Médecins de la Grande Guerre

La Grande Guerre des Belges au cœur de l’Afrique

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La Grande Guerre des Belges au cœur de l’Afrique.

point  [article]
Lieutenant – Général Baron Tombeur de Tabora

Général F. V. Olsen, Commandant de la Brigade Sud

Le Major Rouling

Le Major Muller

La conquête de l’Afrique Orientale Allemande

Les aviateurs belges sur le lac Tanganyika

Mise à l’eau des hydravions belges au bord du lac Tanganyika

Mise à l’eau d’un hydravion belge au bord du lac Tanganyika

Colonne de porteurs belges

La marche des Belges le long du chemin de fer

La gare d’Ussoke

La gare de Tabora

M. Pierre Daye préparant ses bandes de munitions pour sa mitrailleuse

M. Pierre Daye à sa mitrailleuse pendant la campagne de Tabora (1916)

Compagnie cycliste de la Force publique, détachement du Katanga Baudouinville, 1916 (Coll. KLM-MRA DE(c) 11005)

Attelage d’un obusier de 70 mm Saint-Chamond. (Coll. KLM-MRA B.122.57-16/201070341)

Appel des porteurs. (Coll. KLM-MRA B.122.18)

Colonne au repos en brousse. (Coll. KLM-MRA DE-d 11016)

Le 1er sergent Barasi, 1er bataillon, ca 1917. (Coll. KLM-MRA EST 2072-1)

Est Africain Allemand (occupation Belge). Kigali – Parade de Garde

Est Africain Allemand (occupation Belge). Une colonne en marche dans le Ruanda

Est Africain Allemand (occupation Belge). Vers la Kagera – Transport de Bagages

Est Africain Allemand (occupation Belge). Colonne de porteurs dans la plaine de lave

Est Africain Allemand (occupation Belge). Force Publique – Le repos est terminé

Est Africain Allemand (occupation Belge). Au Mitoko – Batterie de 47 avant le tir

Est Africain Allemand (occupation Belge). Steamer « Baron Dhanis »

Est Africain Allemand (occupation Belge). Makala – Un hôpital de Base

Est Africain Allemand (occupation Belge). Les canons défendant la Kalemie (Congo Belge)

Est Africain Allemand (occupation Belge). Kigali – La Caserne

Est Africain Allemand (occupation Belge). Vers Biaramulo – Traversée de la Ruwuwa

Est Africain Allemand (occupation Belge). Les Marais de la Kagera

Est Africain Allemand (occupation Belge). Porteurs

Est Africain Allemand (occupation Belge). Entrée des Troupes Belges à Tabora le 19 septembre 1916

Est Africain Allemand (occupation Belge). Entrée des Troupes Belges à Tabora le 19 septembre 1916

La Grande Guerre au cœur de l’Afrique : son histoire et l’hommage au sergent Mambamu,  au caporal Masiganda et au 1er sergent Barasi.

       Durant la Grande Guerre, les Allemands eurent comme objectif d'enlever aux colonies belge, française et britannique suffisamment de territoire pour pouvoir amalgamer leurs trois territoires africains, le Cameroun, l'Ouest et l'Est- Africain. La  guerre en Europe donnait aux Allemands le prétexte rêvé de réaliser leur rêve africain. Les alliés sentant la menace prirent les devants. L’armée coloniale belge défendait un territoire de deux millions quatre cent mille kilomètres carrés et comptait en principe sur 18.000 soldats (un Belge pour cinquante soldats congolais).  Le 22 août 1914, le Congo rentrait en guerre contre les colonies allemandes. Le 24 septembre, les Allemands  sortirent du  Rwanda qui faisait partie de leur colonie  et envahirent l’île Idjwi  située dans le Lac Kivu et faisant partie du territoire congolais. Avec leurs faibles moyens, les Belges décidèrent de riposter.  Le colonel Henri s’en alla occuper les hauteurs qui dominent le port de Gisenyi au nord du lac Kivu tandis qu’un premier détachement belge s’en va prêter main forte aux Français pour envahir la possession allemande du Cameroun.

Première épisode : La conquête du Cameroun et l’héroïsme du sergent Mambamu

        Le 30 septembre, le bateau « Luxembourg » quitta Léopoldville avec 136 soldats sous les ordres du lieutenant Bal[1]. Le « Luxembourg »  remonta l’Ubangui pour rejoindre le poste français de Dungu menacé par les Allemands. Dungu hors de danger, les Belges allèrent prêter main forte aux Français pour  attaquer le poste allemand de N’Zimu. Celui-ci résista trois jours avant d’être enlevé par l’ennemi. Plus rien n’arrêta alors les Français et Belges qui bientôt se rendirent maître de la vallée de la Sanga avant de s’élancer vers Yaounde. Le 28 janvier 1916, les drapeaux belge et français flottaient à Yaounde, et le Cameroun tout entier était  aux mains des alliés ! Durant cette campagne, le détachement du  lieutenant Bal  avait été aidé par un autre détachement belge qui, sous le commandement du capitaine Marin, était responsable de la défense des voies de communications. Les deux détachements de la force publique rentrèrent à Boma le 16 avril 1916 et furent triomphalement accueillis. Voici le texte de  leur citation  à l’ordre du jour  de l’armée française par le général Aymerich général français à la tête du corps expéditionnaire :

       Pendant plus de 18  mois, vous avez connu les journées torrides et l’humidité froide des nuits sans abri ; vous avez supporté les pluies torrentielles de l’Equateur ; vous avez traversé des forêts impénétrables et des marécages fétides ; vous avez sans relâche, enlevé l’un après l’autre les retranchements ennemis en y laissant de nombreux camarades. Manquant de vivres, parfois de munitions, les vêtements en lambeaux, vous avez poursuivi votre marche glorieuse  sans une plainte, sans un murmure, jusqu’à ce que vous ayez atteint le but qui vous était fixé.  Avant de me séparer du contingent de la Force publique belge, j’ai le devoir d’exprimer combien la collaboration de ces belles troupes nous a été précieuse, et j’adresse de, tout cœur aux officiers, sous-officiers européens. A tous les  soldats et gradés indigènes, le tribut d’éloges qu’ils ont mérité par leur bravoure au feu, par la patience et l abnégation dont ils ont fait preuve pendant toute la durée de cette longue campagne.  Cette fraternité du champ de bataille, ce sang versé en commun pour la même cause, auront resserré encore les  liens d’amitié qui ont toujours uni les deux nations voisines.  C’est pour moi un grand honneur d’avoir eu sous mes  ordres, pendant quelque temps, d’aussi vaillantes troupes. »

       C’est au cours de cette campagne que se distingua le sergent Mambamu dont l’histoire[2], racontée par J.M Jadot (de manière infantilisante et paternaliste, mais cette histoire est écrite en 1937 et reflète la mentalité des colons de cette époque), commence de cette façon :

       Né dans un coin de forêt dans  le Bas Uelé, poussé comme  une herbe folle pousse sous le Tropique et tôt fait milicien par le choix de son chef, Mambamu avait conquis sans grande; peine le galon de laine jaune de « premier » soldat au camp  d’instruction d’Irebu, le double galon pourpre de « caporal »  dans un poste de brousse et le large galon, de « sergent », soie rouge brochée d’orfroi à Léopoldville même ! Il s’était alors  acheté une pipe de bruyère de merisier, baguée d’argent, puis s’était mis en ménage. Mais l’abus du tabac le rendit somnolent ; et la paternité, indulgent à l’excès, si bien que, pour avoir négligé ses troupiers et couverts leurs maraudes, il dut jusqu’à 7 fois en l’espace d’un an, serrer son  calumet dans son sac, revêtir la tenue de corvée, baiser femme et enfants, signer d’une main lourde le registre d’écrou de la Prison  Militaire et expier, en sommeillant, son indolence. 

