Andrée et Marguerite Clerbois.
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Cécile au piano en 1900.
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Certificat de Cécile - verso
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Certificat d'identité de Cécile.
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Certificat d'identité d'Edmond Clerbois.
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Edmond Clerbois en 1915.
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Edmond Clerbois séminariste.
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Edmond Clerbois, Cécile & les filles en 1917.
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Le grand père Clément Clerbois & ses petites-filles.
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Le mariage D'edmond Clerbois avec Cécile.
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La pelouse d'honneur.
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Pierre tombale d'Edmond Clerbois.
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Le brancardier Edmond Clerbois
Edmond Clerbois en 1915.
A Bracquegnies, Edmond Clerbois est un père de famille
comblé par ses deux petites filles, Andrée née en 1908 et Marguerite née en
1910.Les petites fifilles comme les appelle leur père, sont élevées par leurs
grands parents paternels. Il est vrai qu’Edmond et son épouse Cécile sont
musiciens ! Peu courant comme genre de vie à cette époque, surtout pour un
couple ! Ce métier difficile est très exigeant, il faut travailler et encore
travailler pour arriver à se faire une place au soleil. Cécile, outre ses
leçons de piano, accompagne les films de cinéma muet, présente ses élèves lors
d'auditons publiques, donne des concerts avec ou sans son mari. Edmond, de son
côté, exerce le difficile métier de chef d'orchestre. Il écrit également des
chansons, des pièces de théâtre ou des revues ! A le voir vivre, si heureux,
si enthousiaste, si occupé, il ne viendrait à l'idée de personne qu'Edmond
n'est pas en bonne santé ! En réalité Edmond est de très faible constitution
et, seul, son proche entourage est conscient que l'incroyable énergie qu'il
déploie lui sert de rempart contre une maladie que le sort lui a infligé.
Quand Edmond revient heureux mais les traits tirés par la fatigue après une
longue répétition, il arrive à son épouse de le rappeler tendrement à l'ordre :
- Edmond, fais attention à toi ; tu sais très bien ce que t'a ordonné le médecin :
pas d'efforts trop longs, pas de fatigue intense ! Pense à nous, tu dois nous
rester en forme !
Edmond évidemment se souvient très bien des recommandations de l'homme de
l'art… Comment pourrait-il ignorer ou oublier son état, lui qui est obligé
chaque matin d'ingurgiter ses quinze gouttes de digitaline ! Tout avait commencé
quelques mois après la fin de son service militaire, en 1901.Le jeune homme souhaitait
alors entrer dans les ordres, mais a dû abandonner le séminaire pour cause de
santé. Le médecin avait eu le diagnostic très facile : l'auscultation révélait
un souffle cardiaque manifeste, dont les caractéristiques reflétaient des
lésions de la valve mitrale. Edmond souffrait donc d’insuffisance cardiaque !
Une angine mal guérie était vraisemblablement à l'origine de cette affection :
le terrible streptocoque avait pu se disséminer jusqu'au cœur. La faiblesse
cardiaque d'Edmond était cependant bien maîtrisée par la thérapeutique. Le
médecin connaissait d'ailleurs des dizaines d'autres cas semblables à celui
d'Edmond. Beaucoup d'entre eux, pour peu qu'ils se ménagent et évitent les
refroidissements pouvaient espérer de nombreuses années de vie plus ou moins
normale avant que l’affection cardiaque ne se dégrade en un grave handicap. Il
n'était donc pas question pour le médecin de famille de dramatiser le cas
d'Edmond. Son devoir consistait simplement à éduquer son patient à se soigner
et à se ménager ! Pour ce qui était du traitement, le médecin ne se faisait pas
trop de soucis, bien qu'Edmond fut d'un tempérament plutôt bohème. Il suivrait
sans aucun doute scrupuleusement le traitement à la digitaline d'autant plus
que son épouse avait compris l'importance de toutes les mesures nécessaires au
maintien de la santé de son mari. Pour ce qui était de la vie calme que devrait
mener idéalement son patient, le praticien ne se faisait cependant aucune
illusion : Edmond débordait d'énergie créative et du désir de se rendre utile !
