Médecins de la Grande Guerre

L’extraordinaire aumônier Doncoeur s’improvisa commandant de bataillon.

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L’extraordinaire aumônier Doncoeur s’improvisa commandant de bataillon.

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Couverture du livre de Pierre Mayoux

L’aumônier militaire Paul Doncoeur

« Notre Dame de Vingré souterraine ». Chapelle édifiée au printemps 1915 par l’aumônier Doncoeur dans les grottes de Confrécourt, près de vingré (Aisne). Cet auteur taillé dans la pierre subsiste intact et en juin 1960, à 80 ans, le R.P. Doncoeur y célébra à nouveau la messe, devant les Anciens du 35ème R.I., venus en pèlerinage sur les lieux de leurs combats.

Champ de bataille de Champagne. Zone d’attaque de la 28ème brigade. 25-30 septembre 1915.

Paul Doncoeur, aumônier de la 28ème brigade (35ème et 42ème R.I.)

L’ aumônier du 35ème R.I., Paul Doncoeur, en septembre 1918. Le fanion du bataillon porte les noms des batailles où le régiment s’est illustré : Souain - Verdun – Bois de Courton – Tahure.

25 novembre 1921. Paul Doncoeur promu officier de la Légion d’Honneur, est décoré sur le front des troupes dans la Cour d’honneur des Invalides.

Commémoration au cimetière de Wacques créé de toutes pièces par l’aumônier Doncoeur.

1928 – Le maréchal Foch et le R.P. Doncoeur devant l’église de Plonjean (Finistère)

Le Père Doncoeur en 1948.

Septembre 1955 – Paul Doncoeur prononce une allocution devant le calvaire de la 28ème brigade, pour le quarantième anniversaire de la bataille de Champagne de 1915.

Paul Doncoeur aumônier de la 28ème brigade (35ème et 42ème R.I.)

L'autel du Père Doncoeur tel qu'il est encore en juin 2015 dans la grotte de Confrécourt

L'autel du Père Doncoeur tel qu'il est encore en juin 2015 dans la grotte de Confrécourt

Les écoliers des environs s'y recueillent lors d'une journée d'excursion en juin 2015

L'autel du Père Doncoeur tel qu'il est encore en juin 2015 dans la grotte de Confrécourt

Vue extérieure de la grotte de confrécourt   

L’extraordinaire aumônier Doncoeur s’improvisa commandant de bataillon.

       Je dédie cet article à tous les scouts et en particuliers à mes petits-fils Simon, Baptiste, Jérémie, Mathieu ainsi qu’à leur papa Jérôme Masson qui accepta pendant plusieurs années  la responsabilité de guider la troupe de  Hannut.

Introduction

       Paul Doncoeur est certainement un homme extraordinaire. Il fut sur tous les champs de bataille, jamais ne faiblit et devint un modèle d’endurance, de sagesse pour tous les hommes qu’il côtoya. Sa réputation de vaillance n’était pas surfaite car malgré le peu de reconnaissances attribuées aux  brancardiers pendant les deux premières années de la guerre par la hiérarchie, l’aumônier brancardier Paul Doncoeur fut rapidement décoré de la Légion d’Honneur. Paul Doncoeur fut sans doute aussi le seul ecclésiastique à avoir un jour commandé un bataillon, cela, il est vrai, dans des circonstances  bien  spéciales. On doit aussi à Paul Doncoeur, l’aumônier extraordinaire, d’avoir été un guide et un modèle pour la jeunesse catholique d’entre-deux guerres. Il donna au mouvement scout une nouvelle impulsion en définissant l’idéal d’un nouveau scout, à savoir le «  routier »,  scout aîné qui par les routes et le grand air recherche à endurcir et parfaire sa personnalité pour la mettre au service  des autres. 


L’aumônier militaire Paul Doncoeur

Avant la guerre

       Paul Doncoeur naquit le 6 septembre 1880 à Nantes. Son père, officier de cavalerie lui donna une éducation sportive et virile : durant toutes les vacances, il l’obligea à l’accompagner à la caserne pour faire du tir, de l’escrime et de l’équitation. A 18 ans, en 1898, il rentre au noviciat des Jésuites à ST-Acheul près d’Amiens. En 1902, suite à la loi Combes, il est obligé de prendre le chemin de l’exil et doit poursuivre ses études religieuses en Belgique. Il y obtient une licence es-lettres et de 1906 à 1908 exercera le métier de professeur de rhétorique au collège St Berchmans à Florennes. De 1909 à 1914, c’est au Collège d’Enghien qu’il est professeur. Il est ordonné prêtre durant cette période, en 1912. Jeune professeur, il montre une personnalité dynamique, jeune, entraînante. Il parvient ainsi  à donner à ses jeunes élèves le goût d’apprendre des matières parfois bien rébarbatives au premier regard. Cette personnalité de « meneur » le caractérisera durant toute sa vie et fut  particulièrement mis en exergue par la guerre 14-18.

Tout de suite héroïque au 115ème R.I. à Montmedy

       Quand la guerre éclate, le jeune prêtre malgré son statut de réformé (les religieux en exil étaient réformés d’office par le consulat de France de leur résidence) juge que sa place est au front. Il quitte la Belgique et rejoint Paris pour demander une place d’aumônier militaire qu’on lui refuse d’abord. Finalement à force d’insister, il est admis à une formation sanitaire, celle de l’hôpital militaire de Chalons. Cette place ne le satisfait pas car il veut être au front.  Le 20 août, il retourne à Paris où il entreprend de nouvelles démarches au Ministère de la Guerre. Finalement, grâce à l’intervention du Père de Grandmaison, il obtient la satisfaction de rejoindre, comme aumônier auxiliaire le 115ème R.I. de la 8ème  Division du 4ème Corps d’Armée. Tout s’enchaîne très vite. Le 28 août, l’aumônier est déjà au contact de l’ennemi près de Montmedy et fait immédiatement  preuve de sa vaillance.