       Le sergent Mambamu participa à tous les combats jusqu’au jour fatidique du  2 septembre où les Belges manquèrent d’être défaits. Il s’en valut de très peu comme nous le raconte J.M Jadot :

       Mais voici que, dans l’aube ocreuse du 2 septembre, l’espoir grisé du souvenir de Sedan, un fort parti germain, quatre fois plus nombreux que la troupe des nôtres, se rue à même la brousse en assaut forcené. Les nôtres se défendent. Les salves se précipitent, des baïonnettes se cherchent, des étreintes se nouent, se tordent et s’écroulent. C’est la mêlée à mort dont la rumeur s’élève, dans l’air incandescent qu’empuantit la  poudre, vers le soleil de Dieu qui monte dans l’azur. Vers dix heures, les nôtres sentent qu’on les a encerclés. Leur ardeur en redouble. Mais le cercle se resserre en étreinte qui tue. Nos clairons  sonnent la retraite. Sous le tir convergent des armes ennemies, le détachement doit tâcher de se dégager et de se tirer du mauvais pas sans trop de pertes. Or, Mambamu commande la section la plus avancée dans l’attaque, la plus éloignée du salut. Il la rassemble, y fait choix de six hommes, souhaite aux autres de se débrouiller heureusement, puis, s’adressant à ses élus :

 - Vous autres six, dit-il, vous êtes mauvais soldats : tire-au-flanc, maraudeurs, boit-sans-soif, chevaux· de retour du cachot et de la chaîne. Quant à moi, votre chef, je suis une moule ! On me l’a dit cent fois ! Un grognement approbatif répond à cette mise à l’ordre du jour.

 Mambamu reprend :

 - Vous autres six et moi septième, nous avons tous, dans nos livrets de solde, une piteuse page noircie de punitions marquantes ; moi votre chef, j’en reçus sept en l’espace d’un an.

 – Hum  Hum ! approuvent les six chenapans.

Une balle siffle aux oreilles du sergent et brise une branche à six pas.

        Minute ! fait-il, goguenardant. Que six hommes comme vous et qu’un septième comme· moi soient tués, cela n’a pas d’importance.

        Hum ! acclament les six héros.

        Clairon ! La charge ! Les autres sonnent la retraite …

         La charge ! Nom de nom ! La Chaaarge !

        Les notes claires, vibrantes, pressées, galopantes, de la charge couvrent la sonnerie déjà lointaine de la retraite, dominent les hurlements victorieux de l’ennemi. Mambamu et les siens, baïonnette au canon, un coutelas aux dents, leurs cartouches dans la main gauche furieusement crispée, se ruent vers la Sia, se font une trouée dans les lignes allemandes, et, par cette héroïque diversion, permettent à leurs frères d’armes de se replier en bon ordre sur Abong-bang. Les vapeurs du soir mauve ont envahi le poste et attachent des crêpes d’ombre aux trophées des palmiers, quand le détachement rentre, harassé, du combat et songe à se compter. Vingt et un hommes lui manquent (on était soixante-trois à la piquette du jour). Or ceux-là qui ont pu échapper au massacre ne sauront sans doute pas, comme nous l’avons appris par des papiers allemands, après la prise de Djaunde, qu’ils doivent leur salut à Mambamu-le-mol et à six tire-aux-flancs.

       Hommage donc aux soldats congolais qui furent si dévoués à la cause de  leurs officiers belges ! Mambanu est un de leurs dignes représentants et son héroïsme, son sacrifice est certainement aussi impressionnant que celui du lieutenant Lippens et du sergent De Bruyne devant l’armée esclavagiste quelques années auparavant.

Un deuxième épisode : la Force publique en Rhodésie pour soutenir les Anglais

       Peu de temps après, vers le 15 novembre, deux compagnies belges furent envoyées cette fois  en Rhodésie  pour y renforcer les troupes anglaises. Le 28 et 29 juin 1914, les compagnies furent attaquées par les troupes allemandes dans le poste de Saisi. Ils durent soutenir un siège de 8 jours avant d’être délivrés par les troupes anglaises venant d’Abercorn. En novembre 1915, les compagnies revinrent au Congo pour se préparer à la campagne du Tanganyika.

La préparation du troisième épisode : la maîtrise du lac Tanganyika

       L’île d’Idjwi était le seul point de notre territoire africain occupé par l’ennemi. Les Allemands étaient maîtres du lac Kivu et du lac  Tanganyika.  Au Havre, le Ministre des Colonies, M. Renkin parvint à vaincre  toutes les oppositions au projet de passer de la défensive à l’offensive. La campagne de l’Est Africain allait s’ouvrir. Le Commissaire Général Henri était chargé de la conduite des opérations militaires  défensives de la Province Orientale ; le major Olsen assumait la défense du Katanga. En février 1915, des instructions furent communiquées et l’unité du commandement réalisée. L’effectif du corps expéditionnaire était de 10.000 hommes, plus une réserve de 2.000 hommes. On remplaça les vieilles mitrailleuses, et on amena quatre batteries de 70 mm. Ces dernières étaient  composées d’obusiers de montagne construits pour le Mexique et récupérées à Saint-Chamond. Cet excellent matériel jouera un rôle important dans le succès rapide des Belges. Les soldats ont une confiance quasi superstitieuse dans ces pièces (complétées par trois batteries de mortiers belges Van Deuren conçues pour battre les positions fortifiées).

       La décision de renoncer à une défensive aussi énervante qu’onéreuse, prise en février 1915, ne put entrer en réalisation qu’en avril 1916. Le colonel Moulaert et le major Stinghlamber créèrent une base navale à Albertville  pour s’assurer la maîtrise des lacs Kivu et Tanganyika. Le vapeur belge «A. Delcommune» qui avait  été coulé par les Allemands, fut remis à flot. Une chaloupe canonnière fut montée. Et le bateau glisseur «Netta» fut amené sur le Tanganyika. Un détachement de marins anglais sous la direction du capitaine Spicer Simon nous aida avec 2  petits cruisers automobiles, le « Toutu » et le « Fifi » qu’ils tractèrent depuis Elisabethville  au moyen de  tous les moyens imaginables par monts et par vaux ! L’aviation arrivait sur place, et  on procéda au montage du « Baron Dhanis» et d’un remorqueur. Le 26 décembre 1915, le remorqueur allemand « Kingani» était en vue d’Albertville. Aussitôt, les deux cruisers anglais et la canonnière attaquent. Après quelques minutes, le capitaine allemand amène son pavillon. Première victoire. Le remorqueur remis en  état et armé, navigue sous pavillon belge. Le  9 février 1916, le vapeur «H. Von Wissmann»  en vue de M’toa est attaqué et coulé par les Belges et le détachement des marins anglais.

Les Allemands perdirent aussi le « Graf von Goetzen » amarré dans le port de Kigoma. La manière dont ce navire fut mis hors de combat fut peu banale ! C’est l’aviation belge, amenée tout exprès, d’Europe, qui fut l’artisan de cette victoire. L’histoire de ce fait d’arme  a été décrite avec beaucoup de détails  par  monsieur J.P. Sonck[3]. Je vous le résume ici!

Le ministre des Colonies Renkin avait accepté la proposition du colonel Tombeur de fournir à la force Publique des hydravions  pour récupérer la maîtrise des lacs Kivu et Tanganyika. Renkin avait demandé conseil au capitaine-commandant de Bueger. Cet ancien colonial et aviateur d’hydravion expérimenté, grâce aux relations privilégiées qu’il entretenait avec les Anglais, avait reçu un hydravion Farman du Royal Naval Air Service pour patrouiller régulièrement au-dessus de la côte belge. De Bueger assura au ministre qu’il était possible d’employer l’aviation en Afrique Centrale. Réponse qui lui valut, le 21 novembre 1915, la mission d’organiser et de diriger l’expédition d’hydravions au Katanga. De Bueger forma son escadrille avec trois pilotes : le lt Orta, les slt Behaeghe et Castiaux ; deux observateurs : les slt Russchaert et Collignon ; trois sous-officiers mécaniciens et deux sous-officiers menuisiers. La nouvelle escadrille belge obtint de La Royal Navy quatre hydravions Short 827. Cet appareil pouvait emporter 1000 kg de charge et était armé d’une mitrailleuse Lewis calibre 303 avec cinq chargeurs-tambours de 97 coups.