Il fallait se montrer philosophe et confiant pensa le brave docteur : avec les
années et des recommandations insistantes, Edmond finirait sans doute par s'amender…
On verrait bien !
Les années passent.
Les petites filles vont à l'école, mais vivent toujours chez leurs
grands-parents.
Et la vie continue, répétitions, concerts, visites aux enfants, articles au
journal, chansons, sirop Poumofor, digitaline, visites au docteur, trajets sous
la pluie ou le soleil, en tram, en train...
C'est le bonheur, le vrai, celui qui ne fait pas de bruit, et dont on se
souvient lorsqu'il a disparu.
Ah ! cher Edmond, quelle douleur pour toi ce sombre mois
d'août 1914 !
Edmond est mobilisé aux Troupes auxiliaires du Service de Santé pour être
affecté à la colonne d'Ambulance de la Division de Cavalerie comme brancardier.
Il n'a pas hésité un seul instant à partir : il est convaincu que la guerre sera
courte, que ses fonctions de brancardier sont compatibles avec son état
physique et qu'il est moralement impossible pour lui de se départir du sort que
la guerre réserve aux hommes de son âge… Qui comprendrait dans son quartier,
dans sa ville, dans son entourage, qu’il est réellement inapte au service,
réellement malade, alors qu'il montre tant d'énergie dans la cité ? Le handicap
d'Edmond est invisible pour le commun des mortels, enfoui au plus profond de
lui… si bien surmonté et caché par son énorme appétit de vivre qu'il est obligé
maintenant, pour garder son honneur, de partir à la guerre !
Le premier août 14, Edmond est dans le train qui l'emmène au front… A peine sa
famille quittée, il noircit une feuille de papier à l'adresse de sa chère femme
Cécile. Il lui écrit "Tu me pardonneras de ne pas t'avoir embrassée ce
matin, mais j'avais le cœur un peu gros." On le comprend. Il se rassure
comme il peut..."Ce ne sera pas bien dur étant donné qu'on a pas à marcher
et qu'on roule en voiture d'ambulance." Rejoindre son unité prend trois
jours. Edmond apprend qu'il ne lui sera pas fourni d'uniforme car il n'y en a
pas assez pour tous les rappelés. Il restera donc, comme les instituteurs et
les curés, habillé dans ses vêtements de tous les jours. Puisque les vêtements
militaires sont impossibles, il faudra se munir de vêtements civils
supplémentaires. Le 3 août, Edmond écrit à Cécile "Fais-moi un paquet avec
le costume brun que j'avais la semaine passée. J'y suis à l'aise et les poches
sont grandes."
La section d'ambulance suit comme elle peut les mouvements de la cavalerie. De
Waremme à Hannut, de Hannut à Jandrain, Villers le Peuplier, Darion, Poucet, il
faut sans cesse se déplacer.
Article du journal
« Les nouvelles » daté du 7 août 1914 :
Les beaux gestes.
Madame Edmond Clerbois, la
distinguée pianiste, femme de notre collaborateur, Monsieur Edmond Clerbois,
nous écrit qu’elle est à la recherche de son mari, qui doit se trouver du côté
de Libramont. Elle demande à prendre du service au côté de son époux.
Note ajoutée par Decrom
Alain.
Le 8 août, soit une semaine après son départ, Edmond écrit
" Je vais fort bien sauf que je suis fourbu". Heureusement que le 9
est un jour de repos. Les petits mots écrits à sa femme partent tous les jours
mais Edmond s'inquiète de ne pas recevoir de nouvelles de son foyer et il écrit
le 11, "Ma chère Cécile, comment se fait-il que je n'aie pas encore reçu
de tes nouvelles ? Je suis inquiet de savoir comment tu vas et les enfants et
mes parents. Écris-moi bien vite ce qui se passe par là." Dans cette même
lettre Edmond raconte à sa femme qu'on a voulu le faire aller à bicyclette mais
qu'il en s'en est trouvé incapable. Edmond est sans doute trop vite essoufflé.
