Médecins de la Grande Guerre

Amédée Gilkinet : brancardier, chef de réseau, valeureux Liégeois!

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Amédée Gilkinet : brancardier, chef de réseau, valeureux Liégeois !

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Amédée Gilkinet

Amédée Gilkinet

Le cachot ou Gilkinet vécut sa dernière nuit de patriote

La croix marquant l’endroit où fut enterré Amédée Gilkinet après son exécution. (Photo F. De Look)

Le lieu de l'exécution

Document envoyé par Monsieur Luc Malchair.

Document envoyé par Monsieur Luc Malchair.







Michèle Gilkinet petite-fille d’Amédée Gilkinet.



Amédée Gilkinet

                                                                                                    BONUS MILLES CHRISTI

                                                                                                  Ce fut un bon Soldat du Christ

       Amédée Gilkinet naquit à Liège, le 25 octobre 1883. Son éducation fut confiée aux Frères des Ecoles Chrétiennes : il puisa dans leur enseignement, avec des convictions religieuses profondes et une formation intellectuelle sérieuse, cet amour des lettres qui devait en faire un Apôtre. Nul plus que lui ne montra d’attachement à ses formateurs, et l’Association des Anciens Elèves des Frères, dont il était secrétaire, le compta toujours parmi ses membres les plus dévoués et lui dut mainte initiative heureuse.

       Dans la vie civile, par goût autant que par conviction chrétienne, Amédée Gilkinet fut professeur et journaliste : les deux carrières où son ardeur pouvait le mieux poursuivre le combat qui le passionnait, celui des idées. Sous la tunique militaire, il resta le dévoué qui ne refuse aucun poste parce que difficile, l’homme de devoir qui ne calcule jamais.

       Mobilisé le 28 juillet, attaché comme ambulancier au fort d’Embourg, il est pris le 13 août avec les blessés dont il a la garde. Il s’évade le lendemain et se consacre aux ambulances. Licencié après avoir, trois mois durant, prodigué ses services, il passe la frontière et rejoint son régiment. Son âge et ses aptitudes peuvent lui faire espérer une place à l’arrière : il sollicite le périlleux honneur de surveiller l’ennemi en territoire occupé. Exaucé, il y organise un service d’espionnage qui lui mérite de ses chefs cet incomparable éloge « Votre départ serait pour nous une perte irréparable… » Il reste donc ; mais après huit mois de travail fécond, il tombe aux mains de l’ennemi qui le torture de toutes façons, inutilement du reste, pour lui arracher un mot. Condamné à mort, il trouve, dans sa robuste foi, le courage des martyrs. Une seule chose l’inquiète : l’éducation chrétienne de ses enfants. Mais il a confiance en l’héroïque femme qui est leur mère et il s’en remet à Dieu de tout. « Ce qui me console, écrit-il dans son suprême adieu, c’est que j’ai toujours défendu la religion. » Et il tombe, en héros, sous les balles prussiennes, victime du devoir et de l’honneur.

       La Patrie reconnaissante lui a décerné à titre posthume la croix de Chevalier de l’Ordre de Léopold avec liserés d’or, la médaille Civique de première classe 1914-1918 et la Croix de Guerre ;  l’Angleterre l’a décoré de la Croix Militaire ; enfin le Moniteur du 23 février 1920 portait son nom à l’ordre du jour de la nation avec cette citation splendide :

       « Organisa un service de renseignements qui obtint plusieurs fois les félicitations du Grand Quartier Général. Arrêté, il refusa de donner le moindre détail à l’ennemi qui le priva du dernier adieu aux siens sans pouvoir le faire parler. Sa fermeté, au cours des tortures morales et physiques, arracha des cris d’admiration à ses bourreaux. La Patrie s’honore en glorifiant ce Héros. »  


Amédée Gilkinet



Dédicace: " A Michèle, députée au Parlement Fédéral, petite-fille du valeureux Liégeois"

