Médecins de la Grande Guerre

L’exploit du brancardier C. Hougardy pour donner une sépulture à son ami J. Gérardy et sauver P. Timmermans.

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L’exploit du brancardier C. Hougardy pour donner une sépulture à son ami J. Gérardy et sauver P. Timmermans.

point  [article]
Les premiers jours de souffrances

Première sortie sur la civière

Paul à la fin de son séjour à l'hôpital

Paul et Franz à Folkestone

Les tanks à pétrole

Photo actuelle des tanks à pétrole en décembre 2014

L’exploit du brancardier C. Hougardy pour donner  une sépulture à son ami J. Gérardy et sauver P. Timmermans.

( auteur : Christian Timmermans)  

Introduction

Le lecteur trouvera ci-dessous la lettre de Charles Hougardy dans laquelle il raconte son exploit héroïque. Non seulement ce brancardier héroïque ramena vivant dans nos lignes des soldats belges (parmi lesquels se trouvait mon grand-père Paul Timmermans) qui gisaient  blessés depuis plus de 18 heures  à seulement 50 mètres de l’ennemi, mais il ramena  aussi de  ces lieux infernaux, arrosés par les shrapnells allemands le cadavre de son grand ami Joseph Gérardy, instituteur et brancardier comme lui-même. Après cette lettre qui témoigne du courage des brancardiers, le lecteur trouvera un petit texte explicatif sur les circonstances et les acteurs de ce fait d’arme.  

Christian Timmermans

Le 12 mars 2015

Le témoignage de Charles Hougardy

Lampernisse, le 22 mai 1915

Mon cher Papa et Joseph

Voici quelques mots pour vous deux : Il s’agit d’un ami, dont Père, tout au moins, a déjà entendu parler. Pour moi c’était un ami intime, le meilleur de ceux que j’ai rencontré depuis que je vous ai quittés, il y aura vite sept mois. Il s’agit de Joseph Gérardy, instituteur à Fléron mais qui habite chez ses parents à Micheroux. Il a été tué le 11 mai vers 9h1/2 du soir, à un mètre à peine de moi, alors que nous faisions tous deux notre devoir. Je suis protégé certainement, du moins, je l’ai été jusque maintenant d’une façon miraculeuse, témoin cette terrible nuit d’où je suis sorti sain et sauf à part une légère blessure au pouce (c’est déjà fini et guéri). En résumé, voici l’affaire. Pour ne rien dire des opérations militaires, je ne cite aucun lieu, aucun nom. Les Belges devaient occuper une position boche à tout prix. Cette position située sur l’Yser même devait nous revenir. Le « Génie » est de toutes les fêtes ; aussi comme toujours nos hommes si courageux, si braves étaient de la partie. Nous étions nous, avec Joseph Gérardy aux tranchées prêts à intervenir. La première nuit, notre artillerie jeta sur l’ennemi un torrent, une averse, un cyclone de feu, de shrapnells, d’obus, quelque chose d’horrible, de terrible ; un orage d’acier passait au-dessus de nous pour retomber sur les boches. On apprend vers 11 heures qu’un « nonante » allemand (obus brisant) est tombé en plein milieu d’une de nos compagnies, mon ancienne précisément. Joseph et moi partons, et, aidés de Jacques, nous ramenons nos blessés. Ce soir-là, déjà je croyais ne pas rentrer car  pendant vingt minutes nous sommes testés collés, couchés à terre à 400 mètres d’une mitrailleuse allemande, mais juste face à nous. Croyez-moi, ces minutes-là sont longues car continuellement (300 à la minute) les balles sifflaient et on ne sait jamais où la suivante ira. Mais bref, pas une égratignure, nous rentrons dans notre tranchée de deuxième ligne, bien intacts. Aussi quelle bonne cigarette, j’ai fumé peu après. Au petit jour vers 2h1/2 notre compagnie obligée pour des raisons tant stratégiques que militaires de rester à l’endroit parvenu, était toujours à 800 mètres de nous. Le jour se levait. Un homme blessé arrive en rampant et annonce que plusieurs des nôtres sont restés râlant devant l’avant-poste allemand. Nous décidons, joseph, Jacques et moi de rester toute la journée là-bas. Parmi les blessés de ma compagnie se trouvait Paul Timmermans, sergent, dont les parents habitaient quai de Fragnée. A tout prix, Joseph et moi décidons d’aller le rechercher coûte que coûte.  Dès dix heures du matin, nous réussissons à gagner la première ligne, mais là on nous défend d’avancer d’un pas. Sortir des tranchées de première ligne en plein jour, c’est la mort certaine. Pas moyen donc, il faudra attendre la tombée de la nuit. Nous regagnons notre tranchée-abri vers midi, il le faut bien. L’après-midi, les boches avec leurs 105 millimètres tapent dur sur nos tranchées et de l’infanterie, de braves garçons, de vaillants soldats sont évacués à un km d’ici par nos soins et par des brancardiers des piottes. Je faisais ce bout de chemin avec Joseph, les boches ne bombardaient plus. On blaguait, on parlait ensemble, mais  ce cher ami Gérardy avait de biens sinistres pressentiments ; on aurait dit qu’il vivait ses dernières heures ; vraiment, il le sentait. Vers 7h1/2, nous nous glissions de notre abri et accompagnés de quelques autres nous partons après être arrivés aux premières lignes.

