Médecins de la Grande Guerre

Vera Brittain, témoin exceptionnelle d’une génération sacrifiée

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Vera Brittain, témoin exceptionnelle d’une génération sacrifiée

Dédié à une infirmière, ma chère belle-fille Mélanie, qui m’a fait découvrir l’histoire émouvante  de Vera Brittain.


Vera Brittain

Vera Brittain (1893-1970) et les trois mousquetaires

       Vera Brittain est une jeune fille choyée par la vie. Issue d’un milieu aisé, son père après de nombreuses discussions, a fini par accepter que sa fille passe le concours pour rentrer à Oxford au collège de Sommerville pour étudier la littérature.  Elle est une des rares jeunes filles à accéder ainsi à l’enseignement supérieur. Intelligente et jolie, autour d’elle gravite  un groupe de jeunes hommes  férus comme elle de littérature et dont  le pilier est  son cher frère Edward pour qui Vera voue une admiration sans bornes.  Font partie de ce groupe d’amis surnommé « les mousquetaires », son frère Edward,  Roland  Leighton qui deviendra son fiancé et  Victor Richardson, étudiant en médecine.  Geoffrey Thurlow se joindra plus tard à eux.


Edward, Roland et Victor en 1915

       La guerre éclate et vient rompre la vie privilégiée et insouciante de ces étudiants. Après la défaite de l’armée de métier à Mons, un patriotisme exacerbé pousse la jeunesse à s’engager  dans la nouvelle armée créée par Kitchener.  Edward Brittain est l’un des premiers à s’enrôler. La guerre devrait disait-on alors être courte et Edward craint de perdre l’occasion d’y participer s’il ne s’engage pas sur le champ.  Son père s’oppose tout d’abord à son choix mais Vera parvint à convaincre le chef de famille de laisser son fils partir. Un  après l’autre,  les quatre jeunes gens  s’engagent la  laissant finalement seule à Oxford !  Vera ne se contentera pas de la correspondance avec son frère Edward et son fiancé Roland. Elle désire participer aux sacrifices demandés à la nation et s’engager comme infirmière ce qui lui permettra aussi de pouvoir se rapprocher du champ de bataille français où pataugent dans la boue les jeunes gens qui lui sont chers.

Vera Brittain, infirmière

       Durant l’été 1915, Vera travaille comme élève infirmière au Devonshire Hospital de Buxton où elle soigne des soldats en revalidation puis elle rejoint en novembre le VAD (Voluntary Aid Detachment) en novembre 1915 pour œuvrer au sein du  First London General  Hospital. Voici ce qu’elle écrivit à son fiancé après quelques jours de travail dans cet hôpital.

«  J’ai aujourd’hui un seul souhait pour cette vie  et c’est la fin de cette guerre. Je me demande comment es-tu devenu après tout ce que tu as vu et vécu. Personnellement, après avoir vu ici tant de choses affreuses, je ne serai plus jamais la même et je me demande si, après la guerre, je pourrai encore pouvoir rire. Un jour de la semaine passée, après avoir assisté à une terrible amputation, je suis sortie de la salle d’opération, les mains encore couvertes de sang, avec un esprit si en révolte contre la cruauté de la guerre que je souhaitais ne jamais  être née ! (…) Aujourd’hui est le jour de visite et les parents d’un garçon de 20 ans qui paraît en avoir 16 arrivent de leur pays de Galles pour le voir ». Il a perdu un œil, a été trépané et souffre de 14 autres blessures. Les parents ne l’ont plus vu depuis qu’il est parti au front. Je n’ai jamais vu un corps si délabré. Comme j’ai peur de les regarder au moment où  ils reverront leur fils pour la première fois ! »

       En septembre 1916, Vera est envoyée à Malte au St George’s Hospital.  Elle y restera jusqu’en mai 1917 puis rompra son contrat et retournera chez elle.  Après avoir été au chevet de Victor Richardson, elle demandera à reprendre du service et fut désignée pour le 24 th General  Hospital  à  Etaples où elle arrivera le 3 août 1917. Elle y restera jusqu’à la fin de la guerre. Vera y soignera notamment des blessés allemands dans une salle qui leur était réservée. Cette expérience la convaincra de l’inanité de la diabolisation de l’ennemi et de la commune humanité des jeunes soldats quel que soit leur camp et sera à l’origine du pacifisme militant dans lequel elle s’engagea activement dans les années trente et quarante.