       « Le 28 Août à l'aube, à la recherche des blessés du 115ème,  j'avançais au-delà des petits postes quand, tout à coup, je fus enveloppé par le craquement de 20 fusils et je vis mon camarade étendu de son long contre moi sur la route, la tête broyée. Le poste allemand était à trente pas ! J'ai senti à ce moment que mon cœur protégeait tout mon pays : jamais je n'avais respiré l'air de France avec cette fierté, ni posé  mon pied sur sa terre avec cette assurance ! »

       Le 15 septembre, Paul Doncoeur se trouve en plein cœur de la bataille de la Marne. Son régiment se couvre de gloire aux combats de Tracy-le-Val. Le soir, il relève les blessés quand une contre-attaque allemande surprend les brancardiers. Tous ses camarades autour de lui tombent. Plaqué au sol par un tir de mitrailleuse il passe la nuit couché, faisant le mort. Le matin il se relève, il est le seul survivant. Ayant passé la nuit au milieu des morts, il se considère à partir de ce jour « comme en sursis »  et se promet de ne jamais craindre la mort. Plus tard il raconta souvent cette nuit en finissant par une phrase de Ste Thérèse D’Avila :

« Si on n’a pas fait une bonne fois le sacrifice de sa vie on ne sert à rien » 

       Le 16 septembre à la ferme du Meriquin, près de Noyon, son Commandant lui demande de rester auprès des blessés intransportables pendant que son régiment fait retraite. La ferme est bientôt assaillie par l’ennemi. Paul s’avance alors à leur rencontre et la croix pectorale mise en évidence, parvint à expliquer que la ferme ne contient que des blessés. Le pire est grâce à lui évité. Paul Doncoeur obtient que les blessés puissent rester sur place.  La nuit, il continue à soigner et à consoler.

       « Dans les chambres aux meubles saccagés, aux carreaux brisés, gisent sur des matelas, sur des chaises, sur de la paille, sur le plancher, des corps accumulés qui souffrent, qui pleurent, qui appellent, qui crient. Il y a là de tout : fantassins en majorité, officiers et soldats mêlés, des tirailleurs aussi. A la lueur des bougies qui diminuent, passant sur les uns, il faut retourner les autres, donner à boire, nettoyer, faire taire, panser. Il faut consoler sur tout, et confesser. Tous y passent. Cet officier crie sa confession à haute voix et pleurant, ce soldat râle et reçoit une absolution muette ; enfin un peu de calme se fait. Quelques-uns dorment. »

       Le lendemain matin Paul ensevelit les corps des soldats morts pendant la nuit et c’est seulement le 18 septembre qu’il obtient l’autorisation des Allemands de transporter les soldats blessés à Noyon. Il effectue cinq voyages pour accomplir cette mission. La conduite de L’aumônier est héroïque comme le témoigna le Commandant Forcinal soigné de ses blessures à Noyon puis en Allemagne et qui rentrera en France en 1915, amputé d’une jambe. Voici ce qu’il écrira à son sauveur :

       « Je veux vous exprimer toute ma reconnaissance, et vous dire du fond du cœur un grand merci, pour votre si belle conduite pendant et surtout après le terrible combat du Mériquin. Personnellement, Monsieur l'aumônier, je vous dois la vie parce que vos soins et vos prières m'ont été du plus grand secours. Quand j'ai cru mourir vous m'avez soutenu de vos prières et de votre chère présence. Plus tard, quand le bon Dieu eut fait le miracle de me conserver la vie, vous avez fait l'impossible pour que nos ennemis me transportent le plus tôt à l'hôpital. Avec quel grand dévouement vous avez rempli vos devoirs de prêtre et combien des nôtres vous doivent la vie. »

       Le commandant Forcinal écrira aussi à la maman de Paul Doncoeur ces mots qui en disent long sur l’admiration qu’il éprouve envers son aumônier : 

       « Votre fils est mon sauveur. Sans lui, moi et plus de cinquante pauvres blessés aurions grillé dans cette ferme du Méri­quin en feu. Avec quel dévouement il nous a soignés. Avec quel courage et quelle autorité il est intervenu auprès de nos cruels ennemis pour leur demander de nous épargner. Le bon Dieu nous avait donné dans sa personne un ange gardien, et grâce à lui nous avons pu, moi et tant d'autres, être sauvés. Voulez-vous me permettre, Madame, de vous adresser expression de mon admiration émue et reconnaissante pour votre cher fils, l'abbé Doncœur. Il double son dévouement et son abnégation de la vaillance et du courage. C'est un prêtre, mais c'est aussi un soldat. Je voudrais voir briller sur sa poitrine l'étoile de la Légion d'honneur à côté de la croix du Christ et de la Croix de Guerre. Je ne doute pas que cette récompense lui soit accordée. »

       Pour sa conduite exceptionnellement courageuse, la Croix de Guerre lui sera effectivement  octroyée le 14 juillet 1915 et la Légion d’Honneur en 1916. L’attribution de ces décorations très tôt durant la Guerre à un brancardier aumônier est remarquable car l’héroïsme des brancardiers ne fut reconnu à sa juste valeur que très tard durant le conflit. Il ressort de ce fait que le comportement de Paul Doncoeur  fut  sans doute véritablement exceptionnel  pour  avoir su  autant impressionner sa  hiérarchie.

       Noyon est occupé par l’ennemi et Paul demande de retourner dans les lignes françaises, ce qui lui est refusé. Finalement le 27 octobre, il est embarqué dans un convoi d’infirmiers et de médecins français pour Krefeld en Allemagne. Il parvint à interpeller le général Von Bissing et à exiger, selon la Convention de Genève, d’être rapatrié. Finalement le 24 novembre il rejoint la Suisse dans un convoi de médecins militaires français. Le 29, il est à Paris.

Aumônier sur l’Aisne, il assiste un pauvre soldat condamné à mort.