Lieutenant – Général Baron Tombeur de Tabora

En décembre 1915, les quatre  hydravions furent démontés et mis en caisses. Furent aussi emportés deux moteurs de réserve, de la toile d’avion et des pièces de rechange. Tout ce matériel fut transporté à Falmouth où il fut embarqué à bord du paquebot « Anversville » de 7694 tonnes, dans lequel les membres de l’escadrille devaient aussi prendre place. Le chargement du navire comprenait également une TSF, des touques d’essence et des  munitions  pour la Force Publique. Le navire  prit la mer le 7 janvier 1916 mais alors qu’il  traversait le golfe de Gascogne, un incendie se déclara sur le pont et faillit réduire l’expédition à néant. Par chance les caisses d’hydravions et le chargement de munitions arrimés  ne furent pas atteints par les flammes. Le voyage se poursuivit sans autre incident et le 4 février, l’Anversville fit escale à Boma, qui était à l’époque la capitale du Congo Belge. Deux jours plus tard, il atteignait Matadi où les caisses furent déchargées  et reconditionnées pour pouvoir être transportées  par voie ferrée sur les 400 km de voies étroites menant à Léopoldville. Dès qu’elles furent débarquées de la gare  de Léopoldville, les caisses furent ensuite chargées sur bateau pour  remonter le fleuve Congo vers Stanleyville (Kisangani). A partir de Stanleyville, le parcours de cinq tronçons alternant chemin de fer et voie fluviale nécessitèrent encore trois mois pour amener les caisses à Albertville le long du lac Tanganyika.

Une base navale fut alors spécialement  construite sur les bords d’un petit lac (Tongwe) à Mtoa à quelques km d’Albertville. Elle comprenait  les logements et le réfectoire destinés au personnel navigant et non-navigant, le bureau de l’escadrille, un atelier mécanique et une menuiserie, quatre hangars pour les hydravions, des dépôts pour les bombes et les munitions, des réservoirs pour le carburant d’aviation et un plan incliné constitué de madriers et de planches pour la mise à l’eau des appareils. Le 14 mai, le premier hydravion remonté prenait son envol et le 30 mai, l’escadrille possédait  deux hydravions remontés.

L’offensive aérienne devait démarrer à l’aube du 2 juin, mais l’hydravion « 3094 » du slt Orta heurta un tronc d’arbre au décollage et se brisa. L’appareil fut renfloué  pour être réparé. Il fut impossible de lancer des missions  avant le 11 juin au soir. Ce jour là  le pilote Behaeghe demanda la permission de pouvoir effectuer une mission de bombardement et il partit vers 17h15 avec l’observateur Collignon[4] dans l’appareil « 3093 ». Une panne obligea le pilote à amerrir et à lancer ses fusées de détresse qui furent repérées par l’équipage du bateau « le Vengeur » qui le remorqua jusqu’à la base le lendemain matin. Lorsque les mécaniciens examinèrent le moteur pour découvrir la cause de la panne, ils s’aperçurent que deux bouchons purgeurs avaient cédés.


Mise à l’eau d’un hydravion belge au bord du lac Tanganyika

L’appareil fut remis en état et une nouvelle mission fut lancée le 12 juin vers 18h00 avec le même équipage qui put survoler à basse altitude le port de Kigoma. L’observateur Collignon réussit à lâcher deux projectiles de 65 livres sur le navire allemand « Graf von Götzen » et un des engins explosa sur le gaillard arrière. L’hydravion sur le chemin de retour connut  alors une nouvelle panne provenant des  bouchons purgeurs et dut à nouveau être remorqué par « le Vengeur ». Suite à la mise hors service du bateau allemand, l’équipage fut cité à l’ordre du jour. Quinze jours plus tard, le problème des bouchons-purgeurs fut résolu par les mécaniciens des ateliers CFL de Kindu qui en fabriquèrent de plus solides. L’atelier fabriqua aussi  des radiateurs supplémentaires à placer sur les hydravions  pour remédier à la chaleur trop importante qui avait causé toutes les pannes. Le 25 juin 1916, le troisième appareil numéroté « 3095 » du pilote Castiau et de l’observateur Russchaert fut remonté et intégré au sein de l’escadrille et les trois équipages volèrent en formation au-dessus du lac. Ils firent de nombreuses missions de reconnaissance  et aidèrent ainsi les troupes au sol qui approchaient de Kigoma. Finalement, le 23 juillet, l’escadrille constata avec surprise que l’ennemi avait complètement abandonné le port de Kigoma en sabordant sa flottille. Kigoma fut alors  occupée le 27 juillet sans combats par les troupes du lt-col Thomas, chef du 2e régiment de la brigade Sud.

Le 10 août suivant, une grande partie du lac était aux mains des Belges et l’escadrille au complet s’envola de la base de Mtoa pour rallier la ville conquise où ses membres furent reçus par le col Olsen, chef de la brigade Sud. Olsen félicita les équipages  pour leur action décisive et leur confia, qu’à chacune de leurs attaques aériennes, ses troupes avaient senti fondre la résistance ennemie.


Général F. V. Olsen, Commandant de la Brigade Sud

Sans autres objectifs à attaquer, la présence des hydravions devenait maintenant obsolète et les appareils furent à nouveau démontés et mis en caisses. Epuisé par ses nombreuses missions, Aimé Behaeghe dut être évacué vers l’hôpital de Niemba où il décéda. Son corps demeura en  terre d’Afrique, tandis que ses camarades regagnaient la France et reprenait du service à Calais où l’aéronautique belge  les mit en action avec leur Short contre les Uboot.

Troisième épisode : la conquête de Tabora

       Pendant que la situation sur les lacs tournait à notre avantage, l’armée de terre s’apprêtait à envahir l’Est-African allemand (Tanzanie actuelle). Les troupes congolaises comportent 719 officiers et sous-officiers belges et 11.698 gradés et soldats congolais. Les soins de santé furent assurés par le Dr Trolly (hôpital de Pweto), le Dr Mouchet de la Geomines (hôpital volant au km 261), le Dr Valcke  en première ligne et le Dr Flament à Baudouinville.


Compagnie cycliste de la Force publique, détachement du Katanga Baudouinville, 1916 (Coll. KLM-MRA DE(c) 11005)

Sous la direction du général Tombeur, les troupes sont divisées en deux brigades. La brigade du nord sous les ordres du colonel Molitor pénètre au Rwanda, occupe Kigali puis  Nyanza où se trouve la résidence du roi des Watutsi  avant de se mettre en route vers Tabora. La brigade sud (cette brigade comprenait une compagne cycliste !) sous le commandement du colonel Olsen occupa Busumbura le 17 juin  puis longe le lac Tanganyika pour occuper le 28 juillet  Kigoma où la  flottille ennemie  immobilisée par nos pilotes d’hydravion s’est sabordée. De Kigoma la brigade sud suit la ligne de chemin de fer qui se dirige en ligne droite vers Tabora. Les troupes ennemies sont sous la direction du général Von Lettow. Surpris par l’avancée des colonnes, les Allemands abandonnent l’île Idjwi pour ne pas se retrouver en arrière de leurs lignes. La brigade de Kigali a rejoint le lac Victoria  puis, dans sa marche vers l’est, est attaquée à Kato le 3 juillet par l’ennemi  dans un violent combat : l’Etat-major du 4ème régiment, encadré d’une soixantaine d’hommes est surpris dans son campement par l’ennemi au nombre de 400. Les hommes gagnent alors les petites tranchées qu’ils ont creusées  et résistent en attendant du renfort du régiment. Ce sont les mitrailleurs du régiment  qui apportent la délivrance.  L’ennemi abandonne et se retire mais l’on compte beaucoup de victimes dans les rangs de la Force publique. Le lieutenant mitrailleur de Beughem est tué d’une balle dans la joue, le sous-officier Armand Domken d’une balle au front. Les sous-officiers De Zitter et Bauwerlinck succombent aussi. La défaite de l’ennemi laisse un important butin en ravitaillement, tentes et armes. Quand au commandant des troupes ennemies, le major Godovius, il se retrouva pendant le combat face au major belge Rouling. Il s’en suivi un véritable duel au révolver durant lequel chacun vida lentement son chargeur sur son ennemi. Les deux officiers s’en tirèrent vivants mais blessés. Le major Rouling, atteint de cinq balles qui transpercèrent son œil gauche et ses mains, passa malgré son état, la revue de son régiment victorieux avant d’être évacué vers l’hôpital de campagne. Le major Godovius, quant à lui parvint à s’échapper mais, se constitua prisonnier le lendemain de la bataille en agitant sa chemise blanche suspendue en haut d’un bâton.