Le médecin l'a donc examiné et exempté du bicycle tout en lui faisant savoir
que probablement il devra un de ces jours être renvoyé chez lui ou dans un
hôpital. La lettre d’Edmond va sans doute croiser quelque part la lettre que
Cécile lui écrit le même jour. Fait émouvant, Cécile lui rappelle, comme si
elle avait pressenti l'affaire du vélo, les consignes de santé que devrait
respecter son mari :" il ne faut pas trop te fier sur tes forces et puis
tomber malade de fatigue. Tu ne dois pas oublier que le docteur te défend les
excès et il me semble que si tu te faisais visiter, le docteur de la colonne
aurait soin de te ménager un peu. J'aurais voulu te faire parvenir du Poumofor,
ton caban et tes souliers mais où les adresser ?" Détail amusant dans cette
lettre, sans doute pour distraire un peu son mari, Cécile raconte la
mobilisation des volontaires de la garde civique de Bracquegnies."Tu sais
elle est rigolo la garde civique de Bracquegnies ! Hier, je les voyais l'un armé
de gourdin, l'autre d'un fusil, un autre d'un révolver. Mon oncle Grolaux est
capitaine !" Plus loin Cécile raconte un autre un fait-divers qui a sans
doute fait rire tout le village. Il s'agit d'une femme de Bracquegnies qui a su
rejoindre une colonne pour dire bonjour à son homme et "Quand on lui
demande si elle l'a vu, elle répond, d'jé sté couchie avu, c'est co
mieux !"
Le grand père Clément Clerbois & ses petites-filles.
Le médecin de la colonne n'aura pas le temps d'envoyer
Edmond se faire soigner à l'hôpital car le lendemain 12 août a lieu la bataille
de Haelen. La cavalerie allemande
est arrêtée par nos lanciers qui ont eu la judicieuse idée de combattre pieds à
terre. Les pertes allemandes sont importantes. Le lendemain de la bataille, les
brancardiers parcourent le champ de bataille et ont fort à faire car il s'agit
de ramasser et d'évacuer les blessés et les morts. Edmond trouve cependant le
temps d'écrire, "c'est horrible : il y a des hommes presque morts
d'épuisement, qui ont des crises et des blessures effrayantes. " Au même
moment, sa Cécile lui écrit : " J'aurais un poids formidable en bas des
épaules si je te savais en dehors de la mêlée. Je ne te vois pas bien allant
sur les champs de bataille, et franchement je ne crois pas que tu puisses être
utile à la Patrie. (...) Il vaudrait beaucoup mieux que tu rentres, alors nous
pourrions aider les misères autour de nous (...). Le docteur Coppé prétendait
que si tu te faisais visiter on ne te tiendrait pas." Et, admirable,
Cécile ajoute : "Allons fais le nécessaire ; je te remplacerai comme
infirmière s'il le faut mais toi, tu reviendras te faire soigner !" Cécile
termine sa lettre pathétique en voulant distraire son mari un instant. Elle lui
conte une catastrophe arrivée au village de Bouvy: "Il y a eu un grave
accident mardi à l'église de Bouvy. On faisait la messe habituelle et les
fidèles étaient excessivement nombreux à cause de la guerre sans doute. De
nombreuses bougies étaient allumées près de la porte. Soudain une femme crie au
feu. Quelques affiches flambent. Une panique indescriptible s'ensuivit
paraît-il ; il y a en ce moment 15 morts et une cinquantaine de blessés. Parmi
les morts, Monsieur Clerfayt avec qui nous sommes revenus de Soignies la femme
d'Henri Pernet qui est rappelé sous les armes. Je viens de voir dans les Nouvelles
que l'enterrement d'une de ces victimes se fera civilement. C'était pourtant
une dévote de St Antoine ! Le contre-maître des Nouvelles me disait hier : c'est
bien dommage qu'Edmond n'était pas ici, quel article nous aurions eu !"
