Médecins de la Grande Guerre
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L’extraordinaire aumônier
Doncoeur s’improvisa commandant de bataillon. Je dédie cet article à tous les scouts et en particuliers à mes petits-fils Simon, Baptiste, Jérémie, Mathieu ainsi qu’à leur papa Jérôme Masson qui accepta pendant plusieurs années la responsabilité de guider la troupe de Hannut. Introduction Paul Doncoeur est certainement un homme extraordinaire. Il fut sur tous les champs de bataille, jamais ne faiblit et devint un modèle d’endurance, de sagesse pour tous les hommes qu’il côtoya. Sa réputation de vaillance n’était pas surfaite car malgré le peu de reconnaissances attribuées aux brancardiers pendant les deux premières années de la guerre par la hiérarchie, l’aumônier brancardier Paul Doncoeur fut rapidement décoré de la Légion d’Honneur. Paul Doncoeur fut sans doute aussi le seul ecclésiastique à avoir un jour commandé un bataillon, cela, il est vrai, dans des circonstances bien spéciales. On doit aussi à Paul Doncoeur, l’aumônier extraordinaire, d’avoir été un guide et un modèle pour la jeunesse catholique d’entre-deux guerres. Il donna au mouvement scout une nouvelle impulsion en définissant l’idéal d’un nouveau scout, à savoir le « routier », scout aîné qui par les routes et le grand air recherche à endurcir et parfaire sa personnalité pour la mettre au service des autres. L’aumônier militaire Paul Doncoeur Avant la guerre Paul Doncoeur naquit le 6 septembre 1880 à Nantes. Son père, officier de cavalerie lui donna une éducation sportive et virile : durant toutes les vacances, il l’obligea à l’accompagner à la caserne pour faire du tir, de l’escrime et de l’équitation. A 18 ans, en 1898, il rentre au noviciat des Jésuites à ST-Acheul près d’Amiens. En 1902, suite à la loi Combes, il est obligé de prendre le chemin de l’exil et doit poursuivre ses études religieuses en Belgique. Il y obtient une licence es-lettres et de 1906 à 1908 exercera le métier de professeur de rhétorique au collège St Berchmans à Florennes. De 1909 à 1914, c’est au Collège d’Enghien qu’il est professeur. Il est ordonné prêtre durant cette période, en 1912. Jeune professeur, il montre une personnalité dynamique, jeune, entraînante. Il parvient ainsi à donner à ses jeunes élèves le goût d’apprendre des matières parfois bien rébarbatives au premier regard. Cette personnalité de « meneur » le caractérisera durant toute sa vie et fut particulièrement mis en exergue par la guerre 14-18. Tout de suite héroïque
au 115ème R.I. à Montmedy Quand la guerre éclate, le jeune prêtre malgré son statut de réformé (les religieux en exil étaient réformés d’office par le consulat de France de leur résidence) juge que sa place est au front. Il quitte la Belgique et rejoint Paris pour demander une place d’aumônier militaire qu’on lui refuse d’abord. Finalement à force d’insister, il est admis à une formation sanitaire, celle de l’hôpital militaire de Chalons. Cette place ne le satisfait pas car il veut être au front. Le 20 août, il retourne à Paris où il entreprend de nouvelles démarches au Ministère de la Guerre. Finalement, grâce à l’intervention du Père de Grandmaison, il obtient la satisfaction de rejoindre, comme aumônier auxiliaire le 115ème R.I. de la 8ème Division du 4ème Corps d’Armée. Tout s’enchaîne très vite. Le 28 août, l’aumônier est déjà au contact de l’ennemi près de Montmedy et fait immédiatement preuve de sa vaillance. « Le 28 Août à l'aube, à la recherche des blessés du 115ème, j'avançais au-delà des petits postes quand, tout à coup, je fus enveloppé par le craquement de 20 fusils et je vis mon camarade étendu de son long contre moi sur la route, la tête broyée. Le poste allemand était à trente pas ! J'ai senti à ce moment que mon cœur protégeait tout mon pays : jamais je n'avais respiré l'air de France avec cette fierté, ni posé mon pied sur sa terre avec cette assurance ! » Le 15 septembre, Paul Doncoeur se trouve en plein cœur de la bataille de la Marne. Son régiment se couvre de gloire aux combats de Tracy-le-Val. Le soir, il relève les blessés quand une contre-attaque allemande surprend les brancardiers. Tous ses camarades autour de lui tombent. Plaqué au sol par un tir de mitrailleuse il passe la nuit couché, faisant le mort. Le matin il se relève, il est le seul survivant. Ayant passé la nuit au milieu des morts, il se considère à partir de ce jour « comme en sursis » et se promet de ne jamais craindre la mort. Plus tard il raconta souvent cette nuit en finissant par une phrase de Ste Thérèse D’Avila : « Si on n’a pas fait une
bonne fois le sacrifice de sa vie on ne sert à rien » Le 16 septembre à la ferme du Meriquin, près de Noyon, son Commandant lui demande de rester auprès des blessés intransportables pendant que son régiment fait retraite. La ferme est bientôt assaillie par l’ennemi. Paul s’avance alors à leur rencontre et la croix pectorale mise en évidence, parvint à expliquer que la ferme ne contient que des blessés. Le pire est grâce à lui évité. Paul Doncoeur obtient que les blessés puissent rester sur place. La nuit, il continue à soigner et à consoler. « Dans les chambres aux meubles saccagés, aux carreaux brisés, gisent
sur des matelas, sur des chaises, sur de la paille, sur le plancher, des corps
accumulés qui souffrent, qui pleurent, qui appellent, qui crient. Il y a là de
tout : fantassins en majorité, officiers et soldats mêlés, des tirailleurs
aussi. A la lueur des bougies qui diminuent, passant sur les uns, il faut
retourner les autres, donner à boire, nettoyer, faire taire, panser. Il faut
consoler sur tout, et confesser. Tous y passent. Cet officier crie sa confession
à haute voix et pleurant, ce soldat râle et reçoit une absolution muette ;
enfin un peu de calme se fait. Quelques-uns dorment. » Le lendemain matin Paul ensevelit les corps des soldats morts pendant la nuit et c’est seulement le 18 septembre qu’il obtient l’autorisation des Allemands de transporter les soldats blessés à Noyon. Il effectue cinq voyages pour accomplir cette mission. La conduite de L’aumônier est héroïque comme le témoigna le Commandant Forcinal soigné de ses blessures à Noyon puis en Allemagne et qui rentrera en France en 1915, amputé d’une jambe. Voici ce qu’il écrira à son sauveur :
« Je veux vous exprimer
toute ma reconnaissance, et vous dire du fond du cœur un grand merci, pour
votre si belle conduite pendant et surtout après le terrible combat du Mériquin. Personnellement, Monsieur l'aumônier, je vous
dois la vie parce que vos soins et vos prières m'ont été du plus grand secours.
