Médecins de la Grande Guerre
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Les 109 martyrs belges
de Sedan A la fin de l’année 1914, les allemands créent des Deutches Industrie-Buro dans les grandes villes pour recruter des ouvriers acceptant de signer des contrats de 4 à 8 mois de travail en Allemagne. Devant le peu de succès rencontré, les Allemands suppriment la possibilité qu’avaient les communes de recruter des chômeurs et diminuent les aides accordées à ces derniers par le comité National de Secours et d’Alimentation. Ces mesures sont peu efficaces et en 1916, seuls 20.000 Belges signent un contrat à la place des centaines de milliers qu’escomptait l’occupant. Devant cet échec, Guillaume II autorisera les déportations massives des jeunes chômeurs qui débuteront le 3 octobre 1916 dans la Zone des Etapes dépendant de l’autorité de l’armée et qui s’étendront le 26 octobre au reste de la Belgique occupée dépendant du Gouverneur Général. 120.655 Belges seront déportés entre 1916 et 1918 dont 58.500 en trois mois à peine dans la zone dépendant du Gouverneur Général. Les déportés sont généralement parqués dans des camps annexes aux camps de prisonniers jusqu’au moment où ils acceptent de signer un contrat. Les conditions de vie sont désastreuses et malgré ce fait seuls 13.000 Belges accepteront de signer, la plupart du temps sous la contrainte. Devant l’échec de la mise au travail forcée, les Allemands renoncent aux déportations des ouvriers provenant du Gouvernement Général le 14 mars 1917. 20.000 à 25.000 Belges peuvent alors quitter les camps de répartition pour rentrer chez eux. Malheureusement cette mesure ne s’étend pas aux zones d’Etapes où les déportations continueront jusqu’à la fin de la guerre et toucheront 62.000 Belges. Les travailleurs de la Zone d’Etapes sont groupés dans des Zivil Arbeuter Bataillonnent (ZAB) qui sont envoyés travailler dans le nord de la France pour travailler tout près des lignes du front. Les conditions de travail sont atroces. D’après les chiffres officiels près de 2.614 Belges périrent durant leur déportation en Allemagne ou en France mais on estime qu’ils furent plus de 6.000 à décéder des suites de leur déportation. On trouve dans le nord de la France, de multiples cimetières civils ou militaires qui gardent des sépultures de ces jeunes ouvriers belges. A Sedan, c’est le cas du cimetière St-Charles dans lequel où reposent 109 Belges au milieu des civils Français qui périrent eux-aussi des exactions commises par l’ennemi. Qui furent ces 109 Belges ? La plupart furent sans doute des déportés occupés dans des travaux de défense au profil des Allemands et qui un jour tombèrent de faiblesse ou atteints par la maladie. Envoyés alors dans un lazaret militaire à Sedan, ils y décédèrent et furent alors enterrés au cimetière St-Charles. Certains d’entre eux furent peut-être des déportés indisciplinés ou ayant tentés de fuir et qui furent enfermés dans la citadelle de Sedan qui connut une mortalité terrifiante suite à des épidémies de typhoïde. Enfin certains Belges enterrés là, pourraient être, non pas des déportés, mais des prisonniers civils ayant été condamnés au bagne de Sedan pour des actes de désobéissance ou de résistance en Belgique. Jamais nous ne connaîtrons qui ils furent en réalité. En réalité la plupart des 109 Belges sont des « Déportés inconnus » car les noms que portent les sépultures sont pour la plupart déformés et incomplets. On imagine sans peine ce qui s’est passé lors du décès de ces Belges dans un lazaret. Ces déportés sans doute avaient reçu un numéro de signalement mais ne possédaient aucun papier avec leur identité. Ceux qui en avaient encore la force énonçaient leur nom au brancardier allemand qui le recopiait phonétiquement sur une fiche avec de très nombreuses fautes. Pour ceux qui n’avaient plus la force de parler, on faisait sans doute appel aux camarades belges hospitalisés pour connaître leur nom. Parfois ceux-ci ne connaissaient que le surnom donné à leur camarade. C’est ainsi qu’à Sedan, une tombe porte le nom de Bebert Pieter. Le brancardier allemand chargé de mentionner le nom du déporté belge manifestement ne s’y retrouvait pas avec nos noms composés avec le préfixe Van. « Van » est souvent inscrit comme prénom et figure donc derrière le nom inscrit sur la croix mortuaire. On peut supposer que les Allemands confondaient-ils le prénom flamand « Jan » avec « Van ». En résumé, les tombes portent des noms mais beaucoup sont mal orthographiés ou incomplets. Dans ces circonstances, il fut souvent impossible pour l’épouse ou les