The German Ward

Quand les années de guerre seront terminées L’image que je garderai intacte,
Parmi tous mes souvenirs du temps de guerre
Sera celle de la salle dans laquelle
Gisaient les blesses allemands
.

Je verrai la pâleur de leurs visages et leurs regards mêlés de crainte
J’entendrai une fois de plus leurs gémissements rauques et leur respiration laborieuse
Et je me rappellerai leurs plaintes si lourdes, les cris qui les épuisaient,
La vue et les odeurs du sang, des blessures et de la mort.

Je les verrai encore arriver en convoi, recouverts de couverture et déposés sur le sol
Avant que n’arrivent les brancards pour les transporter
Dans la salle d’opération aux portes béantes
Dont on voyait la lumière scintiller sur les couteaux et les flacons. 

Je verrai toujours l’infirmière avec sa grâce juvénile,
Son humour, sa sagesse et son sourire,
Mais dont le visage exprimait l’histoire de trois ans de guerre,
La lassitude d’une ère de labeur incessant.

Je penserai comment j’ai travaillé pour elle,
Avec tant d’énergie, de cœur et d’esprit
Émerveillée de son courage et de son caractère,
Et comment l’ennemi mourant bénéficiait de sa tendresse.
Cachée derrière son incroyable volonté.

Et comment j’appris là que la pitié humaine
S’adressait aussi bien à un ami qu’à un ennemi.
Lorsque l’heure la plus sombre arrive,
Que même ceux qui tuèrent notre amour,
Puissent trouvent aide et pitié là où ils arrivent
Quand doucement ils s’éteignent !

Oui, bien qu’une grande partie de tout cela sera oublié
Lorsque les bruits de la guerre et les jours de deuil appartiendront au passé,
Je verrai toujours l’amour agir en temps de guerre
Dans la salle ou reposaient les ennemis blessés.

Vera Brittain (Traduction Dr Loodts)

       Durant sa vie d’infirmière,  Vera fut complètement immergée, pour ne pas dire noyée, dans la souffrance des jeunes soldats qu’elle soigna. Les nouvelles du front ne la consoleront pas et lui apporteront du chagrin en crescendo en lui faisant connaître, mois après mois, les fins dramatiques des trois mousquetaires et leur ami Geoffrey Thurlow. 

Vera Brittain perdit d’abord son fiancé, Roland Leigton (1895-1915), tué à l’ennemi.


Roland Leigton

       Roland était parti sur le front de l’Yser le 31 mars 1915. Il était un poète de talent comme le montre ce poème envoyé à Vera en avril 1915. Le poète ne comprend pas pourquoi les bleuets du bois de Ploegstert  (les Anglais déformeront ce nom en Plug Street), près de Ypres, ont pu conserver leur couleur dans une terre si arrosée de sang :  

Villanelle

Violets from Plug Street Wood,
Sweet, I send you oversea.
(It is strange they should be blue,
Blue, when his soaked blood was red,
For they grew around his head:
It is strange they should be blue.)

Think what they have meant to me – 
Life and hope and Love and You
(and you did not see them grow
Where his mangled body lay
Hiding horrors from the day;
Sweetest, it was better so.)

Violets from oversea,
To your dear, far, forgetting land
These I send in memory
Knowing you will understand

R.A.L

(Dans un très beau montage vidéo, Michel De Witte nous lit ce poème qu’il a traduit en français.) 