Résumé de la conférence du R.P. Léon par le Dr P. Loodts

A première vue, rien ne prédestinait Amédée à  une vie héroïque ....Cependant quand on examine  d'un peu plus près la vie qu'il menait avant  guerre, on s'aperçoit  rapidement  qu'Amédée Gilkinet portait déjà l'étoffe d'un héros. Doué d'une énergie peu commune tournée entièrement  vers le service aux autres, Amédée, par ailleurs père de quatre enfants, exerçait une activité inlassable dans de nombreuses activités. Tout en étant comptable à la Société d'Arts et Métiers, il enseignait  à une classe d'adultes de l'Ecole Sainte Marie et écrivait des articles  pour le "Journal de Fléron" et  la "Gazette de Liège". Amédée voulait sa plume et son savoir engagés dans la lutte pour un monde meilleur et juste. Il était non seulement idéaliste mais  un véritable  "battant" comme le souligne sa devise "Credo-Pugno" (Je crois, je me bats) qui lui servait de signature au bas de ses articles. La guerre surprenant l'Europe va servir de révélateur aux qualités multiples d'Amédée. Homme d'action, malgré son âge et le fait qu'il soit le soutien d'une famille nombreuse, il s'engage immédiatement comme volontaire pour défendre son pays. Amédée va ainsi se retrouver en qualité de brancardier militaire au service du Docteur Devillers parmi les troupes de forteresse qui tiennent le  fort d'Embourg. Dans la nuit du 5 au 6 août, Embourg comme les cinq autres forts du pourtour Meuse-Ourthe, résiste à l'assaut de l'ennemi mais Ludendorff se faufille dans les intervalles et atteint la Chartreuse le 6. Le Général Leman rallie le fort de Loncin et le 7 von Emmmich entre à Liège. Les forts luttent seuls: battus par l'artillerie lourde braquée dans Liège même, ils tombent successivement du 8 au 16. A Embourg, l'on prévoit l'issue fatale et l'on s'y prépare. Plusieurs fois Amédée va traverser les lignes de sentinelles ennemis pour rapporter au fort des vêtements civils pour les soldats qui ne veulent se résigner à la captivité et qui se disposent à travers tous les périls à la retraite sur Namur. Le fort tombe le 13 août. Amédée parvint à  cacher les blessés dans des maisons du village. Il organise une battue dans le bois d'Embourg à la recherche  d' autres soldats blessés et en  ramène trois (Delbouille, Quinet et l'adjudant Camille Lesage)  Le soir, son infirmerie improvisée est découverte par l'ennemi et Amédée est fait prisonnier. Le valeureux Liégeois  s'évade le lendemain  et se réfugie à l'hôpital improvisé de Bressoux dans lequel pendant deux mois il ne cessera de se dévouer. Au terme de ces 8 semaines de soins aux  blessés, il veut  rejoindre l'armée belge qui a réussit à s'échapper d'Anvers et qui tient libre, "derrière l'Yser" un dernier lambeau de la  Belgique. Amédée n'a pas le temps de réaliser son projet; l'ennemi le réquisitionne et l'envoie travailler comme brancardier à l'hôpital militaire de Saint-Laurent à Liège. Amédée patiente  jusqu'au 8 décembre, date à laquelle, il réussit à traverser  la frontière hollandaise et à rejoindre la France via l'angleterre. Le 19 décembre, on le retrouve à Paris  dans la basilique de Montmartre: il  confie au "Sacré Cœur" son avenir et le sort de sa famille. Le 25,  il fête  Noël parmi ses compatriotes soldats après être parvenu au dépôt de la 3 D. A.( 3° division d'armée) situé dans la ville du Havre. Amédée met alors son talent d'organisateur et sa plume au service de ses compatriotes. Il entreprend de localiser les soldats belges dont les familles liégeoises n'ont plus de nouvelles depuis plusieurs mois et parvient via des relais à transmettre de leurs nouvelles aux parents inquiets demeurés en Belgique occupée. Ses talents de chroniqueur sont vite connus puisque fin janvier, Gérard Harry, rédacteur du Courrier belge dans le "Petit journal", sollicite sa collaboration. En mai 1915, Amédée  fait lui-même paraître un petit bulletin de liaison destiné aux anciens élèves de l'Oeuvre Salécienne de Liège qui se trouvent au front. Quatre numéros paraîtront, mais le dernier daté du 10 juillet 1915 n'est plus l'œuvre de notre brancardier qui vient d'être muté à Port-Villez comme professeur à l' "Ecole Belge de Rééducation pour les Mutilés de Guerre" . Amédée  juge certainement  ce travail trop "planqué"  et ne valant pas le sacrifice consenti  en se séparant de sa femme Marie et de ses quatre enfants. Il  fait entendre ses aspirations. Sa personnalité, les connaissances approfondies qu'il a des choses et des gens de la province  de Liège, impressionnent les autorités qui  lui demandent, à sa plus grande joie, de rentrer au pays pour y créer un réseau de renseignements.