Le Major Rouling

       La brigade nord attaque l’ennemi le 2 septembre à Korogwe,  poursuit sa marche vers Tabora, combat le 13 et 14 septembre à Itaga. La brigade sud, quant à elle, enlève le 30 août la gare d’Usoke qu’elle dut défendre du  2 au 6 septembre car  l’ennemi tenta de la reprendre. Malgré les combats, en moins de six semaines, la Force publique  est aux portes de  Tabora ! Le résultat est  inespéré !  La liaison entre les deux brigades s’établit le 16 septembre et le 19  la Force publique fait son  entrée dans Tabora. Elle délivre  189 prisonniers européens et poursuit l’ennemi jusqu’à Silonke. La victoire des Belges a un effet moral prodigieux sur  le moral des troupes en Belgique !  La démobilisation des troupes peut commencer ! Les Allemands avaient fui au sud de leur colonie mais ils comptaient encore 6000 hommes repliés au sud de leur colonie. Cette petite armée ne s’avouera cependant pas vaincue et quelques mois après, il sera nécessaire de mettre sur pied une nouvelle campagne militaire pour la rendre définitivement inoffensive.     

Quatrième épisode : la deuxième campagne de la force Publique dans l’Est africain.

       En mars 1917, le capitaine allemand Wintgens, officier à l’ascendant  extraordinaire, parvint à la tête de 600 soldats à percer le front anglais. Le gouvernement anglais fit appel une nouvelle fois à la collaboration des Belges ! Le colonel Tombeur étant rentré en Belgique, c’est le colonel Huyghe qui prit le commandement des troupes belges pour poursuivre Wintgens et occuper le plateau de Mahenge au sud-est de Tabora. Wintgens malade se rendit aux Belges mais sa colonne, sous la direction de Naumann  mena d’incessants combats et ne se rendit qu’au début du mois d’octobre. Les Belges prirent possession de  la place fortifiée de Mahenge le 9 octobre mais les troupes allemandes ne furent pas pour autant totalement vaincues. Von Lettow  réussit en effet à rassembler les restes de son armée pour les abriter  dans la colonie portugaise du Mozambique.   Le 25 novembre 18,  les troupes  allemandes invaincues quittèrent la brousse où ils se cachaient et  conformément à l’armistice  se rendirent aux autorités anglaises dans la ville D’Abercorn pour y déposer les armes, soit un canon portugais, sept mitrailleuses allemandes, trente anglaises, 1060 fusils anglais et portugais ! Faisaient partie de cette valeureuse troupe, le gouverneur von Lettow, 20 officiers, cinq officiers médecins, un médecin volontaire, un pharmacien, un secrétaire télégraphiste, 125 européens de grade divers, 1156 soldats Askaris[5] et 1.156 porteurs ! Le général von Lettow  invaincu rentrait dans la légende après quatre années de combats incessants  et de manœuvres continuelles dans la savane africaine …

Après la guerre, l’ensemble des territoires occupés par la Force Publique est de près de 200.000 kilomètres carrés ! Cette situation ne perdurera pas. En 1919, la Belgique recevra un mandat de la société des Nations pour administrer le seul Rwanda-Urundi.

Les militaires belges perdirent 132 hommes dont un médecin militaire (le Dr Schram). Les soldats congolais eurent leurs héros mais la plupart d’entre eux, morts à la guerre ou ayant survécus  restèrent dans l’anonymat. 1.895 périrent dont les deux-tiers par la maladie ou l’épuisement. Il n’existe, à ma connaissance aucun monument qui commémore  « le  soldat inconnu congolais » mort pour la Belgique. Des décorations furent cependant  données aux soldats les plus méritants. La plus prestigieuse était celle de l’Etoile africaine qui s’accompagne de palmes et de l’attribution de la Croix de guerre.  A titre d’exemple, et pour honorer tous ces jeunes gens congolais qui mirent leur force au service de la Belgique, je cite ici les exploits du caporal Masiganda et du premier sergent Barasi :


Le 1er sergent Barasi, 1er bataillon, ca 1917. (Coll. KLM-MRA EST 2072-1)

       Attribution de la médaille d’or avec palme de l’ordre de l’Etoile africaine et croix de guerre au caporal Masiganda no 44.536 A.R. 22 octobre 1917

        « Blessé grièvement d’une balle à la tête au combat de l’île Idjwi, au début de septembre 1914, et fait prisonnier par les Allemands, a résisté pendant  deux ans aux sollicitations et aux menaces de nos ennemis qui voulaient le faire servir dans leurs rangs. Plutôt que de leur céder, a préféré accomplir un dur travail de portage dangereux pour lui-même, pour sa femme et les deux enfants qui  l’accompagnaient. Ayant réussi à prendre la fuite, il est parvenu à conduire dans nos lignes après un voyage d’un mois, un détachement de huit soldats prisonniers avec lui.

       Attribution de la médaille d’or avec palme de l’ordre de l’Etoile africaine et de La croix de guerre au 1er sergent Barasi  A.R. 20 novembre 1916

       « Au combat de Samfu (Rhodésie) le 20 mai 1915 a assuré sous un jeu violent le transport du corps de son chef tué. A été blessé deux fois. Malgré son bras gauche fracassé et une cruelle blessure  à la cuisse n’a point quitté son poste de chef et a porté sa section au point fixé par le commandant compagnie. A refusé d’être évacué vers l’arrière, disant qu’il avait encore le bras droit valide et qu’il  pouvait tirer en appuyant son arme sur le bras gauche, … »

Les victimes innocentes de cette guerre : les porteurs  

       Des dizaines de milliers de porteurs furent engagés ou forcés d’amener le matériel et les vivres aux combattants et cela très loin des bases de la force publique. Un officier utilise jusqu’à 20 hommes pour ses bagages. Durant la durée de la guerre on estime que 260.000 hommes furent recrutés ou réquisitionnés pour servir comme porteurs. 20.000 accompagnent les troupes, l’immense majorité intervient par étape pour le transport des vivres et des munitions depuis les bases du Congo belge. Chiffre énorme, 6.600 d’entre eux périrent dont beaucoup dans la région dévastée de Mahenge où régnait la famine. Un officier belge qui participa à la campagne Africaine, Pierre Daye[6] témoigne de ce que fut l’effroyable portage :


Est Africain Allemand (occupation Belge). Porteurs

       Il y avait souvent une trentaine d’étapes quotidiennes entre le terminus du chemin de fer et la base à ravitailler, ce qui fait que pour les obus de 70 mm par exemple, comme un homme ne pouvait en porter que quatre, il fallait que cent porteurs marchassent pendant un mois pour fournir’ à une seule batterie les projectiles que nécessitait un seul tir de très brève durée. Force était de transporter de semblable manière les canons eux-mêmes. Les pièces étaient, pour la marche démontées en charges de quatre-vingt-dix kilogrammes, poids énorme pour des hommes qui doivent en effectuer  le transport par de mauvais sentiers ou à travers des marais, à la force de leurs muscles. Il en était de même pour les vivres : riz et farine pour des milliers de soldats et de porteurs, caisses de conserves (quand elles arrivaient jusqu’à nous !) pour des centaines d’Européens ; et aussi  pour les ambulances avec tout le nécessaire : médicaments, pansements, lits, tentes et appareils de toutes sortes. Je ne cite pas les divers objets moins importants, mais non plus maniables, qui forment le matériel d’une armée et qu’on a dû faire voyager ainsi, durant de longues semaines, à travers la brousse aride.

       Un régiment en marche  comprenait environ quinze cents soldats et au moins trois mille porteurs chargés des munitions, des vivres, du campement. Dans l’étroit chemin, cette foule était forcée de marcher à la filé indienne et, dans la plaine sans limite, elle formait un long serpent  zigzaguant durant des kilomètres et des kilomètres. En temps normal, le déplacement d’une telle colonne était  déjà été d’une organisation difficile. L’arrêt d’uni porteur, que la fatigue faisait succomber sous sa charge trop pesante, pouvait disloquer et immobiliser tout ce qui le suivait. Un fossé, un ruisseau, un marais à traverser, ses rochers à escalader, une erreur de direction même minime à corriger, étaient des obstacles qui, pendant  parfois plusieurs heures, pouvaient jeter de la perturbation dans la troupe en marche.

Conclusion : Nous sommes en 2011. L’ile Idjwi  au centre du lac Kivu fut le point de départ de la Grande Guerre en Afrique Centrale. Située au cœur des Pays des Grands lacs, elle est depuis 20 ans à nouveau  le centre d’une zone tourmentée  par la violence. Puisse-t-elle devenir l’ « île de la Paix »  pour tous les pays riverains ! Le lecteur intéressé trouvera ci-dessous[7] quelques réflexions sur son histoire et sur son avenir !