Quand j'ai cru mourir vous m'avez soutenu de vos prières et de votre chère
présence. Plus tard, quand le bon Dieu eut fait le miracle de me conserver la
vie, vous avez fait l'impossible pour que nos ennemis me transportent le plus
tôt à l'hôpital. Avec quel grand
dévouement vous avez rempli vos devoirs de prêtre et combien des nôtres vous
doivent la vie. » Le commandant Forcinal écrira aussi à la maman de Paul Doncoeur ces mots qui en disent long sur l’admiration qu’il éprouve envers son aumônier :
« Votre fils est mon
sauveur. Sans lui, moi et plus de cinquante pauvres blessés aurions grillé dans
cette ferme du Mériquin en feu. Avec quel dévouement
il nous a soignés. Avec quel courage et quelle autorité il est intervenu auprès
de nos cruels ennemis pour leur demander de nous épargner. Le bon Dieu nous
avait donné dans sa personne un ange gardien, et grâce à lui nous avons pu, moi
et tant d'autres, être sauvés. Voulez-vous me permettre, Madame, de vous
adresser expression de mon admiration émue et reconnaissante pour votre cher
fils, l'abbé Doncœur. Il double son dévouement et son
abnégation de la vaillance et du courage. C'est un prêtre, mais c'est aussi un
soldat. Je voudrais voir briller sur sa poitrine l'étoile de la Légion
d'honneur à côté de la croix du Christ et de la Croix de Guerre. Je ne doute
pas que cette récompense lui soit accordée. » Pour sa conduite exceptionnellement
courageuse, la Croix de Guerre lui sera effectivement octroyée le 14 juillet 1915 et la Légion
d’Honneur en 1916. L’attribution de ces décorations très tôt durant la Guerre à
un brancardier aumônier est remarquable car l’héroïsme des brancardiers ne fut
reconnu à sa juste valeur que très tard durant le conflit. Il ressort de ce
fait que le comportement de Paul Doncoeur fut
sans doute véritablement exceptionnel
pour avoir su autant impressionner sa hiérarchie.
Noyon est occupé par l’ennemi et Paul demande de retourner dans les
lignes françaises, ce qui lui est refusé. Finalement le 27 octobre, il est
embarqué dans un convoi d’infirmiers et de médecins français pour Krefeld en
Allemagne. Il parvint à interpeller le général Von Bissing et à exiger, selon
la Convention de Genève, d’être rapatrié. Finalement le 24 novembre il rejoint
la Suisse dans un convoi de médecins militaires français. Le 29, il est à
Paris. Aumônier sur l’Aisne, il assiste un pauvre soldat condamné à mort. Sa conduite lui vaut d’être nommé
aumônier de la 28ème brigade
de la 14ème division du 7ème Corps d’Armée. Le 26
décembre, il est à pied d’œuvre à Vic-sur-Aisne entre Compiègne et Soissons où
sa brigade s’est enterrée pour une longue guerre de tranchées. Les troupes
occupent notamment près de Vingré, les grottes de Confrécourt, anciennes carrières souterraines. Dans une de
ces grottes Paul aménage une chapelle : un autel est taillé dans la pierre
et décoré d’une inscription latine : Hic Sacrum Peractum Est Durante Belle Anno
Dominici MCMXV (Ici la messe a été
dite pendant la guerre-année 1915) Le christ repose sur une croix sculptée
dans la pierre au-devant d’un
soleil naissant mais irradiant qui
symbolise à merveille la victoire du
Sauveur sur la mort et le mal. C’est à Vingré que Paul Doncoeur apporte
assistance à un soldat assassin condamné à mort. Son témoignage est poignant
mais montre aussi le prosélytisme de Paul, une volonté de convertir son
prochain à tout prix, ce qui aujourd’hui
nous paraîtrait aujourd’hui pour le
moins inadéquat. Mais peu importe, Paul Doncoeur, prêtre et intellectuel, a aussi
une foi de charbonnier. Son Zèle
est à la mesure de celle-ci… « Le lendemain, avant le jour, je
me rendis au village de Saint-Pierre-Aigle et l'on me conduisit au poste,
petite maison paysanne, où était gardé le prisonnier. J'entrai. Je vis assis à
une table, un quart de café devant lui, un soldat, képi sur la nuque et veste
déboutonnée. Je demandai au sergent qu'on nous laissât seuls. Mon petit, dis-je
au condamné, je suis l'aumônier. Tu sais que les hommes t'ont jugé. Ils n'ont
plus rien à te dire. Je viens, moi, de la part du bon Dieu. Abruti par la
fatigue ou par l'émotion, l'homme ne bougea pas. Je viens te parler du bon
Dieu, lui dis-je. Il leva la tête et regarda le plafond. Un visage fermé, le
front barré d'un grand pli, les yeux petits, enfoncés et fuyants. La bouche
mauvaise ne répondit rien. Je viens t'apporter le pardon du bon Dieu,
repris-je, du bon Dieu que tu as prié
avec ta mère. Son regard retomba à terre : Je n'ai pas connu ma mère, dit-il. –
Ton père ... hasardai-je. – Il n'a fait que me battre. A l’école, mon Petit, on
t’a parlé de lui. – Jamais !