       Au moins d’août 1915, Roland avait bénéficié d’une permission. Vera et Roland s’étaient fiancés durant celle-ci , parce qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre des sentiments d’admiration et un amour naissant mais surtout aussi parce qu’ils voulaient pouvoir se rencontrer sans chaperon, ce qui n’était possible qu’en étant fiancés officiellement. Roland, retourné au front, les fiancés entamèrent une correspondance assidue qui était loin d’être angélique ou naïve. Roland se posait beaucoup de questions sur la réalité de leur amour (ils ne s’étaient finalement côtoyé que peu de jours) et le devenir de celui-ci alors que la guerre rendait absolument tout fragile sinon illusoire. Vera trouva les mots pour redonner de l’espoir à Roland et pour le convaincre de la réalité de leur engagement mutuel. Après cet échange épistolaire assez dur, les lettres de Roland devinrent à nouveau plus tendres et l’amertume s’y trouvait moins présente. A la fin de l’année 1915, tous deux se réjouirent alors intensément de pouvoir enfin se revoir, Roland devant bénéficier d’une permission pour le jour de Noël 1915. Dans son autobiographie, Vera avoua que la veille du retour prévu de Roland, elle avait songé pour la première fois à un mariage à la sauvette et même à un bébé… Malgré ses craintes, la matrone de son hôpital lui avait accordé son congé et ce fut heureuse et enthousiaste qu’elle s’était embarquée, le jour de Noël, dans le train à destination de Brixton. A l’hôtel où elle rejoignit ses parents, elle attendit alors patiemment des nouvelles de Roland. Les heures passaient sans qu’elle n’en reçoive. Vera, pour rester sereine, se persuada d’un dysfonctionnement des  « Télégraphes et téléphones ».  Ce fut seulement le lendemain matin qu’on vint l’appeler dans sa chambre pour se rendre au téléphone. On l’imagine descendre gaiement de sa chambre pour entendre la voix de Roland mais, malheureusement, c’est la voix tremblante de Clara, la sœur de Roland qu’elle entendit pour lui annoncer que son frère avait succombé à des blessures trois jours auparavant ! Avec cette triste nouvelle, Vera s’effondra et sa jeunesse s’évanouit pour toujours !

       Roland fut le premier des mousquetaires à perdre la vie. Il fut atteint d’une balle d’un sniper, le 22 décembre 1915, 72 heures avant de prendre le bateau pour son pays et cela lors d’une corvée de réparation des barbelés tout près de Louvencourt. Les autorités militaires renvoyèrent à la famille ses effets personnels. Vera se trouvait chez les parents de Roland quand le facteur apporta le funeste colis. Il contenait notamment une veste militaire ensanglantée et boueuse. Dans celle-ci se trouvaient plusieurs objets dont le cahier de notes de l’officier dans lequel Vera découvrit le poème « Hédauville ». Sa lecture fit immédiatement couler des larmes abondantes sur les joues de Vera. Pendant des semaines, elle répéta ce poème des centaines de fois en essayant de comprendre les intentions de son auteur. Manifestement le poète l’avait écrit à son intention pour lui conseiller de l’oublier et de construire sa vie sans lui. La longue discussion épistolaire qu’elle avait eue avec Rolland au sujet de la réalité de leur engagement avait-elle été vaine ? Roland entrevoyait-il sa fin dramatique ? Ou était-il arrivé à douter qu’il puisse encore aimer Vera après avoir vu tant d’horreurs autour de lui ?  La mystérieuse évolution psychologique de Roland au front se compliqua encore quand la famille apprit qu’il se serait converti au catholicisme peu avant sa mort (Il fut enterré par l’aumônier catholique A. B. Purdie). Vraisemblablement Roland souffrit au front d’un véritable désespoir. Voici la traduction de ce poème qui causa tant de chagrins à Vera. Il fut inspiré vraisemblablement par le château d’Hédauville près duquel il cantonna en France et qui lui rappelait la demeure de Vera.

Hédauville : Novembre 1915[1]

Le soleil sur la route blanche
Qui descend en serpentant de la colline,
La clématite de velours qui s’accroche
Autour de ta fenêtre,
T’attendent encore.
Encore une fois, l’étang ombragé ondule
Ses berges autour de tes pieds.
Et quand le merle chantera dans ton bois,
Par hasard, il t’arrivera de rencontrer
Quelqu’un de doux que tu n’avais jamais encore vu.
Et s’il n’est pas tout à fait aussi vieux que le gars que tu connaissais
Et, de plus, moins orgueilleux et plus valeureux,
Alors, tu ne devrais pas lui permettre de partir !
(Car les marguerites sont plus réelles que les fleurs de la passion)
Ce sera mieux ainsi.