Titre et extrait d’un article
paru à la une du journal « Les Nouvelles » du mercredi 12 août
1914 :
Terrible catastrophe à La Louvière.
Un commencement d’incendie à l’église de
Bouvy provoque une effroyable panique.
Quatorze morts
Une cinquantaine de blessés.
« Les causes de la catastrophe.
Il était 9 h. 10 environ. La messe
dite de Saint-Antoine, qui a lieu tous les mardis, suivait son cours. Les
fidèles, femmes et enfants, étaient plus nombreux encore que d’habitude, à
cause, nous dit-on, de la guerre.
Non loin du portail d’entrée, des
bougies brûlaient. A certain moment, elles mirent le feu à une affiche épinglée
à proximité. Une femme cria : « Au feu ! » Et
immédiatement, la foule des fidèles se précipita, se bousculant pour se frayer
un passage.
Mais les premiers tombèrent :
c’étaient des femmes qui, les unes sur les autres, formèrent bientôt barrière
obstruant le passage. Et l’on poussait toujours...
Mais à la première alerte, le colonel
Semaille, chef de la garde civique, était accouru avec les hommes de garde à
l’état-major. Il ordonna de se retirer à l’intérieur de l’église et, comme on
n’obtempérait pas à ses ordres, il employa les grands moyens : il fit
tirer dans les vitraux du temple.
Les femmes se retirèrent alors dans
l’église.
Mais déjà le malheur était consommé. Et
l’intervention de la garde civique et de son chef n’eut que le résultat
d’empêcher que le malheur ne fut plus effroyable encore.
On retira des blessés, des mourants,
des morts ! On les transporta un peu partout dans les maisons voisines,
tandis que les médecins de La Louvière accouraient leur prodiguer des soins. Il
y avait des morts, on ne savait combien – mais de temps à autre, une civière
passait conduisant ceux qui avaient rendu le dernier soupir dans les locaux du
cercle catholique voisin.
[...] ».
Note ajoutée par Decrom
Alain.
Après la bataille de Haelen, ce sont à nouveau les mouvements qui reprennent.
On retrouve Edmond le 18 août dans un château abandonné à Waanrode près de
Cortenaken. Il est là en poste avec une voiture d'ambulance et une vingtaine de
brancardiers. Les hommes couvrent de paille le sol du rez-de-chaussée du
château pour y accueillir un éventuel afflux de blessés. Cette tâche à peine
effectuée, les Allemands font irruption. Les docteurs arrivent à s'expliquer et
l'ennemi laisse ce détachement de la colonne d'ambulance libre. Ce ne sera
hélas pas pour longtemps. En essayant de regagner les lignes belges, un
régiment d'infanterie allemand les arrête. Ils sont obligés de suivre la
colonne allemande qui se rend à Louvain. Durant le trajet Edmond aperçoit
"plus de cinquante incendies dans la campagne de Louvain, c'était
effrayant et lugubre !" Les brancardiers sont obligés de servir à l'hôpital
militaire de Louvain. Edmond s'occupe d'une salle où se trouvent 7 blessés
assez légers. Doucement Edmond se remet de ses fatigues amassées durant ces
trois dernières semaines dans d'interminables marches et contres-marches. Il
lui est cependant impossible de se distraire. Il écrit "J'essaie de lire
un peu mais quand je suis seul une seconde, ma pensée s'envole vers toi, vers
Bracquegnies et adieu la lecture ! »Le 26 août, Edmond assiste impuissant
au spectacle affreux du sac de Louvain. "Vers 8h1/2, au moment où nous
nous couchions, voilà tout à coup une fusillade dans la ville. Des Allemands
blessés racontent que des civils ont tiré sur eux. Peu à peu les incendies
s'allument. La ville est en feu. Ce matin l'église Saint Pierre est consumée.