Le 20 août, il est de retour chez lui. On imagine sans peine la joie et la surprise qu'il crée en débarquant ainsi dans sa famille. On imagine aussi l'émoi de sa femme Marie quand il lui annonce la mission pleine de dangers qu'il va tenter de réaliser. Amédée s'attèle  immédiatement au travail. En quelques jours, il réussit l'exploit de rassembler autour de lui une soixantaine de personnes (parmi lesquels de nombreux religieux) répartis sur quatre provinces qui  promettent de lui transmettre au jour le jour des renseignements aussi variés que  les horaires et destinations des trains, les caractéristiques des  troupes ennemies voyageant sur  les routes, les localisations des ouvrages militaires.

Chaque soir, Gilkinet créa à partir des notes de ses agents un rapport général destiné aux armées alliées. Le lendemain, un émissaire (Madame Lincé, Monsieur Lincé ou Monsieur Bovy) quittait Liège soit par le train Rocour-Tongres soit par le tram Herstal-Riempst pour gagner la frontière hollandaise. En une dernière étape, il fallait enfin atteindre Reckleim où avait lieu la délicate opération de la transmission du pli au delà de la ligne des fils de fer électrisés placés par l'ennemi entre les deux pays. Tous les moyens sont employés: le pli est jeté au moyen d'une pierre ou confié à un chien ou encore lancé sur un fil téléphonique au moyen d'un ressort! Par la même voie revenaient les instructions et de l'argent provenant du Grand Quartier Général.

Les résultats du réseau ne se firent pas attendre. Un exemple parmi d'autres: grâce à des hommes courageux  tels que le Frère Marcel-Léon, directeur de l'École des Frères de Bertrix, les alliés purent être avertis du mouvement incessant des troupes qui s'embarquaient dans la gare de cette ville à destination des Ardennes françaises. On en déduisit ainsi qu'une  grande offensive se préparait sur Verdun. Le courageux religieux osa même installer une écoute téléphonique  sur la ligne téléphonique qui traversait le bois de Bertrix pour rejoindre le château des Amerois dans lequel l'empereur Guillaume s'était installé... Le Frère Marcel-Léon  finit cependant  par se faire prendre et fut envoyé au bagne.  Remarquez bien qu'Amédée n'hésitait pas à rechercher lui-même des renseignements complémentaires pour compléter les  rapports de ses agents. C'est ainsi qu'il se rendit lui-même dans la région de Signeux-Virton pour analyser les détours les plus invraisemblables accomplis par les convois de  l'ennemi désireux de cacher leurs préparatifs en vue d'attaquer Verdun.