Roland Leigton  (Traduction Dr Loodts. P)

       Vera, meurtrie profondément par ce poème, réagit finalement à celui-ci en ne laissant pas le dernier mot à son fiancé fut-il décédé depuis plusieurs mois.  Elle lui répondit en décembre 1915 par un poème qu’elle rédigea et intitula  « Peut-être ».  Ce texte est un chef d’œuvre, un extraordinaire hymne à l’amour incarnant à lui seul le chagrin de toute la génération de jeunes femmes de la Grande Guerre endeuillée par la perte d’un fiancé ou d’un mari. Le voici ici pour la première fois traduit en français.

Peut-être[2]

Peut-être qu’un jour le soleil brillera à nouveau
Et que je verrai encore le ciel bleu
Et que j’éprouverai alors
Que je ne vis pas en vain malgré ton absence. 

Peut-être que les près fleuris sous mes pieds
Me donneront des heures de printemps ensoleillées et gaies
Et que je trouverai merveilleuse la floraison de mai
Et cela malgré que tu sois mort.

Peut-être que la forêt estivale m’offrira ses reflets lumineux
Et les roses, leur couleur si bien seyante,
Et que les champs d’automne me donneront leur récolte
Malgré que tu ne sois plus là.

Peut-être qu’un jour je ne tressaillirai plus de douleur
Au moment où l’année se termine
Alors que les chants de Noël retentissent à nouveau
Malgré que tu ne puisses plus jamais les entendre.

Mais si ces différents moments peuvent à nouveau me donner de la joie
Je ne pourrai jamais plus connaître la plus grande
Parce que tu manqueras trop à mon cœur
Brisé alors depuis longtemps.

Vera Brittain (Traduction Dr Loodts.P)

Vera Brittain endeuillée pour la deuxième fois par la perte de Geoffray Thurlow (1895-1917).


Geoffrey Thurlow

       Le lieutenant Geoffey Thurlow arriva au front à Ypres en juin 1915. En février 1916 il fut atteint à la face d’un éclat d’obus pendant un bombardement  et revint pour être hospitalisé en Angleterre. Vera vint lui rendre visite en février 1916, à la demande de son frère, alors qu’il était hospitalisé au Fishmonger’s hall Hospital  (London Brigde). Vera note dans une lettre à son frère : « Thurlow était assis devant le poêle dans sa tenue verte et avec, sur ses genoux, une couverture brune. Il semblait ressentir très fort le froid et cela doit être sans doute une conséquence du shock et pour la même raison son système nerveux est en très mauvais état ce qui explique qu’on lui ait donné deux mois de congé de maladie »

       Lors de cette visite Thurlow expliqua à Vera qu’il était désireux de vite retourner combattre en France car il trouvait plus dur à supporter l’anticipation que les choses en elles-mêmes. Il lui dit aussi qu’il n’était pas très chanceux à cause de sa hantise continuelle de connaître à nouveau la peur mais qu’il haïssait la manière dont les gens fixaient leurs regards sur lui pour savoir comment il allait se comporter dans les moments difficiles ou parce qu’on craignait qu’il lui arrive du mal (…). Vera rajouta qu’il était courageux de vouloir retourner au front si rapidement… Manifestement pour Vera, Thurlow souffrait encore de shellshock : « Il paraissait comme une sorte de fantôme, ses mots étaient saccadés et il bougeait nerveusement ses doigts en parlant ».

       Il mourut à l’ennemi  le 23 avril 17 à Monchy-le-Preu. En se hissant au-dessus d’une tranchée pour observer celle-ci qui était en partie occupée par l’ennemi, il fut atteint aux poumons par la balle d’un snipper. Transporté sur un brancard, il mourut après 15 minutes. Vera lui rendit un bel hommage par ce poème :

In Memoriam : G.R.Y.T[3]

Je parlais rarement avec vous, mais il y avait toujours
Des mots charmants dans vos lettres
Et les pensées que j’avais souvent pour vous étaient jalousement entretenues
Par le cher souvenir de la lueur triste, teintée de gris et de bleu
Qui émanait de vos yeux,
Par la vue de votre jeune et noble maintien,
Par votre rire si rare mais si franc et éclatant, qui rendit sacré le jour
Ou vous avez offert votre jeunesse au fil de l’épée

Ainsi je médite aujourd’hui depuis que vos jours sont passés
Avant que l’aube n’arrive sur tout ce que vous pensiez de moi
Et si vous possédez maintenant tout ce que vous avez désiré
Et je me demande si, caché derrière le soleil
Ou les ombres d’ici, vous pouvez encore voir l’œuvre
De votre douce intimité qui commence à me manquer  

(Traduction Dr Loodts)

Vera Brittain endeuillée une troisième fois par la mort de Victor Richardson (1895-1917).


