Médecins de la Grande Guerre

Kate Luard, l’infirmière exceptionnelle qui supporta l’enfer !

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Kate Luard, l’infirmière exceptionnelle qui supporta l’enfer !



Kate Luard (1872-1962)

       Kate Luard fut une infirmière (1872-1962) tout-à-fait extraordinaire. Nous avons déjà lu beaucoup de témoignages d’infirmières de la Grande guerre mais celui de Kate Luard nous paraît unique de par le nombre et la précision de ses témoignages concernant les derniers moments de vie des jeunes soldats succombant à leurs blessures malgré les soins. Le docteur fait son diagnostic, prescrit, et effectue des actes techniques mais c’est l’infirmière qui soigne, réconforte et qui a le triste privilège d’accompagner les derniers moments d’un blessé ne répondant pas au traitement et qui, de plus, écrit les lettres dictées par ses patients. Kate Luard fut une de ces infirmières de guerre comme il y en eut tant mais elle m’apparaît extraordinaire par le nombre de soldats qu’elle assista dans leurs derniers moments.

       Ce nombre important s’explique. Kate fut une infirmière qui travailla durant toute la guerre au service des Tommies. De plus elle exerça son art le plus souvent dans les hôpitaux de première ligne et durant des batailles de plus meurtrières qui soit comme celle de Passchendaele. Mais ces raisons ne suffisent pas à expliquer totalement le grand nombre de soldats qu’elle accompagna dans leurs ultimes moments de vie. L’explication essentielle, majeure, est la grandeur d’âme de Kate mais cette qualité n’a pu se manifester pendant autant de temps que grâce à l’incroyable résistance au stress post-traumatique, au burn-out, à la désespérance ! Kate avait surement un secret qui lui permit de garder le moral durant l’effroyable boucherie dont elle fut un témoin permanent pendant quatre années. Quoi qu’il en soit, cette faculté de résistance morale couplée à une grande sensibilité fit d’elle, selon moi, une personne des plus exceptionnelles de la Grande Guerre.

       Kate Luard en 1900, à l’âge de 28 ans, s’était portée volontaire comme infirmière et passa deux ans au service des soldats combattant dans la Seconde Guerre des Boers. En 1914, elle rejoignit le Queen Alexandra’s Imperial Military Service à l’âge de 42 ans. Elle rejoignit, en août 14, la France pour travailler dans un hôpital de base. Par après, en 1917, elle fut mutée dans l’hôpital de triage N° 6 (Casualty clearing Station N°6) et puis devint chef infirmière (Head Sister) dans l’hôpital N° 32 près d’Ypres. Cet hôpital très exposé était spécialisé pour les cas abdominaux et c’est dans celui-ci, que Kate vécut de près la bataille de Passchendaele. Elle avait, notons-le au moment de la Grande Guerre l’âge de la plupart des mamans des combattants. Elle fut une de rares infirmières à obtenir la décoration R.R.C. à deux reprises (Bar). Après la guerre, Kate, malgré un nombre incalculables de tristesses vécues, travailla encore dans le South London Hospital for Women. Son dernier poste fut celui d’infirmière-chef au Bradfield College, un collège privé pour garçons à Berkshire. Elle prit sa pension en décembre 1932 et décéda âgée de 90 ans en 1962.

       En hommage à Kate Luard qui se dévoua sans compter sur le sol belge, lors de la bataille de Passchendaele, j’ai entrepris de vous résumer ci-dessous les moments de son travail d’infirmière de guerre qui m’impressionnèrent. Bien entendu j’espère que mon humble travail vous donnera l’envie d’en savoir plus et de lire l’ensemble du diary et des lettres de Kate Luard qui ont été réédités en 2014  grâce à John et Caroline Stevens[1].

A Lillers

Le 21 octobre 1915,

       Kate Luard en rentrant dans son ambulance aperçoit un soldat en plein délire. C’était un soldat avec une plaie crânienne importante. Il était occupé d’arracher violement son pansement pour finalement réussir à saisir un morceau de sa matière cérébrale pour la jeter à terre. Kate parvint à refaire le pansement… Le soldat se calma un moment mais mourut 9 jours plus tard.

Le 30 octobre,

       Un soldat arriva à 6 heures du soir avec son bras broyé dans sa manche depuis 2 heures de l’après-midi. Il était en état de choc mais reprenant des forces, il parvint à dire : « Il ne faut pas faire un monde de tout cela, nous allons recoller tout cela ». Ce garçon survivra assez pour pouvoir être évacué vers un hôpital de l’arrière, malheureusement, après un trajet de 30 heures de train pour arriver au Havre, il décéda le matin de son arrivée d’une hémorragie.

3 novembre 1915

       Kate est impressionnée par un jeune soldat au foie perforé par une balle qui courageusement lui confie, les larmes aux yeux : « Il y a bien plus grave que mon cas ».