Je suis allé jusqu'à l'hôtel de ville pour y ramasser des blessés.
Qu'allons-nous devenir ? Va-t-on bombarder la ville ? ». Dans la panique et
la pagaille entraînées par l'incendie de Louvain, Edmond se sent très peu
surveillé. Ce serait le moment de fuir mais sa conscience le retient :
"Nous avons encore des blessés et des malades à soigner, nous ne pouvons
pas partir »il ajoute : « mais ce serait probablement
livrer tous mes camarades à la prison ou à la mort. »
Durant la journée du 27, après quelques heures d'accalmie les atrocités vont se
poursuivre. Redoutant un bombardement de la ville, Edmond et ses compagnons
d'infortune descendent les blessés dans les caves. Le soir, les incendies
reprennent de plus belle. L'hôpital est environné de plus de 20 maisons en feu.
La corniche de l'hôpital est bientôt elle-même la proie des flammes. Les
brancardiers doivent rejoindre le troisième étage avec des seaux d'eau pour
éteindre le début d'incendie. Edmond écrit "certaines fumées nous
apportent des odeurs âcres de chairs brûlées, des cadavres sans doute. Le
spectacle est horrible et grandiose". Le samedi 29 les incendies ne sont
pas encore éteints et durant la nuit arrivent à l'hôpital militaire plus de 50
blessés prisonniers. Des Allemands sont aussi soignés à l'hôpital, ils ont été
gravement brûlés par une explosion. Quand Edmond monte le dimanche au grenier
pour surveiller d'une lucarne les incendies de la ville, il constate : "Ca
dure encore. Je crois qu'après la guerre, si on vient jamais me dire que le
rez-de-chaussée brûle chez nous, que je resterai tranquillement à l'étage. Nous
avons vu trop d'incendies et si ce n'était pas un horrible jeu de mots en
présence de la triste situation, je dirais que ça nous laisse maintenant froids
comme de la glace !"
Les jours qui suivent verront se rétablir le calme à Louvain. C'est le moment
des bilans. des quartiers entiers sont réduits à l'état de cendres. Edmond
écrit que "bien des gens sont complètement ruinés. Des commerçants surtout
dont les maisons sont pillées si pas brûlées. On m'a cité le cas d'un petit
commerçant, un marchand de légumes, qui a été asphyxié et brûlé dans sa cave
avec sa femme et ses 8 enfants."
Le 6 septembre c'est au tour du brancardier de partager le sort de ses malades.
Edmond est épuisé et le médecin lui ordonne du repos ainsi qu'un traitement à
base de digitaline. Malade, Edmond a besoin plus que jamais de réconfort. Il
rêve d’obtenir la permission de rejoindre les siens ou même de pouvoir recevoir
la visite de sa femme à qui il écrit "J'ai toujours dans l'idée de te voir
arriver à bicyclette, ou bien Achille. Il n'y a jamais qu'une soixantaine de
kilomètres. Mais voilà tu ne peux pas te douter que je suis ici. (...) Ce qui
est terrible c'est cet isolement, ne pas savoir donner ni recevoir de
nouvelles, ça vous fait devenir fou ! A demain ma Cécile, il me semble toujours
que je vais te voir arriver, que je vais entendre ta voix. A demain et à
toujours !"
Malgré tout Edmond essaie de se distraire, d'éloigner les pensées morbides. il
essaie de composer un petit chant patriotique. Des vers qui maudissent
Guillaume II, lui viennent à l'esprit. Il les note. Plus tard, il les
retravaillera !
