Médecins de la Grande Guerre

Le destin tragique du roi de l’évasion, Jules Bastin.

point  Accueil   -   point  Intro   -   point  Conférences   -   point  Articles

point  Photos   -   point  M'écrire   -   point  Livre d'Or   -   point  Liens   -   point  Mises à jour   -   point  Statistiques

Le destin tragique du roi de l’évasion, Jules Bastin.



       Jules Bastin fut le roi de l’évasion durant la guerre 14-18. Officier de carrière extrêmement méritant, il accomplit une magnifique carrière qui se termina de façon tragique et héroïque puisqu’il périt à la fin de la Seconde guerre mondiale dans un camp nazi sans cette fois avoir pu s’échapper. Jules Bastin, au caractère franc et intrépide[1] se devait de figurer dans notre site web ! 

       Il est né le 23 mars 1889 à Roux, un petit village de la région de Charleroi et s'engagea à 17 ans dans une école régimentaire, celle du 13e de ligne à Dinant. Il se prépara à l'Ecole militaire où il entra en novembre 1907. Devenu sous-lieutenant, il est ensuite affecté au 3e régiment de Chasseurs à pied. Attiré par la cavalerie, il demande à suivre pendant deux ans les cours de l'école d'équitation d'Ypres. Il reprendra ensuite du service au 3e Chasseurs à pied avant de pouvoir réaliser son rêve : passer dans un régiment de cavalerie. C’est le 1er Chasseurs à cheval à Tournai qui l’accueillera.

       En août 1914, il est envoyé en reconnaissance au contact de l'ennemi. Le 16 août à Sart-Risbart, au cours d'une escarmouche, l'étendard du régiment est tombé aux mains de l'ennemi. Bastin, dans sa fougue irrésistible, rassemble quelques cavaliers volontaires et se porte vers l'ennemi pour reprendre l'emblème. Ses hommes se sacrifient sous le feu des mitrailleuses et Bastin, blessé, est écrasé sous son cheval mort.

       Il évoqua plus tard cet épisode ;

       ... je revois la chevauchée sous le feu des mitrailleuses, le choc et la dégringolade du talus, à travers les rangs de mon peloton. Je revois la patrouille allemande venant se rendre compte des résultats du tir. Et puis c'est le transport, la cure de Sart-Risbart où je retrouve van Innis, l'ambulance, Hannut, l'hôpital de Bavière à Liège...

       Il est soigné correctement par les services du front et évacué vers l'Allemagne où les blessés sont accueillis par les huées de la population.

       Pendant trois années, Jules Bastin va subir une captivité rendue plus dure par ses nombreux séjours en prison suite à ses tentatives d'évasion, dont la dixième sera finalement couronnée de succès.

Première tentative à Magdebourg

       Dès son internement à Magdebourg, il pense à s'évader, à se procurer des vêtements civils, à pratiquer l'allemand, à s’entraîner physiquement, à étudier les habitudes de la garde et à se procurer de l'argent allemand.

       Fin mars 1915, un officier russe lui propose de s'associer à sa tentative en se cachant dans la chapelle avec deux autres Russes. La chapelle jouxte les barbelés qui séparent le camp d’un vaste domaine ferroviaire. Jules et les deux Russes vont se laisser enfermer dans la chapelle et puis s’y cachent dans un tas de décombres qui se trouve entassé à l’arrière de la chapelle. Jules à tout prévu. Quand le dernier fidèle quitte les lieux et que le garde a fermé la chapelle, les candidats à l’évasion s’extraient des décombres et se dirige vers un vasistas qui donne sur l’étroit chemin qui longe les barbelés. Avec le tournevis prévu de longue date, le vasistas est ouvert et Jules parvient, non sans peine, à se glisser dans l’étroite ouverture et se laisser tomber sur le chemin. Ensuite c’est un jeu pour lui de traverser les barbelés pour se retrouver au milieu du domaine ferroviaire. Il arrive ensuite à la gare, se dirige vers le guichet et demande son ticket :

       – Berlin zweiter Klasse !