Le frère d’un de nos blessés, Franz Timmermans, nous accompagne. Nous arrivons au bord même de l’Yser et après un quart d’heure nous arrivons à environ 50 mètre de la position ennemie. Nous trouvons quatre de nos hommes blessés depuis plus de quinze heures et qui ont fait le mort toute la journée. Le plus mal arrangé est Paul Timmermans, il faut le sauver, et comme nous sommes arrivés là sains et saufs, nous nous hâtons, mais on tire au fusil, nous sommes pris de flanc. Grâce à Dieu, les balles ne touchent aucun de nous ; on s’y fait, on s’habitue aux balles. Mais malheureusement, voilà que les allemands nous envoient des shrapnells, une sorte de boîte à balles si vous voulez, et ils les font rasants, presqu’à fleur de terre ; c’est la mort sans pitié. Nous passons sans encombre pendant qu’ils lancent les shrapnells. Chaque fois que l’on entendait le coup de départ, on se plaquait à terre. Plus terrible fut le sixième shrapnell, la flamme de l’explosion nous brûla presque les yeux, plaqués à terre, j’entendis les éclats voler et retomber près de moi, rien qu’une petite douleur au pouce droit. Paul Timmermans était blessé une quatrième fois, il hurlait de mal ; trois autres étaient blessés vilainement mais Joseph qui se trouvait à ma droite, couché à terre  à un mètre de moi ne bougeait plus.  Je l’appelle à voix basse, pas de réponse. Je le secoue. Mort, le crâne ouvert par un éclat. Tué sans avoir poussé un cri, une parole, tué net à un mètre de moi. C’est terrible, épouvantable, mais nos blessés vivaient encore. Je dus faire appel à toutes mes forces pour sauver Paul Timmermans, avec Jacques qui attendait à vingt mètres de moi. Nous l’avons sauvé et deux fois encore, cette nuit-là, je suis allé chercher deux braves garçons de notre Compagnie dans cette zone terrible. Paul Timmermans vient d’être nommé chevalier de l’ordre de Léopold ; le roi Albert l’a décoré lui-même dans un hôpital, mais moi je ne vivais plus. Je suis rentré seul au cantonnement ayant perdu mon meilleur ami, mort en brave. Son corps se trouve donc là entre nos avant-postes et ceux des Allemands.  Je jurai alors d’aller rechercher mon ami coûte que coûte, dusse-j’y rester aussi. Je voulais le revoir et l’enterrer saintement comme il le méritait. La nuit du 12 au 13, plusieurs amis m’avait promis de m’aider à nouveau et personne ne voulut m’accompagner. Je suis retourné près de lui, seul, en rampant dans la boue à plat ventre. Je l’ai retrouvé et pu voir son visage, mais j’étais découvert et pif… paf après moi. Ah ! Les sales types. Trente secondes après deux shrapnells et de nouveau, j’entendis les éclats voler comme la veille autour de moi.  Je dois t’avouer qu’à ce moment-là, j’ai eu peur d’être tué bêtement alors que j’étais seul, en face d’un ami tué et  sous les balles. Je me suis replié et suis rentré à la tranchée-abri vers minuit. Les autres font des yeux comme des fous et pour leur prouver, je leur rapporte la musette de pansements qui était tombée près de Gérardy. Je ne me suis pas tenu pour battu et, la nuit suivante, avec deux hommes de la compagnie, deux braves types, deux gaillards, nous sommes retournés pour la troisième  fois là-bas. On n’a presque pas tiré et nous avions le corps de notre cher Joseph, enfin… On l’a transporté à E, à 6 km d’où il a été tué. Là-bas, on a fait un cercueil, car on a toujours du bois pour les passerelles, etc… et en quelques heures de temps, on avait fait un fort beau cercueil. J’ai enseveli mon ami moi-même,  je l’ai lavé moi-même, j’ai fait tout moi-même. Le lendemain, le 14 donc, nous l’avons enterré à R . (Sa tombe sera entretenue par nous) elle est si belle, si jolie, à une heure d’ici. On a chanté une messe par Mr l’aumônier, le lieutenant  et une cinquantaine de nos hommes. J’ai eu beaucoup de peine vous le comprenez, car pour moi, c’était presque un frère que j’enterrais. Il était si doux, si gentil ; avec lui nous étions toujours en avant. J’ai fait  pour lui ce que j’aurai fait pour vous tous. Pour finir le Major m’a félicité devant la compagnie et il m’a serré la main, il m’a dit qu’il n’oublierait jamais notre grand dévouement, mais « bast », c’et le métier, hein papa ! Je vous embrasse.

