Médecins de la Grande Guerre

La bataille de Charleroi : ses héroïques soldats et ceux qui les ont soignés

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La bataille de Charleroi : ses héroïques soldats et ceux qui les ont soignés.

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Le cimetière français de Belle-Motte. (Photo Francis De Look)

Le cimetière français de Belle-Motte. (Photo Francis De Look)

Le cimetière français de Belle-Motte. (Photo Francis De Look)

Le cimetière français de Belle-Motte. (Photo Francis De Look)

Plaque commémorative au cimetière français de Belle-Motte. (Photo Francis De Look)

Plaque commémorative au cimetière français de Belle-Motte. (Photo Francis De Look)

Honneur aux soldats inconnus du cimetière français de Belle-Motte. (Photo Francis De Look)

Panneau explicatif du cimetière français de Belle-Motte. (Photo Francis De Look)

Panneau explicatif du cimetière français de Belle-Motte. (Photo Francis De Look)

L’infanterie française en août 14 attaqua à la baïonnette.

Artillerie française en action. Un canon de 75 mm et ses servants.

Le cimetière militaire français de Belle-Motte à Aiseau en 1928.

Dans le cimetière de Guémené-Penfao, le monument aux morts. (Photo F. De Look)

La bataille de Charleroi : ses héroïques soldats et ceux qui les ont soignés[1]

       Comme toutes les batailles, celle de Charleroi a eu ses héros. Au cours de ce combat il s'est trouvé des hommes qui se sont faits particulièrement remarquer pour leur courage. Certains se sont sacrifiés pour sauver leurs camarades; d'autres se sont exposés en s'élançant les premiers à l'attaque ; d'autres, enfin, grièvement blessés ont combattu jusqu'à leur mort.

       Chaque régiment ainsi a eu ses braves et bien souvent ceux-ci sont demeurés méconnus car les témoins de leurs exploits sont tombés eux aussi.

       Enfin, ceux dont l'histoire a retenu les noms sont désormais oubliés. Il faut pour les découvrir soit relire les historiques régimentaires, soit questionner les survivants de la bataille. Mais la liste que l'on peut alors dresser est bien incomplète, car il est impossible, plus de cinquante ans après, de recueillir les témoignages utiles pour établir cette liste.

       C'est qu'en cinquante ans, la mort a creusé de nombreux vides dans les rangs des anciens combattants de Charleroi.

       Malgré cela nous avons tenu à consacrer un chapitre de cet ouvrage aux héros de Charleroi. Ainsi en rendant hommage à ceux dont les noms sont venus jusqu'à nous, nous saluerons également tous ceux dont les exploits sont demeurés cachés et à travers quelques-uns, nous glorifierons les mérites de tous ceux qui, sur les bords de la Sambre et de la Meuse, se battirent courageusement et dans des conditions pénibles pour barrer la route à l'envahisseur.

       En signalant quelques actes de bravoure, individuels ou collectifs, nous dirons quel a été le courage des combattants de 1914 qui, aux premières heures de la guerre, se trouvèrent en présence d'un ennemi supérieur en nombre et mieux armé.

A LA CITADELLE DE DINANT

       Au cours des combats qui se déroulèrent à Dinant, sur les bords de la Meuse, la vieille citadelle de cette ville était devenue l'objectif principal des deux troupes en présence. Sa position donnait, en effet, l'avantage à celui qui l'occupait.

       Sur l'ordre du colonel Stirn, commandant le 33e R.I., un régiment du 1er C.A., le commandant Grasse est chargé de s'y rendre avec deux compagnies de son bataillon. Il parvient à s'y installer et suivant les consignes données par le colonel Stirn, il s'y maintient. Mais il se trouve rapidement presque totalement encerclé et enfermé dans une véritable souricière. Il décide alors de se dégager afin de sauver ses hommes qui semblent condamnés à être soit tués, soit faits prisonniers.

       Tandis que les clairons et les tambours sonnent la charge, les soldats des deux compagnies s'élancent aux cris de : « Vive la France » et dévalent l'étroit escalier en pente.

       « Geste sublime et fou » a-t-on pu écrire... Certes, mais malgré des pertes sévères, le commandant Grasse a évité le pire aux hommes de ses deux compagnies.

       Ainsi cet officier, après avoir tenu en échec l'ennemi et retardé son avance, a réussi une sortie héroïque.

L'ADJUDANT COMITI

       Le 21 août, au cours des durs combats qui se déroulent dans le secteur Auvelais-Arsimont, le 70e R.I., du 10e  C.A., lutte énergiquement sous les balles et les obus. En fin d'après-midi le premier bataillon de ce régiment, entraîné par un chef énergique, le commandant de Tarragon, progresse afin de rejeter l'ennemi sur Auvelais.

       Dans ce bond en avant l'adjudant Comiti, de la 1re compagnie, entraîne sa section et parvient à gagner les bords de la Sambre, près d'un pont, où le combat se poursuit dans un corps à corps acharné.

       L’adjudant Comiti, ayant épuisé toutes ses munitions, se trouve soudain face à face avec un lieutenant de la Garde Impériale.

       Jetant son arme devenue inutile, l'adjudant Comiti saute à la gorge de cet officier et les deux hommes engagent une lutte terrible.