       Jules s’aperçoit d’un certain étonnement du guichetier. Il comprendra vite l’étonnement provoqué par ses trois mots en écoutant les voyageurs se succédant au guichet. En fait, les Allemands omettent de dire « Klasse » et disent simplement « Berlin zweiter ». Il ne fera plus jamais cette erreur qui peut le faire prendre pour un étranger !



       Le voilà dans l’express de Berlin. Changement de gare à Berlin pour à pied la station d’où l’on peut partir vers Lubeck. Le voyage se fait en train-couchettes ! En achetant le billet, il bredouille et de peur d’être arrêté, fuit la gare et va passer la nuit à l’hôtel « Lelrer Hof » sous un faux nom. Le demain, Jules plus sûr de lui, parvint à ne pas attirer l’attention en achetant son titre de transport. Il parvint à Lubeck puis y rejoint un hôtel. Le jour suivant, il se met à chercher dans le port un bateau en partance pour le Danemark. Les propriétaires sont méfiants. Finalement il trouve un bateau « Le Star » sont le capitaine accepte de l’embarquer mais il lui faut patienter une semaine. Jules décide alors de descendre dans un hôtel de premier ordre et de patienter. Le portier du « Kaiserhof  » lui donnera la meilleure chambre.  

       Un client qui a les moyens ne devrait pas attirer l’attention. Quelques jours plus tard, le voilà qu’il se représente au capitaine du « Star », prêt à prendre la mer mais ce dernier a changé d’attitude et refuse de l’embarquer de peur de sanctions. Jules est alors obligé de trouver un nouveau plan : rejoindre à pied la frontière avec le Danemark et sur la côte allemande proche de l’île Danoise de Fionie, essayer de trouver un maître-pêcheur qui peut l’y débarquer. Le voilà à nouveau dans un train pour atteindre Haderslebeb.

       Malheureusement, lors de l’arrêt de Tinglef, un sous-officier réclame l’ausweiss. Jules tente de s’expliquer mais rien n’y fit et, à Hadersleben, l’arrêt suivant il est conduit à la Kommandatuur ! Peu après, on le retrouve purgeant sa punition d’évadé à Magdebourg dans l’Arrenstanstalt. Après 14 jours de prison, il est ramené le 25 avril 1915 au Wagenhaus où il retrouve ses amis russes qui eux ont été repris en Bohème. A la suite de cette évasion, des mesures sont prises pour renforcer la sécurité du camp. Parmi les mesures, il y a le remplacement du commandant du camp qui était un sous-officier par un capitaine !



Deuxième évasion de Magdeburg

       Quelques jours plus tard, en mai, alors qu'il est encore en possession de ses vêtements civils, il réussit à s’échapper. Depuis plusieurs jours, avec des codétenus, il déambule pour finalement aller jouer aux cartes près de la clôture. La garde voit maintenant cet endroit comme un terrain de jeux et ne fait plus trop attention aux détenus qui s’y arrêtent. Derrière la clôture, à cet endroit, il existe un buisson où l’on peut s’abriter à l’abri des regards avant de franchir une dernière palissade. Le jour choisi, au cours d’une de ces parties de cartes, il se glisse sous les fils sectionnés par ses camarades les jours précédents. Il se glisse ensuite dans le buisson puis franchit la palissade au bon moment. Le voilà à nouveau libre. Jules prend le train pour Berlin et là trouve une correspondance pour Cologne et Euskirchen. Il n’est plus qu’à cinquante kilomètres de la frontière belge. Commence alors pour lui une longue marche à la boussole. Epuisé, Jules atteint Monschau (Montjoie), proche de la frontière belge. La nuit, il est surpris par un soldat et un veilleur de nuit. Il est trois heures du matin et Jules arrive à convaincre le duo qu’il est un compositeur cherchant l’inspiration en venant de nuit écouter le bruit du torrent. Finalement, les deux Allemands le conduisent dans une auberge pour y passer la nuit. Ses explications n’avaient sans doute pas convaincus totalement les deux membres de la ronde nocturne car le lendemain matin, deux militaires l’attendaient dans la salle à manger ! Ils l’arrêtent. Sur ces entrefaites, l’hôtelier accourut et craignant pour ses sous lui réclama son dû !