Charles  Hougardy

Complément au témoignage de Charles Hougardy sur les circonstances et les acteurs de ce drame

       Paul Timmermans est né le 27 décembre 1887 à Liège, cinquième d’une famille de 11 enfants, dont 5 fils seront volontaires de guerre en 14-18. Fraîchement, diplômé de l’Université de Louvain en tant qu’ingénieur, il s’engage, fin septembre 1914, avec son frère Franz. Ils partent pour Anvers, à la caserne de Berchem,  où ils s’engagent au Corps des Mitrailleurs volontaires de la 3ème armée. Avec l’armée ils fuient Anvers et assistent à la débâcle d’Ostende d’où ils embarquent sur le Misnie pour Calais. Ils suivront une formation militaire à Ardres à partir du 23 octobre. 

       Le 30 novembre, ils arrivent à Pervijze, sur le front ; ils se retrouvent dans la Compagnie des Pionniers – Pontonniers Divisionnaire. Pendant 5 mois Paul et Franz vont travailler dur pour construire les tranchées, les avant-postes, porter les sacs de sables, monter les passerelles, etc.  Tout ça la nuit, souvent dans l’obscurité ou au clair de lune où ils sont alors facilement repérables par l’ennemi, sans compter la boue jusqu’aux genoux, la pluie et le froid, et les marches exténuantes pour le retour à la ferme, à Lampernisse, aux petites heures du matin. 

       En mai 1915, l’Etat-Major décide de lancer une attaque pour reprendre l’observatoire des tanks à pétrole contrôlé par les allemands et qui se trouve sur la rive gauche de l’Yser. Cela se passera du 9 au 12 mai 1915. Le 9 mai Paul inscrit dans son carnet : Messe et communion à Eggewaartskappelle. Je suis désigné pour le placement des passerelles dans l'attaque du soir, espérons que tout ira bien. Je ferai mon devoir jusqu'au bout, que Dieu nous garde.