parents d’un déporté décédé de retrouver la sépulture de l’être aimé. De nombreuses familles ont sans doute parcouru les cimetières du nord de la France à la recherche de leurs disparus après l’armistice ! Lire aujourd’hui ces noms approximatifs est émouvant. Derrière chacun d’entre eux, on imagine un jeune homme malheureux réduit à l’état d’esclave et attendu en vain dans sa famille. Pendant les mois et parfois années de l’après-guerre, nombre de familles gardèrent sans doute l’espoir d’un retour miraculeux de leur déporté. « Heureux » dans leur malheur ceux qui eurent le témoignage irréfutable de la part d’un compagnon d’infortune du décès de leur mari ou fils. Ils purent ainsi entamer un travail de deuil. Si vous allez vous recueillir dans le cimetière de Saint-Charles à Sedan, vous constaterez que le cimetière militaire domine un monument commémoratif allemand imposant (10,75 m de long sur 4 de large) dont l’architecture à huit colonnes doriques rappelle un temple antique. Ce monument est exceptionnel car il est, en France, un des seuls monuments funéraire allemand à ne pas avoir été détruit. Sa construction s’étala durant le deuxième semestre 1915 et il est un des premiers monuments construits en béton. Il rend hommage aux soldats allemands qui furent enterrés en grand nombre dans ce cimetière, la plupart n’ayant pas survécu à leurs blessures soignées dans un des nombreux hôpitaux militaires qui couvraient la ville de Sedan (9 lazarets établis la plupart dans des immeubles de la ville réquisitionnés). Au sommet des colonnes, sur l’entablement on pouvait y lire jusqu’il y a peu cette inscription : Kämfend für Kaiser and
Reich, nahm Gott uns die irdische Sonne ; Ce qui se traduit par : Combattant pour l’Empereur et pour l’Empire, Dieu nous a
pris le soleil terrestre. Vue du monument allemand avec au premier plan des tombes d’enfants. Le monument tel qu’il était à la fin de la Grande Guerre. (Coll.Musée municpal de Sedan) Les tombes des soldats allemands furent déplacées après la deuxième guerre mondiale à Noyers-Pont-Naugis. L’espace libéré accueillera les tombes des Sedanais. Curieusement, ce sont celles des enfants morts en bas âge qui jouxtent aujourd’hui le monument. Le contraste en est saisissant mais à la réflexion, un point commun unit les soldats et enfants décédés : ils ne purent échapper à leur destin qui les priva bien trop tôt de la lumière et de la chaleur. Puissent-ils trouver la compensation de leur malheur dans l’au-delà, celle-là même qui est si remarquablement exprimée par la dédicace du monument qui, on l’espère, sera bientôt restauré. (Un appel à la générosité, au mécénat est d’ailleurs lancé pour participer à une souscription qui permettra de commencer les travaux : Quant au grand carré militaire de la Grande Guerre, il contient 1.469 tombes, des soldats anglais, russes, roumains morts en captivité, des soldats français et des victimes civiles françaises et belges dont nos 109 déportés. Vue qui nous émeut, derrière les croix identiques du carré militaire se trouve deux rangées de tombes de soldats érigées par leurs familles. Ces tombes appartenant à des combattants de plusieurs guerres, nous rappellent avec force le chagrin immense des familles. Nombre d’entre elles se dégradent malheureusement et ne résistent pas au temps. De temps à autre, une tombe nous montre encore le portrait du jeune homme aimé. Mais jusqu’à quand ? Au-delà du carré militaire se trouve quelques rangées de tombes privées
appartenant à des combattants français de plusieurs guerres (Première,
Deuxième, Indochine, Algérie) La sépulture privée d’André Bourguignon, décédé en 1915 Jean-Bernard Fresouet tué en Indochine en 1945 Mais revenons à nos décédés belges de Sedan dont nous ne connaîtrons sans doute jamais le visage ou l’histoire de leurs souffrances. On créa un tombeau pour le soldat inconnu mais pas pour le déporté inconnu. Pourtant ces jeunes gens belges, morts tout près des tranchées allemandes ou dans un camp en Allemagne furent au même titre que nos soldats, des héros involontaires, des sacrifiés, pris dans la tourmente d’un « destin de masse » impitoyable. Voici un témoignage qui peut nous rappeler le genre de souffrance qui fut infligée aux déportés. C’est celui de Leenaert Henri-Ernest né à Leupegem le 5 août 1896 et qui eut la chance de survivre : J’ai
été réquisitionné le 1er décembre 1916 et envoyé à Dembley d’abord ; ensuite dans différentes localités
de Verdun. Partout, nous avons été traités de façon indigne. A Lissy, j’avais pour camarade un nommé Domien Klepkens du village de Leupegem.