3ème évasion

       Cette fois la peine pour l’évasion est de trois semaines à l’Arrestanstalt (maison d’arrêt) de Magburg. De retour dans la forteresse, il apprend que son évasion a créé de l’émoi chez ses gardiens et que le capitaine qui commande le camp a été muté et remplacé par un colonel.

       Jules est, peu après, déplacé à Torgau sur l'Elbe, où sont rassemblés des prisonniers récidivistes de l'évasion. Cette fois, Jules programme une évasion pour atteindre la frontière hollando-allemande au nord du Rhin.





       Mais il faut d'abord sortir de la forteresse. Un petit bâtiment interdit offre une issue au-delà de la clôture. Il s’agit alors de pénétrer dans celui-ci puis de là se précipiter dans un angle mort puis grimper le talus et se laisser glisser dans le fossé d’escarpe avant de gagner la caponnière et d’escalader la contrescarpe. La tentative échoue dès les premiers instants.  Bastin et son ami John van Innis se retrouvent punis à l’Arrestanstalt de Torgau.

4ème tentative

       Jules Bastin entretient sa condition physique en faisant une demi-heure de gymnastique suédoise.

       Après quelques jours, Jules et son ami John van Innis conviennent d’un nouveau projet, celui d'un souterrain débouchant à proximité de l’enceinte.

       Pendant trois mois ils vont réussir l’exploit de construire un tunnel étançonné de 25 mètres tout en évacuant sans se faire remarquer les déblais. L’étançonnage est réalisé avec des briques provenant d’un petit bâtiment dont l’édification était interrompue.



       Quand l’entrepreneur reprendra les travaux, il constata le vol d’une partie de ses briques. Le major Bennert, commandant du camp réunit à cette occasion tous les officiers de Zinna et leur clama son indignation. Le 19 janvier 1916, tout est prêt. Trois candidats à l'évasion s’introduisent dans le tunnel, soulèvent précautionneusement la trappe qui le ferme provisoirement et se réfugient dans une fausse poterne en attendant la relève de la sentinelle.

       Un bruit léger a cependant alerté une sentinelle et les fugitifs sont repris.

5ème tentative

       Tout ce qui comptait d’officiers allemands allèrent visiter le lendemain la chambre d’où partait le tunnel. Pour Jules c’est cinq mois de peine disciplinaire et un procès pour haute trahison. Les Allemands voulaient lui faire avouer que le matériel (boussole, torche, pince etc..) qui fut retrouvé sur lui provenait d’un dénommé Shubbe, employé militarisé du fort de Zinna. Finalement Jules est acquitté et Shubbe écope de trois mois de prison pour un motif qui n’a rien à voir avec la trahison.

       Jules est ensuite transféré à Burg, 25 kilomètres à l'est de Magdebourg dans un camp de huit cents officiers de toutes nationalités et réputé inviolable.

       Il tente à nouveau l’évasion en juillet 1916. Il profite du changement des paillasses qui leur servent de matelas et se cache dans une des paillasses transportées en dehors du camp en un lieu où l’on renouvellera la paille doit être renouvelée. Il attend ensuite la nuit pour s’extirper de la paille et se dirige alors vers Magdebourg. Il embarque alors dans un train en partance pour Hanovre et où il passera une nuit de repos dans un hôtel. Le lendemain, un deuxième train le conduit à Hamme. De là, il se dirige à pied, vers la frontière hollandaise. La marche se fait de nuit pendant plusieurs jours. Jules est épuisé par la fatigue mais aussi par la faim et la soif. Sur le point d'atteindre la frontière, à Klost-Burlo, il tombe nez-à-nez sur une sentinelle qui l'arrête. Il est ramené en prison pour un mois et ensuite transféré au fort Zorndorf à Küstrin-sur-Oder, fort d'où paraît-il, il est impossible de s’évader !