Mercredi 17 novembre 1915

       En urgence, Kate reçoit un grave blessé sans pouls. Heureusement le médecin l’examine de suite et il reçoit rapidement une solution saline en sous-cutanée ainsi que des injections hypodermiques. Hélas, le soldat décède après 3 heures. Le trauma consistait en un coude totalement broyé. Ce soldat n’aurait pas dû mourir mais ses vêtements montraient qu’il était resté trop longtemps blessé avant d’être secouru. C’était un artiste avant qu’il ne s’engage. Il dicta à Kate l’adresse de sa maman à Kate. Mais quand celle-ci lui demanda à quelle confession religieuse il appartenait, le brave répondit : « Je vais donc mourir ? Cela m’est égal si on me le dit ! ». Le médecin eut cependant peur de lui dire la vérité mais, malgré le silence du doc, il paraissait évident que le blessé connaissait la réponse. L’aumônier arriva juste avant qu’il ne perde conscience, à temps pour réciter la prière des morts (commital Prayer). Le brave jeune homme succomba quelques minutes après mais eut encore la force de dire : « Je vais essayer d’être courageux mais je devrai cesser bientôt le combat ».

15 janvier 1916

       Un officier médecin paraissant très jeune et chétif, arrive ce jour-là inconscient avec son crâne fracassé. Il est opéré mais décède le lendemain alors qu’il a ses mains tenues dans celles de Kate. Kate est impressionnée par la sérénité de ce petit docteur dont le corps ressemble maintenant à une statue de marbre. Kate apprit le lendemain par l’aumônier du régiment du petit docteur qu’il avait d’abord été refusé à l’examen médical ayant un périmètre thoracique insuffisant. Il avait alors enchaîné exercice physique sur exercice jusqu’à ce qu’il soit enfin déclaré apte. Le jeune homme mesurait à peine six pieds et était mince comme un bâton. Dommage que Kate ne nous renseigne pas le nom de ce jeune médecin héroïque.

15 février1916

       Il y a un jeune officier en train de mourir malgré que le docteur, l’infirmière chef de salle que l’on nomme « sister », et son ordonnance font un maximum. Il a reçu des bains de vapeur, de l’oxygène humidifié dans l’alcool pur, de l’atropine, de la digitaline, de la pilocarpine, de l’ésérine et encore d’autres médicaments se terminant par « in » afin de lutter contre la néphrite, l’urémie, l’œdème pulmonaire et la pneumonie. Le lendemain, on notait hélas une paralysie du colon. Kate est émerveillée : malgré son état dramatique, le blessé n’a en effet jamais émis un seul mot de rouspétance. Le 24, il sembla mieux après avoir reçu un traitement consistant en une injection d’atropine répétée chaque heure mais l’amélioration fut transitoire et le blessé succomba l’après-midi après s’être battu pendant deux semaines contre la maladie.

       Heureusement, il y a parfois des guérisons inespérées comme celle de ce héros de l’aviation, Henderson Malcom (1891-1978) que Kate soigne et admire. Il a dû atterrir en urgence, touché en vol par un obus qui broya sa jambe gauche. Il n’était pas loin des lignes anglaises et un médecin était parvenu sur les lieux de l’atterrissage rapidement. Ce dernier, parvenu à l’avion, coupa la jambe du pilote qui ne tenait plus au genou puis l’aida à sortir de l’avion. L’observateur et le pilote soutenu par le doc parvinrent à fuir mais Henderson ne voulut pas s’échapper sans emporter avec lui la mitrailleuse de l’avion. Malcom Henderson fut opéré et finalement muni d’une prothèse sous le genou. Là ne s’arrête pas son histoire. Il put reprendre le pilotage et devint un instructeur de vol à Oxford. (Il devint même Air-Vice-Marshal et fut le commandant du groupe Fighter n° 14 durant la bataille d’Angleterre).



Henderson Malcom (1891-1978)

Lundi 6 mars 1916

       Un officier demande à voir un soldat décédé d’un accident : une grenade a explosé instantanément au lieu de le faire cinq secondes après avoir été dégoupillée. On lui demande qui il est pour vouloir voir ce soldat décédé. Il répond : « C’était mon frère ! »

15 mars 1916

       Kate voit arriver dans son hôpital le caporal Cotter. Ce brave était occupé d’attaquer la redoute Hohenzollern quand un obus l’atteignit et lui arracha la jambe droite. Malgré cela, il continua l’assaut en rampant avec sa section pendant 50 mètres jusqu’à un cratère. Pendant deux heures, il commanda ensuite ses hommes et tint cette position contre-attaquée sans succès par l’ennemi. Finalement, le caporal put être évacué après être resté 14 heures dans la boue du cratère. Considéré comme un héros, le général Gough est venu le décorer le jour même. Le fameux caporal était un tireur d’élite malgré un œil de verre. Avant d’être opéré, il fit une hémorragie sévère qui contre-indiqua l’anesthésie. On l’opéra donc inconscient. Malheureusement, malgré tous les soins prodigués, il décéda à 8 heures du soir.



Le caporal Cotter William

23 mars 1916

       Kate écrit qu’elle a dans son service deux blessés, un à la poitrine et l’autre aux jambes et à un bras. Ces hommes sont, dit-elle, extraordinaires parce que, dès que l’on fait la moindre chose pour eux, ils s’excusent de suite de donner tant de mal.

27 mars 1916

       Kate signale un malheureux soldat souffrant de shell shock et qui ne cesse de demander : « Ou se trouve mon frère ? ». En fait, Kate apprend que la bombe qui l’a mis dans cet état avait aussi réduit son frère en poussières !!!!