       Sa conduite lui vaut d’être nommé aumônier de la 28ème brigade  de la 14ème division du 7ème Corps d’Armée. Le 26 décembre, il est à pied d’œuvre à Vic-sur-Aisne entre Compiègne et Soissons où sa brigade s’est enterrée pour une longue guerre de tranchées. Les troupes occupent notamment près de Vingré, les grottes de Confrécourt, anciennes carrières souterraines. Dans une de ces grottes Paul aménage une chapelle : un autel est taillé dans la pierre et décoré d’une inscription latine :

  Hic Sacrum Peractum  Est Durante Belle Anno Dominici MCMXV   (Ici la messe a été dite pendant la guerre-année 1915)

       Le christ repose sur une croix sculptée dans la pierre  au-devant d’un soleil  naissant mais irradiant qui symbolise  à merveille la victoire du Sauveur sur la mort et le mal.  C’est à Vingré que Paul Doncoeur apporte assistance à un soldat assassin condamné à mort. Son témoignage est poignant mais montre aussi le   prosélytisme  de Paul, une volonté de convertir son prochain  à tout prix, ce qui aujourd’hui nous paraîtrait aujourd’hui  pour le moins inadéquat.  Mais peu importe, Paul Doncoeur, prêtre et intellectuel, a  aussi  une foi  de charbonnier. Son Zèle est à la mesure de celle-ci…          

       « Le lendemain, avant le jour, je me rendis au village de Saint-Pierre-Aigle et l'on me conduisit au poste, petite maison paysanne, où était gardé le prisonnier. J'entrai. Je vis assis à une table, un quart de café devant lui, un soldat, képi sur la nuque et veste déboutonnée. Je demandai au sergent qu'on nous laissât seuls. Mon petit, dis-je au condamné, je suis l'aumônier. Tu sais que les hommes t'ont jugé. Ils n'ont plus rien à te dire. Je viens, moi, de la part du bon Dieu. Abruti par la fatigue ou par l'émotion, l'homme ne bougea pas. Je viens te parler du bon Dieu, lui dis-je. Il leva la tête et regarda le plafond. Un visage fermé, le front barré d'un grand pli, les yeux petits, enfoncés et fuyants. La bouche mauvaise ne répondit rien. Je viens t'apporter le pardon du bon Dieu, repris-je, du  bon Dieu que tu as prié avec ta mère. Son regard retomba à terre : Je n'ai pas connu ma mère, dit-il. – Ton père ... hasardai-je. – Il n'a fait que me battre. A l’école, mon Petit, on t’a parlé de lui. – Jamais !

       J'eus une grande angoisse. J'avais trois quarts d'heure pour apprendre à cet homme  tout son catéchisme. Je lui appris qu'il y avait un Maître qui nous avait créés et nous jugerait, un Père qui nous aimait, son Fils qui nous avait rachetés, et qu'en son Paradis, s'il le voulait, pardonné, il irait tout droit. Quand j'eus fini, ses yeux me suivaient avec amitié : Veux-tu faire ta première communion ? – Merci, monsieur l'aumônier. Et il m'embrassa. Je le confessai, nous allâmes escortés d'un piquet jusqu'à l'église. J'y fis célébrer la messe. Nous étions à genoux l'un contre l'autre. Il communia. Nous fîmes ensemble une brève action de grâces, tandis qu'au dehors j'entendais déjà le pas des compagnies sur la route glacée. Enfin un sergent vint nous chercher, c'était l'heure. Je lui donnai le bras, et continuant de prier, nous sortîmes.

       Le peloton, baïonnette au canon nous enveloppa, et nous descendîmes la côte. Quand nous fûmes arrivés dans le vallon, le régiment apparut, rangé sur trois côtés dans un champ, et, tout à coup je sentis le malheureux s'effondrer. Je le soutins avec un grand effort, croyant qu'il se trouvait mal, mais lui, me regardant doucement, dit : « Je me suis aperçu que je n'étais pas au pas des camarades du peloton. Je changeais de pas, pour ne pas déshonorer le régiment ». Deux minutes plus tard, m'ayant une dernière fois embrassé, il tombait la figure dans l'herbe blanche de gelée, le dos déchiqueté et sanglant. Alors, selon le rite, le régiment défila devant le cadavre. Plusieurs compagnies, par erreur, présentèrent les armes. Et moi, agenouillé près de lui, je sentis monter dans mon cœur des colères que je n'avais jamais éprouvées de ma vie. Ah ! On m'avait interdit d'enseigner ce petit à l'école et l'on avait eu besoin de moi pour le conduire au poteau ! Bien au-delà de ceux qui défilaient sans paraître comprendre, mon regard allait chercher ceux qui, embusqués aux arrières confortables, avaient voulu cela. Ceux qui, ayant refusé à ce petit gars de France toute religion, lui avaient interdit toute discipline, toute foi, toute espérance et l'avaient jeté au feu en lui criant : Marche ou crève ! Parce que dans son désespoir ce malheureux sans étoile s'était révolté et s'était jeté sur ses chefs, on l'avait abattu...

       J'ai mesuré ce jour-là l'effroyable cruauté de ces prétendus Libérateurs de l'Humanité dont le plus clair de l'œuvre apparaissait sanglant à mes yeux ! Et j'ai mesuré la terrible responsabilité que nous, qui savions tout cela, avions encourue en ne nous dressant pas pour défendre à tout prix l'âme de ces fils de France, capables d'être des assassins, et capables, une fois illuminés, allant à la mort, de se mettre au pas « pour ne pas déshonorer leur régiment ». A quel pas héroïque ne se seraient-ils pas mis, si on ne les avait précipités volontairement dans l'anarchie ! »

       Paul Doncoeur essaie d’être en ligne le plus souvent possible. Le 20 mai 1915, il reçoit une citation à l’ordre de la brigade qui lui décerne la Croix de guerre :

« Depuis son affectation à la 28ème brigade comme aumônier, remplit les obligations de son ministère avec un dévouement digne des plus grands éloges. S’est employé notamment avec crânerie à aller en des zones battues, enlever pour les ensevelir les cadavres abandonnés depuis plusieurs mois.  » (Général Lacotte)