Hannut, ce 15 janvier 2011

Dr Patrick Loodts

 

 

 

Bibliographie

- Colonel Emmanuel Muller, Les troupes du Katanga et les Campagnes d’Afrique, 1935,   Etablissements Généraux d’Imprimerie, rue d’Or Bruxelles.

- Bernard Lugan, Arnaud de Lagrange, Le safari du kaiser, La Table Ronde , Paris, 1987

-Hermans Kermans et Christian Monheim, La conquête d’un empire, Editions de l’Expansion coloniale, Bruxelles, 1932

- Lisolo na Bisu, 1885-1960, « Notre histoire » Le soldat congolais de la Force Publique, Musée royal de l’Armée, 2010

 

 

L’ile Idjwi : Rêverie d’un Eurafricain

D’abord un peu de flâneries dans l’espace et aussi dans le temps

La baie de Beira

       Le Kibati petit rafiot à moteur, était le seul moyen de transport officiel entre le nord et le sud du lac. Un Français, Monsieur Duplan, en assumait le commandement. Il était loin de sous-estimer les qualités de capitaine que lui donnaient, après dieu, plein pouvoir sur les  passagers se trouvant à son bord. Il connaissait à merveille le lac avec ses redoutables hauts-fonds, ses baies accueillantes et les possibilités d’approvisionnement en bois dont l’île Idjwi constituait la réserve principale. Comme il voyageait de préférence la nuit, ou partait à l’aube, il nous donna l’occasion d’admirer de beaux clairs de lune et de merveilleuses aurores. L’une d’elle nous rendit amoureux du Kivu. Nous avions campé au Nord de l’île Idjwi dans la baie de Beira. Le temps nous avait été laissé, à ma femme et à moi, d’escalader la colline surplombant le lac. Je n’ai jamais contemplé spectacle plus impressionnant que celui des grands volcans vus de cet endroit. La chaîne s’en détachait sur un ciel rougeoyant teinté d’orange et de toutes les couleurs du prisme, dans une fantasmagorie unique en son genre. Ce pays de contraste où le calme le plus complet fait place en un rien de temps aux tornades les plus violentes, aux orages les plus bruyants, vous prend par l’intensité même de la vie qu’il exprime.

Eugène Prince de Ligne, « Africa »,Librairie Générale, Bruxelles, 1961

Une journée unique

       « Je me souviens comme d’une journée unique dans ma vie, de ce séjour dans l’île d’Idjwi, dans la maison hospitalière de Monsieur Clairbois[8]. Le lever, à la fine pointe du jour ; la douceur inégalée de cette brise de l’aube qui ride à peine le lac, le soleil qui perce dans une si généreuse lumière ; les cimes orgueilleuses inviolées dans la tendre brume de l’aurore. On éprouve une sensation profonde de repos et de purification. C’est ainsi que nos lointains aïeux, avant que nous la profanions, au matin du monde devaient regarder la nature ».

Arthur Wauters, « D’Anvers à Bruxelles via le lac Kivu », 1929

Le premier hôpital de l’île d’Idjwi fut créé par le Prince de Ligne en 1927

       Le premier hôpital d’Idwji fonctionna sur un plateau situé à proximité de notre centre actuel de Mamvu. Puis la crise et la guerre mirent nos activités en sourdine jusqu’au retour de la paix. Un de mes souvenirs se situe à l’ombre d’un gros albizia qui surplombait le toit de notre pavillon, à Kihumba. Une simple table était posée sur l’herbe avec un choix fort restreint de médicaments : de la quinine, de la teinture d’iode et de l’ouate avec des bandes de pansement. Vêtue de blanc, notre fille Yolande qui avait obtenu son brevet de soigneuse, s’occupait des affections légères. Elle avait pour surnom indigène : « elle est comme la main du bon Dieu » (…)

       La « Linea »[9] créa un fonds social destiné à desservir un pavillon d’hospitalisation et deux dispensaires bâtis au nord et au sud de l’île. C’est l’architecte van Overstraeten qui fut chargé des constructions. Le premier débarcadère construit en matériaux durables donnait accès à un dispensaire qui présentait des terrasses en gradins à l’avant-plan. On entrait dans l’île par le « Social ». Notre personnel surveillait en outre trois dispensaires « chefferies ».

(…)

       La Colonie agréa nos infirmières et se montra généreuse dans l’octroi des médicaments. Madame Stranicewska et Madame Neuman assumèrent successivement la charge du service médical. Nous leur savons gré de leur collaboration dévouée. Puis ce fut Mlle Willems, infirmière sociale, qui partageait ses activités entre la fondation Ligne à Beloeil et le Fonds social «  Linea ».

 (…)

       Notre troisième hôpital fut construit quelque peu en arrière de celui que l’âge et la mauvaise qualité du matériau employé nous amenèrent à démolir. (..)

Le Docteur de Schrevel, gendre de feu le gouverneur Brasseur « médecin colonie » dirige avec compétence le complexe médico-chirurgical qu’i la créé au milieu des difficultés inhérentes à la période de récession par laquelle passe le Congo. Son activité est venue à bout de maints obstacles. Sa gentille épouse lui a déjà donné trois enfants. Parmi les opérations faites parle docteur il en est une qui mérite une mention toute spéciale. Un indigène est arrivé un certain jour à l’hôpital, la main presque séparée de l’avant-bras par un coup de machette, à la suite d’une rixe sanglante. Schrevel au lieu de procéder à une amputation a suturé la main au bras et la circulation s’est rétablie. Le blessé est reparti guéri.

Eugène Prince de Ligne, « africa », Librairie Générale, Bruxelles, 1961

Le dernier hippopotame du lac Kivu

       Léopold de Bonhome, celui qui conduisit en « gentleman farmer » le premier tracteur Ford dans notre plantation de birava, a fait venir au Kivu toute sa famille. Son père, le colonel de Bonhome, figure attachante et pittoresque que la rumeur publique accusait d’avoir supprimé le seul hippopotame du lac, était passionné de pêche. Coiffé d’un chapeau à larges bords, il aimait taquiner le poisson au débarcadère de Kakondo. C’est là que j’ai vu pour la dernière fois l’hippo éclairé par les phares de notre « Packard ». Pour être juste, il me faut faire mention d’une conversation que j’ai eue avec le plus ancien missionnaire du Kivu, le charmant père Cool. Celui-ci, toujours coiffé du fez qu’il tenait de « maison carrée », se plaît à évoquer les souvenirs du passé. Résidant dans une école d’infirmières offerte par le Fond du bien-être Indigène à la Formulac, il me fit cette confidence : « ce n’est pas le colonel qui a tué l’hippo, c’est un missionnaire. L’animal causait trop de ravages dans les champs cultivés par les noirs » que justice vous soit rendue cher colonel ! Hommage à votre postérité ! Vos fils ont été, et sont encore, parmi mes meilleurs du Kivu.

Eugène Prince de Ligne, « africa », Librairie Générale, Bruxelles, 1961

Le rêve : le centre Eurafrique  Shuman - Mandela

       Un projet hors de commun, inédit. Pourquoi ne pas revoir la coopération européenne en Afrique Centrale ? Partir autre principe que le principe que l’aide multifocale. Ne plus répartir la majorité des aides sur de multiples subventions mais travailler à partir d’un « foyer ». Un foyer qui bien alimenté éclairerait progressivement de plus en plus loin, exactement comme un phare…Répartir des milliers de luminaires de 40 volt sur une plage ne servira pas à grand chose pour guider le navire qui cherche sa route…Il en sera  bien évidemment  autrement avec un phare : pendant de très nombreuses années, il va être un facteur de sécurité pour toute une région côtière ; il va même  faire la fierté des habitants  du lieu sur lequel il s’élève et son renom dépassera les frontières. En conclusion, pourquoi ne pas opter pour un développement maximal en un endroit stratégique en supposant  que  d’année en année le cercle dans lequel son action bénéfique s’inscrira, deviendra  de plus en plus grand.

Explicitons encore une fois notre pensée : si le développement de microprojets au service de la population est une nécessité, ceux-ci ne pourront être d’une efficacité à moyen et à long terme que si cette population a déjà un minimum de conditions assurant leur  survie sociale et économique : toute chance de développement nécessite une triple assise

1)      des soins de base de bonne qualité : nous pensons spécialement aux soins nécessaires pour ceux qui sont séropositifs ou qui souffrent d’autres syndromes infectieux  comme la tuberculose, la malaria etc.)

