Médecins de la Grande Guerre

Traitement radical pour un froussard.

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L’article a été tiré de ce journal.- Het artikel werd uit deze krant getrokken.

Traitement radical pour un froussard.

 

     La nuit tombait, ce soir là, lourde de menaces dans le secteur des « Tanks à Pétrole » où la N’ème Cie du 2ème de Ligne « tenait » depuis près de cinq mois. Nuit d’automne 1916, d’une trompeuse tranquillité, dont chacun de nous connaissait le danger.

     On appréhendait le moment où il faudrait, comme d’autres soirs semblables, franchir le parapet avant d’entrer dans la nuit noire pour aller quérir cette vieille terre qu’il fallait mettre en sacs afin qu’elle nous protège. Fertile terre de Flandre, privée brusquement de son inlassable fécondité et qui, détrempée d’eau et de sang, dans un don ultime devenait le dernier rempart de l’homme devant la mitraille.

     C’était un travail extrêmement périlleux que la reconstruction de ce fameux boyau « A », chaque soir il coûtait des vies humaines et chacun de nous ressentait cette appréhension du danger de mort lorsqu’une voix annonçait le rassemblement pour la reprise des travaux.

     La nuit était complètement venue, les hommes chargés de cette « Corvée de sacs » reprirent leur rude et pénible tâche, les silhouettes se dressaient, franchissaient une à une le parapet, et entraient dans la nuit. La 1ère section déjà avait franchi ce passage redoutable. Après un moment, ce fut au tour de notre section. Soudain, un petit jass, vrai moustique s’approcha du chef de peloton. On devinait une face tendue par une volonté obstinée, puis une voix que l’émotion rendait méconnaissable, dit :

     «  - Je ne peux pas, mon Lieutenant, je suis malade. »

     L’officier semblait interdit par cette déclaration peu fondée, il en référa au Commandant de Compagnie, qui interrogea l’homme avec cette voix brève, qui sous ses intonations rudes cachaient l’attachement qu’il portait à ses hommes :

-          « Qu’est-ce que c’est ? »

La voix brisée par l’énervement poussé au paroxysme gémit :

Je ne peux plus... Je ne peux plus.

Et de nouveau, la voix du chef :

-          « Allons donc, il faut faire comme les autres. Pas d’exception, il faut « marcher »...

Puis, en écho, la lamentation entêtée du petit soldat, victime d’un moment de défaillance :

-          « Je ne veux plus, je ne veux plus... »

Alors, brusquement, élevant la voix, le capitaine grogna :

-          « Va-t-il falloir que je me fâche ? »

     Et comme « Moustique » s’obstinait encore, alors que toujours il avait été un bon soldat, ce fut la silhouette du chef qui se redressa de toute sa grande taille, et empoignant le « moustique », il le lança à la volée par-dessus le parapet, en moins de temps que le petit gars n’aurait mis à le franchir. On entendit un « plouff » aquatique, puis, reprenant son self-contrôle, le « moustique » se remit sur ses pattes, et ...ce soir là, personne ne fut blessé pendant la reconstruction boyau « A »...

 

     Vingt ans après ... A une réunion d’anciens ... – Les silhouettes se sont alourdies, les têtes sont grises, voire même chauves ... mais, le « Moustique » a conservé son impeccable petite « ligne » ...

     On raconte, en buvant des « pots », des histoires de guerre ...

     Moustique, que quelques « demis » bien tassés ont mis en verve, bourdonne ... l’heure avance, il est tard dans la nuit... Brusquement, dans un élan de lyrisme, le « moustique » clame tout haut son attachement à son ancien commandant. Malgré le temps écoulé, malgré les nombreux « demis » qui le font voir trouble, il se rappelle ce soir d’Automne 1916 ... – Il na raconte pas l’histoire, il la résume par cette merveilleuse conclusion, appuyée d’un geste large :

-          « Il » m’a sauvé du Conseil de Guerre »...

     Et sur cette vérité, si simple ; si grande, satisfait d’avoir exprimé sa gratitude, « Moustique » d’un pas incertain nous quitta ...

C’est signé X.                                                      

 

  

       



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