J'eus une grande angoisse.
J'avais trois quarts d'heure pour apprendre à cet homme tout son catéchisme. Je lui appris qu'il y
avait un Maître qui nous avait créés et nous jugerait, un Père qui nous aimait,
son Fils qui nous avait rachetés, et qu'en son Paradis, s'il le voulait,
pardonné, il irait tout droit. Quand j'eus fini, ses yeux me suivaient avec
amitié : Veux-tu faire ta première communion ? – Merci, monsieur l'aumônier. Et
il m'embrassa. Je le confessai, nous allâmes escortés d'un piquet jusqu'à
l'église. J'y fis célébrer la messe. Nous étions à genoux l'un contre l'autre. Il
communia. Nous fîmes ensemble une brève action de grâces, tandis qu'au dehors
j'entendais déjà le pas des compagnies sur la route glacée. Enfin un sergent
vint nous chercher, c'était l'heure. Je lui donnai le bras, et continuant de
prier, nous sortîmes. Le peloton, baïonnette au canon nous
enveloppa, et nous descendîmes la côte. Quand nous fûmes arrivés dans le
vallon, le régiment apparut, rangé sur trois côtés dans un champ, et, tout à
coup je sentis le malheureux s'effondrer. Je le soutins avec un grand effort,
croyant qu'il se trouvait mal, mais lui, me regardant doucement, dit : « Je me
suis aperçu que je n'étais pas au pas des camarades du peloton. Je changeais de
pas, pour ne pas déshonorer le régiment ». Deux minutes plus tard, m'ayant une
dernière fois embrassé, il tombait la figure dans l'herbe blanche de gelée, le
dos déchiqueté et sanglant. Alors, selon le rite, le régiment défila devant le
cadavre. Plusieurs compagnies, par erreur, présentèrent les armes. Et moi,
agenouillé près de lui, je sentis monter dans mon cœur des colères que je
n'avais jamais éprouvées de ma vie. Ah ! On m'avait interdit d'enseigner ce
petit à l'école et l'on avait eu besoin de moi pour le conduire au poteau !
Bien au-delà de ceux qui défilaient sans paraître comprendre, mon regard allait
chercher ceux qui, embusqués aux arrières confortables, avaient voulu cela.
Ceux qui, ayant refusé à ce petit gars de France toute religion, lui avaient
interdit toute discipline, toute foi, toute espérance et l'avaient jeté au feu
en lui criant : Marche ou crève ! Parce que dans son désespoir ce malheureux
sans étoile s'était révolté et s'était jeté sur ses chefs, on l'avait abattu... J'ai mesuré ce jour-là l'effroyable
cruauté de ces prétendus Libérateurs de l'Humanité dont le plus clair de
l'œuvre apparaissait sanglant à mes yeux ! Et j'ai mesuré la terrible
responsabilité que nous, qui savions tout cela, avions encourue en ne nous
dressant pas pour défendre à tout prix l'âme de ces fils de France, capables
d'être des assassins, et capables, une fois illuminés, allant à la mort, de se
mettre au pas « pour ne pas déshonorer leur régiment ». A quel pas héroïque ne
se seraient-ils pas mis, si on ne les avait précipités volontairement dans
l'anarchie ! » Paul Doncoeur
essaie d’être en ligne le plus souvent possible. Le 20 mai 1915, il reçoit une
citation à l’ordre de la brigade qui lui décerne la Croix de guerre : « Depuis
son affectation à la 28ème brigade comme aumônier, remplit les
obligations de son ministère avec un dévouement digne des plus grands éloges.
S’est employé notamment avec crânerie à aller en des zones battues, enlever
pour les ensevelir les cadavres abandonnés depuis plusieurs mois. »
(Général Lacotte) L’enfer de Navarin Le 29 juillet la brigade quitte Vingré pour la Champagne.
Le 25 septembre, la brigade se lance à l’assaut. L’attaque se transforme
en hécatombe, c’est « l’enfer de Navarin ». Les quatre colonels sont tués
dont le colonel Tesson, commandant le 35ème bataillon et que Paul Doncoeur
avait pu convaincre de se confesser la veille de la bataille malgré la tiédeur
de sa pratique religieuse. Paul Doncoeur fit aussi là
preuve de son zèle religieux mais finalement cela lui réussit comme le prouve
le courrier qu’il reçoit six mois plus tard et qui lui est adressé par la
vieille maman du colonel qui le remercie et lui confie la teneur de la dernière
lettre reçue de son fils : « Je sais que te ferai plaisir
en te disant que je me suis mis en règle avec le Bon Dieu. L’aumônier est venu.
Je l’attendais… Cela n’a pas été long… Mon vieux fond religieux est vite
revenu. Je me suis confessé, et j’ai communié. Je l’ai fait avec conviction et
aussi en pensant à toi. Je me suis trouvé très ému devant de grand acte et,
pour tout dire, c’est avec plus de crânerie que j’affronterai demain la mort. A
Dieu. » Après quatre jours de combat, le soir du
29, la brigade est relevée. Paul Doncoeur durant la
dernière nuit dans les tranchées parcourt le champ de bataille à la recherche
de survivants. Il trouve notamment dans un petit bois un tout jeune soldat
allongé sur le sol en train de chanter des chants religieux dans une sorte
d’étrange sommeil. Paul Doncoeur ne parvient toutefois
pas à le réveiller alors qu’il chantait le triple Agnus Dei de la messe…. L’aumônier finalement comprit qu’il ne
s’agissait pas de sommeil et retourna le soldat à la recherche d’une blessure.