2)      une éducation de base

3)      les moyens pour utiliser de la meilleure façon les ressources nutritionnelles (culture, élevage, pêche)

4)      la paix et la sécurité des  personnes et des biens assurées

5)      des voies de communications      

       Les aides au développement actuelles sont souvent il est vrai attribuées pour réaliser ces cinq points mais malheureusement ces aides sont délivrées en des endroits situés  à  de trop grandes distances l’une de l’autre et seulement pour un des points. Les cinq conditions de base ne peuvent donc que rarement être rencontrées ensemble. Il s’en suit que l’assise ne devient jamais suffisamment solide pour un développement ultérieur et que l’aide attribuée apparaît comme étant à chaque fois jetée un gouffre sans fond.

Le principe du phare devrait donc nous guider pour une politique de développement. Il faut procéder à un projet massif englobant complètement  ses cinq points dans une région bien déterminée.

       L’endroit idéal pour installer un premier pôle de développement devrait être certainement l’Afrique des Grands Lacs.

Considérations générales : l’Afrique des Grands Lacs  connaît d’immenses souffrances. Si des solutions à long terme ne sont pas mises en place, ce carrefour de l’Afrique ne retrouvera pas la paix    

       - L’Afrique noire est la seule région qui ait régressé depuis une génération, là où l’espérance de vie était, en 2002 de seulement 38 ans, la moitié d’une vie occidentale.

       - Depuis août 1998, selon l’International Rescue Committee, une ONG américaine, la guerre, les épidémies et la faim ont dévasté l’ex-Zaïre et auraient coûté la vie à 3,3 millions de Congolais.

       - Ces 3, 3 millions de morts surviennent après que 800.OOO Rwandais succombent au génocide de 94, après les 200.000 Hutu qui ont trouvé la mort dans la jungle de l’ex-Zaïre entre octobre 96 et mai 97, après les 300.000 victimes de la guerre civiles au Burundi depuis 93. 

L’Afrique des Grands-Lacs est à un tournant de son histoire : si un plan massif en faveur du développement et de la paix n’est pas réalisé, on peut craindre que le  pire  ne soit pas encore survenu. Ce « pire » serait la « Somalisation » (En Somalie, faut-il le rappeler, il y a neuf millions d’habitants sans administrations, sans routes, sans impôts, seulement des chefs de guerre) de vastes étendues avec comme seule loi, celle imposée par des factions  armées  n’ayant comme objectifs que le dépouillement et des hommes et du sol ! L’Afrique des Grands-Lacs du point de vue stratégique  représente 5 pays unis par de nombreux liens historiques et géopolitiques. Pour que l’avenir pur redevienne souriant, l’unique solution sera que  ces pays  forment une Communauté des Grands Lacs. On voit ici le rôle important que La Communauté Européenne pourrait jouer en aidant très activement ces pays à mettre en place « leur nouvelle Communauté »  d’autant plus nécessaire qu’elle est  aux yeux de tous les spécialistes le seul espoir de paix définitive pour cette région.

       - L’Afrique des Grands-Lacs possède un immense potentiel de développement. Les terres y sont d’une grande fertilité, l’élevage est partout possible, les ressources en eau et les ressources minières sont énormes, les potentiels de communication élevés car aux immenses étendues d’eau  peuvent constituer de merveilleux moyens de liaison. Les pays des Grands-Lacs possèdent en outre des immenses richesses touristiques. Si ce potentiel n’est pas sauvegardé pour le bien des habitants par une Gestion efficace de l’Etat on peut craindre que les richesses de plus en plus soit exploitées de façon éhontées par de véritables mafias. Freddy Mulumba, rédacteur en chef du quotidien « Le Potentiel » à Kinshasa-RD Congo (voir « Les négriers africains des temps modernes » dans « La Libre Belgique » du 21 Mai 05 en page 24) détaille très bien ce risque  de dépouillement par des structures qui ne dépendent d’aucun gouvernement mais qui deviennent si puissantes qu’elles peuvent décider de changer le régime politique dans un pays donné où elles sont bien représentées.

L’Afrique des Grands-Lacs doit donc mettre en place une structure économique qui ne permette plus d’exploitation éhontée de leurs richesses. La seule solution est ici aussi la création d’une Communauté des Grands-Lacs  qui pourrait légiférer et faire respecter les principes nécessaires à la sauvegarde de leur patrimoine pour les générations actuelles et futures.     

Ou créer le Phare Eurafrique dans l’Afrique des Grands-Lacs ?

       De multiples endroits peuvent être choisis. Mais pourquoi pas l’île Idjwi. Cette île est hautement symbolique. Longue d’une quarantaine de km, elle a l’avantage d’être au cœur du lac Kivu unissant le Congo, le Rwanda et le Burundi. Il n’y aurait pas d’endroit plus symbolique que pour un Phare de sagesse que cette île.

       Une île qui regarde trois pays et qui pourrait être  un magnifique symbole de la coexistence pacifique des peuples des Grands-Lacs. Une île, un tout petit bout de sol qui pourrait être le début d’un grand projet, d’une véritable Communauté

       Une île située au carrefour intellectuel des Grands-Lacs : regardons simplement la présence  universitaire autour de l’ïle Idjwi : nous sommes à quelques encablures des universités de Butare, de Bukavu, de Bujumbura. Nous sommes aussi à proximité du centre de recherche de Lwiro (avec ses 15 km de routes et ses 11.100 mètres carrés de laboratoires dont la cellule toujours active de volcanologie qui avait prévu en 2002 la dernière éruption du Nyiragongo, avec son centre de nutrition très performant, ses étangs piscicoles toujours en activité)   

       Une île symbolique aussi  des richesses en eau, en poissons, en méthane  que les Grands-Lacs peuvent offrir. L’île Idjwi est un merveilleux observatoire des ressources naturelles des Grands Lacs. Nous y reviendrons plus loin.

       Une île qui peut bénéficier de moyens de communications maritimes exceptionnellement  aisés avec les  pays riverains et donc pouvoir rayonner très facilement.

Et en quoi consisterait si donc nous commencions le développement du centre Eurafrique à l’île Idjwi ?

       Nous avons examiné sommairement le principe du phare : il s’agit d’assurer en coopération étroite avec les autorités locales et la population un  développement  concerté  des cinq assises du développement et cela sur une superficie limitée mais appelée à s’étendre naturellement d’année en année. Ce développement concentrique ultérieur dépendant de plus en plus des autorités nationales. Dans le cas de l’île Idjwi, le développement concentrique de son rayonnement aura l’immense avantage de se manifester dans plusieurs pays et  pourra donc constituer aussi un moteur important pour la création d’une véritable Communauté des Grands Lacs. Voyons en détail les cinq branches qui devraient faire partie du centre EURAFRIQUE.

1)    Pour les soins de santé : Un établissement hospitalier interuniversitaire des Grands-Lacs

Cet hôpital européen assurera les soins des habitants de l’île mais servira aussi d’hôpital de référence. A ce titre il :               

·  Assurera le recyclage des médecins généralistes et spécialistes des Grands-Lacs. Pour le médecin africain, il n’y a très peu de cours de recyclage. On assiste à une fuite des « cerveaux médicaux », parce que ces derniers se sentent délaissés, laissés pour compte. Seuls les plus chanceux obtiennent de partir à l’étranger parfaire leurs connaissances. Les médecins africains souvent mal-payés quant ils sont au service de la classe populaire trouveront dans l’hôpital du centre Eurafrique un institut de recyclage qui leur donneront de nouvelles motivations à persévérer dans leur idéal. Un recyclage pourra être aussi organisé via le site internet du centre de recyclage.

·  Développera la recherche : assurer le recyclage permanent des médecins africains requiert que cet hôpital soit très performant dans les soins habituels que tout hôpital doit prodiguer mais aussi dans les soins des personnes atteintes des grandes pathologies infectieuses du continent. Un département recherche HIV et un département Malaria devront s’appliquer aux soins aux malades mais aussi promouvoir des recherches sur place et en coopération avec les hôpitaux universitaires.

·  L’hôpital comprendra aussi un département de Pharmacologie Adaptée. Ce département de Pharmacologie Adaptée à la pathologie africaine  aura pour tâche de développer ou d’encourager toutes les études sur la pharmacologie traditionnelle dans les universités des Grands Lacs. Elle mettra à la disposition des chercheurs africains des laboratoires ultra-spécialisés dans lesquels ils peuvent trouver de grandes facilités pour parfaire ou finaliser leurs recherches. Ce Centre de Pharmacologie appliquée développera aussi avec les autorités des pays des Grands-Lacs une politique d’aide à la diffusion et à la fabrication des médicaments essentiels à bas prix et particulièrement aux médications anti-HIV.