       Comiti qui se bat depuis plusieurs heures et qui est épuisé sent ses forces faiblir et il craint d'être vaincu par son adversaire.

       Alors dans un suprême élan, il enlace l'officier allemand puis, roulant avec lui, il l'entraîne dans la Sambre où tous les deux vont s'engloutir.

       Au cours du même combat, un autre chef de section du 70e R.I. trouve la mort dans des conditions aussi glorieuses.

LE CAPORAL PIERRE LEFEUVRE

       Le 21 août, quand le 70e R.I. doit évacuer les abords de Tamines, une section de ce régiment est chargée de couvrir la retraite et sous la direction de son chef Hamon elle occupe un jardin qui domine légèrement la route.

       Un caporal de cette section, Pierre Lefeuvre, un Breton des environs de Rennes, reçoit alors l'ordre de se placer dans un fossé au bord de la route et de défendre à lui seul le passage du pont de Tamines afin de retarder l'avance des Allemands.

       Pierre Lefeuvre a été choisi pour remplir cette périlleuse mission parce qu'il est le tireur d'élite du régiment. Il porte sur sa capote le corps de chasse brodé or qui est l'insigne accordé au meilleur tireur d'un régiment.

       Très calme, comme s'il opérait sur un champ de tir, le caporal Pierre Lefeuvre abat alors tous les ennemis qui se présentent à l'entrée du pont. Un jeune Belge le ravitaille en s'en allant chercher en rampant des munitions dans les cartouchières des soldats tombés dans le voisinage.

       Chaque coup porte et cinquante-trois Allemands, dont neuf officiers, appartenant tous à un régiment de la Garde Impériale sont tués par le caporal Lefeuvre. D'autres sont blessés. Combien ? On l'ignore. Mais on devait trouver à l'endroit où était posté le tireur deux cent quarante-trois douilles vides, ce qui permet de penser que les blessés furent nombreux, car le caporal faisait mouche à tous les coups.

       Pour venir à bout de celui qui pendant plusieurs heures retarde leur avance, les Allemands doivent alors détacher, par une autre voie, un détachement qui parvient à le contourner.

       Sommé de se rendre, le caporal Pierre Lefeuvre refuse et il est mortellement blessé. Il a, à ce moment, épuisé toutes ses munitions.

       Pour les Belges des environs de Tamines et d'Auvelais, le caporal Pierre Lefeuvre est demeuré le type même du héros de la bataille de Charleroi. Son nom est encore sur toutes les lèvres.

       Un monument a été élevé à sa mémoire près de l'endroit où il a accompli son exploit. Ce monument se présente sous la forme d'un mur élevé sur la façade duquel une inscription rappelle le courage du héros. Sur le sommet se trouve une statue qui évoque le souvenir du brave caporal du 70e R.I.

LE CAPITAINE LEREBOURS

       La contre-attaque lancée dans la nuit du 21 au 22 août sur Roselies devait être très meurtrière. Surpris par les Allemands, les soldats du 74e R.I., du 3e C.A., sont décimés et parviennent mal à se défendre contre un adversaire bien abrité.

       Pour entraîner les hommes qui, affolés, ne savent de quel côté se tourner pour faire face à un ennemi qui se cache dans les maisons et dans les caves, les officiers doivent donner l'exemple et s'exposer.

       Parmi ces officiers, le capitaine Lerebours qui commande la 11e compagnie du 74e  R.I. fait preuve d'un magnifique sang-froid en demeurant debout, gants blancs aux mains, à l'endroit le plus exposé.

       Son courage n'est pas inutile mais, hélas, alors qu'il organise la résistance de sa compagnie, il est tué par une balle qui vient le frapper en pleine tête.

LE SERGENT CALLES

       Un autre combattant du 74e R.I., le sergent Callès, de la 11e compagnie, devait lui aussi s'illustrer à Roselies.

       Voyant ses camarades pris sous le feu de l'ennemi et dans une situation dangereuse, il demeure debout, en pleine zone meurtrière, et se met à titrer sur les adversaires obligeant ainsi ceux-ci à réduire leur feu.

       Devenu une cible pour les Allemands qui cherchent à l'abattre, le sergent Callès protège les soldats réfugiés dans le presbytère et il abat de nombreux ennemis.

       Il demeure ainsi pendant environ une demi-heure, déchargeant sans cesse son arme contre les Allemands qui ne peuvent avancer. Il ne consent à se replier que lorsque les hommes du 74e R.I. ont réussi à se dégager.

LE LIEUTENANT LEMERCIER

       Tout jeune officier le lieutenant Lemercier, du 71e R.I., a participé aux durs combats d'Arsimont et il s'y est distingué.

       Trois fois blessé, il se fait panser et refusant d'être évacué il retourne au combat, sabre au clair, et il galvanise ses hommes en les entraînant dans une nouvelle contre-attaque. C'est alors qu'il s'écroule frappé à mort.

       Un monument a depuis été élevé à sa mémoire et à celle aussi de tous les combattants du 10e C.A. tombés au cours de la bataille de Charleroi.