Ce jeune homme de 20 ans était maladif et ne pouvait suivre la colonne de
travailleurs ; aussi pendant la marche était-il continuellement battu par
la sentinelle. Un jour, ce jeune homme, arrivé à destination, se trouva dans
l’impossibilité de travailler. La sentinelle s’approcha de lui et lui dit
textuellement : « Schwein, si vous ne
travaillez pas, je vous tue. » Mon camarade lui répondit :
« Faites ce que vous voulez. Je n’en peux plus. » Il reçut sur le
champ, un violent coup de crosse qui l’étendit dans la neige. Il resta couché
pendant une heure environ ne donnant pas de signes de vie. La sentinelle
s’approcha de nouveau, et voulut le forcer à se relever. Mon malheureux
camarade ne put se tenir debout et retomba sur le sol. La sentinelle lui allongea
alors, dans la région du cœur, un violent coup de crosse qui tua mon ami. Avec
d’autres de mes camarades, je le ramenai mort au camp.
Bien souvent, tandis que nous travaillions, les obus français venaient
exploser autour de nous. C’était le cas, notamment à Danvillers
et à Etreye. Dans cette dernière localité, trois de
mes camarades furent atteints, deux au bras, et le troisième au ventre. Nous
étions traités d’une façon scandaleuse ; nous étions constamment battus.
Il nous était même interdit de nous déclarer malades. (Témoignage extrait du livre de René Henning : Les déportations
de civils belges en Allemagne et dans le nord de la France. Editions Vromant et Cie. 1919) A la fin de la guerre, les déportés se regroupèrent dans la Fédération nationales des Déportés (FND). Ils obtinrent une indemnisation de 150 francs pour trois mois au moins de déportation. En 1921, la loi est modifiée et leur accorde 50 francs par mois de déportation. Mais cette indemnisation est considérée comme une aumône et les déportés étudieront la possibilité d’obtenir plus dans le cadre du tribunal Arbitral Mixte Germano-Belge qui se tint en 1924. Malheureusement, leurs espoirs seront déçus. Les archives du royaume contiennent une source importante de documents pouvant mieux éclairer le martyre des déportés. Il y a notamment 30.000 questionnaires de 8 pages remplis par les déportés et prisonniers civils et qui devaient servir à l’enquête que devait effectuer la Commission Centrale des Déportés, Réquisitionnés et Prisonniers civils. Nul doute qu’il y a là encore matière à étudier pour mieux comprendre ce que fut la vie du déporté belge pendant la Grande Guerre. Puisse le cri de ces jeunes gens déportés, notamment ceux qui reposent au cimetière Saint-Charles à Sedan, ne jamais être oublié ! Le cri du déporté Déporté de ma propre
vie Dr P. Loodts Références :
Liste des 109 déportés belges qui
reposent à Sedan. Merci à nos amis français qui entretiennent magnifiquement leurs
sépultures et donc leur souvenir. (Remarque : les noms de cette liste sont orthographiés tels que mentionnés sur les tombes. A noter la présence d’une femme et d’un certain lieutenant belge) Appelitan Pieter
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