Dans quelques instants, donc, c'est la bataille,
Puisqu'il faut marcher, eh bien nous march'rons,
Mais à notre place il faudrait que tu ailles
On verrait si c'est la même chanson.
Déjà l'on maudit partout ta mémoire,
Viens voir ici les morts s'élever par tas
Et dis-nous vraiment si toute ta gloire
valait bien la mort de tant de soldats.
Edmond résiste jour après jour à la dépression. Il se
rétablit peu à peu. Le médecin qui le soigne a facile de convaincre les
autorités ennemies qu'un renvoi au foyer du convalescent s'impose. L'évènement
tant espéré survient enfin. Edmond reçoit l'autorisation de rejoindre les siens
le 07 octobre. Il ne faut pas beaucoup d'efforts pour imaginer l'immense liesse
avec laquelle Cécile et ses deux filles retrouvent le mari, le père ! Mais le
sourire d'Edmond cache mal son visage émacié, vieilli, angoissé ! Cécile prend
soudain peur, peur de l'avenir ! Pourront-ils retrouver le bonheur d'antan ?
Edmond se rétablira-t-il ? Le couple est courageux et chasse ces interrogations
en pensant à sa bonne étoile : l’homme est revenu alors qu'autour d'eux tant de
foyers pleurent le mari, le fils, dont on a toujours pas de nouvelles ! Edmond a
aussi retrouvé ses parents qu'il adore et son jeune frère, Achille, pour lequel
il s'est fait tant de soucis !
Au fil des jours, lentement, à petites doses de mots, de phrases, Edmond se
décharge de la détresse accumulée jusqu'au plus profond de son être depuis sa
douloureuse confrontation avec la barbarie. En deux mois que de vies brisées
rencontrées sur son chemin ? Comment oublier le regard de ces centaines de
vieillards, femmes, enfants fuyant Louvain en feu ? Comment oublier le massacre
de tant d’innocents ?
Pour Edmond, hélas, la guerre n'est pas encore finie. Alors qu'il se croyait
oublié de l'ennemi, il reçoit un jour une convocation du médecin militaire
allemand qui l'avait renvoyé dans ses foyers. Ce médecin est désireux sans
aucun doute de connaître l'évolution de l'insuffisance cardiaque dont souffrait
son ancien patient de Louvain. Edmond n'a pas d'autre choix que d'obéir aux
ordres... Le médecin militaire est surpris de l'évolution très favorable de
l'affection cardiaque d'Edmond. Il en vient même à la conclusion que son
patient peut reprendre du service ! L'armée allemande, après deux ans de guerre commence
à manquer de personnel médical et infirmier. Le médecin avait soigné Edmond
mais l'avait aussi vu travailler au service des blessés. Il connaissait la
compétence, la douceur, le courage du brancardier. Ses qualités, le souvenir
qu'il avait laissé, jouent paradoxalement en sa défaveur : Edmond servira de
réserve comme brancardier à l'hôpital militaire d'Ixelles (Bruxelles.)
Plusieurs fois, Edmond est rappelé quelques jours à l'hôpital militaire… Avec
courage, il s'efforce chaque fois d'oublier qu'il est lui-même malade pour se
donner complètement aux blessés qu'il a en charge… Edmond finalement ne se
plaint pas… Il pense à la chance d'avoir auprès de lui une Cécile si courageuse
qui le remet chaque fois d'aplomb après les jours exténuants qu'il lui arrive
de passer à Bruxelles...
Pierre tombale d'Edmond Clerbois.
Un jour, hélas, le 14 juin 1917, alors que l'on débarque
d'un train des dizaines de blessés, Edmond présume de ses forces. Les brancards
sont lourds, il fait terriblement chaud. Le chef de train s'énerve et crie sur
les brancardiers:
- Plus vite, plus vite, bande de planqués...