Victor Richardson

       Victor Richardson se destinait à devenir médecin. Pendant ses études secondaires, il devint le grand ami d’Edward et de Roland. Très grand, fort, sportif, il possédait aussi des qualités humaines exceptionnelles car il était toujours égal en humeur et réputé pour être de bon conseil à tel point qu’il fut surnommé « Roc de Brigton » (the Brigton Block) ou encore  « Père confesseur »  (Father Confesseur). Il n’avait pourtant pas été épargné par le chagrin pour avoir perdu sa mère, morte d’une méningite en 1913. Engagé volontaire comme ses amis, il ne put rejoindre le front aussi rapidement qu’il le souhaitait car il fut atteint, comme sa maman auparavant, d’une méningite en janvier 1916. Il se rétablit après sept semaines d’hospitalisation et reprit un service léger en Angleterre et ce ne fut qu’en septembre 1916 qu’il s’embarqua pour la France pour rejoindre un régiment d’élite celui du KRRC (King’sRoyal Rifle corps). Contrairement à ses grands amis qui combattaient sans apprécier la vie militaire, Victor trouva dans celle-ci beaucoup de satisfactions et peut-être serait-il devenu officier de carrière après la guerre. Son régiment prit part à la bataille d’Arras. Le 7 avril 1917 au soir, le lieutenant Richardson et ses hommes passèrent la nuit dans les carrières sous-terraines d’Arras, en particuliers dans celle nommée « Christchurchcave », non loin de la carrière Wellington qui peut encore aujourd’hui être visitée. Les soldats néozélandais, dont beaucoup étaient d’anciens mineurs, avaient aménagé ces carrières et les avaient ensuite reliées par une série impressionnante de tunnels. Tous ces abris devaient servir à abriter et à cacher les milliers de soldats qui allaient s’élancer à l’assaut des tranchées allemandes lors de l’assaut prévu pour le lendemain soir.  Le régiment de Victor avait pour tâche de conquérir la redoute allemande « the Harp » Le 9 avril à 7h34, le 9 th KRRC parvint à conquérir deux tranchées allemandes défendant la redoute et cela malgré de grosses pertes (dont celle du commandant de compagnie de Victor) endurées face aux mitrailleuses. C’est en prenant ensuite d’assaut la tranchée principale appelée « the string » que Richard fut atteint d’une balle de mitrailleuse à la tête. Il resta inconscient et ne fut évacué que dans l’après-midi. Après deux jours d’évacuations, il atteignit le General hospital N° 8 à Rouen. Huit jours plus tard, il rejoignit le Second London Hospital de Chelsea. Son œil gauche avait été enlevé par un chirurgien en France mais la balle était aussi passée derrière l’œil droit. Quand Victor repris conscience, il s’aperçut qu’il était aveugle. Vera, qu’il avait tant consolée par ses lettres lorsqu’elle avait perdu Roland, décida de prendre congé pour visiter Victor. Elle quitta son hôpital de l’île de Malte et entreprit un retour vers l’Angleterre en passant par la France. Au cours de ce voyage, elle envisagea sérieusement de consacrer toute sa vie à Victor. Elle décida néanmoins de ne pas lui dire de suite son intention. Au chevet de Victor, elle le trouva en train d’apprendre le Braille et résolu de continuer sa vie malgré son handicap. Il faut dire que Victor avait reçu les encouragements du capitaine Fraser Ian, lui-même aveugle, de la fondation St Dunstans qui lui avait expliqué qu’il était de possible de rester indépendant malgré la cécité. La volonté de Victor était exceptionnelle mais conforme aux qualités qu’il possédait depuis toujours. Malheureusement, le 8 juin, Victor se plaignit d’un subit et violent maux de tête, ressentie comme une véritable explosion. Il se mit peu après à délirer. La balle avait sans doute entraîné une hémorragie ou une encéphalite tardive. Victor mourut le 9 juin 1917 aux premières heures du jour. Maigre consolation, 9 jours après, sa famille apprenait qu’il avait été décoré de la Military Cross. Il repose dans le caveau familial à Hove (Sussex). Voici le poème que Vera rédigea en souvenir de Victor :

