Médecins de la Grande Guerre
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Hommage aux 35 Belges qui reposent en Argonne à
Brieulles. Voici leurs noms. Ces jeunes hommes, la plupart trentenaire, reposent dans le cimetière militaire français de Brieulles-sur-Meuse à proximité de Romagne et de Montfaucon. Ces hommes faisaient pour la plupart partie du 30ème bataillon de travailleurs civils dont le cantonnement se trouvait à Romagne. Nous leur rendons hommage puis nous essaierons de mieux appréhender ce qui fut leur martyre en Argonne grâce aux témoignages laissés par leurs camarades qui eurent la chance de rentrer au pays. 1 Van Heuche Jules 2 Fiems Henri Camiel 3 Lievens
Henri 4 Van Den Hedde
Julius 5 Ryssegem Maurice 6 Recht Dominique 7 Van Brakel alfred 8 De Brugne Alfons 9 Collaert
hippolyte 10 Windels 11 Demey Achiel 12 Bollen Achiel 13 Leuse Achiel 14 Verrooten 15 Goossen 16 Naessens Jules 17 Fierts
Frantz 18 Van Den Velde
Raymond 19 Coppens
oscar 20 Damve Theophile 21 Vermeuln
Alphonse 22 Vervoet
Léonard 23 De Clerck Roland 24 Veys
Constant 24 Van Der
Haegen 26 Clephens
Daniel mort le 23 03 17 27 Morels Alphose
mort le 26 03 17 28 De Nuyt
Gust 29 Jacobi Louis 30 Walkens 31 Verbank 32 Van Audenhuyse 33 Van De Wiele
Joseph 34 Bleyn
Moritz 35 Van Roelenbusch
Aimé La plupart appartenait au 30ème bataillon, quelques autres au 27ème et 31ème. Les témoignages sur la vie des déportés à Romagne Devaere (Petrus), né à Gand, le 31 décembre 1883, domicilié à Gand, 42, Sassche Kaai. A ROMAGNE, j’avais obtenu une besogne facile. Ayant refusé de souscrire un contrat de travail, j’ai été envoyé à la gare où le travail était rude et fiévreux. Par suite de la nourriture insuffisante, bien souvent des hommes tombaient épuisés ou malades. Aussitôt pleuvaient les coups de crosse ou de bâton. Jamais un prêtre n’entrait dans cet enfer. Jamais, sauf une seule fois, je n’ai pu assister à la messe. A l’hôpital de STENAY, la surveillance de salle semblait assurée par des soldats déséquilibrés venant du front. L’un d’eux prenait plaisir à arracher les malades de leur lit. Gurderbecke (Richard), né à Gand, le 29 avril 1882, domicilié à Gentbrugge, 292, Gontrodestraat. Je me trouvais au camp de ROMAGNE. Un malin, souffrant de la poitrine et de la fièvre, je me plaignis au sous-officier. Celui-ci m’empoigna par les épaules et me jeta contre un mur. C’était la règle : dès que la fatigue ou la maladie empêchait un malheureux civil de travailler, il était battu. Du 1er décembre au 5 mai 1917, j’ai vu une seule fois un prêtre au camp de Romagne. Une seule fois, j ‘ai pu assister à la messe et j ‘ai pu alors communier. Dans les baraques, nous disposions d’un matelas bourré de fibres de bois ; ce matelas dut être jeté, car la vermine y fourmillait. Les hommes couraient affamés sur les travaux, la rage au cœur et tremblant à chaque moment pour leur existence. Quand un compagnon d’infortune était parvenu à obtenir un morceau de pain, les yeux de ses camarades semblaient lancer des flammes. Dans cet enfer, les jurons et les imprécations se croisaient. Un jour, j’ai payé un franc pour un rat ; j’en ai mangé un tiers et, malgré ma faim furieuse, j’en ai jeté le reste dans un hoquet de dégoût. A l’hôpital de STENAY, les soldats surveillant les salles semblaient fous et prenaient plaisir à battre les malades. Les lits étaient marqués A ou B, suivant que les patients pouvaient se lever ou devaient rester couchés. Si un patient d’un lit A était trouvé dans son lit, il en était arraché par les pieds et jeté sur le plancher. Par contre, si un malade d’un lit B était trouvé debout, il était frappé et jeté sur son lit avec brutalité. Nous vivions dans une angoisse continuelle. Maes (Firmin), né à Saffelaere, le 17 mars 1899 ; domicilié à Saffelaere, Kerkstraat, 21. Je devais enterrer au cimetière de MONTMÉDY les morts français, russes ou allemands. Personnellement, je