Il trouva celle-ci à l’arrière du casque sous la forme d’un petit trou noir.
Une balle avait donc terrassé le soldat qui agonisait à la face du ciel en
chantant les chants de son église. De
toute sa vie, Paul Doncoeur n’oubliera jamais ce
petit soldat et son dernier chant. Il dira plus tard dans une homélie : « Depuis
lors, aucun chant humain ne m’a paru plus beau sur la terre. Celui-là était
trop beau, je l’entendrai toute ma vie chaque fois que je ferai en moi le
silence. » Impressionné par cette bataille
horrible, Paul Doncoeur en écrira la relation dans un
livre paru en 1919 et intitulé « La bataille de Champagne »
Petite anecdote : un officier sauvé par lui à Navarin lui écrivit
un mot très émouvant dans lequel il rendait un vibrant hommage aux
brancardiers. Il narra en effet, qu’en faisant remarquer à un brancardier qu’il
exposait sa vie en le transportant sous le feu de l’ennemi celui-ci, lui avait
répondu par une phrase toute simple qui pourtant lui sembla sublime : « Oui, mais nous vous sauvons ».
La guerre, mère de la barbarie, donna paradoxalement aussi l’occasion d’indiquer la valeur qui dépasse
celle de notre propre vie : celle de notre frère… La Bataille de Verdun En février 1916, la brigade reconstituée
au camp de Chalons rejoint Verdun juste trois semaines avant l’attaque allemande
du 25 février. A partir de ce jour, la brigade connaîtra à nouveau l’enfer et
cela pour de nombreux mois. Le 35ème
Régiment tient le front devant le fort de Vaux et ne quittera celui-ci
que lorsque ses pertes dépasseront 60% de l’effectif ! La cadence est
toujours identique : 4 jours de repos (avec travail de nuit !) aux
casernes Bevaux, quatre jours en réserve dans le
Tunnel de Tavanes (toujours avec travail de nuit) et
quatre jours en ligne. On rencontre le père Doncoeur
partout selon un horaire qui lui est particulier. Du tunnel il rejoint le soir les premières
lignes en parcourant le ravin des Fontaines, surnommé le ravin de la mort tant
sa traversée est périlleuse. Il passe un moment avec les soldats puis rejoint Bevaux avec les blessés qui attendaient la nuit pour être
évacués. Chaque nuit c’est le cycle Tavannes, Ravin
de la mort, Bevaux qui recommence. Paul Doncoeur l’accomplira pendant soixante jours. Un ancien du
42ème R.I, Jules Sturn racontera plus tard : « Je le revois encore, un certain
jour de Mai 1916, dans le fossé de la redoute du fort de Vaux effondrée sous
les obus, où nous étions terrés avec quelques rescapés de ma compagnie. Malgré
tous les conseils de prudence que nous lui donnions, portant un sac de toile et
les mains protégées par de la toile, il allait sous une véritable pluie d'acier
ramasser dans ce sac les membres épars des camarades tués, jambes, bras, tête...
pour leur donner dans un trou une sépulture décente et une dernière
bénédiction. Il voulait aussi, sans doute, nous épargner ce spectacle déprimant
et nous aider à conserver notre courage. Le Père Doncœur
aimait de tout son cœur de prêtre les poilus du 35e et du 42e;
il partageait avec eux, dans la boue des tranchées, toutes leurs souffrances et
toutes leurs peines. Il était d'un moral à toute épreuve et d'un courage
exemplaire dans les circonstances les plus critiques. » La nuit du 5 mai 2016 est
particulièrement dramatique. Une section de « bleuets », jeunes
soldats de la classe 16 monte en ligne sous les ordres du lieutenant de
vaisseau Del. Malheureusement la section est prise sous le feu des canons
ennemis et les jeunes hommes de vingt ans qui survivent attendent de l’aide
dans les cratères. Le lieutenant de vaisseau Del est quant à lui mourant. Paul Doncoeur parvint à le rejoindre : « Couché sur un brancard, les
poumons se remplissant de sang, priant, luttant toute la nuit contre
l’étouffement, râlant déjà, ce jeune lieutenant agonisa dans mes bras en
appelant à lui ses hommes. Dans le cauchemar de la fièvre, comme s'il était
encore au combat, au milieu des prières que je faisais avec lui, pour lui, tout
à coup il se redressait et criait « Allons, debout les enfants ! On passera le
barrage ! Ça suit, monsieur l'aumônier ? » me demandait-il avec angoisse. Et
moi, lui caressant comme eut fait sa mère, les mains et les yeux pour
l'endormir : « Oui, Del, disais-je, ne craignez pas, ça suit ! » Epuisé, il
retombait sur son brancard. J'essayais de calmer sa fièvre, mais il se relevait
criant « Bâbord ! Toute ! » Et mêlant les commandements de la marine à ceux de
l'infanterie, comme les ayant devant ses yeux, il reprenait « Allons les gars,
au 35e on n'abandonne pas son officier... » Et de nouveau il
retombait. La mort dura jusqu'à l'aube, affreuse, et quand il ne put plus
parler, son regard me redisait la même angoisse : les petits, les recrues de
dix-neuf ans qu'il menait au feu pour la première fois, suivaient-ils ? Alors
me penchant sur lui pour une dernière prière, je lui dis à l'oreille : « Oui,
oui Del, dormez doucement, ça suit ! » C'était fini de se battre. Il ferma les
yeux et s'endormit. »
La brigade tiendra jusqu’au 19 mai puis descendra en repos jusque dans
les Vosges. Avec le repos, les hommes peuvent accéder à des permissions. Paul
en profite pour lancer une revue, « Frères d’Armes ». Dans un des
numéros paraît ce beau texte sur la prière destiné au Poilu. Prie ! « Pries-tu ? Du fond du Cœur ?