·  Un département d’épidémiologie  pouvant par son expertise  aider les pays des Grands Lacs dans leur politique de santé.

2)     Pour l’éducation de base : L’institut  pédagogique des pays des Grands Lacs

                                   Ce centre organisera en accord avec les autorités l’enseignement des enfants et des adolescents de l’île. Mais surtout, il devrait comporter une importante école pédagogique qui aurait pour but le soutien aux instituteurs formés par les pays des Grands-Lacs. Ce centre devra coordonner les aides européennes destinés à l’enseignement. Il devra soutenir  les instituteurs de la région en lui donnant les moyens de se recycler Des chercheurs des pays riverains pourraient mettre leur expérience ensemble pour créer des manuels d’histoire, de géographie, de « leçons de choses » qui puissent être communs aux pays membres. A noter que cette façon d’éduquer participerait intensément à la réconciliation.                          

3)       Un centre interuniversitaire  des ressources naturelles comprenant

·  Un département  interuniversitaire agronomique

·  Un département interuniversitaire des ressources piscicoles

Plus que jamais nécessaire pour éviter une erreur comme celle produite par l’introduction de la perche du Nil  dans le lac Victoria 

·  Un département interuniversitaire des ressources géologiques. Ce département devrait aider les pays des grands Lacs à mettre sur place une véritable politique d’exploitation dans l’intérêt des générations futures. Nous pensons aussi à la mise en œuvre de l’exploitation du gaz méthane du lac Kivu qui pourrait être un combustible permettant de lutter contre la déforestation due à la recherche de combustibles (huit africains sur dix cuisinent au feu de bois ou de charbons de bois). Le Méthane pourrait alimenter le Phare Eurafrique de l’île Idjwi. D’autre part le département de géologie peut uniformiser la lutte ces pays des grands Lacs contre l’exploitation sauvage des ressources minérales qui représente  un véritable pillage mais  peut aussi se révéler comme  un grand risque écologique pour la région.  Au Katanga, le même problème se pose aussi avec acuité : la « démocratisation » de l’extraction minière empêche l’explosion sociale mais transforme tout une région en territoire sauvage, libéré de toute emprise de l’Etat 

       Ces trois départements offriront aux chercheurs des Pays des Grands-Lacs des laboratoires de haute spécialisation dont la rentabilité scientifique ne peut être assurée que s’ ils peuvent  être utilisés par plusieurs universités.

4)    Pour la paix et la sécurité

·  Un centre de conférence interrégional pour la paix des Grands-Lacs. Ce centre pourrait recevoir et animer toute initiative politique en vue  de résoudre par le dialogue les litiges  existant entre les pays des Grands Lacs. Il aurait pour deuxième objectif de promouvoir à moyen terme une « Communauté des Grands Lacs ». Ce centre devrait aussi disposer d’un département de recherche en politique Africaine permettant d’aider les chercheurs œuvrant dans ce domaine.

·  A la demande des Pays des Grands Lacs, une base ONU permanente pourrait être installée à l’île d’Idjwi. La sécurité du Lac devra aussi être rétablie  avec les autorités locales car il y aurait actuellement beaucoup d’actes de pirateries.

5)    Pour améliorer les voies de communications

·  Le Phare Eurafricain  possédera un institut des voies de   communication pour étudier les moyens d’améliorer la a communication entre les régions des Grands Lacs afin de faciliter les exportations et importations. Les efforts à entreprendre qui peuvent être subsidiés par l’aide Europe seront sélectionnés par ce centre. Ces travaux seront effectuées selon le principe des cercles concentriques : d’abord dans l’île, puis dans les régions directement avoisinantes.

·  L’île Idjwi développera un port moderne  avec un service de passagers et de marchandise. Ce service maritime des Grands-Lacs aura pour but de promouvoir à moindre le coup les échanges entre les pays.

·  L’île Idjwi peut  développer une liaison  aérienne avec l’aéroport de Bukavu.   

Un tel projet est-il faisable sans paternalisme dans un véritable esprit de coopération ?

       Il ne faut pas se leurrer : un tel projet d’aide interrégionale par l’Europe ne peut se dérouler que si chacun en retirent des avantages. Les avantages pour l’Afrique ont été soulignés plus haut. Quels seraient les avantages pour les Européens ? Ce projet doit être une source de satisfaction pour l’Europe. Si on postule que les avantages pour l’Europe ne doivent pas être matériels (Comme un élastique, l’aide octroyée doit revenir en commande en Europe), ils doivent cependant exister ! L’aide gratuite n’a aucune rentabilité. A ce point de vue nous partageons le point de vue de Stephen Smith (dans « Négrologie »,Camnant-Levy, 2003) quand il écrit que le pire qui puisse arriver à un pays , le plus destructeur pour son « Etat » c’est d’être comblé de fonds d’assistance, sans qu’il n’y ait la moindre contrepartie . L’Europe doit imposer de pouvoir retirer certains avantages de l’aide accordée.  Ces avantages doivent appartenir à deux catégories. L’Europe doit pouvoir être assuré d’une rentabilité  des projets financés. Cette rentabilité n’est pas nécessairement financière mais elle est d’abord morale : cette rentabilité morale consiste à pouvoir au moins  éprouver une sensation de fierté provenant du succès de leur projets de coopération. Cette satisfaction de l’œuvre accomplie, si légitime, ne sera évidemment possible que si on laisse  le projet naître mais aussi grandir et s’améliorer !  Il faudrait donc qu’un accord de coopération entre la Communauté Européenne et les Pays de la future Commission des Pays des Grands Lacs apporte  suffisamment de garanties (locations des terres à  très long bail, statut spécial des investissements en matériaux et bâtiments qui resteraient propriété de la Communauté Européenne, statut juridique, extra-territorialité )  pour que l’influence de  cet investissement européen  ait l’assurance de pouvoir influencer  durablement une région puis un ensemble de régions.

       L’historien congolais Yok Bokwey rappelle dans un article du Soir l’importance de l’investissement dans la durée mais aussi dans la globalité.  Les souvenirs marquants des vieux Congolais en faveur du temps des colonies  ont trait ces caractères: leur aide qui s’est malheureusement  terminée sans « remise reprise » était inscrite dans une durée et une globalité  qui donnait satisfaction. Voici un souvenir marquant de l’historien Antoine Yok  Bokwey   (« Le patrimoine revisité », dans le Journal « Le Soir »  du Mercredi 27 avril 2005 et signé Colette Brackman)

       A Mapangu, la société PLZ  (huilerie du Bas Congo) faisait tout : elle avait ouvert les écoles, soutenait la paroisse, avait amené l’électricité, ouvert un cinéma. Chaque mardi, un bateau chargé de marchandises venait de Kinshasha. Ce souvenir a été magnifié de génération en génération. C’est pour cela que les gens rêvent d’un retour des Belges : leurs entreprises prenaient en  charge le secteur social.

       Certains Belges sont effectivement revenus comme Monsieur  Forest au Katanga qui renouant avec le passé a relancé de nombreuses exploitations minières tout en finançant dispensaires et  l’école technique de Kipushi. Est-ce la bonne solution ? Difficile à dire, ne  peut-on pas estimer cependant que des prestations sociales peuvent aussi être considérées comme faisant partie du salaire, surtout quand l’Etat ne parvient plus à assurer les services d e base minimums qu’ont droit tous les citoyens de n’importe quelle contrée  ? Ne faut-il pas plutôt encourager  ces patrons conscients des besoins primordiaux de tout être humain plutôt que de laisser le champ libre à une mafia exploitant l’homme sans loi morale ? Evidemment, il ne paraît pas, sauf situation d’urgence, adéquat  de décider et de faire tout « tout seul »  mais il quand même temps en 2005 de remarquer que les vérités  ne sont pas nécessairement dans les livres d’économie et de politique mais qu’elles reposent aussi  dans ce que pense le travailleur, le citoyen. Pour ces derniers, la vérité expérimentée et commune à tous  est certainement que le développement ne peut s’effectuer que dans la durée et dans la globalité. C’est ici que le  projet européen de grande envergure à l’île Idjwi  trouve tout son sens. Une île au centre du continent et porteuse d’espoirs pour les Africains qui veulent trouver les moyens techniques et humains pour faire partager et donner un début de réalisation  à  leurs idées pour changer en bien leurs milieux. Le manque de politique structurée, de contrats entre le demandeur et le receveur conduit actuellement à une pléthore d’experts et de consultants internationaux appelés en mission de courte durée en Afrique. (Toujours d’après Stephen Smith, un pays aussi pauvre que le Burkina Faso recevait à la fin des années 80 environ quatre cents experts par an, soit plus de un par jour. Toujours selon lui, plus d’un tiers de l’aide publique au développement est consacrée à des expertises de faisabilité ou à la « post évaluation de projets ». On préférerait évidemment  une plus grande  aide directe aux acteurs sur le terrain et en particuliers à ceux qui devraient permettre à leurs compatriotes de satisfaire aux cinq conditions préalables au démarrage du développement  Nous pensons ici aux  infirmières, instituteurs, techniciens, médecins, ingénieurs africains qui essayent aujourd’hui  de remplir  leurs missions malgré le manque flagrant de soutien qu’il soit matériel ou moral.

