai brusquement, une balle siffla à mon oreille, je me sentis soulevé de terre et tombai le dos tourné vers mes assassins. Le sang m’arriva à la bouche, je suffoquais, j’étais atteint à l’épine dorsale dans la région de la ceinture. Deux autres balles m’atteignirent, je ressentis une douleur atroce au bras droit, le sang se dégagea dans ma gorge et je crois que c’est ce qui me sauva, la quatrième avait éraflé l’omoplate droite. Je restai étendu, privé de mouvement, mon bras me faisait terriblement souffrir. Mon beau-père, Joseph Valoir, au péril de sa vie, s’avança jusqu’auprès de moi, je perdais beaucoup de sang, j’étais torturé par une soif ardente. Le lui ayant dit, il parvint à me procurer de l’eau. J’en bus énormément et fis comprendre à mon beau-père qu’il courait un grand danger. Voyant que je ne pourrais me traîner jusqu’au fournil, il se détermina à y rentrer seul où il passa deux heures d’angoisses affolantes. Vers quatre heures, je le vois de nouveau se diriger de mon côté. Il veut m’entraîner avec lui. Je le supplie de me laisser et de se retirer : « Vous allez vous faire tuer » lui dis-je. Hélas ! C’était vrai, il s’avance pour regarder ce qui se passe dans les « Croquettes », des coups de feu se font entendre, les balles sifflent, il tombe raide mort. Ayant encore toute ma présence d’esprit, je me retournai de façon à me coucher sur la poche contenant mon porte-monnaie. Bien m’en prit car, à la nuit tombante, quelques crapules boches vinrent m’examiner à leur aise.

« Franssousse » dirent-ils, et leurs mains de voleurs, leurs mains meurtrières fouillèrent mes poches comme elles avaient fouillé les moindres recoins de nos habitations. Mon porte-monnaie leur échappa, ils s’en allèrent, les soudards de la plus féroce, de la plus voleuse, de la plus puante des armées du monde. Je restai couché dans mon sang jusque vers  minuit. J’avais froid, je rassemblai toute mon énergie et me traînai vers le fournil. Péniblement, je pris un verre d’eau et le remplis, mais l’eau était presque bouillante car le fournil communiquait avec la maison en feu. Je restai là jusqu’au matin du 18 où l’on vint me chercher pour me conduire chez Navette P.J. à l’aide d’une charrette à bras. Le soir, je fus dirigé sur l’hôpital de Herstal. Je suis resté en traitement jusqu’en novembre 1914 et maintenant, je me ressens toujours de ma blessure au bras, l’auriculaire de la main droite fonctionne difficilement.

Certifié exact par moi Valoir Noël.

 

Assassinat de Marie Catherine Dozin épouse Jean-Lambert Spelte, 63 ans

            Le mardi 18 août, M et Mme Spelte dînaient, les troupes allemandes passaient sans discontinuer depuis 10 heures, venant d’Oupeye. La maison de M. Spelte est située à la bifurcation des chemins d’Oupeye, d’Hermée et d’Haccourt. Vers 1 heure, les troupes firent halte et commencèrent une fusillade dans toutes les directions. La maison située bien en face de la route de Hermée fut prise, semble-t-il, comme point de mire car aujourd’hui encore, la trace des balles est très visible, le châssis de la fenêtre est perforé, ainsi que la suspension et les gravures encadrées placées en face de la fenêtre. Les deux vieillards furent donc forcés de s’enfuir dans le jardin et se blottirent dans les perches à haricots. Un casque à pointe du 35e, ayant aperçu la malheureuse femme, s’en fut en informer ses compagnons. Ils revinrent bientôt à six ou sept et à quatre, cinq mètres de distance, tirèrent une salve sur Mme Spelte. La pauvre femme tomba pour ne plus se relever. Heureusement, son mari, vieillard de 61 ans ( !), qui se trouvait à quelques mètres à droite derrière les échalas ne fut pas aperçu. Ces barbares se rendant compte de leur méfait tirèrent le treillis et poussèrent la tête en avant. M. Spelte entendit alors dire à ces ignobles brutes : « C’est une femme ! » (parole prononcée en allemand, M. Spelte savait le néerlandais). Alors commença l’incendie du village. M. Spelte se tint caché jusqu’au jour à quelques pas du cadavre de la compagne de sa vie. Lorsqu’on a transporté le corps de la pauvre femme, on a constaté que la main était presque sectionnée. Dans un mouvement d’effroi, elle aura porté la main à la figure, c’est ce qui explique la plaie que l’on a constatée.