       Dans la nuit du 10 au 11 mai, il entraîne à l'attaque un détachement de ligne dont le lieutenant était tué, et son détachement du génie, dont le lieutenant blessé lui avait remis le commandement. Il part couper les réseaux de fils barbelés des tranchées, pour préparer l'attaque et laisser le passage aux compagnies d’infanterie du 1er chasseur à pied. A 3h. du matin, il tombe frappé au ventre au moment même de l'avance de ses compagnons. Ils sont quatre à être blessés.

       C’est seulement vers 9 h. du soir, qu’on vient les sauver; pendant plus de 18h ils restent tapis dans un trou d’obus en faisant le mort. Les soldats Houben et Deltour sont gravement blessés. Paul est le plus gravement atteint ; 4 balles dans le ventre. Les brancardiers ne pouvant rejoindre l’endroit de l’attaque pendant le jour c’est seulement vers 21 h. qu’ils peuvent atteindre les blessés sous le feu ennemis et, notamment, sous le coup des shrapnels rasants qui fauchent sans merci.

       Deux amis brancardiers sont de la partie. N’écoutant que leur courage et leur devoir, ils décident d’aller sauver les blessés. Il s’agit de Joseph Gérardy, de Micheroux, instituteur à Fléron et de Charles Hougardy, également instituteur. Avec un certain Jacques et avec le frère de Paul, Franz ; ils partent pour aller sauver les hommes blessés. Arrivés à 50 mètres de l’ennemi ils les trouvent. Malheureusement, un shrapnel tue Gérardy sur le coup et Paul reçoit une cinquième balle dans la cuisse pendant son transport. Charles malgré la douleur de perdre son ami sauve les blessés. Il y retournera encore une fois cette nuit-là pour aller chercher des hommes blessés. 

       Quelques jours plus tard, après plusieurs essais infructueux, Hougardy ira chercher son ami, encore une fois au péril de sa vie, et le ramènera à Eggewaartskappelle pour l’enterrer dignement.

       Quant à Paul, il est emmené en voiture dans d’énormes souffrances à l’hôpital de Cabour à Adinkerke. Il note dans son carnet : Mercredi 12 mai 1915 : 

       Arrivée à Cabour à 3h du matin conduit par Diet et Jonckeu. Je souffre le martyr en auto, je ne sais plus crier ; je demande aux autres de crier de ralentir – 2h de martyr sur ces routes défoncées. Je crois que je ne pourrai jamais arriver, si j'avais dû continuer cela pendant quelques temps. Je crois que je serais mort avant d'arriver à l'hôpital.

       Franz continuera son parcours durant toute la guerre ; après l’attaque, comme c’était prévu pour lui et Paul, il ira en formation de lieutenant du génie à Ardres. Ensuite, il s’illustrera tout au long de la guerre et notamment en octobre 18 dans les opérations offensives avec la 41ème Division armée française.

C’est, donc, grâce à la bravoure et au sens du devoir de ces brancardiers que des hommes comme Paul Timmermans ont pu être sauvés. Merci à eux. Sur le site IN FLANDERS FIELDS MUSEUM, il est mentionné : Gérardy Joseph, Jacques, Victor de Micheroux décédé par un shrapnel à l'arrière de la tête à Kaaskerke : Ijzerdijk; kmpaal 15.500, petroleumtanks le 11-5-1915 ; brancardier à la 1ère Cie Pionniers de la 3ème armée ; 

Christian Timmermans

 

Sources :  

* Carnet de guerre de Paul Timmermans ;

* Lettre du 22 mai 1915 de Hougardy à ses parents ;

* Lettre du 23 mai 1915 de Franz Timmermans à ses parents ;

* Copie d'une lettre d’Eugène Coméliau, aumônier à Cabour, écrite à ses parents le 9 juin 1915

* Lettre du 15-6-1915 de Paul Timmermans à ses parents ;

* Compte-rendu de François Timmermans (le père de Paul).

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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