Le réseau d'espionnage fonctionna sans accrocs jusqu'en février 1916. A cette date, Amédée se sent trahi  par un certain Keurvers qui va éveiller sa méfiance. Les amis de Gilkinet et son épouse Marie lui demandent de se mettre à l'abri mais il refuse. Le soir de 26 avril, une auto grise stoppe devant son bureau et huit hommes en descendent. Amédée est fait prisonnier et incarcéré à la prison Saint Léonard de Liège. Par l'intermédiaire d'un de ses dévoués amis, le frère Félix, et grâce à la complaisance d'un  patriote nommé Monsieur Lerusse qui était un des gardiens de l'établissement, Amédée parviendra à établir une correspondance secrète avec l'extérieur. 51 messages seront envoyés par notre héros  permettant  de mettre en sommeil tout le réseau et de  cacher les documents compromettants. En prison, Amédée puisa son courage dans sa  foi en  Dieu et en l'avenir. Il note le 20 mai  que "la prison est un lieu très propice à la méditation et à la prière". Le 8 juin, on lui annonce la terrible nouvelle qu'il est condamné à mort. Le 15 au soir, il est  transféré de Saint-Léonard à la Chartreuse. Le soir même, il écrit aux siens et signe une dernière fois de sa devise "Credo- Pugno" puis réclame un prêtre belge pour l'assister. L'abbé Brépoels, aumônier de l'hôpital de Bavière  recueille les dernière confidences d'Amédée, notamment celle-ci  "Je suis content de faire le sacrifice de ma vie si le Bon Dieu veut l'accepter pour la paix"


Le cachot ou Gilkinet vécut sa dernière nuit de patriote

A quatre heures dix du matin le 16 juin 1916, un officier vient le chercher. Amédée Gilkinet demande qu'on ne lui bande pas les yeux. En sortant de sa cellule, il s'exerce même à l'humour: comme il avait oublié de mettre son pardessus, il revint sur ses pas en disant  "Il ne faut pas tout de même que j'attrape une pneumonie avant de mourir". 

Cinq minutes après, une salve, une seule...


Le lieu de l'exécution

Amédée reçut à titre posthume la Croix de Chevalier de l'Ordre de Léopold avec liserés d'or, la Croix Civique de 1° classe 1914-1918, la Croix militaire anglaise et le Croix de guerre.

Source: "Amedée Gilkinet, Conférence de l'Association des Anciens Élèves des Frères des Écoles Chrétiennes de Liège", R.P Léon, professeur à Carlsbourg, 10 avril 1930, Imprimerie Dricot, Bressoux.



5ème année – N° 52                       ORGANE MENSUEL                   OCTOBRE 1923

BULLETIN OFFICIEL

DE LA

FEDERATION NATIONALE

DES

PRISONNIERS POLITIQUE DE LA GUERRE

NOS MARTYRS

Amédée Gilkinet

       D’aucuns, du jour premier de l’invasion barbare, se sont placés au premier rang de la phalange des héros glorieux dont nous garderons indéfectiblement la mémoire.

       Il nous plait aujourd’hui d’écrire quelques lignes pour magnifier un homme qui fit longtemps son devoir dans des besognes relativement humbles, que beaucoup parmi les meilleurs eussent acceptées avec tristesse voulant encore plus pour le pays,… Question de caractère, peut-être,… mais il n’est rien de nécessaire à la Patrie qui ne soit glorieux d’accomplir, et je crois bien que les postes les plus humbles étaient souvent les plus méritoires.

       Ambulancier, ce fut au fort d’Embourg qu’aux premiers jours, il se signale en dérobant à l’envahisseur plusieurs blessés que la retraite des armées autant que l’explosion des fort laissait sur le terrain.

       Et le voilà à cause de son courage détaché de son unité et forcé de rester quelques temps sur le territoire occupé.

       Sans crainte d’être reconnu par les Allemands comme ayant appartenu à l’armée belge, il prend du service dans un hôpital improvisé à Bressoux. Deux mois, il reste au chevet des blessés et ne se contentant pas d’être infirmier, il choisit le plus souvent les gardes de nuit, qui à l’ordinaire ne sont jamais recherchées. Partout où il passe, ce ne sont pas seulement les soins physiques qu’il apporte, mais il relève le moral de ces hommes malades, leur conte les « choses du front », et l’espoir renaît s’il était abattu.