L’enfer de Navarin

       Le 29 juillet la brigade quitte Vingré pour la Champagne.  Le 25 septembre, la brigade se lance à l’assaut. L’attaque se transforme en hécatombe, c’est « l’enfer de Navarin ». Les quatre colonels sont tués dont le colonel Tesson,  commandant le 35ème  bataillon et que Paul Doncoeur avait pu convaincre de se confesser la veille de la bataille malgré la tiédeur de sa pratique religieuse. Paul Doncoeur fit aussi là preuve de son zèle religieux mais finalement cela lui réussit comme le prouve le courrier qu’il reçoit six mois plus tard et qui lui est adressé par la vieille maman du colonel qui le remercie et lui confie la teneur de la dernière lettre reçue de son fils :

« Je sais que te ferai plaisir en te disant que je me suis mis en règle avec le Bon Dieu. L’aumônier est venu. Je l’attendais… Cela n’a pas été long… Mon vieux fond religieux est vite revenu. Je me suis confessé, et j’ai communié. Je l’ai fait avec conviction et aussi en pensant à toi. Je me suis trouvé très ému devant de grand acte et, pour tout dire, c’est avec plus de crânerie que j’affronterai demain la mort. A Dieu. » 

       Après quatre jours de combat, le soir du 29, la brigade est relevée. Paul Doncoeur durant la dernière nuit dans les tranchées parcourt le champ de bataille à la recherche de survivants. Il trouve notamment dans un petit bois un tout jeune soldat allongé sur le sol en train de chanter des chants religieux dans une sorte d’étrange sommeil. Paul Doncoeur ne parvient toutefois pas à le réveiller alors qu’il chantait le triple Agnus Dei de la messe….   L’aumônier finalement comprit qu’il ne s’agissait pas de sommeil et retourna le soldat à la recherche d’une blessure. Il trouva celle-ci à l’arrière du casque sous la forme d’un petit trou noir. Une balle avait donc terrassé le soldat qui agonisait à la face du ciel en chantant les chants de son église.  De toute sa vie, Paul Doncoeur n’oubliera jamais ce petit soldat et son dernier chant. Il dira plus tard dans une homélie : « Depuis lors, aucun chant humain ne m’a paru plus beau sur la terre. Celui-là était trop beau, je l’entendrai toute ma vie chaque fois que je ferai en moi le silence. »

       Impressionné par cette bataille horrible, Paul Doncoeur en écrira la relation dans un livre paru en 1919 et intitulé « La bataille de Champagne » 

       Petite anecdote : un officier sauvé par lui à Navarin lui écrivit un mot très émouvant dans lequel il rendait un vibrant hommage aux brancardiers. Il narra en effet, qu’en faisant remarquer à un brancardier qu’il exposait sa vie en le transportant sous le feu de l’ennemi celui-ci, lui avait répondu par une phrase toute simple qui pourtant lui sembla sublime : « Oui, mais nous vous sauvons ». La guerre, mère de la barbarie, donna paradoxalement aussi  l’occasion d’indiquer la valeur qui dépasse celle de notre propre vie : celle de notre frère…

La Bataille de Verdun

       En février 1916, la brigade reconstituée au camp de Chalons rejoint Verdun juste trois semaines avant l’attaque allemande du 25 février. A partir de ce jour, la brigade connaîtra à nouveau l’enfer et cela pour de nombreux mois. Le 35ème  Régiment tient le front devant le fort de Vaux et ne quittera celui-ci que lorsque ses pertes dépasseront 60% de l’effectif ! La cadence est toujours identique : 4 jours de repos (avec travail de nuit !) aux casernes Bevaux, quatre jours en réserve dans le Tunnel de Tavanes (toujours avec travail de nuit) et quatre jours en ligne. On rencontre le père Doncoeur partout selon un horaire qui lui est particulier.  Du tunnel il rejoint le soir les premières lignes en parcourant le ravin des Fontaines, surnommé le ravin de la mort tant sa traversée est périlleuse. Il passe un moment avec les soldats puis rejoint Bevaux avec les blessés qui attendaient la nuit pour être évacués. Chaque nuit c’est le cycle Tavannes, Ravin de la mort, Bevaux qui recommence. Paul Doncoeur l’accomplira pendant soixante jours. Un ancien du 42ème R.I, Jules Sturn  racontera plus tard :

« Je le revois encore, un certain jour de Mai 1916, dans le fossé de la redoute du fort de Vaux effondrée sous les obus, où nous étions terrés avec quelques rescapés de ma compagnie. Malgré tous les conseils de prudence que nous lui donnions, portant un sac de toile et les mains protégées par de la toile, il allait sous une véritable pluie d'acier ramasser dans ce sac les membres épars des camarades tués, jambes, bras, tête... pour leur donner dans un trou une sépulture décente et une dernière bénédiction. Il voulait aussi, sans doute, nous épargner ce spectacle déprimant et nous aider à conserver notre courage. Le Père Doncœur aimait de tout son cœur de prêtre les poilus du 35e et du 42e; il partageait avec eux, dans la boue des tranchées, toutes leurs souffrances et toutes leurs peines. Il était d'un moral à toute épreuve et d'un courage exemplaire dans les circonstances les plus critiques. »

       La nuit du 5 mai 2016 est particulièrement dramatique. Une section de « bleuets », jeunes soldats de la classe 16 monte en ligne sous les ordres du lieutenant de vaisseau Del. Malheureusement la section est prise sous le feu des canons ennemis et les jeunes hommes de vingt ans qui survivent attendent de l’aide dans les cratères. Le lieutenant de vaisseau Del est quant à lui mourant. Paul Doncoeur parvint à le rejoindre :