6ème tentative

       Bastin s'associe alors avec deux officiers anglais pour combiner une nouvelle tentative en janvier 1917 par un temps de neige. Il s’agit de se faire enfermer dans la chapelle le jour, d’en sortir la nuit et de franchir le fossé le lendemain matin. L’enfermement se passe sans accrocs et à l’aube, après avoir évité les sentinelles, les trois prisonniers sortent facilement de la chapelle par la porte qui avait été trafiquée lors des jours précédents. (le bas de la porte sous la dernière traverse la fermant de l’extérieur a été scié et ne tient plus que par une planchette transversale).



       Ils emploient ensuite une échelle de fortune fabriquée par le célèbre pilote français Garros[2] pour franchir les murs des fossés du fort. L’échelle avait été fabriquée à partir de fauteuils de jardin procurés contre paiement.



       Au nombre des évadés devait se trouver Garros mais le 7 janvier, on lui avait communiqué sa mutation. C’est donc sans lui que le 15 janvier 1916, Jules et deux officiers britanniques tentent l’aventure. Au moment où ils atteignent le sommet de l’escarpe, les évadés sont surpris par les porcs à qui l’on vient donner à manger dans le fossé juste à l’endroit prévu pour dresser l’échelle.



       Les candidats à l’évasion ne peuvent plus alors compter sur le moment idéal du changement de la garde ! Dans une tentative désespérée, ils essaient de dresser leur échelle à un autre endroit que celui de la porcherie mais Jules se fait prendre alors qu’il arrive péniblement en haut de l’échelle. Les évadés sont envoyés à la cellule de la prison de Küstrin.



7ème évasion

       Bastin ne se laisse pas décourager. Pendant plus d’un mois il scie patiemment un barreau de traverse de la fenêtre de sa cellule avec un simple canif, sort de celle-ci, franchit une palissade, mais est surpris dans la rue par des soldats.

8ème évasion

       Il est à nouveau condamné à plusieurs mois de prison et doit purger le dernier mois de sa peine dans un fort à Kônigsberg en Prusse orientale. Au mois de juillet 1917, il est transféré à Ingolstadt en Bavière au fort IX, où il retrouve de nombreux officiers ayant tous plusieurs évasions à leur actif et désireux de recommencer. Les dernières tentatives se sont soldées par des échecs. Six officiers français et deux belges, Kick et Callens, déguisés en soldats parvinrent à quitter le fort sous prétexte de corvée mais le douzième jour, éclopés, épuisés ; gelés ; affamés, ils furent encerclés par des chasseurs et ramenés au fort IX. Peu de temps après, Kick et deux Anglais mettent à profit la glace qui recouvre les fossés. Au but de quelques jours ils sont repris. Le fort est commandé par un officier bon enfant, le capitaine Bechert qui se targue d’endiguer les évasions en étant très amical avec les officiers prisonniers. C’est ainsi que le 11 avril, Bastin est autorisé à faire l’achat d’une paire de souliers en ville sous la surveillance d'une sentinelle. Il réussit à s'échapper d'une parfumerie puis atteint à pied Eichstädt, rejoint la gare où il s’embarque dans le train pour Nüremberg d’où il rejoint Cologne puis Aix-la Chapelle.

       Le fugitif prend ensuite un tramway jusqu'aux limites de la ville puis marche la nuit vers la frontière hollandaise en contournant les localités suivant le plan que le lieutenant Terlinden lui avait remis. Arrivé à la clôture de la frontière, un peu au-delà du village de Laurentsberg, il soulève les deux fils inférieurs et les accroche aux autres. Les fils sont très tendus mais quand Jules s’apprête à passer, ils se décrochent avec fracas. Le bruit alerte deux soldats qui n’ont plus qu’à cueillir l’évadé qui tente vainement de se faire passer pour un contrebandier. Jules est ramené à Ingolstadt.