       Cependant l’idée de rejoindre ne l’a jamais abandonné, mais les Allemands réquisitionnent les ambulanciers militaires, et le voilà obligé de se rendre à l’hôpital Saint-Laurent ; pour sortir de cet espèce de prison où il est séquestré, il tente démarches sur démarches auprès des Boches pour pouvoir continuer son cours du soir, que comme instituteur, il donnait à la rue de Harlez ; il le fit sans crainte des « super patriotards » qui, tranquilles chez eux, auraient pu crier (c’était une manière comme une autre de faire… quelque chose).

       Il obtient la permission et le voilà sorti de sa geôle, puis après quelques jours, passe en Hollande, plus vite de Hollande en Angleterre : il a hâte de porter les plis dont il s’est chargé au ministère des affaires étrangères.

       Puis en France, il est affecté à la 3 D. A., et là, vaquant aux travaux ordinaires qui lui sont commandés, il est le boute-en-train du petit cercle qui se forme vite.

       Il écrit une petite feuille polygraphiée, où il parvient à donner des nouvelles de leur famille à bien des soldats du front.

       Mais déjà, on songe à le renvoyer en « Belgique occupée », et bientôt, il est à Liège.

       C’est l’espionnage avec toutes ses transes.

       Sur l’organisation du service, nous trouvons dans la petite brochure Les Ames héroïques les lignes suivantes :

       « Pour organiser ces services, il lui faut des collaborateurs actifs et décidés : il les recherche. D’aucuns sont des amis personnels ; les membres du clergé, discret par profession, et qui ont, en chaire, donné de multiples preuves de patriotisme, lui fournissent une bonne part des autres. Ainsi se groupent autour de lui : M. et Mme Lincé, ses hôtes ; M. Clément Séaux, typographe à Liège ; M. Bovy, de Bressoux ; M. et Mme Wauters, négociants à Liège ; M. et Mme Deprez, de Liège ; MM. Burlet et De Reck, vicaires à Pepinster ; MM. Xhrouet, de Pepinster encore ; à Namur, opèrent MM. Massart, Roberty et Golenvaux ; à Verviers, Lheureux, de Hermalle-sous-Argenteau, et Herck, de Welkenraedt ; dans le Limbourg, à Reckheim, travaille la famille Kusters ; MM. Dubois et Mottoul s’occupent du Brabant ; quelques religieux, à Namur et à Verviers notamment, lui apportent aussi leur concours : bref, une soixantaine de personnes.

       En quelques semaines, le service étend ses ramifications sur les quatre provinces de Liège, Limbourg, Luxembourg et Namur.

       Il s’agissait de noter au jour le jour, avec précision et adresse, le nombre de trains, leur numéro, leur contenu, leur provenance, leur destination ; le passage des troupes sur les routes, leur identification, leur contingent ; les travaux de défense aux approches des forts, les dépôts de munitions, les batteries dissimulées, qui pouvaient servir de but aux bombardements aériens ; le séjour et les mouvements de troupes dans les localités ; les voyages d’avions et zeppelins ; en général, tous les renseignements de nature à dévoiler et à déjouer les initiatives de l’allemand. Les notes ainsi recueillies par les observateurs locaux, quelques courriers régionaux les centralisaient et les communiquaient chaque soir au bureau de la rue Henri Maus. Là, le jour même, Gilkinet compulsait tous les documents et s’en inspirait pour un rapport général à transmette le lendemain aux armées alliées. Très exigeant sur l’exactitude et la précision de ces notes, notre ami les confrontait, les comparait, ne retenant d’elles que ce qui était formellement et indubitablement établi. Vers 10h30, le rapport rédigé, le pli était confié à l’un des trois courriers de frontière – Mme Lincé, M. Lincé, M. Bovy – chargés de le faire passer en Hollande et de rapporter les instructions officielles.