4 avril 1916

       Kate mentionne un soldat avec de nombreuses fractures qui répète sans cesse : « Ce n’est pas si grave, il n’y a pas de quoi faire un drame… ».

       Il en est un autre, très jeune, traumatisé pulmonaire, qui a retrouvé un peu de joie, simplement par le fait d’avoir reçu une paire de pantoufles provenant d’un don de matériel fait par le général Haig. Il est toujours à demander pourquoi les autres n’ont pas aussi reçu ce cadeau. Kate lui répond alors que c’est un cadeau réservé au plus jeune de la baraque !

A Barlin. (bataille de Vimy Ridge)

21 mai 1916

       Kate constate qu’il y a des anges de patience et de silence parmi les blessés. Ils ne demandent quelque chose qu’en toute dernière extrémité. L’un d’entre eux, décédé le matin disait hier à Kate qu’il ne plaignait de rien et qu’il craignait d’être d’un grand embarras pour les infirmières. Parfois un évènement drôle est à signaler comme ce soldat trépané la veille, qui ne dit mot, et passe son temps à défaire les mails de son chandail. Lorsque, de temps en temps, il interrompt cette occupation, il se met à chanter « Lead Kindly light et God save the King ».

23 mai 1916

       Le garçon qui chantait ses hymnes est maintenant au paradis, mentionne tristement Kate.

24 mai 1916

       Kate constate une fois de plus le courage des jeunes blessés. Elle signale notamment trois jeunes officiers formidables. L’un qui doit rester couché sur le ventre, dit qu’il est fort confus d’ennuyer les infirmières et qu’il ne faut pas se tracasser de son sort. Un autre, blessé au poumon, raconte qu’il fut gêné d’être monté sur le parapet en tenue de gala car, quand vint l’ordre de l’assaut, il venait juste de se changer pour dîner avec le colonel ! Le dernier, très mal en point, avec une jambe en moins, dicte à Kate une lettre à son père : « Nous avons était un peu secoué la nuit précédente et j’ai eu un contact assez violent avec une bombe. » Kate signale que beaucoup de plaies sont infectées d’asticots, vraisemblablement parce que les blessés sont restés très longtemps dans la boue avant de pouvoir être évacué.

       Kate est meurtrie par la mort d’un jeune de 17 ans qui lui raconta avant de mourir qu’il avait tout fait pour s’engager parce qu’il se trouvait « trop âgé » pour gambader innocemment dans les rues de sa ville. Blessé à la poitrine, il souffre de dyspnée et est cyanosé. Alors qu’elle le lavait le matin, le garçon lui dit par des mots entrecoupés par de difficiles respirations : « Je me suis battu pour des tas de choses. Je me suis battu pour venir en France, je me suis battu pour revoir ma mère, je me bats maintenant contre la mort. Est-ce que ma mère aura vite la permission de venir me voir vite dans un hôpital à Londres ? ». Le garçon donna alors à Kate l’adresse de sa maman pour qu’elle puisse lui écrire. Malheureusement, le jeune homme mourut à 5 heures du soir. Kate avoue que le récital des mots sortant de sa bouche si difficilement fut pour elle la plus triste des choses vécues par elle jusqu’à présent !

26 août 1916

       Dans l’hôpital tout le monde est ému par une histoire entendue : dans les tranchées à Vimy Ridge, deux compagnies n’ont pas reçu à temps le contre-ordre signalant l’annulation d’une attaque initialement prévue. Les deux compagnies ont été quasi anéanties.

29 mai 1916

       Le soldat Reggie qui parle si gentiment comme un gentleman est en train de perdre la lutte contre sa blessure au poumon. L’autre, appelé Jack, est paralysé à cause d’une fracture de la colonne et pose sans cesse à Kate la même question : « Qu’est cela Sister ? Je ne peux pas bouger mes jambes, est-ce que cela va s’arranger ? » Kate a aussi dans sa baraque deux gangréneux traités par un goutte à goutte sans jamais se plaindre. Leur comportement se résume à remercier, à sourire et à dire aux soignantes : « Que ferions-nous sans vous ! »

31 mai 1916

       Kate signale que Jack est en train de mourir. Il sourit et blague. Il s’excuse tellement que toutes les infirmières ont envie de pleurer. Reggie est mal, il tend ses mains et dit à Kate « Voulez-vous venir vous asseoir auprès de moi et me tenir la main pour m’encourager ».

       Le gars qui a perdu un œil et ne peut pas encore voir de l’autre dit à Kate : je me sens mal, voulez-vous venir me parler ». Pour Kate, c’est impossible de refuser pareille demande !

Jour de l’Ascension 

       Jack est encore en vie. Il ne sent plus ses pieds mais demande encore chaque jour qu’on lui enlève ses bottines. Les infirmières chipotent alors un peu avec ses pieds. Jack est alors content pour un moment puis, à nouveau, renouvelle la même demande.

2 juin 1916

       Jack est mort pendant la nuit et aussi trois abdominaux.

       Le capitaine W. est mort de la gangrène cette nuit. Son frère cadet était décoré d’une Victoria Cross posthume. Un deuxième était aussi décédé. Cela sera difficile d’écrire à sa mère, note Kate qui rajoute que ce jeune homme était particulièrement charmant.

