Médecins de la Grande Guerre

Le lieutenant Herduin condamné à mort, commanda lui-même le peloton qui le fusilla !

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Le lieutenant Herduin, condamné à mort,  commanda lui-même le peloton qui le fusilla !

       Il est difficile de trouver une histoire aussi dramatique durant la Grande Guerre. Le lieutenant Herduin est sans doute un cas unique dans l’histoire militaire puisque, de son  poteau d’exécution, il commanda lui-même le peloton qui le fusilla. L’histoire de cet officier injustement condamné par sa hiérarchie nous émeut profondément car en plus d’être tragique elle nous illustre la merveilleuse grandeur d’une âme d’un officier.


       Le sous-lieutenant Herduin est né en 1881. En 1899, il s’engage comme volontaire à l’âge de 18 ans au 8ème Régiment d’Infanterie coloniale. En 1900, il participe à l’expédition française de chine contre les Boxers, gravit comme sous-officier tous les échelons et est commissionné sous-lieutenant en octobre 1914. Marié en 1907, il aura un fils unique, Luc en 1912 qui décèdera malheureusement jeune, à l’âge de 28 ans, en 1940.

       Le sous-lieutenant Herduin fait partie du 347ème RI quand il monte en ligne le 5 juin 1916 dans le secteur de la ferme de Thiaumont sur le champ de bataille de Verdun. Il subit un bombardement intense et continu de l’ennemi qui culmine de 7 juin. Le lendemain, au cours de l’attaque contre le fort de Vaux, les Allemands détruisent les positions du régiment. Son commandant de régiment, le colonel de Lamirault est tué sur la cote 320 tandis que le commandant de bataillon Deverre est fait prisonnier. Au cours de cette attaque la compagnie du sous-lieutenant Herduin et celle du sous-lieutenant Millant perdent la moitié de leurs effectifs et sont coupés de leurs lignes tout en étant à court de munitions. La nuit venue, les deux officiers décident de profiter de l’obscurité pour décrocher avant que l’ennemi ne s’empare le matin de leur position. Avec les 40 hommes qui ont survécus, ils atteignent d’abord une position, à gauche de la ferme, qui est tenue par le 293e RI. Les deux sous-lieutenants demandent des instructions à l’officier commandant cette position mais, celui-ci refuse de les intégrer à son unité et les renvoie réoccuper leurs positions. Conscients qu’avec 40 hommes, ils ne peuvent réoccuper le terrain qui était tenu par tout un bataillon, Herduin et Millant décident de regagner Verdun. Le 9 juin, ils arrivent à la caserne Anthouard où ils se reposent pendant 48 heures. Le 11, ils remontent en ligne avec leurs hommes et rejoignent le bois de Fleury où se sont retranchés les rescapés de leur régiment, soit 150 hommes sous le commandement du capitaine Delaruelle. Malheureusement celui-ci vient de recevoir l’ordre signé du colonel Bernard de fusiller immédiatement Herduin et Millant pour abandon de poste. Le sous-lieutenant Herduin demande le rapport du général Boyer, le commandant de la division, afin de s’expliquer. Le capitaine Delaruelle fait alors porter au général une lettre rédigée par Herduin et contenant les explications de sa retraite stratégique. Ce pli est accompagné d’une recommandation du capitaine Delaruelle soulignant la bonne foi du sous-lieutenant. Les messagers reviennent malheureusement avec la lettre d’Herduin qui n’a pas été décachetée ainsi qu’avec le pli de capitaine Delaruelle sur lequel le colonel Bernard  a écrit : « Pas d’observation. Exécution immédiate. » 


(Photo Dr Patrick Loodts)

       Les sous-lieutenants se préparent dès lors à la mort. Herduin écrit à son épouse :

Ma petite femme adorée,

       Nous avons, comme je te l'ai dit, subi un grave échec : tout mon bataillon a été pris par les Boches, sauf moi et quelques hommes, et, maintenant, on me reproche d'en être sorti ; j'ai eu tort de ne pas me laisser prendre également. Maintenant, le colonel Bernard nous traite de lâches, les deux officiers qui restent, comme si, à trente ou quarante hommes, nous pouvions tenir comme huit cents.
       Enfin, je subis le sort, je n'ai aucune honte, mes camarades, qui me connaissent, savent que je n'étais pas un lâche. Mais avant de mourir, ma bonne Fernande, je pense à toi et à mon Luc. Réclame ma pension, tu y as droit.
       J'ai ma conscience tranquille, je veux mourir en commandant le peloton d'exécution devant mes hommes qui pleurent.
       Je t'embrasse pour la dernière fois comme un fou.

CRIE, APRÈS MA MORT, CONTRE LA JUSTICE MILITAIRE.
LES CHEFS CHERCHENT TOUJOURS DES RESPONSABLES.
ILS EN TROUVENT POUR SE DÉGAGER.

       Mon trésor adoré, je t'embrasse encore d'un gros baiser, en songeant à tout notre bonheur passé.
       J'embrasse mon fils aimé qui n'aura pas à rougir de son père, qui avait fait tout son devoir.
       De Saint-Roman m'assiste. Dans mes derniers moments, J'ai vu l'abbé Heintz avant de mourir. Je vous embrasse tous.
       Toi encore, ainsi que mon Lulu.
       Dire que c'est la dernière fois que je t'écris.
       Oh ! mon bel ange, sois courageuse, pense à moi, et je te donne mon dernier et éternel baiser.
       Ma main est ferme et je meurs la conscience tranquille.
       Adieu, je t'aime.
       Je serai enterré au Bois de Fleury au nord de Verdun. De Saint-Roman pourra te donner tous les renseignements.