       Ce monument, un calvaire en granit breton, édifié par M. et Mme Lemercier, les parents du jeune héros, porte sur une de ses faces l'inscription suivante :

       « Pour défendre coûte que coûte le passage de la Sambre, ils ont couru à la mort dans des charges héroïques contre les mitrailleuses des armées impériales allemandes et préparé victorieusement la victoire en retardant de deux jours la marche de l'ennemi. »

       Ce monument inauguré en 1925 par le général Pavot, voit se dérouler chaque année une cérémonie religieuse célébrée à la mémoire des combattants du 10e C.A. tombés sur le champ de bataille de Charleroi en août 1914.

LE COLONEL DE FLOTTE

       Au nom d'Arsimont est également lié celui d'un autre officier français, le colonel de Flotte, commandant le 48e R.I.

       Chargé de mener une attaque avec son régiment en direction d'Arsimont le 22 août, le colonel de Flotte qui n'ignore rien des difficultés, auxquelles il va se heurter, accepte de se sacrifier – après avoir toutefois signalé au général Bonnier, responsable de l'opération, les conditions délicates dans lesquelles celle-ci doit être menée – et il se place à la tête de ses hommes.

       Comme le colonel l'avait prévu le 48e R.I. se heurte aussitôt à un ennemi fortement retranché et bientôt la fusillade allemande fait de nombreuses victimes dans les rangs du régiment.

       Le colonel de Flotte est alors grièvement blessé et il succombe peu après ayant refusé de se laisser évacuer.

       Ses derniers mots sont pour déclarer qu'il veut mourir debout, face à l'ennemi.

       Au cours de cette action le 48e R.I. perd six cent trente-deux hommes et se voit privé de ses meilleurs officiers tombés aux côtés de leur colonel.

LA CHARGE DE LA BRIGADE SCHWARZ

       Venue en renfort au 3e C.A. la brigade algérienne du général Schwarz (1er zouaves et 1er tirailleurs) est chargée le 22 août de mener une attaque afin de s'emparer d'un faubourg de Chatelet.

       Deux bataillons du 36e R.I. et du 39e R.I. vont également participer à cette opération.

       Mal préparée par un tir d'artillerie notoirement insuffisant, cette action se termine par un échec et en quelques minutes les bataillons perdent la moitié de leurs effectifs.

       Mais que de courage manifesté pendant cette attaque devenue légendaire.

       Malgré leurs lourdes pertes, les bataillons avancent, vont jusqu'au corps à corps et font jusqu'au dernier moment preuve de la plus belle énergie. « Le drapeau d'un des régiments passe de main en main jusqu'au dernier survivant et les Allemands le trouveront le lendemain sous un tas de cadavres. »

       La ville de Chatelet a, en 1921, élevé un monument à la mémoire de deux mille fantassins, zouaves et tirailleurs, qui sont tombés à cet endroit.

LE SOLDAT JEAN FRIOT

       Dans presque toutes les communes de la région de Charleroi on conserve pieusement le souvenir d'un soldat français mort à cet endroit en août 1914 pour défendre la liberté et l'indépendance de la Belgique.

       A Courcelles, c'est Jean Friot qui a laissé son nom.

       Le secrétaire communal de Courcelles, M. Maurice Hulin, nous dit dans quelles conditions Jean Friot trouva la mort dans cette localité.

       « Le samedi 22 août, très tôt, les premières troupes allemandes traversèrent Courcelles, se dirigeant sur Marchienne-au-Pont.

       « Des chasseurs à cheval français qui patrouillaient près de là eurent alors leur retraite coupée.

       « Derrière eux une poursuite sauvage s'organisa rapidement. Malheureusement les chasseurs français rencontrèrent le ruisseau Plomcot que beaucoup de chevaux hésitèrent à franchir. Puis ils durent escalader le terril de l'ancienne glacerie de Roux. Pendant ce temps, les Allemands étaient arrivés en grand nombre sur les hauteurs du camp de Castiau et une grêle de balles s'abattit sur les soldats français...

       « Peu de temps après on vit deux chevaux sans cavaliers galoper sur le terril... Où se trouvaient les deux cavaliers ?

       « On apprit plus tard qu'un de ces soldats, dont le cheval n'avait pas voulu franchir la rivière, s'était caché dans un buisson. Les poursuivants ne l'avaient pas aperçu et il avait pu gagner le hameau de Hubes où il fut hébergé.

       « Malheureusement l'autre cavalier était couché, sans vie, sur le terril. Une balle avait traversé sa poitrine. Il avait 20 ans, s'appelait Jean Friot et était originaire de Guémené-Penfao, en Bretagne.


Dans le cimetière de Guémené-Penfao, le monument aux morts. (Photo F. De Look)

       « Inhumé tout d'abord au cimetière de Courcelles, puis à celui de Gozée, il repose maintenant au pays natal, ses parents ayant réclamé ses restes après la guerre.

       « En 1923, le conseil communal de Courcelles fit ériger un monument en pierres de France tout près de l'endroit où il est tombé. Les rues de l'Estacade et des Boulouffes ont été débaptisées et portent son nom.

       Chaque année, une manifestation patriotique se déroule autour du monument qui est enseveli sous les fleurs.