Samedi 4 juin 1916

       Kate note : 50 tombes en 15 jours !

       Kate mentionne combien les mères manquent aux soldats blessés : « Vous devriez voir comment Reggie, Walter, Joseph, Harry et Billy et « les sans bras », « les sans jambes » voudraient tant parler à leur mère. Walter me dit pendant que je le lavais : Ma mère ne sait pas vivre sans moi, je suis l’aîné, je serais heureux qu’elle puisse me voir maintenant ».

Lundi 12 juin 1916

       Joey est un gars qui devait mourir de ses nombreuses blessures mais il résiste et a déjà été opéré deux fois. Il est encore à moitié perturbé et parle aux infirmières en les appelant « maman ». Quand on le soigne et qu’il crie « Arrête maman ! », cela signifie qu’il en a assez, qu’il a mal.

        Kate mentionne que Reggie devrait être évacué par train demain mais qu’elles est sceptique : « C’est un miracle si sa mère le revoit vivant avec de pareils trous dans les poumons ».

       Bob a d’affreuses blessures mais possède un sourire d’ange qu’il garde tout le temps. Il dit seulement : « je n’ai pas à me plaindre mais si seulement je pouvais dormir… »

Samedi

       Kate écrit que Joe va mieux et que Bob lui dicte une lettre adressée à sa mère : « Je vais magnifiquement et ma blessure est bénigne. Nous sommes bien surveillés et c’est comme si nous étions à la maison. Nous vivons très bien et je reçois du poulet pour diner. Il y a un gramophone et plein d’amis autour de moi ».

       Kate lui dit alors : « C’est bien beau Bob, mais que fais-tu des choses ennuyantes à dire ? ». Et Bob répond alors : « Et c’est quoi ces choses ennuyantes ? ». Kate lui répond : « Ce sont les mauvaises nuits, la toux douloureuse sur la côte cassée, un bras immobile sur un coussin », une blessure à travers sa joue, la colostomie… ».

Vendredi 23 juin 1916

       Mauvaise journée. Kate mentionne que deux amputés ont souffert d’hémorragies secondaires et qu’on a dû employer les tourniques pour leur mettre des garrots puis les reconduire dare-dare à la salle d’opération. Elle explique que c’est pour cette raison que des tourniquets sont toujours disposés au-dessus des lits des blessés susceptibles de développer des hémorragies secondaires.

       Kate mentionne que Joey est mort dans la soirée !

Dimanche 25 juin 1916

       Kate mentionne que l’état de santé du pauvre Bob qui lui demandait quelles étaient les mauvaises choses à signaler à sa mère, se dégrade petit à petit.

Lundi 3 juillet 1916

       Bob est mort soudainement serrant la main de Kate et lui disant : « Tout est-il ok ? Ne me quittez pas ! »

Mercredi 12 juillet 1916

       Un blessé est devenu subitement fou et il rugit comme un lion juste au moment où le colonel chirurgien faisait une inspection. Le soir il dit à Kate : « Si vous me donnez une orange, je pourrai dormir ». Ce qui fut fait et il s’endormit !

Samedi 15 juillet

       Kate mentionne qu’il y a ici un jeune homme qui est en train de mourir de sa blessure pulmonaire et qui lui avait dit quelques heures auparavant : « Vous pensez que j’ai une chance de pouvoir retourner chez moi ? Est-ce que c’est assez grave pour cela ? ». Kate lui donna de la morphine à 14 heures après une matinée difficile. Quand il émergea de son sommeil après le thé, avec un grand sourire, il signala à Kate : « J’ai passé une bonne après-midi. Je me sens frais et dispos ». Il est mort à 8h du matin dimanche mentionne hélas Kate.

       Kate écrit aussi dans son diary qu’un soldat blessé, en tombant sur une baïonnette, a obtenu la médaille militaire. Ce soldat, après avoir écrit une lettre à sa famille, raconta à Kate : « Père et mère et ma sœur ouvriront ma lettre au déjeuner mais ils ne seront pas capable de manger et sortiront pour aller raconter aux voisins…. ». Malheureusement, continue à écrire Kate, ce garçon est condamné à retourner en salle d’op car la baïonnette après avoir traversé l’estomac a touché la plèvre provoquant un empyème !

       Kate décrit aussi la plaie béante pulmonaire dont souffre un autre jeune homme. Maintenant que son poumon s’est collabé, Kate perçoit une vue interne des côtes de toute sa poitrine. Le trou, rajoute Kate a la contenance d’une carafe qui se remplit de liquide et quand on redresse le garçon, le liquide sort et doit être versé dans un récipient … C’est ce garçon qui affolé appelait continuellement l’infirmière pendant la nuit. Quand on lui a dit de ne plus le faire, la nurse ne l’a plus entendu pendant plusieurs heures et s’en est finalement inquiétée. Elle a trouvé son blessé éveillé qui lui dit alors : « Je ne peux pas dormir, Sister, mais je peux maintenant rester calme». Kate, admirative conclut : « Je ne sais pas comment nous allons faire quand ce garçon ne sera plus là ! »

Dimanche 16 juillet 1916

       Kate mentionne un officier qui a perdu son bras arraché par un obus. « Il fait moins d’histoires que s’il avait perdu une dent écrit-elle. Et elle rajoute: « Après m’avoir demandé d’écrire à sa mère, il m’expliqua qu’elle ne paniquera pas, qu’elle prendra bien tout cela ». Kate lui répondit alors : « Si elle ressemble à son fils, c’est certain. Le jeune homme termina alors la conversation en disant à Kate : « Je pense que le pire est passé ! ».