Comme il le faut dans les terribles heures que nous vivons ! Avoue que tu
passes facilement un jour sans prier, que souvent tu pries sans penser à rien,
que souvent tu pries comme si cela t'était bien égal. Mais prie donc ! Prie le
matin en sortant de ta paille. Tu n'y penses pas souvent, ou tu dis que tu n'en
as pas le temps. Fais un bon signe de Croix et dis : « Mon Dieu, je vous offre
ma journée et je me confie à votre bonté ». Et cours à la corvée qui t'appelle.
Prie le soir quand tu tombes éreinté dans ton abri sans te déséquiper. Tu n'en
peux plus. Et dis-le donc : « Mon Dieu, je n'en puis plus, je vous offre mon
travail et je m'endors dans vos bras ». Et dors bien vite. Prie quand tu es de
garde la nuit, que tu t'ennuies parce que c'est long, et que le cafard te
prend, et que la peur ou le froid te gèlent. Prends ton chapelet, et dis le dix
fois jusqu'à ce qu'il ne tourne plus ; celui-ci pour ta femme et tes petits,
celui-ci pour la France, celui-ci pour que la guerre finisse et celui-ci pour
tes camarades tombés l'autre jour... Et puis, quand tu le peux, au
cantonnement, tranquillement, monte à la vieille église sombre, va près de
l'autel, et la tête dans tes mains oublie tout le monde et prie avec ferveur
dans un recueillement intense. Dis à Dieu tes misères, tes tristesses, ton
amour, tes désirs, tes besoins. Dis-lui que tu t'offres à lui. Demande lui
qu'il vive en toi, qu'il te purifie, qu'il te fortifie, qu'il te change, qu'il
fasse de toi un chrétien solide, et qu'il te donne le bonheur de convertir ton
camarade qui n'est pas venu mais qui viendra peut-être. Et demande lui qu'il
sauve le Pays et ceci, et cela ... Il y a tant à demander !... et tu
ne pries pas ? Mais prie donc ! »
Le 15 juin, L’aumônier est cité à l’ordre des Armées, ce qui lui donne
la Croix de chevalier de la Légion d’Honneur. A cette occasion, il reçoit
d’innombrables témoignages de reconnaissance prouvant combien ses décorations
sont méritées. En voici un parmi d’autres : « Monsieur
l'Aumônier, C'est avec un grand plaisir que
j'ai appris que vous veniez de recevoir la médaille de Chevalier de la Légion
d' Honneur. Cette décoration, vous l'avez bien gagnée et on ne saurait mieux la
placer que sur la poitrine d'un brave comme vous, brave tant au titre de
patriote que comme prêtre. Je me souviens de vous, qui m'avez
porté sur votre dos le 25 Septembre 15 quand j'étais blessé. Veuillez Monsieur l'Aumônier
accepter mes félicitations et aussi mes remerciements les plus sincères. Plaise à Dieu de nous conserver la
vie et que je puisse le redire de vive voix. Votre tout dévoué. » Soldat
Aubert (1/8/16) La Bataille de la Somme où Paul Doncoeur s’improvisa
commandant de bataillon Le 20 juillet 1916, la brigade s’embarque après sa période de repos
pour la Somme où la bataille fait rage. Le 10 août, c’est l’assaut de Maurepas
puis le 16 c’est l’hécatombe devant Buchavesnes. Au deuxième bataillon, du 35ème
R.I. tous les officiers sont
successivement tués. Les liaisons avec les autres bataillons sont coupées et
les hommes désemparés. C’est à ce moment que Paul Doncoeur
perçoit le danger d’un encerclement si l’ordre d’avancer n’est pas donné. C’est
dorénavant l’aumônier qui va diriger le bataillon et le faire avancer vers les
lignes ennemies qui sont finalement conquises. Paul Doncoeur
au moment de la victoire est soudain atteint par les éclats d’un obus et
s’écroule ensanglanté. On le transporte au poste de secours puis à Amiens où on
lui retire deux éclats dans un bras et un autre
à la poitrine. Quant à l’éclat abdominal, les médecins constatent qu’il
a traversé entièrement la cavité abdominale sans léser l’intestin ! Le 1er septembre, on le transporte
à Paris où à nouveau on extrait des éclats d’obus et où l’on constate qu’un
éclat s’est logé sous l’aorte et ne peut être enlevé (Paul Doncoeur,
le gardera toute sa vie ; en 1958, on lui découvrira aussi deux éclats
dans la colonne cervicale). Pour sa
prouesse, il est cité à l’ordre du régiment : «
Le 16 Août 1916, le chef de bataillon, les commandants de
Compagnie et presque tous les chefs de section du 2e bataillon du 35e
R.I. ayant été mis hors de combat, a, sans hésitation, pris le
commandement du bataillon et, sous un feu d'artillerie et de mitrailleuses
d'une extrême violence, l'a crânement lancé à l'attaque de la position ennemie
qu'il a partiellement enlevée, capturant une centaine d'hommes, des
mitrailleuses et des canons de tranchée. A été grièvement blessé et n’a cessé
dans ses souffrances, de donner le plus bel exemple de courage, suscitant
l’admiration de tous. » Colonel
Clément Grandcourt. Le Père Doncoeur
profite de son congé de convalescence pour se rendre à Lourdes en pèlerinage en
décembre 1916. Il demande ensuite sa réintégration au 35 R.I. D’abord refusée,
elle est acceptée quand l’aumônier écrit personnellement au commandant du 7ème
corps d’Armée. Le revoilà de nouveau parmi
ses fantassins à Hermonville à quelques km de Reims.