       « Le souvenir de Jean Friot, tombé au champ d'honneur, sur notre territoire, vivra éternellement au cœur des Courcellois. »

LA BRIGADE HOLLENDER

       Détachée comme nous l'avons dit dans notre récit de la bataille, pour permettre au corps de cavalerie Sordet de se reformer, la brigade Hollender formée du 24e R.I. et du 28e R.I. a livré aux environs d'Anderlues de durs combats.

       Un article paru dans « La Tribune de Bernay » en août 1915, article écrit par un officier du 24e R.I., le commandant Nicolas, nous dit avec quel mordant les soldats de la brigade Hollender remplirent la mission qui leur avait été confiée.

       Voici un extrait de cet article.

       « Le jour se lève. Vers 9 heures paraît l'infanterie allemande. Ignorant la présence de la brigade Hellender et persuadée qu'elle va continuer la poursuite du corps de cavalerie Sordet, elle s'avance en pleine confiance jusqu'à quelques mètres des lignes françaises.

       « Aussi est-ce une véritable hécatombe, une surprise mêlée de terreur lorsque, soudain, une fusillade terrible s'abat sur elle. Elle s'arrête, hésite, recule et finalement ses clairons sonnent la retraite.

       « Dès lors, les Allemands mènent le combat avec prudence. Nos contre-attaques se multiplient ; il y a des corps à corps à la baïonnette sous bois. C'est dans une de ces contre-attaques que le brave lieutenant colonel Fesch tombe frappé à mort.

       « Jusqu'à 15 heures, l'artillerie allemande fait rage pour appuyer son infanterie qui, malgré tout, ne peut progresser. Et quand, après sa mission terminée par une dernière contre-attaque, la brigade Hollender rompt volontairement le combat par ses seuls moyens, pour repasser la Sambre, l'ennemi n'ose même pas la suivre.

       « La brigade qui, seule de l'armée française, a eu l'honneur de combattre sur la rive gauche de la Sambre, franchit la rivière en colonne de route, dans le plus grand ordre. Les troupes qu'elle rencontre lui présentent les armes.

       « Ses six mille fantassins, sans artillerie, ont lutté toute une journée contre cinquante mille Allemands pourvus d'une artillerie formidable. Les pertes ont été cruelles, mais celles de l'ennemi ont été quadruples et sont évaluées par les prisonniers à trois mille tués, dont un général. »

       Une note rédigée par l'état-major au lendemain de cette journée indique quelle était la situation de la brigade Hollender :

       « 24e R.I. : un bataillon disparu ; un bataillon perdu trois-quarts effectif ; un bataillon perdu moitié effectif. Reste comme effectif la valeur de trois compagnies, trente cartouches par homme, une section de mitrailleuses sans munitions.

       « 28e R.I. : un bataillon désorganisé, deux bataillons assez éprouvés. Munitions même situation que le 24e R.I. »

LE LIEUTENANT MOUILLERON

       Si tous les soldats de la brigade Hollender ont fait preuve du même courage, le lieutenant Mouilleron, du 24e R.I., mérite cependant de figurer au palmarès des héros des combats d'Anderlues.

       Le récit de sa mort, récit assez peu connu, nous est donné par M. Hecq, ingénieur à Carnières, qui, en 1918, publia un volume rédigé à l'aide des témoignages des blessés et des civils, témoins de la bataille. Cet ouvrage s'il n'est pas complet, présente du moins l'avantage d'avoir été inspiré par ceux qui furent les acteurs du drame.

       Relatant la 1utte héroïque menée par la 10e compagnie du 24e R.I. contre un bataillon allemand, M. Hecq écrit :

       « Le lieutenant Mouilleron se trouva dans la mêlée brusquement face à face avec un officier allemand. En gentilhomme français, il brandit son épée ; l'Allemand de son côté en fait autant. La passe dura environ dix minutes. Finalement, Mouilleron tranche la gorge de son adversaire ; mais les soldats allemands arrivés en grand nombre, se précipitent sur le vaillant lieutenant et le tuent à coups de baïonnettes... Ce haut fait d'armes a été rapporté par un témoin oculaire, le soldat Sahuquet, mort à l'ambulance des suites de ses blessures. »

       De son côté, le lieutenant-général Gierst, président de l'Association des Groupements Patriotiques de Carnières, écrit dans l'ouvrage qu'il a consacré aux combats d'Anderlues-Collarmont :

       « Lors d'une récente visite à M. Wasterlain et à sa sœur habitant rue de la Rosière à Collarmont et qui ont vécu les événements du 22 août 1914, ils m'ont affirmé que ce combat singulier eut lieu effectivement entre le lieutenant Mouilleron et le lieutenant Kônig, du 55e R.I.allemand et qu'il se déroula en face de leur habitation.