       Kate termine le récit de la journée en écrivant que le jeune homme est maintenant en salle d’opération mais qu’il y a, dans sa baraque, un autre officier souffrant d’une gangrène de la jambe et qui devra subir l’amputation dans la soirée.

Lundi 17 juillet 1916

       Kate reçoit dans sa baraque un tas de gars démolis et… trois d’entre eux sont en train de mourir. Un de ceux-ci a reçu dans la poitrine un coup de baïonnette d’un des hommes qu’il commandait et qui le confondit avec un boche !!!

Mercredi 19 juillet 1916

       Trois funérailles ce jour à l’hôpital. L’une est celle d’un garçon qui disait dans son délire avant de mourir : « Reposons nous en paix ! » A ce moment-là, une situation cocasse survint dans la baraque : le gramophone se mit soudainement en marche et le blessé se mit à applaudir des deux mains...

Samedi 30 juillet 1916

       Autre situation cocasse. Un de ceux qui moururent hier dans la nuit, insistait pour connaître le prénom de l’une des infirmières de nuit. Celle-ci répondit gentiment « Je m’appelle Betty. »

        « Alors Betty, donnez-moi à boire » dit le garçon.

       Un autre soldat plus âgé qui délirait disait « Je vais partir maintenant, mais je ne peux pas arranger mon paquetage et mon fusil et mon pardessus ; ce serait un peu de trop pour moi. Je suis désolé, je vais vous quitter juste quand je commençais à vous être habitué. »

       Ce soldat souffrait de grandes difficultés respiratoires mais il n’en avait pas conscience et disait qu’il allait bien. Il avait un trou béant dans son dos qui plongeait jusque dans sa poitrine. Heureusement, écrit Kate que ces blessés graves voient leur angoisse apaisée par la morphine ou le shock !

18 août 1916

       Le docteur M. est hospitalisé chez Kate pour une double fracture de la cheville. Il lui raconta qu’il se trouvait dans une tranchée en train de donner à boire à un blessé tandis que son brancardier, un vieux capitaine de l’armée du salut faisait le bandage. Tout d’un coup un obus lancé par un minnenwerfer explosa. Le brancardier vola très haut en l’air puis retomba indemne en disant : « Priez le seigneur pour toutes ses merveilles ! »

       Kate soigne trois abdomens graves. Un autre gars souffre de 14 blessures sur son abdomen, son bras droit est cassé, sa main gauche coupée et il a aussi un trou dans sa face. Il ne peut quasi pas bouger mais demande : « Est-ce sérieux ? ». Hélas, écrit Kate, il se répondit lui-même à sa question cinq minutes plus tard…dans l’autre monde !

23 août 1916

       5 infirmières décorées pour avoir subi un bombardement à Bethune tout en continuant à travailler.

25 août 1916

       Trois abdomens miraculés dans notre baraque. Le chirurgien vient les féliciter !

8 septembre 1916

       Kate décrit un officier avec une balle dans son cerveau, charmant malgré une folie apparue. Hier, écrit-elle, il était en train de parler au Kaiser toute la journée. Quand on lui demandait quelque chose de précis sur la nourriture ou sur sa position au lit, il répondait : « A quelle heure nous arrivons ? » Comme si nous allions débarquer à Southampton ! Cet officier clamait aussi que la guerre était finie et demandait si l’empereur est encore là… dans notre baraque ! Il rajoutait ensuite : « non, il est parti n’est-ce pas ? » Kate lui demanda alors : « A quoi ressemble-t-il ? » et il la réponse ne tarda pas : « Oh, il est très grand ». Kate écrivit à la mère de ce blessé tous les jours !

18 septembre 1916

       Un garçon de 17 ans demanda à Kate d’écrire à sa mère : » Dites-lui que je vais bien ; je ne sais pas quoi dire. Je ne veux pas la tracasser et dites-lui que je l’aime ! »

       Il y a un garçon fou très amusant dans la baraque. Quand on le nourrit, il dit : « 1, 2, 3, une tasse de thé, pain et beurre, 4, 5, 6 ; c’est 238 maintenant et 915. » Toutes ses pensées s’expriment en chiffres.

       Le soldat aveugle avec sa double amputation est en train de mourir. Il appelle Kate «  maîtresse » et dit : Regardez attentivement chère, et maintenant allez prendre ça ! Puis il rajoute : «  c’est la vie ! »

19 septembre 1916

       Le soldat aveugle est mort. Il a développé la gangrène. Il disait : « Dites à ma mère que je suis seulement légèrement blessé ».  

23 septembre 1916

       Il y a un homme avec les deux yeux détruits ainsi que le nez par un éclat d’obus. Quand Kate étais en train de le laver, il lui avoua qu’il avait 49 ans et qu’il s’était fait passer pour 38 ans pour pouvoir s’engager. Après il rajouta : « Je pense que j’ai perdu ma vue », exactement nous dit Kate, comme si cela avait été son fusil ou ses bottes.