9ème tentative

Un homme de garde est corrompu par le lieutenant Wagner qui use excellemment de la langue de Goethe. Le soldat échange le mot de passe contre un gros paquet de chocolat. Des uniformes allemands sont confectionnés et des vieux bonnets de police et une casquette de sous-officier sont obtenus de la même façon que le mot de passe. Un groupe de trois prisonniers, dont notre Jules, réussit à sortir du fort en criant « Aufmachen » puis en citant « Metz » le mot de passe. Ils se débarrassent de leurs uniformes et vont prendre le train à la gare. Malheureusement le train est arrêté en route et la vérification des papiers les fait découvrir. On ne connaît pas le sort des soldats allemands qui se sont faits acheter !



10ème tentative



Bastin s'associe alors avec un officier français, Lombard qui a découvert un lanterneau donnant sur le parapet du fort. Le lanterneau est descellé et le ciment est remplacé par de la mie de pain. Le jour de l’évasion, à 8 heures du soir, Lombard et Bastin escalade la cheminée d’aération et défont le lanterneau pour se hisser sur la parapet.



       Reste à franchir le fossé rempli d’eau glacée mais Bastin s’est entraîné à supporter le contact avec l’eau glacée. Les évadés se laissent alors glisser dans l’eau, tirant un paquet imperméable contenant leurs vêtements. Une sentinelle est alertée et un feu nourri est ouvert sur eux. Lombard s’abat sur la crête du glacis et Bastin disparaît mais lui continue en essayant d’échapper aux chiens. Complètement gelé, il avale toute une bouteille de rhum pour se réchauffer avant de se mettre en marche pour atteindre Pfaffenhoven d’où il prend le train vers Münich. Il rejoint ensuite, toujours par le train, Aix. Maintenant, le terrain est connu, il suffit à Jules de refaire son itinéraire précédent. Il se retrouve vite près de l’endroit où il fut arrêté quelques mois plus tôt. Il rampe jusqu'à la place qu'on lui avait montrée, échappe à une ronde et parvient à la clôture de la frontière. De ses mains, il creuse un passage de trente cm sous celle-ci. Il se déshabille et franchit le tunnel en poussant ses vêtements devant lui. Rhabillé, il découvre alors une seconde barrière moins haute qu’il franchit aisément. Les bras en croix, il se laisse alors choir : il est en Hollande !



       Comble de bonheur, à Sittard, quelques heures plus tard, il a la joie de retrouver Lombard, l’officier français avec qui il s'est échappé.

       A Maastricht, Jules recevra une drôle de récompense à son courage ! Il fait la connaissance de deux réfugiées une dame belge et sa fille. Il leur confie qu'il s'est évadé d'Allemagne et qu'elles étaient les premières Belges qu'il rencontrait. La jeune fille, Mlle Mathot deviendra plus tard Madame Jules Bastin !

De retour sur le front belge.

       Bastin se retrouve le 2 décembre 1917 à Calais. Il est examiné par le Service médical qui constate qu'il est atteint d'anémie suite au régime débilitant auquel il a été soumis.

       Après sa convalescence, il reprend du service au 1er Chasseurs à cheval et participe le 6 mars 1918 au combat de Reigersvliet. Pour éviter qu'il ne retombe aux mains des Allemands, Bastin est muté au 1er régiment d'artillerie avec lequel il termine la guerre.

       Il est fait chevalier de l'Ordre de Léopold avec palmes et Croix de guerre, avec la citation suivante :

“ A été fait prisonnier, blessé sous le cadavre de son cheval. Guidé par un sentiment patriotique élevé, n'a cessé dans les conditions les plus pénibles et dans des circonstances parfois tragiques de tenter de s'échapper, ne s'est laissé rebuter par aucune difficulté et malgré les dangers constants auxquels il s'exposait a tenté neuf fois de rejoindre la frontière. Après une dixième tentative des plus pénibles, a réussi à rejoindre l'armée de campagne où il a immédiatement repris du service aux tranchées. ”

Entre les deux guerres.