« Couché sur un brancard, les poumons se remplissant de sang, priant, luttant toute la nuit contre l’étouffement, râlant déjà, ce jeune lieutenant agonisa dans mes bras en appelant à lui ses hommes. Dans le cauchemar de la fièvre, comme s'il était encore au combat, au milieu des prières que je faisais avec lui, pour lui, tout à coup il se redressait et criait « Allons, debout les enfants ! On passera le barrage ! Ça suit, monsieur l'aumônier ? » me demandait-il avec angoisse. Et moi, lui caressant comme eut fait sa mère, les mains et les yeux pour l'endormir : « Oui, Del, disais-je, ne craignez pas, ça suit ! » Epuisé, il retombait sur son brancard. J'essayais de calmer sa fièvre, mais il se relevait criant « Bâbord ! Toute ! » Et mêlant les commandements de la marine à ceux de l'infanterie, comme les ayant devant ses yeux, il reprenait « Allons les gars, au 35e on n'abandonne pas son officier... » Et de nouveau il retombait. La mort dura jusqu'à l'aube, affreuse, et quand il ne put plus parler, son regard me redisait la même angoisse : les petits, les recrues de dix-neuf ans qu'il menait au feu pour la première fois, suivaient-ils ? Alors me penchant sur lui pour une dernière prière, je lui dis à l'oreille : « Oui, oui Del, dormez doucement, ça suit ! » C'était fini de se battre. Il ferma les yeux et s'endormit. »

       La brigade tiendra jusqu’au 19 mai puis descendra en repos jusque dans les Vosges. Avec le repos, les hommes peuvent accéder à des permissions. Paul en profite pour lancer une revue, « Frères d’Armes ». Dans un des numéros paraît ce beau texte sur la prière destiné au Poilu.

Prie !

« Pries-tu ? Du fond du Cœur ? Comme il le faut dans les terribles heures que nous vivons ! Avoue que tu passes facilement un jour sans prier, que souvent tu pries sans penser à rien, que souvent tu pries comme si cela t'était bien égal. Mais prie donc ! Prie le matin en sortant de ta paille. Tu n'y penses pas souvent, ou tu dis que tu n'en as pas le temps. Fais un bon signe de Croix et dis : « Mon Dieu, je vous offre ma journée et je me confie à votre bonté ». Et cours à la corvée qui t'appelle. Prie le soir quand tu tombes éreinté dans ton abri sans te déséquiper. Tu n'en peux plus. Et dis-le donc : « Mon Dieu, je n'en puis plus, je vous offre mon travail et je m'endors dans vos bras ». Et dors bien vite. Prie quand tu es de garde la nuit, que tu t'ennuies parce que c'est long, et que le cafard te prend, et que la peur ou le froid te gèlent. Prends ton chapelet, et dis le dix fois jusqu'à ce qu'il ne tourne plus ; celui-ci pour ta femme et tes petits, celui-ci pour la France, celui-ci pour que la guerre finisse et celui-ci pour tes camarades tombés l'autre jour... Et puis, quand tu le peux, au cantonnement, tranquillement, monte à la vieille église sombre, va près de l'autel, et la tête dans tes mains oublie tout le monde et prie avec ferveur dans un recueillement intense. Dis à Dieu tes misères, tes tristesses, ton amour, tes désirs, tes besoins. Dis-lui que tu t'offres à lui. Demande lui qu'il vive en toi, qu'il te purifie, qu'il te fortifie, qu'il te change, qu'il fasse de toi un chrétien solide, et qu'il te donne le bonheur de convertir ton camarade qui n'est pas venu mais qui viendra peut-être. Et demande lui qu'il sauve le Pays et ceci, et cela ...

Il y a tant à demander !... et tu ne pries pas ?  Mais prie donc ! »

       Le 15 juin, L’aumônier est cité à l’ordre des Armées, ce qui lui donne la Croix de chevalier de la Légion d’Honneur. A cette occasion, il reçoit d’innombrables témoignages de reconnaissance prouvant combien ses décorations sont méritées. En voici un parmi d’autres :

                                 « Monsieur l'Aumônier,

C'est avec un grand plaisir que j'ai appris que vous veniez de recevoir la médaille de Chevalier de la Légion d' Honneur. Cette décoration, vous l'avez bien gagnée et on ne saurait mieux la placer que sur la poitrine d'un brave comme vous, brave tant au titre de patriote que comme prêtre.

Je me souviens de vous, qui m'avez porté sur votre dos le 25 Septembre 15 quand j'étais blessé.

Veuillez Monsieur l'Aumônier accepter mes félicitations et aussi mes remerciements les plus sincères.

Plaise à Dieu de nous conserver la vie et que je puisse le redire de vive voix.

Votre tout dévoué. »

Soldat Aubert (1/8/16)

La Bataille de la Somme où Paul Doncoeur s’improvisa commandant de  bataillon

       Le 20 juillet 1916, la  brigade s’embarque après sa période de repos pour la Somme où la bataille fait rage. Le 10 août, c’est l’assaut de Maurepas puis le 16 c’est l’hécatombe devant  Buchavesnes. Au deuxième bataillon, du 35ème R.I.  tous les officiers sont successivement tués. Les liaisons avec les autres bataillons sont coupées et les hommes désemparés. C’est à ce moment que Paul Doncoeur perçoit le danger d’un encerclement si l’ordre d’avancer n’est pas donné. C’est dorénavant l’aumônier qui va diriger le bataillon et le faire avancer vers les lignes ennemies qui sont finalement conquises. Paul Doncoeur au moment de la victoire est soudain atteint par les éclats d’un obus et s’écroule ensanglanté. On le transporte au poste de secours puis à Amiens où on lui retire deux éclats dans un bras et un autre  à la poitrine. Quant à l’éclat abdominal, les médecins constatent qu’il a traversé entièrement la cavité abdominale sans léser l’intestin !  Le 1er septembre, on le transporte à Paris où à nouveau on extrait des éclats d’obus et où l’on constate qu’un éclat s’est logé sous l’aorte et ne peut être enlevé (Paul Doncoeur, le gardera toute sa vie ; en 1958, on lui découvrira aussi deux éclats dans la colonne cervicale).  Pour sa prouesse, il est cité à l’ordre du régiment :

« Le 16 Août 1916, le chef de bataillon, les commandants de Compagnie et presque tous les chefs de section du 2e bataillon du 35e R.I. ayant été mis hors de combat, a, sans hésitation, pris le commandement du bataillon et, sous un feu d'artillerie et de mitrailleuses d'une extrême violence, l'a crânement lancé à l'attaque de la position ennemie qu'il a partiellement enlevée, capturant une centaine d'hommes, des mitrailleuses et des canons de tranchée. A été grièvement blessé et n’a cessé dans ses souffrances, de donner le plus bel exemple de courage, suscitant l’admiration de tous. » 

Colonel Clément Grandcourt.