       « Le lieutenant Kônig mourut dans le lit des Wasterlain ; le lieutenant Mouilleron, étendu dans la cour, sur de la paille, à côté de blessés et de mourants des deux partis, trépassa en disant son chapelet. Ces deux officiers furent enterrés d'abord en bordure nord du bois de Chèvremont ; ils furent ensuite transférés dans les fosses communes. »

LE SERGENT DESAINT-LEGER

       Tandis qu'au cours de cette journée du 22 août, les bataillons de la brigade Hollender qui ont courageusement rempli leur mission cherchent à se dérober à l'ennemi, plusieurs compagnies du 24e R.I.se trouvent dans une situation difficile. Parmi les gradés qui se dévouent pour sauver les survivants de ces compagnies, citons le sergent Desaint-Léger. Ce sous-officier parvient à grouper quelques hommes qui résistent encore et faisant preuve d'une belle audace et de sang-froid, il permet à son détachement d'échapper à une destruction certaine. Hélas, il trouve peu après la mort en couvrant le repli de ses hommes.

LE GENERAL BOE

       Chef de la 20e division du 10e C.A., le général Boë se tient sans cesse au premier rang, partageant ainsi les mêmes dangers que ses soldats.

       C'est ainsi que le 22 août alors que, près de Belle-Motte, il organise lui-même la résistance, il est atteint par une balle qui le blesse grièvement au ventre.

       Il s'écroule dans les bras d'un officier qui se trouve à ses côtés et pansé sur place, il est ensuite dirigé sur une ambulance. Mais il ne peut être évacué et dans la soirée, il est fait prisonnier.

LE SOUS-LIEUTENANT COTELLE

       Originaire de Saint-Brieuc où son père était professeur au Lycée, le sous-lieutenant Georges Cotelle a reçu son premier galon à la veille de la guerre et il appartient à la promotion de Saint-Cyriens, dont les membres firent le serment de monter à leur premier assaut en « casoar et gants blancs ».

       Affecté au 25e R.I., il commande une des sections du 3e bataillon, qui le 22 août est chargé près de la ferme de Belle-Motte de contenir l'ennemi afin de permettre au 10e C.A. de se replier et de se reformer.

       Ayant déployé ses hommes en tirailleurs, le sous-lieutenant Georges Cotelle dirige le feu de sa section, faisant subir de lourdes pertes aux Allemands. Au lieu de se coucher il demeure à genoux afin de mieux suivre les mouvements de l'ennemi.

       A deux reprises il est blessé, mais il demeure à son poste. Une troisième balle l'atteint au ventre. Le sergent Gouge qui se trouve à ses côtés veut alors l'évacuer. Cotelle refuse et continue à diriger le tir de ses hommes.

       Quand, à bout de forces, il se rend compte qu'il est perdu, il passe le commandement au sergent Gouge et il demande à celui-ci de le laisser mourir.

       Tandis que le combat se poursuit, il s'écroule près d'une haie et c'est là que deux jours après, des civils belges découvriront son corps.

       Un de ses camarades de combat, le colonel Rihouey, président de l'Amicale des anciens du 25e R.I. nous a écrit à son sujet :

       « Le 22 août, les Allemands débouchèrent vers Belle-Motte, à 15 heures environ. A partir de ce moment je n'ai plus revu le sous-lieutenant Cotelle qui se trouvait à ma gauche avec sa section.

       « Selon les rescapés de sa compagnie, Cotelle a été blessé grièvement et a refusé de se laisser évacuer, continuant à assurer le commandement de sa section.

       « Le combat fut très dur, très violent et dura jusqu'à 16 heures où le bataillon reçut l'ordre de repli. Les pertes furent très lourdes. On les estime à près de trois cents morts pour le bataillon, avec autant de blessés. »

Le sous-lieutenant Georges Cotelle repose aujourd'hui au cimetière militaire de Belle-Motte à côté d'un grand nombre de ses camarades du 25e R.I. tombés au cours du même combat.

LE SOLDAT PIERRE DUPUY

       Le soldat Pierre Dupuy, du 6e R.I. de Marcenais, en Gironde, a-t-il été le premier français à abattre un avion allemand ?

       Il est permis de le penser d'après le récit qu'il a bien voulu nous faire.

       Agent de liaison cycliste, il était en mission dans le secteur de Montignies, quand il voit venir de l'Est un avion ennemi volant à faible altitude, avion qui, semblait-il, cherchait à repérer les troupes françaises.

       Le soldat Pierre Dupuy fit alors feu à plusieurs reprises et l'appareil, touché, alla s'abattre un peu plus loin. L'officier pilote, légèrement blessé, fut fait prisonnier.

LE CAPORAL AUDUBERTAUD

       Le 23 août, alors que de violents combats se déroulent près de Lobbes, un caporal du 144e R.I. donne des preuves de son courage et de son sang-froid.

       Lisez ce que nous en dit le colonel Laureux qui était alors lieutenant au 144e R.I. :

       « Au cours de la marche d'approche, le caporal Audubertaud est gravement blessé par un shrapnel à la cuisse. Il refuse d'être dirigé sur le poste de secours. Il dépose son sac et boitillant, il suit comme il peut. Lorsque la section atteint son objectif, une maison qui surplombe la vallée de la Sambre, Audubertaud me rejoint et me demande alors la faveur, comme prix de tir du régiment, de faire des cartons sur les Allemands. Il se fait hisser à une fenêtre du premier étage, installer assis sur deux chaises et en dépit des balles qui claquent et des obus qui atteignent le toit de la maison, il fait tranquillement ses cartons comme au champ de tir. Lors du repli, il avait bien mérité que nous le ramenions sur nos épaules. »

       Pendant la même opération, un autre soldat du 144e R.I., le soldat Jeangrand, demande à aller comme volontaire, couper à l'aide d'une cisaille des barbelés qui barrent la route à sa section. Il accomplit cet exploit malgré un tir très violent de l'ennemi, tandis que ses camarades angoissés s'attendent à chaque instant à le voir s'écrouler.