1er octobre 1916

       L’homme sans yeux ni nez est mort hier.

       Un blessé évacué par le train dit à Kate : « Je penserai à vous avec amour jusqu’au dernier jour de ma vie ». Kate écrit : «  Ce dernier jour ne sera pas loin, le pauvre homme ! »

       On essaie un traitement spécial pour un brave garçon gangrené. Il a une tente spéciale ou on le fait prendre des bains d'iodine. Il dicte une lettre à Kate pour sa maman : « Chère mère, juste quelques lignes pour vous faire savoir que je suis en pleine forme et que j’espère que vous l’êtes aussi ».Quand Kate lui demande s’il a une petite amie, il répond : « Non, seulement ma maman ! »

2 octobre 1916 

       Le traitement du soldat gangrené est une tragique erreur. Il meurt d’une pneumonie sceptique provenant d’un embol de son genou et cela après une amélioration de ces autres blessures par le bain. Il se tenait assis dans son bain, fumant des cigarettes et heureux comme tout et maintenant il est inconscient. Ce petit gars était très aimé dans son bataillon Drake et trois officiers sont venus le voir.

12 octobre 1916

       Un garçon qui est mort cette nuit disait à Kate : « Dites-leur que je suis mort comme un soldat. » Il s’excusait toujours quand  il n’était pas bien. Un autre gars transporté ici hier soir sur le ventre avec une fracture compliquée de la cuisse et des blessures à la tête et l’épaule demanda : « Est-ce que c’est grave. » On lui a amputé la jambe aujourd’hui mentionne Kate qui dit craindre qu’il ne meurt (et c’est ce qui est arrivé)

A Warlencourt (Bataille d’Arras)

7 mars 1917

       Une nuit, un garçon dans ses derniers moments entend une infirmière parler à un médecin. Il crie : « Quelle est cette voix ? Est-ce que ce n’est pas la voix d’une femme ? ».  « Oui », lui répond l’infirmière. « Oh, Oh, épatant », répond le garçon qui décèdera une heure plus tard.

       Un autre soldat était en train de pleurer et dit en s’adressant à Kate : « Je suis du régiment des Seaforth et pourtant je pleurniche comme un veau après sa mère. Qu’est-ce que vous allez faire pour cela ? Ne pouvez-vous pas arranger cela ? »

3 avril 1917

       Tant de morts que Kate se désole de ne pas avoir le temps d’écrire à toutes ces familles…

5 avril 1917

       Hier soir, Kate trouve trois soldats en train de mourir dans une des baraques. Kate les fait déplacer dans un coin sur leur civière avec un brancardier pour les surveiller. Deux meurent mais l’un survit et vit encore.

       Un homme avec son bras droit démoli, une plaie perforante dans la poitrine et un shrapnel dans le ventre signale à Kate dit qu’il n’est pas très bien mais que cela ne vaut pas la peine d’en parler.

       Un garçon avec son visage à moitié arraché et qui ne peut pas parler et que Kate essayait de nourrir, essaie de lui expliquer qu’il est couché sur quelque chose de dur. Kate découvre dans sa poche de pantalon une grenade !

       Kate était en train de dire à des brancardiers de ne pas transporter un blessé de suite en salle d’opération tant qu’on y opérait encore et cela, pour ne pas l’apeurer quand elle eut la surprise entendit le blessé s’exclamer: « Il faut plus que cela pour m’impressionner Sister après tout ce que j’ai vécu à l’extérieur ! »

11 avril 1917

       Un deuxième lieutenant de 17 ans dit à Kate sur la table d’opération : « Laissez-moi vous dire que je suis un officier et que je désire retourner après l’opération dans la baraque des officiers. » Ce garçon paraissait à Kate avoir le physique d’un jeune tambour de 15 ans !

       La baraque des moribonds est indescriptible. Aujourd’hui 25 décès sans compter ceux qui sont morts dans les autres baraques. Heureusement certains d’entre eux ont connus de véritables résurrections au point de pouvoir être demain évacués par train.

13 avril 1917

       Kate reçoit de nombreux blessés qui étaient restés deux jours entiers dans la boue et la neige. Beaucoup d’entre eux meurent ou souffrent de gangrène !  

       Il y a aussi un prisonnier allemand nommé Jan, un gamin de 17 ans, que tous ont essayé de sauver. Il est malheureusement mort, amputé des deux jambes.

       Un homme est arrivé qui est resté en vie six jours blessé dans une tranchée sous la neige. Les infirmières ont pu le réchauffer et obtenir un pouls après six heures d’effort mais une jambe est atteinte par la gangrène. Malheureusement, le soldat succombe dans la soirée.

       Un gars avec ses deux bras démolis demande de voir un aumônier. Celui-ci arrivé, c’est la première fois que Kate voit un aumônier rire car le blessé lui entonna  « Tooleroolerity, I want to go to Bligty. Bligty is the plice for me » mais malheureusement le garçon mourut juste après avoir chanté !

       Un très beau sergent avec une jambe en moins et l’autre écrasée était en train de mourir et le Padre était près de lui en train de prier, quand l’infirmière entendit cette phrase surprenante du blessé : « Padre, c’est bon comme cela, vous écrirez à ma femme avec tact et gentillesse pour annoncer la nouvelle de ma mort ». Ce sergent avait trois petites filles qui lui manquaient énormément.