Le 15 avril, le régiment se prépare à l’attaque. Paul écrit à sa mère : «
Nous montons à la bataille et à la grâce de Dieu. Cela ne fait qu'un. Nous y
allons joyeusement. Vous me suivrez de même. Puisqu'il n'y a qu'une tristesse
ici-bas, qui est de ne pas être des saints, soyons heureux de tout ce qui nous
approchera de la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ, lieu de toute sainteté.
Demandez-lui instamment de me pardonner toutes mes fautes ; de me donner le
moyen de réparer tout ce qui a manqué dans ma vie de prêtre surtout. (…) » Du 16 au 19 avril, le 35ème
se couvre de gloire et conquiert la
tranchée de Transylvanie et le village de Bermericourt.
Mais le 19 voit une contre-attaque des lignes conquises. Le 35ème
tint et ne recula pas mais au prix de très grandes pertes. Il est relevé sans
pouvoir inhumer ses morts. (C’est seulement en janvier 1919, que Paul Doncoeur reviendra à Berméricourt
avec quelques volontaires pour rechercher et ensevelir les corps de ses
camarades.)
C’est ensuite le repos pour reconstituer le régiment. En juillet 17,
Paul Doncoeur, grand sportif, s’illustre dans les
joutes nautiques que lui-même a organisées sur les bords de la Marne. Il est le
champion du Régiment en traversant sous l’eau le fleuve. A nouveau à Verdun En août 17, le 35ème
participe à la reprise de la cote 344 sur la rive droite de la Meuse. En septembre 17, dans le tunnel du Kronprinz,
Paul transforme un tunnel en petite chapelle dans laquelle il dit recevoir
beaucoup de monde. Pas étonnant, l’aumônier se transforme souvent en
ravitailleur en camembert, chocolat, tabac…
L’hiver qui suit est très dur dans les tranchées. Paul Doncoeur apprend aux soldats à réchauffer le vin et le café avec… des
charges d’obus allemands. Bien entendu, il distribue abondamment la revue qu’il
a créée et qui prend un essor extraordinaire. « Frère d’Armes » a
17.000 abonnés ! Les prières rédigées par Paul Doncoeur
et qui paraissent dans la revue seront même rassemblées en décembre 17 dans un
petit livre « Prières du Pauvre fantassin et de sa Mère » qui sera
diffusé dans toutes les armées
françaises. Paul Doncoeur
entretient une correspondance énorme avec les blessés du régiment et avec les
familles des soldats morts au combat. Voici un courrier reçu par Paul parmi
tant d’autres : « Monsieur
l'Aumônier, « Je ne puis assez vous
remercier de vous souvenir de la pauvre mère crucifiée que je suis et de
m'adresser ainsi tout ce qui peut me parler de mon cher petit. Oh ! priez bien
pour moi, j'en ai si grand besoin, je ressens de plus en plus le vide Immense
que me produit sa perte. Si souvent mon Séraphin chéri me redisait votre bonté
pour lui, pour tous ses camarades, votre dévouement pour tout ce qui touchait
au bien-être de vos soldats ! Vous vous êtes donné tant de peine, vous vous
êtes exposé au danger pour recueillir les restes du cher petit. Ne sachant
comment vous prouver ma reconnaissance, je me permets de vous adresser une
petite offrande pour la caisse des orphelins, puisque c'est une œuvre de
charité dont vous vous occupez. » M. Bayet Oyonnax,
16/8/17 Après un nouveau repos le Mont Kemmel
En mai 18, le 35ème se retrouve en Belgique au mont Kemmel
qu’il faut reprendre aux Allemands. Le
20 mai, l’assaut est déclenché. Au cours de celui-ci, meurt le sous-lieutenant
Coué, héros de son régiment car cinq fois blessé depuis l’ouverture des
hostilités ! Paul Doncoeur rendra hommage à ce
jeune homme dont la devise était « Toujours
en face » en rédigeant un petit livre à sa mémoire et qui
fut édité en 1919. Le 27 mai l’ennemi tente de reprendre ses positions. Il
échoue mais le régiment a subi de nombreuses pertes. Il est relevé et rejoint
Amiens pour se reconstituer. La seconde bataille de Reims Les Allemands déclenchent le 15 juillet
18 leur dernière offensive. Le 35ème est envoyé pour combattre
l’ennemi dans les bois du sud de Reims. Les combats les plus violents ont lieu
au bois de Courton. Paul Doncoeur
est décrit ci-dessous par son collaborateur le Père Charvet :
« Je revois cette scène étrange,
que seule la guerre peut faire comprendre : dans les bois au sud de Reims, nous
sommes assis, épuisés, auprès de notre aumônier. Nous avons faim, nous avons
soif. A quelques mètres de nous, des cadavres qui n'ont pu encore être
enterrés. Aucun éclat de voix, trop de camarades sont tombés à nos côtés.
Chacun évoque ses aventures, l'image des disparus. Puis nous nous restaurons,
les bouteilles rafraichissent dans l'eau courante. Les sentiments sont divers :
pour moi la tristesse de n'être pas tombé avec mes amis ; pour d'autres, la
joie de vivre, « d'en sortir » au moins pour quelques semaines. L'aumônier
écoute tout, comprend tout. A certains moments, en parlant des absents, sa voix
se fait douce comme celle d'une maman ; elle pénètre jusqu'au plus secret de
vous-même. A la fin du « pique-nique », ensemble, nous prions pour nos morts,
et nous partons apaisés, réconfortés par notre Aumônier. »
Pendant 15 jours le 35ème poursuivra l’ennemi jusque la
rivière Ardre. La dernière bataille La dernière bataille eut lieu le 26 septembre 18 dans la région de Tahure à quelques km de Soudain qui vit l’anéantissement du
régiment trois ans auparavant jour pour jour. Cet engagement commença par une période
de silence impressionnante qui ne fut jamais oubliée des combattants
comme le montre cette lettre (à propos du silence du 11 novembre 1918) envoyée
vingt ans plus tard par le colonel
Roland à l’aumônier : « Monsieur l'aumônier, vous
souvenez-vous dans la nuit du 25 Septembre 1918, à minuit moins dix, entre le bombardement
rageur des Allemands et le déclenchement de notre formidable tir de préparation
pour l'attaque sur Tahure, vous souvenez-vous ces dix
minutes de silence ? Ce grand silence avant la victoire ?