LES CITOYENS D'HONNEUR DE GOZÉE

       Gozée... c'est le nom d'un village belge de la région de Charleroi que les anciens du 49e R.I., le régiment de Bayonne, prononcent encore avec émotion.

       Gozée a vu, en effet, le 23 août, se dérouler de très violents combats et les hommes du 49e  R.I. y ont eu une conduite héroïque mettant, malgré de très lourdes pertes, en échec plusieurs unités allemandes.

       Notre confrère, le journaliste belge Maurice Moreau, a recueilli de la bouche de M. Henri Bury, bourgmestre de Gozée, le récit que voici :

       « Les Allemands qui venaient de commettre à Monceau-sur-Sambre de nouvelles atrocités arrivèrent en masse à Gozée, le dimanche 23 août, à 10 heures du matin.

       « La plupart d'entre eux avaient pris par le chemin de l'abbaye d'Aulne et débouchaient route de Thuin. A proximité de cet endroit les soldats du 49e R.I. occupaient la ferme de la Folie qu'ils avaient transformé en fortin.

       Les Allemands attaquèrent de front, puis tournèrent la position française et il se produisit alors un combat à l'arme blanche particulièrement violent, dans un chemin creux.

       « Les Français chassés du centre de Gozée revinrent en masse et libérèrent le village. Mais ils ne pouvaient résister à la force numérique de l'adversaire qui, le soir, était à nouveau le maître de la position. »

       Depuis pour remercier les soldats du 49e R.I. de leur courage, les autorités communales de ce village belge leur ont décerné le titre glorieux de citoyens d'honneur de Gozée.

       C'est un titre dont ceux qui l'ont mérité se sont, avec raison, montrés fiers à tel point que certains d'entre eux parvenus au terme de leur existence ont exigé, dans leurs dernières volontés, qu'il figure sur leur lettre de faire-part de décès.

       Depuis ce mois d'août 1914, des survivants du 49e R.I.sont venus à plusieurs reprises en pèlerinage à Gozée où ils sont toujours reçus avec affection par les habitants qui n'ont pas oublié ceux qui furent leurs vaillants défenseurs.

       Enfin placée sur le monument aux morts de cette localité, une plaque évoque le souvenir des combattants du 49e R.I., qui le 23 août 1914 sont héroïquement tombés à cet endroit « pour une cause commune.»

LES BRAVES DU 57e R. I.

       Plusieurs combattants du 57e R.I. se sont distingués pendant la bataille de Charleroi. S'il est impossible de tous les citer, en voici quelques-uns, choisis parmi les meilleurs.

       Elève au Prytanée militaire de la Flèche, le jeune Bérard, fils du chef de musique du 57e R.I., se trouve en permission chez ses parents à Rochefort quand la guerre est déclarée. Trop jeune pour s'engager, le Brution obtient du colonel Dapoigny l'autorisation de suivre le régiment et il est affecté à la 7e compagnie. Au combat de Lobbes, le jeune Bérard participe à l'attaque et se fait remarquer par son courage. Blessé, le visage couvert de sang, il continue à se battre et il faut l'intervention d'un officier pour qu'il accepte d'aller se faire soigner.

       Trois autres soldats, Guiraut, Guillot et Léotey voient leur officier, le capitaine Constans, frappé à mort. Pour empêcher l'ennemi de s'emparer de son corps, ils se placent près de lui et ils tirent, tuant plusieurs Allemands, jusqu'au moment où, à leur tour, ils sont mortellement atteints et s'écroulent sur le cadavre de leur capitaine. Un bas relief posé sur un monument commémoratif évoque leur sacrifice.

       Un mitrailleur, le soldat Dupouy, très grièvement blessé, a le courage pendant la nuit qui suit le combat de se traîner et de creuser un trou afin d'enfouir plusieurs caisses de munitions dont les Allemands auraient pu s'emparer.

       Demeuré étendu sur le terrain et grièvement blessé le caporal Landré se trouve seul après le repli du régiment. Malgré ses souffrances, il parvient à soigner ses plaies à l'aide de son paquet de pansement, puis se dissimulant dans les fourrés, il traverse les avant-postes ennemis, trouve sur son chemin quelques blessés qu'il soigne et réconforte et arrive enfin, au prix d'un grand effort, à rejoindre les Français auxquels il donne d'utiles renseignements sur les positions occupées par les Allemands.

       Un autre blessé, le soldat Labadie, voit les Allemands achever plusieurs de ses camarades demeurés comme lui étendus sur le terrain. Il trouve la force de se redresser et à coups de crosse il assomme ces brutes qui s'écroulent sur le sol. Labadie se cache ensuite dans un fourré et il attend la nuit pour regagner les lignes françaises.