       Un officier blessé au ventre parla à Kate quelques heures avant de mourir en disant qu’il fallait dire à sa famille qu’il n’avait qu’une blessure légère. Cet homme, par sa conduite, avait impressionné fortement Kate qui écrivit dans son diary le plus beau des hommages : « Cet homme ne pensait qu’aux autres et jamais à lui ! »

       Heureusement qu’il y a de la joie à voir de glorieuses « résurrections » de gars qui, maintenant, fument des cigarettes, mangent des poulets et lisent des magazines. Ils sont gâtés et reçoivent champagne, œufs, oranges pour les aider …

15 avril 1917

       Kate est fière d’avoir gardé en vie aujourd’hui une double amputation. Le blessé lui a dit : « J’étais en enfer et maintenant je suis au paradis ! »

24 avril 1917

       Kate entend un officier sous morphine en train de mourir dicter une lettre au Padre  : « Ce n’est pas du tout une blessure sérieuse et je suis en train de guérir tout-à-fait. Ne vous tracassez-pas. Je vous aime. Votre fils aimant ». Et Kate commente : « Il est resté froid et sans pouls, ce qui me fait dire qu’il ne vivra plus que quelques heures ».

       Un capitaine a eu une amputation de sa cuisse hier et se comporte comme si on lui avait seulement enlevé l’ongle d’un orteil.

30 avril 1917

       Funérailles de 12 hommes, tous des gars très courageux, écrit Kate.

       Une mère remercie Kate d’avoir donné des nouvelles de son fils mais elle lui demande de quel fils il s’agit car elle en a trois sous les armes !

       Ces derniers temps, les blessés mettent jusqu’à 16 heures pour arriver à l’hôpital. Il fait très froid et il pleut !

27 avril 1917

       Mon petit ressuscité, raconte Kate tristement, a attrapé la gangrène au-dessus de son amputation et est mort cet après-midi !

       Un crânien opéré il y a deux jours commence à reprendre ses esprits et quand on demande comment il va, il répond : « Tres Beans, I’d like  a smoke».  Tres beans  est la prononciation anglaise de très bien !!!!!

Dimanche 28 avril 1917

       Un amputé confie à Kate que ses pieds sont très chauds. Elle lui répond : 

– Je suppose que vous parlez de celui qu’il vous reste. 
– Ah dit-il, je n’en ai plus qu’un !
Kate est confuse !
– Ah dit-il, je vois à votre tête que je n’ai plus qu’un pied, cela ne fait rien. J’éprouve cependant de la douleur aux deux mais je peux encore sourire entre les dises de douleurs ! J’ai deux petites filles et un bébé que je n’ai encore jamais vu. Je sais ce que je ferai quand je les reverrai !

       Kate craint le pire car il souffre de gangrène ! Elle voit que le blessé regarde partout dans la baraque les attelles et les moignons avant de dire finalement :

– C’est triste de penser que tout le monde a attrapé ces saloperies sans même obtenir la paix !

       Kate reçoit une lettre d’une mère pleine de gratitude qui termine par « Et n’oubliez pas de me dire comment vous allez ! »  

7 mai 1917

       Un petit gars amputé raconte à Kate : « Je sais ce que ma maman va dire de mon état : C’est seulement une petite chose que de perdre une jambe dans cette guerre ! Mais je sais qu’elle ne pensera pas ce qu’elle me dira ! ».

8 mai 1917

       Kate est engagée dans un combat contre une gangrène dans la tente des moribonds chez un beau soldat. Elle est pessimiste car convaincue que la toxémie commence bien avant l’apparition de l’infection dans les tissus superficiels.

9 mai 1917

       Le soldat gangrené est mort. Au moment exact de son décès, on entendait l’orchestre jouer « Ther will be such wonderful things to do » sur un air plaintif. La seule demande qu’il fit à Kate se passa un soir où elle vint lui souhaiter une bonne nuit : « Je sais que vous resterez près de moi toute la nuit ». Mais quand il la voyait occupée avec un autre blessé de la tente, il disait : « Très bien, j’attendrai, elle est occupée ». Le soldat ne s’est pas rendu compte de son état car, peu avant sa mort, il demanda encore à Kate s’il aurait droit, rentré en Angleterre, à un servant. Le docteur arriva juste quand on le recouvrit du drapeau mortuaire. Toute l’équipe avait espéré le garder en vie.

13 mai 1917

       Kate vit des choses très dures à supporter : « J’ai, dit-elle, un prisonnier allemand souffrant de gangrène tellement avancée que j’en ai été malade comme jamais auparavant.

16 mai 1917

       Un splendide pilote est mort hier. Il était un de ces gars avec une vitalité, un sourire et une lueur dans le regard qui charmait tout le monde. Une demi-heure avant de mourir il blaguait sur « le champagne » qui faisait des bulles dans sa poitrine. Tout à coup il cria « Oh my God » et perdit conscience. Le Padre et Kate étaient près de lui quand il trépassa. Il avait su atterrir avec une cuisse amochée qui fut plus tard amputée.

       Le prisonnier allemand est mort hier. Son dernier mot fut : « Schlecht » quand Kate lui demandai comment il se sentait.