n’ai pas été maltraité, mais je voyais autour de moi que les soldats allemands frappaient mes compatriotes, quand la besogne n’avançait pas assez vite à leur gré. La discipline était très sévère. Un jour, un Russe, atteint de surdité, se rendait au W. C. N’obtempérant pas assez rapidement à l’ordre verbal lancé par la sentinelle, il fut tué d’un coup de fusil. D’Haeyer (Georges), né à Gand, le 3 février 1890 ; domicilié à Gand, 39, Heuvelstraat. A ROMAGNE, étant malade et n’avançant pas assez vite, un soldat allemand me donna un coup de crosse dans le dos. Je m’étendis par terre. Le lendemain, je dus garder le lit, et je n’ai pas quitté l’hôpital depuis lors. Nous étions traités avec une révoltante brutalité. Simoen (Théophile), né à Lokeren, le 1er décembre 1877 ; domicilié à Moerzeke 24, Molenstraat Notre baraque était établie entre ROMAGNE et MANGlENNES. Le I3 décembre 1916, les obus français se sont mis à tomber à proximité du baraquement. Des éclats d’obus tombaient jusque dans la cour. Nous nous sommes enfuis et les Allemands nous ont conduits à VILLERS. Wellekens (Aloïs), né à Erembodegem, le 28 décembre 189O ; domicilié à Erembodegem, ter Joden Driehoek. Vers le 25 décembre 1916, le camp de ROMAGNE étant trop exposé au feu des Français, nous avons été dirigés sur VILLERS et remplacés, à Romagne, par des prisonniers Russes. Nous étions constamment battus à coups de crosse, de bâton, de pied ou de poing. Chaque sentinelle portait un bâton dont elle usait largement. Le dimanche après-midi, nous étions dispensés de tout travail, mais pour le plaisir des Allemands, nous étions réunis en rangs dans la cour. Nous restions là, immobiles, exposés au grand froid de l’hiver. Lory (Alphonse), né à Bambrugge, le 20 juillet 1899 ; domicilié à Bambrugge, Landschestraat. Nous avons dû quitter le camp de ROMAGNE, celui-ci étant trop exposé au feu des Français. Les obus passaient au-dessus de notre baraque, et j’ai vu deux Allemands grièvement atteints. Nous étions constamment maltraités. Un jour, que je restais au lit, malade, deux soldats me tirèrent hors du lit et me forcèrent à me rendre à mon travail, nu-pieds dans la neige. Lameire (Maurice), né à La Pinte, le 17 septembre, 1896 ; domicilié à La Pinte, Lijckstraat. De décembre 1916 à février I9I7, nous étions une dizaine de civils belges employés dans une scierie de BRIEULLES. Ce vinage était constamment exposé au feu des Français. Les canons de ceux-ci portaient loin au-delà du village et j’ai vu un obus français tomber dans la Meuse et exploser à trente mètres de moi. Lorsque le village était bombardé, soit par les canons, soit par les aviateurs, les Allemands qui nous gardaient se sauvaient dans des trous profonds creusés le long des chaussées. Quant à nous, nous devions rester dans la baraque ou bien au milieu de la rue. Dierickx (Raymond), né à Uytbergen, le 28 février 1890 ; domicilié à Uytbergen, Dorp, 1. Le camp de ROMAGNE a dû être évacué le 13 décembre I9I7, parce qu’il était trop exposé au feu des Français. Nous étions maltraités. Un jour, la pluie battante me força à chercher, dans la baraque, un capuchon. Je pris trop de temps au gré de la sentinelle, qui m’empoigna par la gorge et me jeta par terre. Vervaet (Benjamin), né à Laerne, le 16 octobre 1877 ; domicilié à Wetteren, 15, Grasveld. Le 13 décembre I9I7, nous avons dû quitter. ROMAGNE, ce camp étant exposé au feu des Français. La nourriture était insuffisante au point que j’étais littéralement bleu de faim. Van Malderen (Amandus), né à Berlaere, le 14 juin 1879 ; domicilié à Berlaere, Dal. Nous avons dû quitter ROMAGNE à cause du feu français ; les obus tombaient dans la cour, à cinquante mètres de la baraque. Un aviateur allemand qui évoluait au-dessus de celle-ci a été atteint et est tombé en morceaux. Nous étions affamés. Si, par malheur, nous étions surpris à nous présenter deux fois à la soupe, nous étions battus comme des animaux. A BILLY, c’est l’officier JANSSENS qui se chargeait de ce soin ; il m’a notamment accablé de coups de cravache. Deck