       Pour ce rôle de courrier de frontière, il fallut user de ruse souvent, d’extrême prudence toujours. A 5 heures du matin, après avoir vu M. Wauters pour certaines notes complémentaires de la nuit, l’émissaire quittait Liège et, un jour par le tram Rocourt-Tongres, le lendemain par le tram Herstal-Rumpst, gagnait la région frontière. Que de subterfuges pour dérouter l’astucieuse surveillance des agents boches ! Que d’alertes causées par ce pli précieux qu’on portait enfoui dans les chaussures, cousu dans la doublure de la veste ou dissimulé dans la coiffe de la casquette ! En une dernière et difficile étape, on atteignait Reckheim, où avait lieu la délicate opération de la transmission du pli au-delà de la frontière. Le courrier devait y rencontrer, tantôt à un endroit, tantôt à un autre, un des collaborateurs de M. Kusters, chargé de l’importante mission. La ligne de fils de fer électrisés était, on le conçoit, particulièrement surveillée. N’importe par mille ruses, constamment renouvelées, on transmettait l’envoi à un affilié de Hollande : le pli était porté à la nage par un agent dévoué, ou jeté au moyen d’une pierre, ou confié à un chien, ou lancé sur un fil téléphonique au moyen d’un ressort,… et par la même voie revenaient les instructions du grand quartier général et l’argent destiné à payé les frais du service. »

       Mais un certain Keurvers, membre du comité hollandais de ravitaillement, non seulement le dénonça, mais servi encore d’agent inquisiteur, ce en quoi il fut mal avisé, car il ne réussit pas à obtenir le moindre renseignement.

       Malgré tout, il fut arrêté, et nous reprenons dans cette même brochure les lignes suivantes :

       « Mais voici s’approcher l’heure tragique, l’heure du calvaire. Le soir du mercredi 26 avril, le courrier de frontière vient de quitter ; Keurvers se représente ; il est mis à la porte. Dix minutes après, une auto grise stoppe rue Henri Maus. Huit hommes en descendent, browning à la main, menaces aux lèvres, et font irruption au n° 66. Deux heures durant, ils fouillent la maison de fond en comble, découvrent quelques documents de peu d’importance et une lettre pour la France. Séance tenante, Gilkinet avoue s’être occupé, gratuitement, de correspondance pour les familles des soldats, de la recherche des prisonniers, blessés et disparus, mais nie avoir donné des renseignements d’ordre militaire. Il est néanmoins arrêté avec M. et Mme Lincé, et ils sont amenés au Palais.

       Comme une montre bien réglée, tout le rouage qu’il a si parfaitement agencé continue à fonctionner. Danger terrible, car les « signaleurs » vont à tour de rôle, donner tête baissée dans le piège, et les Boches aux aguets n’auront pas même à se déranger pour les cueillir. Heureusement, MM. Bovy et Sougnez ont eu connaissance de l’arrestation et préviennent les affiliés de province et de la frontière.

       Bientôt d’ailleurs, par une voie mystérieuse, Gilkinet lui-même donne des instructions nettes et précises, que transmet, malgré les transes d’une arrestation possible, imminente peut-être, M. Bovy seul courrier de frontière encore en service.

       Namur et Verviers n’ont pas même suspendu leurs envois : c’est maintenant M. Wauters qui les centralise.

       Qu’était devenu Gilkinet ? L’avait-on incarcéré au Palais, à Saint-Léonard, à la Chartreuse, où ailleurs ? Les plus instantes démarches ne le révélaient pas. »

       Grâce à M. Lerusse, il put communiquer avec ses codétenus, et rien ne fut connu de leur service.

       Mais l’heure approchait ; bien que sans preuve du délit, il fut condamné à mort et exécuté rapidement.




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