Sic transit[4]

(V.R., mort de ses blessures, 2ND London General hospital, chelsea, 9 juin 1917)
Je suis si lasse
Le soleil couchant scintille encore sur l’Occident
En reflétant sur chaque fenêtre sa lueur dorée.
Mais tout ce que j’aimais le plus a disparu.
Et parce ce que chaque moment de bonheur
S’éloigne de moi, j’arrête une quête sans espoirs.
Même le Très Haut auquel j’aspirais
S’est évanoui avec tout le reste.
Je suis si lasse

Vera Brittain (traduction Dr Loodts P.)

Ici le lecteur peut trouver une biographie plus complète mais en anglais  :

Vera Brittain perd finalement son cher frère Edward (1895-1918) quelques mois avant l’armistice


Edward Brittain après la bataille de la Somme, sembla avoir vieilli de dix ans.

       Edward Brittain, fut le consolateur de sa sœur jusqu’au moment où lui aussi succomba. Edward avait survécu (bien que blessé) à la terrible journée du 1er juillet 1916. Lorsque ce fut le tour de sa compagnie de franchir les parapets de leur tranchée pour s’en aller à l’assaut les soldats, aux ordres d’Edward, furent surpris par la quantité de leurs compatriotes qui partis avant eux refluaient vers la tranchée. Un mouvement de panique se déclencha alors dans sa compagnie et seule une partie de celle-ci franchit le parapet. Le lieutenant Edward Brittain dut alors à deux reprises retourner dans la tranchée pour exhorter les retardataires à franchir le parapet. Après avoir enfin put lancer tous ses hommes à l’assaut, ayant parcouru moins de cent mètres dans le no-man’s- land, il fut arrêté dans son élan par une balle dans la cuisse. Il rampa alors s’abriter dans un cratère mais, quelques instants après, fut atteint au bras par un éclat d’obus qui vint à exploser non loin de lui. Après une heure et demie d’attente, le feu nourri de la mitrailleuse allemande cessa et malgré la douleur, Edward pu quitter le cratère et ramper parmi les morts et les blessés pour rejoindre sa tranchée. Soigné, il fut envoyé en convalescence à Londres au « First London General Hospital », là-même ou travaillait sa sœur Vera ! On imagine l’émotion de Vera qui dut cependant demander à sa matrone la permission de quitter sa salle pour se rendre au chevet de son frère !  Le 24 août, on lui signala qu’il avait été décoré de la Military Cross. Il reçut celle-ci des mains du roi Georges V en personne, le 16 décembre 1916. Edward n’avait pas encore 21 ans quand il fut blessé. La photo ci-dessus fut prise dans les quelques mois qui suivirent. On y reconnait un homme que l’on suppose âgé d’une trentaine d’années ! Selon ses amis, la bataille de la Somme l’avait fait vieillir de dix ans !

       Edward rejoignit à nouveau le front en juin 1917. Il participa à la bataille de Passchendaele puis, avec son bataillon, le 11th Sherwood Foresters, à la bataille de Piave en Italie. Le 15 juin 1918, il parvint à reconquérir une position perdue dans une contrattaque mais, quelques instants après, dans la tranchée reprise, il fut mortellement atteint à la tête par la balle d’un snipper. Son colonel, Charles Hudson prétendit qu’il s’était exposé inutilement car il savait qu’une enquête avait été ordonnée à son sujet pour un fait d’homosexualité. Il aurait alors préféré la mort au combat plutôt qu’un déshonneur en court martial. Edward fut enterré avec quatre autres officiers dans le petit cimetière de Granezza.    