(Théophile), né à Moerseke , le 10 mai 1877
domicilié à Moerseke, Gehucht
ebbe. Nous avons dû nous sauver de ROMAGNE, ce camp étant trop exposé au feu des Français. A Villers, j’étais absolument à bout de forces ; j’avais souffert d’une violente diarrhée pendant dix jours et je n’avais plus la force de parler. Dans le bois où nous travaillions, j’étais tombé inanimé et j’avais été porté par des camarades jusqu’à la baraque. Le lendemain, je ne pouvais me lever ; deux soldats allemands sont venus m’arracher du lit et m’ont jeté dans la colonne des travailleurs. J’ai dû, en me traînant, me rendre au poste de travail. Je ne comprends pas comment je suis encore vivant. Ackerman (Léopold), né à Mont-Saint-Amand le 22 juillet 1890 ; domicilié à Mont-Saint-Amand, 38, Antwerpsche voetweg. A Romagne, j’ai été employé à abattre des arbres ans les bois ; nous devions charger des troncs sur des wagonnets. Le premier jour, deux hommes ont été tués en ma présence ; ils devaient manier des arbres de 1 m. 80 de diamètre. Un pareil travail était au-dessus de la force d’hommes anémiés par la faim. J’ai ensuite été utilisé à la construction d’un chemin de fer se dirigeant vers le front et à l’établissement de tranchées en zigzag établies autour de Romagne. Comme tous mes camarades, j’étais affaibli par une nourriture insuffisante et mon travail s’en ressentait ; aussi ai-je reçu de violents coups de pied dans le dos. J’ai vu de mes yeux des soldats lançant des coups de cravache à de malheureux civils. Pendant la distribution de la soupe un civil, notamment, reçut un coup de louche en pleine figure, parce qu’il réclamait, avec raison, une ration complète alors qu’on ne lui en servait qu’une demie. A DUN, près de Stenay, j’ai dû décharger des bateaux de cailloux destinés au front. Complètement affaibli, j’ai dû un jour cesser le travail et j’ai déclaré au poste allemand que je préférais mourir que de continuer un pareil esclavage. Le lendemain, on m’a constaté atteint de dysenterie et j’ai été dirigé sur l’hôpital de Stenay. Bral (Richard), né à Mont-Saint-Amand, le 12 décembre 1887 ; domicilié à Mont-Saint-Amand, 66, Verkortingstraat. Au mois de février 19I7, à ROMAGNE-Sous-MONT-FAUCON, je devais, avec d’autres civils, charger des autos. Ayant achevé le chargement de ma voiture, je vis qu’un de mes camarades était loin d’avoir achevé son travail. J’allai l’aider. Le soldat WILLY, qui surveillait la besogne, croyant que je n’avais pas accompli ma tâche, puisque l’auto n’était pas chargée, me roua de coups de crosse qui m’étendirent par terre. Trois hommes durent me conduire à la baraque. Les animaux sont mieux traités que nous ne l’étions au front. Nous étions battus à propos de tout et de rien. C’était un véritable enfer. Des hommes tombaient de froid et d’inanition ; ils étaient relevés à coups de, crosse et de pied. Le sous-officier OHLE avait la spécialité des mauvais traitements. La nourriture insuffisante et immangeable que l’on nous servait provoquait des diarrhées constantes qui vexaient ce sous-officier ; aussi celui-ci frappait-il chaque malade jusqu’à ce qu’il reprît le travail. Colman (Aloïs}, né à Wieze, le 22 juin 1889 ; domicilié à Wieze, Schooverstraat Vers la mi-décembre 1916 au camp de ROMAGNE, où je me trouvais, à été bombardé par les canons français. J’ai vu derrière notre baraque deux soldats allemands atteints d’éclats d’obus et tués sur le coup. Nous avons dû creuser des tranchées derrière les baraquements de Romagne. Les animaux étaient mieux traités que nous. A BILLY, le sous-officier JANSSENS frappait les hommes à coups de cravache ; il mettait à ce jeu un malin plaisir. Bien souvent, le matin, il nous faisait sortir des baraques à coups de cravache ; nous devions, dans le froid