       Le Père Doncoeur profite de son congé de convalescence pour se rendre à Lourdes en pèlerinage en décembre 1916. Il demande ensuite sa réintégration au 35 R.I. D’abord refusée, elle est acceptée quand l’aumônier écrit personnellement au commandant du 7ème corps d’Armée.  Le revoilà de nouveau parmi ses fantassins à Hermonville à quelques km de Reims. Le 15 avril, le régiment se prépare à l’attaque.  Paul écrit à sa mère :

« Nous montons à la bataille et à la grâce de Dieu. Cela ne fait qu'un. Nous y allons joyeusement. Vous me suivrez de même. Puisqu'il n'y a qu'une tristesse ici-bas, qui est de ne pas être des saints, soyons heureux de tout ce qui nous approchera de la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ, lieu de toute sainteté. Demandez-lui instamment de me pardonner toutes mes fautes ; de me donner le moyen de réparer tout ce qui a manqué dans ma vie de prêtre surtout. (…) »

       Du 16 au 19 avril, le 35ème se couvre de gloire  et conquiert la tranchée de Transylvanie et le village de Bermericourt. Mais le 19 voit une contre-attaque des lignes conquises. Le 35ème tint et ne recula pas mais au prix de très grandes pertes. Il est relevé sans pouvoir inhumer ses morts. (C’est seulement en janvier 1919, que Paul Doncoeur reviendra à Berméricourt avec quelques volontaires pour rechercher et ensevelir les corps de ses camarades.)

       C’est ensuite le repos pour reconstituer le régiment. En juillet 17, Paul Doncoeur, grand sportif, s’illustre dans les joutes nautiques que lui-même a organisées sur les bords de la Marne. Il est le champion du Régiment en traversant sous l’eau le fleuve.

A nouveau à Verdun

       En août 17, le 35ème participe à la reprise de la cote 344 sur la rive droite de la Meuse.  En septembre 17, dans le tunnel du Kronprinz, Paul transforme un tunnel en petite chapelle dans laquelle il dit recevoir beaucoup de monde. Pas étonnant, l’aumônier se transforme souvent en ravitailleur en camembert, chocolat, tabac…  L’hiver qui suit est très dur dans les tranchées. Paul Doncoeur apprend aux soldats  à réchauffer le vin et le café avec… des charges d’obus allemands. Bien entendu, il distribue abondamment la revue qu’il a créée et qui prend un essor extraordinaire. « Frère d’Armes » a 17.000 abonnés ! Les prières rédigées par Paul Doncoeur et qui paraissent dans la revue seront même rassemblées en décembre 17 dans un petit livre « Prières du Pauvre fantassin et de sa Mère » qui sera diffusé dans toutes les armées  françaises.

       Paul Doncoeur entretient une correspondance énorme avec les blessés du régiment et avec les familles des soldats morts au combat. Voici un courrier reçu par Paul parmi tant  d’autres :

                                « Monsieur l'Aumônier,

« Je ne puis assez vous remercier de vous souvenir de la pauvre mère crucifiée que je suis et de m'adresser ainsi tout ce qui peut me parler de mon cher petit. Oh ! priez bien pour moi, j'en ai si grand besoin, je ressens de plus en plus le vide Immense que me produit sa perte. Si souvent mon Séraphin chéri me redisait votre bonté pour lui, pour tous ses camarades, votre dévouement pour tout ce qui touchait au bien-être de vos soldats ! Vous vous êtes donné tant de peine, vous vous êtes exposé au danger pour recueillir les restes du cher petit. Ne sachant comment vous prouver ma reconnaissance, je me permets de vous adresser une petite offrande pour la caisse des orphelins, puisque c'est une œuvre de charité dont vous vous occupez. »

M. Bayet

Oyonnax, 16/8/17

Après un nouveau repos le Mont Kemmel

       En mai 18, le 35ème se retrouve en Belgique au mont Kemmel qu’il faut reprendre aux Allemands.  Le 20 mai, l’assaut est déclenché. Au cours de celui-ci, meurt le sous-lieutenant Coué, héros de son régiment car cinq fois blessé depuis l’ouverture des hostilités ! Paul Doncoeur rendra hommage à ce jeune homme dont la devise était « Toujours en face » en rédigeant un petit livre à sa mémoire et qui fut édité en 1919. Le 27 mai l’ennemi tente de reprendre ses positions. Il échoue mais le régiment a subi de nombreuses pertes. Il est relevé et rejoint Amiens pour se reconstituer.

La seconde bataille de Reims

       Les Allemands déclenchent le 15 juillet 18 leur dernière offensive. Le 35ème est envoyé pour combattre l’ennemi dans les bois du sud de Reims. Les combats les plus violents ont lieu au bois de Courton. Paul Doncoeur est décrit ci-dessous par son collaborateur le Père Charvet :

« Je revois cette scène étrange, que seule la guerre peut faire comprendre : dans les bois au sud de Reims, nous sommes assis, épuisés, auprès de notre aumônier. Nous avons faim, nous avons soif. A quelques mètres de nous, des cadavres qui n'ont pu encore être enterrés. Aucun éclat de voix, trop de camarades sont tombés à nos côtés. Chacun évoque ses aventures, l'image des disparus. Puis nous nous restaurons, les bouteilles rafraichissent dans l'eau courante. Les sentiments sont divers : pour moi la tristesse de n'être pas tombé avec mes amis ; pour d'autres, la joie de vivre, « d'en sortir » au moins pour quelques semaines. L'aumônier écoute tout, comprend tout. A certains moments, en parlant des absents, sa voix se fait douce comme celle d'une maman ; elle pénètre jusqu'au plus secret de vous-même. A la fin du « pique-nique », ensemble, nous prions pour nos morts, et nous partons apaisés, réconfortés par notre Aumônier. »

       Pendant 15 jours le 35ème poursuivra l’ennemi jusque la rivière Ardre.