Tout le monde au coude à coude dans les places d'armes, ce rassemblement calme
pour l'assaut ? Eh bien ! Ce qu'il
faudrait aujourd'hui obtenir de la France, après les semaines que nous venons
de vivre, c'est dix minutes de silence, d'un silence de même qualité »
L’attaque est couronnée de succès et en trois jours le 35ème
pénètre de 8 km dans les lignes ennemies. L’armistice n’est plus loin. Après la guerre, une activité incessante pour garder le souvenir des anciens et pour
promouvoir le scoutisme de la route
On peut dire que les quatre années de cette guerre affreuse continuèrent à le hanter et en même temps à
le faire vivre jusqu’à son dernier jour.
Paul Doncoeur passa en fait toute sa vie à
entretenir la mémoire des soldats de son régiment et de sa brigade morts pour
la France. Dès l’armistice on le voit entreprendre un registre
complet de tous les morts. Au début de 1919, ce travail est terminé. Il restera
toutefois en communications avec toutes les familles à la recherche de
témoignages ou d’un corps d’un disparu. Plus de 600 familles firent appel à
lui. Paul Doncoeur prendra ensuite part aux
recherches des corps disparus. Ces premières recherches eurent lieu sur le site
des batailles de Reims d’Avril 17. En janvier 19, il explore le champ de
bataille de Brimont et déterre plus de 60 soldats.
Ce sera ensuite le tour de Souain qui
nécessitera un colossal chantier de six mois pour retrouver, identifier les
morts puis pour leur donner une sépulture dans un cimetière (cimetière de Wacques) qu’il crée de toutes pièces et qu’il enjoliva d’un
calvaire impressionnant. Paul doncoeur fut un fervent
défenseur des cimetières militaires alors que beaucoup de familles réclamaient
les corps de leurs soldats décédés. Il fit part de ses considérations en cette
matière avec ce petit texte : « Il est mort au champ
d’honneur Vous l’enlevez du champ d’honneur Vous lui ravissez sa gloire Et vous vous décevez » Puis
Paul va militer de tout son aura pour que l’on construise une chapelle pour
commémorer les morts de sa brigade morts devant
Bouchavesnes mais aussi tous les soldats
français ayant pris part à la bataille de la Somme. Celle-ci sera finalement
construite et inaugurée en 1922 grâce à la générosité d’une famille, Monsieur
et madame du Bos. En 1920, Paul entreprend un immense pèlerinage
à pied dans les régions dévastées. De la Woevre au
Kemmel, il sillonne les villages détruits et visite les innombrables ruines des
églises pour ensuite faire un émouvant appel à la générosité pour la
reconstruction de 200 églises ! Paul Doncoeur
est ainsi fidèle à la prière de Jeanne d’Arc à son roi, gravée dans la pierre
de Domremy :
« Bâtissez
des chapelles dans lesquelles on prie pour les soldats morts pour la
Patrie ». Paul Doncoeur avait été touché par le mouvement anticlérical qui
avant la guerre avait dissous 974 établissements religieux, et fermé 1.843
écoles catholiques. Pendant la guerre plus de quatre mille prêtres, religieux
ou séminaristes perdirent la vie en se battant ou en étant brancardiers. Après
l’armistice, un consensus s’établit et les congrégations religieuses peuvent à
nouveau rester en France mais les élections de 1924 remettent ce consensus en
cause. Le nouveau gouvernement veut revenir à l’application de la loi Combes.
Il s’ensuivit une lettre ouverte de Paul Doncoeur au
Président du Conseil Herriot, publiée à 100.000 exemplaires et un combat de
deux ans des religieux contre le gouvernement, combat où l’on vit Paul Doncoeur en première ligne. Finalement le gouvernement se
laissa impressionner et renonça à son entreprise en laissant les religieux
rester des Français à « part entière ». Malgré
les innombrables commémorations auxquelles Paul Doncoeur
participa, il était angoissé à l’idée que les jeunes générations puissent
devenir indifférentes au sacrifice de leurs prédécesseurs. C’est à cet effet
qu’en 1923, il rédigea un programme de « Cadets » destiné à une jeunesse catholique s’engageant
à redécouvrir un christianisme de marche, de plein air tout en gardant à
l’esprit l’idéal de sacrifice et de dévouement de leurs aînés de la Grande
Guerres 1914. Ce programme va marquer la vie d’une génération et inspirer la
philosophie des « Routiers » ces nouveaux scouts de France. En août
1924, les premiers « Cadets » accompagnent Paul Doncoeur
en pèlerinage à Verdun. En mars 1925, Paul Doncoeur devient aumônier du « Centre Routier de
Paris », puis premier Aumônier National des Routiers et avec Marcel
forestier, le fondateur de « La Route », branche aînée du mouvement
scout en France. En 1928, après une marche de 350 km les « Cadets »
sont présentés au Maréchal Foch dans sa propriété près de Morlaix. En 1935,
avec 14 « Cadets », Paul Doncoeur ouvre à tous
les jeunes « la route de Chartres ». Cent ans après, ce pèlerinage
est toujours aujourd’hui très suivi par les jeunes. La
défaite de 1940 fut pour l’aumônier une épreuve difficile à surmonter mais il reprend les fonctions d’Aumônier National
de la Route durant les années de guerre et ce jusqu’en 1945. Avec ses amis, il
organise des camps routiers dans le sud de la France et un pèlerinage à
Puy-de-Dôme. Par milliers les jeunes prennent la route du Puy. Le 13 août 42,
ils sont près de dix mille rassemblés autour du Père Doncoeur.