Comment Vera Brittain sublima ses traumatismes psychologiques

       Vera la petite infirmière avait ainsi, en trois ans, perdu son fiancé, son frère unique et deux autres amis de ce dernier. Vera écrivit ses souvenirs de jeunesse en 1933 et ce livre, « Testament of Youth » devint un best-seller. A la lecture de son témoignage, on peut conclure que les traumatismes psychiques de guerre pouvaient être aussi importants chez une infirmière que chez un combattant. Soigner et consoler jour après jour pendant trois ans des dizaines de jeunes gens gravement blessés. En voir mourir beaucoup et être là pour les accompagner… Manifestement, il pouvait exister chez de nombreuses infirmières de l’avant une pathologie de stress post-traumatiques !   Evidemment, on parlait peu à cette époque de la présence possible de cette pathologie chez une l’infirmière car le stress post-traumatique appelé à l’époque le « shellshock » peinait déjà à être reconnu chez les combattants…

       L’infirmière, encore plus que le soldat, devait donc gérer seule les troubles psychologiques entraînés par les situations affreuses qu’elle avait vécues…. Certaines n’y arrivèrent jamais, d’autres y parvinrent avec le temps et des… séquelles. Pour ce qui concerne Vera, en 1919, de retour à l’université d’Oxford, elle souffrait d’un profond mal-être. Une étudiante,  Winifred Holtby, parvint heureusement à la convaincre de transformer sa douleur en action. Vera guérit partiellement en sublimant ses souffrances par ses écrits et en se servant d’elles pour trouver l’énergie nécessaire au combat qu’elle entreprit tout le reste de sa vie en faveur du pacifisme. Vera se maria en 1925, eut deux enfants mais elle ne put jamais se passer de l’amitié et de la présence constante à ses côtés de celle qui l’avait tirée de la dépression. Son mari, Georges Catlin, accepta de supporter une vie à trois car Winifred Holtby,  s’installa au domicile conjugal comme un membre de la famille. Georges en souffrit beaucoup mais affirma toujours à qui voulait l’entendre que les liens entre sa femme et Winifred n’avaient jamais été que des liens d’amitié. Vraisemblablement, Vera traîna toute sa vie des séquelles traumatiques. On peut imaginer qu’elle ne s’estima jamais en droit d’être complètement heureuse avec son mari pourtant un homme remarquable. Au fond d’elle-même, Vera se sentit toujours liée à son fiancé décédé et cela conformément à ce qu’elle écrivit dans son poème « Peut-être ». Remarquons aussi que dans une conversation avec Roland en août 1915, elle lui avoua que s’il lui arrivait de périr au combat, elle se marierait avec le premier venu acceptable. Pourquoi ? Simplement, expliqua t’elle, parce qu’amis et proches veulent naturellement minimiser les chagrins d’amour d’une jeune fille et que le mariage lui donnerait la possibilité de ne plus être interpellée sur son chagrin. Elle pourrait alors garder intacts, non influencés par les commentaires d’autrui, les souvenirs de son amour pour Roland. Ce raisonnement, bien justifié mais tout-à-fait hors du commun, impressionnera le lecteur comme il dut impressionner Roland !

        Vera souffrit sans doute aussi toute sa vie d’avoir poussé son père à accepter l’engagement de son frère Edward. Et à tout cela, il fallait ajouter la vision des innombrables jeunes gens mutilés qu’elle soigna. Seule l’amitié avec une femme (Winifred ) pouvait être vécue entièrement et sans remords. Sa fille, Shirley Willaims affirma qu’il était très difficile pour sa maman de se laisser aller au rire parce qu’il y avait toujours plantés profondément dans sa conscience d’innombrables croix de bois alignées en des rangs prolongés indéfiniment.