La dernière bataille

       La dernière bataille eut  lieu le 26 septembre 18 dans la région de Tahure à quelques km de Soudain qui vit l’anéantissement du régiment trois ans auparavant jour pour jour.

       Cet engagement commença par une période de silence  impressionnante  qui ne fut jamais oubliée des combattants comme le montre cette lettre (à propos du silence du 11 novembre 1918) envoyée vingt ans plus tard par  le colonel Roland  à l’aumônier :

« Monsieur l'aumônier, vous souvenez-vous dans la nuit du 25 Septembre 1918, à minuit moins dix, entre le bombardement rageur des Allemands et le déclenchement de notre formidable tir de préparation pour l'attaque sur Tahure, vous souvenez-vous ces dix minutes de silence ? 

Ce grand silence avant la victoire ? Tout le monde au coude à coude dans les places d'armes, ce rassemblement calme pour l'assaut ?  Eh bien ! Ce qu'il faudrait aujourd'hui obtenir de la France, après les semaines que nous venons de vivre, c'est dix minutes de silence, d'un silence de même qualité »

       L’attaque est couronnée de succès et en trois jours le 35ème pénètre de 8 km dans les lignes ennemies. L’armistice n’est plus loin.

Après la guerre, une activité incessante  pour garder le souvenir des anciens et pour promouvoir le scoutisme de la route

       On peut dire que les quatre années de cette guerre affreuse  continuèrent à le hanter et en même temps à le faire vivre jusqu’à son dernier jour.  Paul Doncoeur passa en fait toute sa vie à entretenir la mémoire des soldats de son régiment et de sa brigade morts pour la France.    Dès l’armistice on le voit entreprendre un registre complet de tous les morts. Au début de 1919, ce travail est terminé. Il restera toutefois en communications avec toutes les familles à la recherche de témoignages ou d’un corps d’un disparu. Plus de 600 familles firent appel à lui. Paul Doncoeur prendra ensuite part aux recherches des corps disparus. Ces premières recherches eurent lieu sur le site des batailles de Reims d’Avril 17. En janvier 19, il explore le champ de bataille de Brimont et déterre plus de  60 soldats.  Ce sera ensuite le tour de Souain qui nécessitera un colossal chantier de six mois pour retrouver, identifier les morts puis pour leur donner une sépulture dans un cimetière (cimetière de Wacques) qu’il crée de toutes pièces et qu’il enjoliva d’un calvaire impressionnant. Paul doncoeur fut un fervent défenseur des cimetières militaires alors que beaucoup de familles réclamaient les corps de leurs soldats décédés. Il fit part de ses considérations en cette matière avec ce petit texte :

« Il est mort au champ d’honneur

Vous l’enlevez du champ d’honneur

Vous lui ravissez sa gloire

Et vous vous décevez »

       Puis Paul va militer de tout son aura pour que l’on construise une chapelle pour commémorer les morts de sa brigade morts devant  Bouchavesnes mais aussi tous les soldats français ayant pris part à la bataille de la Somme. Celle-ci sera finalement construite et inaugurée en 1922 grâce à la générosité d’une famille, Monsieur et madame du Bos.

       En 1920, Paul entreprend un immense pèlerinage à pied dans les régions dévastées. De la Woevre au Kemmel, il sillonne les villages détruits et visite les innombrables ruines des églises pour ensuite faire un émouvant appel à la générosité pour la reconstruction de 200 églises ! Paul Doncoeur est ainsi fidèle à la prière de Jeanne d’Arc à son roi, gravée dans la pierre de Domremy :

« Bâtissez des chapelles dans lesquelles on prie pour les soldats morts pour la Patrie ».

       Paul Doncoeur avait été touché par le mouvement anticlérical qui avant la guerre avait dissous 974 établissements religieux, et fermé 1.843 écoles catholiques. Pendant la guerre plus de quatre mille prêtres, religieux ou séminaristes perdirent la vie en se battant ou en étant brancardiers. Après l’armistice, un consensus s’établit et les congrégations religieuses peuvent à nouveau rester en France mais les élections de 1924 remettent ce consensus en cause. Le nouveau gouvernement veut revenir à l’application de la loi Combes. Il s’ensuivit une lettre ouverte de Paul Doncoeur au Président du Conseil Herriot, publiée à 100.000 exemplaires et un combat de deux ans des religieux contre le gouvernement, combat où l’on vit Paul Doncoeur en première ligne. Finalement le gouvernement se laissa impressionner et renonça à son entreprise en laissant les religieux rester des Français à « part entière ».

       Malgré les innombrables commémorations auxquelles Paul Doncoeur participa, il était angoissé à l’idée que les jeunes générations puissent devenir indifférentes au sacrifice de leurs prédécesseurs. C’est à cet effet qu’en 1923, il rédigea un programme de « Cadets »  destiné à une jeunesse catholique s’engageant à redécouvrir un christianisme de marche, de plein air tout en gardant à l’esprit l’idéal de sacrifice et de dévouement de leurs aînés de la Grande Guerres 1914. Ce programme va marquer la vie d’une génération et inspirer la philosophie des « Routiers »  ces nouveaux scouts de France. En août 1924, les premiers « Cadets » accompagnent Paul Doncoeur en pèlerinage à Verdun. En mars 1925, Paul Doncoeur  devient aumônier du « Centre Routier de Paris », puis premier Aumônier National des Routiers et avec Marcel forestier, le fondateur de « La Route », branche aînée du mouvement scout en France. En 1928, après une marche de 350 km les « Cadets » sont présentés au Maréchal Foch dans sa propriété près de Morlaix. En 1935, avec 14 « Cadets », Paul Doncoeur ouvre à tous les jeunes « la route de Chartres ». Cent ans après, ce pèlerinage est toujours aujourd’hui très suivi par les jeunes.