Vendredi 25 mai 1917

       Kate soigne un soldat couché sur le ventre, la moelle de la colonne exposée à l’air. Il fut blessé dimanche passé et seulement ramassé hier. Il était dans un trou d’obus avec quatre autres blessés qui crièrent toute la nuit. Le lendemain, il se retrouvait le seul survivant !

A Brandhoeck (Poperinghe) (bataille de Passchendaele)

4 août 1917

       Un blessé demande à Kate  : « Voulez-vous écrire à ma mère ? Dites-lui que je l’aime et que je suis bien. Elle est invalide. Il faut que ce soit une lettre rassurante. »

       Un vieux soldat que nous aidons à mettre au lit dit à Kate : « Qu’est-ce que serait un monde sans femme ! » Il ne s’attendait vraiment pas à en trouver ici !

7 août 1917

       Un soldat appelé Reggie est dans la tente des moribonds. Il dit à Kate hier soir « Je ne me sens pas bien et personne ne s’occupe de moi. Je sais que je suis une charge, mais je ne peux rien y faire… J’ai été là-bas si longtemps et je suis si jeune. Voulez-vous me donner une potion pour dormir et un peu de champagne pour me rendre plus fort ? » Kate lui donna les deux choses demandées et Reggie dormit comme un loir ! Hélas, il mourut ce jour.

       Un soldat dans la tente pré-op, un blessé demande à Kate de rester près de lui car il craignait l’opération pour l’une ou l’autre raison. Ses craintes étaient justifiées car malheureusement, il ne ressortit jamais vivant de celle-ci…

10 août 1917

       Un officier, en morceaux, avec ses deux jambes amochées, sa face et son dos aussi, gazé et presqu’aveugle salue Kate avec son bras pansé lorsque celle-ci s’approcha de son brancard et lui dit : « Je reviens de la guerre » comme s’il ne semblait pas vraiment y croire ! Il est mort à 8 heures du matin.

18 août 1917

       Depuis trois semaines les infirmières ont écrit 400 lettres pour avertir les familles d’un décès survenu à l’hôpital ! 

19 août 1917

       Kate s’en est allée à un office religieux à l’église du cantonnement. Elle converse avec un major qui lui avoue n’avoir plus parlé à une femme anglaise depuis le mois de janvier.

21 août 1917

       Kate arrive à stopper l’hémorragie de la sous-clavière d’un soldat. Il avait été laissé pour mort au fond d’un cratère et puis réussit à ramper jusqu’à un abri où il retrouva la compagnie d’un camarade avec qui il récita des prières. Plus tard le trou dans sa poitrine fut pansé et il put être transféré chez Kate. Quand après deux jours, on constata sa survie, Kate demanda au docteur de décider du traitement opératoire. On intervint pour suturer l’artère et combler l’orifice avec un muscle. Ce soldat est considéré comme un héros et on l’appelle « the Prince of Wales ». Il avoua à Kate qu’il était content mais qu’il n’avait au monde que sa mère et…elle ! Malheureusement commente Kate, il n’est pas encore sorti du bois !

27 août 1917

       Décès du « Prince of Wales » sur le chemin de Poperinghe.

       Un brave qui a une jambe en moins et est tout près de perdre un bras et un œil dit à Kate ;  « Si vous écrivez à ma mère, essayez d’être très prévenante car elle a perdu mon frère en avril, mort de ses blessures et cela la rendit malade. Il rajouta : « Si je demande à boire pendant que vous êtes occupée avec quelqu’un d’autre, continuez car je sais attendre ! »

A Marchelepot (Peronne)

16 février 1918

span style='mso-spacerun:yes'>       Un pilote, capitaine vola au-dessus de l’hôpital pour saluer un patient qui n’était autre que son major. Il plana dix minutes au-dessus de nous mais en saluant avec sa main, il cogna un arbre mort et crasha. Il mourut dans l’heure. Ses dernières minutes sur terre ou plutôt dans les airs furent si gaies et confiantes mais il n’aurait pas dû voler si bas, note Kate dans son diary. Heureusement son observateur ne l’accompagnait pas !

25 février 1918

       Il y a un gars hospitalisé qui avait été volontaire à Passendaele pour aller enterrer les corps des soldats tombés et voir si aucun ne survivaient blessés. Pour les identifier, il fallait parfois laver leur visage. Chose affreuse, il reconnut parmi les morts son propre frère. Après cela il eut une permission pour aller raconter cela à sa mère !

En conclusion une lettre de Kate :

Lettre de Kate à sa famille 2 mai 1915

       « …je vous écris de la baraque … en face de moi se trouve un garçon de 22 ans avec son épaule, son bras gauche, sa jambe gauche transformés en cratères d’obus. Il a des cheveux crollés, des yeux bleus et un visage serein. Sa température est de 103 et son cœur bat à 136… Ses soins au matin furent une heure et demie d’agonie… Je vous donne tous ses détails comme si je les donnais à quelqu’un du métier. Je considère cela comme étant un grand privilège, celui d’être la mère de tous ces jeunes héros... N’est-ce pas ?  

 

 

 

 



[1] Source : Unknown Warriors, the letters of Kate Luard, edited by John and Caroline Stevens, The History Presse, 2014

 



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