Après la guerre, Jules Bastin retourne à la cavalerie puis suit les cours de l'Ecole de guerre dont il sort breveté d'état-major en 1923. En 1936, il devient sous-chef d'état-major du Corps de cavalerie à la motorisation duquel il se consacre. En 1939, au cours de la mobilisation, il commande pendant quelques mois le 1er régiment de Lanciers à Spa.

       Ses officiers sont fiers de servir un tel chef, auréolé de ses exploits de 1914-1918.

       Pendant les heures de détente, au mess, les officiers de son état-major le harcèlent pour entendre de sa bouche le récit de ses évasions. Un jour ayant perdu une partie de dés, il doit céder à leurs exhortations et il leur conte un épisode que sa modestie l'avait empêché de rapporter dans son livre.

       En août 1914, c'était en essayant de récupérer l'étendard du régiment tombé entre les mains de l'ennemi, qu'il avait été blessé et fait prisonnier.

       Hanté par le regret de n'avoir pu le faire, il forma le projet de reprendre l'emblème. Il apprit que les drapeaux pris à l'ennemi étaient gardés dans l'arsenal de Berlin. Au cours de l’une de ses deux premières évasions, il passa par cette ville et durant toute la nuit il s'efforça vainement de s'introduire dans l'arsenal.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale

       Après quelques mois de commandement du 1er Lanciers, il est nommé chef d'état-major du Corps de cavalerie avec lequel il fait la campagne des Dix-huit jours et reçoit la citation suivante : “ Pénétré de la plus haute conception du devoir, doué d'une remarquable énergie, a été au cours des journées du 10 au 15 mai 1940, dans l'exercice de ses fonctions commandement, se signalant par sa bravoure, son activité, son esprit d'initiative. ”

       A la capitulation de l'Armée belge, Bastin se dirige vers Dunkerque, réussit à s'embarquer pour l'Angleterre puis rejoint la France avec l'espoir de continuer la lutte. Finalement, il opte pour le retour en Belgique et en octobre 40 rentre en Belgique pour occuper le poste de chef du service des colis des prisonniers de guerre, service qui dépend de la Croix-Rouge de Belgique. Il est évidemment l’homme de la situation pour avoir connu si longtemps les camps allemands durant la Première guerre mondiale. Il entre aussi en contact avec les pionniers de la résistance belge, le colonel Lentz, président de l'Union des officiers de réserve (UNOR) et le commandant Claser qui créent la  « Légion belge ».

       Par son renom au sein du milieu militaire, Jules parvint à recruter de nombreux militaires démobilisés des régiments de cavalerie et des régiments d'infanterie de Bruxelles pour former « la réserve mobile de la Légion belge ». En décembre 42, c’est finalement Jules qui est reconnu par le gouvernement belge comme étant le chef de toute la résistance belge. Il essaie alors de fédérer les différents mouvements de résistance au sein d’un mouvement qu’il appellera « l’Armée de Belgique » et qui deviendra ensuite l’ »Armée Secrète ». Bastin organise son commandement militairement, met en place des commandants de zone, de province, de secteur, se constitue un état-major central de tout premier ordre...