Pas moyen de souffler un peu entre deux blessés transportés sur le quai. Les
cœurs battent, battent de plus en plus vite ; la sueur perle sur les fronts, les
muscles tendus se transforment en cordons douloureux surtout dans les
avant-bras… Soudain, un brancardier tombe ; c'est Edmond qui voit ce qui
l'entoure tournoyer autour de lui avant de ne plus voir qu'un voile noir qui
scintille… On le saisit, on le couche sur un brancard. Sur le quai de la gare,
il doit patienter avec les blessés qu'il vient de décharger… Quand enfin le
train est vidé des derniers blessés, commence le long transfert des brancards
vers les ambulances automobiles qui doivent emmener tout ce monde de misère vers
l'hôpital militaire...
Edmond vivra encore quelques heures dans une salle de l'hôpital… Dans le
brouhaha entraîné par l'arrivée de tant de nouveaux entrants, les médecins et
infirmières font ce qu'ils peuvent... La priorité c'est de refaire les
pansements des blessés qui ont accompli un interminable voyage… Quant au
brancardier Edmond, on suppose qu'avec quelques heures de repos, il
récupérera...
Quatre heures plus tard, chaque blessé a été rafraîchi, soigné, muni d'un
nouveau pansement, transporté sur un lit aux draps blancs. Alors seulement une
infirmière trouve le temps de se pencher sur Edmond qu'on avait laissé sur un
brancard dans le couloir. Le visage d'Edmond est paisible. Edmond semble
dormir… L'infirmière ne se trompe pas longtemps, la guerre lui a donné
l'expérience de la mort… Par acquit de conscience elle sort son miroir,
l'approche du nez et de la bouche. Il reste sans la moindre buée, alors,
l'infirmière couvre le brancard d'une couverture qui ne laisse plus deviner
qu'une simple forme humaine.
Ce que l'on demanda à Edmond pendant la guerre était
au-dessus de ses forces. Se dépensant sans compter lorsqu'il se consacrait à
ses blessés il paraissait heureux et fort. Sa force morale trompa les médecins.
Sa maladie, supportée envers et contre tout, le fit mourir alors qu'il
soulageait la souffrance des autres. Edmond fut un héros parce qu'il avait au
sens propre comme au sens figuré un cœur plus grand que celui du commun des
hommes ! !
Edmond Clerbois repose à la pelouse d'honneur du cimetière d'Ixelles.
Note de Decrom Alain : Edmond Clerbois était aussi
écrivain, correspondant de presse au journal « Les Nouvelles » édité
à La Louvière et poète.
Ballade du bon chômeur.
Nul n'est plus heureux qu'un pauvre homme,
N'ayant rien à perdre ici-bas,
Que s'entrechoquent les royaumes
Mon Dieu ! ça ne le trouble pas.
La guerre effroyable fantôme
Le condamne aux loisirs forcés
Moins bien que le travail…..Il chôme
Le bon chômeur, et c'est assez.
Pour lui, guerre ou paix c'est tout comme,
- Il pleut ici comme là-bas.-
Qui tue à l'Est et à la Somme
Peu lui chaut le sort des combats.
Songer à plus tard ça l'assomme,
Plus tard… des contes ressassés !
Le présent lui suffit en somme,
Pourvu qu'il chôme, c'est assez.
Mieux servi que le Pape à Rome
Par les Chrétiens de tous états
N'est-ce pas pour lui que l'on nomme
Des comités partout, par tas.
Bien tranquillement il consomme
Les secours qui lui sont versés,
Puis entre-temps il fait un somme
Le bon chômeur, et c'est assez.
Prince j'admire le bonhomme
Les jours noirs qu'il a passés
De force et d'argent économise
Le bon chômeur, et c'est assez.
Edmond 8/1/17.
Ballade des
Ducasses du temps jadis
Dites moi donc en quels oublis,
En quel abîme où tout trépasse,
Ils sont tombés, ensevelis
Sinistre tour de passe-passe,
Les jours rayonnants des ducasses
Où s'esbaudissaient nos vingt ans ?