       Un officier, le lieutenant Delitat, fait pendant l'attaque preuve d'un magnifique courage. Il poursuit l'ennemi pendant deux cents mètres, se heurte à une nouvelle vague et abat trois Allemands, dont un officier avant de tomber lui-même frappé à mort.

       Le lendemain de ce combat, les habitants de Lobbes venus relever les morts devaient trouver « deux groupes de deux Français et deux Allemands embrochés réciproquement à la baïonnette ». Ce seul fait indique avec quel acharnement on s'est battu au cours de ce combat.

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       Nous avons dû nous limiter et nous contenter de citer quelques actes d'héroïsme choisis parmi ceux qui sont venus à notre connaissance. Mais nous savons que les héros ont été nombreux au cours de cette bataille de Charleroi. Seulement le combat s'est déroulé dans de telles conditions que beaucoup d'exploits sont passés inaperçus et sont donc demeurés inconnus. Par ailleurs, parmi les survivants combien sont ensuite tombés de 1914 à 1918. Nous sommes donc privés de leurs témoignages.

       Enfin, comme les citations étaient rares au début de la guerre, les archives militaires ne possèdent pas les documents qui permettraient de retracer tel ou tel fait. Bien souvent donc les héros de Charleroi ont été soit méconnus, soit oubliés.

       Et pourtant les combattants des 1ers, 3e, 10e et 18e corps d'armée, qui marchaient au feu pour la première fois et qui se heurtaient à un adversaire supérieur en nombre et mieux armé, ont fait leur devoir avec courage.

       Certes, ils ont dû reculer, mais leur retraite s'est effectuée en ordre et n'a jamais pris l'allure d'une déroute. La preuve en est que dans les jours qui ont suivi, ces combattants n'avaient rien perdu de leurs qualités et qu'ils ont remporté les 28 et 29 août, une belle victoire à Guise avant de participer, victorieusement encore, à la bataille de la Marne.

       D'ailleurs tous les historiens qui ont étudié les circonstances dans lesquelles s'est déroulée la bataille de Charleroi sont d'accord pour rendre hommage à l'armée française et, également, malgré les quelques fautes qui furent commises, à ceux qui la commandaient.

       On a depuis critiqué plusieurs généraux, tout particulièrement ceux qui furent limogés, mais on n'a pas assez dit pour leur défense que les responsabilités venaient bien souvent de plus haut.

       Nous emprunterons la conclusion de ce chapitre au lieutenant-général Gierst qui écrit dans son récit des combats d'Anderlues-Collarmont des lignes qui s'appliquent à tous les combattants de Charleroi :

       « Ce que le combattant a souffert et enduré sous un soleil de plomb ; les angoisses qui ont assailli son âme, la peur qui l'a tenaillé, la fureur qui l'a lancé à l'assaut, la rage et le désespoir de devoir céder et abandonner à l'ennemi des camarades et des chefs tués et blessés, la fatigue extrême et l'épuisement nerveux qui suivent l'action ; il faut avoir vécu cela pour le comprendre et pour vouer au modeste fantassin une admiration émue et sans borne. »

Belges et Français

       Lors de l'arrivée des Français comme pendant les dures journées de la bataille, les Belges ont toujours manifesté leur sympathie à l'égard de ceux qui venaient à leur secours et c'est en amis qu'ils les accueillent et leur ouvrent toutes grandes leurs portes.

       « Nous avons été reçus comme des sauveurs » écrit le soldat Marcel Dupuy, du 144e R.I.

       Et le colonel Laureux qui était alors sous-lieutenant déclare de son côté :

       « Dans l'angoisse générale nous sommes accueillis en sauveurs par les Belges qui nous font une réception cordiale, généreuse et pleine d'espoir. »

       Sur le bord des routes, les femmes distribuent des vivres aux soldats. Et aussi du café, de ce café à la préparation duquel les ménagères belges savent apporter tous leurs soins.

       Plus tard, quand le combat est commencé et que nos soldats sont épuisés, les Belges les ravitaillent. Dans l'ouvrage qu'il a consacré à l'affaire d'Anderlues le lieutenant-général Gierst, cite ce texte d'E. Letard :

       « A 10 heures du soir, notre colonne s'arrête à Carnières. Déjà la ville est endormie ; mais bientôt les volets clos, les battants des fenêtres s'écartent et dans l'embrasure des portes apparaissent les silhouettes des habitants surpris dans leur premier sommeil. Quelques instants plus tard toute la population est debout pour accueillir la foule des soldats sans gîte, dont la rue est emplie ; les foyers encore chauds sont rallumés, la friture bout dans les poêles autour desquelles les hommes se pressent, surveillant, avec des regards de convoitise et l'expression d'un immense appétit, la cuisson des omelettes... »

       De son côté, le journaliste Maurice Moreau, dans le « Progrès de Namur », rapporte des propos tenus par une dame aujourd'hui octogénaire et qui a vécu les heures tragiques d'août 1914 :

       « Les soldats français, raconte cette personne, étaient recrus de fatigue. Le long de la chaussée de Charleroi à Bruxelles, la population se pressait vers eux et les priait d'accepter des vivres, des cigarettes, du vin, de la bière. D'abord parce qu'on était francophile et puis parce que chacun de nous avait un être cher quelque part du côté des Flandres et qu'il voulait faire ça ne fût-ce que par amour pour lui. »

       Mais les Belges furent aussi pour les Français d'excellents agents de renseignements.