Je certifie cette déclaration exacte : Spelte Toussaint, fils de la victime, Heure-le-Romain, le 5 avril 1920.

 

Beaurieux : meurtres, incendies

Le 16 août à 6 heures du matin, je me trouvais dans le jardin derrière la maison, évanouie par suite de la peur causée par la fusillade. Lorsque je revins à moi, les balles sifflaient toujours au-dessus de ma tête. Je n’osais me remuer, de crainte de me voir surprise. Pendant ce temps, les boches pillaient notre maison et celle de M. Henry, une automobile stationnait devant la maison. A un moment donné, Mme Henry revenait de la prairie avec un seau de lait, elle rentrait chez elle avec mon père Verjus Jean-Joseph. J’ai entendu mon père s’entretenir en allemand avec les boches puis deux coups de feu se sont fait entendre. C’était mon père qu’on fusillait ainsi que Henry Ernest âgé de 17 ans. Mme Henry ainsi que son mari atteint d’attaques nerveuses, s’étaient réfugiés dans la cave. Le feu fut mis à la maison. Les deux vieillards restèrent donc emprisonnés dans la cave jusqu’à huit heures du soir par les décombres de la maison qui s’écroulait. Mme Henry parvint à desceller la pierre du soupirail. Elle plaça en dessous de l’ouverture un tonneau vide et put sortir de la fournaise. Elle tira comme elle put son mari hors de la cave. J’entendis alors les Allemands demander où ils allaient. Ils répondirent qu’ils se rendaient chez leur fils M. Henry fermier à Beaurieux. Ils les conduisirent les mains liées dans la cave de la ferme. Je restai toujours cachée dans les plants de pommes de terre jusqu’au matin. J’étais percée par la pluie et transie par le froid. Je me rendis ensuite chez M. Lhoest Léonard. Je voulus me rendre à l’endroit où mon père se trouvait, j’en fus empêchée par l’arrivée de nouvelles troupes. Lorsque je suis allée voir après mon père, il était enterré ainsi que Ernest Henry dans la même tombe. Après avoir placé une petite croix au-dessus, ils avaient répandu par dérision les coquilles des œufs qu’ils avaient gobés, une cinquantaine au moins. Et des trois mille francs que mon père avait dans son portefeuille, on n’en trouva évidemment plus trace. Quand ces bandits font quelque chose, ils le font dans les règles.

Mes deux sœurs, Hadeline 16 ans et Pascaline 22 ans furent poursuivies dans les campagnes par les coups de fusils et de revolvers de ces apaches. Quand elles furent rejointes par les boches vers midi, on les conduisit au moulin Defize jusqu ‘au 1er au matin.

Je certifie que la présente déclaration est en tout point exacte et sincère

Marie-Catherine Verjus  Heure-le-Romain le 5 avril 1920.