Un centre de développement comme le Centre Eurafrique permettrait de mettre l’Europe plus à portée des Africains  en la rendant concrètement très  présente.  Comme  mentionné plus haut, ce centre aurait pour vocation première non la formation mais l’encouragement à  la formation continue des  acteurs locaux du développement et cela grâce à des outils très performants (hôpital de référence, laboratoires interuniversitaires, infrastructure d’accueil pour des recyclages des instituteurs, presse écrite scientifique, pédagogique, développement des techniques de communication par le Web, radio européenne pour la région  etc.). Secondairement, le Centre Eurafrique permettrait une  décentralisation de l’expertise et de la coordination des projets soutenus par la communauté européenne qui pourraient se pratiquer à partir du centre et non plus à partir de Bruxelles.

       Les Africains doivent accepter cette nouvelle coopération en la négociant, mais  les Européens doivent pouvoir l’offrir en y mettant les conditions leur permettant d’obtenir les avantages moraux qu’ils sont en droit d’exiger. Il faut surpasser ici nos culpabilités liées à l’époque coloniale qui nous empêchent encore trop souvent d’envisager des nouveaux modes de coopération sous prétexte qu’ils pourraient impliquer une certaine autorité ! Mais en réalité, notre vie de tous les jours ici en Europe  nous montre bien qu’il faut  savoir mettre certaines conditions pour qu’une aide soit efficace. Aider  une personne en difficulté n’est certainement pas lui faire un chèque. Par contre l’aider à trouver un travail, subsidier son logement ou ses études sous certaines conditions nous semble beaucoup plus moral et correct pour le donneur et le receveur. Dans notre histoire européenne, nous avons aussi eu  l’expérience d’une aide massive « sous conditions » et que nous ne regrettons pas ! Les guerres affreuses que les Européens se sont faites ne se sont pas terminées sans l’intervention militaire américaine et de plus  durant la guerre froide,  les Américains ont offerts à l’Europe pendant plus de cinquante ans de nombreuses bases militaires pour assurer sa sécurité. Nous ne croyons pas que cette aide fut attribuée sans conditions : les Européens durent garantir à leurs alliés américains une certaine durée de leurs présences en même temps que l’extra-territorialité de leurs bases.  Enfin pour terminer une remarque, si nous avons critique le trop grand nombre d’experts itinérants, ce n’est certainement pas que les experts sont inutiles…C’est simplement parce que nous croyons qu’un expert sur place qui s’investit avec ses homologues africains dans la durée à travers les difficultés génère beaucoup plus d’amitié  et de  véritable coopération  entre les peuples … Finalement, ne croyez-vous pas que les bureau des experts Européens et Africains  de  l’Afrique des Grands Lacs devraient se trouver aux bords du lac Kivu à côté des salles de réunions, des salles de conférences et des labos destinés à soutenir ceux qui œuvrent dans l’ombre ?

Une Conclusion

Et si on laissait la conclusion à Eugène Prince de Ligne ? Peut-être un peu ringard ? D’accord, mais il y a quand même du vrai dans ce qu’il écrivait en 1961

L’Eurafrique me paraît constituer une étape nécessaire dans l’équilibre des forces mondiales. L’idée implique la concentration des efforts vers le mieux-être des hommes. Pas de ligue dans le sens de la prédominance.

Le Sénateur Zurstrassen développait  récemment ces idées dans un grand quotidien belge. Après avoir rappelé les circonstances ayant  présidé à la naissance de l’Association Internationale Africaine, l’homme politique évoquait la commission où le roi Léopold II siégeait à côté d’un Allemand, le Dr Nachigal, d’un Français, Monsieur de Quartefages, et d’un Anglais, Sir Bartle Frères. (…)  Le Congo occupe au carrefour des courants géographiques de l’Afrique une position comparable à celle du Benelux en Europe. C’est autour de ce catalyseur qu’un monde encore sous-développé pourrait atteindre son épanouissement tout en veillant à la sauvegarde de ce « régionalisme sagement entendu » préconisé par le roi Albert. La politique de la min tendue ne prendra sa véritable signification pour l’Eurafricain que le jour où le geste pourra se faire tant vers l’occident que vers l’orient, sans autre arrière-pensée que celle qui cimente la paix.

Eugène Prince de ligne, « africa » Librairie générale, Bruxelles, 1961

Dr Loodts.P

Bruxelles, 2008

         

 

 

 

 



[1] Bal (Mortsel 1882, Bruxelles 1961), Ecole militaire des pupilles (1893 à 1896), lieutenant de la force Publique (campagne du Cameroun), capitaine-commandant à la brigade Sud lors de la campagne vers Mahenge. Major à la force Publique (1925-1926)

[2] J.M. Jadot,né à Marche en 1886, magistrat colonial et écrivain lauréat du prix triennal de littérature colonial. Ecrivit «  La charge » qui est l’histoire de Mambamu, dans « Pages de gloire », publication annuelle 1935, page 241 à 245. Desclée De Brouwer et Cie.

[3] http://www.congo-1960.be/LesHydraviationAuCongoBelge.html

[4] L’observateur Léon Collignon ne survécut pas à la guerre et disparut au cours d’une mission sur le front de l’Yser.

[5] ) les troupes coloniales allemandes ont au départ un effectif maximum de 16.670 hommes soit un tiers des forces qui leur sont opposées ou autant que le contingent de la force publique : 11.367 « Askaris » (guerrier en langue swahili) soutenus par 2.500 auxiliaires indigènes  « Ruga-Ruga » et encadrés par 2.712 Européens grossis par les équipages de navires qui avaient réussi à forcer le blocus imposé par les anglais 

[6] Pierre Daye, le Congo Belge, page 47 et 51, Desclée De Brouwer, 1927

[7] Un rêve Africain pour la destinée de l’île Idjwi :

[8] Monsieur Clairbois  fut officier de la force Publique dans le Kivu. Il se mit ensuite au service du Prince de Ligne qui obtint  en  1925 du vice-gouverneur général de Meulemeester la possibilité la concession des terres non occupées de l’île à condition d’investir deux millions de francs dans les activités sociales de l’île. Ce montant était alors pour l’époque très important  Le Commandant Clairbois  qui accepta d’aider le Prince à s’installer dans l’île Idjwi. Il développa autour de sa  maison  dans la presqu’île de Luhundu une entreprise fermière de grand et petit bétail, importa des lapins, poussins « Leghorn »  et même pigeons, ce qui lui donnait l’impression d’être en Belgique. Malheureusement le choix du terrain sur lequel il bâtit sa maison ne lui porta pas chance. Le Prince de Ligne raconte la fin prématurée du commandant dans ses souvenirs :

Quand Clairbois choisit le voisinage de l’arbre qui allait ombrager sa demeure, un ancien du pays lui dit : « Blanc ne fais pas cela ! c’est un arbre sacré et cela te portera malheur ! » Voulant mettre fin aux superstitions qui régnaient alors, Clairbois passa outre à cet avertissement. Le mauvais sort joua contre lui. Il mourut peu d e temps après de la fièvre typhoïde.

[9] Linea : nom de la concession obtenue par le Prince de Ligne à Kakondo.  Le nom évoquait la devise de la maison du Prince de Ligne : linea recta- le droit chemin        



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