(Photo Dr Patrick Loodts)

       L’heure fatale survient rapidement. Le peloton d’exécution est commandé par le capitaine Gude. Le prêtre assistant les condamnés est l’abbé Hintz, caporal au 346e RI (il deviendra évêque de Metz en 1938). Quant au médecin, le médecin-major Menu, il refuse d’assister à l’exécution pour marquer son désaccord. Il se tient dans un endroit proche d’où il ne peut observer la tragique scène. Il n’y a pas que le médecin qui est perturbé, le capitaine Gude l’est aussi. Herduin, s’apercevant de l’émoi du capitaine, demande alors à commander lui-même le peloton. Autre fait extraordinaire, le capitaine Delaruelle demande au sous-lieutenant Herduin d’haranguer son régiment avant de mourir :

« D’un instant à l’autre nous allons être rejetés dans la bataille.
Aucune foi n’anime plus nos soldats.
Ils sont désemparés.
C’est une troupe amorphe.
Avant de mourir, parlez-leur.
Dites-leur de tenir jusqu’au bout.
Je vous le demande pour la France. »

Le brave Henri Herduin accepte 

« Mes enfants,
Nous ne sommes pas des lâches.
Il paraît que nous n’avons pas assez tenu.
Il faut tenir jusqu’au bout pour la France.
Je meurs en brave et en Français.
Et maintenant, visez bien !
Joue ! Feu ! »

       Les corps des sous-lieutenants Herduin et Millant sont enterrés à la lisière est du bois de Fleury. Après la guerre, en 1919, ils seront exhumés et transférés au cimetière militaire de Fleury. En 1920, Fernande Herduin parvint à faire ramener la dépouille de son mari dans le caveau familial à Reims tandis qu’en 1925, la dépouille du sous-lieutenant Millant est transférée dans la nécropole de Douaumont. Fernande Herduin pendant tout le restant de sa vie mettra toute son énergie à la réhabilitation de son mari. Il est regrettable que je ne dispose pas de sa photo pour lui rendre hommage. En 1920, elle déposa une plainte (qui restera sans suites) en assassinat contre le colonel Bernard. En 1921, le journal l’Humanité publia en première page une lettre ouverte : « J’accuse le colonel Bernard et le général Boyer d’être des assassins. Lettre ouverte à M. Barthou, ministre de la guerre ». Le combat de madame Herduin fut gagné après de nombreuses péripéties. Très grave fut la constatation que la hiérarchie militaire avait enlevé du dossier des fusillés les ordres d’exécution signés par le colonel Bertrand et le général Boyer. En 1924, à l’initiative de la Ligue des droits de l’homme, le parlement adopta finalement une loi permettant de réhabiliter sans recours aux tribunaux tous les soldats ayant été exécutés sans jugement. Cette loi n’était que justice mais elle favorisait aussi les officiers supérieurs qui n’eurent plus à craindre de devoir se défendre devant un tribunal. En 1925, une rue de Reims est baptisée du nom du lieutenant Henri Herduin, quelques mois avant que, le 20 mai 1926, la Cour d'Appel de Colmar appelée à statuer sur le pourvoi en réhabilitation déposé par la Ligue des droits de l’homme, prononça un arrêt de réhabilitation posthume en faveur des sous-lieutenants HERDUIN et MILLANT.



(Photo Dr Patrick Loodts)

       En 1967, l’association « ceux de Verdun », décida de remettre à titre posthume la médaille de Verdun au sous-lieutenant Herduin. Fernande Herduin étant décédée en 1954, son fils Luc en 1940, c’est le neveu du sous-lieutenant, Maurice Herduin qui représenta son oncle à la remise de la médaille le 29 juillet 1967 à l’Hôtel de ville de Reims. En 2008, la ville de Reims inaugura une plaque commémorative à la mémoire des deux officiers. Enfin en 2009, une stèle[1] érigée à la mémoire d’Herduin et de Millant fut inaugurée à Fleury-devant-Douaumont à côte du lieu où ils furent exécutés.

En-dessous de la sculpture, on note cette inscription :

« …Ceux qui furent exécutés alors qu’il ne s’étaient pas déshonorés, n’avaient pas été lâches mais simplement ils étaient allés jusqu’à l’extrême limite de leurs forces. Nicolas Sarkozy, Président de la République, 11 novembre 2008, Douaumont.

Conclusion

La guerre permet facilement à certains d’abuser de l’autorité qui leur a été donnée. Décider de la mort d’un soldat sans même l’avoir entendu est un crime. Dans le cas des sous-lieutenants Herduin et Millant, ce crime ne fut jamais puni. Le lieutenant Herduin fut réhabilité mais le courage qu’il eut devant le peloton d’exécution en l’haranguant et en le commandant lui-même dépasse l’entendement.  Son héroïsme, son sacrifice (et la courageuse lutte de son épouse)  empêchèrent  le triomphe du  mal  créé par l’immonde abus de pouvoir perpétré par certains de ses supérieurs.      

Dr Loodts P.

Sources : ce très beau site.

 

 

 

 

 



[1] Cette stèle a été réalisée par Paul Flickinger, un artiste lorrain. Cette œuvre est le résultat d’une réflexion commencée à partir d’un des chapiteaux de la crypte de la cathédrale de Verdun sur lequel sont sculptés une colombe et un homme agenouillé les yeux bandés, un fusillé. Paul Flickinger a ensuite réalisé trois peintures représentant sur chacune une colombe transpercée d’une balle qui tue en même temps un homme.
Ainsi, dans sa sculpture on retrouve le symbole de la paix à travers la colombe stylisée et un homme aux yeux bandés. A travers cette œuvre, Paul Flickinger a voulu transmettre un message : chaque fois qu’on fusille un homme, les droits de l’Homme sont mis à mal.

 



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