et dans la pluie, manger notre maigre morceau de pain. Puis, toujours à coups de cravache, nous étions mis en rangs. J’ai vu un homme recevoir sur la tête un coup de crosse qui l’étendit par terre. Le lieutenant et le docteur frappaient. Un jour, je me suis présenté à la visite médicale, atteint d’un gonflement de membres inférieurs. Le médecin m’a chassé à coups de bâton. Dooremont (Remi), né à Erembodegem, le 1er mars 1899 ; domicilié à Haeltert, Eikend. Je suis arrivé à ROMAGNE vers le 1er décembre 1916. Les Allemands nous logèrent dans des baraquements en zinc dont les cloisons présentaient partout de larges ouvertures. Nous sommes restés pendant cinq jours sans feu. Un poêle fut enfin placé dans la baraque, mais nous n’en sentions guère l’effet, la chaleur s’échappant par les ouvertures qui existaient dans les cloisons. Aucune paillasse ne nous avait été remise, de telle sorte que nous devions dormir tout habillés. Les Allemands nous forcèrent à travailler dans la neige et dans la pluie battante ; nous rentrions le soir complètement trempés. Nous étions traités avec brutalité. Si un ordre n’était pas assez rapidement exécuté, nous étions bousculés et frappés. Nous ne remarquions guère de différence entre le dimanche et les jours de la semaine ; jamais nous ne pouvions assister à des exercices religieux. A CHATILLON, en sept semaines, j’ai pu une seule fois assister à la messe. Au mois de décembre I9I6, les obus français tombaient sur le camp de Romagne ; je travaillais dans le bois et je voyais les obus éclater en l’air. Notre nourriture était absolument insuffisante. Nous avions dans ce camp une vie d’enfer. Van Nuffel (Joseph), né à Alost, le 7 septembre 1899;domicilié à Alost, 3, rue du Nord. Je travaillais à ROMAGNE-sous-Montfaucon. J’ai vu fréquemment des prisonniers arriver à ce camp pour accomplir leurs devoirs religieux. Ils déclaraient qu’ils se trouvaient à SEPTSANGES, où ils devaient conduire des munitions dans les tranchées allemandes. Le camp de Romagne se trouvait exposé au feu des canons français. Souvent les obus passaient en sifflant au-dessus de nos baraquements. Le sous-officier OHLE se conduisait à l’égard des déportés comme une véritable brute. Il frappait à tort et à travers ; il m’a, notamment, donné dans la poitrine un coup de poing qui m’a étendu par terre. Au sud de Romagne, des ouvrages en fil de fer avaient été édifiés. Ce travail avait été accompli par des soldats allemands ; toutefois quarante des nôtres ont dû creuser des tranchées profondes d’environ 3 m.50, au fond desquelles courait un gros câble électrique. Ces tranchées étaient alors comblées sur une hauteur de I m. 50. Les terres enlevées formant parapet étaient rejetées vers le côté sud. De
Pauw (Ernest), né à Wetteren, le 6 novembre 1876 ;
domicilié à Wetteren, 41, Kapellestraat. A ROMAGNE, nous avons été traités comme des chiens. Nous devions travailler par les froids les plus rigoureux et par les pluies les plus violentes. Certains civils tombaient de froid et d’inanition sur les chantiers. Les soldats du poste les renvoyaient alors dans les baraquements d’où le sous-officier les chassait brutalement, les accusant d’être des simulateurs. A VILLERS, un malheureux civil qui s’était présenté à la visite médicale et que le docteur n’avait pas jugé suffisamment malade, a été enfermé pendant quarante-huit heures dans un cachot. Le lendemain de sa sortie, du cachot, cet homme mourut. A DANVILLERS, un certain Verdonck, de ma commune, était devenu un véritable squelette ; il ne pouvait plus se tenir debout et, maintes fois, j’ai dû le conduire du chantier au baraquement. Un jour, tandis qu’il ne pouvait plus se traîner, un soldat lui a administré un coup de pied qui l’a jeté dans un fossé rempli de neige. Le lendemain mon malheureux camarade était mort ; j’ai moi-même aidé à l’enterrer. Ce déporté est mort sans secours religieux. Je le répète, nous