 

Assassinat de Mme Borguet Simenon Anne-Marie

Le 18 août 1914, de une heure et demie à deux heures, la famille Borguet, accompagnée d’autres personnes terrorisées par les officiers et soldats allemands, prit la détermination de s’enfuir. Elle se composait du père Louis Borguet, de sa femme et de deux enfants, Pierre âgé de six ans et Jean âgé de trois ans et demi. Ils habitaient dans la grande cour de Mathieu Troquet. Prenant le sentier qui aboutit ruelle Bara, ils s’en allèrent silencieusement. Tout à coup, une vive fusillade se fit entendre à quelques pas (20 mètres). La femme Borguet tomba, ainsi que son fils Jean qu’elle tenait par la main. Le mari la ramassa, aidé de sa mère Mme Borguet. Ils la transportèrent à leur domicile. Elle avait eu le cou transpercé et sa mort avait été foudroyante. Pendant ce temps, les Allemands, soldats et officiers, portant sur la poitrine une plaque métallique, arrivèrent sur les lieux. Ils se mirent à injurier les quelques personnes qui restaient auprès du petit blessé et osèrent dire que c’était ces fuyards qui les avaient attaqués. Ils prirent des bandelettes, de la gaze et les tendirent au malheureux père pour qu’il bandât son enfant qui hurlait de douleur car il était gravement atteint au bras.

Quelques instants après, une automobile allemande allait quérir le petit Jean pour le transporter à l’hôpital de Herstal « Fabrique Nationale ». C’est là qu’il a été photographié.

Le fait ci-dessus est certifié exact par Pierre Borguet et M. Biertho.

Non contents d’avoir, dans la nuit du 15 au 16, semé partout l’épouvante, cette soldatesque, digne des Huns et des farouches Normands, tout imbus de l’adage monstrueux de Bismarck : « La force prime le droit », assouvira plus encore sa haine dans la journée du 18. Un détachement de fantassins acheva l’œuvre de destruction.

Après ces tristes journées, notre commune si paisible comptait 84 maisons incendiées et 27 civils tués. L’évaluation des dégâts, pillages et réquisitions forcées s’élevait d’après les réclamations fournies aux Allemands à plus d’un demi million de francs (547 640 chiffres officiels).

A partir du 3 août, les classes furent fermées. Le 4 et le 5, elles furent occupées par les évacués de Hermée et le 15, les troupes allemandes en prenaient possession. Le 17, lorsque instituteur et institutrice purent rentrer dans les bâtiments, ceux-ci n’étaient plus que des lieux infects, remplis de paille, de débris de nourriture moisie, de carbure, de pétrole et des pires saletés. Toutes les serrures des armoires avaient été crochetées et les objets précieux (boussoles, niveaux à bulle d’air,…) disparus. Sur les tableaux de la classe des garçons, on pouvait lire écrit en grandes lettres : « Deutschland uber alles » (L’Allemagne au-dessus de tout) ou encore, toujours en allemand « Nous partons pour Bruxelles, puis pour Paris où nous irons faire la fête ».

Il nous fallut songer à ramasser notre literie éparse dans le sable, à rafraîchir l’air puant l’Allemand dans notre demeure et à prendre un peu de repos. Hélas, le lendemain, ne dut-on pas abandonner tout pour s’enfuir à travers les prairies, les uns vers les villages voisins essuyant le feu de l’ennemi, les autres dans la campagne

Aux horreurs sanglantes de la guerre vint s’ajouter l’angoisse des familles obligées d’évacuer le village. La vague de terreur les avait atteintes. Les parents ont pris à la hâte quelques hardes et sont partis emmenant leurs enfants par la main. Malades, perclus, blessés, valides, tous affreusement lassés arrivèrent enfin devant un poteau où ils lurent « Hollande » et poussèrent un soupir de soulagement.

En lisant ce récit de la ruée allemande, les générations futures le taxeront peut-être d’exagération. Qu’elles se détrompent et se donnent la peine d’examiner les registres des décès, qu’elles demandent aux vieillards de leur conter l’histoire de la Grande Guerre, elles verront alors que nous avons encore omis certaines atrocités et sauront que ce que nous affirmons ici, sur l’honneur, est l’exacte vérité.

 

                        Signature de M. Biertho

 

 

 



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