       L’Abwehr cependant infiltre son organisation par l’intermédiaire d’un belge dénommé Aal à la solde des Allemands. L’organisation allemande parvient à faire passer un faux message de Londres indiquant que des agents britanniques sont chargés de contacter les chefs de la résistance au cours d’une réunion qui doit se tenir le 27 avril 1943 au Thier de Robermont. Le guet-apens fonctionne. Les Allemands font irruption dans la salle de réunion. Le chef d’Etat-Major de Jules Bastin, le colonel Adam est abattu tandis que lui-même, le colonel Siron, les capitaines Van Nooten et Quinet sont emprisonnés à Saint-Gilles. Bastin parviendra tout d’abord à convaincre les Allemands de son innocence en leur donnant une liasse de documents anticommunistes et donc en les convainquant qu’il ne poursuivait pas la lutte contre les Allemands. La ruse ne donna cependant qu’un petit répit à notre héros. Relâché en juillet, il fut à nouveau arrêté le 25 novembre et envoyé au camp de Gross Rosen avec les capitaine Van Nooten et Quinet. Tous y décédèrent. Quant au colonel Siron, resté en traitement à Etterbeek pour sa blessure encourue lors du guet-apens, il sera mortellement touché le 7 septembre lors du bombardement des casernes, à ce moment-là occupées par des unités SS.

       L’organisation de la résistance belge effectuée par Bastin perdurera malgré le guet-apens de Robermont et la saisie de nombreux documents à cette occasion. Le colonel Gérard reprit le commandement mais le passa rapidement au général Pire. C’est cet officier qui eut le grand mérite de garder l’Armée Secrète en activité jusqu’à la libération.

       Jules Bastin est resté un héros jusqu’au bout. Dans la prison de Saint-Gilles, comme vingt ans auparavant, il prépara son évasion et par les contacts qu’il avait sur place, parvint à suivre l’enquête à laquelle étaient mêlés plus de 70 officiers et auxquels il conseilla même une ligne de conduite.

       Au bout de deux mois à Saint-Gilles, il avait réussi à rassembler tout son matériel : fausses clés, échelles télescopiques en aluminium, échelles de corde. Les complicités nécessaires étaient assurées, et une auto silencieuse l’attendait pour l'emmener reprendre son commandement. Malheureusement Jules fut emmené en Allemagne avant la date fixée pour l’évasion, date choisie pour avoir une nuit sans lune.

       Le train qui l’emmène vers l’Allemagne s’arrête à Verviers. Le colonel Bastin aura l'immense joie de pouvoir étreindre une dernière fois sa fille qui réussit, malgré la garde, à monter dans le wagon. Le 7 février 1944, Bastin et ses compagnons sont au camp d'Esterwegen, le 10 mars à Gross-Strelitz, le 30 octobre à Gross-Rosen.

       Le premier décembre 44, âgé de 55 ans, épuisé, il s’éteignit, entouré plusieurs de ses compagnons. Deux mois et demi après, le camp était libéré. Il avait hébergé 125.000 prisonniers. 40.000 y moururent.

       En 1948, la 88e promotion (toutes armes) de l'Ecole royale militaire reçut le nom de “ Général Jules Bastin”. A Spa, devant la villa qui fut le siège de l'état-major du 1er Lanciers, un monument a été érigé à la mémoire de celui qui fut le chef de corps du régiment en 1939, le colonel BEM Jules Bastin.

                                                                                      Article rédigé en ce mois d'août 2019

                                                                                                          Dr Loodts P.

 

 

 

 

 

Source:

      1) Le journal d’un évadé de Guerre, Lieutenant J. Bastin, Imprimeries nationales des militaires mutilés et invalides de la guerre, Liège, 1936

      2)  A. Crahay ,'' 20 Héros de chez nous '' paru aux éditions J.M. Collet

      3) FREEBELGIANS

      4)  Général H. Vanvreckom, l’Armée Secrète, Editions J.M collet, 1985

 


 

 



[1] Le témoignage du général français Goys de Mézénac

Le général français de Goys de Mézeyrac, président de l'Union française des évadés de guerre, fera dans la préface du livre du lieutenant Bastin  une magnifique description du caratère du lieutenant Bastin :

“ Le journal du lieutenant Bastin, nous offre un magnifique exemple de courage, de volonté, d'énergie, de persévérance.
A ces titres divers, il était nécessaire que ce journal ne sommeille pas plus longtemps dans les tiroirs personnels du jeune lieutenant devenu aujourd'hui colonel. Il fallait que la jeunesse puisse connaître cette lutte ardente livrée pendant plus de trois années par un officier prisonnier de guerre pour reconquérir sa liberté. Cette lecture est passionnante. Elle exalte chez le lecteur les plus nobles sentiments, elle est hautement éducatrice. Remercions donc l'auteur d'avoir rompu son silence, félicitons ceux qui surent le décider à publier son journal d'un évadé de guerre. ” (…)