vivions en France dans un véritable enfer ; malade ou non, il fallait travailler. Temmerman (Pierre), né à Lede, le 21 janvier 1874 ; domicilié à Lede, 18, rue de Charleroi. J’ai dû m’enfuir du camp de ROMAGNE pendant la nuit pour échapper aux obus français qui pleuvaient sur ce camp. Je me suis tapi dans un fossé où je suis resté toute la nuit ; j ‘ai contracté là des rhumatismes dont je souffre encore. Geirnaert (Léopold), né à Gand, le 14 janvier 1884 ; domicilié à Gand, 87, rue des Prêtres. Les Allemands m’ont fait travailler successivement à BRIEULLES, ROMAGNE et DUN. Dans ces deux derniers camps, les civils étaient traités comme des animaux. Les soldats nous frappaient constamment à coup de crosse et de bâton. Nous étions rongés par la vermine. Toute la journée, nous devions travailler, soit qu’il neigeât, qu’il plût ou que le soleil nous brûlât le corps. Le soir, il ne nous était même pas permis de nous laver ; nous dormions dans nos vêtements sur des planches ou sur des treillis en fil de fer. Le dimanche, nous devions travailler comme les autres jours. Gijssens (Camille), né à Erembodegem, le 8 décembre 1883 ; domicilié à Erembodegem, II, rue d’Alost. Lorsque je me trouvais à ROMAGNE-SOUS-LES-COTES, ce camp a été bombardé par les canons français. J’ai vu, sur la route, deux corps inanimés atteints par les obus, mais je ne puis dire s’il s’agissait de Belges ou d’Allemands. Van Moerbecke (Constant), né à Gand, le 1er octobre 1883 ; domicilié à Gand, rue Van Crombrugge. J’ai été envoyé à ROMAGNE et à DOULCON. Il m’est impossible de décrire les souffrances que nous avons endurées. Par les froids les plus rigoureux comme par les pluies les plus violentes, nous devions travailler à ciel ouvert au déchargement des wagons. Et, tandis que l’eau nous coulait du corps et que le froid raidissait nos membres, les soldats qui nous gardaient allaient se mettre à l’abri ou allaient se chauffer. Goeminne (Gentil), né à Peteghem-Iez-Deynze, le 30 juillet 1884 ; et y domicilié, 119, rue d’Audenarde. J’ai été envoyé successivement à MOUZON, POULLY, MONTMÉDY, ÉTON et ROUVRES. Dans les trois premières localités, j’ai dû travailler à la construction d’un chemin de fer. A Eton, j’ai dû creuser des tranchées et des abris souterrains : à Rouvres, j’ai dû construire une voie ferrée. Chaque fois qu’une locomotive se montrait sur celle-ci, elle était aussitôt bombardée par les canons français. A Éton et à Rouvres, nous vivions au milieu des obus. Beaucoup de Belges sont morts là-bas ; en général, ils succombaient à la diarrhée et à l’œdème. Leenaert (Henri-Ernest), né à Leupegem, le 5 août1896 ; domicilié à Leupegem. J’al été réquisitionné le 1er décembre 1916 et envoyé à DEMBLEY d’abord ; ensuite, dans différentes localités de la région de VERDUN. Partout, nous avons été traités d’une façon indigne. A LISSY, j’avais pour camarade un nommé Dornien KLEPKENS, du village de LEUPEGEM. Ce jeune homme de 20 ans était maladif et ne pouvait suivre la colonne de travailleurs ; aussi pendant la marche était-il continuellement battu par la sentinelle. Un jour, ce jeune homme, arrivé à destination, se trouva dans l’impossibilité de travailler. La sentinelle s’approcha de lui et lui dit textuellement : « Schwein, si Vous ne travaillez pas, je vous tue. » Mon camarade lui répondit : « Faites ce que vous voulez, je n’en puis plus. » Il reçut, sur le champ, un violent coup de crosse qui l’étendit dans la neige. Il resta couché pendant une heure environ, ne donnant pas signe de vie. La sentinelle s’approcha de nouveau, et voulut le forcer à se relever. Mon malheureux camarade ne put se tenir debout et retomba sur le sol. La sentinelle lui allongea alors, dans la région du cœur, un violent coup de crosse qui tua mon ami. Avec d’autres de mes camaradés, je le ramenai mort au camp. Bien souvent, tandis que nous travaillions, les obus français venaient exploser autour de nous. C’était le cas, notamment à DANVILLERS et à ETREYE. Dans cette dernière localité. Trois de mes camarades furent atteints, deux au bras, et le troisième au ventre. Nous étions traités d’une façon scandaleuse ; nous étions constamment battus. Il nous était même interdit de nous déclarer malades. De