Vera devint une pacifiste militante

       Après la publication de son livre « Testament of Youth » en 1933, Vera s’engagea dans le mouvement pacifiste. Le 7 juillet 1934, alors que les membres de « La British Union of Fascistes » tenaient son rassemblement à l’Olympia, Vera et 500 autres antifascistes réussirent à rentrer dans la salle. Les fascistes revêtus d’une blouse noire se ruèrent avec violence sur les pacifistes. Il y eut des blessés mais la violence des fascistes fut rapportée dans les journaux et suscita une désapprobation générale. Vera devint à cette époque une adepte de l’association  Peace Plegde Union crée par Richard Sheppard et qui en quelques mois réunit 100.000 membres. Vera fut une des organisatrices de cette association durant la deuxième guerre mondiale. A partir du mois de septembre 1939, elle publia avec régularité des  « lettres » (« Letters to Peace  Lovers ») sur l’absurdité de la guerre, ce qui la rendit très impopulaire surtout quand elle critiqua le bombardement des villes allemandes. A trois reprises, elle écrivit des livres pour tenter d’expliquer son pacifisme : « England’s Hour : an autobiography »  en 1941, « Humiliation with Honour » en 1943, suivi de «  Seeds of Chaos » en 1944. En 1957, elle s’opposa aux armes nucléaires dans l’organisation « Campaign for Nuclear Disarmement (CND) ».

       La courageuse infirmière et magnifique écrivaine Vera Brittain décéda en 1970. Suivant ses volontés ses cendres furent répandues sur la tombe de son frère Edward en Italie. Le témoignage de Vera, « Testament of youth », publié en 1933 est un document exceptionnel. Non seulement il rend hommage au travail d’infirmière mais il nous rappelle le drame de toute génération de jeunes gens en nous faisant revivre le destin dramatique de quatre d’entre eux. Il reste à espérer que ce livre soit un jour édité dans sa traduction française. En attendant ce moment, rappelons qu’un film magnifique, sorti en 2014, retrace fidèlement la vie de Vera et de ses amis durant la Grande Guerre. Son titre en français est « Mémoires de jeunesse ». Vera y est merveilleusement interprétée par Alicia Vikander.

Dr Loodts Patrick



L’affiche du film dans sa version française


L’affiche dans sa version originale

 

      

 

 

 

 

 

 

 



[1] Hedauville
(November 1915)

The sunshine on the long white road
That ribboned down the hill,
The velvet clematis that clung
Around your window-sill,
Are waiting for you still.

Again the shadowed pool shall break
In dimples round your feet,
And when the thrush sings in your wood,
Unknowing you may meet
Another stranger, Sweet.

And if he is not quite so old
As the boy you used to know,
And less proud, too, and worthier,
You may not let him go--
(And daisies are truer than passion-flowers)
It will be better so.

By Roland Aubrey Leighton

[2] Perhaps

(To R.A.L. died of wounds, Décember 1915)

Perhaps some day the sun will shine again,
And I shall see that still the skies are blue,
And feel once more I do not live in vain,
Although bereft of You.

Perhaps the golden meadows at my feet
Will make the sunny hours of spring seem gay,
And I shall find the white May-blossoms sweet,
Though You have passed away.

Perhaps the summer woods will shimmer bright,
And crimson roses once again be fair,
And autumn harvest fields a rich delight,
Although You are not there.

Perhaps some day I shall not shrink in pain
To see the passing of the dying year,
And listen to Christmas songs again,
Although You cannot hear.' 

But though kind Time may many joys renew,
There is one greatest joy I shall not know
Again, because my heart for loss of You
Was broken, long ago.

Vera Brittain

[3] ) IN MEMORIAM: G.R.Y.T.

(KILLED IN ACTION, APRIL 23RD, 1917)

I SPOKE with you but seldom, yet there lay
Some nameless glamour in your written word,
And thoughts of you rose often--longings stirred
By dear remembrance of the sad blue-grey
That dwelt within your eyes, the even sway
Of your young god-like gait, the rarely heard
But frank bright laughter, hallowed by a Day
That made of Youth Right’s offering to the sword.

 So now I ponder, since your day is done,
Ere dawn was past, on all you meant to me,
And all the more you might have come to be,
And wonder if some state, beyond the sun
And shadows here, may yet completion see
Of intimacy sweet though scarce begun.

 MALTA,  _May 1917._

[4] Sic Transit

(V.R, Died of wonds, 2ND London General Hospital, Chelsea, june 9th, 1917)

I am so tired.
The dying sun incarnadines the West,
And every window with its gold is fired,
And All I loved the best
Is gone, and every good that I desired
Passes away, an idle hopeless ques ;
Even the Highest whereto I aspired
Has vanished with the rest..
I am so tired.

Vera Brittain

 



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