“ ... D'autres prisonniers sont animés par une âme plus ardente. Ils ont confiance dans la force morale et physique qui peut venir à bout de tous les obstacles, ils sont enflammés par la passion de reprendre la lutte pour la Patrie. Ceux-là sont obsédés par l'idée de l'évasion. Dès leurs premiers jours de captivité toutes leurs pensées, tous leurs rêves, tous leurs actes sont tendus vers ce but. Ils entraînent quotidiennement leur corps pour le durcir aux épreuves souvent extrêmes que comporte l'évasion. Ils familiarisent leur esprit avec le danger qu'il faut courir pour escalader le mur d'une prison encerclée de sentinelles, pour franchir une frontière garnie de fusils et de fils de fer barbelés, souvent électrifiés. Ah, qu'il paraît doux de rester dans la prison, quand dehors souffle la bise de l'hiver, quand il faudra marcher des centaines de kilomètres, coucher sans abri, à peine vêtu, sur le sol gelé, se réveiller claquant des dents et les membres glacés et tremblants.

Il faudra cheminer la nuit en évitant les routes, se jeter de forêts en forêts comme les bêtes. On sera traqué, on aura faim, on souffrira, on risquera sa peau. Ah oui, que la prison semble douce au moment de s'élancer ainsi à la conquête de la liberté

Que les chances de réussite paraissent infimes ! Et l'on hésite au moment de se lancer hors de la prison, sous le feu des sentinelles. Et la lâcheté, mauvaise conseillère, vous murmure doucement à l'oreille : Reste... ”
(…) “ en lisant Mes dix évasions, de Bastin, vous constaterez une bravoure inouïe, ajoutée aux calculs les plus perspicaces pour tromper l'adversaire et augmenter les chances.

Vous constaterez aussi que Bastin ne fut jamais un résigné, que toute sa vie de prisonnier ne fut qu'une lutte pour l'évasion. Qu'à peine capturé près du but, en dépit d'un découragement bien compréhensible, il se jure de recommencer sur-le-champ avec une ardeur accrue. Sa volonté, son énergie sont de fer. Dix fois il recommencera.
Il est admiré par tous ses camarades. C'est un entraîneur d'héroïsme.

J'ai connu Bastin au Fort IX à Ingolstadt. Il y arrivait alors que pour évasion, je purgeais un mois de prison hors du fort dans un cloaque empuanti des bords du Danube. Aussitôt mon retour au Fort IX, le 23 juillet 1917, j'apprenais par la rumeur publique qu'un officier belge, un rude gars, était arrivé en mon absence, auréolé d'un très grand nombre d'évasions dramatiques, presque toujours conduit à la frontière allemande ou à proximité. Une réputation aussi vite établie dans le camp spécial du Fort IX, où était réunie la fine fleur de l'évasion de toutes les armées alliées, méritait attention. Aussi je m'empressai de faire la connaissance de Bastin... ”

“ Le 25 novembre 1917, à Rotterdam, je retrouvais Bastin. Tous les renseignements qu'il m'avait donnés sur le parcours avaient été rigoureusement exacts. C'est pourquoi je lui ai voué une reconnaissance profonde et je suis heureux de le lui dire en préfaçant son magnifique journal. Et nombreux sont ceux qui, par ma plume, lui expriment la même reconnaissance, car quantité d'évadés des armées alliées, renseignés par lui, purent ainsi reconquérir leur liberté et à nouveau servir leur pays. ”

[2] Garros parviendra finalement à s’évader pour entreprendre sa dernière et fatale chasse.

 



© P.Loodts Medecins de la grande guerre. 2000-2020. Tout droit réservé. ©