Klippelaere (Léonard), né à Hamme, le 2 mars 1885
; domicilié à Hamme, 13, Kaeldries. J’ai été réquisitionné à Hamme et envoyé directement à
MÉZIÈRES-SUR-OISE, où j’ai dû travailler dans les bois. Bientôt après, j’ai été
dirigé sur HATTENCOURT, où j’ai dû, avec mes camarades, travailler à la
construction d’un front aux environs de SAINT-QUENTIN. J’ai dû tendre des fils
de fer barbelés, creuser des tranchées et des abris souterrains. J’ai été
traîné dans différentes localités et j’ai travaillé, tantôt dans des carrières,
tantôt à la construction des routes, tantôt à des ouvrages de chemin de fer. En
fin de compte, j’ai échoué à Chatillon où j’ai été utilisé dans une scierie. Un
certain jour, tandis que je cherchais à décharger un arbre très lourd, le
wagonnet a basculé et l’arbre m’est tombé sur la jambe droite. Bien que la
blessure que je portais fût assez forte, je suis resté pendant vingt et un
jours sans aucun soin. Les Allemands m’ont, en fin de compte, dirigé sur
l’hôpital de Pierrepont, où je suis resté pendant deux mois. Partout, au cours
de ma déportation, j‘ai souffert le martyre. Nous étions brutalisés, maltraités
; nous vivions dans une saleté repoussante. Je puis citer un fait typique de la
brutalité des soldats allemands : c’était à Chatillon ; un de mes camarades,
Désiré VERWILGEN, de Hamme, était gravement malade. Néanmoins, il devait
travailler dans la cour du camp. L’infirmier qui avait pour devoir de le
soigner était d’une brutalité révoltante et n’hésitait pas à frapper le
malheureux. Il arriva, cependant, que Verwilgen se
trouva dans l’impossibilité absolue de travailler ; un sous-officier, le voyant
inactif, lui intima l’ordre de se remettre au travail, mais mon ami ne le put.
Le sous-officier furieux, lui lança son chien qui le renversa et le mordit
cruellement. Verwilgen fut transporté dans la
baraque, mais il mourut le lendemain. Au début de la déportation, nous refusions tous obstinément de travailler. Les Allemands, alors, nous ont placés contre un mur, face à celui-ci. Pendant dix-sept heures, nous sommes restés là, absolument immobiles et sans nourriture. Il est évident qu’à la fin, nous avons dû céder et que nous avons dû travailler mais sans aucun contrat. Aperçu historique sur les
déportations des travailleurs belges entre 1916 et 1918 Les déportations ouvrières vers l’Allemagne et vers les zones d’étapes (arrière des lignes du front) commencèrent à la fin de l’année 1916. Il s’agissait de combler le manque de main-d’œuvre dans les entreprises allemandes et dans les travaux de défense du front. La déportation vers l’Allemagne prit fin en mars 1917 suite à un flot de protestations issu des pays neutres (le Cardinal Mercier joua aussi un rôle important dans la lutte contre la déportation). La déportation vers les zones d’étapes continua malheureusement jusqu’à la fin de la guerre. Les témoignages sur le camp de travailleurs déportés de Romagne sont tirés du livre de René Henning[1]. Ces témoignages très précieux nous apprennent les conditions effroyables dans lesquels travaillèrent les jeunes hommes belges et russes en Argonne et particulièrement à Romagne et dans les environs. Les baraquements étaient en tôles et comportaient de nombreux interstices entre les tôles qui laissaient passer le froid. Le chauffage était quasi inexistant et les vêtements des travailleurs étaient insuffisants en hiver et particulièrement pendant l’hiver 1916-1917 où le thermomètre descendit jusqu’à moins 20 degrés ! Les déportés n’avaient pas de quoi se changer pour la nuit et dormaient dans leurs vêtements de