       La défaite de 1940 fut pour l’aumônier une épreuve difficile à surmonter  mais il reprend les fonctions d’Aumônier National de la Route durant les années de guerre et ce jusqu’en 1945. Avec ses amis, il organise des camps routiers dans le sud de la France et un pèlerinage à Puy-de-Dôme. Par milliers les jeunes prennent la route du Puy. Le 13 août 42, ils sont près de dix mille rassemblés autour du Père Doncoeur. Le lendemain, les participants se relaient par groupe de douze pour porter une immense croix de chêne à travers la ville. A chaque station Paul prend la parole pour redonner espérance et foi à la jeunesse.

       Après la deuxième Guerre mondiale, en juillet 46, Paul Doncoeur organisera cette fois une « Croisade pour la Paix » à Vezelay. Devant des milliers de jeunes dont un groupe de prisonniers de guerre allemands Paul Doncoeur prend la parole et rappelle la signification du chemin de croix vécu pour le christ mais aussi pour l’union et la paix entre les peuples.

       En juin 1956, l’aumônier Paul Doncoeur devant l’ossuaire de Verdun fit une remarquable  allocution en essayant de répondre à cette question cruciale : « Ne serait-ce vraiment que dans la mort que les hommes de deux pays différents puissent jouir de la paix ? » 

« Mes camarades,

Vous avez voulu monter jusqu'ici, comme nous montions naguère de Verdun, en ces nuits terribles, lourdes épaules, pieds lourds dans la boue, cœurs plus lourds encore. Jeune classe 16 jetée pour la première fois au feu affolée dans les tirs de barrage, vieux poilus des vieilles classes, comptant ceux qui ne redescendraient pas, nous marchions le cœur  grave, silencieux,  faisant taire même les voix lointaines, trop chères qui nous auraient peut-être retenus. Montant ce soir sous ce ciel enfin silencieux de ses artilleries, vous avez voulu faire taire les voix aines, les voix criardes, les voix menteuses, pour ne plus entendre en cette nuit, en ces terres mortes et désertes que les seules voix autorisées à nous parler. Celles de ceux qui dorment solitaires ... les morts. On a dit qu'ils avaient des droits sur nous. Ils auraient d'abord le droit de parler. N'est-il pas vrai que nous n'avons, nous les survivants, nul désir de parler? Nous savons que la parole des vivants ne peut avoir cette gravité, ce poids, cette vérité qui n'appartiennent qu'à ceux qui ont passé au-delà des ombres et débouché dans la crue lumière de Dieu. C'est leur parole que nous aurions besoin, nous, d'entendre pour nous aligner à eux. En Août 1917, ayant reconquis tous ces terrains, j'ai, au cœur des lignes allemandes, trouvé une petite croix noire sur laquelle se détachait une inscription peut-être récente :

Hier liegen

Ein Deutscher
Musketier

Und ein
Franrosischer Soldat.

Ob Freund, ob Feind
Im Tod vereint
Ruhet sanft

Ci-gisent

Un mousquetaire
allemand

et un soldat
français.

Ami ou ennemi,
unis dans la mort
Dormez en paix

Hommage et prière, où se cache une telle amertume ! Ne sera-ce que dans la mort et par elle que des hommes, nés sur des terres voisines, pourront reposer en Paix ? Faudra-t-il qu'elle nous ait couchés de force dans la même tombe pour que nous cessions de nous battre ? Ne pourrons-nous nous tenir paisiblement si proches que dans l'étroite cellule du tombeau ? (….)

« De quel cœur léger ne reviendrions-nous pas vers eux, si un jour, nous venions leur annoncer qu'enfin ils ont été entendus, qu'enfin leur mort est payée, que c'est accompli, que c'est la dernière et que, s'ils ont été les pierres de fondation enfouies dans les assises profondes de la terre, le monument cimenté de leur sang, se dresse enfin vers le ciel. Nouvelle plus belle que tous les armistices provisoires, plus belle que les plus brillantes victoires éphémères, qui fera défaillir les cœurs des hommes et des femmes :

« C'est fini de se haïr ! C'est fini de se faire souffrir ! C'est fini de se tuer ! » Alors le mot PAX qui domine le porche sous lequel nous sommes assemblés, ne sera plus une vaine promesse dérisoire, mais une vérité.

Prenons donc, le voulez-vous, toutes nos prières avec les leurs, avec celle de tous les hommes de bonne volonté, de toutes races, des amis et des ennemis d'hier, pour adjurer le Seigneur de faire qu'après tant de larmes et de sacrifices, cet espoir soit un jour une réalité dont nous aurons été les ouvriers et les soldats. »

       En lisant ce texte, soyons convaincus de sa vérité, il ne provient pas d’un idéaliste naïf ne sachant rien de la vie et de ses douleurs, il provient d’un homme qui connut  le triste privilège de regarder dans les yeux  les dernières lueurs de vie  de centaines de jeunes gens arrachés à la terre de leurs ancêtres sans avoir eu le temps de s’épanouir. Qui peut aujourd’hui témoigner d’une telle expérience (et y survivre !) ? Assurément et heureusement plus personne, du moins dans nos pays occidentaux ! Malgré toute cette immense tragédie, Paul Doncoeur ne sombra pas dans le désespoir mais comme Teilhard de Chardin continua à croire en Dieu mais aussi en l’homme.

       En juin 1960, Paul Doncoeur, âgé de 80 ans, dans les grottes de Confrécourt sur les bords de l’Aisne put redire la messe devant des anciens du 35ème dans la chapelle qu’il avait aménagée en 1915. Dix mois plus tard, il décède.  Aujourd’hui encore le propriétaire des lieux  permet aux enfants des écoles de se recueillir devant ce même autel où règne encore l’esprit de Paul Doncoeur et de ses compagnons d’armes.  Un esprit de Don, un esprit de Cœur !

Juillet 2014

Dr Loodts P.

 

 

Source : « Paul Doncoeur, aumônier militaire », Pierre Mayoux, 243 pages, Editions Aux presses d’Ile de France, 1966

 

 



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