       Les employés des Postes et les agents de chemins de fer tout particulièrement se dévouèrent bien souvent pour informer les Français des mouvements de l'ennemi. Pierre Bourget dans son livre « Fantassins de 14 » cite l'exemple suivant :

       « Les fantassins français sont renseignés par les riverains belges qui, de nuit, viennent aborder en barque à la rive gauche de la Meuse pour leur donner des renseignements sur les Allemands qui occupent la rive droite ; une femme héroïque, la receveuse des postes de Mesnil-Saint-Blaise, téléphone chaque soir, à la barbe des Allemands, des informations concernant l'ennemi au commandement français tenant le secteur d'Agimont. »

       Partout aussi les Belges se pressent au secours des blessés.

       Nombreux sont les anciens combattants de Charleroi qui nous ont dit avoir été soignés par des Belges. Et nombreux aussi sont ceux qui ont été sauvés, grâce aux soins qui leur furent ainsi prodigués.

       C'est, par exemple, le cas du soldat Pierre Beaumont qui, très grièvement atteint à la tête et au ventre, nous dit avoir été transporté dans une ambulance par des civils belges.

       De son côté, le soldat Senilh, du 24e R.I. écrit :

       « Blessé à Pieton, je fus transporté dans une petite maison en construction. Chaque jour les Belges nous apportaient de quoi manger et nous soignaient la nuit. C'est grâce à une famille belge, M. et Mme Buchin et leur fille Marguerite, que je suis encore de ce monde.

       « La famille Buchin n'est pas la seule à Pieton a avoir soigné avec cœur les blessés français. C'est toute la population de ce pays qui s'est ainsi dévouée sans la moindre restriction et ma reconnaissance est acquise pour toujours à ces braves gens. »

       Des exemples de ce genre on pourrait en citer des centaines et des centaines.

       Certains Belges poussèrent même le dévouement jusqu'à installer chez eux des ambulances. Parmi ceux-là, il faut nommer M. Léon Petit, directeur des Glaceries d'Auvelais, et son épouse Mme Léon Petit qui soignèrent ainsi chez eux de nombreux blessés des combats d'Auvelais, de Tamines et d'Arsimont.

       Parmi tant de noms qu'il faudrait citer, n'oublions pas celui de l'abbé Jules Rivière, curé de La Buissière, qui devait devenir un des courageux collaborateurs de la « Libre Belgique » clandestine. Chaque jour, tant que dure la bataille, il se penche sur les blessés et il aide à mourir ceux qui sont frappés à mort. Il se charge ensuite de les faire inhumer.

       Plus de cinquante ans se sont écoulés depuis ces pénibles journées, mais les anciens combattants de Charleroi se souviennent.

       Ils n'ont oublié ni l'accueil réservé aux Français, lors de leur arrivée en Belgique, ni les soins donnés aux blessés, ni les visites faites dans les hôpitaux par les civils qui arrivaient toujours les mains pleines de friandises.

       Ils savent aussi que bien souvent des soldats encerclés ont trouvé refuge chez des Belges qui leur donnaient des vêtements civils et, parfois même, des pièces d'identité afin de leur permettre d'échapper aux recherches de l'ennemi et de regagner la France.

       Et cela se passait, ne l'oublions pas, dans un pays occupé par les Allemands et malgré les menaces de ceux-ci qui, sans pitié, fusillaient tous ceux qui manifestaient leur sympathie à l'égard des Français.

       Nous compléterons ce chapitre en apportant le témoignage d'un Belge, M. Henri Mascaux, d'Auvelais, qui étant en 1914 tout jeune homme a assisté aux combats.

       « Les Allemands, écrit-il, ont placé devant eux des civils, afin de se protéger et cela sous le faux prétexte de se défendre contre les francs-tireurs belges.

       « J'ai recueilli moi-même des blessés français qui s'étaient cachés dans des ronces pour échapper à leurs ennemis qui voulaient les achever.

       « Les civils d'Auvelais organisés par la Croix-Rouge locale ont soigné de nombreux blessés français dans des ambulances de fortune : à la Glacerie sous la direction de M. et Mme Léon Petit ; à la Renaissance, sous la direction de Mme Protin ; à la clinique du docteur Romedenna; aux ateliers H.M.S., sous la direction de Mme Heuze.

       « Nous avons ainsi recueilli et soigné plus de six cents français qui n'étaient pas transportables. Toute la population d'Auvelais a veillé à ce que ces Français ne manquent de rien. »

       Et il en fut ainsi dans toutes les localités voisines. Partout où il y avait des blessés français, partout il y avait des civils belges pour leur venir en aide.

       Ainsi donc, et cela il ne faut pas l'oublier, la bataille de Charleroi a donné l'occasion aux Belges, dignes sujets de leur souverain, le grand roi Albert 1er, d'écrire une magnifique page de l'histoire de l'amitié franco-belge.

 

      



[1] Tiré de : Charleroi 1914 de Job de Roincé – Imprimerie « Les Nouvelles » 31 Av. Janvier, Rennes



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