Le lendemain, les participants se relaient par groupe de douze pour porter une immense
croix de chêne à travers la ville. A chaque station Paul prend la parole pour
redonner espérance et foi à la jeunesse. Après
la deuxième Guerre mondiale, en juillet 46, Paul Doncoeur
organisera cette fois une « Croisade pour la Paix » à Vezelay. Devant des milliers de jeunes dont un groupe de
prisonniers de guerre allemands Paul Doncoeur prend
la parole et rappelle la signification du chemin de croix vécu pour le christ
mais aussi pour l’union et la paix entre les peuples. En juin 1956, l’aumônier Paul Doncoeur devant l’ossuaire de Verdun fit une
remarquable allocution en essayant de
répondre à cette question cruciale : « Ne serait-ce vraiment que dans
la mort que les hommes de deux pays différents puissent jouir de la
paix ? » « Mes
camarades, Vous avez voulu monter jusqu'ici, comme nous montions
naguère de Verdun, en ces nuits terribles, lourdes épaules, pieds lourds dans
la boue, cœurs plus lourds encore. Jeune classe 16 jetée pour la première fois
au feu affolée dans les tirs de barrage, vieux poilus des vieilles classes,
comptant ceux qui ne redescendraient pas, nous marchions le cœur grave, silencieux, faisant taire même les voix lointaines, trop
chères qui nous auraient peut-être retenus. Montant ce soir sous ce ciel enfin
silencieux de ses artilleries, vous avez voulu faire taire les voix aines, les
voix criardes, les voix menteuses, pour ne plus entendre en cette nuit, en ces
terres mortes et désertes que les seules voix autorisées à nous parler. Celles
de ceux qui dorment solitaires ... les morts. On a dit qu'ils avaient des
droits sur nous. Ils auraient d'abord le droit de parler. N'est-il pas vrai que
nous n'avons, nous les survivants, nul désir de parler? Nous savons que la
parole des vivants ne peut avoir cette gravité, ce poids, cette vérité qui
n'appartiennent qu'à ceux qui ont passé au-delà des ombres et débouché dans la
crue lumière de Dieu. C'est leur parole que nous aurions besoin, nous,
d'entendre pour nous aligner à eux. En Août 1917, ayant reconquis tous ces
terrains, j'ai, au cœur des lignes allemandes, trouvé une petite croix noire
sur laquelle se détachait une inscription peut-être récente : Hier liegen Ein Deutscher Und ein Ci-gisent Un
mousquetaire et
un soldat Ami ou ennemi, Hommage
et prière, où se cache une telle amertume ! Ne sera-ce que dans la mort et par
elle que des hommes, nés sur des terres voisines, pourront reposer en Paix ? Faudra-t-il
qu'elle nous ait couchés de force dans la même tombe pour que nous cessions de
nous battre ? Ne pourrons-nous nous tenir paisiblement si proches que dans
l'étroite cellule du tombeau ? (….) « De
quel cœur léger ne reviendrions-nous pas vers eux, si un jour, nous venions
leur annoncer qu'enfin ils ont été entendus, qu'enfin leur mort est payée, que
c'est accompli, que c'est la dernière et que, s'ils ont été les pierres de
fondation enfouies dans les assises profondes de la terre, le monument cimenté
de leur sang, se dresse enfin vers le ciel. Nouvelle plus belle que tous les
armistices provisoires, plus belle que les plus brillantes victoires éphémères,
qui fera défaillir les cœurs des hommes et des femmes : « C'est
fini de se haïr ! C'est fini de se faire souffrir ! C'est fini de se tuer ! » Alors
le mot PAX qui domine le porche sous lequel nous sommes assemblés, ne sera plus
une vaine promesse dérisoire, mais une vérité. Prenons
donc, le voulez-vous, toutes nos prières avec les leurs, avec celle de tous les
hommes de bonne volonté, de toutes races, des amis et des ennemis d'hier, pour
adjurer le Seigneur de faire qu'après tant de larmes et de sacrifices, cet
espoir soit un jour une réalité dont nous aurons été les ouvriers et les
soldats. » En
lisant ce texte, soyons convaincus de sa vérité, il ne provient pas d’un
idéaliste naïf ne sachant rien de la vie et de ses douleurs, il provient d’un
homme qui connut le triste privilège de regarder dans les
yeux les dernières lueurs de vie de centaines de jeunes gens arrachés à la
terre de leurs ancêtres sans avoir eu le temps de s’épanouir. Qui peut
aujourd’hui témoigner d’une telle expérience (et y survivre !) ?
Assurément et heureusement plus personne, du moins dans nos pays
occidentaux ! Malgré toute cette immense tragédie, Paul Doncoeur ne sombra pas dans le désespoir mais comme
Teilhard de Chardin continua à croire en Dieu mais aussi en l’homme. En
juin 1960, Paul Doncoeur, âgé de 80 ans, dans les
grottes de Confrécourt sur les bords de l’Aisne put
redire la messe devant des anciens du 35ème dans la chapelle qu’il
avait aménagée en 1915. Dix mois plus tard, il décède. Aujourd’hui encore le propriétaire des
lieux permet aux enfants des écoles de
se recueillir devant ce même autel où règne encore l’esprit de Paul Doncoeur et de ses compagnons d’armes. Un esprit de Don, un esprit de Cœur ! Juillet 2014 Source : « Paul Doncoeur,
aumônier militaire », Pierre Mayoux, 243 pages,
Editions Aux presses d’Ile de France, 1966 |