Souvenirs émus ou cocasses
Où sont les Ducasses d'antan ?
Forains aux oripeaux salis
Lutteurs ventrus, maigres Paillasses
Pitres aux visages pâlis
Sous des lumignons d'huile grasse ;
Chevaux de bois dont la carcasse
Virevolte aux sons éclatants
D'airs poussifs qu'un orgue concasse.
Où sont les Ducasses d'antan ?
Selon des rites établis
Menus copieux que rien n'effare ;
Gâteaux, chefs d'œuvres accomplis
Et dorés sous toutes leurs faces ;
Au foyer comme à la grand place
Fête attendue, heureux instants
Pour le riche et la populace !
Où sont les Ducasses d'antan ?
Prince ! tout passe, casse et lasse,
C'est un vieux proverbe épatant,
Nous reverrons, de guerre lasse
Les belles Ducasses d'antan.
Edmond.
Ballade du Pain Complet
(d'après Jean Richepin.)
«Chacun trouve son pain, bon pain
Pain de luxe ou pain de chaumière.»
Ainsi chantait Jean Richepin
Qui, paraît-il, eut la famine.
Il aurait changé, j'imagine
L'air et le ton de son couplet
S'il avait connu la farine
Du bon pain, notre pain complet.
Riche ventru, faciès peint
Trogne que Bacchus illumine,
Mangeur de truffe et de lapin
Que la bonne chère effémine,
Ton lorgnon de haut examine
Notre quignon vite avalé
Que ta dent superbe abomine,
Notre pain noir, le pain complet.
O paysan ladre et vilain
Qui caches l'or sous la vermine,
Tu jouis, sous tes greniers pleins
De la disette qui nous mine,
Poursuis hardiment tes rapines
Et laisse bien pourrir ton blé,
Mais crains bientôt que se termine
Le temps si dur du pain complet.
Prince, faut-il qu'on récrimine ?
Mieux vaut le prendre tel qu'il est
Et ne pas faire grise mine
A notre pain, le pain complet.
Baruch (autre surnom d’Edmond
Clerbois,
comme Mérodach Baladan)
Ballade des Mardis-Gras.
Les cliquetis des « pertintailles »,
Les orchestres mirlitonnants
Ont fait place au bruit des batailles
Et des sombres canons tonnants ;
Il faut prendre une mine austère ;
- Mais
où sont nos chansons d’antan ?-
Or,
je sais bien, s’il faut les taire
Qu’après
l’hiver vient le printemps.
Où
sont-ils nos jours de ripaille ?
Le
pain noir succède au pain blanc ;
Heureux
de coucher sur la paille
Tel
qui dormait en lit troublant.
Après
les Rameaux, le Calvaire...
Mais
loin des penseurs attristants !
Si
le bonheur rompt comme verre
Après
l’hiver vient le printemps.
O
toi, philosophe qui raille
Plaisirs
que tu dis indécents,
Entends
crépiter les mitrailles
Qui
font pleurer des pleurs de sang.
C’est
chose horrible que la guerre ;
Tant
de gens souffrent, mais pourtant,
Le
temps passe ainsi que naguère
Après
l’hiver vient le printemps.
Envoi.
Prince,
ma devise est : « J’espère ».
En
dépit des plus mauvais temps
Nous
reverrons des jours prospères
Après
l’hiver vient le printemps.
Février
1915. Edmond Clerbois.
Le
12 août, l’armée allemande veut forcer le passage de la Gette. A Haelen, l’armée
allemande lance à l’assaut 4.000 cavaliers, 2.000 chasseurs à pied et 18 canons
sur une position belge défendue par 2400 cavaliers, 450 carabiniers cyclistes
et 3 batteries d’artillerie. De 8 à 18 heures, 8 charges vont se succéder. Le
bilan de la journée est épouvantable : 1100 Belges meurent ainsi que 3.000
Allemands.
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