jour. La nourriture était insuffisante et la plupart des déportés souffraient de diarrhée chronique. La barbarie ne s’arrêtait pas là : en cas de bombardements, les déportés ne pouvaient pas se mettre à l’abri contrairement à leurs gardiens. Les déportés étaient de plus défavorisés par rapport aux militaires prisonniers car le Gouvernement Général allemand, par sa note du 17 novembre 1916, n° 289-228, Section II.E, avait interdit à l’Agence belge des prisonniers d’intervenir dans l’expédition de colis aux chômeurs, sous prétexte que ces hommes étaient des travailleurs civils libres et qu’ils pouvaient bénéficier du service postal dans les conditions ordinaires ! La brutalité des gardes était effroyable notamment avec les malades qui peinaient à travailler. Plusieurs déportés furent abattus par leurs gardiens comme en témoignent ci-dessus trois déportés. L’hôpital militaire allemand de Stenay soigna de nombreux déportés mais les conditions de vie y étaient très dures et la maltraitance habituelle. A Romagne, les bombardements des Français obligèrent finalement les Allemands à transférer le camp de travail des déportés plus en arrière du front. Je ne sais si ce fut une mesure définitive ou transitoire. Sur la commune sur laquelle est établi le cimetière de Brieulles-sur-Meuse se trouvait une scierie où travaillaient des déportés Belges qui sans doute rejoignaient chaque jour leurs baraquements situés à Romagne. Le nombre de Belges qui succombèrent de leur déportation est impressionnant. Le nombre de déportés ne dépassa pas 120.655. Parmi eux, 2.614 moururent dans le cadre du travail obligatoire, la moitié en Allemagne, l’autre moitié dans les Zivilarbeiterbataillone au front. A ce nombre, il faut ajouter les anciens déportés qui, revenus en Belgique (certains ne pesaient plus que 35 kg), ne se rétablirent jamais et moururent dans les quelques années qui suivirent. A cette mortalité, il faut rajouter un nombre impressionnant de déportés qui gardèrent durant toute leur vie un important handicap. Des 119 déportés d’Alost, 23 moururent en captivité et 17 peu après leur retour. Dans la seule province de Namur où 12.000 hommes furent déportés et dont 256 moururent en Allemagne, plus de 300 moururent dans les quatre ans après leur retour et 2.000 restèrent définitivement infirmes. Les dépouilles des déportés belges furent pour la plupart rapatriées de France et d’Allemagne dans les années 1920. Aujourd’hui, il subsiste néanmoins en Argonne quelques sépultures belges qui rappellent le martyre des déportés sur le front ou en arrière de celui-ci (zones d’étapes). A Stenay, la fosse commune militaire du cimetière communal comprend des civils belges au nombre de six qui moururent sans doute durant leur hospitalisation. Nous savons leurs noms (souvent incomplets et comportant souvent des fautes de retranscription). Il s’agit de : 1 Deblack 2 Dehulst 3 Deruch 5 Dewulm 6 Dobellare 7 Eldiers François 8 Laveydt 9 Strosch 10 Verhaegen A Montmedy, le cimetière militaire allemand comprend une dizaine de tombes de déportés belges qui moururent épuisés dans leurs lieux de travaux forcés. Voici leurs noms et date de décès tels que nous les lisons sur les tombes : Première tombe commune Franz
Apers 12 8 17 Félicien
Lauwenier 30 8
17 Joseph
De Raedt 29 3 17 Deuxième tombe commune Julius Despraetz 18 ( ?) 17 Eduard Faukart 12 9 17 Gustav Maigren 8 9 17 Troisième tombe commune Joseph Ablorius 5 12 17 Konstant Demelenne 21 3 18 Leopold Von Hof 11 2 18 Gunew Raets 11 2 18 Florentin Trapenier 10 12 17 Tombes individuelles Bogaert Romandus 30 3 17 Michem Alfons 15 4 17 Decotteni Cyrille 16 2 17 Maringer Justin 25 7 17
Conclusion : Que ces tombes, pendant mille ans encore, puissent
continuer à témoigner ! Dr Loodts. P [1] René Henning, « Les déportations de civils Belges en Allemagne et dans le nord de la France ». Ce livre est paru aux éditions Vromant en 1919 |